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Repolitiser et revisibiliser l’humanité commune : spécificités locales de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés
Résumé
Dans un contexte de crise politique autour de la gestion des migrations en Europe, des initiatives citoyennes émergent et construisent la solidarité avec les personnes migrantes. Ces actions d’hospitalité mobilisent des milliers de citoyen·nes, donnent naissance à des projets innovants et suscitent des réactions allant de la criminalisation à l’appropriation de pratiques par les pouvoirs publics. À partir de deux enquêtes ethnographiques menées dans la ville de Bruxelles et dans la région de la Hesbaye, en Belgique, nous proposons une analyse de cette action collective autour de deux axes : l’un sur les effets d’humanisation des rencontres entre citoyen·nes et migrant·es ; et l’autre sur les enjeux d’invisibilisation et de survisibilité, à la fois en conséquence des politiques migratoires, mais aussi en tant que moyen d’action d’un mouvement social. Cette approche nous permettra de nous inscrire dans le débat autour de l’articulation entre l’action politique et l’action humanitaire.
Abstract
In a context of political crisis over migration management in Europe, citizens’ initiatives are emerging to build solidarity with migrants. These hospitality initiatives mobilise thousands of citizens, give rise to innovative projects and trigger reactions ranging from criminalisation to the appropriation of practices by public authorities. On the basis of two ethnographic research projects carried out in the city of Brussels and in the Hesbaye region, in Belgium, we propose a two-fold analysis of this collective action: one focusing on the humanising effects of encounters between citizens and migrants; and the other on the issues of invisibilisation and overvisibility, both as a consequence of migration policies and as a means of action within a social movement. This approach will enable us to join the debate on the articulation between political and humanitarian action.
Table of content
Introduction
1C’était un soir d’octobre 2018, à Landen, une ville flamande à l’est de Bruxelles située à proximité de la frontière linguistique entre la Flandre et la Wallonie. Un père vient chercher sa fille à la gare lorsqu’il voit arriver des fourgons et quelques dizaines de policiers qui se placent sur le quai, devant le train, attendant l’ouverture des portes. Il se fait que ce père est par ailleurs un citoyen engagé dans l’accueil des exilé·es dans la région : un « hébergeur », ce qui lui permet de rapidement comprendre qu’il s’agit une opération de police ciblant des personnes « migrantes en transit », visant des arrestations groupées et l’envoi en centre de détention. Les policiers arrêtent vingt-neuf jeunes hommes et les placent à terre en tailleur et menottés, les dos des uns emboités dans les jambes des autres, la tête baissée. Sur place se trouve également Théo Francken, secrétaire d’État belge à l’Asile et à la Migration de l’époque, appartenant au parti nationaliste flamand N-VA, qui s’est déplacé en personne pour assister et communiquer sur l’opération. Il s’empresse de prendre la scène en photo pour la partager dès le lendemain sur le réseau social Twitter accompagné de la phrase : « Nous poursuivons le travail ».
Illustration 1 : Publication Twitter de Théo Francken du 2 octobre 20181
2À quelques mètres de là, l’hébergeur saisit lui aussi son téléphone pour filmer la scène, mais dans un but différent : celui d’être le témoin de la brutalité de ces arrestations, de dénoncer la violence cautionnée par le secrétaire d’État en personne, de partager avec le mouvement citoyen duquel il fait partie la maltraitance et les humiliations subies par ceux qu’il s’est habitué à appeler les « hébergés », les « invités » ou tout simplement les « gars ». Les policiers lui ordonnent alors d’arrêter de filmer, il leur rétorque qu’il connait ses droits, qu’il peut légalement filmer sans que cela ne représente une entrave à l’opération. Les policiers insistent, deviennent agressifs, le passent à tabac et éclatent son téléphone par terre. S’ensuit une scène d’agression, l’hébergeur finit menotté et emmené à l’hôpital. Les jeunes hommes, eux, sont embarqués dans des fourgons. Au lendemain de cette scène, l’hébergeur, Diego Dumont – qui est alors coordinateur du collectif belge Hesbaye, terre d’accueil – rapporte les faits dans la presse et se demande :
Est-ce qu’il faudra attendre que chacun ait subi lui-même la violence et la haine de l’autre pour que suffisamment de personnes se dressent contre ceux qui les institutionnalisent ? Quand ce moment sera arrivé, est-ce qu’il ne sera pas trop tard ?2
3L’épisode que nous venons de décrire s’inscrit dans un contexte de politique migratoire européenne marqué par le paradigme sécuritaire, mais aussi celui d’une mobilisation citoyenne qui se dresse contre le non-accueil, qui s’efforce à la fois d’atténuer et de dénoncer la violence que ces politiques font subir aux personnes migrantes. Il permet d’introduire notre réflexion, à savoir l’articulation entre les effets déshumanisants et invisibilisants de la politique migratoire belge et l’implication de milliers de citoyen·nes dans des formes de solidarité, d’humanisation et de mise en visibilité des vécus des personnes migrantes en Belgique.
4Nous commençons par introduire le contexte de politique migratoire (point 1) et l’émergence de la mobilisation citoyenne (point 2). À partir d’une enquête de terrain, notre analyse de cette action collective se structure alors autour de deux axes : l’un sur les effets de déshumanisation politique et de (ré)humanisation des personnes migrantes au travers des rencontres et de l’interconnaissance entre citoyen·nes et migrant·es dans le cadre d’actions de solidarité (point 3) ; et l’autre sur les enjeux d’invisibilisation et de (sur)visibilité de la question migratoire dans l’espace public à la fois en conséquence de l’exclusion générée par les politiques migratoires, mais aussi en tant que répertoire d’action d’un mouvement social (point 4). Nous mettons donc les deux en perspective – les politiques migratoires et les réactions citoyennes qu’elles génèrent – et analysons les effets de cette mobilisation citoyenne, rejoignant le débat des sciences sociales autour de l’articulation entre l’action politique et l’action humanitaire, dans le cadre des migrations en Europe.
Politiques de déshumanisation
5Le paradigme sécuritaire dans la gestion des frontières externes a marqué les politiques migratoires belge et européenne des dernières décennies. Les politiques de restriction et de dissuasion se sont intensifiées au détriment du droit à l’asile et de la protection de ceux et celles qui arrivent aux côtes de l’Europe3. Au-delà du renforcement des frontières physiques4, les États européens ont institué des obstacles dans l’accès aux procédures légales et au droit d’asile5 (y compris par des entorses à l’État de droit6) et ils ont intensifié la traque, la criminalisation et le bannissement des personnes migrantes7 dans l’espace européen. Ces politiques migratoires s’appuient sur des récits de crise et de gestion par le contrôle, ainsi que des rhétoriques de menace8 et d’invasion empruntées à l’extrême droite et largement disséminées par le discours politique et médiatique autour de la question9. La production de catégories autour de l’exil (les réfugié·es, les migrant·es, les sans-papiers, etc.) génère une « acceptabilité morale »10 dans la gestion et le tri des « indésirables »11, participant de la délégitimation de ces personnes que l’on cherche à contrôler, à expulser et à réduire à des statistiques ou des contributions financières entre pays, ce qui revient à « parachever cette déshumanisation »12. Tout comme les pratiques d’exclusion concrètes, ces discours et représentations participent donc d’une déshumanisation « programmée »13 des personnes qui migrent, en exacerbant leur mise à distance au sein des sociétés d’accueil. C’est au départ de celle-ci que nous déployons dans le point trois du présent article notre premier axe d’analyse : la démarche de (ré)humanisation des personnes migrantes par la rencontre et la mise en récit promues par la solidarité citoyenne, en tant qu’action politique.
Politiques d’invisibilisation et de survisibilité
6La question de la déshumanisation des exilé·es par les politiques migratoires et par les discours et cadrages qui les appuient peut être liée à celle de leur visibilité.
7D’une part, les politiques migratoires génèrent la survisibilité des migrant·es dans l’espace public14 : en raison de l’exclusion des procédures d’accès au séjour, on observe la prolifération de situations de sans-abrisme dans les rues et les gares des villes européennes ou dans des campements de fortune, des « hors-lieux »15. Cette présence survisibilisée sert alors à justifier des rhétoriques de répression et de rejet suivant la fameuse formule « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde »16, alors que cette misère est elle-même provoquée par ces décisions d’exclusion et par une « politique de la perdition »17. D’autre part, en parallèle de la survisibilité des personnes migrantes, les politiques migratoires génèrent aussi l’invisibilisation de leurs vécus singuliers. L’impossibilité d’accès au séjour leur impose souvent une vie quotidienne marquée par la vulnérabilité et l’insécurité. Privées de droits et de protection, vivant dans la crainte d’arrestations et d’expulsions, elles sont poussées à se soustraire du regard public et à mener une vie cachée. Ainsi, l’invisibilisation, tout comme le transit et l’errance, se matérialise comme conséquence des politiques restrictives18. La « construction de l’invisibilité »19 découle du blocage de l’accès aux procédures et de la privation de toute forme de soutien institutionnel, qui génère moins l’expulsion que la précarité et la violence de ceux et celles qui restent, l’« encampement » aux frontières ou en marge de la société20, mais aussi la répression et l’évacuation de ces camps visant à les faire disparaitre de l’espace public21. C’est donc autour de la question de la visibilité qui se développe notre deuxième axe d’analyse (point quatre du présent article) : la visibilisation des vécus singuliers des personnes migrantes en tant qu’outil de la mobilisation citoyenne, ainsi que la mise en visibilité de leur présence dans l’espace public, contrariant les effets de la politique migratoire.
Mobilisations citoyennes et action politique
8La déshumanisation par les pratiques et les discours s’accompagne donc de la relégation des migrant·es dans ces espaces d’exclusion, parfois au cœur des villes. Or, comme le décrit l’anthropologue Michel Agier :
S’il n’y a pas d’habitants qui viennent marquer des formes de solidarité à ceux qui rejoignent ce campement, leur apporter des vêtements, de la nourriture, qui créent un échange avec eux et ouvrent cet espace, et si cet espace se renferme, il y a alors la mise en œuvre d’un dehors à l’intérieur même de la ville, un espace d’exclusion. Je ne crois pas du tout que ce soit un processus inévitable de la ville en tant que telle, c’est un ensemble de forces politiques, gouvernementales qui produisent ces mises à l’écart.22
9C’est justement cette capacité des citoyen·nes à ouvrir, relier et intégrer des espaces d’échange et d’inclusion dont fait l’objet notre analyse. En réaction aux effets excluants des politiques migratoires, des mobilisations solidaires ont émergé un peu partout en Europe23. Au sein de ces mobilisations, certaines études en sciences sociales ont cherché à saisir le sens de cette forme d’action et ont mis en évidence deux registres en tension : celui de l’action humanitaire et celui d’une action politique. Depuis, de nombreuses recherches ont apporté des perspectives critiques sur l’approche humanitaire, ou l’humanitarisme, dans ses effets de (dé)politisation sur la gestion étatique des frontières et des migrations24. Mathilde Pette a notamment étudié l’action des bénévoles à Calais en plaçant leur intervention entre le « pôle de l’attestation » et celui de la « contestation »25. De la même manière, Michael Barnett analyse la politisation de l’humanitarisme traditionnel, remettant en question cette opposition entre l’action humanitaire et éthique d’un côté, et l’action politique et de pouvoir de l’autre26. Robin Vandevoordt et Gert Verschraegen, à Bruxelles, proposent l’idée de « subversive humanitarianism »27, pour caractériser une action humanitaire qui produit un effet de remise en question de l’ordre dominant. Elsa Mescoli, Antoine Roblain et Pieter Griffioen ont démontré comment la redéfinition de relations interpersonnelles au sein des collectifs encourage la politisation des mouvements humanitaires28. Ces différentes recherches ont mis en évidence le fait que ces deux principaux registres, qui tendent au départ à être opposés, méritent d’être analysés en tenant compte de l’historicité de l’action collective et des contextes locaux dans leur évolution et dans leur capacité à produire des effets sur la politisation et l’engagement des individus29. C’est donc à partir de cette tension que nous abordons l’analyse.
10Le présent article mobilise les résultats de deux enquêtes ethnographiques menées respectivement par ses deux auteures autour de la même mobilisation citoyenne : l’une centrée sur Bruxelles, avec un terrain d’observation participante au sein des espaces de coordination de l’hébergement citoyen entre 2017 et 2019, complété par une série de 18 entretiens et l’analyse de dizaines de témoignages sur les réseaux sociaux de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés ; et l’autre ancrée dans la région de la Hesbaye, en province de Liège, avec un terrain d’observation participante entre 2021 et 2023 au sein du collectif Hesbaye, terre d’accueil complété par vingt-et-un entretiens et par un travail de recherche documentaire, des réseaux sociaux et de la presse locale. Nous proposons de mettre en perspective nos observations avec des travaux scientifiques menés dans le même contexte et de rejoindre le débat autour du sens et des effets de ces mobilisations solidaires, avec un focus sur la région de la Hesbaye. À partir d’une mise en lumière de ces spécificités locales, notre analyse nous permet de proposer une réflexion plus globale sur les effets de cette mobilisation dans le contexte de politique migratoire belge et européenne, et de rejoindre le débat sur la manière dont s’articulent action politique et action humanitaire. Avant d’entrer au cœur de cette réflexion, revenons sur la genèse de cette organisation à Bruxelles et ensuite en Hesbaye.
L’émergence de l’action collective
11L’histoire de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés (ci-après, la Plateforme) débute à l’été 2015, dans un contexte de « crise de l’accueil » en Europe30. Le parc Maximilien, logé dans le quartier nord de la capitale belge, a été le théâtre d’un campement de tentes. Celui-ci a vu converger des candidat·es à l’asile dans l’attente de déposer leur demande de protection à l’Office des Étrangers, des collectifs militants de « sans-papiers », des ONG humanitaires et des centaines de citoyen·nes bénévoles qui se sont rassemblé·es pour créer la Plateforme. Lorsqu’en 2017 ce même parc voit arriver des migrant·es dit·es « en transit », devenant la cible de rafles policières, de quotas d’arrestations et d’enfermement en centres de détention31, les bénévoles retournent vers le terrain pour leur venir en aide. Ces citoyen·nes commencent par distribuer de la nourriture, des vêtements et des produits d’hygiène puis par orienter les personnes en fonction de leurs besoins vers des services d’aide médicale ou juridique. Ils et elles découvrent qu’aux conditions précaires de la vie dans la rue s’ajoutent la violence et la privation de droits qui leur étaient réservées par la politique migratoire belge32. Dans un premier temps, cette présence reste circonscrite au quartier nord de Bruxelles et assez inconnue dans le reste du territoire belge. Lorsque la Plateforme lance une initiative d’hébergement citoyen, la problématique prend une ampleur nationale. Des milliers de citoyen·nes venu·es de partout en Belgique répondent à l’appel et s’engagent pour organiser l’accueil à domicile et les transports, récolter de la nourriture, des vêtements et des biens essentiels à la survie. De même, ils tentent aussi de visibiliser cette question notamment par le biais de témoignages sur les réseaux sociaux33.
12En vue de faciliter leur coordination, les bénévoles s’organisent en sous-groupes appelés antennes régionales. Parmi celles-ci, nous prêtons une attention particulière à celle appelée Hesbaye, terre d’accueil. La Hesbaye – région naturelle située à l’est-sud-est de Bruxelles et étendue sur plusieurs provinces en Wallonie et en Flandre, au nord de la Meuse – est caractérisée par une importante activité agricole due à la fertilité de ses sols riches en limon, lui valant parfois le surnom de « grenier à blé de la Belgique ». Au niveau des infrastructures, elle est aussi traversée par des axes routiers privilégiés des navetteur·euses – et par les dit·es migrant·es « en transit » -, notamment l’autoroute E40 reliant l’Allemagne à Liège et à Bruxelles (en direction de la Manche et de Calais).
13Le collectif est créé à l’automne 2017 sous la forme d’un groupe Facebook ayant pour but de rassembler et de faciliter la coordination locale des bénévoles souhaitant prendre part à l’action de la Plateforme. Son action s’organise principalement en Province de Liège, dans des communes « rurales » ou « semi-rurales ».34 À l’instar de nombreux territoires ruraux, avant l’émergence de l’initiative solidaire, la Hesbaye n’avait jusqu’alors pas ou peu été confrontée aux problématiques migratoires. Cela ne l’empêchera pas pour autant de se révéler être un terreau fertile pour des pratiques hospitalières. En effet, de tels « espaces périphériques » peuvent faire preuve d’une certaine « capacité d’innovation sociale »35 en matière d’accueil et de solidarité en ce qu’ils représentent un milieu marqué par « [une] proximité des réseaux d’interconnaissance […], [une] plus faible tension du marché́ immobilier, [une] pression moindre d’un public en exil en nombre plus réduit, [des] expositions différenciées à la diversité rendant les exilé·es plus ou moins visibles, [un] rôle de la distance aux administrations en charge du suivi de l’asile, [des] risques de contrôles policiers différenciés »36. C’est ainsi que si le collectif a toujours revendiqué son appartenance à la Plateforme, il présente des particularités qui ont donné lieu à l’émergence de pratiques de solidarité et de dynamiques d’accueil qui lui sont spécifiques. À la différence de Bruxelles où près de 500 personnes sont hébergées quotidiennement au départ du parc Maximilien, l’hébergement citoyen s’organise en Hesbaye hebdomadairement avec une capacité d’accueil qui atteint la centaine d’hébergé·es durant les weekends. Le groupe Facebook dépasse les 1 200 membres, avec jusqu’à 170 familles hébergeuses inscrites dans les listes de la Plateforme. Durant des mois, la région est portée par cette dynamique inédite, suscitant l’enthousiasme de ses participant·es :
10 000 Nuitées37. C’est ce que Vnous38 avez réalisé en Hesbaye ! C’est aussi des centaines de repas distribués, des soins prodigués, du matériel recherché, de la solidarité, de l’accueil, des sourires, des larmes… On ne lâche rien !39
14Le collectif citoyen en Hesbaye démarre sur le mode de l’horizontalité, de la spontanéité et du bénévolat. Il se veut, comme l’explique son coordinateur, « une organisation sans hiérarchie bien définie, où les bénévoles peuvent avoir un espace de parole et de rencontre »40, où chacun·e est sur un pied d’égalité et libre d’amener ses idées. En réalité, l’action est rapidement chapeautée par un petit groupe composé d’une dizaine de volontaires de la première heure surnommés les Vieux Vnous, jouant le rôle de conseil de direction. Le collectif hesbignon fonctionne donc suivant une structure informelle portée par des leaders qui contribuent à donner cohérence et consistance au collectif41. Dans ce contexte, nous constatons l’influence des réseaux d’interconnaissance dans l’engagement solidaire42. Les bénévoles de Hesbaye, terre d’accueil soulignent le fait d’avoir un·e proche, un·e voisin·e, un·e ami·e devenu·e hébergeur·euse comme un incitant à se mobiliser43 et à oser, à son tour, ouvrir sa porte à cet « étranger qui arrive »44. D’ailleurs, parmi les protagonistes à l’initiative de l’antenne régionale, Diego et Anne, gérant·es d’un commerce local, étaient déjà des figures bien connues dans la région. Dès le début de la mobilisation, le mouvement s’est rallié à leur rôle de moteurs :
Et dans le groupe, oui Diego, de par sa position de leader est quelqu’un d’incontournable. On sentait bien que l’enthousiasme des débuts tenait à la personnalité de Diego et Anne. C’est des personnes qui marquent un périple.45
15En apprenant l’existence de cette mobilisation par le couple, de nombreux·ses riverain·es suivent leur action et relaient les appels auprès de leurs proches. Au-delà des réseaux d’interconnaissance sur lesquels elle s’appuie, l’initiative citoyenne génère aussi des rencontres. En s’engageant dans une même cause et en se retrouvant autour d’une pratique commune d’hébergement, ces citoyen·nes se découvrent des sensibilités partagées et nouent de nouvelles relations. La création de nouveaux liens sociaux entraine un sentiment d’appartenance à un groupe :
J’avais l’impression d’être dans un réseau de résistance ! Waouh incroyable quoi, j’avais l’impression d’avoir ouvert une porte et que tous ces gens que je voyais tous les jours en fait dans la ville, tout à coup ils faisaient plein de trucs tous, trop chouettes. Donc c’était, ça c’est très gai quoi, de se dire… « Ah, mais oui, mais lui, c’est elle » et donc sur Facebook « ah, mais oui en fait je t’ai déjà vu » ou bien « je suis déjà venue déposer un repas, je ne savais pas que c’était toi ». Voilà, donc oui pour moi c’était vraiment un réseau avec vraiment des rayons centraux incroyables et alors plein de petites ramifications partout.46
16En rejoignant Hesbaye, terre d’accueil, même par de petites actions, la « conscience d’appartenir à une dynamique collective »47 se développe et lie des citoyen·nes dans toute la région. Cette dynamique inédite invite les riverain·es à redécouvrir la vie locale sous un nouveau jour, suscitant la surprise, la joie et la fierté envers leur territoire et ses habitant·es. L’action citoyenne a ainsi comme impact celui de rassembler des citoyen·nes, de s’appuyer sur l’interconnaissance et de les faire se rencontrer autour d’une action concrète d’accueil au niveau local. Nous nous sommes alors intéressées à leurs motivations de départ, ainsi qu’aux effets de politisation identifiés dans leurs discours sur l’engagement, que nous analysons dans les prochains paragraphes.
Un engagement humanitaire qui politise
De l’engagement politique à la politisation par l’action
17Parmi les récits des bénévoles, en particulier de celles et ceux engagé·es depuis les débuts de la Plateforme en 2015, nous trouvons un registre qui pourrait être qualifié de « politique » par le fait qu’il perçoit l’engagement citoyen comme une manière de prendre position face à la politique migratoire telle que suivie par la Belgique et l’Europe, dans l’idée de joindre les convictions aux actes.
Dimanche soir, ce fut la fois où des dizaines de citoyens ont fait bloc. Bloc contre une politique migratoire nauséabonde. Stop aux mensonges, stop aux jeux électoraux. […] Ce soir, les citoyens étaient là, comme depuis des dizaines de jours, à accueillir des inconnus. À leur offrir un toit. En leur prouvant que la Belgique n’est pas que des policiers complètement zélés, des politiques à gerber. […] Ce soir, au lieu de gants, masques, violences, nous avons décidé, comme des dizaines de citoyens, de les accueillir avec humanité. Avec humanité que tout être humain devrait avoir. […] Ce soir, ce que j’ai vu au parc m’a rendue fière. Fière d’être dans un pays, qui, même avec l’intimidation psychologique et institutionnelle, ne réduit pas la solidarité. Ce soir, le même sentiment m’est apparu qu’il y a deux ans [2015], au même endroit, au parc.48
18Dans les années 2017 et 2018, l’initiative d’hébergement citoyen au départ du parc Maximilien à Bruxelles produit un effet de mise à l’agenda médiatique des migrant·es en transit, jusque-là inconnu·es dans le récit public49. Les citoyen·nes deviennent alors des « entrepreneurs de problèmes »50, proposant de nouveaux cadrages qui permettent de « justifier de la gravité, de l’exceptionnalité de leur cause, montrer en particulier qu’elle n’est réductible ni à des intérêts sectoriels ni à des revendications égoïstes, mais au contraire peut être fondée en raison, pose le problème d’un bien commun »51. En mobilisant un répertoire d’action52 essentiellement basé sur l’implication concrète des citoyen·nes dans des activités d’accueil, l’action de la Plateforme promeut également des processus de cadrage53 qui transforment la construction de sens autour de l’enjeu « migration de transit ». Cette mobilisation a comme premier effet de multiplier les récits d’accueil et de dénonciation des pratiques répressives constatées au parc Maximilien notamment par le biais des réseaux sociaux. La question migratoire devient un sujet incontournable, poussant certain·es citoyen·nes à l’indignation :
C’était beaucoup dans l’actualité, on ne pouvait pas rester indifférent. […] Ce n’est pas possible qu’on laisse des gens à l’entrée de l’Europe comme ça […] parce que ça devenait vraiment un problème et on se rendait compte que l’État ne faisait rien. C’était l’époque de Theo Francken aussi donc il y avait beaucoup de slogans anti-Francken.54
19La médiatisation du non-accueil réservé aux migrant·es en transit joue ainsi un rôle d’incitant à l’entrée en mobilisation55. Si l’engagement d’une partie des bénévoles a été une manière d’exprimer d’emblée leur opposition à la répression étatique, pour d’autres, cette politisation autour des enjeux migratoires s’est faite progressivement, par le biais de leur engagement et des rencontres qui en découlent. En hébergeant sur leur canapé ou leur chambre d’amis, les citoyen·nes créent des ponts, tissent des liens avec leurs hébergé·es. Dans le même temps, ils et elles découvrent aussi la dureté de leurs parcours et la complexité du droit au séjour et, par ces constats, identifient les responsables de la pénibilité de ces conditions de vie – en réaction auxquelles se justifie alors leur action56. Leurs réactions émotionnelles renvoient à ce que James Jasper a conceptualisé comme un « choc moral »57 pouvant provoquer l’indignation et le basculement dans la mobilisation, ou ce que Marielle Macé appelle « sidérer, considérer »58. Les citoyen·nes perçoivent la dimension étatique parmi les facteurs qui amènent ces personnes à se mettre en mouvement, que le « transit » est moins une volonté ou un ethos migratoire qu’une contrainte imposée par des systèmes de gestion de frontières poussant à l’errance59.
[P]arce que les migrants ont besoin d’être hébergés et protégés, pas seulement du froid et de la pluie, mais de la politique migratoire de notre pays, comme les bénévoles et de nombreux membres le répètent sans relâche.60
20Cette perception est plus souvent le fruit d’échanges entre hébergeur·euses et hébergé·es que le résultat d’un cadrage politique de l’action, comme en témoigne le récit de cette bénévole :
Contrairement à d’autres, ils ne sont pas séduits par le rêve anglais. Cela fait moins d’une semaine qu’ils fréquentent le parc, mais ils n’osent pas s’approcher de Fedasil61. Pourtant l’un des deux est mineur. Ils m’ont dit que des policiers raflent des demandeurs d’asile qui font la file devant le bâtiment. Cette information est-elle recoupée et confirmée ? Si c’est le cas, ce serait digne d’un État policier et non d’un État de droit.62
21Encouragée par les porte-paroles de la Plateforme, une construction de sens s’opère autour de l’identification de l’injustice (la criminalisation des migrant·es), des moyens d’y répondre (l’accueil et l’information) et de l’identification des responsables (le gouvernement fédéral belge)63. Cette perspective nous permet de tenir compte de la mise en récit par les citoyen·nes dans sa dimension de contestation du discours dominant, en tant que « conflit de pouvoir dans le processus politique »64. C’est le cas de Sophie, l’actuelle coordinatrice de Hesbaye, terre d’accueil qui partage : « La sphère politique, ça n’avait rien à voir avec moi. Ma vie, elle était ailleurs. J’étais déconnectée du monde politique »65. Tout change lorsqu’elle devient hébergeuse : elle s’informe et développe une connaissance fine de la question jusqu’à assurer le rôle de plaidoyer politique auprès de ses autorités communales et ensuite reprendre la coordination générale de l’antenne régional. Comme pour Sophie, cette nouvelle perception fait naitre chez certain·es bénévoles une « conscientisation migratoire »66. Comme l’ont constaté Andrea Rea, Antoine Roblain et Julia Hertault, le « sens politique des pratiques d’hospitalité ne précède pas l’action, il nait de l’action »67. Si la dimension militante ou politique n’était pas prégnante au moment de rejoindre la Plateforme, c’est au travers de leur investissement au sein du collectif qu’elle a pu se développer.
De l’engagement humanitaire à la reconnaissance de l’humanité commune
22À côté d’un registre plus politique décrit ci-devant, celui de l’action humanitaire ou éthique est majoritairement déployé, en lien avec des représentations des migrant·es en transit comme une population fragilisée, jeune et sans-abri, en besoin d’hospitalité. Ce registre contraste avec les connotations véhiculées par les discours sécuritaires du gouvernement fédéral, sans forcément les remettre en question. Plus qu’une invitation à contrarier des discours de peur ou à mettre l’accent sur les raisons contestataires qui guideraient l’action, c’est la peur d’ouvrir les portes de chez soi à un·e inconnu·e qui est largement assumée et partagée par les témoignages des hébergeur·euses qui invitent d’autres à « sauter le pas »68.
On se sent impuissant et d’une envie d’agir et malgré tout, on a peur. Peur de l’autre, peur de l’inconnu, peur de nos propres limites, peur de sortir de sa zone de confort, peur de tendre la main à l’autre. Étant une jeune étudiante qui vit seule, j’avais d’autant plus de craintes.69
Oui je vis seule dans un petit appartement, oui j’étais stressée (fort fort), mais non je ne regrette pas mon engagement. Et même si ce n’est qu’une fois par semaine, c’est déjà une nuit durant laquelle deux personnes pourront dormir au chaud, avec un toit et même une douche, sans peur d’être brutalement (très brutalement) « réveillées » en pleine nuit par des « gens qui ne font que leur boulot » en semblant parfois oublier qu’ils sont avant tout humains.70
23Le lexique de ce mouvement citoyen publicise des termes tels que les « invité·es » ou les « amigrant·es », et les parcours criminalisés par le discours politique des personnes en transit en Belgique sont alors racontés mettant l’accent sur les violences et les souffrances, auxquelles la seule réponse « humaine » devient l’hospitalité71. Ces récits se traduisent en valeurs pour former un socle commun partagé par les bénévoles — aux profils et motivations pourtant divers, comme l’exprimait le porte-parole Mehdi Kassou à propos des hébergeur·euses : « Ce sont des humains. Littéralement. Il n’y a pas de profil type. Les seules valeurs qui caractérisent et fédèrent tout le monde, ce sont l’humanité et l’hospitalité »72. Accueillir chez soi un·e exilé·e se fait dès lors avant tout au nom d’une humanité partagée.
Il n’y a rien à faire, il y a un minimum de respect de la personne humaine et de la dignité humaine. On ne peut pas laisser des gens vivre comme ça dans la détresse. Ça me fait horreur de voir la façon dont les gars par exemple on les fout dehors.73
24En outre, faire de l’étranger un hôte74 répond à la nécessité de réagir face à ce qui est perçu comme une injustice :
Ma motivation, c’est toujours les trucs injustes, ça me rend complètement dingue et donc j’ai vraiment besoin de faire quelque chose sinon je ne vais pas très bien. […]
Beaucoup ont accueilli chez eux parce que c’était des injustices tellement flagrantes qu’il fallait.75
25Pourvoir aux besoins de personnes en migration est alors une manière de participer à rectifier des inégalités perçues dans les récits des personnes hébergées, dont les vécus et les besoins singuliers sont publiquement exposés76. L’action de ces bénévoles est guidée par l’idée de « réparer les malheurs », dans le sens où « le dévouement aux autres est pensé comme une responsabilité de ceux qui ont plus à l’égard de ceux qui ont moins »77. Pour Nathalie, il s’agit aussi de soutenir celles et ceux que la vie a moins gâté·es : « L’impression d’aider un peu des gens qui n’ont pas eu beaucoup de chance et qui ont dû tout quitter ».78 Au travers de leur engagement, il s’agit pour certain·es de montrer l’exemple de la solidarité, de transmettre ces valeurs morales d’hospitalité et d’humanité à leur entourage ou à leurs enfants, leur action s’inscrivant là dans un « projet éducatif »79. Sébastien, père de deux adolescents, considère que l’engagement est une manière de leur faire prendre conscience d’enjeux sociétaux : « Et puis moi je trouve que pour nos enfants, c’est bien. Enfin moi je suis content de leur montrer qu’il faut s’ouvrir à ça, qu’il faut le faire. Donc voilà, ils y sont confrontés et ils savent que ça existe. »80 Par l’alignement de leurs actes sur leurs discours, l’engagement de ces parents est aussi porté par la promotion d’un autre modèle de citoyenneté81, souhaitant transmettre des valeurs par leur action de solidarité et provoquer un éveil sociétal auprès des générations suivantes. L’histoire, des moments et conflits ayant marqué la mémoire collective sont aussi invoqués à plusieurs reprises comme motivation à l’engagement. Nathalie, elle, fait un parallèle entre l’accueil des exilé·es et celui des personnes tentant d’échapper au nazisme :
Je me dis si un jour ça devait nous arriver comme nos grands-parents ont dû le faire pendant la guerre et partir et trouver des portes qui s’ouvraient, je me dis… bah ça me ferait plaisir. Donc je trouve logique de faire quelque chose.82
26Justifier son action par la mémoire historique semble dès lors « une manière de prendre une place “juste”, du “bon côté de l’histoire” »83, mais aussi le reflet d’une forme d’identification avec les personnes accueillies, dont les besoins sont considérés comme légitimes si l’un·e s’envisage soi-même dans des circonstances similaires.
27Ce que tous les récits de bénévoles ont en commun – qu’ils mettent en avant un registre humanitaire, la réparation d’injustices, l’exemple historique, la transmission de valeurs à ses enfants ou tout simplement un geste humain d’accueil de l’autre en danger – est qu’ils ne disent pas, du moins au premier abord, leur désaccord avec les politiques migratoires qui en sont à l’origine. L’hospitalité est présentée comme une posture morale de solidarité citoyenne, relevant à la fois du don et de l’évènement84. Au regard de l’analyse critique de l’humanitarisme, ce constat tendrait à placer l’action bénévole plutôt du côté de « l’attestation (…) [se caractérisant] par une tendance à ne pas remettre en cause l’ordre établi en matière de politiques migratoires »85 – et donc à la marge de l’engagement politique, militant, de la contestation politique du statu quo. Or, sur les terrains bruxellois et hesbignon, on retrouve l’intrication de l’humanitaire et du politique dans les motivations invoquées par les bénévoles. Dans leurs discours, ces deux registres se rejoignent et se nourrissent à plusieurs égards.
Repolitiser l’humanité commune
28Tout d’abord, nous avons constaté qu’au départ d’une réponse humanitaire, se développent des formes de politisation dans les récits des bénévoles86. Y compris pour celles et ceux qui ne donnaient pas un sens politique à leur action, la prise de conscience sur la question migratoire s’est opérée par la rencontre de l’autre accueilli, les citoyen·nes découvrant notamment les rafles, les violences policières, les méandres de l’accès au séjour87.
29Un deuxième aspect particulier que prend cette mobilisation est celui d’imposer dans le débat public des récits qui cadrent l’action autour de la valeur commune « humanité »88. L’hospitalité citoyenne invite à reconnaitre les besoins et les vécus singuliers des exilé·es, ce qui permet de leur redonner un visage humain, contrariant les discours déshumanisants : « Il y a derrière ça quelque chose qu’on oublie toujours de ramener : c’est la question humaine. C’est les souffrances humaines, c’est les histoires humaines, c’est les visages. »89.
30Cette action, fondée sur l’humanité, se doit alors d’être analysée dans le contexte du durcissement des politiques migratoires, au service desquelles, les discours déshumanisants jouent un rôle important comme nous le présentions en introduction du présent article. Dans cette perspective, les motivations soutenant l’action ont bien en commun d’aller dans le sens d’une réhumanisation des personnes en migration. Alors que le climat politique est à la déshumanisation, « mettre en présence politiquement » l’autre – comme le note Louise Knops, dans le fait de « rendre quelque chose perceptible par un acte, un signe ou un symbole […] rendre perceptibles et audibles, leurs préoccupations » – représente une action politique. Comme le rappelle l’auteure, « la célébration de notre humanité commune pour faire rempart aux discours déshumanisants des chiffres, des “invasions”, des “vagues de migrants” »90. Une fois que l’on reconnait la « déshumanisation programmée »91 en tant qu’outil au service d’une politique qui justifie l’exclusion sociale des personnes migrantes et leur répression, nous ne pouvons alors qu’observer une démarche politique dans les récits d’engagement au nom de « l’humanité ».
31Intrinsèquement liée aux enjeux de l’humanisation des personnes migrantes, une autre dimension de la politique migratoire qui nous apparait particulièrement pertinente pour étudier les effets de l’action collective est la question des enjeux de visibilité (perçue ou effective) de la migration dans l’espace public. C’est principalement à partir du cas de Hesbaye, terre d’accueil, que nous proposons d’analyser les enjeux de cette visibilisation au niveau local.
Une visibilisation qui humanise
32Le second angle d’analyse que nous proposons de mobiliser est celui de la visibilité. Comme nous l’avons vu en introduction du présent article, dans le champ des trajectoires migratoires, cette question de la visibilité renvoie à une problématique plus complexe que le simple fait d’être vu. Dans les points précédents, il a été surtout question de l’invisibilisation discursive et par le biais des catégories migratoires qui opèrent une déshumanisation des individus, en tant qu’outil politique92. L’un des effets de la mobilisation citoyenne que nous avons étudiés a été celui de contrer cette invisibilisation, par la rencontre et par la mise en récit d’existences singulières, humanisées. À ce stade, l’outil analytique de la visibilité93 nous permet à la fois d’observer les effets d’invisibilité sociale par les discours, mais aussi d’analyser les enjeux d’invisibilisation et de survisibilité dans l’espace public, en tant que conséquences des politiques migratoires restrictives.
Invisibilisation et survisibilité
33Les personnes migrantes font face à différents « régimes de visibilité » qui peuvent être négociés, recherchés ou subis, mais impactant toujours leur vécu94. L’invisibilisation, qu’elle soit forcée ou stratégique95, engendre des effets délétères sur l’intégrité des individus, tels que l’effacement et le repli sur soi96, la dénégation des histoires individuelles et la relégation aux « marges de l’identité »97, renforçant des formes de « mort sociale »98. Paradoxalement, découlant de ces mêmes formes de marginalité sociale, les politiques migratoires engendrent aussi la survisibilisation des exilé·es dans l’espace public. C’est notamment ce qui se produit pendant notre période d’analyse à Bruxelles, où l’exclusion des procédures génère l’augmentation de situations d’errance, de précarité et de sans-abrisme parmi les personnes migrantes, qui représentent environ 70 % de la population sans-abri recensée dans la capitale en 202399. Cette hypervisibilité sert à son tour à alimenter des discours stigmatisants et à entretenir un imaginaire de crise qui justifie des mesures exceptionnelles pour y faire face100. Cette rhétorique participe alors à légitimer la répression à l’égard des migrant·es, où l’on fait « porter aux conséquences de l’exclusion, les causes de la répression qui la génère »101. Si le transit à Bruxelles est principalement justifié par la proximité avec les instances de l’asile, dans le cas de la Hesbaye, il prend une tournure particulière. Les parkings bordant les autoroutes, depuis Calais jusque dans l’intérieur des terres, deviennent des espaces stratégiques pour les migrant·es en transit qui tentent de rejoindre l’Angleterre102. C’est ainsi qu’une route migratoire voit le jour le long de l’autoroute E40, entrainant une augmentation du nombre d’exilé·es dans la région et l’apparition de campements aux abords des aires de repos — dont le collectif citoyen ne peut dès lors ignorer l’existence. Sans cesser d’appartenir à la Plateforme, le collectif fait alors preuve de capacité d’adaptation, au vu de sa propre réalité de terrain et des enjeux locaux auxquels il est confronté.
34À l’automne 2018, s’adaptant à l’évolution de la réalité locale, l’action de l’antenne régionale se recentre sur son territoire. L’hébergement citoyen ne s’organise plus nécessairement en passant par le parc Maximilien à Bruxelles et c’est désormais à Waremme, une petite ville périurbaine au cœur de la Hesbaye qui deviendra avec le temps le centre névralgique de l’antenne, que les hébergeur·euses et les hébergé·es se donnent rendez-vous. Cette évolution va marquer une forme d’autonomie vis-à-vis de Bruxelles et induire une délocalisation des enjeux et des revendications de l’action citoyenne. La visibilité accordée à la question migratoire grandit dans la région et s’impose comme une problématique locale. En outre, un accueil de jour se met en place, avec le soutien du Centre d’action laïque de Waremme, pour offrir durant la semaine un espace de repos, des repas et des vêtements.
35La visibilité des exilé·es en Hesbaye a aussi marqué le lexique de certain·es riverain·es, des politiques et de la presse locale, avec la reprise de termes tels que « transmigrant·e » ou « couloir migratoire transhesbignon »103. Mais cela n’a pas forcément induit une hypervisibilisation déshumanisante comme dans certaines grandes villes. Les effets de cette visibilisation locale ont surtout impacté l’organisation de la solidarité citoyenne qui la précédait. Ce constat nous montre combien les formes de l’accueil peuvent être mouvantes et s’ajuster aux réalités visibilisées afin de répondre aux nécessités rencontrées par les acteurs sur le terrain. De la même manière que la visibilisation des personnes migrantes à Bruxelles, dans le parc Maximilien ou à la gare du Nord, a conduit à la création de la Plateforme et à l’investissement des bénévoles dans l’action collective, nous observons un effet similaire dans le cas de Hesbaye, terre d’accueil. La visibilité des exilé·es aux abords des parkings autoroutiers ou à Waremme fait réaliser aux citoyen·nes hesbignon·nes leur proximité avec la problématique migratoire – qui devient un enjeu local. De nouveaux·elles bénévoles ont rejoint l’antenne après avoir pris conscience de la présence de migrant·es dans la région. Avant cela, les questions d’accueil et d’asile constituaient des problématiques à leurs yeux plus lointaines et qui ne les concernaient dès lors pas forcément, comme le rapportent Dominique et Patrick :
On l’avait entendu dans les médias, mais ça nous semblait loin parce qu’on n’en voyait pas près de chez nous, on n’en avait pas trop connaissance. Et quand on a appris qu’il y avait justement ce logement, c’est à côté de chez nous, ils ont besoin d’aide, on serait quand même fortiche de ne rien faire.
[…]
On entendait sur Bruxelles ou des choses comme ça, mais tu ne te disais pas qu’il y en avait qui logeaient dans le coin. C’est sur Bruxelles, bon bah c’est sur Bruxelles. Donc ça arrive, c’est là et c’est autour de nous. Ça s’est rapproché de nous, on ne peut pas continuer à ne rien faire.104
36Le moment où le couple réalise l’existence d’un hébergement dans le village voisin marque le début de son implication, l’incitant à prendre part à la préparation de repas, des lessives et des trajets. Il ne s’agit désormais plus d’une réalité lointaine dont les médias font écho. Il en va de même pour Madeleine, bénévole investie auprès de l’accueil de jour de Waremme, qui explique avoir commencé à aider lorsque son fils lui apprend que des migrant·es dorment aux abords du terrain de foot de Waremme :
Je me suis décidée parce que mon fils qui est arbitre de foot est venu à Waremme. Et quand il est revenu, il m’a dit « maman, tu savais qu’il y avait des migrants qui logeaient en tentes à Waremme ? » Je me suis dit bah enfin ça ne va pas. Enfin à l’époque, ils prenaient leur douche dans le terrain de foot et tout ça, ils passaient leur journée au stade de foot. Et donc là je me suis dit à Waremme ça va, parce que je ne voulais pas courir à Namur ou à Liège, c’était trop pour moi. […] à Waremme, là je peux faire quelque chose. Et voilà, c’est comme ça qu’on a un peu commencé. Parce qu’on ne savait même pas qu’en fait il y avait un campement à Waremme. Il y a plein de gens qui ne savent pas en fait.105
37Cette prise de conscience pousse Madeleine à réagir : elle commence par apporter des repas avant de rejoindre les permanences à l’accueil de jour de Waremme. Comme elle, la plupart des bénévoles qui se sont investi·es plus tardivement dans la Plateforme l’ont rejointe après avoir réalisé la proximité géographique du phénomène migratoire. La confrontation directe avec la présence de migrant·es « en bas de chez soi »106 les incite à s’engager auprès de l’antenne régionale, où la proximité donne du sens à leur engagement. Des évènements marquant l’actualité locale, comme celui de la gare de Landen raconté en introduction, ont pu également avoir cet effet incitateur. Pour Marc, cela a même été un déclic : « Il y a eu cet incident à la gare de Landen avec Diego. Donc on en a parlé dans les journaux et je me suis dit, merde, je peux peut-être aider également ! »107. Il contacte directement Diego et commence à faire des trajets Bruxelles-Hesbaye le vendredi soir.
38En plus de la visibilisation qui pousse à l’engagement local, l’appropriation d’une visibilité stratégique devient par ailleurs un moyen d’action108. Les mouvements de lutte des sans-papiers sont un exemple de réappropriation de la visibilité dans une logique revendicative en vue de la reconnaissance de droits, cherchant à sensibiliser et à faire entendre leur voix dans le débat public109. Nous avons observé un mouvement similaire dans le contexte de la Hesbaye, entrepris ici par le collectif citoyen lui-même.
La visibilisation stratégique
39C’est ainsi qu’en mai 2018, à Crisnée, une petite localité à proximité de l’autoroute, le collectif met en place un « camping humanitaire » baptisé Oasis. Établi sur un terrain privé et géré par une équipe de bénévoles riverain·es, le projet permet d’héberger une quinzaine de personnes sous tente, durant tout l’été. Les objectifs de cette première expérience d’accueil collectif sont multiples, comme l’explique sa coordinatrice :
Je dirais que le camping avait trois buts au départ. Offrir un hébergement d’urgence ou de l’aide humanitaire à des gens fort vulnérables. […] Le deuxième but, c’était finalement de rendre visible. Parce que pendant l’hiver, il y avait un discours politique qui était de dire « il n’y a pas de problème au Parc Maximilien puisque tous les migrants étaient hébergés ». Et donc ici, on s’est dit bah non, il faut les rendre visibles. Le troisième but qu’on avait, c’était vraiment de dire aux riverains, vous ne devez pas avoir peur. Ce sont des gens, oui ils sont différents, mais comme votre voisin est différent, comme moi je suis différente de vous.110
40Ce travail de mise en visibilité est ici explicite : il devient alors, dans une optique de plaidoyer politique, un objectif porté par l’accueil solidaire. Un des principaux enjeux pour une mobilisation sociale étant sa capacité à donner une dimension publique à l’action111, les coordinateurs·rices de Hesbaye, terre d’accueil ont cherché à faire en sorte que la présence des migrant·es dans la région s’impose comme un enjeu public. Cette expérience va par ailleurs ouvrir le dialogue entre la Plateforme et les autorités communales : des interpellations citoyennes et des négociations amènent notamment à la mise à disposition de lieux publics permettant d’organiser des hébergements collectifs coordonnés par des bénévoles. Ces projets participent alors à donner à la présence des migrant·es une dimension, d’une part, publique et, d’autre part, politique, avec l’intervention des pouvoirs locaux. Les citoyen·nes poussent la mise à l’agenda politique local des questions de migration et d’asile – questions qui jusqu’alors ne les concernaient pas autant que dans la capitale – mais aussi à créer des territoires de résistance locale112 contre les logiques de criminalisation et de déshumanisation de la migration prônées par la politique fédérale. Pour finir, cette expérience d’interpellation et de partenariat avec les pouvoirs publics fait également état d’une politisation des citoyen·nes. Au départ engagé·es dans l’hébergement, ces bénévoles vont ensuite participer activement à la publicisation de l’enjeu migratoire, dans une logique de proximité avec les autorités locales, appuyée sur les réseaux d’interconnaissance locaux et sur une nouvelle proximité avec les migrant·es en transit dans la région.
Conclusion
41Revenons à Diego, hébergeur et ancien coordinateur de Hesbaye, terre d’accueil. Prenant du recul sur son action, il se demande pourquoi il s’engage :
J’ai l’impression d’avoir deux combats. Un combat humain qui est d’accueillir les gens que j’accueille. Et puis à côté de ça, il y a une motivation pour essayer de faire bouger les choses au niveau politique. Mais heureusement que je n’héberge pas pour faire changer la politique, parce que sinon j’aurais arrêté d’héberger, c’est clair.113
42En essayant de trouver des réponses à cette question, nous avons commencé par situer l’action collective de la Plateforme dans le contexte plus large de la politique migratoire belge et européenne. À partir de là, nous avons analysé les effets de cette action, en la plaçant en opposition et en miroir des outils et des conséquences de la politique migratoire auxquels elle réagit. Si la déshumanisation est bien considérée à la fois comme effet et comme outil de politique migratoire, qu’en est-il du mouvement contraire, tout simplement de l’humanisation de l’autre, par le biais de l’engagement humanitaire des citoyen·nes ? Bien plus que « contester la politique », les bénévoles défendent avant tout la reconnaissance de l’humanité des individus accueilli·es. Ainsi, ils et elles identifient des êtres aux personnalités, aux besoins et aux envies qui leur sont propres, à la place de cette masse indistincte que seraient « les migrant·es ». Cet acte de rapprochement par la rencontre contrarie la mise à distance de ces populations opérée par l’exclusion sociale et alimentée par les discours stigmatisants et criminalisants. Ce constat nous amène à considérer l’action citoyenne dans sa capacité de remettre en question l’ordre dominant – et donc de faire politique – dans l’acte de réaffirmer l’humanité d’autrui.
43En parallèle de cela, nous avons identifié les enjeux d’invisibilisation et de survisibilisation qui sont également des conséquences et des outils de la politique migratoire. Le discours qui dépeint les migrations en « masses » et en « vagues », invisibilisant les parcours singuliers, est paradoxalement accompagné d’une hypervisibilité des personnes migrantes dans l’espace public. L’exclusion de droits, engendrant la précarité sociale et le sans-abrisme parmi les primo-arrivant·es, sert à son tour à justifier des mesures répressives, telles que les rafles et les opérations de police musclées. L’action citoyenne étudiée a eu comme effet de mettre à l’agenda politique et médiatique la question migratoire, d’identifier des responsables étatiques, mais aussi de se servir de cette visibilité pour générer davantage d’identification, d’humanisation et d’engagement solidaire. L’étude au niveau local de cette action collective à Bruxelles et en Hesbaye nous a permis de considérer l’action dite humanitaire, d’accueil et de solidarité, dans son pouvoir de subvertir un agenda politique dissuasif et déshumanisant. Nous constatons que cette action collective émerge en réaction à une politique migratoire – ou, pour le moins, à ses conséquences humaines qui sont considérées comme inacceptables – et qu’elle se politise. Dans un contexte de radicalisation des outils et des discours de politique migratoire criminalisante et déshumanisante, l’affirmation toute simple de valeurs d’hospitalité et d’humanité commune, considérées comme morales et apolitiques, peut ainsi prendre un sens politiquement subversif, voire une forme de radicalité. En réaffirmant l’hospitalité et l’humanité, les citoyen·nes construisent des actions politiques de (ré)humanisation des sujets migrants, de revisibilisation de leurs vécus singuliers et de repolitisation de leur existence en Belgique.
Notes
1 Publication retirée du réseau social Twitter le 2 octobre 2018. Traduction : Le plan d’action contre la transmigration illégale est en cours de déploiement. Hier en visite @JanJambon et j’ai rencontré la police des frontières à Douvres et à Folkestone. Hier soir, j’ai assisté à une importante opération de police dans ma région. Nous poursuivons le travail. https://x.com/FranckenTheo/status/1046999077999796226?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1046999077999796226%7Ctwgr%5E269b7fb74872b49c2fe5eec511d0d4517312cbcf%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.7sur7.be%2Fbelgique%2Fdes-migrants-arretes-en-presence-de-theo-francken-un-temoin-violenteabde84eb%2F consulté le 08/06/2024.
2 I. LOODTS, « Serons-nous victimes de la haine de l’autre ? », POUR Press du 7/10/2018, en ligne, https://pour.press/serons-nous-victimes-de-la-haine-de-lautre/?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTAAAR301JiZNxV55FcD70F9WqxQFKFEeSPzCwYMx_HcvrLYiSTJr50Rof5PODc_aem_AXX3iYDjHv_FhIzVuggTCW_Pj_peEYB2ydIljvdv46YNCs4qckEfibfeSfD-8RmPxtwlxWx-HURuo53XUpioXLLm, consulté le 08/06/2024.
3 F. CRÉPEAU, D. NAKACHE, et I. ATAK, Sécurité et droits de la personne au Canada et en Europe : un déséquilibre à corriger, dans Options politiques, 27(6), 2006, p. 30.
4 M. TAZZIOLI et G. GARELLI, Containment beyond detention : The hotspot system and disrupted migration movements across Europe, dans Environment and planning D: society and space, 38(6), 2020, p. 1009-1027.
5 F. CRÉPEAU, D. NAKACHE, et I. ATAK, op. cit., p. 30.
6 Comme l’affirme Marie-Laure Morin, « c’est l’État de droit lui-même que l’on met en danger au prix de la mort des exilés ». M. L. MORIN, Faire de l’étranger un hôte. L’hospitalité : un droit fondamental, Syllepse Editions, 2022, p. 21.
7 T. MONTEL, Bannir sans éloigner. Gouverner les « dublinés » en France après 2015, dans Migrations Société, (4), 2021, p. 95-110.
8 A. PÉCOUD, De la « gestion » au contrôle des migrations ? Discours et pratiques de l’Organisation internationale pour les migrations, dans Critique internationale, (3), 2017, p. 81-99.
9 F. CRÉPEAU, D. NAKACHE, et I. ATAK, op. cit., p. 30.
10 K. AKOKA, Crise des réfugiés ou des politiques d’asile ?, dans La Vie des idées, 2016, p. 2.
11 M. AGIER, Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Flammarion, 2008, 350 p.
12 M. DELEIXHE, Le prix des migrants, dans Esprit, (9), 2023, p. 24-28.
13 S. DJIGO, Aux frontières de la démocratie. De Calais à Londres sur les traces des migrants, Le Bord de l’eau, 2019.
14 K. P. KALLIO et J. HÄKLI, Trapped in (in)visibility: contested intercorporeality in undocumented migrants’ lives, dans Geopolitics, 2023, p. 1-22.
15 M. AGIER, Ce que les villes font aux migrants, ce que les migrants font à la ville, dans Le sujet dans la cité, (2), 2016, (21-31), p. 25.
16 J. C. STEVENS et P. TEVANIAN, « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » - En finir avec une sentence de mort, Anamosa, 2022.
17 S. DJIGO, op. cit., p. 53.
18 A. COSTA SANTOS, De quoi le transit est-il le nom ?, dans Akène, 7, 2024, p. 58-69.
19 M. SANCHEZ-MAZAS, La construction de l’invisibilité, Éditions ies, 2011.
20 M. AGIER, L’encampement du monde, dans Plein droit, 90, 2011, p. 21-24.
21 COLLECTIF SOLIDARITÉ MIGRANTS WILSON, Les politiques de l’invisible, dans Revue Projet, 381, 2021, p. 14-15.
22 M. AGIER, op. cit., p. 25.
23 X. BRIKÉ, L. GILSON, et C. ALLEN, Migrations : du mépris aux mobilisations solidaires, Academia L'Harmattan, 2022.
24 M. PALLADINO et A. WOOLLEY, Migration, Humanitarianism, and the Politics of Salvation, dans Lit: Literature Interpretation Theory, vol. 29, no 2, 2018, p. 129-144.
25 M. PETTE, Les associations dans l’impasse humanitaire ?, dans Plein droit, no 1, 2015, p. 22-26.
26 M. BARNETT, Humanitarianism as a scholarly vocation, dans Humanitarianism in question: Politics, power, ethics, 2008, p. 235-263.
27 R. VANDEVOORDT et G. VERSCHRAEGEN, Subversive humanitarianism and its challenges: Notes on the political ambiguities of civil refugee support, dans Refugee protection and civil society in Europe, 2019, p. 101-128.
28 E. MESCOLI, A. ROBLAIN et P. GRIFFIOEN, Les initiatives citoyennes de soutien aux migrants en Belgique. De l’humanitaire à la contestation politique, dans Anthropologie & développement, no 51, 2020, p. 171-185.
29 B. BOUDOU, Au nom de l’hospitalité : les enjeux d’une rhétorique morale en politique, dans Cités, no 68, 2016, p. 33-48 ; E. MESCOLI et al., Mobilizations and Opinions Regarding Asylum Seekers, Refugees and Undocumented Migrants in Belgium: Frames, Motivations and Actions, dans A. REA, A. MAZZOLA, M. MARTINIELLO et B. MEULEMAN, The Refugee Reception Crisis in Europe. Polarized Opinions and Mobilizations, Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 2019.
30 Voir à ce sujet : A. LENDARO, C. RODIER et Y. VERTONGEN, La crise de l’accueil : Frontières, droits, résistances, La Découverte, 2019. ; A. REA, A. MAZZOLA, M. MARTINIELLO et B. MEULEMAN, op. cit.
31 LIGUE DES DROITS HUMAINS, « Quotas d’arrestation : un PV qui met la crédibilité du ministre de l’Intérieur en question », 2018, en ligne https://www.liguedh.be/quotas-darrestation-pv-met-credibilite-ministre-de-linterieur-question/ consulté le 15/06/24.
32 A. COSTA SANTOS et D. DEMANCHE, La Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés : une fourmilière née dans l’urgence, dans PAUVéRITé. Le trimestriel du Forum – Bruxelles contre les inégalités, 2018.
33 Ibid.
34 Selon le Service public de Wallonie, sont considérées comme « rurales » et « semi-rurales » les communes dont respectivement plus de 85 % et entre 60 et 85 % de leur « surface est composée de territoires ruraux ». FRW en ligne https://www.frw.be/uploads/7/8/3/9/78394446/indicateur_ruralit%C3%A9_2021_notice_explicat consulté le 08/06/2024.
35 R. ARFAOUI, Ce que le territoire fait à l’accueil, ce que l’accueil fait au territoire. Une géographie de l’asile dans le territoire ambertois, dans Revue européenne des migrations internationales, 36(2-3), (107-135), 2020, p. 124.
36 E. ROCHE, L’hébergement citoyen des exilé·es, une zone grise, informalité et territoires solidaires : le cas de la vallée de la Drôme et de la métropole lyonnaise, dans Espace populations sociétés, (2-3), 2021, p. 2.
37 Sur un total de 200 000 selon les chiffres de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés pour l’année 2018. Voir : A. COSTA SANTOS et D. DEMANCHE, op. cit.
38 Le néologisme « Vnous » vient de la contraction entre « vous » et « nous ». Il apparait dans les messages Facebook de la Plateforme au parc Maximilien pour désigner et susciter un sentiment d’appartenance chez les citoyen·nes mobilisé·es.
39 Publication sur la page Facebook de Hesbaye, terre d’accueil du 29 juin 2020.
40 Entretien avec Diego Dumont, ancien coordinateur du collectif (Hesbaye), le 28 février 2023.
41 M.-L. AGRIKOLIANSKY, Leaders, dans O. FILLIEULE, éd., Dictionnaire des mouvements sociaux : 2e édition mise à jour et augmentée, Presses de Sciences Po, (344-349), 2020, p. 344.
42 A. SCHMID-SCOTT, E. MARSHALL, N. GILL et J. BAGELMAN, Rural Geographies of Refugee Activism: The Expanding Spaces of Sanctuary in the UK, dans Revue européenne des migrations internationales, 36(2-3), (137-160), 2020, p. 152.
43 E. MASSON-DIEZ, Militants, bénévoles, citoyens solidaires : Comment se nommer lorsque l’on vient en aide aux migrants ?, dans Journal des anthropologues, (Hors-série), (159-180), 2018, p. 170.
44 M. AGIER, L’étranger qui vient. Repenser l’hospitalité, Le Seuil, 2018.
45 Extrait d’entretien avec Joséphine, bénévole (Hesbaye), le 20 mars 2023.
46 Extrait d’entretien avec Margot, bénévole (Hesbaye), le 11 février 2023.
47 A. REA, A. ROBLAIN et J. HERTAULT, Héberger des exilé·es : Initiatives citoyennes et hospitalité, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2023, p. 140.
48 Extrait de témoignage d’une hébergeuse bruxelloise du 17/10/2017, en ligne https://perlesdaccueil.be/2017/10/17/ce-soir-ce-que-jai-vu- consulté le 08/06/2024.
49 O. LEHERTE, « “Transmigrant” : un mot qui fait son chemin », en ligne https://www.rtbf.be/article/transmigra nt-un-mot-qui-fait-son-chemin-10078922 consulté le 09/08/2019.
50 É. NEVEU, Sociologie politique des problèmes publics, Armand Colin, 2015, p. 41.
51 Ibid.
52 C. TILLY, European violence and collective action since 1700, dans Social Research, 1986, p. 159-184.
53 D. SNOW, Analyse de cadres et mouvements sociaux, dans D. CEFAÏ et D. TROM (Eds.), Les formes de l’action collective : Mobilisations dans des arènes publiques, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2001, p. 27-49.
54 Extrait d’entretien avec Laurence, bénévole (Hesbaye), le 04 février 2023.
55 M. SINNAEVE, « Plateforme citoyenne, raison éthique ou nécessité politique ? » Agir par la culture, 26/03/2018. En ligne, https://www.agirparlaculture.be/plateforme-citoyenne-raison-ethique-ou-necessite-politiq ue/, consulté le 15/06/2024.
56 A. COSTA SANTOS et N. GARNY, Créer des liens et revendiquer des droits, dans Revue Akène, no 4/22, Accueillir c’est résister, 2022, p. 20-26.
57 J. JASPER, The Emotions of Protest: Affective and Reactive Emotions In and Around Social Movements, dans Sociological Forum, vol. 13, 1998.
58 M. MACÉ, Sidérer, considérer : migrants en France, 2017.
59 J. STREIFF-FÉNART, Les mots de la mobilité : les concepts des sciences sociales en regard des catégories politiques et des points de vue émiques, dans Cahiers de l’URMIS, no 19, 2020, p. 4.
60 Témoignage d’une hébergeuse de la Hesbaye du 13.03.2018 en ligne, https://perlesdaccueil.be/2018/03/13/…, consulté le 08/06/2024.
61 Fedasil est l’agence fédérale belge chargée de l’accueil des demandeur·euses d’asile.
62 Témoignage d’une hébergeuse de la Hesbaye du 13 mars 2018 en ligne, https://perlesdaccueil.be/2017/09/29/po urtant-lun-des-deux-est-mineur/, consulté le 08/06/2024.
63 Voir notamment « Mais qu’est-ce qu’on fout là ? : la lettre ouverte de deux citoyens “fatigués” soutenant les réfugiés », dans La Libre, en ligne, https://www.lalibre.be/debats/opinions/2018/02/24/mais-quest-ce-quon-fout-la-la-lettre-ouverte-de-deux-citoyens-fatigues-soutenant-les-refugies-ZJZQGVEQZRDMLHO33A4JMEGXPM/, consulté le 13/06/2024.
64 C. RADAELLI, Récits, dans L. BOUSSAGUET, S. JACQUOT, P. RAVINET (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, 5ᵉ édition. Paris, Presses de Sciences Po, (528-532), 2019, p. 532.
65 Extrait d’entretien avec Sophie, le 09 mars 2023.
66 A. REA, A. ROBLAIN et J. HERTAULT, op. cit., p. 76.
67 Ibid., p. 147.
68 Sur le site perlesdaccueil.be où sont rassemblés les témoignages d’hébergement, de nombreux récits emploient cette expression.
69 Témoignage « On se sent impuissant et d’une envie d’agir et malgré tout on a peur » du 13.12.2017 en ligne https://perlesdaccueil.be/2017/12/13/on-se-sent-impuissant-et-dune-envie-dagir-et-malgre-tout-on-a-pe ur/, consulté le 08/06/2024.
70 Témoignage « J’ai le cœur tout gonflé de bonheur » du 29 septembte 2017 en ligne, https://perlesdaccueil.be/2017/09/ 29/jai-le-coeur-tout-gonfle-de-bonheur/ consulté le 08/06/2024.
71 A. REA, A. ROBLAIN et J. HERTAULT, op. cit., p. 73.
72 Interview dans la Revue Démocratie du 01.03.2019 en ligne, https://www.revue-democratie.be/index.php?option=com_content&view=article&id=1279:interview-de-mehdi-kassou-non-l-hebergement-citoyen-ne-cree-pas-d-appel-d-air&catid=67&Itemid=147 cité dans A. REA, A. ROBLAIN et J. HERTAULT, op. cit., p. 66.
73 Extrait d’entretien avec Marc, bénévole (Hesbaye), le 03 mars 2023.
74 M. L. MORIN, op. cit.
75 Extraits d’entretien avec Margot, le 11 février 2023, et avec Laurence, le 04 février 2023, deux bénévoles (Hesbaye).
76 L. KNOPS, Au-delà de l’urgence et de l’indignité : comprendre l’action politique de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, Participation et Démocratie, ABSP en ligne, https://absp.be/article/au-dela-de-lurgence-et-de-lindignite-comprendre-laction-politique-de-la-plateforme-citoyenne-de-soutien-aux-refugies/, consulté le 15/02/2024.
77 B. HAVARD DUCLOS et S. NICOURD, Pourquoi s’engager ? bénévoles et militants dans les associations de solidarité, Paris, Payot, 2005, p. 31.
78 Extrait d’entretien avec Nathalie, bénévole (Hesbaye), le 13 février 2023.
79 M. AGIER et S. LE COURANT (dir.), Babels. Enquêtes sur la condition migrante, Seuil, 2022, p. 880.
80 Extrait d’entretien avec Sébastien, bénévole (Hesbaye), le 14 février 2023.
81 E. MESCOLI et al., op. cit., p. 188.
82 Extrait d’entretien avec Nathalie, bénévole (Hesbaye), 13 février 2023.
83 M. AGIER et S. LE COURANT, op. cit., p. 879.
84 M. DELEIXHE, L’événement de la rencontre : La Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés en Belgique, Esprit, -A, 2018, p. 130-138.
85 M. PETTE, op. cit.
86 R. VANDEVOORDT et G. VERSCHRAEGEN, op. cit., p. 103.
87 A. C. DE NEVE, « Je vis dans un pays qui organise des rafles », dans RTBF en ligne, https://www.rtbf.be/article/je- vis-dans-un-pays-qui-organise-des-rafles-9739933, consulté le 08.06.2024.
88 A. REA, A. ROBLAIN et J. HERTAULT, op. cit., p. 74.
89 Propos issus du documentaire Vnous, présentant la mobilisation citoyenne en Hesbaye. Voir : P. SCHONBRODT (réal.), V(N)OUS, [Film], Centre d’Action Laïque, 2019.
90 L. KNOPS, op. cit., p. 1.
91 S. DJIGO, op. cit.
92 K. AKOKA, op. cit.
93 C. G. MARTÍN, La visibilité : un nouvel outil conceptuel pour l’étude des migrations, dans Cumhuriyet ve Demokrasi, 2010, p. 80-99.
94 K. P. KALLIO et J. HÄKLI, op. cit., p. 2.
95 H. BRADBY, K. LIABO, A. INGOLD et H. ROBERTS, Visibility, resilience, vulnerability in young migrants, dans Health, 23(5), 2019, p. 533-550.
96 K. P. KALLIO et J. HÄKLI, op. cit., p. 14.
97 S. DJIGO, op. cit., p. 61.
98 G. LE BLANC, L’invisibilité sociale, Presses Universitaires de France, 2009, p. 64.
99 CIRÉ, « Sans papiers. Sans droits. Sans abri », en ligne, https://www.cire.be/sans-papiersn-sans-droits-sans-abri/, consulté le 15/06/2024.
100 L. IMBERT, Immigration : fabrique d’un discours de crise, 10 X 18, 2022, Amorce.
101 A. COSTA SANTOS, op. cit., p. 62.
102 MYRIA, « MyriaDoc 10 : La Belgique, une étape vers le Royaume-Uni », 2020, p. 20. En ligne, https://www. myria.be/files/Myriadoc_10_migration_de_transit.pdf, consulté le 15/06/2023.
103 J. BELTRAME, « Le couloir transhesbignon », dans L’Avenir en ligne, https://grand-angle.lavenir.net/refugees-le-c ouloir-transhesbignon/, consulté le 08/06/2024.
104 Extrait d’entretien avec Dominique et Patrick, couple de bénévoles (Hesbaye), le 14 février 2023.
105 Extrait d’entretien avec Madeleine, bénévole (Hesbaye), le 09 mars 2023.
106 I. COUTANT, Les Migrants en bas de chez soi, Paris, Seuil, 2018.
107 Extrait d’entretien avec Marc, bénévole (Hesbaye), le 03 mars 2023.
108 K. P. KALLIO et J. HÄKLI, op. cit., p. 3.
109 Y. L. VERTONGEN, Papiers pour tous. Quarante ans de mobilisations en faveur de la régularisation des sans-papiers en Belgique (1974-2014), Academia, 2023.
110 Propos issus du documentaire P. SCHONBRODT, op. cit.
111 E. HENRY, Construction des problèmes publics, dans O. FILLIEULE (éd.), Dictionnaire des mouvements sociaux, 2ᵉ éd. mise à jour et augmentée, Paris, Presses de Sciences Po, 2020, p. 152-158.
112 I. ATAÇ, H. SCHWIERTZ, M. B. JØRGENSEN, R. VANDEVOORDT, S. HINGER et S. SPINDLER, Negotiating borders through a politics of scale: Municipalities and urban civil society initiatives in the contested field of migration, dans Geopolitics, 29(2), 2024, p. 714-740.
113 Propos de Diego Dumont, dans P. SCHONBRODT, op. cit.
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About: Adriana Costa Santos
Adriana Costa Santos est doctorante au Césir, à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles. Elle réalise une thèse sous la direction d’Abraham Franssen en partenariat avec le CPAS de Bruxelles portant sur le réseau d’action publique bruxellois dans la prise en charge des personnes migrantes en transit, terrain au sein duquel elle a été active en tant que coordinatrice hébergement de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés.
About: Clara Mativa
Clara Mativa est chercheuse au CeSCuP et assistante en sociologie à l’Université Libre de Bruxelles. Elle mène actuellement un projet de recherche portant sur l’hébergement citoyen à Bruxelles, après avoir réalisé un terrain ethnographique en vue d’un mémoire de master sur l’action collective auprès des migrant·es en transit du collectif Hesbaye, terre d’accueil.