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Nicolas Quérini

Un devoir d’être soi
Emerson, Mill et Nietzsche

(Volume 14 - 2024 : Devenir soi, former son caractère : Emerson, Mill, Nietzsche)
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Résumé

Dans le § 25 du premier tome d’Humain, trop humain, Nietzsche distingue une morale privée d’une morale universelle qu’il attribue à Kant. S’il y a quelque chose comme une morale nietzschéenne (bien différente de ce qu’il appelle « la morale », à savoir celle héritée du platonisme et du christianisme), elle doit consister en quelque chose de « privé » parce qu’elle diffère d’un individu à un autre. Cela ne signifie évidemment pas que Nietzsche serait relativiste, mais simplement qu’une morale ne peut se dessiner que vis-à-vis de notre complexion et que celle-ci est toujours proprement idiosyncrasique, formée par l’histoire unique qui nous fait être ce que nous sommes. Mais comment peut-on alors parler sans contradiction d’un véritable devoir d’être soi-même ? D’autant plus dans le sillage d’une conception romantique qui va inspirer les trois auteurs que nous voulons interroger et selon laquelle chacun est absolument singulier ? Nous tâcherons ici d’analyser ce devoir si singulier qui nous commande d’être, de développer ou de devenir ce soi-même et de voir comment se construit une forme de morale alternative au kantisme à partir de là. Nous verrons ainsi qu’Emerson pense un devoir d’être soi qui, s’il ne fait fi de la morale kantienne, pense l’individu en dehors de la norme commune. Avec son utilitarisme, Mill dessine une autre forme de morale, plus susceptible de faire coïncider devoir de se développer et progrès de l’humanité tout entière. Enfin, Nietzsche balaie complètement la morale kantienne pour penser un devoir de devenir soi absolument antinomique de celle-ci et dont le premier geste constitue une condition.

Index de mots-clés : Devoir, être soi-même, devenir soi, Emerson, Mill, Nietzsche.

Abstract

In § 25 of the first volume of Human, All Too Human, Nietzsche distinguishes between a private morality and a universal morality that he attributes to Kant. If there is such a thing as Nietzschean morality (quite different from what he calls “morality,” namely that inherited from Platonism and Christianity), it must consist of something “private” because it differs from one individual to another. This does not, of course, mean that Nietzsche is a relativist, but simply that morality can only be defined in relation to our complexion, which is always idiosyncratic, shaped by the unique history that makes us what we are. But how, then, can we speak without contradiction of a genuine duty to be oneself? All the more so in the wake of the Romantic conception of each individual as absolutely singular, which inspired the three authors we wish to examine. We will attempt to analyze this singular duty to be, to develop, or to become this self, and to see how an alternative form of morality to Kantianism is constructed from it. We will thus see that Emerson conceives of a duty to be oneself that, while not ignoring Kantian morality, thinks of the individual outside the common norm. With his utilitarianism, Mill sketches out another form of morality, more likely to make the duty of self-development coincide with the progress of humanity as a whole. Finally, Nietzsche completely sweeps aside Kantian morality to conceive of a duty to become oneself that is absolutely antinomic to it, and of which the first gesture constitutes a condition.

Index by keyword : Duty, being oneself, becoming oneself, Emerson, Mill, Nietzsche.

Introduction

1Sous le vocable d’un devoir d’être soi, nous regroupons des choses un peu différentes que nous allons mieux distinguer ensuite, puisque nous entendons à ce titre certes un devoir d’être soi tel qu’il se décline dans la philosophie d’Emerson, mais aussi un devoir de se développer soi-même tel que Mill le conceptualise notamment dans On Liberty, et encore une injonction au devenir soi dans la philosophie de Nietzsche1. Or, si se développer soi-même ou devenir soi nous conduit bien d’une certaine manière à être soi, fidèle à soi, authentique et différent de tout autre, on comprend que ces trois impératifs ne soient pas tout à fait synonymes et la préférence pour chacun d’eux a évidemment ces raisons chez les trois auteurs en question.

2 Nous voudrions partir ici d’un texte d’Humain, trop humain qui nous paraît précieux pour poser le problème que nous souhaitons affronter, le paragraphe s’intitulant précisément « Morale privée et morale universelle » :

La morale ancienne, particulièrement celle de Kant, exige des individus des actes que l’on souhaite de tout homme : c’était une belle naïveté ; comme si chacun savait sans autre forme de procès quelle manière d’agir fait prospérer l’ensemble de l’humanité, et par conséquent quelles actions sont souhaitables de manière générale […]. Peut-être une future vision d’ensemble des besoins de l’humanité ne fera-t-elle nullement apparaître comme souhaitable que tous les hommes agissent de manière identique2.

3Aussi difficile qu’elle soit en réalité à pratiquer, V. Delbos a sans doute raison de dire que Kant n’a fait au fond que conceptualiser une morale très commune3, à la fois partagée et accessible à tout un chacun. Chacun « sait » en effet quel est son devoir et l’impératif catégorique ne fait que formuler des devoirs que chacun connaît d’emblée (ne pas voler, ne pas tuer…), comme si la morale s’y limitait. Mais, dans ce texte d’Humain, trop humain se dessine en contrepoint une autre morale, individualisée ou idiosyncrasique. C. Romano, qui le cite également4, rappelle par ailleurs le § 11 de l’Antéchrist, qui confirme selon lui que « nous avons affaire ici [i.e. chez Nietzsche] à un véritable impératif catégorique : “Que chacun invente sa propre vertu, son impératif catégorique bien à lui” »5.

4S’il y a quelque chose comme une morale nietzschéenne (bien différente de ce qu’il appelle « la morale », à savoir celle héritée du platonisme et du christianisme)6, elle doit consister en quelque chose de « privé » parce qu’elle diffère d’un individu à l’autre. Cela ne signifie évidemment pas que Nietzsche serait relativiste, mais simplement qu’une morale ne peut se dessiner que vis-à-vis de notre complexion et que celle-ci est toujours proprement idiosyncrasique, formée par l’histoire unique qui fait de nous ce que nous sommes. Au § 120 du Gai savoir, Nietzsche écrit ainsi qu’il y a autant de santés que d’hommes, ce pourquoi nous comprenons qu’une morale universelle serait dénuée de sens dès lors qu’elle voudrait se rapporter à des individus humains7.

5D’une certaine manière, Kant le reconnaît à sa façon, puisqu’il est impossible selon lui de savoir avec certitude qu’une action ait jamais été faite véritablement par devoir8. Pour qu’une action soit véritablement morale, il faudrait qu’aucun motif autre que la loi morale elle-même, même « inconscient », n’ait contribué à nous décider pour cette action. Ce pourquoi la connaissance de soi, qui consiste en une véritable introspection au sens d’une inspection des motifs qui nous font agir, constitue selon les termes de Kant une véritable « descente aux enfers »9. Mais l’impératif catégorique constitue malgré tout la clé de la morale et la seule manière d’être tenu pour moral, de sorte que ce qui rend une règle d’action morale, c’est bien uniquement le fait que celle-ci soit universalisable.

6Dès lors, peut-on parler sans contradiction d’un véritable devoir d’être soi-même ? D’autant plus dans le sillage d’une conception romantique qui va inspirer les trois auteurs10 que nous voulons interroger et selon laquelle chacun est absolument singulier ? Un tel devoir d’être soi n’a donc pas de sens dans les termes kantiens d’universalité tout d’abord parce qu’il n’y a pas de caractère spécifique que chaque homme devrait réaliser pour lui-même. L’opposition nietzschéenne à cette conception s’accuse encore parce qu’il n’y a pas selon lui de devoir que tout homme doive réaliser de la même façon. Ensuite, un tel impératif d’être soi peut difficilement être soutenu dans les termes de Kant parce que devenir soi chez Emerson, Mill et Nietzsche consiste avant tout à suivre notre nature (même dans ce qu’elle a de sensible)11, de sorte que l’on n’a pas à la combattre d’une part et que l’on a qu’à la suivre pour devenir ce que l’on est d’autre part. Dès lors, on peut se demander pourquoi on aurait encore besoin d’en faire un devoir. Enfin, même si c’est encore discutable chez Emerson, on ne devient en tout cas plus soi-même selon Nietzsche par un effort de volonté, comme c’était le cas chez Kant12, ce qui rend la formule impérative d’autant plus surprenante.

7Nous tâcherons donc ici d’analyser ce devoir si singulier qui nous commande d’être, de développer ou de devenir ce soi et de voir comment se construit une forme de morale alternative au kantisme à partir de là. Nous verrons ainsi qu’Emerson pense un devoir d’être soi qui, s’il ne fait fi de la morale kantienne, pense l’individu en dehors de la norme commune. Avec son utilitarisme, Mill dessine une autre forme de morale, plus susceptible de faire coïncider devoir de se développer et progrès de l’humanité tout entière. Enfin, Nietzsche balaie complètement la morale kantienne pour penser un devoir de devenir soi absolument antinomique de celle-ci et dont le premier geste constitue une condition.

1. Emerson : un devoir d’être soi-même

8Dans sa préface à La Confiance en soi, Monique Bégot écrit que « chacun est encouragé à “devenir” ce qu’il est réellement »t13. Mais ce « devenir » ne sera pas à entendre au sens nietzschéen puisque l’on possède un soi inné pour Emerson, de sorte que, si sa conception du « devenir soi » a pu inspirer Nietzsche au moment de l’écriture de la troisième de ses Considérations inactuelles notamment, le philosophe allemand repensera ce « devenir soi » clairement différemment par la suite. On peut se demander également ce que recouvre précisément cet « encouragement » à devenir soi : s’agit-il d’un simple conseil ou d’une admonestation, ou encore d’une injonction qui ressemblerait véritablement à un devoir ? Claude Romano argumente de manière convaincante en faveur de cette dernière option :

Se fier à la loi de sa propre nature, ce n’est donc pas, aux yeux d’Emerson, obéir à un simple précepte de prudence, mais à un commandement inconditionnel. C’est ce que souligne un passage décisif de l’essai « Self-reliance » : « Nulle loi ne m’est sacrée que celle de ma nature (No law can be sacred to me, but that of my nature) »14.

9C’est dire ainsi aussi que les autres lois ne sont pas sacrées, que la morale ne revêt pas le caractère sacré que lui attribuait Kant, sauf, selon Emerson, en ce qui concerne le devoir d’être soi, de suivre sa nature propre. Mais cela ne va pas nécessairement contre la morale chez le penseur américain, puisqu’on peut être fidèle à soi tout en pratiquant le devoir kantien. Il écrit ainsi dans Société et solitude :

Qu’est-ce qui est moral ? C’est respecter les fins universelles quand on agit. Écoutons la définition que donne Kant de la conduite morale : « Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en règle universelle (Act always so that the immediate motive of thy will may become a universal rule for all intelligent beings) »15.

10Dans cette récupération de la première formulation de l’impératif catégorique que l’on trouve dans les Fondements de la métaphysique des mœurs, Emerson traduit toutefois le terme kantien de Gesetz (« loi »)16 par celui de rule (« règle »), mais l’erreur n’est en réalité pas si conséquente parce que l’opposition des termes de règle (rule) et de loi (law) est moins tranchée en anglais qu’en français où le caractère conditionnel de la règle ne saurait remplacer l’intransigeance de la loi17. La différence est par ailleurs d’autant moins importante qu’Emerson insiste sur l’universalité de cette règle recherchée pour orienter l’action morale. Chez celui-ci, le devoir d’être soi et de suivre sa nature, s’il fait fi des conventions et du conformisme18, n’est donc pas contraire à une morale de type kantien. Cependant, ce n’est pas parce que les devoirs universalisables sont des actions morales que la morale emersonnienne se réduirait à ces derniers. L’essentiel se trouve en vérité ailleurs, dans ce devoir d’être soi. Si la morale kantienne est commune, celle d’Emerson est bien au contraire idiosyncrasique, puisqu’elle obéit à « l’infinité de l’individu privé »19 dont on peut penser que la morale privée nietzschéenne constituera une forme d’héritage, et qui doit commencer par se débarrasser de tout ce qu’il y a de conventionnel :

La vertu la plus prisée est le conformisme. Elle n’a qu’aversion pour la confiance en soi. Elle n’aime pas les réalités et les créateurs, mais les noms et les usages. Celui qui voudrait être un homme doit être non conformiste20.

11Être un homme au sens de réaliser son soi implique donc de dépasser le conformisme et par là même la morale de l’homme commun, au moins au sens de ne pas s’y limiter. Être créateur signifie ici que la morale ne se réduit pas aux impératifs kantiens mais doit inclure une réalisation d’un soi qui est différent de tout un chacun. On trouve un passage de la Confiance en soi dans lequel se dessine déjà une morale privée, puisque notre vertu ne se donne pas à voir dans des actes pour Emerson, mais dans le soi que nous sommes susceptibles de manifester, encore qu’il soit tout sauf évident que les actes suffisent à le faire :

Je demande la preuve première de votre qualité d’homme et refuse ce transfert de l’individu à ses actes. Pour moi-même, que j’accomplisse ou rejette ces actions qui sont tenues pour excellentes, cela ne fait aucune différence. Si peu nombreux et si humbles que soient mes talents, j’existe réellement, et pour mon assurance ou celle de mes concitoyens, je n’ai besoin d’aucun autre témoignage. Ce que je dois faire est tout ce qui me concerne, non pas ce que pensent les gens. Cette règle également ardue dans la vie pratique et dans la vie intellectuelle peut servir à mesurer toute la différence entre la grandeur et la bassesse. Elle est d’autant plus ardue que vous trouverez toujours des gens pour penser qu’ils savent ce qu’est votre devoir, mieux que vous ne le savez vous-même. Il est facile, étant dans le monde, de vivre selon l’opinion du monde ; il est facile, dans la solitude, de vivre selon la nôtre, mais il a de la grandeur, celui qui au milieu de la foule garde avec une suavité parfaite l’indépendance de la solitude. L’objection à formuler quant au respect d’usages devenus pour vous lettre morte repose sur le fait que cela éparpille vos forces. Cela vous fait perdre votre temps et estompe votre personnalité […] derrière tous ces écrans, j’ai du mal à cerner l'homme que vous êtes, et bien sûr c’est autant d'énergie retirée de votre vie propre21.

12On estime généralement qu’un homme donne à se connaître dans ses actes, mais Emerson refuse ce transfert et estime même que les actions font ici écran. On comprend également par la même occasion que ce qui compte davantage que les actes eux-mêmes, c’est précisément la réalisation du soi ; ce pourquoi Emerson écarte les jugements moraux communs des hommes, qui estiment ainsi mieux connaître nos devoirs que nous-mêmes, parce qu’ils seraient universels, sans comprendre que l’important est ailleurs. D’une certaine manière, c’est cette morale commune qui est immorale ou infra-morale dès lors qu’elle ne se saisit pas du devoir d’être soi et que l’individu commun se fuit lui-même dans sa recherche de ce qui vaut universellement. Il y a bien par ailleurs une âme universelle chez Emerson22, dans laquelle toutes les âmes individuelles se retrouvent, mais qui désigne davantage un lieu où celles-ci communiquent qu’une véritable négation de ces individualités particulières23, quand bien même celles-ci devraient se soumettre à cet esprit universel pour saisir le beau par exemple. Cette âme supérieure et transcendante ne doit donc pas nous conduire à nier notre individualité mais au contraire à l’affirmer, d’où une forme de devoir d’être soi, même si la formule n’est pas donnée telle quelle par le penseur.

13Mais un tel devoir d’être soi est-il encore véritablement un devoir dès lors qu’il consiste simplement à suivre sa nature ? En réalité, le fait qu’il suffise de suivre notre nature pour nous réaliser nous-mêmes ne signifie certainement pas que nous le ferons nécessairement. On conçoit ainsi qu’il puisse s’agir d’un devoir puisqu’on peut aussi bien ne pas la suivre. Déjà chez Pindare, si le poète conseillait à Hiéron de se montrer tel qu’il avait appris à se connaître, c’est bien parce que la nature héroïque qu’il tenait de ses ancêtres et qui lui avait été révélée lors des Jeux ne suffisait pas par elle-même à garantir la grandeur de celui-ci24. Il y avait encore de sa part à réaliser un effort pour s’y maintenir, pour demeurer tel qu’il avait appris à se connaître dans sa grandeur.

14Ici, Emerson se fait l’héritier d’une conception fort ancienne, puisque Platon disait de l’homme qu’il avait un daimon intérieur et qu’il lui revenait simplement de le suivre25. Romano écrit ainsi à propos d’Emerson :

puisque la loi de notre nature peut être considérée aussi comme un Instinct qui nous guide toujours pour le mieux, comme y insiste l’essai « Le poète », la sagesse la plus haute consiste à se détourner de la morale populaire pour n’écouter que cette science infuse qui s’exprime par le truchement de nos notions intérieures quelles qu’en soient les conséquences. « Comme le voyageur égaré laisse la bride sur le cou de son cheval et se fie à l’instinct de l’animal pour retrouver sa route, écrit Emerson, nous devons nous fier à l’animal divin qui nous mène dans ce monde »26.

15S’il faut suivre notre nature et que celle-ci peut être considérée comme une forme d’instinct, on peut ici se demander quelle place reste en réalité pour une forme de volonté libre chez Emerson, concept que Nietzsche réduira ensuite à néant27. Mais il y a par ailleurs une véritable différence entre les deux penseurs ici. Emerson est en réalité plus proche de Schopenhauer, pour qui on ne saurait être différent de sa nature véritable28, que du Nietzsche qui pensera un soi en constante évolution29, ce pourquoi il s’agit bien d’un devoir d’être soi chez le penseur américain. B. Zavatta note ainsi :

This essence for Emerson, is present right from the moment of the birth of each individual even if it remains unknown to him or her up until the moment when he or she gains control of it and brings it to manifestation30.

16Malgré tout, la manière dont Emerson pose le problème en 1860, dans La Conduite de la vie31, trouvera très certainement un écho dans la troisième des Considérations inactuelles. Le penseur américain écrit ainsi : « Pour moi, cependant, la question du temps présent se résolvait dans la question pratique de la conduite de la vie. Comment dois-je vivre ?32 » Il y répond un peu plus loin : « Nous ne pouvons qu’obéir à notre propre polarité. Il est bien beau de spéculer et de choisir notre voie, si nous devons accepter une dictée inexorable ! »33 Et plus loin : « Ce que fait chacun est approprié à ce qu’il est »34. Dans La Confiance en soi, il écrit encore : « Je suppose qu’aucun homme ne peut agir contre sa nature. Toutes les saillies de sa volonté sont émoussées par la loi de son être »35.

17Tout émoussée qu’elle soit, l’individu a bien chez Emerson une volonté propre. À la différence de Nietzsche, on a bien ainsi une forme de choix pour Emerson, puisque l’on peut choisir de suivre sa nature ou la coutume et le conformisme. La loi que nous devons suivre est celle de notre nature, expression dont héritera Nietzsche en parlant de « la loi fondamentale de son vrai moi »36. Tout en préparant la philosophie nietzschéenne sur ce point, Emerson se fait donc encore de la libre volonté une conception métaphysique qui va disparaître avec le philosophe allemand, comme l’écrit B. Zavatta37, même si on voit bien ici que cette volonté a déjà du plomb dans l’aile puisque c’est la loi de notre être qui nous guide avant tout. Le devoir d’être soi relève ainsi déjà davantage d’une nécessité que d’une simple possibilité38.

18On peut se demander à ce stade ce qu’il reste du devoir et quels sont les caractéristiques de cet impératif catégorique chez Emerson. C. Romano les retrace en montrant d’abord que cette loi de notre nature nous convoque aussi à l’autonomie et qu’elle est même une « expression de celle-ci » (ce soi idéal ou divin qu’il faut être étant en nous), qu’elle est inconditionnelle mais singulière et non universelle, qu’elle est sacrée étant « la loi même de Dieu »39, et qu’« enfin, ce devoir fonde l’éthique tout entière, il repose au fondement de tous les autres devoirs, il est la source de tout bien. Il peut même se substituer à l’éthique ordinaire, puisque, par contraposition, nulle autre loi ne m’est sacrée que celle de ma nature. Comme l’affirme “The American Scholar”, “dans la confiance en soi (self-trust) toutes les vertus sont comprises” »40.

19Si Emerson insiste donc sur le devoir et l’importance qu’il accorde à celui-ci (il écrit encore qu’« aux heures viriles nous sentons que notre place est celle du Devoir »)41, c’est avant tout sur le devoir d’être soi qu’il le fait, puisque de celui-ci dépend tout autre. Même une action véritablement morale –celle que Kant espérait possible – ne vaut rien si elle émane d’un homme qui n’est pas véritablement lui-même. C’est l’homme accompli qui confère de sa grandeur et même de sa « moralité » à l’action.

2. Mill : un devoir de se développer soi-même

20Si, comme Emerson, Mill s’inspire de la philosophie allemande, il ne s’agit certainement plus de penser un soi atomique mais bien davantage un soi qu’il faut développer42 et qui se construit et se saisit à l’occasion de ce développement. La chose est bien connue par ailleurs – c’est pourquoi je ne m’y attarde guère –, Mill ne pense pas la morale comme le fait Kant, du fait de son utilitarisme qui le conduit à penser l’action morale comme visant à réaliser le bonheur humain43, morale utilitariste qui explique d’ailleurs l’importance de ce devoir de se développer soi-même. Dans un autre article consacré à la confrontation des conditions d’émergence de l’individualité chez Nietzsche et Mill, j’ai insisté sur l’importance de l’héritage humboldtien chez Mill, en faisant de la Bildung la véritable clé de lecture d’On Liberty44. Il s’agit d’un ouvrage certes libéral, non pas toutefois d’un libéralisme de la tolérance indifférente, mais bien d’un libéralisme moral de la formation et de la perfection de soi pour le bien de tous. Ce lien était d’ailleurs bien fait par Mill dans son texte sur l’Utilitarisme et nous ne pensons pas qu’il y ait de véritable contradiction entre ses deux œuvres les plus célèbres, le développement de soi étant une condition du bonheur humain général45. Mill décrivait en effet au cœur de cet ouvrage l’importance d’alimenter ces plaisirs supérieurs ainsi que le sentiment de noblesse et de notre dignité, dans le cadre du développement de soi, impliqué par la doctrine du bonheur global46.

21De l’autre côté, Mill écrivait bien dès 1859 dans On Liberty qu’il s’agit de « se fonder sur les intérêts permanents de l’homme en tant qu’être susceptible de progrès »47, ce qui doit selon nous s’entendre à un double niveau : celui de l’individu et celui de l’espèce. Le premier ne vaut donc pas par ce qu’il est d’emblée, mais par ce qu’il est capable de devenir. Bien sûr, il y aurait beaucoup de choses à dire chez Mill également sur le devoir d’être soi et de ne pas céder au conformisme incarné en démocratie par la « tyrannie de la majorité », mais nous avons abondamment traité ce sujet dans un autre travail48 et plus important encore est sans doute à ses yeux ce devoir de self-development sur lequel je veux m’attarder aujourd’hui.

22Vis-à-vis de la réalisation de celui-ci au niveau individuel, la tâche que Mill propose à l’État est avant tout négative, puisqu’il doit simplement la rendre possible en laissant une « atmosphère de liberté » nécessaire au développement des individus géniaux, ceux qui sont plus individuels que les autres49. Mais si cette tâche est « négative » sur ce point, il y a réciproquement du point de vue individuel un tel devoir de se développer soi-même, de faire parvenir à maturité toutes nos qualités individuelles. Ce n’est évidemment plus une exigence politique – on ne peut imposer aux citoyens de se développer eux-mêmes – mais morale, et la réalisation de cette exigence diffère d’un individu à l’autre. Ainsi, il n’est guère audible selon Mill qu’un individu dicte à un autre sa façon de vivre dans la mesure où chacun est le mieux à même de dessiner son propre plan de vie50, ce qui ne signe pas pour autant une forme de relativisme moral ni un désinvestissement de la question.

23Au contraire, c’est parce que l’humanité est diverse et que la réalisation des individus passe par autant de chemins individuels que cette atmosphère de liberté doit être procurée à ces derniers et que les opinions trop conformistes sont dangereuses. Mais il y a bien une forme de devoir pour l’individu à réaliser son plein potentiel, à dessiner pour lui-même un plan de vie qui lui paraît le mieux adapté à ses qualités comme à ses aspirations, ainsi qu’à s’y tenir. Ce n’est donc pas du tout une position libérale qui désinvestirait cette question morale, Mill défendant au contraire cette position libérale parce qu’elle est condition du self-development et que c’est la clé du progrès comme du bonheur humain. La liberté est le pendant négatif et politique du devoir moral individuel de se développer soi-même. Toutefois, plutôt que de les opposer, on devrait voir en réalité la véritable liberté non seulement comme cette première liberté négative mais comme englobant également le self-development. La liberté est self-development, au double sens où un être non développé ne saurait être libre et où, en sens contraire, la liberté doit servir un développement maximal des aptitudes et dispositions spécifiques d’un individu51.

24Mais ce devoir de se développer soi-même est donc bien un devoir vis-à-vis de soi et non vis-à-vis des autres, comme y insiste la fin du texte :

Ce qu’on appelle devoirs envers soi-même [duties to ourselves] ne constituent pas une obligation sociale, à moins que les circonstances n’en fassent simultanément des devoirs envers autrui52.

25Il y a donc bien des devoirs envers soi-même, qui ne sont pas de l’ordre d’une obligation sociale mais de l’ordre du respect de la dignité de l’homme en nous-mêmes. Une forme de perfectionnement de soi qui ne peut être imposée socialement mais qui en même temps est bien une forme de devoir et qui a évidemment des effets sur autrui. La suite immédiate de cet extrait définit le devoir envers soi comme self-development :

Le terme devoir envers soi-même [duty to oneself], lorsqu’il va au-delà de la prudence, signifie respect de soi ou développement personnel [self-respect or self-development] ; or, de ces qualités nul n’est responsable devant ses semblables, puisqu’on ne saurait être rendu responsable du bien qu’on fait à l’humanité53.

26Si Mill comprend ce devoir comme une forme d’« art de la vie » par ailleurs, c’est donc parce que « le genre humain n’a pas un caractère universel », comme il l’écrit au livre VI de son Système de logique déductive et inductive, intitulé De la logique des sciences morales54. Dans cet ouvrage, la possibilité d’un devoir de se développer soi-même est fondée sur le fait que nous soyons libres de changer notre caractère. Mill est bien un déterministe (plutôt qu’un « nécessitariste », notion qui tire les hommes du côté du fatalisme selon lui)55, mais il précise ainsi :

L’homme a, jusqu’à un certain point, le pouvoir de modifier son caractère. Qu’il ait été en dernière analyse formé pour lui n’empêche pas qu’il ne soit aussi en partie formé par lui, comme agent intermédiaire. Son caractère est formé par les circonstances de son existence (y compris son organisation particulière), mais son désir de le façonner dans tel ou tel sens est aussi une de ces circonstances, et non la moins influente. […] Nous sommes exactement aussi capables de former notre propre caractère, si nous le voulons, que les autres de le former pour nous56.

27Le nécessitarisme d’Owen notamment ne tient pas compte de cet élément essentiel qui est le « désir d’essayer de le former [i.e. son caractère] »57, de sorte qu’il perd en effet un levier sur son propre caractère et tombe dans le fatalisme, ce qui a précisément l’effet supposé : « L’effet décourageant de la doctrine fataliste ne peut être senti que là où est le désir de faire ce que cette doctrine déclare impossible »58. Mill neutralise d’une certaine manière la question et poursuit ainsi :

Peu importe à quoi nous attribuons la formation de notre caractère, quand nous n’avons aucun désir de travailler à le former nous-mêmes ; mais il nous importe beaucoup que ce désir ne soit pas étouffé par la pensée que le succès est impossible, et de savoir que, si nous avons ce désir, l’œuvre n’est pas si irrévocablement achevée qu’elle ne puisse plus être modifiée. Et, en effet, si nous y regardons de près, nous reconnaîtrons que ce sentiment de la faculté que nous avons de modifier, si nous le voulons, notre propre caractère est celui même de la liberté morale dont nous avons conscience59.

28Cette liberté est bien morale et nous estimons que ce devoir est de l’ordre de la morale chez Mill, quoique d’une morale privée ou individuelle, en cela qu’elle n’est pas universalisable. C’est l’un des points sur lequel nous sommes en désaccord avec la lecture de C. Romano qui écrit ainsi :

Cette formation du caractère relève du domaine de l’esthétique, de la réalisation de la beauté dans sa vie, laquelle ne dérive ni des devoirs envers les autres (Morale) ni des devoirs envers soi-même (Prudence) mais constitue « une fin suprême », néanmoins subordonnée à la fin dernière qu’est le bonheur du genre humain60.

29Ce texte est en effet tout à fait similaire à celui que l’on trouve à la fin du discours inaugural prononcé à l’université de St Andrews et sur laquelle nous allons revenir, à ceci près que la fin dernière est « l’achèvement du genre humain » et non pas le bonheur, ce qui a son importance. L’esthétique est bien subordonnée à la morale, mais l’art de la vie n’est pas selon nous seulement du côté de l’esthétique par opposition à la morale. Dans le livre VI de son Système de logique déductive et inductive, Mill place certes cet impératif du côté de « l’art » plutôt que de la « science »61, mais l’esthétique ne s’oppose pas ici à la morale, Mill précisant que « l’éthique ou la morale est proprement une partie de l’Art qui correspond aux Sciences de la nature humaine et de la société »62.

30En fait, les différentes branches en question font partie de l’art de la vie :

Ces prémisses générales, avec les principales conclusions qu’on peut en déduire, forment (ou plutôt pourraient former) un corps de doctrine qui est proprement l’Art de la vie, dans ses trois branches : la Morale, la Prudence ou Politique, et l’Esthétique ; l’Honnête, l’Opportun et le Beau ou le Noble dans les actions et dans les œuvres de l’homme.63

31On peut être tenté ici en effet de se dire que la morale, c’est l’utilitarisme, et que le devoir de se développer relève en réalité davantage de l’esthétique, de ce qui est beau ou noble (comme le propose la lecture de C. Romano, si nous l’avons bien comprise). Mais que ce devoir de se développer relève également d’une forme d’esthétique (relevant du « beau » ou du « noble ») n’empêche pas de reconnaître aussi sa dimension morale comme y insistait cet ouvrage autrement plus important qu’est De la liberté64. Nous nous accordons donc finalement davantage sur ce point avec C. Dejardin qui écrit que « pour [Mill], la spécificité humaine, plastique et réflexive, est source d’obligation au sens propre de contrainte morale auto-appliquée par et sur son esprit. […] le sentiment intime de dignité ou de décence joue comme un rappel de ce que l’on pourrait être, qui enjoint de se montrer digne de l’idée d’humanité que l’on porte en soi »65, même s’il faut toujours ici préciser que cette humanité se réalise toujours différemment dans ces individus qui constituent le « sel de la terre »66.

32Enfin, s’il y a bien deux dimensions distinguées par Mill (morale et esthétique), on comprend plus nettement qu’elles ne s’opposent pas mais se complètent bien plutôt comme les différentes branches d’un art de la vie, ainsi qu’il le précise à l’occasion de son allocution à l’université de St Andrews67. Partant d’une opposition entre conscience et sentiment (dans ce qui nous mène au devoir), Mill y soutient que les deux doivent être éduqués de façon conjointe68, qu’il faut faire aimer la vertu pour la faire pratiquer et que c’est là la tâche de l’éducation à la sensibilité que nourrit la poésie69. La contemplation de la beauté élève ainsi l’âme70. Il faut donc « maintenir en activité » cette sensibilité parce qu’elle est essentielle à l’être humain que conçoit Mill. C’est là son apport propre et son complément à la vision de la nature humaine partagée par Bentham et son père, qui ignorèrent cette dimension esthétique. La sensibilité est le soutient de la vertu, d’où l’importance de la poésie qui l’anime. Le paragraphe suivant affirme ainsi une affinité entre beau et bien, Mill retrouvant l’idéal grec du kalos kagathos :

Qui a appris ce qu’est le beau, s’il a un caractère vertueux, voudra le réaliser dans sa propre vie et aura toujours en vue une sorte de perfection du caractère humain pour éclairer ses efforts d’amélioration de soi71.

33On comprend ainsi qu’il faille éduquer au devoir, former la conscience… du côté de la rationalité, mais aussi développer le sens esthétique, pour que la conscience et la sensibilité puissent aller de pair. Le devoir de se développer soi-même se trouve ainsi animé par la projection d’un soi parfait devant soi, projection dont la réalisation dépend de notre caractère moral (de la capacité de notre conscience à agir moralement), mais qui est également dessinée et façonnée par notre sensibilité, notre sens esthétique, d’où l’importance de la culture de l’art parce qu’il n’y a que dans l’art que l’on est amené à fréquenter de telles œuvres parfaites, modèles de celle que l’on doit façonner pour soi-même72. Le devoir millien de se développer soi-même dépend donc selon nous autant de la morale que de l’esthétique, l’art nous conduisant « à idéaliser, autant que possible, tout ce que nous faisons et, par-dessus tout, notre caractère et notre vie »73. Le devoir de se développer soi-même est ainsi un devoir moral, mais alimenté et soutenu par l’esthétique74, celle-ci permettant à la morale de ne pas devenir sèche et aride.

3. Nietzsche : un devoir de devenir soi

34La conception du soi qui se fait jour dans la troisième des Considérations inactuelles doit beaucoup à Schopenhauer comme à Emerson, ce qui peut donner l’impression que Nietzsche est moins « pris dans le devenir » qu’il ne le sera ensuite (le philosophe écrit bien à cette occasion « Sois toi-même ! », plutôt que « Deviens ce que tu es »)75. Nous voudrions ici nous intéresser davantage au Gai savoir, dans lequel c’est cette fois sans l’ombre d’un doute un impératif à devenir ce que l’on est qui est commandé, comme dans le § 270 :

Que dit ta conscience [Was sagt dein Gewissen] ? – « Tu dois devenir celui que tu es [Du sollst der werden, der du bist] »76.

35Cette forme de conscience (qui n’est autre que la pulsion dominante se réfléchissant) ne restaure évidemment pas une liberté métaphysique, même si elle semble revêtir ici une dimension morale. Mais, contrairement à une doctrine chrétienne qui trouve son paroxysme dans la haine de soi pascalienne77, cette conscience morale nous demande de penser positivement le soi afin de pouvoir nous mettre en quête de sa réalisation. Au § 275, Nietzsche demande : « Quel est le sceau de l’acquisition de la liberté ? », à quoi il répond : « Ne plus avoir honte de soi-même [Sich nicht mehr vor sich selber schämen] »78.

36Cette liberté n’a donc pas un sens métaphysique classique, mais elle ressortit plutôt à celle peinte par Emerson et qui consiste à être pleinement soi-même, dans l’affirmation de son individualité, malgré les obstacles dressés par la société et le conformisme notamment. Nietzsche est en réalité beaucoup plus clair et radical par rapport à ce qui nous revient qu’Emerson, ayant détruit l’illusion de la libre volonté, de sorte que l’on ne peut encore être tenu responsable d’accomplir ou non son caractère79. Nietzsche refuse nettement qu’il y ait une forme de choix ici, à la différence d’Emerson80. Et, s’il s’agit aussi pour l’un comme pour l’autre de suivre notre nature, ce n’est pas dans le même sens. Pour Emerson, il y a encore une essence du soi, un soi véritable et par nature, tandis que pour Nietzsche, qui refuse une telle conception du soi, suivre notre nature signifie simplement approuver ce que nos instincts approuvent et ce à quoi ils aspirent déjà, comme l’écrit B. Zavatta81.

37Mais est-ce alors encore un devoir ? Qu’est-ce que l’on en conserve ici ? Nous estimons que Nietzsche tente bel et bien de penser une morale ou une éthique du soi (distinction qu’il ne fait pas lui-même) par-delà la morale. Nietzsche critique la morale qu’il voit entée sur la connaissance de soi82 tout en proposant ce que l’on peut appeler une morale ou une éthique du devenir soi. Comme l’écrit G. Bensussan :

On pourrait dire qu’il défait définitivement la morale pour entrer dans une éthique de soi, de la vie et de la puissance. Cette première entente requiert toutefois l’exploration d’un autre chemin où l’on voit Nietzsche détruire la morale moraliste, si l’on peut dire, pour mieux, et autrement, statuer sur la morale proprement dite, extramorale, métamorale, sur une autre morale83.

38Je renvoie également à l’ouvrage de B. Zavatta sur ce point, qui montre comment Nietzsche retrouve davantage l’éthique grecque ce faisant, tout en s’éloignant d’une conception kantienne de la morale84. Mais le texte qui m’intéresse le plus directement est le § 335 du Gai savoir dans lequel Nietzsche articule la problématique du devenir-soi avec la difficulté de la connaissance de soi85 :

Combien y a-t-il d’hommes qui sachent observer [beobachten] ! Et parmi les rares qui le sachent, – combien y en a-t-il qui s’observent eux-mêmes [beobachten sich selber] ? « Chacun est à soi-même [Jeder ist sich selber] le plus éloigné [der Fernste] » – voilà ce que savent tous ceux qui sondent les reins, et ce qui cause leur malaise ; et la sentence « connais-toi toi-même [erkenne dich selbst] ! » proférée par un dieu et adressée à des hommes, est presque une méchanceté86.

39Déjà en Grèce ancienne, le dieu Apollon n’a pas toujours été considéré comme un modèle de bonté, ni d’absolu véracité (alors même que sa fonction oraculaire devait le conduire à annoncer la vérité divine), ce qui ressort par exemple de l’Ion d’Euripide, où il est ainsi nommé « Apollon le méchant » (Apollôn ho kakos)87. Dans l’interprétation qu’en donne Nietzsche, la sentence apollinienne elle-même devient « presque une méchanceté » d’abord parce que peu d’hommes sont ainsi capables d’observer véritablement, de connaître en profondeur, et encore plus rares sont ceux qui vont se montrer capables d’appliquer à eux-mêmes ce sens de l’observation – chacun restant à soi-même le plus éloigné88. À la fin de la deuxième Inactuelle, le « connais-toi toi-même » était encore qualifié de « douce sentence », de sorte que l’on peut se demander si Nietzsche, en s’approfondissant lui-même, n’a pas fini par en éprouver le caractère douloureux et changé d’avis sur l’aspect agréable de la connaissance de soi. Mais celui-ci notait déjà au milieu de l’année 1875 que le dépassement de soi pouvait rendre méchant : « La force monstrueuse de dépassement de soi, par exemple, dans Socrate, qui était capable de toutes les méchancetés »89.

40Dans le texte du Gai savoir que l’on vient de citer, on peut comprendre qu’il s’agisse presque d’une méchanceté aussi parce qu’il s’agit d’un impératif très difficile à soutenir également d’un point de vue moral, de sorte que le soi que l’on est actuellement provoquerait une forme de dégoût à être connu objectivement, quand bien même cela serait possible. On peut ainsi voir dans cette sentence quelque chose d’uniquement négatif, contraire au devenir soi et dont il faudrait pouvoir s’écarter. La connaissance de soi ferait obstacle au devenir soi, ce que semble redire Ecce homo à sa manière en disant que devenir ce que l’on est suppose une forme d’ignorance sur soi90. De manière générale, si la connaissance ramène l’inconnu à l’identique, on peut ainsi comprendre qu’elle prévient le processus du devenir soi en interdisant à l’individu de se diriger (même inconsciemment) vers un soi futur qu’il n’est pas encore. La connaissance de soi irait ainsi de pair avec une conception substantivante ou réifiante du soi qui contredirait le mouvement du devenir soi. A. Sorosina note aussi à propos du Gai savoir :

en vertu de l’appariement de deux maximes antiques célèbres, « connais-toi toi-même » et « rien de trop », le sage grec se retire dans une conception figée du « soi », imperméable à tout devenir, parce qu’elle divise la psychologie du sujet en plusieurs parties […]. La dimension relationnelle de toute éthique s’en trouve éconduite, ce qui empêche la paideia, dans cette perspective, d’être envisagée dans son aspect dynamique91.

41Mais c’est justement ainsi qu’il est possible de ressaisir la connaissance de soi dans une dimension positive, comme interprétation d’un soi idéal, de ce soi que l’on projette au-delà de soi et que l’on souhaite devenir, ce qui ne lui enlève pas sa dimension de « méchanceté », puisque c’est en même temps reconnaître la difficulté du chemin à parcourir, de l’effort douloureux qui reste à fournir pour se dépasser soi-même. Sur ce point et sur ce qui nous conduit à penser qu’une telle dimension positive est bien présente dans cet impératif, il nous faut insister sur le fait que Nietzsche précise que c’est « presque une méchanceté ». De la même façon qu’il écrit à propos du mot de Leibniz92 : « qu’on ne laisse pas passer et ne sous-estime pas le presque ! »93, nous estimons qu’il ne faut pas le laisser échapper dans cet aphorisme nietzschéen non plus mais, donc, lui donner un sens. Ainsi, si on entrevoit au contraire ce que l’on peut devenir par cette connaissance, il y a la place chez Nietzsche aussi pour une connaissance de soi conçue comme une activité dynamisante qui nous oriente immédiatement vers un devenir soi. Pour quelques-uns seulement, sans doute assez forts pour pouvoir soutenir la dureté véritable de cet impératif, capables également d’une forme supérieure de connaissance de soi comme interprétation créatrice de soi, la sentence delphique n’est peut-être plus une méchanceté. C’est en tout cas l’hypothèse que nous avons soutenue dans notre livre94 et que nous développons encore dans un article récent95.

42Il n’en reste pas moins que ce devenir soi, dès lors solidaire d’une connaissance de soi conçue comme interprétation, doit d’abord évacuer complètement la manière habituelle et kantienne de penser la morale :

Celui qui continue de juger en disant « voici comment chacun devrait agir dans ce cas » n’a pas encore fait cinq pas dans la connaissance de soi [ist noch nicht fünf Schritt weit in der Selbsterkenntniss gegangen] : sans quoi il saurait qu’il n’y a pas et ne peut pas y avoir d’actions identiques, – que toute action qui a été effectuée a été effectuée d’une manière totalement singulière et qui ne se répétera jamais, et qu’il en ira exactement de même de toute action à venir, – que toutes les prescriptions de l’agir ne concernent que le grossier aspect extérieur (y compris même les prescriptions les plus intimes et les plus subtiles de toutes les morales qui ont existé jusqu’à présent), – que l’on peut bien atteindre grâce à elles une apparence d’identité, mais rien qu’une apparence, justement [aber eben nur ein Schein]96.

43S’il y a un devoir, ce n’est pas celui qui consiste à agir en vertu de maximes dont on pourrait vouloir qu’elles constituent des lois universelles, mais plutôt celui de devenir soi, celui qui sort de la sphère du « Tu Dois », tel qu’entendu classiquement, pour être compris comme un « Je Veux », comme le laisse entendre la suite du paragraphe, ainsi que le fameux passage des trois métamorphoses de Zarathoustra97.

44Aussi, cet aphorisme 335 du Gai savoir insiste sur le fait que l’on a cru surtout jusqu’ici se reconnaître dans des idéaux qui nous sont pourtant extérieurs et formés par d’autres, et qui sont alors un obstacle à notre devenir soi. Il nous faut donc nous défier des idéaux préétablis qui nous aliènent et créer nos propres tables pour nous donner les moyens de devenir ce que nous sommes. Le soi-même étant individuel, il n’y a pas de sens à dire qu’une action doive toujours être faite d’une certaine façon, donc on ne peut penser une morale générique qui vaudrait pour tous les hommes, à la manière de celle que propose Kant notamment. Il y a bien une manière individuelle d’incarner nos actions de sorte qu’elles ne sont pas transposables d’un individu à l’autre, ce pourquoi il faut encore « créer de nouvelles tables de biens qui nous soient propres »98, trouver sa propre morale ou son éthique personnelle. Nietzsche poursuit :

L’heure du dégoût pour tout ce bavardage moral des uns au sujet des autres a sonné ! Prononcer des verdicts moraux doit répugner à notre goût ! Laissons ce bavardage et ce mauvais goût à ceux qui n’ont rien de mieux à faire que traîner le passé un petit peu plus loin à travers le temps et qui eux-mêmes ne sont jamais le présent, – donc le grand nombre, la plupart des gens ! Mais nous, nous voulons devenir ceux que nous sommes [wollen Die werden, die wir sind], – les nouveaux [die Neuen], ceux qui n’adviennent qu’une seule fois [die Einmaligen], les incomparables [die Unvergleichbaren], ceux qui se donnent à eux-mêmes leur loi [die Sich-selber-Gesetzgebenden], ceux qui se créent eux-mêmes [die Sich-selber-Schaffenden]99 !

45Remarquons d’emblée que ce devoir de devenir soi ne s’adresse plus à tout un chacun chez Nietzsche. Du moins devient-il évident que tout le monde n’est plus capable de l’entendre ni de l’accomplir. C’est à « nous » qu’il s’adresse, que ce « nous » désigne les individus exceptionnels seuls à mêmes de devenir qui ils sont en propre, ou ces « philosophes de l’avenir » qui ne sont précisément plus prisonniers des anciennes manières d’évaluer. Il y a ainsi un dégoût éprouvé de la part de Nietzsche pour ce bavardage moral, pour ces valeurs prétendument universelles. Il faut au contraire se créer soi-même, trouver sa propre table de valeurs. Il s’agit alors d’une nouvelle morale, contraire à la morale du troupeau, expression qui peut viser autant celle de Kant que celle de Mill100, celle-ci recouvrant en réalité la plus longue période de l’humanité, comme l’exprime le § 117 du Gai savoir :

durant la plus longue période de l’humanité, il n’y avait rien de plus terrifiant que de se sentir individu. […] Être soi, s’apprécier soi-même à partir de ses propres poids et mesures – cela était alors contraire au goût. L’inclination à agir de la sorte aurait été ressentie comme de la démence : car toute misère et toute peur étaient liées à la solitude. La « volonté libre » avait alors pour voisin immédiat la mauvaise conscience : plus on agissait de manière non libre, plus l’action exprimait l’instinct du troupeau et non le sentiment personnel et plus on s’estimait moral. […] C’est sur ce point que nous avons le plus changé d’école101.

46Comprise de manière approfondie, la morale du troupeau exprime une fuite devant soi, parce que l’on a peur de son individualité ou d’être reconnu comme un individu. Il est évident que Nietzsche ne croit pas à la liberté de la volonté qui s’exprime ou se trouve dans l’universalisation de ses maximes. Ce texte nous aide à comprendre à la fois pourquoi la connaissance de soi est une méchanceté mais aussi pourquoi Nietzsche insiste sur le « devenir » dans l’impératif à « devenir soi », puisque celui-ci comporte une dimension de nouveauté présente dans le processus que ne contient pas l’assignation à être soi.

47Cette dimension de la création de soi ou du dépassement de soi est nécessaire là où aucun précédent n’existe, si être « un nouveau », c’est être un individu au sens fort, absolument individuel, pour lequel aucune table de valeurs préexistantes n’est possible. Il s’agit de se « créer » soi-même et Nietzsche insiste sur la dimension de nouveauté et donc du devenir. Nous ne devons pas être les épigones du passé mais des individus exceptionnels au sens littéral, des individus différents de ce que tout le passé humain a proposé jusque-là, des « incomparables », écrit encore Nietzsche. Et c’est donc à partir de ce dégoût pour les valeurs ambiantes, pour la morale qui cloisonne l’individu dans ce qu’il n’est pas que l’on va pouvoir se donner les moyens de devenir véritablement soi. Nous doutons que le processus du devenir soi ne désigne jamais chez Nietzsche une création ex nihilo, mais il s’agit bien d’un processus de création au sens de produire de la nouveauté et une nouvelle morale, idiosyncrasique, par la même occasion102. C. Romano écrit ainsi à propos de Nietzsche : « l’impératif singulier peut tout à fait commander à l’encontre de tout devoir (moral) »103 et un peu plus loin :

Dorénavant, les deux visées n’en forment plus qu’une seule : devenir soi, c’est s’émanciper de la morale. L’auto-affirmation équivaut à la culture des instincts favorables à la « grande santé » […] et elle ne peut se réaliser qu’à l’encontre de la morale de l’abnégation régie par « l’amour du prochain »104.

Conclusion

48De façon conciliable avec l’impératif catégorique kantien dans le cas de l’impératif émersonnien à être soi, prônant une morale toute différente qu’est l’utilitarisme dans le cas de l’injonction millienne au self-development, ou encore exigeant un dépassement total de la morale kantienne dans le cas de l’impératif nietzschéen à devenir soi, nos trois auteurs se rejoignent en tout cas sur le fait que l’important est ailleurs. La valeur d’un homme ne saurait se mesurer d’abord au fait que la maxime de ses actions puisse s’ériger en loi universelle. Elle se mesure à l’importance que l’homme accorde à son soi, qu’il s’agisse de rejeter tout conformisme pour retrouver son soi naturel chez Emerson, de se développer pour réaliser tout notre potentiel chez Mill et de faire progresser l’humanité par la même occasion, ou de devenir soi, cet impératif supposant de se dépasser soi-même continuellement chez Nietzsche.

49Il n’y a pas tant là un égoïsme (même si Nietzsche s’approprie positivement ce terme) qu’une forme de prise au sérieux de notre existence. On comprend ainsi que ce devoir d’être soi et des différentes manières dont nos auteurs le déclinent puisse s’ancrer dans une forme de self-reliance, qui signifie ici littéralement une croyance en soi, le fait de pouvoir compter sur ce soi que l’on est véritablement et qui mérite que l’on travaille à sa réalisation ou à sa manifestation. À l’inverse de l’impératif catégorique kantien qui nous défait d’une certaine manière de nos particularités et de notre individualité dans son processus d’universalisation des maximes, le devoir d’être soi tire sa valeur du fait que le soi ait bien une valeur dans son individualité même.

50Nous avons ainsi cherché à montrer comment, à travers ces trois philosophies qui développent un devoir d’être soi-même, se profilaient non seulement différentes manières de répondre à la morale kantienne, mais aussi une autre forme d’exigence que l’on pourrait qualifier d’éthique au sens où elle charrie une manière de vivre : celle du devenir soi, que Stanley Cavell va qualifier de « perfectionnisme moral », à la suite de Rawls105.

Notes

1 L’idée de ce texte a germé lors du séminaire que nous avons consacré à On Liberty avec Quentin Landenne. Nous empruntons ici un certain nombre de formules élaborées ensemble lors de ce séminaire, dans la section portant sur Mill, et pour lesquelles nous le remercions, ainsi que pour sa relecture de cet article.

2 Nietzsche (F.), Humain, trop humain, traduit par Wotling (P.), Paris, Flammarion, 2019, vol. I, § 25, p. 85-86.

3 Delbos (V.), « La morale de Kant », in Kant (E.), Fondements de la métaphysique des mœurs, traduit par Delbos (V.), Paris, Le Livre de Poche, 1993, postface.

4 Romano (C.), La Révolution de l’authenticité à l’âge du romantisme. De Goethe à Nietzsche, Sesto San Giovanni, Éditions Mimésis, 2023, p. 294.

5 Ibid.

6 Voir par exemple Nietzsche (F.), Œuvres complètes, textes et variantes établis par Colli (G.), Montinari (M.), Paris, Gallimard, 1968-2023, vol. XI : Fragments posthumes (Automne 1884 - automne 1885), 37 [8] : « ce qu’on appelle en Europe “la morale”, comme s’il n’y en avait et ne pouvait y en avoir qu’une » (p. 315).

7 « Santé de l’âme. – La populaire formule médicale de morale (l’auteur en est Ariston de Chios) “la vertu est la santé de l’âme” – devrait au moins, pour être utilisable, être modifiée de la manière suivante : “ta vertu est la santé de ton âme” » (Nietzsche (F.), Le gai savoir, traduit par Wotling (P.), Paris, Flammarion, 1997, § 120, nous soulignons).

8 « En fait, il est absolument impossible d’établir par expérience avec une entière certitude un seul cas où la maxime d’une action d’ailleurs conforme au devoir ait uniquement reposé sur des principes moraux et sur la représentation du devoir. Car il arrive parfois sans doute qu’avec le plus scrupuleux examen de nous-mêmes nous ne trouvons absolument rien qui, en dehors du principe moral du devoir, ait pu être assez puissant pour nous pousser à telle ou telle bonne action et à tel grand sacrifice ; mais de là on ne peut nullement conclure avec certitude que réellement ce ne soit point une secrète impulsion de l’amour-propre qui, sous le simple mirage de cette idée, ait été la vraie cause déterminante de la volonté ; c’est que nous nous flattons volontiers en nous attribuant faussement un principe de détermination plus noble ; mais en réalité nous ne pouvons jamais, même par l’examen le plus rigoureux, pénétrer entièrement jusqu’aux mobiles secrets ; or, quand il s’agit de valeur morale, l’essentiel n’est point dans les actions, que l’on voit, mais dans ces principes intérieurs des actions, que l’on ne voit pas. » (Kant (E.), Fondements de la métaphysique des mœurs, op. cit., p. 75).

9 Kant (E.), Métaphysique des mœurs, traduit par Renaut (A.), Paris, Flammarion, 1994, vol. II, p. 299.

10 Emerson en retire quelque chose à l’occasion de son voyage en Europe, Mill découvre pour sa part l’importance de la sensibilité via la poésie de Lord Byron ainsi qu’en atteste son Autobiographie (nous allons y revenir) et le romantisme allemand constitue un milieu dans lequel baigne Nietzsche, par l’intermédiaire de Goethe notamment.

11 Nietzsche y insiste évidemment tout au long de son œuvre, mais c’est aussi le cas d’Emerson selon qui rien n’est mauvais en soi dès lors que l’on suit la loi de sa nature (Emerson (R. W.), La confiance en soi et autres essais, traduit par Bégot (M.), Paris, Payot & Rivages, 2000, p. 90-91) et de Mill qui préfère encore une nature forte et égoïste à l’individu qui reste dans la norme standard et n’a rien à apporter (Mill (J. S.), De la liberté, traduit par Lenglet (L.) à partir de la traduction de Dupont-White (C.), Paris, Gallimard, 1990, p. 167-168).

12 « [C]ette législation doit se trouver dans tout être raisonnable même, et doit pouvoir émaner de sa volonté, dont voici alors le principe : n’accomplir d’action que d’après une maxime telle qu’elle puisse comporter en outre d’être une loi universelle, telle donc seulement que la volonté puisse se considérer elle-même comme constituant en même temps par sa maxime une législation universelle » (Kant (E.), Fondements de la métaphysique des mœurs, op. cit, p. 112).

13 Emerson (R. W.), La confiance en soi, op. cit., p. 12.

14 Romano C.), La Révolution de l’authenticité à l’âge du romantisme, op. cit., p. 224-225.

15 Emerson (R. W.), Société et solitude, traduit par Gillybœuf (T.), Paris, Payot & Rivages, 2010, p. 35 ; version originale : Emerson (R. W.), Society and solitude, Boston, Fields, Osgood, & Co., 1870, p. 24.

16 « Agis selon la maxime qui peut en même temps s’ériger elle-même en loi universelle » (Kant (E.), Fondements de la métaphysique des mœurs, op. cit., p. 94).

17 La traduction ne rend pas non plus la fin de la phrase d’Emerson qui ajoute « pour tous les êtres intelligents », ce qui peut certes paraître pléonastique au regard de l’universalité de la règle déjà mentionnée, mais qui en précise tout de même l’application.

18 « En ces jours que nous vivons j’espère que c’est la dernière fois que nous entendons parler du conformisme et de la cohérence. Que ces mots soient désormais consignés dans les gazettes et tournés en ridicule. » (Emerson (R. W.), La confiance en soi, op. cit., p. 99-100).

19 « Dans mes conférences, je n’ai enseigné qu’une seule doctrine, à savoir l’infinité de l’homme privé [the infinitude of the private man] » (Emerson (R. W.), Selected Journals 1820-1842, New York, Literary Classics of the United States, 2010, 7 avril 1840, p. 735 ; cité par Romano (C.), La Révolution de l’authenticité à l’âge du romantisme, op. cit. p. 208).

20 Emerson (R. W.), La confiance en soi, op. cit., p. 90-91.

21 Ibid., p. 93-94, nous soulignons.

22 Voir par exemple Emerson (R. W.), Société et solitude, op. cit., p. 46 : « l’âme universelle est le seul créateur de l’utile et du beau ; partant, pour faire quelque chose d’utile ou de beau, l’individu doit se soumettre à l’esprit universel ». Toutes les âmes s’y retrouvent, comme le précise Emerson dans son essai intitulé « L’âme suprême » : « c’est cette Unité, cette Âme Suprême, dans laquelle l’être particulier de chaque homme est contenu pour faire un avec tous les autres ; […] en chaque homme se trouve l’âme du tout, le sage silence, la beauté universelle, auxquels chaque partie et chaque particule est reliée : l’éternel UN » (Emerson (R. W.), Essais, traduits par Wicke (A.), Paris, Michel Houdiard éditeur, 2010, p. 84).

23 Nous remercions B. Zavatta de nous avoir suggéré cette lecture.

24 Voir Quérini (N.), De la connaissance de soi au devenir soi. Platon, Pindare et Nietzsche, Paris, Classiques Garnier, 2023.

25 Platon, Timée, 90a, mais aussi République, 617d-e. C’est que nous sommes au départ l’âme d’un astre, descendu dans un corps humain le temps d’une vie humaine, motif que récupère également Emerson à sa façon lorsqu’il écrit encore dans « L’âme suprême » que « notre être descend en nous, venant d’on ne sait où » (Emerson (R. W.), Essais, op. cit., p. 83).

26 Romano (C.), La Révolution de l’authenticité à l’âge du romantisme, op. cit., p. 237.

27 Chez Nietzsche, comme le note encore Claude Romano : « L’idée selon laquelle être soi-même serait un “devoir” qui s’imposerait à notre volonté et exigerait la plus grande fidélité à nous-mêmes succombe à la critique qui s’esquisse des idées de volonté et de responsabilité en tant que pures illusions métaphysiques. Il n’est plus question de faire effort pour devenir ce que nous voulons devenir, ni d’adopter une nouvelle responsabilité à l’égard de notre être (conception de l’authenticité qui trouvera sa forme achevée chez Kierkegaard et fournira son point de départ aux existentialismes). Cette idée est écartée au nom d’une critique de croyances erronées : croyance à la causalité, à l’identité, mais surtout au libre arbitre et à la responsabilité, tous deux congédiés au § 39 de la deuxième partie d’Humain, trop humain. Le processus de création de soi ne peut plus s’entendre au sens d’une production volontaire de soi ni d’un “choix de soi-même” au sens kierkegaardien. » (Ibid., p. 304-305).

28 Du caractère intelligible tel que le définit le philosophe allemand à la suite de Kant (Schopenhauer (A.), Le Monde comme volonté et représentation, traduit par Burdeau (A.), édition revue et corrigée par Roos (R.), Paris, PUF, 1966, p. 208-209, puis p. 370 et p. 373).

29 Notamment à partir d’Ainsi parlait Zarathoustra : « Et voilà le secret que la vie m’a confié : “Vois, m’a-t-elle dit, je suis ce qui est contraint de se surmonter à l’infini » (Nietzsche (F.), « De la victoire sur soi », in Ainsi parlait Zarathoustra, traduit par Bianquis (G.), Paris, Flammarion, 2006, p. 160).

30 Zavatta (B.), Individuality and Beyond. Nietzsche Reads Emerson, traduit par Reynolds (A.), Oxford, Oxford University Press, 2019, p. 36.

31 The Conduct of Life, traduit partiellement ainsi : Emerson (R. W.), La Destinée et les illusions, traduit par Dugard (M.), révision de Folliot (L.), Paris, Payot & Rivages, 2019.

32 Ibid, p. 28.

33 Ibid. Nietzsche écrira pour sa part que « nous avons à assumer envers nous-mêmes la responsabilité de notre existence » (Nietzsche (F.), « Schopenhauer éducateur », in Œuvres complètes, op. cit., vol. II, 2, p. 19.

34 Emerson (R. W.), La Destinée et les illusions, op. cit., p. 74. B. Zavatta note à ce propos : « by reason of his or her own most intimate nature, each individual feels an urgent internal need to “become who he or she is,” just as the seed of a rose tends to become a rose. In other words, each person tends, by nature, to realize all the potentialities inhering in his or her own individual nature » (Zavatta (B.), Individuality and Beyond, op. cit., p. 34)

35 Emerson (R. W.), La confiance en soi, op. cit., p. 97.

36 Nietzsche (F.), « Schopenhauer éducateur », op. cit., p. 20.

37 Zavatta (B.), Individuality and Beyond, op. cit., p. 65.

38 Comme l’écrit encore Romano : « D’où l’importance que revêt de plus en plus pour Emerson l’idéal goethéen de Selbst-Bildung. Mais Emerson se sépare malgré tout de Goethe sur un point décisif : comme le remarque Gustaav Van Cromphout, “pour les Allemands, la culture de soi était un idéal culturel ; pour Emerson, elle devient une obligation morale – et même l’obligation morale fondamentale”. En effet, la différence qui demeure entre l’idéal goethéen de Selbst-Bildung et la loi de notre être émersonienne tient à ce que, chez le penseur unitarien, le caractère “sacré” de cette loi repose sur l’immanence de Dieu à nous-mêmes, sur la “divinité” complète de l’homme qui est la résultante de son panthéisme. L’accomplissement personnel n’est plus, dans ces conditions, une simple possibilité mais une nécessité » (Romano (C.), La Révolution de l’authenticité à l’âge du romantisme, op. cit., p. 233).

39 Le commentateur poursuit ainsi : « Mon autoréalisation est la réalisation de Dieu en moi, à travers moi, l’accomplissement de cette part divine qui m’est échue » (Ibid., p. 226).

40 Ibid.

41 Emerson (R. W.), La Confiance en soi, op. cit., p. 97.

42 Ainsi que le remarque également Audard (C.), « How the ideal of Bildung has transformed liberalism: from John Stuart Mill and T.H. Green to John Dewey, John Rawls, and Amartya Sen », in Claudel (M.), Landenne (Q.), Quérini (N.), « La Bildung aux XIXe et XXe siècles : critiques, crises et transformations », dossier de la revue Klēsis (58, 2024, à paraître).

43 « La doctrine qui donne comme fondement à la morale l’utilité ou le principe du plus grand bonheur, affirme que les actions sont bonnes [right] ou sont mauvaises [wrong] dans la mesure où elles tendent à accroître le bonheur, ou à produire le contraire du bonheur. Par “bonheur” on entend le plaisir et l’absence de douleur ; par “malheur” [unhappiness], la douleur et la privation de plaisir. » (Mill (J. S.), L’Utilitarisme, traduction, notes, chronologie et préface par Tanesse (G.), Paris, Flammarion, 1998 [réédition 2018], p. 21). On désigne désormais la morale millienne comme un conséquentialisme tandis que celle de Kant est dite déontologique.

44 Quérini (N.), « Quelles conditions politiques favorisent l’émergence de l’individualité ? Lecture croisée de Nietzsche et de Mill », in Bildung. Figures d’un idéal moderne et intempestif / Bildung. Figures of a Modern and Inactual Ideal, sous la direction de Landenne (Q.), Quérini (N.), Claudel (M.) (dir.), Bruxelles, Presses universitaires de Saint-Louis, 2024 (à paraître).

45 L’importance de cette tension témoigne selon nous du fait que l’on déplace le problème pour répondre à une thèse qui est en réalité propre à I. Berlin, à savoir celle de l’incommensurabilité des valeurs fondamentales. Voir son texte célèbre : John Stuart Mill and the ends of life. Robert Waley Cohen Memorial Lecture, Londres, Council of Christians and Jews, 1959. Un livre entier est consacré à cette question de savoir s’il y a une forme de contradiction dans la pensée de Mill entre son utilitarisme et son libéralisme (Gray (J.), Smith (G. W.), Mill on Liberty, Londres, Routledge, 1991).

46 « L’aptitude à éprouver les sentiments nobles est, chez la plupart des hommes, une plante très fragile qui meurt facilement non seulement sous l’action de forces ennemies, mais aussi par simple manque d’aliments ; et, chez la plupart des jeunes gens, elle périt rapidement si les occupations que leur situation leur a imposées et la société dans laquelle elle les a jetés, ne favorisent pas le maintien en activité de cette faculté supérieure. Les hommes perdent leurs aspirations supérieures comme ils perdent leurs goûts intellectuels, parce qu’ils n’ont pas le temps ou l’occasion de les satisfaire » (Mill (J. S.), L’Utilitarisme, op. cit., p. 28).

47 Mill (J. S.), De la liberté, op. cit., p. 76.

48 Nous renvoyons encore sur ce sujet à notre texte : « Quelles conditions politiques favorisent l’émergence de l’individualité ? », op. cit.

49 Mill (J. S.), De la liberté, op. cit., p. 160.

50 Ibid., p. 164-165 ; et plus encore si cet individu s’en prend à une personne âgée qui a sa vie derrière elle (p. 178-179).

51 Nous remercions Camille Dejardin pour cette suggestion.

52 Mill (J. S.), De la liberté, op. cit., p. 182.

53 Ibid., p. 182-183.

54 Mill (J. S.), Système de logique déductive et inductive. Livre VI : De la logique des sciences morales, traduit par Peisse (L.), Scotts Valley, CreateSpace, 2017, p. 40.

55 « L’application d’un terme aussi impropre que celui de Nécessité à la doctrine de la causalité, quand il s’agit du caractère humain, me semble un des exemples les plus frappants en philosophie de l’abus des termes ; et les conséquences pratiques de cet abus sont une des preuves les plus palpables de l’influence du langage sur les associations d’idées. […] La doctrine du libre arbitre, mettant en évidence précisément cette portion de la vérité que le mot Nécessité fait perdre de vue, c’est-à-dire la faculté que possède l’homme de coopérer à la formation de son propre caractère, a donné à ses partisans un sentiment pratique beaucoup plus approchant de la vérité que ne l’a généralement été, je crois, celui des Nécessitariens. Ces derniers peuvent avoir plus fortement senti ce que les hommes peuvent faire pour se former mutuellement leur caractère ; mais la doctrine du libre arbitre a, je pense, entretenu chez ses défenseurs un sentiment plus vif de l’éducation et de la culture personnelles » (Ibid., p. 16-17). En identifiant les causes qui forment le plus les caractères, les nécessitaristes se donnent les moyens de le faire davantage que les partisans de libre arbitre, mais ils abandonnent ce désir du moins concernant leur propre caractère, pensant qu’ils n’ont ici aucun pouvoir, à l’inverse des partisans du libre arbitre qui usent davantage de volonté, quand bien même cette doctrine est plus aveugle.

56 Ibid., p. 14-15.

57 Ibid., p. 15.

58 Ibid., p. 16.

59 Ibid.

60 Romano (C.), La Révolution de l’authenticité à l’âge du romantisme, op. cit., p. 148.

61 « Or, le mode impératif est la caractéristique de l’art, considéré comme distinct, de la science. Tout ce qui s’exprime, par des règles, des préceptes, et non par des assertions sur des matières de fait, est de l’art ; et l’éthique ou la morale est proprement une partie de l’Art qui correspond aux Sciences de la nature humaine et de la société » (Mill (J. S.), Système de logique déductive et inductive, op. cit., p. 128, traduction modifiée).

62 Ibid.

63 Ibid., p. 135-136.

64 C’est selon nous aussi le cas dans ce texte. Puisque le bonheur est la fin suprême, le criterium de la morale, il y a bien une forme de devoir à former son caractère, comme le conclut Mill à la toute fin de celui-ci : « Le caractère lui-même devrait être pour l’individu une fin suprême, simplement parce que cette noblesse de caractère parfaite ou approchant de cet idéal chez un assez grand nombre de personnes contribuerait plus que toute autre chose à rendre la vie humaine heureuse ; heureuse, à la fois, dans le sens relativement humble du mot, par le plaisir et l’absence de douleur, et, dans le sens le plus élevé, par une vie qui ne serait plus ce qu’elle est maintenant, presque universellement, puérile et insignifiante, mais telle que peuvent la désirer et la vouloir des êtres humains dont les facultés sont développées à un degré supérieur » (Ibid, p. 138-139).

65 Dejardin (C.), John Stuart Mill & les conditions de la liberté, Lorient, Le passager clandestin, 2023, p. 43.

66 Mill (J. S.), De la liberté, op. cit., p. 159.

67 Voir Mill (J. S.), « Discours inaugural prononcé à l’Université de St Andrews » dans le présent numéro.

68 Ibid., p. 80.

69 Ibid., p. 81.

70 Ibid., p. 82.

71 Traduit par Dejardin (C.) in John Stuart Mill & les conditions de la liberté, op. cit., p. 99.

72 Mill (J. S.), Sur l’université, op. cit., p. 82-83 ; ou dans la traduction de C. Dejardin : « Or, ce sens de la perfection, qui nous conduit à exiger de toute création humaine qu’elle donne le meilleur d’elle-même et nous rend intolérants aux plus petits défauts en nous-mêmes, est l’un des résultats de la culture de l’Art. Nulle production humaine ne s’approche autant de la perfection que les œuvres d’Art pur » (Dejardin (C.), John Stuart Mill & les conditions de la liberté, op. cit., p. 99-100).

73 Mill (J. S.), Sur l’université, op. cit., p. 83.

74 Mill précisait en amont que cette culture esthétique devait être subordonnée à l’éducation morale et intellectuelle (Ibid., p. 77).

75 Nietzsche (F.), « Schopenhauer éducateur », op. cit., p. 18. Nous ne reviendrons pas ici sur ce texte qui était déjà au cœur de notre livre (Quérini (N.), De la connaissance de soi au devenir soi. op. cit, p. 245).

76 Nietzsche (F.), Le gai savoir, op. cit., p. 223.

77 « Le moi est haïssable » (Pascal (B.), Pensées, Paris, Seuil, 1962, fragment 597).

78 Nietzsche (F.), Le gai savoir, op. cit., p. 224.

79 Voir Zavatta (B.), Individuality and Beyond, op. cit., p. 38 et également p. 66 : « in sharp contrast to Emerson, Nietzsche is not willing to recognize any moral responsibility on the individual’s part either for a decision taken to perfect himself or herself or for a decision taken not to do so ».

80 Ibid., p. 38-39.

81 Ibid., p. 111.

82 Voir notamment le § 32 de Nietzsche (F.), Par-delà bien et mal, traduit par Wotling (P.), Paris, Flammarion, 2000.

83 Bensussan (G.), Les deux morales, Paris, Vrin, 2019, p. 69. Nietzsche parle également d’une « vertu exempte de moraline » (Nietzsche (F.), Antéchrist, traduit par Blondel (É.), Paris, Flammarion, 1996, § 2).

84 Voir Zavatta (B.), Individuality and Beyond, op. cit., p. 75.

85 Présente à la fin du fragment (citée plus loin).

86 Nietzsche (F.), Le gai savoir, op. cit., p. 269.

87 Euripide, Tragédies, traduit par Grégoire (H.), Paris, Les Belles Lettres, 2002, t. III : Héraclès – Les Suppliantes – Ion, vers 952.

88 Voir Quérini (N.), « Cada qual é o mais distante de si mesmo », Cadernos Nietzsche, 44/2 (2023), p. 67-92 et « “Everyone is Furthest from Himself”: An Interpretation of Nietzsche’s Recovery and Inversion of Terence’s Formula “I Am the Closest to Myself” », Nietzsche-Studien, 53/1 (2024), p. 358-372.

89 Nietzsche (F.), Œuvres complètes, op. cit., vol. II, 2, fragment posthume 5 [128], p. 313.

90 « Que l’on devienne ce qu’on est suppose que l’on ne se doute pas le moins du monde de ce qu’on est. De ce point de vue, les méprises mêmes de l’existence ont leur sens et leur valeur propres tout comme les chemins détournés et les écarts du chemin épisodiques, les hésitations, les “pudeurs”, le sérieux dépensé à des tâches qui se trouvent au-delà de la tâche ». (Nietzsche (F.), « Pourquoi je suis si avisé », in Ecce Homo, traduit par Blondel (É.), Paris, Flammarion, 1992, § 9, traduction modifiée).

91 Sorosina (A.), La Force de vivre. Nietzsche et l’écriture du Gai Savoir, Paris, Éditions Manucius, 2020, p. 65.

92 « Je ne méprise presque rien », cité par Nietzsche (F.), Par-delà bien et mal, op. cit., § 207, p. 172.

93 Ibid.

94 Quérini (N.), De la connaissance de soi au devenir soi. Platon, op. cit., p. 263.

95 Quérini (N.), « La dissolution paradoxale du sujet dans la période nietzschéenne de la “maturité” », Labyrinth: An International Journal for Philosophy, Value Theory and Sociocultural Hermeneutics, 26/1 (2024), p. 80-98.

96 Nietzsche (F.), Le gai savoir, op. cit., p. 271-272.

97 Nietzsche (F.), « Des trois métamorphoses », in Ainsi parlait Zarathoustra, op. cit., p. 63-65.

98 Nietzsche (F.), Le gai savoir, op cit., p. 272.

99 Ibid.

100 Voir Quérini (N.), « Quelles conditions politiques favorisent l’émergence de l’individualité ? », op. cit.

101 Nietzsche (F.), Le gai savoir, op cit., p. 171.

102 Voir Zavatta (B.), Individuality and Beyond, op. cit., p. 112-113 : « To mature as an individual, or to become an individual in the true and full sense, means to achieve moral autonomy. Emerson and Nietzsche, however, in sharp contrast to Kant, understand “moral autonomy” to consist not in a giving of commands to oneself – not, that is to say, as an act of obedience, be it even of the self to the self – but rather as an act of spontaneity or, in other words, an act of creativity ».

103 Romano (C.), La Révolution de l’authenticité à l’âge du romantisme, op. cit., p. 295.

104 Ibid., p. 297.

105 Cavell (S.), Le cinéma nous rend-ils meilleurs ?, Paris, Vrin, 2024, p. 12. Pour l’auteur, le perfectionnisme permet de dépasser l’opposition classique entre morale déontologique et conséquentialiste (Kant ou Mill), mais nous pensons avoir montré l’importance également accordée par Mill au développement de soi.

Pour citer cet article

Nicolas Quérini, «Un devoir d’être soi», Phantasia [En ligne], Volume 14 - 2024 : Devenir soi, former son caractère : Emerson, Mill, Nietzsche, p. 140-161 URL : https://popups.uliege.be/0774-7136/index.php?id=1731.

A propos de : Nicolas Quérini

Docteur et agrégé de philosophie, Nicolas Quérini est actuellement professeur au lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg et chargé de cours à l'université. Il a effectué auparavant un post-doctorat à l’UCLouvain à l'occasion duquel il travaillait sur les concepts de Bildung et de self-development chez Nietzsche et Mill, sous-la direction de Quentin Landenne. Sa thèse, réalisée sous la direction d’Anne Merker et de Paolo D’Iorio, portait sur Platon et Nietzsche et fut publiée en 2023 chez Classiques Garnier sous le titre De la connaissance de soi au devenir soi. Platon, Pindare et Nietzsche. Nicolas Quérini a également publié de nombreux articles, sur Nietzsche notamment.

 

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