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- Vol. 43 - 2021
- Avant-propos
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Avant-propos
1La vie et la mort. C’est sous cet intitulé, tout à la fois poétique, brutal et thématiquement large, que se sont tenues les 31 mai et 1er juin 2019 à Audenarde (Belgique) les Journées internationales d’histoire du droit et des institutions, congrès annuel de la Société d’histoire du droit et des institutions des pays flamands, picards et wallons. Celles-ci ont comporté pas moins de vingt communications. De la peine de mort, contestée ou appliquée, aux obsèques, aux actes de présomption de décès et aux successions, en passant par la « mort » des sociétés en faillite et par les banqueroutes individuelles, le propos a également permis d’envisager les autopsies judiciaires et les attitudes pacifistes face au droit de tuer en masse que constitue pour un État l’entrée en guerre. On le voit, la thématique était faite pour stimuler la créativité et la curiosité des congressistes, et pour susciter des rapprochements a priori inattendus1. Si certains orateurs n’avaient pas l’intention de publier leur texte, d’autres communications ont été soumises à un double peer-reviewing anonyme et figurent dans le présent volume.
2En réunissant ces études, les Cahiers du CRHiDI poursuivent leur tradition de numéros transpériodes et pluridisciplinaires, rassemblant juristes, historiens de la société et des pouvoirs, et historiens du droit, combinant approches historiques et approches de droit comparé. Rappelons ainsi les volumes consacrés à L’autorité de la chose jugée (n° 4), La souveraineté (n° 7), La possession (n° 8), La bonne foi (n° 10), ou encore Les instruments de la pensée juridique (n° 17). En outre, en accueillant dans ses pages une sélection peer-reviewée d’articles issus des communications présentées aux Journées internationales précitées, le Centre d’histoire du droit, des institutions et de la société de l’Université Saint-Louis et ses Cahiers poursuivent aussi leur fructueuse collaboration avec la Société d’histoire du droit et des institutions des pays flamands, picards et wallons, collaboration qui a déjà donné naissance aux n° 5-6 sur le thème Commerce et droit en 1996 et au n° 41 sur Gens de robe, gens de guerre. Ordre public et ordre social en 2018.
3Les contributions qu’on va lire sont présentées selon une division liée à la thématique originelle du congrès. Un premier texte d’ouverture propose de réfléchir sur les enjeux de l’histoire du droit en lien avec la bataille d’Audenarde (1708), lieu dudit congrès. On envisagera ensuite deux questions antérieures à la mort, mais pouvant y conduire : la légitimité de la peine de mort, la légitimité du droit de faire la guerre. Enfin, les implications en droit de la mort des individus ou des personnes morales font l’objet de quatre études. La question des funérailles des gens de théâtre et celle de l’autopsie judiciaire sont traitées par les deux premières. Sont ensuite envisagés un point particulièrement insolite du droit successoral – la prescription acquisitive de la qualité d’héritier – et la prévention des faillites d’entreprises. Au total, ce volume présente une forte tonalité dix-neuviémiste, dont il faut se féliciter, avec quatre contributions, tandis que trois autres traitent des Temps modernes. Les textes contribuent à l’histoire du droit international public, du droit pénal, du droit public, du droit successoral et du droit commercial, tout en éclairant l’histoire des pratiques administratives et judiciaires, ou encore celle de la médecine et du commerce, comme on le verra.
4Le professeur Frederik Dhondt, historien du droit à la Vrije Universiteit Brussel, dont il dirige le centre de recherches Contextual Research in Law (CORE), ouvre ce volume par une profession de foi, enthousiaste et argumentée, en faveur de l’histoire du droit perçue comme une sous-discipline du droit, servant à une meilleure appréhension du droit contemporain. Il rappelle la dimension transnationale des objets traités par l’histoire du droit. Face à une conception traditionnelle et dépassée, il plaide en outre pour une histoire du droit international public qui examine la construction juridique de la paix. Il propose d’illustrer cette approche autour de l’évènement d’ampleur européenne que fut la bataille d’Audenarde (11 juillet 1708) durant la Guerre de Succession d’Espagne. L’article rappelle les conditions de la défaite franco-espagnole face aux Coalisés anglo-hanovriens, hollandais et prussiens, poursuit par la lutte d’influence à la cour royale entre les deux chefs militaires français vaincus et leurs partis respectifs, évoque une pièce satyrique locale, imprimée peu après la bataille, avant d’analyser les relations juridiques et diplomatiques entre les États ayant fourni les deux armées opposées. Il envisage ensuite la mise en scène iconographique de ces relations et des évènements de 1708 dans un ensemble de gravures imprimées une quinzaine d’années plus tard, le Schouwburg van den Oorlog (ou « Théâtre de la guerre »). En réalité, l’histoire du droit international public se mêle ici intimement à l’histoire générale, en l’occurrence à l’histoire militaire et à l’histoire politique et diplomatique. Et, certes, à des milliers de morts se superpose un entrelacs de droits revendiqués, négociés, accordés, conquis ou perdus par divers souverains.
5Le droit peut autoriser, voire imposer, de donner la mort à autrui. Selon les systèmes et les époques, du droit archaïque au droit contemporain, on rencontre notamment le droit à la « vengeance privée » (faide), à la légitime défense, et les diverses formes de monopole public de la violence légitime. Parmi celles-ci, la plus controversée depuis deux siècles et demi est certainement le principe de la peine de mort. Malgré des études de 1983 et 1996 qui démontraient déjà le contraire, la recherche sur la peine de mort continue d’affirmer — jusqu’aujourd’hui ou presque, tant dans des thèses que de grandes synthèses – que Beccaria a été le premier abolitionniste. Cet exemple devrait nous inciter à la modestie et au resserrement de nos exigences méthodologiques : les études de pointe ne sont pas toujours suffisamment connues, et cette ignorance biaise évidemment nos perspectives. Historien et juriste, doctorant au Centre d’histoire judiciaire (CHJ) de Lille et au CHDJ de Louvain-la-Neuve, François Pierrard propose de reprendre ce dossier sur le plan de l’histoire des idées et du droit, en partant de protestants non-conformistes anglais du 17e s., le digger Winstanley (1649) et le quaker Bellers (1699), de deux Français, Fontenelle (1682) et F.-V. Toussaint (1748, 1762), et enfin du Florentin Giuseppe Pelli (1760-1761), avant d’en arriver au Milanais célèbre, Cesare Beccaria (1764). L’auteur relève les ambiguïtés de ces abolitionnistes, qui d’une part concèdent des exceptions à leur rejet de la peine de mort, et qui d’autre part ne fondent pas tellement ce rejet sur des raisons d’humanité que sur des raisons d’utilitarisme, sur la promotion des travaux forcés, sur la mise en cause du libre-arbitre du criminel et, pour diverses raisons de principe, sur celle de l’autorité de la société à exercer le droit de tuer. Tout ceci interroge à juste titre la filiation des idées entre ces penseurs, tout comme le rôle — plus largement — des représentations mentales partagées, et la place précise de Beccaria dans ce mouvement.
6Le droit de faire la guerre – et donc de semer légitimement, et d’affronter, la mort à grande échelle – a lui aussi progressivement fait l’objet de discussions et de restrictions, à mesure que se développe aux 19e et 20e s. le droit international public. L’historien du droit Wouter De Rycke, assistant à la Vrije Universiteit Brussel (centre de recherches Contextual Research in Law (CORE)), se penche sur les origines de l’opposition au jus ad bellum, au sein de la première génération d’activistes pacifistes du 19e s. Ces militants, réunis à plusieurs reprises en congrès d’amis de la paix, débattent des deux principaux moyens à leurs yeux d’empêcher les guerres : la voie législative (par le moyen d’un congrès des nations) et la voie arbitrale. Cette dernière s’impose progressivement, de plus en plus nettement, au fil des rencontres successives (conférences de Londres en 1843, Bruxelles en 1848, Paris en 1849, Francfort en 1850 et Londres en 1851). Cette prépondérance se confirmera plus tard dans le siècle avec la relance du mouvement pacifiste, mais n’aura cependant pas entièrement raison des projets de refonder le droit international public par la voie de la législation ou de la codification. L’auteur met en lumière ce point jusqu’ici négligé par l’historiographie.
7Si le droit s’interroge sur les conditions qui permettent de donner la mort, il s’inquiète aussi des effets de celle-ci sur les vivants. Deux catégories d’effets sont examinées dans ce dossier : d’abord ceux liés au corps du défunt, tant pour les obsèques que pour l’autopsie judiciaire, ensuite ceux liés aux biens du défunt et donc aux questions de succession, et plus spécifiquement ici à la qualité d’héritier.
8La question des obsèques des gens de théâtre dans le cadre du droit français est examinée par Pierre Bodineau, professeur émérite d’histoire du droit à l’Université de Bourgogne et président de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands. Longtemps a dominé le refus de l’Église catholique d’inhumer les comédiens en terre chrétienne. Le Concordat de 1801 et ses mesures d’application ont pu, dans un premier temps, mettre un frein à ces refus de sépulture opposés par les autorités ecclésiastiques. Le Premier Consul puis l’Empereur fait prendre des sanctions contre des desservants ayant refusé un enterrement. Mais la Restauration va interpréter ces normes concordataires de manière beaucoup plus attentiste, le pouvoir civil s’interdisant d’intervenir à l’église et ne veillant, au titre de la bonne police, qu’à la seule inhumation, ce qui de facto autorise à nouveau les refus d’obsèques par les autorités religieuses, malgré une désapprobation croissante de la part de l’opinion publique (comme ce fut le cas à l’occasion des funérailles de l’actrice Mlle Raucourt en 1815, de celles de l’acteur Philippe en 1824 ou de celles du tragédien Talma en 1826). La situation restera indécise sous la Monarchie de Juillet. Ce n’est que plus tard, avec l’importance prise par le théâtre sous le Second Empire, que la situation évoluera plus nettement et sous la IIIe République que les cimetières seront déconfessionnalisés.
9L’historien Kevin Dekoster, doctorant à l’Université de Gand, se penche quant à lui sur les autopsies judiciaires dans le cadre du droit pénal du comté de Flandre (2e m. 16e s.-18e s.). Il livre ainsi une intéressante contribution à l’histoire de la médecine légale dans les Pays-Bas habsbourgeois, jusqu’ici délaissée. Dans les anciens Pays-Bas, c’est tardivement dans le 16e siècle que la législation princière s’intéresse aux pratiques médico-légales (les Ordonnances de 1589 et de 1616) et ce n’est qu’en 1626 qu’elle impose l’examen des cadavres de personnes décédées de mort suspecte par deux chirurgiens jurés, ce que la doctrine avait toutefois anticipé dès 1555 (dans la Practycke de Joos de Damhouder) ainsi que, d’abord timidement puis plus franchement, la pratique des tribunaux. Durant les 17e et 18e s., ces chirurgiens ont de plus en plus systématiquement dû mener les autopsies en duo avec un médecin de formation universitaire, avec toutefois de fortes variations dans les pratiques judiciaires locales. Dans le même temps, les rapports d’expertise se font de plus en plus détaillés, tandis que, loin de se contenter d’un simple examen externe, l’expertise recourt de plus en plus systématiquement à une véritable autopsie interne. Les coûts de l’examen et leurs imputations varient tant en fonction du statut local des experts que du déplacement éventuel et de la cause du décès suspect (homicide, accident, suicide).
10Laissant de côté le corps du défunt, la contribution suivante aborde un point particulier de droit successoral. Spécialiste de la prescription acquisitive qui a fait l’objet de sa thèse en droit privé, Johan Van de Voorde, chercheur postdoctoral à l’Université d’Anvers, se penche sur une prescription acquisitive qu’il qualifie d’« insolite », celle de la qualité d’héritier. Portant sur une qualité et non sur un droit réel, toujours présente dans les manuels de droit belge, elle relève pourtant surtout de la jurisprudence du 19e s. et de successions ouvertes sous l’ancien droit, avant l’entrée en vigueur du Code civil. Il s’agit de distinguer celle-ci de la prescription du droit d’option de l’héritier ; en l’occurrence c’est ici de la prescription dirigée contre la pétition d’hérédité qu’il s’agit. Elle est considérée comme une prescription extinctive par la doctrine et la jurisprudence dominante en France et partiellement en Belgique (cours d’appel de Gand en 1856 et de Bruxelles en 2003, Cour de cassation en 1852), mais comme une prescription acquisitive par la doctrine belge et par une partie de la jurisprudence belge (cour d’appel de Bruxelles en 1843, 1844 et 1891, Cour de cassation en 1834). Plutôt qu’un travail d’historien du droit stricto sensu, l’auteur propose une analyse juridique fouillée, une approche comparée et une perspective de longue durée sur un point de droit particulier, presque oublié de nos jours.
11Le thème de « la mort » ne se rapporte pas qu’aux personnes physiques. Les personnes morales, elles aussi, peuvent cesser d’exister, comme la contribution suivante le souligne à juste titre.
12La mort des entreprises est un sujet qui est resté peu traité pour la Belgique de la Révolution industrielle, pour laquelle on a surtout étudié les trajectoires à succès. Or les faillites rythmaient le quotidien de la vie économique, même en période de prospérité. Pieter De Reu, doctorant à l’université de Gand et chercheur FWO au centre de recherches Contextual Research in Law (CORE) de la Vrije Universiteit Brussel (VUB), propose d’explorer cette question à partir de la jurisprudence anversoise durant la Belle Époque. La faillite était alors encadrée en Belgique par quatre dispositifs : un concordat postérieur à l’insolvabilité et soumis à des conditions très favorables aux créditeurs, introduit par le Code commercial napoléonien (1807) ; un sursis de paiement d’un an maximum, antérieur à l’insolvabilité, introduit par la loi du 18 avril 1851, mais peu utilisé dans la pratique judiciaire (avec un déclin très net vers la fin du siècle) ; un concordat accéléré, postérieur à l’insolvabilité, mais là aussi inconnu dans la pratique judiciaire (et du reste aboli par la loi du 29 juin 1887) ; et enfin une quatrième solution, plus favorable au débiteur et témoignant d’une approche nouvelle, pionnière en Europe, pariant sur la viabilité des entreprises : le concordat préventif, antérieur à l’insolvabilité, introduit par la loi du 20 juin 1883 et rendu définitif par celle du 29 juin 1887 (ce cadre ne changera plus avant la loi du 10 août 1946). Le concordat préventif a dès lors la faveur. Prenant le relais de premiers travaux réalisés par des historiens sur le tribunal du commerce de Namur, Pieter De Reu s’attache ici à la pratique judiciaire du tribunal de commerce d’Anvers, pour la période 1883-1914, dans une démarche qui combine l’histoire socio-économique et l’histoire du droit. Si le nombre de faillites augmente de façon tendancielle dans la seconde moitié du 19e siècle et au début du 20e siècle, le nombre de concordats préventifs augmente dans une proportion plus forte, ce qui démontrerait l’utilité de ce dernier dispositif en soutien de l’économie. De surcroît, dans la région anversoise, on assiste même à une diminution du nombre de procédures en insolvabilité et du nombre de faillites commerciales, corrélativement à l’augmentation du nombre de concordats préventifs. Tout un monde défile : diamantaire, marchand en grain, constructeur naval, artistes, négociants, détaillants, hommes et femmes, individus et sociétés, et des créditeurs multiples, parfois jusqu’en Afrique du Sud. Même si le dispositif avait ses détracteurs dans la doctrine, il semble avoir permis de maintenir en vie nombre de commerces et d’entreprises en difficulté temporaire, et d’avoir ainsi contribué à la vitalité économique de la Belle Époque.
13« La vie » et « la mort » sont des sujets juridiques et historiques pouvant être abordés sous de nombreux angles. Ce numéro des Cahiers du CRHiDI propose les approches de quelques chercheurs s’intéressant aux 17e, 18e et 19e siècles. Si ces contributions ne couvrent certes que quelques aspects de la problématique, elles témoignent par leur diversité de la richesse de la recherche en histoire du droit. Puisse leur découverte susciter, en retour, de nombreuses questions et réflexions auprès des lecteurs.
Voetnoten
1 Pour une présentation générale du colloque, suivie des résumés de communication fournis par les auteurs, voir Christian Pfister-Langanay, Actualités. Société d’histoire du droit et des institutions des pays flamands, picards et wallons, dans Revue du Nord, tome 102, 2020, n° 434, p. 239-258.
Om dit artikel te citeren:
Over : Éric Bousmar
Éric Bousmar est professeur ordinaire à l’Université Saint-Louis - Bruxelles et co-directeur du CRHiDI. Docteur en histoire de l’UCL et diplômé en études médiévales de la KU Leuven, ses travaux portent d’une part sur les pouvoirs, la société et les mentalités dans les anciens Pays-Bas, en particulier durant la période bourguignonne (XVe-XVIe siècle), et d’autre part sur le rapport au passé et la pratique du métier d’historien (cette dimension comporte notamment l’étude des rapports entre histoire et mémoire et des rapports entre littérature et histoire ; sont en particulier envisagés les cas de la Belgique, de l’Etat bourguignon et du Brabant).
Over : Stanislas Horvat
Stanislas Horvat est docteur en droit et professeur à l’École royale militaire (Bruxelles), où il dirige la Chaire de droit. Ses travaux portent notamment sur l’histoire de la justice militaire. Il est vice-président de la Société d’histoire du droit et des institutions des Pays flamands, picards et wallons.