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Reconfigurer l’histoire à partir de la littérature ? Réflexions sur l’historiographie à venir de Walter Benjamin
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Comment raconter l’histoire — toujours discontinue — des opprimés et la déployer dans une séquence temporelle différente de la temporalité linéaire des vainqueurs ? Comment mettre en place une nouvelle historiographie qui fasse droit à l’histoire des opprimés dans toute sa complexité et ses contradictions ? Quelles en sont les conditions d’énonciabilité et les modalités d’expression ? Ces questions occupent, dans les Thèses sur le concept de l’histoire de Walter Benjamin, une place centrale et témoignent du lien fondamental et intime qui relie l’histoire et le langage. La présente contribution se propose d’élaborer une piste de réponse à l’aporie relative à l’écriture de l’histoire en faisant l’hypothèse que c’est peut-être par le biais d’une écriture fictionnelle — c’est-à-dire par le biais des œuvres littéraires — que l’histoire des opprimés pourrait être énoncée. Sur la base d’une analyse approfondie de la thèse XVII et du fonctionnement monadologique qu’elle décrit, cet article alliera à la réflexion historico-politique de Walter Benjamin une dimension esthétique en mobilisant les travaux du philosophe sur Charles Baudelaire. C’est par l’entremise du pouvoir de la fiction et des ressources narratives, capables de reconfigurer et de réinventer le réel, que s’élaborera une nouvelle forme d’écriture de l’histoire.
Abstract
How to tell the history – always discontinuous – of the oppressed ? How to give them a place within continuity without reproduce the winners’ linear temporality ? How to create a new historiography, which reveals the complexity and the contradictions of this history of the oppressed ? What are the conditions of enunciability and the form of this new historiography ? These main questions are part of Walter Benjamin’s essay, On the concept of History. This paper aims to response these questions by assuming fictional writing and literary works can develop a new form of history, which expresses the past experiences of the oppressed. By focusing on Benjamin’s work (mainly, On the concept of History and his work on Charles Baudelaire), this analysis defends a new definition of historiography, based on fiction and narratives resources.
Table des matières
1La fiction double l’histoire, elle la remplace, la déplace...
2comme on pourrait dire l’histoire double le réel, la vie... ;
3la fiction fait partie de l’histoire, elle est sa prothèse,
4son supplément artificiel, technique qui la soutient, la fait vivre1.
De l’aporie à la recherche
Aporie fondamentale :
La tradition comme le discontinuum du passé par opposition à l’histoire comme le continuum des événements.
L’histoire des opprimés est un discontinnum.
La tâche de l’historien consiste à s’emparer de la tradition des opprimés (EF, section 3, p. 252)2.
5Énoncées dans un style télégraphique, ces trois phrases explicitent l’une des problématiques fondamentales qui traversent les Thèses sur le concept de l’histoire de Walter Benjamin : « Comment raconter l’histoire — toujours discontinue — des opprimés et la déployer dans une séquence temporelle différente de la temporalité linéaire des vainqueurs ? » Cette aporie, dont le philosophe a bien conscience puisqu’il la pose distinctement dans ses notes préparatoires, pointe le fait que la réflexion politico-historique des Thèses est indissociable d’un questionnement lié aux conditions d’énonciabilité de cette dernière.
La question centrale, celle dont toutes les autres dépendent, paraît avoir été pour Benjamin la suivante : comment peut-on parler de l’histoire ? Comment un chaos d’événements peut-il être rendu intelligible ? Question qui porte moins sur la nature des processus historiques que sur la manière d’en rendre compte, moins sur l’historiosophie que sur l’historiographie. Ou, plus exactement : question qui implique, dans sa formulation même, que l’histoire ne se constitue qu’à travers l’acter de raconter3.
6C’est l’écriture de l’histoire et les modalités de narration des événements historiques qui constituent le centre névralgique des Thèses sur le concept de l’histoire, le nœud à partir duquel les nombreux autres questionnements du philosophe se ramifient et s’entrecroisent. L’avènement d’un matérialisme historique de teneur utopique, capable de rédimer les luttes passées, nécessite en effet des modalités d’expression nouvelles qui doivent nécessairement déjouer le schéma narratif linéaire propre aux vainqueurs, dont l’historicisme est le soutien sans faille4.
7Cette importance capitale que prennent l’écriture de l’histoire et son langage sont loin d’être étonnants au regard de l’ensemble de la philosophie de Benjamin, qui donne une fonction primordiale au langage :
Mais l’existence du langage ne s’étend pas seulement à tous les domaines d’expression de l’esprit humain, lesquels en un certain sens, font toujours place au langage ; elle s’étend absolument à tout. Ni dans la nature animée ni dans la nature inanimée, il n’existe événement ni chose qui, d’une certaine façon, n’ait part au langage, car à l’un comme à l’autre il est essentiel de communiquer son contenu spirituel5.
8Le texte dont est tiré ce bref passage, Sur le langage en général et sur le langage de l’homme, ne peut être évoqué sans qu’on mentionne celui qui lui est complémentaire, La tâche du traducteur. Prises ensemble, ces deux œuvres plantent les germes de deux logiques structurantes de la philosophie benjaminienne, qui matureront tout au long de ses écrits pour être magistralement exposées dans les Thèses sur le concept de l’histoire. D’une part, ces logiques déploient une tension contradictoire qui marquera l’ensemble de l’œuvre du philosophe, une tension toujours renouvelée entre un processus de décadence et un mouvement de rédemption, un achèvement utopique. D’autre part, elles montrent précocement le nouage qui s’établit entre histoire et langage ; la réflexion sur l’histoire qui se dessine dans ces deux écrits montre en effet que
l’homme n’y est pas envisagé comme être agissant, comme producteur d’événements, mais comme être parlant, c’est-à-dire comme producteur de signes. Ce qui donne sens à l’histoire de l’humanité ce sont moins, comme dans la Bible, les péripéties de son évolution morale, que les différents stades de sa relation au langage6.
9En gardant en toile de fond ces premières réflexions, cet article se propose d’élaborer une piste de réponse à l’aporie relative à l’écriture de l’histoire en faisant l’hypothèse que c’est peut-être par le biais d’une écriture fictionnelle — c’est-à-dire par le biais des œuvres littéraires et des ressources narratives singulières que celles-ci mobilisent — que l’histoire des opprimés pourrait être énoncée sans retomber dans les travers de l’historiographie des vainqueurs. Pour développer cette hypothèse, notre réflexion s’appuiera conjointement sur une lecture approfondie de la thèse XVII — une thèse centrale dans le texte de Benjamin — et sur les travaux du philosophe sur Charles Baudelaire. C’est à partir de ces deux angles d’approche — qui, nous le verrons, entretiennent un lien très intime — qu’il sera possible de mettre sur pied une théorie relative à une nouvelle forme d’historiographie.
Monade et montage gigogne
10La thèse XVII est, dans la structure de cet ultime texte écrit par Benjamin7, l’une des thèses qui clôturent la réflexion du philosophe. De par sa position et les nombreux fils qu’elle entrecroise — des fils que nous délierons et développerons progressivement —, la thèse XVII se révèle aussi riche que complexe. En effet, celle-ci déploie et reprend, explicitement ou non, la plupart des raisonnements menés par Benjamin ; à ce titre, elle joue un rôle central dans l’économie générale du texte du philosophe. Ainsi débute-t-elle :
C’est dans l’histoire universelle que l’historisme trouve sa réalisation accomplie. Rien de plus opposé au concept de l’histoire qui appartient au matérialisme historique. L’histoire universelle manque d’armature théorique. Elle procède par voie d’addition. En mobilisant la foule innombrable des choses qui se sont passées, elle tâche de remplir le vide de ce récipient qui est constitué par le temps homogène. Tout autre le matérialisme historique. Il dispose, lui, d’un principe de construction (EF, XVII, p. 346).
11Ces premières lignes posent d’emblée une opposition forte qui traverse l’ensemble des Thèses sur le concept d’histoire : à l’historisme (ou historicisme) s’oppose le matérialisme historique. L’un et l’autre diffèrent radicalement, tant par la manière dont ils conçoivent l’histoire que dans la façon dont ils pratiquent cette dernière. D’une part, la temporalité mise en place par ces deux philosophies de l’histoire repose sur des conceptions antagoniques du temps : ainsi, au temps vide et homogène de l’historicisme — le corrélat et support d’une logique de progrès férocement critiquée par Benjamin —, s’oppose le temps qualitatif du matérialisme historique, le temps des raccourcis historiques, un temps marqué par « des pleins et des vides »8. D’autre part, le principe d’écriture qui régit l’historicisme, un principe d’addition, est aux antipodes du principe de construction à partir duquel s’élabore le matérialisme historique ; un principe de construction avec lequel, nous le verrons, la fiction entretient un lien intime.
12Développons cette seconde opposition. Dans la perspective historiciste, la tâche de l’historien consiste, selon l’expression de Léopold Von Ranke, un historien prussien du XIXe siècle cité par Benjamin dans la thèse VI, à « décrire le passé tel qu’il a été » (EF, VI, p. 342) et à relier linéairement les événements. Ceux-ci s’additionnent les uns aux autres, en vertu d’une logique qui enchaine nécessairement et implacablement les causes aux effets. Pour Benjamin, cette appréhension des phénomènes historiques relève de la chimère et ne permet en aucun cas de mettre en place une véritable démarche épistémologique capable de générer une connaissance adéquate du passé.
L’historicisme se contente d’établir un lien causal entre divers moments de l’histoire. Mais aucune réalité de fait ne devient, par sa simple qualité de cause, un fait historique. Elle devient telle, à titre posthume, sous l’action d’événements qui peuvent être séparés d’elle par des millénaires. L’historien qui part de là cesse d’égrener la suite des événements comme un chapelet. Il saisit la constellation que sa propre époque forme avec telle époque antérieure. Il fonde aussi un concept de présent comme à-présent, dans lequel sont fichés des éclats de temps messianique (O, Appendice A, p. 442).
13La condition pour transformer les événements en faits historiques à partir desquels une épistémologie peut être mise sur pied, réside dans la connexion qui peut s’établir entre un fait du passé et un instant du présent. C’est par l’entremise d’une construction temporelle qui relie deux époques et qui permet de faire revenir le passé au sein du présent que se forment les constellations historiques, c’est-à-dire les entités épistémologiques qui constituent véritablement l’historiographie benjaminienne. L’écriture de ces constellations suppose donc, dans les modalités énonciatives que ces dernières nécessitent, un principe de construction. En cela, l’écriture benjaminienne de l’histoire s’appuie sur l’une des deux propriétés fondamentales de la fiction, c’est-à-dire sa capacité à composer un montage narratif. En effet, aussi diverses que soient les perspectives9 qui s’attachent à circonscrire la fiction et à tenter d’en donner une définition claire, toutes s’accordent et soulignent sa capacité à construire et à organiser la narration.
14Pour comprendre plus concrètement comment ces constellations historiques peuvent être saisies, il faut en revenir à la thèse XVII :
L’acte de penser ne se fonde pas seulement sur le mouvement des pensées mais aussi sur leur blocage. Supposons soudainement bloqué le mouvement de la pensée — il se produira alors dans une constellation surchargée de tensions une sorte de choc en retour ; une secousse qui vaudra à l’image, à la constellation qui la subira, de s’organiser à l’improviste, de se constituer en monade en son intérieur. L’historien matérialiste ne s’approche d’une quelconque réalité historique qu’à condition qu’elle se présente à lui sous l’espèce de la monade. Cette structure se présente à lui comme signe d’un blocage messianique des choses révolues ; autrement dit comme une situation révolutionnaire dans la lutte pour la libération du passé opprimé. (EF, XVII, pp. 346-347).
15La formation d’une constellation historique au sein de laquelle passé et présent se connectent suppose une forme de pause, d’arrêt momentané, de blocage du temps. Le mouvement de la pensée se bloque, et c’est précisément à l’instant de cet arrêt temporaire que l’historien doit saisir la constellation que forme le présent dans lequel il évolue avec un moment du passé. Le temps doit nécessairement s’immobiliser, au profit d’une conception du présent singulière qui est la condition sine qua non de l’écriture de l’histoire : « L’historien matérialiste ne saurait renoncer au concept d’un présent qui n’est point passage, mais arrêt et blocage du temps. Car un tel concept définit justement le présent dans lequel, pour sa part, il écrit l’histoire » (O, XVI, p. 440).
16Cette immobilisation temporaire qui interrompt le cours du temps ne se produit évidemment pas par hasard ; elle est le résultat d’un hiatus temporel de nature révolutionnaire. C’est l’imminence d’un danger qui appelle urgemment à une transformation radicale qui stoppe momentanément le temps et permet l’élaboration d’une constellation historique singulière : « Le matérialisme historique est tout attaché à capter une image du passé comme elle se présente au sujet à l’improviste et à l’instant même du danger » (EF, VI, p. 342). Dès lors, la possibilité d’écrire l’histoire dépend d’une attention accrue portée aux crises du présent et du sursaut salvateur que ces dernières sont susceptibles — et doivent, pour Benjamin — de provoquer. Dans son commentaire des Thèses sur le concept de l’histoire, Michaël Löwy explicite et exemplifie cet aspect à partir de Walter Benjamin lui-même10. Ce danger imminent qui menace, c’est la montée du nazisme au moment où le philosophe écrit ses thèses, au moment où il réfléchit au concept d’histoire tout en mettant cette dernière lui-même en pratique ; Benjamin se fait historien par la résonnance qu’il établit entre son propre présent et Auguste Blanqui, un socialiste utopique du XIXe siècle et par le biais de différentes constellations historiques qu’il tire de l’ombre. Ainsi, Benjamin évoque, dans la thèse XII, la classe marxiste des opprimés « qui devra revivre dans les révoltes du Spartacus » (EF, XII, p. 345).
17Cette connexion entre fragment temporel du passé et du présent s’effectue par le biais d’un processus singulier qui occupe une place centrale dans la réflexion benjaminienne, à savoir la remémoration. Celle-ci induit un rapport librement créé entre le passé et le présent, qui a pour but de transformer dialectiquement et d’éclairer sous un angle nouveau les deux fragments temporels :
Le présent élit ici son propre passé, se constitue sa propre histoire. Ce qui guide le rapport au passé, c’est la volonté de le sauver, de l’arracher à l’oubli ou à la sclérose. Inversement, c’est aussi le désir de rattacher le présent à une tradition, de faire revivre en lui les espoirs avortés d’une génération passée11.
18Par le biais de la remémoration qui consiste à établir un rapport privilégié avec le passé — un rapport de souvenir et de transformation tout en même temps —, l’historien fait ressurgir le passé au sein même du présent, un présent rendu poreux aux différentes couches temporelles grâce à la vigilance de celui qui se rend attentif aux menaces du temps. Nous l’avons dit, c’est au moment où l’historien est saisi par le danger que le temps s’immobilise et que le passé ressurgit. Se forme alors une constellation saturée de tensions historiques qui se transforme — se cristallise — en monade sous l’effet du choc provoqué.
19Deux remarques ici. Soulignons d’abord que la remémoration prend la forme d’une dynamique temporelle qui fonctionne nécessairement réciproquement. D’un côté, le passé appelle et vise toujours en puissance sa réactualisation au sein du présent : « Telles les fleurs se tournant vers le soleil, les choses révolues se tournent, mues par un héliotropisme mystérieux, vers cet autre soleil qui est en train de surgir à l’horizon historique » (EF, IV, p. 341) ; cet autre soleil, c’est la possibilité d’un changement révolutionnaire radical du temps présent. Si Benjamin insiste sur la dimension irrésistible de cet appel12, en comprendre la forme et l’effectuation suppose d’en revenir au modèle épistémologique de l’histoire mis en place par le philosophe. Dans la thèse III, ce dernier insiste sur le fait « que rien qui jamais se sera produit ne devra être perdu pour l’histoire » : le passé n’est, en d’autres termes, jamais complètement révolu ou achevé, il continue d’innerver souterrainement13 le présent, de le soumettre à son appel. Cependant, de l’autre côté, cet appel du passé vers le présent est fugace et — c’est la raison pour laquelle l’historien et le révolutionnaire14 veillent prudemment —, il appartient à chaque génération de le saisir et d’y répondre.
20Ensuite, notons que l’utilisation benjaminienne du terme « monade » dans la thèse XVII doit être éclairée et nuancée ; Stéphane Mosès nous avertit, la référence à Leibniz « ne doi[t] pas être pri[se] à la lettre »15. Ce que Benjamin tire de la philosophie leibnizienne et du concept de monade, c’est « l’équivalence de l’Être, de la vérité et de la multiplicité »16. Transposée dans le domaine de l’histoire, la monade que constituent deux fragments temporels singuliers forme, selon l’expression de Michaël Löwy, un « concentré de la totalité historique »17. En effet, dans ce moment d’arrêt, dans cette mise en tension entre un instant précis du présent de l’historien et un fragment du passé réside la possibilité de faire advenir toute la temporalité, le temps dans son ensemble ; voilà ce que Benjamin entend dans l’expression « blocage messianique » (EF, XVII, p. 346). La monade est un moment arraché à la continuité historique, un moment où le temps linéaire, la temporalité de l’historicisme, laisse place à un temps qualitatif que Benjamin nomme « temps de l’à-présent » (O, XIV, p. 439). Ce temps de l’à-présent est une temporalité hétérogène : tout en même temps, elle fait jouer dialectiquement le passé et le présent et elle ouvre à un futur radicalement neuf. Ce temps a la capacité de faire advenir le passé en le transformant, d’accueillir l’interruption imprévisible du nouveau et de se rendre ouvert aux possibles.
21En d’autres termes, « la monade messianique est une brève minute pleine de possession de l’histoire, qui préfigure le tout, la totalité sauvée, l’histoire universelle de l’humanité libérée »18, la Rédemption messianique dans son ensemble. En effet, la dynamique de remémoration qui permet l’irruption du passé au sein du présent est indissociable d’un processus de rédemption, et la tâche d’activer ce dernier est celle de l’historien, de la génération du temps présent : « C’est donc à nous de nous rendre compte que le passé réclame une rédemption dont peut-être une toute infime partie se trouve être placée en notre pouvoir » (EF, II, p. 340).
22S’il semble que seulement « une toute infime partie se trouve être placée en notre pouvoir », le logique monadologique qui traverse et structure les réflexions de Benjamin permet de comprendre que c’est précisément à partir de cette « infime partie » que peut s’opérer la rédemption dans son intégralité. En effet, le mécanisme au cœur de la logique monadologique est de faire advenir la totalité par le biais de la singularité. Cette articulation entre singularité repose tout à la fois sur un principe constructif – déjà à l’œuvre, on l’a vu, dans la connexion entre passé et présent – et un principe imaginatif. Leur action conjointe permet en effet de reconstruire et d’imaginer, de projeter, la totalité historique à partir d’une conjonction historique précise, elle-même le fruit d’une construction temporelle. À la dimension construite de l’historiographique benjaminienne s’associe ainsi une dimension davantage imaginative qui vient consolider le socle fictionnel de l’écriture de l’histoire mise en place par le philosophe. En effet, si la fiction est pour une part construction, elle est aussi intrinsèquement imagination : la fiction rend l’historiographie capable de projeter et de représenter une totalité à partir d’une partie, elle la rend capable, en d’autres termes, d’inventer et de donner forme. En vertu de cette logique monadologique, on comprend l’idée benjaminienne selon laquelle la monade est le signe, la chance de lutter pour la libération du passé opprimé. Lorsque se connectent deux fragments temporels précis, c’est l’ensemble de la tradition des opprimés qui peut être sauvée, c’est la Rédemption totale qui est visée et qui est susceptible d’advenir.
23En effet, suivant Benjamin, chaque nouveau combat, chaque nouvelle révolution ouvre non seulement une brèche pour une nouvelle « lutte des classes »19 mais permet également de rejouer les duels entre les opprimés et les oppresseurs des siècles passés. En d’autres termes, si chaque nouvelle bataille ébranle bien évidemment le système dominant en place, elle remet aussi en question les victoires du passé et l’ensemble des systèmes d’oppression qui les ont légitimées : « Le rayonnement de ces forces [les forces révolutionnaires du présent], loin d’être absorbé par la lutte elle-même, se prolonge dans les profondeurs du passé humain. Toute victoire qui jamais y a été remportée — elles n’ont pas fini de la remettre en question » (EF, IV, 341). Les luttes du présent introduisent du mouvement et de la différence qui produisent des interstices temporels par le biais desquels l’apparente immuabilité du passé est remise en question. Ainsi, les défaites des opprimés — jusque-là cadenassées par une conception linéaire de la temporalité et par une vision fataliste des événements — sont susceptibles de se métamorphoser, d’être rejouées et d’être alors rédimées.
[…] l’histoire, loin de témoigner d’un mouvement irréversible de progrès, est le lieu, à chaque instant du temps, d’une lutte toujours recommencée entre une tendance obsessive (illustrée par le Blanqui de L’Éternité par les astres) à l’incessant retour du Même et le surgissement, du sein de l’infinité des possibles, de cet absolument nouveau que Benjamin dénomme Rédemption. C’est dans cette lutte à l’issue incertaine que l’historien révolutionnaire intervient en s’efforçant de délivrer la part de nouveauté radicale continue dans chaque instant du passé. Le sort de l’histoire se joue donc dans le présent de l’historien ; c’est ce présent qui est le véritable lieu du Jugement dernier20.
24Avec une telle conception de l’histoire basée sur une temporalité qualitative, hétérogène et discontinue, au centre d’un matérialisme historique averti et agissant, Benjamin condamne bien évidemment le fascisme, mais aussi la politique de gauche, la social-démocratie qu’il dénomme « marxisme vulgaire » ; celui-ci se construit, selon le philosophe, sur la base de trois vices : « La confiance aveugle dans le progrès [corollaire d’une temporalité linéaire et continue] ; une confiance aveugle dans la force, dans la justesse et dans la promptitude des réactions qui se forment au sein des masses ; une confiance aveugle dans le parti » (EF, X, p. 344).
25Revenons-en à la logique monadologique décrite dans la thèse XVII et à ce pont temporel qui s’établit entre le passé et le présent. Plusieurs exemples historiques précis viennent illustrer « saut du tigre dans le passé » (O, XIV, p. 439). Outre la relation entre la classe marxiste opprimée et les révoltes de Spartacus — déjà évoquée plus haut —, une connexion dynamique et réciproque relie la Révolution française et l’Antiquité : « Ainsi, pour Robespierre, la Rome antique était un passé chargé d’à-présent, qu’il arrachait au continuum de l’histoire : la Révolution française se comprenait comme une seconde Rome » (O, XIV, 439). Les constellations façonnées par la rencontre entre ces fragments temporels forment des monades qui, dans la fulgurance d’un instant de l’à-présent, « résume [nt] en un formidable raccourci l’histoire de toute l’humanité » (O, XVIII, p. 442)21. À partir d’un instant précis se cristallise la monade : au moment de l’instant qui se bloque — un instant forcément lié à des conditions historiques bien précises — l’historien (ou le révolutionnaire) détient alors la possibilité de saisir le Temps dans son entièreté et de construire — ou plutôt peut-être de reconstruire — toute l’histoire de l’humanité opprimée. Cette reconstruction nécessite une part de création et d’imagination qui permet de faire advenir et de connecter par-delà les siècles les divers moments de l’histoire des opprimés ; et tout en recourant à des mécanismes fictionnels, la logique monadologique-constructiviste ne perd pas en effectivité. C’est toujours à partir d’un instant concret, saisi dans toute sa singularité absolue, que peut advenir la rédemption.
Si l’éternité s’inscrit dans le temps, ce n’est plus à travers le nunc stans de la contemplation esthétique, mais à travers l’actualité de l’instant historique, dans toute sa fugacité, mais aussi dans tout le poids de sa réalité politique22.
[L’instance du discours de l’historien est perçue] comme un moment spécifique, un instant vécu chargé de toutes les tensions et de toutes les contradictions qui travaillent une conjoncture historique précise. […] Le « présent de la connaissance », ce « temps de maintenant » d’où procède toute appréhension du passé et de l’avenir, est de plus en plus clairement défini, à partir des années 1936-1937, comme un moment de l’histoire et, plus précisément, de la politique : c’est à partir d’une expérience concrète des crises et des conflits collectifs dans lesquels il est lui-même impliqué que l’historien vit son double rapport au passé et à l’avenir23.
26 Ce principe monadologique-constructiviste est par ailleurs analysé à la fin de la thèse XVII, qui relie la réflexion politico-historique des thèses au versant plus esthétique de la pensée de Benjamin. La thèse XVII décompose ce qu’on pourrait considérer comme les étapes progressives de la logique monadologique :
L’historien matérialiste, en se saisissant de cette chance, va faire éclater la continuité historique pour en dégager une époque donnée ; il ira faire éclater pareillement la continuité d’une époque pour en dégager une vie individuelle ; enfin il ira faire éclater cette vie individuelle pour en dégager un fait ou une œuvre donnée. Il réussira ainsi à faire voir comment la vie entière d’un individu tient dans une de ses œuvres, un de ses faits ; comment dans cette vie tient une époque entière ; et comment dans une époque tient l’ensemble de l’histoire humaine. Les fruits nourrissants de l’arbre de la connaissance sont donc ceux qui portent enfermé dans leur pulpe, telle une semence précieuse mais dépourvue de goût, le Temps historique (EF, XVII, p. 347).
27C’est une structure en gigogne que propose ici Benjamin, dont le fonctionnement particulier fonde une véritable méthode épistémologique qui donne une place centrale à la fiction et aux œuvres d’art, ici plus spécifiquement littéraires. Cette méthode consiste à profiter de la cristallisation monadique et de l’arrêt que celle-ci provoque au sein du devenir historique pour extraire une époque précise de ce dernier. De cette même époque, en vertu du principe monadologique, une vie est détachée et, en répétant encore une fois l’opération, est extraite de cette vie une œuvre précise. En inversant le processus — ce que fait d’ailleurs Walter Benjamin —, une œuvre contient en elle-même une vie, une vie renferme une époque et une époque contient le cours entier de l’histoire. En résumé, la fin de la thèse XVII permet de saisir comment, à l’occasion du blocage temporel explicité ci-dessus, une œuvre donnée est susceptible de contenir le temps dans son intégralité.
Passages et correspondances baudelairiennes
28Loin d’être anodine, cette nouvelle méthode proposée par Benjamin possède toute son importance, car elle établit un lien entre les travaux antérieurs du philosophe et les réflexions qu’il développe dans les Thèses sur le concept de l’histoire,tout en pointant explicitement l’apport épistémologique de la fiction. Dans une célèbre lettre à Gretel Adorno, dont la critique a surtout retenu l’image sous laquelle il présente son dernier travail à sa correspondante — un bouquet de fleurs —, Walter Benjamin mentionne explicitement la thèse XVII et le passage que cette dernière établit entre ses recherches passées et présentes :
La guerre et la constellation qui l’a amenée m’ont conduit à mettre par écrit quelques pensées dont je peux dire que je les ai tenues enfermées, oui, enfermées face à moi pendant vingt ans. […] Aujourd’hui encore, je te les confie plus comme un bouquet de graminées chuchotantes cueillies au cours de promenades méditatives que comme une collection de thèses. Le texte que tu as reçu est réduit en plus d’un sens. Je ne sais pas dans quelle mesure sa lecture va te surprendre ou, ce que je ne souhaiterais pas, te déconcerter. En tout cas, je voudrais particulièrement attirer ton attention sur la 17e réflexion ; elle est ce qui devrait faire apparaître le lien caché mais néanmoins décisif entre ces considérations et mes travaux antérieurs, dans la mesure où elle énonce brièvement la méthode de ces derniers. Ces réflexions présentent un caractère tellement expérimental qu’elles ne servent pas seulement à préparer méthodologiquement une suite à Baudelaire. Elles m’amènent à supposer que le problème du souvenir (et de l’oubli) qui apparaît en elles à un autre niveau va encore m’occuper longtemps. Je n’ai pas besoin de te dire que rien ne m’est plus étranger que l’idée de publier ces pensées (surtout sous la forme que tu as devant toi). Elles ouvriraient la porte à d’enthousiastes équivoques24.
29Si Walter Benjamin fut visionnaire dans bien des domaines, celui concernant la réception de ses thèses en fait certainement partie, la multitude des commentaires25 concrétisant ces « enthousiastes équivoques » que ce texte provoqua, et provoque encore.
30Plus spécifiquement, cette lettre écrite par Benjamin est particulièrement intéressante dans la mesure où elle évoque les travaux sur Baudelaire qu’a menés le philosophe ; suivant ce dernier, les thèses serviraient notamment à « préparer méthodologiquement une suite » aux recherches consacrées26 au poète du XIXe siècle. Au regard de ce lien explicite établi par le philosophe, il semble fécond de mobiliser les réflexions que ce dernier développe à propos de l’œuvre de Baudelaire car celles-ci nous permettront de comprendre la méthode en monade-gigogne présentée à la fin de la thèse XVII. Il s’agit, en d’autres termes, de vérifier l’hypothèse proposée par Michaël Löwy : Les Fleurs du mal, cette œuvre emblématique du poète maudit, constituerait une monade, c’est-à-dire « un ensemble cristallisé de tensions qui contient une totalité historique »27. Ces réflexions établiront un point d’amorce pour tenter de penser une nouvelle forme d’écriture de l’histoire qui est non seulement innervée par la fiction dans ses conditions d’énonciabilité mais aussi, plus encore, elle-même composée par des œuvres littéraires.
31Si Walter Benjamin n’a jamais achevé le livre qu’il projetait d’écrire sur l’œuvre de Baudelaire28, nous disposons néanmoins de plusieurs fragments de ce livre fantôme qui, allié avec le Livre des passages dont il devait être le « modèle miniature », permet de comprendre le travail de Benjamin sur le poète et de saisir le lien qu’il entretient avec les Thèses sur le concept de l’histoire.
32Ainsi, dans les trois articles suivants, Baudelaire ou les rues de Paris, Le Paris du Second Empire chez Baudelaire ou encore Sur quelques thèmes baudelairiens, les nouvelles conditions économiques et sociales du XIXe siècle, ainsi que les phénomènes culturels que celles-ci engendrent, font l’objet d’une critique forte de la part de Benjamin. Ce dernier dénonce ce qu’il nomme « les fantasmagories » du XIXe siècle, c’est-à-dire les images sensationnelles, les images de rêve — bien souvent empreintes d’une dimension mythologique — que la bourgeoisie s’invente et dans laquelle elle se précipite : « La bourgeoisie se réfugie dans le sensationnel afin de mieux refouler les nouvelles conditions techniques et sociales qu’elle a pourtant contribué à créer, y compris sa propre situation économique et politique »29. Devant les profondes mutations que connaît le XIXe siècle, c’est tout à la fois un sentiment d’excitation et de manque de contrôle que connaît l’individu bourgeois. « Les réservoirs à sensations » que ce dernier recherche sont individuels et collectifs, formant respectivement des « fantasmagories de l’intérieur » et des « fantasmagories du marché ». Que ce soit par le biais de feuilletons ou de collections personnelles, par le biais des expositions universelles ou par la mise en place d’un nouveau plan d’occupation des sols, des images de rêve obscurcissent l’esprit de la bourgeoisie et l’endorment par le biais d’un processus qui, sous le couvert de l’ancien, du lointain et de l’inexploré, masque les conditions de vie présentes. « La bourgeoisie effectue une transfiguration des conditions techniques, économiques et sociales dans un rêve sensationnel qui joue avec des images lointaines pour assoupir la multitude des grandes villes »30 ; par là, elle participe à la conservation d’un rapport de force qui assigne toute une frange de la population — les ouvriers — à subir violemment les changements socio-économiques du siècle et la montée fulgurante du capitalisme. Cette ère nouvelle
génère une « expérience du choc » (Chockerlebnis) que Benjamin entend bien, contre la quiétude bourgeoise, faire résonner haut et fort en dévoilant les contradictions économiques de la grande ville, qu’il s’agisse de la violence du travail à la chaîne, de la bousculade des foules ou des conflits de classe31.
33Ce que Benjamin montre dans ses travaux sur Baudelaire, c’est que ce dernier joue, au travers de son œuvre, d’une ambivalence qui montre les mutations historiques dans leur totalité et leur complexité. L’œuvre de Baudelaire enregistre tout à la fois l’assoupissement bourgeois et la violence endurée par les classes ouvrières. Ainsi, Baudelaire participe des illusions et fantasmagories bourgeoises, notamment par le biais de la figure du flâneur, qui fait véritablement office d’idéal au sein de la démarche artistique du poète :
Observateur, flâneur, philosophe, appelez-le comme vous voudrez ; mais vous serez certainement amené, pour caractériser cet artiste, à le gratifier d’une épithète que vous ne sauriez appliquer au peintre des choses éternelles, ou du moins plus durables, des choses héroïques ou religieuses32.
Pour le parfait flâneur, pour l’observateur passionné, c’est une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l’infini. Être hors de chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi ; voir le monde, être au centre du monde et rester caché au monde, tels sont quelques-uns des moindres plaisirs de ces esprits indépendants, passionnés, impartiaux, que la langue ne peut que maladroitement définir33.
34Or, si le flâneur déambule dans la ville, aperçoit la foule et entre dans celle-ci « comme dans un immense réservoir d’électricité »34, il l’affuble tout en même de masques antiques35, se berçant « d’un mirage qui recouvre la détresse des habitants des grandes villes »36. Pour une part, le flâneur est aveugle et sa perception des choses est biaisée, recouverte d’un imaginaire mythique qui voile les conditions socio-économiques des ouvriers. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Benjamin, par le biais d’une citation de Nietzsche qu’il place en exergue de la thèse XII, réprouve précisément le flâneur et le lien que ce dernier entretient avec l’histoire : « Il nous faut l’histoire ; mais il nous la faut autrement qu’à celui qui, désœuvré, flâne dans les jardins de l’érudition » (EF, XII, p. 345).
35Cependant, bien que la flânerie lui soit si chère37, Baudelaire la dépasse et la complexifie à travers nombre de poèmes de son célèbre recueil Les Fleurs du mal, qui témoignent alors de l’angoisse et de la violence de la vie moderne. Dans plusieurs poèmes tirés des Tableaux parisiens, la dureté oppressante de la capitale française est mise en exergue ; Marc Berdet souligne par exemple comment l’analyse d’un poème intitulé « Les sept vieillards » permet à Benjamin de montrer l’incapacité pour l’individu à sortir d’un système de production qui se répète indéfiniment38. Plus encore, c’est par l’entremise de l’allégorie que s’opère une forme de dévoilement et, plus encore, une forme de défiguration : « […] dans l’allégorie, c’est la facies hippocratica de l’histoire qui s’offre au regard du spectateur comme un paysage primitif pétrifié. L’histoire, dans ce qu’elle a toujours eu d’intempestif, de douloureux, d’imparfait, s’inscrit dans un visage — non : dans une tête de mort »39.L’allégorie, chez Baudelaire, est soudaine, elle provoque un choc qui immobilise la réalité allégorisée et la soumet alors à l’analyse : « Aucun mot de son vocabulaire [celui de Baudelaire] n’est d’emblée destiné à devenir une allégorie. Il reçoit cette charge selon les cas, selon la chose dont il est question, selon le sujet dont c’est le tour d’être espionné, cerné et occupé »40. Loin d’être neutre, l’allégorie radiographie la réalité qu’elle humanise ; ainsi, lorsque Baudelaire fait de Paris une allégorie structurante de son recueil Les Fleurs du mal, il analyse et dévoile la ville dans toutes ses dimensions et ses aspects négatifs qui, eux-mêmes allégorisés, exposent leur réalité. En témoigne notamment cet extrait tiré du Crépuscule du soir, où prostitution et nuit sombre prennent vie :
[…]
Cependant des démons malsains dans l’atmosphère
S’éveillent lourdement, comme des gens d’affaires,
Et cognent en volant les volets et l’auvent.
À travers les lueurs que tourmente le vent
La Prostitution s’allume dans les rues ;
Comme une fourmilière elle ouvre ses issues ;
Partout elle se fraye un occulte chemin,
Ainsi que l’ennemi qui tente un coup de main ;
Elle remue au sein de la cité de fange
Comme un ver qui dérobe à l’Homme ce qu’il mange
[…]
C’est l’heure où les douleurs des malades s’aigrissent !
La sombre Nuit les prend à la gorge ; ils finissent
Leur destinée et vont vers le gouffre commun ;
[…]41
36Pour le dire autrement, l’allégorie permet de détruire les fantasmagories qui cachent les nouvelles réalités engendrées par les mutations socio-économiques, pour révéler la ville dans toutes ses failles et ses atrocités. L’allégorie possède une puissance de démystification qui permet de détruire « les fausses synthèses de l’ancien et du nouveau pour montrer le passé le plus récent, ce qui vient juste de se passer, ce qui a été (das Gewesene) il y a peu mais qui s’est trouvé aussitôt plongé dans l’obscurité de l’instant vécu, de la sensation à tous crins et des vertiges des vieux masques »42.
37Cependant, si l’allégorie permet de détruire les illusions qui plongent l’individu dans l’obscurité, elle ne permet pas pour autant de dépasser cette étape de déconstruction au profit d’un mouvement positif qui mobiliserait une forme de collectivité utopique, à la fois expérience archaïque et avenir à atteindre. Tel est en effet le paradoxe de l’utopie benjaminienne qui se donne simultanément comme un état d’exception antérieur et postérieur ; Benjamin évoque à plusieurs reprises dans son œuvre43 l’existence d’une société sans classe, une société primitive égalitaire et communiste avant l’heure que les luttes révolutionnaires doivent réactualiser et faire advenir. Cet « état d’exception » nous dit Löwy, est d’ailleurs « préfiguré par toutes les révoltes et soulèvements qui interrompent, ne serait-ce que pour un bref moment, le cortège triomphal des puissants »44. Pour que l’individu s’éveille, qu’il ne soit plus aveuglé et bloqué dans des fantasmagories diverses, ni écrasé par la violence de la vie urbaine, celui-ci doit nécessairement en passer par un processus de remémoration : il s’agit de se souvenir de cet état d’exception et de chercher à le faire advenir, car il est tout à la fois passé et futur, potentiellement (ré) actualisable au sein d’un présent qui ne se dissout pas dans des illusions mythiques. Or, si l’allégorie est insuffisante à simultanément faire revenir et faire advenir une forme d’utopie, ce n’est pas le cas de ce que Benjamin nomme l’« image dialectique ». L’image dialectique est une « petite image intermittente » qui permet la synthèse entre le passé et le présent45, qui prend en charge la totalité des mouvements temporels et l’avènement d’un temps qualitatif où ceux-ci peuvent coexister. L’image dialectique permet de ressaisir l’origine dans le présent sans retomber dans les illusions aveuglantes ; elle polarise le passé et le présent et rappelle en même temps, par une remémoration de l’expérience perdue, l’expérience véritable du devenir collectif, la puissance utopique capable de survenir à tout instant.
38Ces images dialectiques sont loin d’être étrangères à l’œuvre baudelairienne. En effet, si celle-ci fait bien montre d’une logique fantasmagorique et d’une logique allégorique, elle condense aussi ces images dialectiques au travers de certains poèmes. Les célèbres poèmes La vie antérieure ou Correspondances pointent et font ressurgir un « état originel auratique » passé en le dialectisant avec l’instance énonciatrice pour en faire un horizon d’attente toujours plus proche. « Les vastes portiques » aux « grands piliers, droits et majestueux »46 ou le temple qu’est la Nature47 renvoient, dans ces deux œuvres, à une forme d’état utopique simultanément passé et à venir. Les « correspondances » actualisent particulièrement ces dynamiques temporelles par leur capacité à actualiser un monde transcendant au travers d’un processus de synesthésie qui fait ressurgir une forme d’unité (« une ténébreuse et profonde unité ») par le biais d’un jeu de renvois entre les sensations (« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent »)48 ; comme le résume R. Tiedemann, cité par M. Löwy, « l’idée des correspondances est l’utopie par laquelle un paradis perdu apparaît projeté dans l’avenir »49.
39Plus encore, si certains poèmes cristallisent individuellement ces images dialectiques, il nous semble que l’œuvre de Baudelaire en tant que telle – Les Fleurs du mal dans leur ensemble – peut s’appréhender comme une image dialectique, c’est-à-dire comme une œuvre qui dialectise le passé et le présent dans une constellation de tensions exprimées par les différents poèmes qui la composent. Ainsi, tout en exprimant le XIXe dans toute sa complexité — tant par les fantasmagories qui aveuglent la bourgeoisie du siècle que par les chocs qu’induisent les nouveautés socio-économiques et les conséquences qu’elles entrainent —, l’œuvre du poète témoigne d’une temporalité hétérogène et qualitative, la temporalité benjaminienne de l’à-présent.
40Or, la dynamique qui régit l’image dialectique — qui déploie la temporalité de l’à-présent à partir d’une œuvre singulière — est une dynamique monadologique, précisément celle qui était au centre de la thèse XVII et des réflexions sur la temporalité historique. Les dimensions esthétiques et historiques des réflexions de Walter Benjamin s’unissent au sein d’une équivalence entre image dialectique et monade. Toute image dialectique est monade, car à partir d’une œuvre singulière située dans un présent défini, passé et futur se déplient et s’entremêlent ; inversement, toute monade est image dialectique, car la monade cristallise temporairement en une image les tensions d’un instant spécifique et arrête le devenir historique.
Les œuvres littéraires, bases d’une nouvelle historiographie ?
41Dès lors, lorsque Walter Benjamin écrit dans sa thèse XVII que « l’historien matérialiste ne s’approche d’une quelconque réalité historique qu’à condition qu’elle se présente à lui sous l’espère de la monade » (EF, XVII, p. 346), on comprend in fine que c’est peut-être par l’entremise de ces monades — ces images dialectiques — qu’une nouvelle forme d’écriture de l’histoire pourrait s’élaborer. Les images dialectiques constitueraient autant de monades dont se saisit l’historien afin de mettre en place une nouvelle historiographie. Cependant, si cette hypothèse selon laquelle « les images dialectiques forment le langage dont l’historien se sert pour déchiffrer le passé » semble être une piste d’investigation intéressante pour répondre à l’aporie qui traverse les Thèses sur le concept de l’histoire, il reste à se demander comment s’élabore concrètement cette écriture ; en d’autres termes, comment écrire — c’est-à-dire inscrire durablement et matériellement dans le temps — les images dialectiques qui, comme le précise la thèse V, « n’apparaî[ssent] que dans un éclair » (EF, V, p. 341) ?
42À cette dernière question, voici la première proposition de réponse que nous formulerons, sur la base des réflexions dépliées jusqu’à présent : c’est par le biais des mécanismes énonciatifs propres à la fiction – plus précisément, on l’a vu, par le biais de sa dimension constructive et imaginative – que pourrait s’écrire une histoire alternative à celle des vainqueurs. La fiction et les ressources narratives propres à la littérature permettraient d’assurer une forme singulière de continuité à l’histoire des opprimés en déjouant la linéarité de l’historiographie traditionnelle, celle qui ne consacre que les puissants et les victoires. En tant qu’opérateurs capables de reconfigurer, de creuser, de transformer le réel et donc de l’inventer sous de nouvelles formes, la fiction et ses procédés énonciatifs sont peut-être la modalité selon laquelle peut se fabriquer une nouvelle forme d’écriture de l’histoire, capable de ressaisir le réel sous ses multiples aspects, apte à s’emparer du plus petit détail comme de l’événement le plus grandiose. Cette idée est d’ailleurs consignée en substance par Walter Benjamin dans ses notes préparatoires aux Thèses sur le concept de l’histoire, où le philosophe écrit : « L’idée de la prose coïncide avec l’idée messianique de l’histoire universelle. […] les différentes sortes de prose artistique forment le spectre de l’universel historique » (EF, section 2, p. 350).
43Mais davantage qu’une simple historiographie qui s’élabore à partir de procédés fictionnels, nous voudrions ici soutenir que c’est les œuvres littéraires elles-mêmes qui constitueraient les bases, les jalons d’une historiographie nouvelle ; ce serait par leur entremise directe que pourrait s’écrire une histoire alternative à celle des vainqueurs. Ainsi, Les fleurs du mal de Baudelaire constituerait un des chaînons de cette nouvelle historiographie, capable de témoigner d’une époque précise ; l’œuvre du poète s’insérerait dans un plus large rhizome composé d’une série d’œuvres littéraires qui rendraient compte d’une histoire autre, nouvelle. Comment, cependant, élire ces œuvres ? En d’autres termes, comment réfuter l’objection qui pointe la difficulté à concevoir chaque œuvre littéraire comme participant d’une écriture alternative de l’histoire tant certains textes, loin de se faire le porte-parole des opprimés, semblent au contraire corroborer le pouvoir en place ?
44 Si cette opposition semble de prime abord légitime, elle peut être en partie réfutée par la dimension englobante de la philosophie de l’histoire benjaminienne. Celle-ci possède en effet une visée totalisante : elle doit rendre compte pour une part de l’état de choses dominant de l’histoire, de la victoire des vainqueurs. Cependant, elle doit aussi, et c’est là sa plus grande tâche, faire entendre l’histoire des opprimés, en vue de la rédemption que ceux-ci attendent depuis tout temps. Pour le dire autrement, c’est l’écriture d’une histoire complexe, dotée de plusieurs couches, à laquelle s’attèle l’historien : mobiliser des œuvres littéraires diverses – certaines participant d’une histoire dominante, d’autres au contraire servant celles des opprimées, d’autres encore attestant de l’une comme de l’autre – est peut-être pour l’historien le meilleur moyen de faire droit à l’hétérogénéité historique de Walter Benjamin. Ainsi, par exemple, l’œuvre de Baudelaire témoigne des avancées économiques du XIXe siècle et de la logique du progrès qui semble alors s’imposer de toute part ; mais ce témoignage est indissociable d’une mise en lumière de la violence et du chaos que ce progrès provoque. En d’autres termes, plusieurs fils narratifs s’entrecroisent au sein des Fleurs du mal : l’un prend en charge l’histoire marquée par les grands événements, l’autre fait résonner celle des vaincus.
45Plus encore, faire œuvre d’historien appelle à un travail de construction ; or, c’est précisément parce les œuvres littéraires sont diverses et participent singulièrement à l’histoire qu’une « construction historique » (EF, section 4, p. 356) plurielle et alternative peut voir le jour, une construction qui joue réflexivement de la polyphonie de la littérature. L’historien doit se faire narrateur et la qualité de sa narration historiographique dépendra de sa capacité à faire entendre la voix de ceux qui se sont exprimés, mais dont la voix a été étouffée par le récit des vainqueurs : « Et parmi ceux qui ont couché par écrit des histoires, ceux-là sont les grands narrateurs dont le texte s’écarte le moins des paroles des innombrables narrateurs anonymes »50. L’historien est, en d’autres termes, garant de sa narration ; il est le centre du foyer d’énonciation de l’histoire et, en ce sens, il en porte la responsabilité. C’est donc à lui que revient ultimement la tâche de discriminer lesquelles, des diverses œuvres littéraires auxquelles il se confronte, seront les composantes d’une historiographie alternative qui fait droit à la parole, aux récits – c’est-à-dire au statut de narrateur – des opprimés.
46Les œuvres littéraires — parce qu’elles s’emparent des défaites et des événements insignifiants, mais aussi parce qu’elles reconfigurent et redessinent les grands événements, introduisant par-là du possible et des failles qui laissent place à d’autres histoires, plus singulières, plus souterraines — sont autant de monades au travers desquelles se reconstruit l’ensemble de l’histoire, elles sont autant d’étincelles utopiques. Une nouvelle historiographie s’invente à travers la compilation de ces œuvres, une compilation dont la responsabilité, nous l’avons vu, incombe à l’historien. Son devoir n’est rien de moins que de tisser le rhizome des œuvres littéraires qui, par la dimension proprement agissante de l’écriture romanesque et poétique, seront capables de faire advenir dans le présent ce qui n’a eu lieu qu’une fois ; ainsi s’actualisera la Rédemption messianique chère à Benjamin.
Notes
1 M. Lisse, « La fiction : prothèse de l’histoire », dans Interférences littéraires, Histoire/fiction : tensions et convergences, n°2, p. 59 [En ligne].
2 Les citations du texte de Benjamin sont prioritairement tirées de la traduction française que le philosophe a lui-même établie (« Sur le concept d’histoire », dans W. Benjamin, Écrits français, Paris, Gallimard (NRF), pp. 333-356). Les thèses manquantes, non traduites par Benjamin, sont quant à elles tirées de l’édition suivante : « Sur le concept d’histoire », trad. de M. de Gandillac, R. Rochlitz, P. Rusch, dans W. Benjamin, Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000 (Folio/essais), pp. 427-443. Nous indiquerons, à côté de chaque citation, l’abréviation de l’édition choisie (EF pour Écrits français, O pour Œuvres), le numéro de la thèse (ou de la note préparatoire) et la page.
3 S. Mosès, L’ange de l’histoire, éd. revue et augmentée, Paris, Gallimard (Folio/essais), p. 135.
4 « Qui est-ce, en fin de compte, à qui devront s’identifier les maîtres de l’historicisme. La réponse sera inéluctablement : le vainqueur. Or, ceux qui, à un moment donné, détiennent le pouvoir sont les héritiers de tous ceux qui jamais, quand que ce soit, ont cueilli la victoire. L’historien, s’identifiant au vainqueur servira donc irrémédiablement les détenteurs du pouvoir actuel » (EF, VII, p. 343).
5 W. Benjamin, « Sur le langage en général et sur le langage humain », trad. de M. de Gandillac, R. Rochlitz, P. Rusch, dans W. Benjamin, Œuvres I, Paris, Gallimard, 2000 (Folio/essais), pp. 142-143.
6 S. Mosès, op. cit., p. 145
7 On trouvera une très bonne introduction à ces thèses dans la préface rédigée par J.-M. Monnoyer dans Écrits français, pp. 333-338.
8 L’expression est celle de Charles Péguy, un écrivain du XIXe siècle dont Michaël Lowy relève la proximité avec Benjamin : « Il existe une impressionnante affinité entre les idées de Benjamin et celles de Charles Péguy, un auteur avec lequel il se sentait en profonde “communion” ». M. Löwy, Walter Benjamin : avertissement d’incendie », Paris, Éditions de l’éclat, 2014 (Philosophie imaginaire), pp. 120-121.
9 Citons, à titre d’exemples, le rapprochement avec la mimésis d’Aristote (permettant de relier la fiction à la loi de la nécessité qui renvoie elle-même à l’importance de la mise en intrigue de l’art poétique), l’étymologie du mot (fiction vient du latin fingere qui signifie dans un premier sens « façonner ») ou encore les derniers débats théoriques au sujet de la dimension épistémologique de la fiction qui soulignent constamment son pouvoir d’élaboration des savoirs (voir notamment Lorenzo Bonoli, « Fiction, épistémologie et sciences humaines », A contrario, 2007/1 (Vol. 5), p. 51-66).
10 Cf. M. Löwy, op. cit. pp. 62 et 118.
11 S. Mosès, op. cit., p. 259.
12 « Il y a un rendez-vous mystérieux entre les générations défuntes et celle dont nous faisons nous-mêmes partie. Nous avons été attendus sur terre. Car il nous est dévolu à nous comme à chaque équipe humaine qui nous précéda, une parcelle de pouvoir messianique. Le passé la réclame, a droit sur elle. Pas moyen d’éluder sa sommation » (EF, II, p. 340).
13 À la suite de Cécile Lavergne qui a très justement relu Benjamin à la lumière des travaux de Michèle Riot-Sarcey lors de son intervention au séminaire consacré à Walter Benjamin, j’utilise ce terme en référence aux travaux de cette dernière. Voir M. Riot-Sarcey, Le procès de la liberté : une histoire souterraine du XIXe siècle en France, Paris, La découverte, 2016.
14 Les thèses de Walter Benjamin sont traversées par une ambiguïté fondamentale qui rend équivoques non seulement le statut de l’histoire mais aussi l’identité de son producteur. Si la perspective du présent article comprend davantage l’histoire comme une pratique d’écriture mise en place par l’historien, elle n’entend pas pour autant dénier sa dimension évènementielle. L’histoire est aussi agie par le révolutionnaire, et c’est dans cette tension maintenue que se joue la richesse du texte de Benjamin.
15 S. Mosès, op. cit., p. 184.
16 Ibid.
17 M. Löwy, op. cit., p. 121.
18 Ibid. p. 117.
19 Michaël Lowy attire l’attention sur le fait que la lutte des classes occupe une place nodale dans la pensée de Walter Benjamin : « Si presque tous les marxistes se réfèrent à la lutte des classes, peu lui dédient une attention si passionnée, si intense, si exclusive que Walter Benjamin ». M. Löwy, op. cit., p. 56.
20 S. Mosès, op. cit., pp. 213-214.
21 L’ambiguité relative au rapport entre théorie et pratique resurgit ici dans toute sa complexité. Il semble en effet que ces instants temporels singuliers de l’à-présent soient tout autant des événements dont le révolutionnaire doit saisir la puissance disruptive que des entités historiographiques produites par l’historien. L’indétermination entre ces deux perspectives est garante de la fécondité des lectures que génèrent les thèses de Benjamin.
22 S. Mosès, op. cit., pp. 203-204.
23 S. Mosès, op. cit., pp. 207-208.
24 C. Gödde et H. Lonitz (éd.), Gretel Adorno -Walter Benjamin : correspondances (1930-1940), Mayenne, Gallimard, 2007 (Le promeneur), pp. 391-392.
25 Outre les ouvrages de Mosès, Löwy et Berdet mobilisés dans cet article, on peut également citer les travaux de P. Missac, R. Tiedemann, C. Imbert, D. Bensaïd ou encore M. Goldschmit.
26 Walter Benjamin consacre plusieurs articles et notes à Charles Baudelaire : Le Paris du second Empire chez Baudelaire, Sur quelques thèmes baudeleriens, Zentral Park (compilés par R. Tiedeman en allemand et traduits par Jean Lacoste en français dans un ouvrage portant le titre que Benjamin projetait de donner à son ouvrage général sur le poète : W. Benjamin, Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, trad. J. Lacoste, Paris, Payot, 1982). L’article Baudelaire ou les rues de Paris, tiré de Paris, capitale du XIXe siècle est évidemment aussi à noter.
27 M. Löwy, op. cit., p. 122.
28 On se référa à la préface de J. Lacoste pour davantage de détails philologiques sur les textes consacrés à Baudelaire. Cf. W. Benjamin, Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, op. cit., pp. 5-15.
29 M. Berdet, La passion dialectique, Paris, Armand Colin, 2014, p. 163.
30 Ibid., p. 152.
31 Ibid., pp. 163-164.
32 C. Baudelaire, « Le peintre de la vie moderne » dans C. Baudelaire, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1954 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 889.
33 C. Baudelaire, « Le peintre de la vie moderne », op. cit., pp. 884-885.
34 Ibid., p. 889.
35 M. Berdet, op. cit., p. 162.
36 Ibid., p. 163.
37 Cf. W. Benjamin, « Le Paris du second Empire chez Baudelaire », dans W. Benjamin, Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, op. cit., p. 75.
38 M. Berdet, op. cit., p. 166.
39 W. Benjamin, L’origine du drame baroque, Paris, Flammarion, 1985 (La philosophie en effet), p. 178.
40 W. Benjamin, « Le Paris du second Empire chez Baudelaire », dans W. Benjamin, Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, op. cit., p. 143.
41 C. Baudelaire, « Les Fleurs du mal », op. cit., pp. 166-167.
42 M. Berdet, op. cit., p. 183.
43 On se réfèrera notamment à l’article de Benjamin sur Bachofen, où le philosophe évoque, comme le pointe Löwy, une « société communiste à l’aube de l’histoire ». Cf. W. Benjamin, « Johann Jakob Bachofen », dans W. Benjamin, Écrits français, op. cit., pp. 91-113.
44 M. Löwy, op. cit., p. 79.
45 Cf. M. Berdet, op. cit., p. 179.
46 C. Baudelaire, « La vie antérieure », op. cit., p. 93.
47 Id., « Correspondances », op. cit. p. 87.
48 Ibid.
49 M. Löwy, Rédemption et utopie : le judaïsme libertaire en Europe centrale, Paris, Presses universitaires de France, 1988 (Sociologie d’aujourd’hui), p. 153.
50 W. Benjamin, « Le narrateur », Écrits français, Paris, Gallimard (NRF), p. 206.
Pour citer cet article
A propos de : Émilie Ieven
Université Saint-Louis, Bruxelles – Centre Prospéro