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- Vol. 46 - 2023
- Poster - Les Italiens de 1946, pas seulement des mineurs. Les Italiens de la Céramique Nationale, de Vicenza à Welkenraedt (Éditions de la Province de Liège, juin 2021)
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Poster - Les Italiens de 1946, pas seulement des mineurs. Les Italiens de la Céramique Nationale, de Vicenza à Welkenraedt (Éditions de la Province de Liège, juin 2021)
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Annexes
Résumé
En 1946, les Italiens ne viennent pas tous travailler dans les mines : 130 travailleurs de la province de Vicenza arrivent en 1946-47 dans l’entreprise Céramique Nationale de Welkenraedt. L’usine, désaffectée, a été détruite. Par ailleurs, les descendants des travailleurs restés sur place paraissent parfaitement intégrés. Cette immigration est-elle vouée à l’oubli ? La recherche, basée sur des témoignages et la consultation des registres de population de la commune, met en lumière la diversité des profils de ces immigrés. Elle se penche sur leurs trajectoires, leurs conditions de vie et de travail en Italie puis à Welkenraedt, et leur devenir après une expérience de durée variable dans l’entreprise. Enfin, elle interroge la deuxième génération sur ses liens avec les racines transalpines. Ce travail, qui se veut une contribution à la mémoire intrafamiliale et à la mémoire collective, a été publié avec le soutien de la Province de Liège.
Abstract
In 1946, the Italians did not all come for a job in the mines: 130 workers from the province of Vicenza arrived in 1946-47 in the factory Céramique Nationale of Welkenraedt. The company no longer exists, the descendants of the workers who remained in Belgium seem to be perfectly integrated: is this immigration doomed to oblivion? The research, based on testimonies and the consultation of the population registers of the municipality, brought to light the diversity of the profiles of these people. It examines their trajectories, their living and working conditions in Italy and then in Welkenraedt, and their future after a variable length of experience in the company. The research finally focuses on the links maintained by second-generation people with their Italian roots. This work, which aims to be a contribution to intra-family and collective memory, has been published with the help of the Province of Liège.
Table des matières
1Cette recherche porte sur un segment de l’immigration italienne de l’immédiat après-guerre spécifique à plusieurs égards : la provenance des travailleurs, tous de la région de Vicence ; l’entreprise dans laquelle ils ont été engagés, la Céramique Nationale, réputée pour ses pavés de céramique, et la situation dans la province de Liège, en dehors des bassins bien connus de l’immigration italienne liés aux charbonnages.
2Le principal objectif de cette recherche, et de l’ouvrage qui en découle, est de contribuer à un travail de mémoire à divers niveaux : mémoire intrafamiliale, mémoire ouvrière, mémoire de l’immigration. Il s’agit aussi, dans les pas du sociologue Marco Martiniello, de déconstruire ce qu’il nomme « le mythe de l’immigration italienne parfaitement réussie »1. Le défi de la publication a consisté à en faire un rapport de recherche accessible à tous, respectant néanmoins les exigences d’un travail scientifique.
1. Des récits et des registres
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La démarche a commencé pourtant de façon assez empirique, par des entretiens pour un projet de documentaire sur les Italiens liés à la Céramique Nationale. Le film n’ayant pu voir le jour, l’écrit s’est imposé. Une recherche bibliographique et documentaire a été menée, tout comme la quête d’informations fiables pour étayer les entretiens.
4C’est une approche qualitative qui a été privilégiée, via des entretiens approfondis semi-directifs. Les témoins ont été mobilisés via notre réseau personnel et l’implication d’une personne-relais. Grâce à l’effet boule de neige – snowball sampling2 – 35 entretiens (représentant 38 personnes) ont été réalisés. L’un des premiers interviewés, en effet, avait fourni divers documents photocopiés, dont l’origine était incertaine. Parmi ceux-ci, une liste d’une cinquantaine de personnes italiennes, souvent apparentées, qui auraient été engagées à la Céramique Nationale entre 1946 et 1947. Les repreneurs de l’entreprise, qui a fermé définitivement en 2000, nous ayant assuré que les archives n’existaient plus, nous avons consulté les registres des étrangers de la commune de Welkenraedt. Ceux-ci ont révélé un nombre d’inscrits, sur une année, bien supérieur à ce qui était attendu. La recherche, dès lors, s’est enrichie d’un volet quantitatif. De plus, la découverte de trois feuilles volantes dispersées dans les registres a constitué une source digne de foi : la liste transmise par l’entreprise pour l’inscription, entre octobre et décembre 1946, de 52 travailleurs italiens. Nous avons tenté de reconstituer leurs trajectoires.
2. Des situations professionnelles et sociales diversifiées en Italie
5À l’instar du jeune chercheur Germano Mascitelli qui s’est employé à « sortir les victimes de Marcinelle de l’anonymat »3, nous avons souhaité souligner la diversité des profils des travailleurs italiens de la Céramique Nationale. Ces hommes avaient connu la guerre, soldats puis prisonniers dispersés dans divers pays éloignés du leur. La région d’origine commune de ces travailleurs a pu masquer, a posteriori, les disparités entre citadins et ruraux : sur les 130 inscrits à la commune de Welkenraedt entre octobre 1946 et octobre 1947, 40 étaient précédemment domiciliés à Vicence, 70 000 habitants à l’époque. Une épouse – arrivée après un mariage par procuration comme plusieurs autres – ne s’attendait pas à se trouver « au milieu des vaches ». Les dialectes, sensiblement différents entre la montagne et la plaine, pouvaient faire l’objet de moqueries. Les occupations de ces travailleurs avant leur immigration ne sont connues que par les témoignages, car tous ont été inscrits à la commune comme « ouvriers céramistes ». Quelques-uns avaient étudié et parlaient déjà le français à leur arrivée en Belgique. Un propriétaire terrien déchu, un garagiste dont l’affaire « marchait du tonnerre de Dieu », un employé, des manœuvres du bâtiment et des journaliers se sont retrouvés ensemble dans cette entreprise boudée par les Belges des environs.
3. Alternative à la mine ou regrettable méprise ?
6L’observation de l’âge des travailleurs à leur arrivée nous a amenée à émettre une hypothèse. La Céramique Nationale a pu se poser comme alternative à la mine pour les candidats à l’émigration qui avaient dépassé 35 ans, limite d’âge imposée dans les accords dits du charbon4. En effet, sur les 130 travailleurs recensés, 31 avaient au-delà de cet âge. Les plus vieux, des pères venus rejoindre leur fils, avaient 52 et 58 ans. Jeunes et moins jeunes espéraient sans doute de meilleures conditions de travail qu’à la mine. Or, pour ceux qui étaient devant les fours, la pénibilité était comparable.
7La veuve d’un travailleur nous a confié que son mari pensait qu’il s’agissait d’une « céramique artistique ». Deux amis, qui avaient étudié à l’Académie des Arts de Vicence, n’ont pas fait carrière à Welkenraedt. L’un est reparti en Italie, l’autre a émigré avec son épouse belge aux États-Unis. Leur fille, que nous avons retrouvée, ignore ce que son père connaissait de l’entreprise avant d’y être engagé.
4. « Une pénitence d’apprendre une langue que je ne parlais pas »
8Le rapport à la langue des parents est un indicateur intéressant lorsque l’on s’intéresse à la deuxième génération, comme l’a fait Isabelle Felici5. Les enfants des travailleurs de la Céramique Nationale rencontrés expriment vis-à-vis de l’Italie tout un éventail de sentiments, de la haine farouche à l’amour inconditionnel. Ils ont parfois dû apprendre l’italien via les cours du Consulat et des séjours estivaux peu réjouissants. La situation était d’autant plus particulière pour les enfants de couples mixtes qui parlaient le français à la maison.
5. Difficultés rencontrées et limites
9La connaissance du dialecte vicentin aurait été une plus-value lors des rencontres des deux personnes les plus âgées, derniers témoins directs. Les entretiens en Belgique ont tous été menés en français. Ils se sont déroulés en italien avec deux personnes vivant en Italie.
10Une question éthique s’est posée lors de la rédaction. Bien que l’accord des interviewés ait été obtenu pour citer leurs nom et prénom, seuls le prénom et l’initiale du nom de famille ont été utilisés. Ceci à la fois pour préserver une certaine intimité et pour assurer, au point de vue de l’écriture, une harmonie avec les mentions de personnes figurant dans les registres, pour lesquelles nous n’avions pas d’autorisation des familles.
11En termes de genre, il est regrettable que les données des registres de population soient centrées sur les chefs de famille. Une recherche plus approfondie pourrait se centrer sur les épouses et les filles des travailleurs afin d’estimer, entre autres, la part de celles engagées dans l’entreprise.
12À l’issue de ce travail, quelques interrogations subsistent. Les engagements en Italie se sont faits par l’intermédiaire de l’Ufficio Provinciale del Lavoro (Bureau provincial du Travail) de Vicence. Or, la raison pour laquelle l’entreprise est entrée en contact spécifiquement avec cet organisme et les modalités restent inconnues. La provenance de certains documents photocopiés et non datés, telle une demande d’enrôlement ouvrier, n’a pu être établie. Les témoignages fluctuent au sujet de la durée minimale d’engagement et aucune information n’est disponible sur ce point. Un premier départ « sans laisser d’adresse » est mentionné dans les registres de la commune de Welkenraedt dès juin 1947 pour une personne arrivée en octobre 1946.
13Une autre limite tient à ce que l’historien italien Amoreno Martellini6 appelle memorie de seconda mano, des souvenirs de seconde main ou témoignages indirects, en l’occurrence ceux d’enfants ou de veuves de travailleurs. Ils offrent néanmoins un avantage : celui d’appréhender la transmission de la mémoire au sein des familles.
6. Un projet multidimensionnel
14Cette recherche s’est voulue ancrée dans le présent. Elle a permis de recréer du lien entre des personnes qui ne s’étaient pas vues depuis des décennies. Des interviewés ont été réunis dans une ambiance festive et conviviale, au centre culturel de Welkenraedt, pour être informés de l’évolution du projet. Une octogénaire belge a été remise en contact avec son filleul italien.
15Nous avons souhaité conserver la démarche créative et artistique qui devait, à l’origine, aboutir à un film documentaire. Cela s’est concrétisé par le partenariat avec un artiste local d’origine italienne, Raphaël Demarteau7. Il s’est inspiré des récits collectés pour créer dessins, peintures et sculptures. Il a réinterprété des photos de famille, leur conférant un caractère symbolique puissant. Les photos de ses travaux illustrent le livre, couverture comprise. Une exposition des œuvres originales a eu lieu à Liège en mai 2022 avec le soutien de la Fondation Euritalia. Le projet désormais est d’exposer en Italie et de faire publier la version italienne de l’ouvrage. Il nous tient à cœur de restituer à la région de Vicence cet épisode de son histoire.
Notes
1 M. Martiniello, Pour une approche transdisciplinaire de l’expérience migratoire et post-migratoire italienne en Belgique, dans Recherches nouvelles sur l’immigration italienne en Belgique, éd. A. Morelli, Bruxelles, Éditions Couleur livres, 2016, p. 155.
2 D. Bertaux, Le récit de vie, Paris, Armand Colin, 2016, p. 60.
3 G. Mascitelli, Sortir les victimes de Marcinelle de l’anonymat, dans Retour sur Marcinelle, éd. A. Morelli, et N. Verschuren, Bruxelles, Éditions Couleur livres, 2018, p. 64.
4 Protocole entre la Belgique et l’Italie concernant le recrutement de travailleurs italiens et leur établissement en Belgique signé à Rome le 23 juin 1946.
5 I. Felici et J-C.Vegliante, Enfants d’Italiens, quelle langue parlez-vous ?, Toulon, GEHESS, 2009.
6 A. Martellini, Abasso di un firmamento sconosciuto. Un secolo di immigrazione nelle fonti autonarrative, Bologne, Il Mulino, 2018, p. 25.
Pour citer cet article
A propos de : Nathalie Mignano
Née en France en 1961, d’un couple franco-italien, Nathalie Mignano est établie en Belgique depuis 1999. Travailleuse sociale et sociologue (Université de Nancy), elle a travaillé dans le milieu associatif et la fonction publique. Nathalie Mignano a créé son activité Italique au sein de la coopérative Smart. Elle vient de terminer la biographie d’un Italien octogénaire, figure majeure du secteur de la pierre en Wallonie : Victor Brancaleoni, des marais Pontins aux carrières wallonnes, Victor Brancaleoni éditeur, Liège, 2022, avec le soutien de la Province de Liège.