depuis le 01 septembre 2015 :
Visualisation(s): 1407 (0 ULiège)
Téléchargement(s): 0 (0 ULiège)
print
print
Valentine Dewulf

Prononcer et exercer le droit par l’administration coloniale. Les acteurs de la relégation au Congo Belge (1910-1960)

(Vol. 42 - 2020)
Article
Open Access

Résumé

Dès 1910 au Congo Belge, l’administration coloniale peut sanctionner d’une relégation, c’est-à-dire d’une déportation ou d’une interdiction de séjour, tout individu qui a nui à la tranquillité publique. La relégation constitue une sanction parapénale qui échappe au pouvoir judiciaire. Basé sur les correspondances tenues par les membres de l’administration coloniale, cet article interroge l’application de la relégation à partir des acteurs qui la décident ou qui l’influencent. Il met à jour le rôle fondamental du pouvoir local et des agents européens de terrain dans les prononcés de relégation. Il met également en évidence les différents points de vue et les intérêts qui coexistent parmi les autres acteurs d’influence de la relégation : missionnaires, acteurs économiques et pouvoir judiciaire.

Index de mots-clés : Histoire – loi – colonisation – relégation – Congo Belge

Abstract

From 1910 in the Belgian Congo, colonial administration may order a relegation, that is a deportation or a ban on stay, against any individual who may corrupt public tranquility. The relegation is a parapenal sanction that judiciary cannot sanction. Based on correspondence held by colonial administration, this article questions the application of relegation from actors who decide it or have influence on it. It highlights the fundamental role of local power and European agents in field in ordering relegation. It also highlights different points of view and interests that coexist among other actors who influence the execution of relegation: missionaries, economic actors and judiciary.

Index by keyword : History – law – colonization – relegation – Belgian Congo

« Se débarrasser des indésirables »

1En 1940, le Gouverneur Général du Congo Belge (1908-1960), Pierre Ryckmans (1891-1959), stigmatisait une proposition de relégation provenant d’un des Gouverneurs de Province, craignant que cette sanction de déportation ne devienne un moyen de « se débarrasser des indésirables quels qu’ils soient », tout en reconnaissant cependant qu’il est « difficile de fixer des règles précises »1 en matière de relégation. En 1955 encore, le Gouverneur Général d’alors, Léon Pétillon (1903-1996), morigène ses Gouverneurs de Province et leurs subalternes hiérarchiques pour être « obligé une fois de plus » de rapporter les instructions relatives à la relégation. Il qualifie notamment de « mesure hors de proportion avec la faute commise » une déportation déjà longue de 22 années d’un Congolais coupable de vols au début des années 19302. Flou, confusion, abus, autant de qualifications qui décrivent encore l’application du décret sur la relégation quelques années avant l’Indépendance du Congo, en 1960. La relégation y est pourtant appliquée depuis plus de 40 ans.

2En effet, dès 1910, la relégation est la déportation qu’encourt tout habitant « indigène » de la Colonie qui compromet la tranquillité publique3. Elle fait partie des sanctions décidées uniquement par l’administration coloniale, au même titre, par exemple, que la contrainte par corps, c’est-à-dire l’emprisonnement administratif pendant un mois maximum pour non-paiement de l’impôt. La relégation échappe donc au pouvoir judiciaire et constitue une mesure préventive de police. Parce qu’elle n’est pas stricto sensu une peine, le justiciable ne peut contester la relégation. Dans les textes de loi, elle recouvre deux pratiques contraignantes distinctes : soit une obligation de s’éloigner d’un territoire, soit une astreinte à habiter dans une partie du pays. Schématiquement, en pratique, la relégation a été définie par l’administration comme une astreinte à résider (et non, ou en tout cas dans une moindre mesure, comme une interdiction de séjour4). Elle a concerné quelques milliers de personnes et s’est déclinée dès le début des années 1920 en relégation judiciaire et en relégation politique. Cette bipolarité a caractérisé la relégation jusqu’en 1960.

3Dans un premier cas de figure, les relégués judiciaires sont d’anciens prisonniers dont le cumul des peines s’élève à un minimum de six mois et dont la remise en liberté présenterait, selon les autorités coloniales, un danger si elle n’est pas entourée de certaines contraintes. De ce fait, les relégués judiciaires sont majoritairement déportés dans leur milieu d’origine car « la discipline clanique est leur seule chance d’amendement »5, bien qu’il n’y ait parfois plus grand lien entre le déporté et son milieu d’origine. En fait, une fois sortis de prison, les individus sont déportés et choisissent le lieu où fixer leur résidence dans la limite de leur province ou de leur territoire d’origine. Ils ont été moins nombreux que les relégués politiques durant toute la période coloniale. Ces derniers constituent le second cas de figure. Les relégués politiques regroupent tous ceux qui ne sont pas relégués en raison de leur passé pénal. Les Chefs ne collaborant pas avec les autorités coloniales forment une partie des relégués politiques, mais pour la majorité des cas, il s’agit d’individus appartenant à un mouvement religieux syncrétique jugé dangereux pour l’ordre colonial (kimbanguisme, kitawala etc.). Ils sont initialement déportés dans leur milieu d’origine ou ailleurs dans la Colonie. Progressivement, en raison de l’inquiétude coloniale face à l’expansion des idées supposées transgressives des mouvements syncrétiques, les plus zélés des croyants ont été enfermés dans des camps de relégation au cours des années 1930 ou dans des colonies agricoles pour relégués dangereux à partir de 1943.

4On peut partitionner la sanction de relégation en deux principes : celui du déplacement et celui de l’installation. Le déplacement renvoie aux décisions qui impliquent un dynamisme : la prise de décision de relégation, la levée de relégation et, dans le cas d’une astreinte à résider à un lieu précis, le transfert d’un lieu de relégation à un autre. L’installation réfère au sédentarisme : l’établissement du relégué, seul ou avec sa famille, en dehors du lieu dont il est interdit de séjour, ou dans le lieu qui lui est imposé par le membre de l’administration coloniale qui a acté la déportation. Là, il travaille et est censé pouvoir vivre dans les mêmes conditions que dans celles de son précédent lieu de vie.

5Cet article présente des pistes de réflexion sur une application de la loi coloniale à travers l’étude des acteurs formels (individus habilités à sanctionner) et informels qui décident des « moments dynamiques » de la relégation, depuis la promulgation du décret le 5 juillet 1910 jusqu’à l’Indépendance du Congo. Le décret sur la relégation institue uniquement comme décisionnaires d’une déportation des hauts gradés de l’administration coloniale : Gouverneur Général, Commissaire de District et Gouverneur de Province (ou Vice-Gouverneur Général). Or, les échanges de ces autorités laissent entrevoir une série d’acteurs informels qui influencent les mouvements de déportation. En fonction du statut institutionnel des acteurs, l’influence est plus ou moins forte et plus ou moins prescrite par l’administration coloniale. Globalement, deux strates d’interactions sont perceptibles dans le mécanisme décisionnel de la relégation. Tout d’abord, une strate concerne des acteurs formels et informels qui font tous partie des colonisateurs. En effet, les décisions de relégation des Gouverneurs et des Commissaires sont étroitement basées sur les recommandations des membres inférieurs de la hiérarchie de l’administration, c’est-à-dire les Administrateurs Territoriaux. De plus, des représentants du pouvoir judiciaire et des colons en lien avec les secteurs économiques apparaissent à diverses occurrences dans la correspondance courante. Ensuite, une deuxième strate ne concerne que des acteurs informels, qu’ils soient colonisateurs ou colonisés. Ainsi, les Administrateurs Territoriaux consultent eux-mêmes les autorités locales, Chefs et notables, pour identifier des individus à déporter. Si les archives sont peu loquaces sur le pouvoir local alors qu’il est fondamental dans la procédure de relégation, plusieurs réactions à la collaboration que lui impose l’administration coloniale peuvent être identifiées. De même, différentes attitudes ont caractérisé les colonisateurs, dont les conceptions sur l’utilité de reléguer varient en partie selon le rang et/ou selon l’institution auxquels ils appartiennent.

6Aussi, l’étude des décisions qui interviennent dans une procédure de relégation renseigne sur la distribution effective du pouvoir dans le cas d’une sanction qui a priori est uniquement le fait de l’administration coloniale. Si la portée du décret a concerné au plus quelques milliers de personnes par an, l’économie du décret rappelle des situations coloniales plus larges dans lesquelles l’État colonial oscille entre une souveraineté forte et ostentatoire, et une souveraineté faible et tributaire de ses sujets6. En même temps, l’application de la relégation témoigne des pratiques d’une justice parapénale dans un contexte déjà caractérisé par des entrelacs entre les sphères administrative et judiciaire nettement plus marqués qu’à l’entour métropolitain. On se remémorera à titre d’exemple le statut ambigu d’agents coloniaux à la fois membres du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif. Cette nébuleuse d’administratif et de judiciaire est également visible dans l’exécution du décret sur la relégation, par l’intervention, certes ponctuelle, d’acteurs appartenant exclusivement au monde judiciaire.

7Cette intervention est perceptible dans la correspondance courante de l’administration coloniale. Pour cet article en effet, outre les textes de loi, les échanges quotidiens entre agents coloniaux constituent la principale source d’informations pour identifier les acteurs informels mais décisifs dans les prononcés de relégation. La documentation reste précieuse et concise et n’autorise de ce fait parfois que la conjecture. Les quelques éléments dégagés au fil de l’analyse doivent néanmoins permettre de mieux percevoir une sanction encore largement méconnue dans le champ de la répression coloniale belge7.

Acteurs décisionnaires de la relégation : ce que dit la loi

8Lorsqu’à partir de 1910 l’atteinte à la tranquillité publique peut être sanctionnée d’une relégation, cette forme de coercition a déjà une longue histoire au Congo. En effet, dès l’État indépendant du Congo (1885-1908), la relégation des Africains a été prévue dans les textes de loi8. Son application a été « fréquente »9, sans toutefois que l’on ne connaisse réellement son étendue. Auparavant, le bannissement a également été exercé par certaines sociétés précoloniales de l’Afrique subsaharienne10, y compris sur des territoires congolais. Cependant, il ne faut pas lire l’édiction du décret en 1910 comme une réactualisation d’une mesure léopoldienne ou comme une manipulation de la coutume africaine en vue de justifier une distinction raciale dans la loi coloniale11. En réalité, le décret s’inscrit, d’un point de vue juridique, dans une concordance avec le décret qui règle l’expulsion des étrangers12. Mais surtout, elle se situe, d’un point de vue politique, dans la réflexion sur la configuration du pouvoir à mettre en place et à consolider au Congo Belge.

9En effet, en 1910, dans les textes préparatoires, la relégation vise prioritairement, d’une part, les Chefs locaux rebelles ou inaptes à faire régner l’ordre, et, d’autre part, ceux qui contestent le pouvoir local13. Elle n’est pas conçue comme une répression originale mais est explicitement comparée aux mesures de déportation à titre politique ou d’exil prononcées à la même époque contre des Chefs et des Africains rebelles en AEF (et au Congo français auparavant)14. Mais dans le cas congolais, elle est d’emblée liée à un enjeu institutionnel puisque les Chefferies sont dessinées la même année15. La menace de déportation qui cible le pouvoir local participe donc, sans en être l’instrument décisif, à la stabilisation et à la pérennisation des institutions nouvellement créées. D’autres mesures y participent, par exemple la possibilité de révoquer un Chef. L’alternative de révocation distingue le caractère exemplatif de la relégation. Cette dernière est en effet d’emblée réfléchie comme un instrument d’intimidation qui renforce les autorités coloniales, car, selon le catholique Jules Renkin (1862-1934), Ministre des Colonies, « le Gouvernement désire être armé » et « pouvoir agir avec promptitude »16.

10L’efficacité cherchée par la promulgation du décret a néanmoins suscité des inquiétudes préalables. Dans les discussions au Conseil Colonial, organe consultatif (composé de quinze membres) sur les questions légales auprès du Ministère des Colonies, une question a surtout animé le débat : celle du dépositaire du pouvoir de sanction de relégation. Sans remettre en doute le bien-fondé de l’existence d’un tel décret, le libéral Herbert Speyer (1870-1942) a fait montre d’inquiétude – qu’il partage avec trois autres membres du Conseil – sur le pouvoir donné au Commissaire de District de reléguer. Exposant une situation fictive dans laquelle un Commissaire souhaite « se débarrasser d’une mauvaise tête » et « l’expédie chez le voisin », nul doute que ce voisin « s’empressera de renvoyer le gêneur dans son pays d’origine », donnant lieu à des « situations ridicules, à un véritable gâchis, qui ne sera nullement de nature à augmenter le prestige de l’autorité »17. Si l’hypothèse soulevée par Speyer a été solutionnée par la contrainte de reléguer dans les limites du territoire dans lequel le Gouverneur Général, le Vice-Gouverneur Général (puis Gouverneur de Province) et le Commissaire de District ont autorité, elle rappelle que la loi n’est pas une prescription idéale mais le résultat de délibérations. En l’occurrence, les débats sur la nature du sanctionnateur impactent moins la tentative d’organiser préalablement une politique répressive commune que le degré de centralisation et le caractère exceptionnel de la politique à mener. Ils ne sont pas le reflet d’une opposition entre visions métropolitaine et coloniale, les débatteurs étant principalement des hommes de la Métropole. Ils témoignent en revanche des hésitations, des tâtonnements sur le type de souveraineté à exercer au Congo durant les premières années du régime belge. En outre, le décret sur la relégation s’insère dans l’organisation de la mobilité dont l’aménagement des Chefferies, la création du passeport de mutation18 ou encore la construction des lignes de chemin de fer sont probablement les plus emblématiques étendards.

11Il reste cependant surprenant que peu de débats aient porté sur la double nature de la relégation, qui, dans le texte, interdit de séjour ou astreint à habiter. De fait, si des efforts de coordination avec d’autres textes de loi ont été motivés, le décret conserve un caractère flou ou ambigu. Il en résulte un aspect « bricolage », assez commun à la loi coloniale19. On peut imputer en partie ces imprécisions à la temporalité du décret, le Congo Belge étant en 1910 une récente Colonie en train de se faire, y compris au niveau légal. Les mêmes remarques peuvent être faites en ce qui concerne la nature du comportement sanctionné d’une relégation. En effet, l’« atteinte à la tranquillité publique » ne renvoie à aucune définition juridique claire. Les prédictions du Conseil Colonial associent ces atteintes au pouvoir local, qui, dans les faits, a gagné une influence dans les décisions de relégation. Celles-ci sont toutefois rapidement le fait d’un acteur de terrain européen, l’Administrateur de Territoire.

Un acteur-pivot : l’Administrateur de Territoire

12En 1919, le Commissaire du District de l’Équateur rappelait à l’Administrateur du Territoire de Moma qu’une « proposition de relégation doit être demandée à la suite d’un rapport d’enquête très circonstancié, relatant des faits précis, des témoignages… et permettant de se faire une idée nette de la situation que crée la présence dans la Chefferie de l’individu proposé pour la relégation »20. Si brèves soient ces instructions, elles sont riches d’enseignement. Elles font en effet saillir un acteur informel central dans les décisions de relégation, en outre premier acteur européen de terrain : l’Administrateur Territorial. Étant donné l’étendue des Districts, pour reléguer, les Commissaires se sont la majeure partie du temps fiés aux connaissances des Administrateurs. Il en est de même pour les Gouverneurs de Province et le Gouverneur Général. Les Administrateurs ont en effet plus d’occasions d’acquérir un savoir « de terrain » dans le cadre de leurs visites des Chefferies de leur Territoire.

13Parallèlement, avec le concours de soldats, les Administrateurs ont également la responsabilité de veiller à la présence des relégués en déportation, à leur acclimatation et à leur bonne conduite. Ces missions incombent en principe aux autorités qui détiennent le pouvoir de relégation. À cet effet, le Conseil Colonial avait d’ailleurs préconisé les déportations « au chef-lieu de district ou chef-lieu de la zone ou du secteur où l’autorité est plus fortement organisée et où par le fait même, l’indigène sera moins dangereux parce que soumis à une surveillance immédiate »21. Cette prescription rappelle que la colonisation n’a jamais été hégémonique ni même homogène, mais s’est surtout faite à partir de différents nœuds d’influence, parmi lesquels les postes de garde22. Elle témoigne aussi d’une certaine idéalisation métropolitaine de l’implantation du pouvoir colonial. De fait, rarement la surveillance a été immédiate ou même réglementée, y compris dans les zones où la colonisation est mieux implantée. Cela a parfois donné lieu à des situations dont le caractère affaiblit la souveraineté des autorités coloniales. Un rapport mentionne ainsi qu’ « en 1919, le sergent qui se trouvait à Bokote, ignorait que [plusieurs hommes] étaient relégués et les a laissés retourner chez eux »23.

14Aussi, malgré une série de circulaires du Gouverneur Général24 et des correspondances entre différents échelons de l’administration coloniale, aucun protocole d’exécution n’a été mis en place au cours des années 1910. Cette absence de règlementation centrale s’explique par le faible nombre de relégations durant cette décennie. Les chiffres officiels font état de quelques dizaines de déportations par an pour tout le territoire congolais. Il reste qu’on ignore la majorité des motifs qui ont justifié une relégation, soit qu’ils ne sont pas mentionnés, soit que les sources, peu nombreuses pour les années 1910, manquent. Les prédictions du Conseil Colonial ont en tout cas couvert en partie la réalité. Des Chefs ont été relégués dès les années 1910 (et ont continué à l’être au cours des décennies suivantes). Certains l’ont été à la suite d’une rébellion contre les autorités coloniales, tandis que d’autres l’ont été pour impéritie. Ces écarts de conduite illustrent les difficultés rencontrées par les autorités coloniales pour s’assurer de relais autochtones fiables au début de la colonisation belge25, investissant tantôt des Chefs sans aucune autorité (et parfois même pas originaires de la Chefferie dont ils ont la charge), tantôt des Chefs dont le prestige auprès des locaux a pu rallier des contingents belliqueux contre l’implantation coloniale.

15Il est toutefois vrai que les autorités coloniales n’ont habituellement pas usé de la déportation pour contrer la défiance à l’endroit de certains Chefs. Ainsi, en 1913 dans la Province du Kasaï, 17 des 18 Chefs investis dans la région de Lusambo ont été emprisonnés. Dans d’autres régions de la Province, la révocation a été privilégiée26. De ce fait, la relégation s’inscrit dans un réseau coercitif27 alliant des pratiques légales et illégales et dont la déportation ne constitue pas l’un des maillons les plus robustes. En outre, ce réseau n’atteint pas uniquement le pouvoir local. En effet, la relégation a sanctionné un spectre de comportements bien plus éployé que l’inhabileté des Chefs, certifiant la signification élastique d’ « atteinte à la tranquillité publique » qu’elle vise. Citons par exemple la déportation de personnes suspectées de sorcellerie, ou, cas envisagé préalablement à l’application du décret, celle d’individus portant atteinte à l’autorité du pouvoir local. À nouveau, la relégation est une des sanctions utilisées pour punir ce type de comportement, mais d’autres coercitions sont également exercées, de manière légale ou non.

16Bref, la notion d’ « atteinte à la tranquillité publique » ouvre la voie à l’arbitraire face à la diversité de comportements qui peuvent y être inclus. Mais elle donne également lieu à la concurrence : un comportement sanctionné judiciairement peut également l’être administrativement. Si le judiciaire prime sur l’administratif, le lien entre la condamnation pénale et la déportation administrative a été entretenu durant toute la colonisation belge. Initialement, ce lien s’est traduit par une suppléance. En effet, les sources recensent plusieurs cas de relégations d’individus qui n’ont pas pu être condamnés devant un tribunal. Le recours à la sanction administrative pour suppléer ou juste remplacer la justice est en fait assez commun au monde colonial28 (ce qui n’implique pas qu’il n’y ait pas d’abus dans l’exercice de la justice). Cela est d’autant plus vrai et efficace que l’atteinte à la tranquillité publique est aussi, en vertu d’une législation léopoldienne, sanctionnée judiciairement29, superposition qui illustre à nouveau l’opportunisme de la construction de la loi coloniale plus que son élaboration panoramique.

17Ainsi, la relégation fait en quelque sorte office de palliatif à la justice et les autorités administratives de juges de substitution. Encore, parce qu’il intervient auprès de son Commissaire de District, l’Administrateur Territorial occupe un rôle central. On peut citer à titre d’exemple la suggestion de l’Administrateur de Coquilhatville de reléguer en 1917 un Chef qu’il a estimé coupable de concussion à la suite de plaintes de la population autochtone. La déportation, selon lui, se justifie car il s’agit « d’un cas de conviction morale » pour laquelle les « preuves précises, formelles, manquent. »30 Cette manœuvre sert tant la « conviction morale » que les autorités coloniales. En effet, la déportation fait dans ce cas figure de menace et investit les membres de l’administration coloniale d’une autorité que le non-lieu judiciaire tend à diminuer. S’il n’est pas ici question de désunion entre les magistrats et l’administration, cet exemple rappelle l’enchevêtrement fort entre sphères judiciaire et exécutive, à plus forte raison que certains juges sont aussi membres de l’administration coloniale31.

18Au cours des années 1910, les sources ne mentionnent pas plus de désunion entre les Administrateurs, alors que des relégués sont parfois envoyés dans un autre Territoire que celui dans lequel ils ont jusqu’alors vécu. Le faible nombre de relégués explique probablement ce silence, quoique la faible opportunité archivistique laissée à l’étude de la relégation à cette époque peut aussi l’inférer. Il est en tout cas certain que les Administrateurs de Territoire ont joué un rôle décisif dans les prononcés de déportation durant les premières années de la colonisation belge. Leur contact à la fois avec les instances supérieures de l’administration coloniale et le pouvoir local a renforcé leur influence. Leur rôle ne s’est pas amoindri au cours des décennies ultérieures. Leur fonction de terrain facilite la collecte d’informations qui échappe aux Commissaires et aux Gouverneurs pour motiver une déportation. Toutefois, il semble que dès les premières années la seule présomption a parfois incité l’application du décret sur la relégation. D’autres prononcés sont plus argumentés, notamment ceux qui concernent le déplacement de Chefs ou ceux qui concernent les perturbateurs de l’autorité locale. Les Administrateurs s’appuient alors sur des intermédiaires africains. Ces derniers peuvent être des informateurs, notamment lorsqu’il s’agit d’arrêter un pouvoir local fort de la sympathie de ses sujets, mais il peut aussi s’agir d’une plus large portion de la population autochtone, mécontente du Chef qu’elle déconsidère.

19Les Administrateurs s’appuient sur les relais militaires africains pour exécuter la relégation, sans que celle-ci ne soit marquée par un suivi assidu des déportés installés. La levée de relégation est donc rare, et l’Administrateur ne peut la suggérer que lorsqu’un relégué lui-même la requiert ou lorsqu’il a consulté l’avis du Chef du lieu dans lequel se trouve le relégué. Ce faisant, le rôle des Chefs est réflexif : ils sont menacés de relégation en même temps qu’ils peuvent influencer la prise ou la levée d’une relégation. Mais le rôle des Chefs dans l’application de la relégation gagne réellement de l’ampleur à partir des années 1920.

Influence du pouvoir local et standardisation de l’application de la relégation

20Au Congo Belge, le début des années 1920 est marqué par une recrudescence de mouvements messianiques dont le kimbanguisme (issu du Bas-Congo) et le kitawala (qui a pénétré l’est du Congo, en venant de Rhodésie) sont les plus suivis, alors qu’il existe une longue tradition de mouvements religieux en Afrique Subsaharienne. La littérature associe l’émergence de tels mouvements à des périodes de crises et de bouleversements32 que trahissent, dans le cas congolais, l’organisation des Chefferies d’un point de vue social et politique ou l’appropriation des ressources humaines et matérielles d’un point de vue économique. Ces mouvements ont fondé une véritable anxiété parmi les colonisateurs car ces derniers les ont associés à la sédition. En effet, les autorités coloniales ont analysé ces mouvements dans un syncrétisme qui allie une composante religieuse issue du protestantisme à une composante politique qui vise à la destruction de l’État colonial. Cette interprétation résulte tant des discours tenus par certains prophètes que des désertions des postes de travail de Congolais partis à la rencontre de ces messies auxquels ils prêtent des compétences prophylactiques33. En réalité, les syncrétismes tiennent plutôt d’une appropriation d’une religion européenne et ont été plus ou moins politisés selon les contextes dans lesquels ils se sont développés34. Dans le cas congolais, ce sont principalement des tenants d’une forme de kitawala qui ont effectivement mené plusieurs révoltes.

21L’apparition des mouvements messianiques et l’engouement qu’ils ont éveillé ont eu des incidences sur les prononcés de relégation. En effet, le nombre de décisions de relégations a fortement augmenté, passant de dizaines à des centaines par an. Des milliers d’individus se trouvent par conséquent en relégation chaque année. Les déportations d’adeptes ou de ceux considérés comme les leaders de mouvements messianiques ont constitué la majorité des « relégations politiques », nomenclature qui apparait au début des années 1920. L’usage de la déportation pour réprimer des fidéistes n’est pas propre au régime colonial belge. On peut citer à titre d’exemple les déportations en AEF, de la fin des années 1920 à l’Indépendance, de certains membres du mouvement amicaliste35, association sociopolitique qui a gagné une composante spirituelle à la mort de son leader, André Matswa, en 194236. Ce dernier a été emprisonné, comme d’autres adhérents au mouvement qu’il a créé.

22Au Congo, la relégation a également constitué une alternative à l’emprisonnement (judiciaire ou administratif), autre forme de coercition exercée contre les supposés leaders (et adeptes) de mouvements syncrétiques. Toutes les relégations politiques ne concernent toutefois pas des syncrétismes, les Chefs ou les « sorciers » déportés intégrant aussi cette balise. En outre, au regard du succès des nouvelles religions, la majorité des croyants n’a pas été réprimée. L’utilisation de la déportation s’explique à la fois par la diversité des comportements qu’elle peut justifier, et corollairement, par sa capacité substitutive entretenue dès les années 1910 : lorsqu’aucun élément matériel n’appuie la décision de justice, la relégation assure une alternative légale, rapide, intimidante et, au début du moins, considérée efficace pour enrayer l’augmentation des adhésions.

23Face à ces nouvelles donnes sociales, l’administration coloniale a standardisé l’application des relégations au cours des années 1920. Dès que des renseignements sur des leaders ou des adeptes de mouvements messianiques parviennent aux autorités coloniales, l’Administrateur Territorial a dû procéder à une enquête pour confirmer les indications qui sont ensuite consignées dans un P.V. Dans les faits, ces enquêtes consistent à interroger les suspects d’une part, et les indicateurs et le pouvoir local d’autre part. Dès que la suspicion est suffisamment forte, le justiciable est relégué après que sa déportation lui a été signifiée. Il doit se présenter devant un représentant de l’ordre colonial avant que des soldats ne l’emmènent au lieu d’exil en suivant une feuille de route. Il n’y a initialement pas de règles strictes pour la déportation politique : les individus, qui peuvent être accompagnés de leur famille, sont disséminés à travers la Colonie, dans leur Territoire d’origine ou non. Ils doivent se présenter spontanément à intervalles réguliers auprès d’un membre du pouvoir colonial. Toutefois, dans les faits, le contrôle de présence s’est avéré tout relatif. En fait, la séparation du relégué du reste de la communauté fidéiste doit suffire à le distancer de sa foi. L’administration encourage cependant les missions à participer à l’abandon du syncrétisme.

24Quoi qu’il en soit, la seule présomption d’appartenance à un mouvement a suffi à reléguer. On comprend dès lors l’enjeu pour les coloniaux de s’appuyer sur des Chefs et des indicateurs fiables en amont, comme en aval du prononcé de relégation : sur le lieu d’astreinte à résider, les autorités coloniales se fient aux renseignements du pouvoir local pour juger le prosélytisme des croyants. La relégation est ainsi employée comme une démonstration de force mais demeure en même temps la coercition d’un colosse aux pieds d’argile. L’administration coloniale a d’ailleurs conscience de diriger un État à la fois fort et faible. John Higginson a ainsi rappelé que des kitawala, en tant qu’indicateurs ou à la suite d’un interrogatoire, confessaient des aveux totalement faux37. Et l’administration coloniale a elle-même fabulé certaines séditions38 tandis qu’elle n’a pas perçu les dissimulations de Chefs convertis à un syncrétisme.

25L’attitude des Chefs ne se conçoit pas uniquement dans une dynamique de collaboration/résistance perceptible dans leur rapport aux mouvements syncrétiques. Comme déjà indiqué, depuis les années 1910, les Chefs réfèrent aussi aux autorités coloniales des comportements nuisant à leur propre présidence. Ces comportements sont le fait, la majorité du temps, de personnes influentes au sein des communautés présentes dans la Chefferie, comme des notables ou des patriarches. La rivalité est parfois plus ou moins fantasmée, mais parfois réellement hostile. L’Administrateur du Territoire de Lofondo dans la Province de l’Équateur souligne ainsi en 1937 le « courage » 39d’un jeune Chef ayant dénoncé un patriarche qui a encouragé les gens de son village à le recevoir « avec arcs et flèches » parce qu’il réclamait la mise au travail des villageois. En somme, le pouvoir local exploite les failles du décret sur la relégation à sa propre fin. Cette manipulation du média légal est à nouveau rendue possible par l’extension de la signification d’ « atteinte à la tranquillité publique ». Il agit en tant qu’acteur informel à travers la loi et non en faveur ou contre celle-ci. Cette utilisation de la loi coloniale a déjà été mise en évidence dans l’historiographie pour des acteurs locaux habilités à sanctionner la loi40. À nouveau, des membres de l’administration coloniale, à tous les échelons, sont conscients des manœuvres opérées par certains membres du pouvoir local et le déplorent en rappelant que « la relégation est une mesure grave, sévère, qui ne peut être appliquée qu’exceptionnellement et que si l’indigène compromet réellement la tranquillité publique »41.

26La réalité de l’atteinte à la tranquillité publique est parfois difficilement perceptible à l’heure de décider une relégation (ou de la lever). Les instances habilitées à le faire se sont ainsi souvent plaint de dossiers de relégués incomplets ou de motifs de relégation trop concis. Ces négligences visent surtout les Administrateurs, qui, comme déjà indiqué, motivent de nombreux prononcés et doivent établir des rapports sur les relégués en déportation. Malgré la négligence administrative qui leur est parfois reprochée, les Administrateurs continuent à influencer le prononcé de relégation. Cette influence illustre la dépendance des instances supérieures vis-à-vis des agents de terrain, dont l’autonomie décentralise l’État colonial, et rappelle que le droit échappe en partie à ses dépositaires officiels, peut-être de manière exacerbée en situation coloniale. La négligence administrative a pourtant une incidence sur l’efficacité de la relégation, notamment en termes de surveillance. Ce manquement a d’ailleurs également été souligné à plusieurs reprises, rappelant que le contrôle doit être fréquent42. Ces biais peuvent aussi nuire aux relégués. Un dossier incomplet ne peut par exemple pas argumenter en faveur d’une levée de relégation. Mais les biais peuvent aussi servir les relégués.

27La popularité des religions syncrétiques a cru tout au long de l’Entre-deux-Guerres. La relégation a été un des vecteurs de diffusion de ces mouvements. Puisqu’ils ne peuvent pas contester leur relégation, les déportés politiques l’ont exploitée, en se servant notamment des failles constatées dans la surveillance pour convertir aux alentours. Ils ont également développé leurs propres vecteurs de transmission de savoir (par exemple en créant un alphabet43 ou à travers les chants44) et leurs propres modes de résistances, qui ont varié en intensité et en durée (de la tenue de réunions secrètes45 à des rébellions). La diffusion a inquiété les autorités coloniales, qui ont vu dans chaque conversion une potentielle germe insurrectionnelle. Aussi, des formes coercitives plus aiguës ont caractérisé la relégation. Durant les années 1930, des camps et à partir de 1943 des colonies agricoles pour relégués dangereux (sortes de camps situés dans des « no man’s land ») ont concentré au lieu de disperser les déportés politiques considérés comme les principaux zélateurs de leurs croyances. Ces lieux ont été caractérisés par une surveillance quotidienne à la charge d’un Européen. Ces nouvelles formes de coercition n’ont pas fait disparaître la dispersion des autres déportés, mais l’ont limitée à ceux que les autorités coloniales estimaient moins dangereux.

28Les camps n’ont toutefois pas enrayé la dispersion des mouvements syncrétique. De plus, les problèmes procéduraux ont subsisté, malgré une vivace correspondance visant à les régler. On peut citer le cas de Jean A., relégué dans une colonie agricole à Kasaji (Katanga). À la suite de dénonciations d’indicateurs kitawala et d’une perquisition ayant abouti à la découverte d’écrits jugés « suggestifs » (une Bible dont certains passages ont été soulignés), il a été déporté en 1956. Jean A. avait été juge à Ponthierville (Kivu) jusqu’en 1955, poste qu’il avait occupé à la demande de l’administration coloniale. Dans le cadre de ses fonctions, il avait condamné plusieurs kitawala dont, assez ironiquement, au moins un a été par la suite relégué à Kasaji. L’attitude de Jean A. en relégation a toujours été exemplaire si bien que sa présence dans la colonie agricole a été contestée par plusieurs Européens, dont le gardien du camp dès 1957. Ce dernier a écrit en 1959 un mémorandum visant à réparer l’ « erreur administrative » sans que « les sentiments de certains membres de l’administration ne soient heurtés »46. Le gardien a été soutenu par le Révérend Père de la mission de Ponthierville qu’a fréquentée le relégué. Si on ne connait pas l’issue de la démarche, cet exemple est une synthèse des biais qui ont pu exister depuis les années 1920 dans l’application de la relégation politique. Ainsi, outre l’appui sur des indicateurs dont une partie de l’administration se méfie, une enquête sommaire étaie la relégation, basée sur des preuves indirectes. Celles-ci fondent une présomption suffisante, une « conviction morale », pour acter la sanction administrative de relégation. La manière dont la perquisition et la relégation sont menées présente certains échos au principe d’interpellation d’Althusser47 : quand un individu se retourne parce qu’il est appelé par un représentant du pouvoir, le seul fait de se retourner rend l’individu sujet du pouvoir en ce sens qu’il reconnait, il prend à soi le propos qui l’a interpelé. Dans le cas présent, le seul fait d’avoir répondu à la perquisition et reconnu la possession de la Bible rend Jean A. kitawala et, de ce fait, sujet colonial politique soumis à la coercition. Il n’est plus défini qu’à travers sa supposée croyance subversive. Toutes proportions gardées, il semblerait que des relégués parmi ceux considérés comme les plus politisés, c’est-à-dire les plus dangereux, se sont arrangés de cette relation. L’administration a en effet déploré la volonté de déportés d’être des « martyrs »48 au nom de leurs idées religieuses.

29Ce bref exemple renseigne également les tensions qui ont pu exister entre les membres de l’administration, prolongeant les différends qui ont stigmatisé le manque administratif dans la procédure. Il fait également saillir un autre acteur informel des moments « dynamiques » de la relégation : le missionnaire. Un autre acteur civil influence aussi ces mouvements, l’acteur économique.

En marge de la relégation : les missions et les acteurs économiques

30La gestion de la colonisation au Congo Belge a souvent été analysée dans une entremise tripartite. Cette interprétation est cultivée dès l’époque coloniale. À cet égard, les instructions internes de l’administration coloniale soulignent qu’ « agents, missionnaires et commerçants se doivent un mutuel appui »49. Théoriquement, l’administration est chargée du maintien de l’ordre et de la coordination des actions entre les trois partis, l’Église est occupée à l’évangélisation et à un rôle social (éducation, hygiène etc.), et les trusts s’occupent de la mise en valeur du territoire (cultures, mines etc.). Si l’administration coloniale est responsable de la mise en application de la relégation, l’influence tripartite est visible aux différents moments « dynamiques » de la relégation.

31Avec la résurgence des mouvements messianiques, l’influence des missions est très perceptible, l’administration encourageant la plupart du temps les initiatives catholiques et, par la suite, aussi protestantes. Pourtant, dès les années 1910, quelques correspondances attestent des échanges entre missionnaires et membres de l’administration en vue de reléguer tel individu. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où les missionnaires ont une connaissance du terrain qu’entretiennent moins les plus gradés de l’administration. Les Commissaires et Gouverneurs encouragent aussi le partage d’informations et prêtent même dans certains cas une posture d’intermédiaires aux missions chargées d’apaiser l’un ou l’autre élément en vue d’éviter une déportation50, bien que le travail des missions ait parfois été heurté ou utilisé par le pouvoir local51. Toutefois, l’usage très ponctuel de la relégation limite l’implication des religieux dans cette sanction. Il n’en est pas de même une fois la relégation politique balisée durant les années 1920.

32L’appui des missionnaires a permis un déplacement rhétorique dans le contact avec les relégués politiques : les religieux sont à-mêmes d’investir le terrain liturgique qui échappe en partie à l’administration coloniale. L’apostasie est l’objectif visé par l’administration aussi bien à travers la coercition qu’à travers la charge dialogale déléguée aux missions. Pour autant, les relations entre administration et missions, protestantes comme catholiques, n’ont pas toujours concordé.

33En effet, l’administration a abordé avec méfiance certains missionnaires protestants durant les années 1920, les mouvements syncrétiques étant issus de ce christianisme. La relative tolérance que des missionnaires protestants ont initialement adoptée vis-à-vis du kimbanguisme lors de l’apparition du mouvement au Bas-Congo52 a probablement aussi influencé cette méfiance. En outre, le pouvoir colonial a toujours assumé son attachement aux missions catholiques, concurrentes des protestantes dans la course à l’évangélisation de l’Afrique. Des catholiques ont d’ailleurs tenu les protestants pour directs responsables de l’apparition de mouvements syncrétiques. Ainsi, encore en 1947, le missionnaire rédemptoriste Louis Philippart, témoin de l’émergence du kimbanguisme, estimait que ce mouvement était « un enfant du protestantisme »53, tout en reconnaissant qu’il en avait aussi pris « les bons côtés » pour combattre « le fétichisme, les danses obscènes et la polygamie »54 présents en Afrique. La filiation entre protestantisme et syncrétisme religieux a aussi été mise en avant par des missionnaires catholiques pour dénoncer auprès de l’administration coloniale les rapports amicaux que des protestants ont entretenus avec des relégués. En 1940, un missionnaire de Scheut s’inquiétait du succès rencontré auprès des relégués de Lokolama par un missionnaire américain protestant, dont « le mode de vie [n’était pas] de nature à lui donner du prestige ». Il alarmait le Commissaire de District sur l’effet que pourrait avoir les « influences étrangères et kimbanguistes » sur la population locale, composée de gens « naïfs, impressionnables, très superstitieux »55. À la suite de ces dénonciations, une enquête a été menée56, sans que l’on en connaisse les résultats.

34Ce témoignage illustre la manière dont les Pères ont eux-mêmes usé (et parfois abusé) de leur influence pour tenter d’éloigner des déportés dont ils craignaient l’impact néfaste sur les Africains évangélisés. Il montre aussi la manière dont la présence de relégués a été un argument pour porter le discrédit sur une mission concurrente, quoique ce décri est peu fréquent dans les correspondances avec l’administration. Pour autant, les rapports entre l’administration coloniale et les missions protestantes n’ont pas été réduits à l’influence catholique et ont aussi suscité des collaborations. Ainsi, en 1947, bien que ce projet n’ait finalement pas abouti, l’Administrateur Territorial de Boende avait accueilli favorablement la proposition protestante d’installer une chapelle-école à la colonie agricole pour relégués dangereux d’Ekafera, en signalant toutefois que « tout catéchiste de quelle confession qu’il soit, devra faire l’objet d’une surveillance secrète et constante »57. Cet exemple illustre l’absence de politique claire vis-à-vis des missions dans l’exercice de la relégation, missions dont l’appréciation a largement été laissée aux autorités coloniales de terrain. Si ces dernières ont encouragé les initiatives des missions catholiques et protestantes, elles s’en sont aussi parfois méfiées. Ce sentiment est particulièrement visible vis-à-vis des protestants. À l’inverse, les missions elles-mêmes ont aussi pu rechigner à entreprendre un travail dialogal avec les relégués.

35De fait, dans les lieux de relégation, les déportés ont prêché et converti non seulement des fidèles se rendant auparavant aux missions mais aussi des diacres africains58. Ces conversions ont suscité des craintes. Le Vicaire Apostolique de l’Ubangi (Équateur) décrit ainsi en 1941 que des relégués

36sont toujours au village indigène le plus proche, ils sont en rapports constants avec la population, particulièrement avec les voisins, et aussi avec les Chefs et les notables, qui viennent régulièrement au chef-lieu du Territoire. Ils ne cessent de parler religion, et se moquent ouvertement de la religion catholique. Ils ont malheureusement réussi à faire école, et à détourner de notre sainte religion de nombreux Chrétiens avec lesquels ils sont liés d’amitié59.

37On notera à nouveau le rôle des Chefs et des notables dans le rapport des relégués à leur nouvel environnement. Cet extrait montre également la complexité et l’ambiguïté à allier différents acteurs dans la gestion de la coercition. En effet, si l’administration et les missions ont des intérêts convergents à encourager un discours liturgique avec les relégués, elles ont souvent été confrontées à l’effet inverse de celui escompté : lorsqu’il y a eu conversion, ce sont maintes fois les relégués qui ont converti, et non les chrétiens.

38Bref, les missions, et surtout celles d’obédience catholique, ont pu suggérer la prise de prononcés de relégation. Elles ont aussi influencé la levée de relégation en ce qui concerne la déportation politique, en incitant les relégués à l’apostasie. Les sources consultées, qui s’appuient essentiellement sur la correspondance entretenue par l’administration coloniale, ne permettent toutefois pas d’évaluer l’efficacité des suggestions des missions parce qu’elles ne réfèrent que celles qui ont été suivies d’une enquête et non celles qui ont été ignorées. Pareil raisonnement pourrait être appliqué à l’influence des acteurs privés, quoique leur importance est moins indiquée dans le prononcé ou la levée que dans le choix du lieu de relégation.

39En déportation, qu’elle soit politique ou judiciaire, les relégués travaillent. Ils ont la majorité du temps été occupés à des travaux de culture. Certains ont pu être embauchés par l’administration pour des travaux publics à durée limitée. Le choix du lieu de relégation est donc aussi tributaire des possibilités de travail, outre le degré de dangerosité associé au déporté et à l’assise souveraine de l’État colonial sur le lieu de relégation. Mais les possibilités de travail ont été augmentées par les acteurs privés, qui ont parfois engagé des déportés. Il semble toutefois que ces derniers aient été moins payés que les travailleurs libres60. Le rôle des acteurs privés reste obscur. L’administration n’a en tout cas pas conservé les éventuelles correspondances qui ont été échangées avec les employeurs de relégués. Leur embauche atteste au moins de collaborations avec l’administration coloniale. Elle questionne aussi la menace réelle qu’ont pu représenter certains déportés, et de ce fait, à nouveau, l’arbitraire qui caractérise la sanction.

40La question du travail des relégués interroge en outre celle de la temporalité : les travaux de culture suggèrent une implantation sur le long terme tandis que d’autres travaux, publics ou en lien avec le privé, sont plus restreints dans le temps et peuvent impliquer une réorientation dans le travail ou un transfert de lieu de relégation. Mais dans tous les cas, la durabilité engage nécessairement l’enjeu de la levée de relégation. Si certaines déportations ont effectivement été stoppées, des correspondances tout au long de la colonisation stigmatisent le manque de propositions de levée de relégation. Ces omissions proviennent en partie du fait qu’aucune instruction claire n’est établie à ce sujet, ce qui est notamment dû au fait que la levée est fondamentalement contingente de « l’état d’esprit »61 du lieu dans lequel le relégué souhaite se rendre une fois sa sanction levée (état des mouvements syncrétiques, tension de la population locale avec le colonisateur etc.). De ce fait, comme pour toutes les déportations administratives62, la relégation n’engage pas uniquement la maîtrise des lieux de déportation mais rend l’adéquation de la loi à son application subordonnée à un « faisceau conjoncturel »63. Il faut attendre 1954 pour qu’une généralisation des révisions systématiques des dossiers soit envisagée64. Jusqu’alors, seules des instructions de 193865 prévoyaient de revoir « périodiquement » les relégations judiciaires. Les déportations judiciaires font introduire un dernier acteur dans la relégation : l’homme de droit.

Implication progressive du pouvoir judiciaire

41Comme on l’a montré dans cet article, il existe un lien entre relégation et condamnation pénale durant les années 1910, la première présentant une alternative plus rapide et moins contraignante à la seconde. Cette accointance persiste. Ainsi, au cours des années 1950, des justiciables qui n’ont pu être condamnés devant un tribunal ont été relégués66. Mais le lien semble s’étendre au cours des décennies, même si la correspondance de l’administration en fait peu écho. Au moins trois vecteurs d’incidence du judiciaire sur l’exécutif peuvent être mis en évidence. Ils laissent supposer une concurrence progressive entre les deux pôles. Le premier vecteur est lié à la relégation judiciaire.

42Au cours des années 1920, l’appellation « relégation judiciaire », sanctionnant des détenus après leur emprisonnement (et dont le cumul des peines s’élève à six mois), intègre le vocabulaire usuel des coercitions prononcées par l’administration coloniale. Si cette appellation existe déjà durant les années 1910 de manière ponctuelle, elle est systématisée lors de la décennie suivante. À cette époque, alors qu’une résurgence forte des mouvements messianiques est observée, le système carcéral est étendu et mieux maîtrisé, tandis que l’organisation judiciaire est développée et complexifiée, au moins en droit67. Ces éléments ont vraisemblablement favorisé la généralisation de l’appellation « relégation judiciaire ».

43En outre, sa définition est probablement inspirée de la législation française sur la relégation des récidivistes promulguée dès 1885. Aussi exécutée en Afrique subsaharienne, la relégation française a été organisée en fonction de différents régimes de coercition, certains relégués circulant librement et d’autres étant confinés dans des camps ou des prisons68. Dans le cas belge, différents types de régime ont également été observés. En effet, alors que des relégués politiques ont progressivement été enfermés dans des camps69, d’autres ont continué à circuler librement tant qu’ils garantissaient leur présence sur le lieu de relégation. Les relégués judiciaires ont généralement été soumis à ce deuxième régime. En effet, comme déjà indiqué, ils ont majoritairement été déportés dans leur « milieu d’origine » et ont dû signaler leur présence à intervalles réguliers.

44Le processus de sélection des prisonniers à reléguer constitue l’une des trois lentilles qui permettent d’observer l’implication du pouvoir judiciaire dans la relégation. En effet, bien que de manière secondaire, des propositions de relégation de prisonniers se sont basées sur l’avis des Procureurs qui inspectent les prisons. Toutefois, l’avis des gardiens de prison a été plus décisif dans les suggestions de relégation. En effet, les gardiens ont une connaissance plus fine des dossiers des éventuels fauteurs de troubles, tout en étant eux-mêmes cependant tributaires des rapports quotidiens des surveillants africains. Aussi, pour le début de la procédure de relégation judiciaire, les figures de l’Administrateur du pouvoir local sont moins décisives, mais les autorités coloniales n’en demeurent pas moins tributaires de personnalités externes.

45A priori, les fiches signalétiques des relégués judiciaires sont plus complètes que celles de relégués politiques (du moins celles des relégués politiques qui ne sont pas passés en prison) pour la simple et seule raison que l’élément qui les a menés en prison, aussi brièvement décrit et motivé soit-il, est indiqué70. De ce fait, toutes proportions gardées, les renseignements fournis inscrivent les prononcés de relégation judiciaire dans une dynamique foucaldienne de pouvoir/savoir qui échappe la plupart du temps à ceux de relégation politique. Le rapport du relégué judiciaire à l’État colonial diffère également. Il n’est pas déporté à partir d’éléments qui peuvent ne relever que de la suspicion ou des inquiétudes qu’il fait discerner dans le chef de l’administration coloniale, mais à partir d’éléments matériels – ce qui n’élude pas la question de la construction des éléments matériels. L’administration coloniale estime qu’au regard de comportements ayant eu cours avant et pendant l’emprisonnement, l’individu demeure une menace s’il n’est pas sanctionné à la fin de sa peine. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu d’abus également vis-à-vis de relégués judiciaires. Plusieurs correspondances vitupèrent d’ailleurs la facilité de certains membres de l’administration à « se débarrasser » d’individus (cf. supra). Mais le rapport de sujétion du relégué judiciaire à l’État colonial ne les lie pas dans un rapport d’existence comme celui qui unit le relégué politique à l’État colonial. C’est l’atteinte matérielle et non essentielle à l’État colonial qui fonde la relégation judiciaire.

46Le rôle du pouvoir judiciaire ne s’est pas limité à conseiller l’administration dans le cadre de la relégation judiciaire. De fait, le deuxième vecteur d’incidence du judiciaire sur l’exécutif réside dans les prononcés de relégation. En effet, la jurisprudence rappelle à plusieurs reprises durant les années 1930 que la relégation n’est pas du ressort des tribunaux71, suggérant de ce fait que certains magistrats se sont arrogé le droit de prononcer cette sanction. Si les sources ici utilisées ne peuvent aller au-delà de la conjecture, l’intervention ponctuelle de Procureurs sur les lieux de relégation où ils écoutent les requêtes des déportés atteste au moins d’irruptions dans le domaine administratif72. Les magistrats les rapportent alors aux autorités administratives, généralement haut-gradées. La réception de ces rapports n’est pas toujours enthousiaste, sans qu’elle ne soit, en tout cas par écrit, définie comme une ingérence.

47Enfin, d’autres tensions, d’ordre procédural, sont perceptibles. Elles sont le résultat de la troisième influence du judiciaire sur l’administratif. En effet, l’administration coloniale doit fournir aux Procureurs une copie de toutes les décisions de relégation. Cependant, cette obligation n’a pas toujours été respectée, faisant écho aux plaintes de négligence observées entre différents membres de l’administration. Cette omission est rappelée à plusieurs reprises par les Procureurs, alors que les hommes de droit s’inspirent en partie de la documentation sur les mouvements messianiques réunie par l’administration pour condamner certains leaders. Les plaintes ont essaimé durant toute la période coloniale. L’agacement de la magistrature est ainsi encore palpable en 1957 quand celle-ci « se montre réticente et fait preuve d’une certaine réserve, si pas de méfiance, à l’égard des mesures d’internement et de mise en résidence surveillée »73 et se déclare dès lors peu encline à collaborer avec l’administration coloniale74. L’arbitraire de cette dernière met aussi de plus en plus mal à l’aise la Métropole, alors que des dénonciations sur le traitement des kimbanguistes dans les journaux communiste Le Drapeau Rouge et socialiste Le Peuple ont braqué les projecteurs sur la Colonie75. Malgré les tentatives de rationalisation et de garanties pour les relégués établies avec l’imposition de révisions systématiques des dossiers à partir de 1954, le décret de 1910 est finalement abrogé et la relégation devient une sanction pénale en 195976. Ce glissement légal s’inscrit dans la politique de réformes qui a été une des réponses de la Colonie aux premiers indices de marche de l’Indépendance à la suite des émeutes de Léopoldville en janvier 1959.

« Petit Roi dans son royaume »

48Tout au long de l’existence du décret sur la relégation, un cortège d’acteurs formels et informels ont influencé les prononcés, les transferts et les levées d’une déportation qui, dans la loi, est uniquement placée sous la responsabilité de hauts-gradés de l’administration coloniale. Alors que, de manière ponctuelle, des acteurs issus des sphères judiciaire et catholique sont déjà impliqués dans les moments dynamiques de la relégation au cours des années 1910, la distinction entre relégation judiciaire et relégation politique au début des années 1920 a impliqué une plus grande variété d’acteurs et a renforcé l’influence des membres des échelons inférieurs du pouvoir colonial (Administrateurs Territoriaux et Chefs).

49Ainsi, les prononcés de relégation judiciaire ont été influencés par le pouvoir judiciaire et l’administration pénitentiaire tandis que les prononcés de relégation politique ont impliqué des missionnaires catholiques et, par la suite, également protestants. En outre, les Administrateurs et les Chefs ont aussi influencé les relégations politiques. En déportation, ces deux dernières catégories d’acteurs ont occupé un rôle majeur dans la surveillance et le regard porté sur les relégués, judiciaires comme politiques. En outre, les missions ont aussi joué un rôle dans la relégation politique. Tous ces acteurs ont parfois été en désaccord et ont soutenu ou ont été influencés par les relégués. Ceux-ci ont été dispersés (et/ou concentrés à partir des années 1930) dans des endroits stratégiques. Cette stratégie a avant tout été subordonnée à la situation politique des potentiels espaces où déporter et, de manière secondaire, au besoin de main d’œuvre énoncé par des acteurs privés.

50En déportation, relativement libres ou confinés dans des camps, les relégués ont été soumis à des régimes coercitifs distincts. Ces distinctions s’expliquent par la différence ontologique entre les deux types de relégation. En effet, schématiquement, la déportation judiciaire sanctionne une atteinte matérielle et la déportation politique une atteinte essentielle à l’État colonial. Ces distinctions justifient également la mobilisation d’acteurs différents. L’implication de ces acteurs met en lumière les tentatives de rendre adéquate et possible l’application de la loi à la réalité du terrain. De manière corollaire, elle rappelle également qu’une partie du droit échappe au pouvoir judiciaire. En même temps, la légalisation des pratiques liées à la relégation, et donc par définition leur légitimité d’un point de vue souverain, n’est rendue possible que par la largesse, et donc par l’ouverture à l’arbitraire, laissée aux autorités européennes de terrain (les Administrateurs de Territoire) et aux autorités autochtones (principalement les Chefs et notables, dans une moindre mesure et indirectement le personnel de surveillance pénitentiaire). Aussi, si l’implication des acteurs formels et informels rappelle les liens qui unissent l’administration coloniale avec les acteurs privés et religieux, elle rappelle avant tout la souveraineté intrinsèquement faible de l’État colonial, tributaire du pouvoir local et de l’Administrateur de Territoire qu’un magistrat qualifiera en fin de colonisation de « petit Roi dans son royaume »77.

Notes

1 Ministère des Affaires Étrangères, Commerce Extérieur et Coopération au Développement (MAE), Archives Africaines (AA), Fonds du Gouvernement Général (GG) 10160, Gouverneur Général au Gouverneur de Province, 25 janvier 1940.

2 MAE, AA, GG 10160, Gouverneur Général aux Gouverneurs de Province, Léopoldville, 24 février 1955.

3 Bulletin officiel du Congo Belge (BOCB), décret du 5 juillet 1910 sur le droit de résidence sur les territoires du Congo Belge.

4 Lorsque l’interdiction de séjour est prononcée, ceux qui y sont soumis sont simplement appelés « interdits de séjour » et non « relégués ».

5 MAE, AA, GG 5487, Service des AIMO [Affaires Indigènes et Main d’Œuvre] à tous les Commissaires de District, les Administrateurs de Territoire et les Chefs de poste, [Léopoldville], [années 1940].

6 A. STOLER et F. COOPER, Tensions of Empire: Colonial Cultures in a Bourgeois World, Berkeley, University of California Press, 1997; F. COOPER, Le colonialisme en question. Théorie, connaissance, histoire, Paris, Payot, 2010.

7 Parmi les contributions qui développent un aspect de la relégation, voir : M-M. MUNYANI, La déportation et le séjour des kimbanguistes dans le Kasai-Lukenie (1921-1960), dans Zaïre-Afrique, n°119, novembre 1977, p. 555-573 ; A. MÉLICE, La désobéissance civile des kimbanguistes et la violence coloniale au Congo belge (1921 – 1959), dans Les Temps Modernes, 658-659, avril-juillet 2010, p. 128-250 ; N. HUNT, A Nervous State. Violence, Remedies, and Reverie in Colonial Congo, Durham, Duke University Press, 2016, p. 167-205 ; V. DEWULF, Enfermement administratif et répression coloniale. Formes et pratiques de la relégation au Congo Belge (1910-1960), dans Revue Belge de Philologie et d’Histoire, t. 97, fasc. 2, 2019, p. 1-40. 

8 Bulletin officiel de l’État indépendant du Congo (BOÉIC), décret du Roi Souverain de l’État Indépendant du Congo du 15 septembre 1889 portant sur l’expulsion.

9 Exposé des motifs du Ministre des Colonies Jules RENKIN sur le projet de décret complétant la règlementation du droit de résidence sur les territoires du Congo Belge, dans Conseil Colonial. Compte-rendu analytique des séances, Bruxelles, Lesigne, mai-décembre 1910, annexe II.

10 Ce bannissement a aussi pu prendre la forme d’une réduction en esclavage : J. VANSINA, L’enfermement dans l’Angola ancien, dans F. BERNAULT (dir.), Enfermement, prison et châtiments en Afrique. Du 19e siècle à nos jours, Paris, Karthala, 1999, p. p. 83-97 ; F. BERNAULT, The Shadow of Rule : Colonial Power and Modern Punishment in Africa, in F. DIKÖTTER et I. BROWN (ed.), Cultures of Confinement. A History of Prison in Africa, Asia and Latin America, London, Hurst & Compagny, 2007, p. 56-60.

11 M. MAMDANI, Citizen and Subject. Contemporary African and the Legacy of Late Colonialism, Princeton, Princeton University Press, 1996.

12 BOCB, décret du 21 mars 1910 sur la police de l’immigration.

13 Avis à donner sur un projet de décret complétant la règlementation du droit de résidence sur les territoires du Congo Belge, dans Conseil Colonial. Compte-rendu analytique des séances, Bruxelles, Lesigne, mai-décembre 1910, p. 6.

14 Lecture et discussion du rapport préparé par M. Dupriez sur le projet de décret complétant la règlementation du droit de résidence sur les territoires du Congo Belge et suite de la discussion relative à ce projet, dans Conseil Colonial. Compte-rendu analytique des séances, Bruxelles, Lesigne, mai-décembre 1910, p. 42-5.

15 BOCB, décret du 2 mai 1910 sur les chefferies et les sous-chefferies indigènes.

16 Lecture et discussion…, op. cit., p. 50.

17 Avis à donner…, op. cit., p. 17.

18 Le passeport est institué en même temps que l’établissement des chefferies : BOCB, décret du 2 mai 1910 sur les chefferies et les sous-chefferies indigènes.

19 J. SAHA, A Mockery of Justice? Colonial Law, the Everyday State and Village Politics in the Burma Delta, c. 1890-1910, in Past&Present, vol. 217, n°1, 2012, p. 191.

20 MAE, AA, GG 9390, Commissaire de District à Administrateur de Territoire, Coquihatville, 9 novembre 1919.

21 Lecture et discussion…, op. cit., p. 45-6.

22 L. BENTON, A Search for Sovereignty. Law and Geography in European Empires, 1400-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 2-3.

23 MAE, AA, GG 9390, Rapport de l’Administrateur de Territoire sur la conduite des relégués à Bokote, 31 décembre 1919.

24 Recueils mensuels des circulaires, instructions et ordres de service du gouvernement local du Congo Belge, circulaire du 15 octobre 1910 relative à certaines dispositions du décret complétant la règlementation du droit de résidence sur les territoires du Congo Belge, circulaire du 7 septembre 1914 relative aux règles à suivre en matière de relégation, et circulaire du 18 septembre 1917 relative aux procédés d’administration à employer à l’égard des indigènes.

25 L’attitude des Chefs s’inscrit aussi dans des mouvements de résistances qui dépassent les chefferies et les premières années de la colonisation du Congo Belge. Voir : J-L. VELLUT, Résistances et espaces de liberté dans l’histoire coloniale au Congo (env. 1876-1945), dans ID., Congo. Ambitions et désenchantements, 1880-1960, Paris, Karthala, 2017, p. 165-213.

26 MAE, AA, GG 10160, Inspecteur d’État au Gouverneur Général, Kalamba, 13 août 1913.

27 T. SHERMAN, Tensions of Colonial Punishment: Perspectives on Recent Developments in the Study of Coercive Networks in Asia, Africa and the Caribbean, in History compass, vol. 7, 2009, p. 659-677.

28 Notamment en ce qui concerne les camps de déportation : Olivier LE COUR GRANDMAISON, Les origines de l’internement administratif : extension et banalisation d’une mesure d’exception, dans ID. et al., Le retour des camps : Sangatte, Lampedusa, Guantanamo, Paris, Autrement, 2007, p. 31-41.

29 BOÉIC, décret du 24 novembre 1890 sur les atteintes portées à la sûreté de l’État.

30 MAE, AA, GG 9390, Administrateur de Territoire au Commissaire de District, Bokote, 27 juillet 1917.

31 Au niveau des tribunaux de parquet, de District et de police : B. PIRET, Les structures judiciaires ‘européennes’ du Congo belge, dans P. VAN SCHUYLENBERGH et al. (dir.), L’Afrique belge aux XIXe et XXe siècles. Nouvelles recherches et perspectives en histoire coloniale, Bruxelles, Peter Lang, 2014, p. 177.

32 Voir entre autres : K. FIELDS, Revival and Rebellion in Colonial Central Africa, Princeton, Princeton University Press, 1985; W. MACGAFFEY, Religion and Society in Central Africa. The Bakongo of Lower Zaire, Chicago, University of Chicago Press, 1986.

33 Sur le kimbanguisme et le kitawala, voir entre autres : M. SINDA, Le messianisme congolais et ses incidences politiques : kimbanguisme, matsouanisme, autres mouvements, Paris, Payot, 1972 ; S. ASCH, L'Église du prophète Kimbangu. De ses origines à son rôle actuel au Zaïre, 1921-1981, Paris, Karthala, 1983 ; G. MWENE-BATENDE, Mouvements messianiques et protestation sociale. Le cas du Kitawala chez les Kumi du Zaïre, Kinsaha, Faculté de théologie catholique, 1982 ; J. HIGGINSON, Liberating the Captives : Independant Watchtower as an Avatar of Colonial Revolt in Southern Africa and Katanga, 1908-1941, dans Journal of Social History, vol. 26, n°1, 1992, p. 63-72 ; J-L. VELLUT, Simon Kimbangu, 1921. De la prédication à la déportation. Les sources, Bruxelles, Académie royale des sciences d’Outre-Mer, vol. 1, 2005, p. IX-XXVI ; N. EGGERS, Kitawala in the Congo : Religion, Politics, and Healing in the 20th-21th Century Central African History, PhD thesis, University of Madison-Wisconsin, 2013.

34 G. BALLANDIER, Brèves remarques sur les messianismes de l’Afrique congolaise, dans Archives de sociologie des religions, vol. 3, 1958, p. 95.

35 M. SINDA, op. cit., p. 185 et 220 ; M. DE GOEDE, Objectivation, aphasie coloniale et histoire de la déportation des matsouanistes de Brazzaville (1959), dans Les Temps Modernes, n°693-694, 2017, p. 195-220 (trad. A. MÉLICE).

36 M. DE GOEDE, Duress and Messianism in French Moyen-Congo, in Conflict and Society, vol. 4, n°1, 2018, p. 199-213.

37 J. HIGGINSON, op. cit., p. 70.

38 Ibidem.

39 MAE, AA, GG 10068, Proposition de relégation de l’Administrateur de Territoire, Lofondo, 25 mars 1937.

40 J. SAHA, op. cit., p. 187-212.

41 MAE, AA, GG 16965, Commissaire de District aux Administrateurs de Territoire, Dibaya, 15 janvier 1935.

42 MAE, AA, GG 10160, Gouverneur de Province au Commissaire de District, Coquilhatville, 4 décembre 1941.

43 A. BITA, Missions catholiques et protestantes face au colonialisme et aux aspirations du peuple autochtone à l’autonomie et à l’indépendance politique au Congo belge (1908-1960). Effort de synthèse, Rome, Pontifica Universita Gregoriana – Facolta di Storia della Chiesa, 2013, p. 230.

44 CRISP, Le kimbanguisme, dans Courrier hebdomadaire du CRISP, n°47, 1960, p. 4 ; L. VERBEEK, L’histoire dans les chants et les danses populaires : la zone culturelle bemba du Haut-Shaba (Zaire), Louvain-la-Neuve, Centre d’histoire de l’Afrique, 1992.

45 MAE, AA, GG 15723, Rapport du Commissaire de District sur le centre des relégués de Lokolama, Inongo, 13 juillet 1936.

46 MAE, AA, Fonds des Affaires Indigènes (AI) 4742, Mémorandum de Monsieur Van den Eynde sur le cas du relégué Jean A., Louvain, 8 avril 1959.

47 L. ALTHUSSER, Idéologie et appareils idéologiques d’État. (Notes pour une recherche), dans ID., Positions, Paris, Éditions Sociales, 1976, p. 67-125.

48 MAE, AA, JUST 15, Commission de Réforme Judiciaire. Sous-Commission de la Relégation, Bruxelles, 9 janvier 1957.

49 MINISTÈRE DES COLONIES DE BELGIQUE, Recueil à l’usage des fonctionnaires et agents du Service Territorial, Bruxelles, Weissenbruch, 1930, p. 57.

50 MAE, AA, GG 9390, Commissaire de District au Révérend Moon, Coquilhatville, 25 mars 1915.

51 R. LOFFMAN, In the Shadow of the Tree Sultans: African Elites and the Shaping of Early Colonial Politics on the Katangan Frontier, 1906-17 in Journal of Eastern African Studies, vol. 5, n°3, 2011, p. 544-6.

52 A. MÉLICE, op. cit., p. 230-1.

53 L. PHILIPPART, Le Bas-Congo : état religieux et social, Louvain, Bibliotheca Alfonsiana, 1947, p. 121.

54 Ibidem, p. 122.

55 MAE, AA, GG 15723, Missionnaire de Scheut à Commissaire de District, Bokoro, 3 janvier 1940.

56 MAE, AA, GG 15723, Commissaire de District à Missionnaire de Scheut, Inongo, 13 janvier 1940.

57 MAE, AA, GG 10099, rapport de l’Administrateur Territorial sur l’inspection effectuée les 18, 19 et 20 avril à la CARD Ekafera, Boende, 15 mai 1947.

58 H. DESROCHES et P. RAYMAEKERS, Départ d’un prophète, arrivée d’une Église. Textes et recherches sur la mort de Simon Kimbangu et sur sa survivance, dans Archives des sciences sociales et religions, n°42, 1976, p. 136.

59 MAE, AA, GG 10160, Vicaire Apostolique au Gouverneur de Province, Molegbe Saint Antoine, 3 juin 1941.

60 A. MÉLICE, op. cit., p. 236.

61 MAE, AA, GG 10160, Gouverneur Général au Gouverneur de Province, Léopoldville, 4 novembre 1940.

62 S. THÉNAULT, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence, Paris, Odile Jacob, 2012, p. 74-5.

63 Ibidem.

64 Sous l’impulsion de Conseillers en organisation judiciaire venus visiter la Colonie cette année-là.

65 Circulaire n°1/AIMO du 16 février 1938, dans Pierre PIRON et Octave LAUWERS, Codes et lois du Congo Belge. Textes annotés d’après les rapports du Conseil Colonial, les instructions officielles et la jurisprudence des tribunaux, Bruxelles, Larcier, 1954, p. 880.

66 MAE, AA, GG 17174, Gouverneur de Province au Commissaire de District, Luluabourg, 1er septembre 1952.

67 Les tribunaux de District et de Police sont revus dans le Décret du 9 juillet 1923 tandis que la justice coutumière est instaurée par le Décret du 15 avril 1926.

68 M. RODET et R. TIQUET, Reforming State Violence in French West Africa: Relegation in the Epoch of Decolonization, in N. CARPENTER and B. LAWRENCE (ed.), African in Exile: Mobility, Law, and Identity, Bloomington, Indiana University Press, 2018, p. 88-9.

69 Voir en ce qui concerne l’émergence des camps de relégation au Congo Belge : V. DEWULF, op. cit.

70 MAE, AA, GG 17174, Gouverneur de Province au Gouverneur Général, Léopoldville, 18 juin 1954.

71 Plusieurs mentions sont référencées dans les Codes et lois du Congo Belge. Voir par exemple la version de 1954 : Pierre PIRON et Octave LAUWERS, Codes et lois du Congo Belge. Textes annotés…, op. cit., p. 879.

72 MAE, AA, GG 16965, Procureur du Roi au Gouverneur de Province, Kabinda, 16 août 1935 et documents suivants.

73 MAE, AA, AI 4736, Note pour le Gouverneur Général, Léopoldville, 29 août 1957.

74 Ibidem.

75 M. ZANA ETAMBALA, L’État colonial et les missions catholiques face au mouvement kimbanguiste à la veille de l’indépendance du Congo belge. 1944-1960, dans Annales Aequatoria, 25, 2004, p. 127-9.

76 BOCB, décret du 8 août 1959. Voir à ce sujet : Marie-Bénédicte DEMBOUR, La peine durant la colonisation belge, dans Recueils de la Société Jean Bodin, 58, 1991, p. 85.

77 MAE, AA, JUST 15, Commission de Réforme Judiciaire. Sous-Commission de la Relégation, Bruxelles, 9 janvier 1957.

Pour citer cet article

Valentine Dewulf, «Prononcer et exercer le droit par l’administration coloniale. Les acteurs de la relégation au Congo Belge (1910-1960)», C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], Vol. 42 - 2020, URL : https://popups.uliege.be/1370-2262/index.php?id=656.

A propos de : Valentine Dewulf

Après un Master en histoire contemporaine à l'Université libre de Bruxelles (2015), puis une agrégation en 2016, Valentine Dewulf est aujourd'hui Aspirante F.N.R.S. pour une thèse portant sur l'enfermement au Congo belge.