Fédéralisme Régionalisme

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Jean-Jacques Kourliandsky

ALBA, organisation interaméricaine ou vénézuélienne ?

(Volume 11 : 2011 — Numéro 1 - Le régionalisme international dans les Amériques : dynamique interne et projection internationale)
Article
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Résumé

L’«Alliance Bolivarienne des peuples de notre Amérique», ou ALBA, est de toutes les organisations interaméricaines celle dont l’identité est la plus originale. S’affirmant anti-impérialiste elle donne en effet à l’idéologie une place centrale qui commande la coopération entre ses membres. Mais l’ALBA au quotidien diffère-t-elle d’autres organisations d’intégration ? Le lien entre les différents pays qui la composent n’est-il pas au-delà de l’hommage unanime rendu à Bolivar bien davantage celui de pouvoir bénéficier du pétrole vénézuélien à un prix préférentiel ? L’ALBA, comme d’autres institutions latino-américaines, ne répond-elle pas à l’ambition d’un État, en l’occurrence ici le Venezuela, plus qu’à celle de construire un projet collectif pérenne? Ce lien entre le pétrole de son initiateur vénézuélien et l’ALBA, est une garantie pour le présent. Mais l’ALBA survivrait-elle à une alternance politique au Venezuela, ou à une chute des prix du baril affectant le nerf de l’organisation ?


Introduction

1L’ALBA, «Alternative», devenue «Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique», officiellement née en 2004, est l’une des dernières organisations de coopération interaméricaine sorties de l’imaginaire institutionnel particulièrement fertile de l’Amérique latine, qui est sans conteste la zone géopolitique la plus créative et la plus prolifique au monde en matière d’institutions intergouvernementales.

2Chaque année apporte son acronyme et chaque cuvée révèle un état des lieux collectif, un rapport de forces, puisant dans une dynamique nationale tournante. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a scellé en 1994 l’aspiration du Mexique d’accéder au développement en arrimant son économie sur celle des États-Unis. Le Mercosur/Mercosul, c’est-à-dire le Marché commun du sud, entré en application le 1er janvier 1995 est issu de la volonté de rapprochement entre Argentine et Brésil. L’UNASUL/UNASUR, l’Union des nations d’Amérique du sud, répond à une ambition brésilienne arrivée à maturation institutionnelle le 23 mai 2008. Tout comme le CALC, Sommet d’Amérique latine et de la Caraïbe pour l’intégration et le développement, quelques mois plus tard, le 16 décembre 2008.

3L’ALBA n’échappe pas à cette loi du genre intégrationniste propre à l’Amérique latine. Elle est datée, comme les autres. Elle a été le produit institutionnel phare de l’année 2004. Elle a répondu au vœu d’un pays qui en 2004 était économiquement comme politiquement en émergence le Venezuela. Elle rassemble plusieurs pays autour d’un objectif partagé. Ses membres font aussi partie d’autres organisations régionales, Communauté andine (CAN), Organisation des États Américains (OEA), UNASUR. L’identité de l’ALBA a été souvent traitée de façon plus polémique que les autres. Tantôt pour la critiquer, parfois pour la mettre en valeur. L’intensité du rejet ou de l’adhésion n’en fait pas pour autant une organisation régionale dont la cohérence serait par nature différente de toutes les autres, qu’il s’agisse de l’ALENA, de la CAN ou de l’UNASUR. L’ALBA répond aux mêmes logiques coopératives et diplomatiques que les organisations citées ci-dessus. Un positionnement géopolitique effectivement différent, des choix d’insertion régionale et internationale opposés, n’en font pas pour autant une structure intergouvernementale d’une autre nature.

1. Alba, affichage ostentatoire d’une latino-américanité de rupture

4L’ALBA, à première vue, est effectivement différente des autres organisations de coopération interaméricaine. Elle s’affiche de façon ostentatoire comme «projet alternatif d’intégration à celui de la Zone de libre échange des Amériques» (ZLEA)1. Elle se définit, reprenant la rhétorique de confrontation qui avait cours pendant la guerre froide comme anti-impérialiste et non alignée. Et si Marx, Engels et Lénine, Mao Tse Toung, Nasser, Nehru, N’Kruma, Tito, ne sont pas évoqués pour asseoir un socle de rupture idéologique les mannes des Libérateurs, pères de l’indépendance occupent la place identique de référent révolutionnaire. Dés sa prise de fonction présidentielle le 2 février 1999 devant le parlement vénézuélien, Hugo Chávez avait posé l’objectif de l’intégration au cœur de son projet. «La priorité et l’urgence en politique extérieure (…) c’est la consolidation d’un grand bloc de forces dans cette partie du monde (…) le vieux rêve de Bolivar, et de Marti, et de Sandino et de O’Higgins et d’Artigas (…). L’histoire du XXIème siècle ne sera pas bipolaire, ni unipolaire, elle sera multipolaire (...). Je serai un prédicateur et un accélérateur (...) des processus d’intégration (...) nous allons reprendre le rêve bolivarien»2. L’exposé des motifs du traité fondateur, daté du 14 décembre 2004, place expressément comme guide de l’ALBA, «la pensée de Bolivar, Marti, Sucre, O’Higgins, San Martin, Hidalgo, Petion, Morazan, Sandino, et tous les autres proceres de (...) la Grande Patrie». Le style et les mots choisis pour matérialiser le traité ALBA ne sont pas ceux utilisés pour ce type d’exercice diplomatique. Le vocabulaire se rapproche de celui utilisé pour haranguer les foules et leur faire partager autour d’un Chef un sentiment commun. La religion partagée, celle de l’intégration, est exposée en termes rappelant la culture catholique matrice originelle des Amériques latines. Déjà le 25 novembre 2003, lors de la Vème Assemblée générale de la Confédération parlementaire des Amériques, Chávez, avait placé son grand projet sous les auspices de Jésus : «citant les paroles du Christ, je dirai que le seul chemin conduisant à la paix est la justice, la fraternité et l’égalité». De façon tout aussi révélatrice, le chef de l’État vénézuélien a commenté de la façon suivante la décision prise par Tegucigalpa (capitale du Honduras) de quitter l’ALBA. «L’ALBA est un bébé (…) et l’impérialisme a réagi comme l’a fait Hérode quand il s’est senti menacé»3.

5Effectivement chaque rencontre, chaque sommet, est l’occasion de signaler de façon ostentatoire et volontiers bruyante une différence présentée comme centrale avec les États-Unis et leurs amis. L’ALBA, toujours selon le même texte, «sera conçue en référence à Marti comme Notre Amérique, se différenciant ainsi de l’autre Amérique, expansionniste et aux appétits impériaux». Dès ses débuts l’ALBA s’est voulue symboliquement en rupture sémantique. L’ALBA, en espagnol, au-delà de l’acronyme, est un mot, dont le sens en français est «aube», une aube qui s’oppose dans l’esprit de ses initiateurs à l’ALCA, (ou Area de Libre Comercio de las Americas) sigle castillan de la ZLEA, la Zone de libre échange des Amériques, promue par les États-Unis d’Amérique du nord. «Contra el Alca, el Alba» avait déclaré Chávez le 10 décembre 2001 à l’occasion d’un sommet des États de la Caraïbe, qui se tenait dans l’île vénézuélienne de Margarita. «L’expression m’est venue comme ça, en jeu de mots»4 dira-t-il quelques années plus tard à un journaliste ami. Le jeu de mots ALBA/ALCA, en suivait un autre destructeur. Le président vénézuélien, avait en effet exprimé avec clarté et sens de la répartie politique qu’à ses yeux, l’ALCA pouvait aller al carajo, c’est-à-dire au diable. Dès ses origines et jusqu’à aujourd’hui, les responsables de l’ALBA, et de façon plus particulière le président Chávez, ont cultivé ce lien entre le projet et le Verbe, pris dans son acception biblique et prophétique même si cela est exprimé sur un mode qui peut aussi être celui de la dérision. Il n’y avait à ce moment là de l’aveu du dirigeant vénézuélien, rien de plus : «dans les huit jours Fidel m’a envoyé un mot me demandant communication du projet ALBA, et je me suis dit alors, quel document je vais pouvoir lui envoyer, puisque je n’ai rien»5. Au nom de cette sémantique militante de l’intégration, Chávez a sorti le Venezuela d’autres organisations jugées trop proches du système impérial, comme la CAN ou le G3. Et si le Venezuela est resté membre des Conférences ibéro-américaines et euro-latino-américaines, il tente d’imposer au sein de ces ensembles coopératifs le discours de l’ALBA. On se rappelle de l’incident ayant opposé en 2007 au cours de la Conférence ibéro-américaine qui se tenait à Santiago du Chili, un Hugo Chávez en verve révolutionnaire au Roi d’Espagne qui lui a demandé assez cavalièrement de se taire.

6L’ALBA cultive de façon tout aussi significative une nostalgie anachronique de l’Union soviétique et de l’affrontement entre l’Est et l’Ouest. Chávez en rappelle la perpétuation qu’il perçoit à l’occasion de ses visites à Moscou, parce que «rien ne se perd et que tout se transforme». Certains de ses membres, à l’instar du Nicaragua et du Venezuela, ont reconnu la souveraineté de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud. Cuba et Venezuela ont accueilli des navires militaires russes. Sensible à ces équivoques la Russie avait délégué au 7e sommet de l’ALBA Nicolaï Platonovitch Patruchev, secrétaire à la défense de la fédération. Le monde arabo-musulman occupant dans l’imaginaire géopolitique occidental la place qui était hier celle du monde soviétique, l’ALBA – sous l’impulsion du Venezuela – a ostensiblement signé divers accords avec les pays qui dans cet espace sont en contentieux avec les États-Unis. Ainsi, Telesur6 a signé un accord de partenariat avec la chaine qatarie Al-Jazeera en 2006. L’Iran est observateur permanent de l’ALBA depuis le 5 septembre 2007 et la Syrie l’est depuis le 21 octobre 2010.

2. Alba, une logique intégrationniste vénézuélienne plus que latino-américaine

7L’ALBA est-elle aussi originale que le prétendent ses initiateurs ? Le discours anti-impérialiste, est certes particulier à l’ALBA. Mais son périmètre, son histoire et le mode d’action de ses membres, rapproche l’ALBA, en dépit de cette différence idéologique, d’organisations régionales en apparence très éloignées, comme l’ALENA et la CAN.

8L’ALBA, comme les autres institutions interaméricaines, vise à l’universalité continentale, tout en ne rassemblant qu’un groupe des pays qui le composent. Sont en effet membres de l’ALBA au 31 décembre 2010, huit pays sur les trente-deux d’Amérique – États-Unis et Canada par définition statutaire et principe étant exclus. Cinq sont latino-américains, la Bolivie, Cuba, l’Équateur, le Nicaragua, le Venezuela, trois sont anglophones, Antigua et Barbuda, la Dominique, Saint Vincent et Grenadines. Ce périmètre est grosso modo celui d’autres institutions latino-américaines. Il est vrai que beaucoup se définissent volontairement comme sous-régionales, comme la CAN qui rassemble quatre pays, la Colombie, l’Équateur, le Pérou, la Bolivie. Tandis que d’autres ont une représentation plus large, l’ALADI (Asociación Latinoamericana de Integración) par exemple. Qui plus est, les pays membres de l’ALBA attachent une importance relative à leurs engagements au sein de l’ALBA. La radicalité des discours et des traités n’est en effet pas exclusive d’autres allégeances. La Bolivie et l’Équateur sont ainsi membres de l’OEA (Organisation des États américains), au côté des États-Unis, et siègent à la CAN, avec la Colombie et le Pérou, alliés de Washington. Le Venezuela est lui aussi membre de l’OEA. Depuis une décision de mai 2009, Cuba peut revenir à l’OEA, dont il a été suspendu en 1962, s’il en exprime le souhait. Le Nicaragua est membre de l’OEA et a signé un traité de libre-échange bilatéral avec les États-Unis. Les anglophones participent aux activités du CARIFORUM (Caribbean Forum of States) tout en étant eux aussi membres de l’OEA.

9Le mode de fonctionnement n’a rien de spécialement original. Il n’a d’ailleurs réellement pris forme qu’en 2009, à Cochabamba (Bolivie). Les pays membres se retrouvent à l’occasion de sommets présidentiels biannuels. Entre ces rencontres de chefs d’État, des structures intermédiaires gèrent le quotidien. Les ministres des Affaires étrangères siègent à cet effet en Conseil politique. Les vice-ministres des Affaires étrangères se réunissent en Commission politique. Une coordination collégiale réunit de hauts fonctionnaires, appelés coordinateurs nationaux, et met en application les instructions des organismes supérieurs. Un secrétariat permanent assure le bon fonctionnement de l’ensemble.

10D’un sommet à l’autre, des comités spécialisés, un conseil des organisations sociales, une chaine de télévision, des entreprises conjointes et la possibilité d’opérer des échanges entre pays membres sans recourir aux monnaies de référence ont été créées. Leur dénomination est souvent originale. Les entreprises conjointes s’appellent «Grannacionales». Et l’unité d’échange a pris le nom d’un Libérateur SUCRE. Mais si l’appellation définit bien l’origine, le concept est voisin de bien d’autres en Amérique latine comme sous d’autres latitudes. SUCRE, traduit en langage opérationnel, Système Unitaire de Compensation REgionale de paiements renvoie à une réalité plus concrète. La valeur du SUCRE est de 1,25 dollars7.

11L’ALBA comme les autres organisations régionales latino-américaines répond à l’ambition nationale d’un pays, en l’occurrence ici à celle du Venezuela, qui est son «épicentre» selon la formule d’Andrés Serbin8. Fort de ses ressources pétrolières dont les redevances ont été stimulées par la demande asiatique à partir de 2004, le Venezuela a utilisé cette manne pour poser les bases d’une diplomatie d’influence. Le pétrole est au cœur du dispositif diplomatique. Il est l’instrument privilégié du Traité de commerce des peuples (TCP) joint aux grandes déclarations d’intention figurant dans l’accord fondateur de l’ALBA. Un système de troc, pétrole contre experts, pétrole contre adhésion aux principes bolivariens définis par le Venezuela a été ainsi mis en place en 2004. Deux sociétés ont été créées à cet effet, Petroamérica et Petrocaribe.

12Le Venezuela a ainsi attiré dans l’ALBA un certain nombre de petits pays en difficulté énergétique et dont le développement est dérisoire. L’ALBA se rapproche ainsi beaucoup de la diplomatie pratiquée par Taïwan qui cible sa coopération sur un ensemble d’États modestes, permettant au Venezuela d’élargir à moindre coût le périmètre d’influence dans les organisations interaméricaines ou aux Nations unies. Le pétrole est le nerf de l’institution. Le Venezuela qui est gros producteur en est le principal donateur. En bonne logique, il héberge le siège permanent de l’organisation, ainsi que le siège de la Banque commune et celui de Telesur. Quatre des dix Sommets de l’organisation et quatre des huit rencontres extraordinaires ont été organisés au Venezuela (voir les tableaux 2 et 3, en annexe).

3. Alba, une organisation de pression interaméricaine au futur institutionnel incertain

13L’ALBA n’a pas été jusqu’ici en capacité de forcer une alternative continentale. En dépit d’ambitions latino-américaines et caribéennes, elle reste une organisation minoritaire par le nombre, regroupant des États au périmètre économique et militaire médiocre. Les plus grands pays, l’Argentine, le Brésil, la Colombie et le Mexique n’en sont pas membres. Un certain nombre d’autres pays privilégient un dialogue institutionnel avec les États-Unis. Le Mexique, les pays d’Amérique centrale, la République Dominicaine, le Chili et le Pérou ont signé des accords de libre-échange avec Washington. La Colombie et le Panama ont négocié et signé des accords de ce type ratifiés le 12 octobre 2011 par le Congrès des États-Unis. L’Uruguay a également signé une entente commerciale avec les États-Unis qu’il estime compatible avec son adhésion au Mercosur. Pour sa part, l’État brésilien, portée par sa devise « Le Brésil est notre drapeau », entend suivre une voie qui lui est propre, ni anti, ni pro-nord-américaine, mais tout simplement brésilienne.

14Toutefois, il est vrai que le Venezuela, avec le soutien de ses alliés a démontré qu’il avait une réelle capacité de blocage diplomatique, «un pouvoir de veto», sur beaucoup d’initiatives prises en d’autres enceintes9. Ses alliés, grâce au pétrole et à ses revenus, n’ont pas de frontières clairement délimitées. Le pétrole a ainsi donné un pouvoir d’influence aux frontières mouvantes. L’ALBA, stricto sensu compte huit pays membres. Toutefois, certains de ses membres ou parfois la totalité de ceux-ci sont partis prenante d’autres initiatives régionales. La Banque de l’ALBA compte quatre pays fondateurs, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua et le Venezuela. Petrocaribe est composé de dix-sept pays (Antigua et Barbuda, Bahamas, Belize, Cuba, Dominique, Grenade, Guatemala, Guyana, Haïti, Jamaïque, Nicaragua, République Dominicaine, Saint Christophe et Nieves, Sainte Lucie, Saint Vincent et Grenadines, Surinam, Venezuela). Le SUCRE comptabilise cinq membres (Bolivie, Cuba, Équateur, Nicaragua, Venezuela) tandis que Telesur, la chaîne commune qui se pose en alternative à la chaine satellitaire américaine CNN, en dénombre six (Argentine, Bolivie, Cuba, Équateur, Uruguay et Venezuela). L’ALBA et ses extensions poursuivent un comportement de groupe de pression actif au sein de la plupart des organisations interaméricaines. Tous les membres de l’ALBA sont membres de l’OEA, participent aux rencontres de chef d’État et de gouvernement euro-latino-américaines biannuelles et à celles qui se tiennent chaque année dans le cadre des sommets ibéro-américains. La Bolivie, l’Équateur et le Venezuela font partie de l’UNASUL et les deux premiers sont membres de la CAN. Par ailleurs, le Venezuela est engagé dans un processus d’adhésion au Marché commun du sud. Lors d’une interview donnée à un de ses chroniqueurs de confiance, le président vénézuélien s’est expliqué sur sa volonté de faire adhérer son pays au Mercosur: «Nous voulons en être afin d’accélérer les initiatives politiques et sociales. Mais d’abord politiques : les idées de Bolivar. (...). Nous allons de sommets en sommets (...). Il s’agit de donner à nos peuples l’amour de l’intégration»10. En ce qui concerne le Nicaragua, il est membre du Système d’intégration centraméricain (SICA) et a signé, ainsi que la Bolivie, des accords commerciaux avec les États-Unis au même titre que le Mexique et le Honduras. Cette plasticité donne à ses membres un pouvoir négatif, de sape, dont l’effectivité a pu être mesurée sur plusieurs dossiers importants. Le projet ALCA/ZLEA a été définitivement abandonné à l’issue du sommet des Amériques de Mar del Plata le 5 novembre 2005. Le Venezuela a pu à cette occasion s’appuyer sur l’Argentine et le Brésil. L’OEA, elle-même longtemps bien tenue par les États-Unis a, le 3 juin 2009, suspendu la mise à l’écart de Cuba – membre de l’ALBA – intervenue en 1962. En 2010, l’ALBA a obtenu la mise en quarantaine – et donc la non invitation – du Honduras à Madrid et Mar del Plata pour les Conférences euro-latino-américaine et ibéro-américaine. Les dirigeants de Tegucigalpa étaient ainsi sanctionnés pour avoir déposé militairement le 29 juin 2009 un président élu et avoir fait sortir leur pays de l’ALBA dont il était membre. OEA, UNASUR, Conférence euro-latino-américaine de Madrid, conférence ibéro-américaine de Mar del Plata ont été ainsi et sont toujours le lieu d’un travail diplomatique collectif et coordonné entre membres de l’ALBA ayant fait preuve d’une certaine efficacité.

15Pourtant l’ALBA reste une organisation incertaine et fragile en raison de sa dépendance au Venezuela et de sa faible institutionnalisation qui ne lui permet pas de garantir sa pérennisation. La logique de l’ALBA repose sur le volontarisme étatique et non sur une dynamique propre à l’organisation. Qui plus est, il n’y a pas de continuité territoriale entre les pays membres. Tout changement de politique interne au Venezuela, tout éventuel retournement de la conjoncture pétrolière, briserait la cohérence d’une organisation reposant sur le pétrole vénézuélien et une rhétorique hostile aux États-Unis. La polarisation du débat politique vénézuélien aurait en situation d’alternance nécessairement un prolongement sur les initiatives diplomatiques prises par le gouvernement du président Chávez. Chacune de ses composantes sans cordon ombilical pétrolier vénézuélien serait attirée par d’autres attractions organisationnelles, états-uniennes et/ou brésiliennes qui présentent une solidité. Le Venezuela support pétrolier et matériel unique de l’organisation la tient à bout de bras et à grands frais. Josette Altmann a calculé que le Venezuela a mis à disposition des pays de Petrocaribe de 2005 à 2008, 1170 millions de dollars. Pour la même période, la Banque interaméricaine de développement (BID) ne leur destinait que 100 millions de dollars11. D’autres pays comme l’Argentine, l’Uruguay et les États-Unis12 ont également bénéficié de ce type de relations pétrolières privilégiées13. Cet effort est-il supportable indéfiniment pour l’économie vénézuélienne ? Le refus par les Vénézuéliens de voter le 2 décembre 2007 la réforme constitutionnelle que leur proposait par voie référendaire Chávez, a rappelé le président vénézuélien à ses fondamentaux, la nécessité de ne pas baisser la garde sociale dans son pays.

4. Quelques conclusions

16L’ALBA, se posait initialement en alternative du projet nord-américain de Zone de libre-échange des Amériques. C’est aujourd’hui une alliance parmi d’autres. Elle rassemble des pays qui maintiennent des courants d’échanges commerciaux parfois élevé avec les États-Unis, à l’image de l’Équateur, du Nicaragua et du Venezuela.

17La rigidité nationaliste affichée dans les textes fondateurs de l’ALBA, n’a pas donné naissance à un bloc idéologiquement comme économiquement exclusif et replié sur lui-même. Un certain nombre d’institutions symboliques, comme la chaine Telesur, lui ont assuré une lisibilité idéologique permettant d’amplifier les discours officiels. Mais les membres de l’ALBA, participent à la vie de bien d’autres organisations interaméricaines aux ambitions différentes.

18Cette participation croisée aux activités de plusieurs organisations interaméricaines est commune à l’ensemble des pays de la région. Certains pays de l’ALBA font partie de l’UNASUR alors que d’autres sont membres de la CAN ou du Système économique centraméricain. Par ailleurs, tous siègent à l’OEA. Cette réalité reflète celle d’un sous-continent qui n’a pas suivi l’évolution intégrationniste que l’Europe a connue. L’Amérique latine en cela vérifie l’observation faite en 1962 par Marcel Niedergang qui la décrivait partagée en vingt agrégats attachés à la perpétuation de leurs indépendances respectives14. La multiplication des engagements collectifs entre États est depuis la fin du XXème siècle la forme prise en Amérique latine par la préservation des souverainetés.

19Le Venezuela est le chef d’orchestre de l’ALBA. Le pétrole est l’élément matériel central mobilisant les membres de l’organisation. L’intérêt que lui portent la plupart d’entre eux, on pense à Cuba, au Nicaragua, aux îles-États de la Caraïbe, est directement lié à la possibilité d’accéder de façon préférentielle au pétrole vénézuélien. L’ALBA est en cela cohérent avec la diplomatie pétrolière pratiquée depuis que l’on a découvert de l’huile au Venezuela, par ses différents gouvernements15. Une éventuelle alternance électorale à Caracas pourrait certes compromettre la pérennité formelle de l’organisation, ou son périmètre. Mais sous une forme ou sous une autre, et quel que soit le gouvernement, le pétrole ne peut que demeurer un instrument permanent d’influence indépendant des circonstances de politique intérieure.

Bibliographie

20Altmann (J.), «Alba : ¿un proyecto alternativo para América Latina», Madrid, Real Instituto Elcano, n° 17, 8 février 2008.

21Altmann (J.), Nuevos escenarios de integración regional : el ALBA, Buenos Aires, Flacso, septembre 2010.

22Altmann (J.), «El Alba, Petrocaribe y Centroamérica : ¿ intereses comunes ? », Nueva Sociedad, n° 219, janvier-février 2009.

23Bilbao (L.), «El Alba se afinaza como estrategia unificada defensiva con proyección internacional», Crítica de nuestro tiempo, n° 39-40, octobre 2009-mars 2010.

24Cerezal (M.) et Arbelaez (M.), «Et les Bolivariens inventèrent le SUCRE», Marianne, 28 octobre 2009.

25Chavez (H.), Discours d’investiture devant le Congrès vénézuélien, Caracas, éd. de la présidence de la République, 1999.

26Guevera (A.), Chávez, un hombre que anda por ahí. Una entrevista con Hugo Chávez, Melbourne, Ocean Press, 2005, p. 109.

27Serbin (A.), «Entre UNASUR y ALBA: ¿otra integración (ciudadana) es posible?», CEIPAZ, 2008.

28Serbin (A.), Chávez, Venezuela y la reconfiguración política de América Latina y el Caribe, Buenos Aires, Siglo XXI Editora Iberoamericana, 2011.

Annexes

Tableau 1. Organisation

29AEC (Association des États de la Caraïbe)

30Organisation rassemblant depuis 1994, 25 États et parties riverains du Golfe du Mexique et de la Mer des Antilles. Son secrétariat permanent se trouve à Trinidad et Tobago. L’objectif de l’AEC est de créer des complémentarités et des projets de coopération entre les signataires

31ALADI (Association latino-américaine d’intégration)

32Organisation ayant succédé en 1980 à l’ALALC (Association latino-américaine de libre commerce) ou ALALE, Association latino-américaine de libre-échange ou de libre-commerce, créée en 1960 entre dix pays d’Amérique latine (Argentine/Bolivie/Brésil/Chili/Colombie/Mexique/Paraguay/Pérou/Uruguay/Venezuela). Cette institution se propose la création à terme d’une zone de libre-échange entre ses membres

33ALBA (Alliance bolivarienne des Amériques)

34Proposition d’alliance faite par le président vénézuélien Hugo Chavez, en alternative à l’ALCA ou ZLEA. Initialement créée comme Alternative, la ZLEA ayant été enterrée en 2004, l’ALBA est désormais une « Alliance ». Elle compte sept pays membres, Antigua et Barbuda, la Bolivie, Cuba, la Dominique,  l’Équateur, le Nicaragua , Saint Vincent et Grenadines, le Venezuela, . Le Honduras qui avait adhéré en 2009, l’a quittée en 2010.

35ALENA (Accord de libre-échange nord-américain)

36Zone de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique entrée en vigueur le 1er janvier 1994. Le traité a été signé les 17 décembre 1992 et 13 août 1993.

37Le sigle anglais est NAFTA (North American Free Trade Agreement). Le sigle espagnol est TLCAN.

38CALC (Sommet d’Amérique latine et de la Caraïbe pour l’intégration et le développement)

39Nom pris le 16 septembre 2008 à Costa do Sauípe (Brésil) par les pays du groupe de Rio élargi. Il regroupe 33 pays du continent américain

40CAN (Communauté andine des nations)

41Organisation ayant pris la suite du Pacte Andin créé en 1969 par la Bolivie, le Chili, la Colombie, l’Équateur, le Pérou et le Venezuela. Le Chili en est sorti en 1976 et le Venezuela en 2006.

42CARICOM (Caribbean Community and Common Market)

43Marché commun de la Caraïbe constitué en 1973. Membres : Antigua et Barbuda/Barbade/Bahamas/Bélize/Dominique/Grenade/Guyana/Haïti/Jamaïque/Montserrat/Saint-Christophe et Nieves/Sainte-Lucie/Saint Vincent et Grenadines/Surinam/Trinidad et Tobago. Le secrétariat permanent est à Georgetown (Guyana)

44CARIFORUM (Forum des Caraïbes)

45Le Cariforum a tenu son premier sommet en 1998. Pays membres : ceux du Caricom, plus la République Dominicaine. Cuba est observateur.

46FAPL (Forum de l’arc Pacifique latino-américain)

47Chili, Colombie,  Costa-Rica, Équateur, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama, Pérou, Salvador ont constitué cette organisation régionale intergouvernementale en août 2006. Le Pérou en 2010 a proposé la négociation d’une zone économique intégrée.

48G 3

49Groupe créé par Colombie, Mexique, Venezuela en 1995. Le Venezuela en est sorti en 2006.

50G-20 ou G-X

51Groupe tricontinental créé au mois d’août 2003 à l’initiative de l’IBAS pour empêcher la perpétuation du directoire EU-UE-Japon au sein de l’OMC.

52GROUPE DE RIO

53Constitué en 1986 à Rio de Janeiro, (Brésil), comme « Mécanisme permanent de consultation et de concertation politique », à partir de deux forums préexistant, le Groupe de Contadora (Colombie, Mexique, Panama, Venezuela) et le Groupe d’appui à Contadora (Argentine, Brésil, Pérou, Uruguay).  États participant aujourd’hui à ses activités : Argentine ; Brésil ; Colombie ; Chili ; Équateur ; Mexique ; Panama ; Paraguay ; Pérou ; Uruguay ; Venezuela ; un pays centraméricain ; un pays de la Caraïbe. Le groupe tient un sommet annuel de chefs d’État et de gouvernements. La présidence annuelle (pro tempore) est assurée à tour de rôle par l’un des pays membres, assisté de la présidence antérieure et de la suivante.

54IBAS (Inde-Brésil-Afrique du sud)

55Groupe intercontinental créé à l’initiative du Brésil au mois de juin 2003, avec l’Afrique du sud et l’Inde.

56MCCA (Marché commun centraméricain, voir SIECA)

57MERCOSUR (Marché commun du sud) (port. MERCOSUL)

58Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, ont le 26 mars 1991 à Assomption (Paraguay) décidé de se constituer en zone de libre commerce. Traité effectif depuis le 1er janvier 1995. Le Venezuela a signé le traité d’adhésion en 2006. Bolivie et Chili sont associés depuis 1997. Le siège se trouve à Montevideo.

59OEA (Organisation des États Américains)

Tableau 2. Les sommets ordinaires de l’ALBA

601er sommet : La Havane, 14 décembre 2004

612e sommet : La Havane, 28 avril 2005

623e sommet : La Havane, 29 avril 2006

634e sommet : Managua, 11 janvier 2007

645e sommet : Caracas, 24-26 janvier 2008

656e sommet : Maracay, 24 juin 2009

667e sommet : Cochabamba, 18 octobre 2009

678e sommet : La Havane, 14 décembre 2009

689e sommet : Otavalo, 25 juin 2010

Tableau 3. Les sommets extraordinaires de l’ALBA

691er sommet : Caracas, 23 avril 2008

702e sommet : Tegucigalpa, 25 août 2008

713e sommet : Caracas, 26 novembre 2008

724e sommet : Caracas, 2 février 2009

735e sommet : Cumana, 16 avril 2009

746e sommet : La Havane, 14 décembre 2009

Tableau 4. L’ALBA en quelques dates (hors sommets)

752004, 14 décembre, Accord fondateur de l’Alternative Bolivarienne des Amériques par Cuba et Venezuela

762005, 29 juin, création de Petrocaribe

772005, 24 juillet, création de Telesur

782006, 29 avril, adhésion de la Bolivie

792006, 30  avril, signature du traité fondant le TCP, traité de commerce entre les peuples (Bolivie/Cuba/Venezuela)

802007, 11 janvier, adhésion du Nicaragua

812008, 28 janvier, création de la Banque de l’ALBA et d’entreprises conjointes dites «Grannacionales»

822008, 28 janvier, adhésion de la Dominique

832008, 26 août, adhésion du Honduras

842009, 24 juin, adhésion de l’Équateur, d’Antigua et Barbuda et de Saint Vincent et Grenadine

852009, 24 juin, l’Alternative devient Alliance Bolivarienne des peuples de notre Amérique

862009, 18 octobre, création du SUCRE (système de compensation régionale de paiements)

872009, 18 octobre, structuration institutionnelle de l’ALBA-TCP

882010, 12 Janvier, sortie du Honduras

892010, 8 octobre, première transaction en SUCRE, entre Bolivie et Venezuela

Tableau 5. Sièges des institutions de l’ALBA

90Secrétariat permanent de l’ALBA : Avenida Francisco Solano, Esq. calle San Jerónimo, ed. Los Llanos, Sabana Grande, Parroquia El Recreo, Caracas, Venezuela

91Banque de l’ALBA : même adresse

92Secrétariat exécutif de PetroCaribe : Ministère du Pouvoir Populaire pour l’énergie et le pétrole du Venezuela

93Telesur : Calle Vargas con calle Santa Clara, ed. TeleSur, Urbanización Boleíta Norte, Caracas, Venezuela

Notes

1 Altmann (J.), «Alba : ¿un proyecto alternativo para América Latina ?», Real Instituto Elcano, Madrid, n° 17, 8 février 2008.
2 Chavez (H.), Discours d’investiture devant le Congrès vénézuélien, Caracas, éd. de la présidence de la République, 1999.
3 Cité dans Bilbao (L.), «El Alba se afianza como estrategia unificada defensiva con proyección internacional», Crítica de nuestro tiempo, n° 39-40, octobre 2009-mars 2010.
4 Guevera (A.), Chávez, un hombre que anda por ahí. Una entrevista con Hugo Chávez, Melbourne, Ocean Press, 2005, p. 109.
5 Ibid., p. 110.
6 Chaîne de télévision pan-latino-américaine basée au Venezuela et diffusée par satellite.
7 Cerezal (M.) et Arbelaez (M.), «Et les Bolivariens inventèrent le SUCRE», Marianne, 28 octobre 2009.
8 Serbin (A.), «Entre UNASUR y ALBA : ¿ otra integración (ciudadana) es posible ?», CEIPAZ, 2008, p. 183-288.
9 Altmann (J.), Nuevos escenarios de integración regional : el ALBA, Buenos Aires, Flacso, septembre 2010.
10 Bilbao (L.), op. cit., p. 64.
11 Altmann (J.), «El ALBA, Petrocaribe y Centroamérica : ¿ intereses comunes ? », Nueva Sociedad, n° 219, janvier-février 2009, p. 127-144.
12 Altmann (J.), 2010, op. cit., p. 9.
13 Voici le détail des fonds affectés par le Venezuela à ses partenaires de Petrocaribe en millions de dollars : 18 776 à Cuba, 6 724 à la Bolivie, 5 523 au Nicaragua, 1350 à la Banque Alba, 440 à Haïti, 130 au Honduras, 8 à la Dominique : El Universal, 28 septembre 2008.
14 Niedergang (M.), Les vingt Amériques latines, Paris, Seuil, nombreuses rééditions depuis 1962.
15 Serbin (A.), Chávez, Venezuela y la reconfiguración política de América Latina y el Caribe, Buenos Aires, Siglo XXI Editora Iberoamericana, 2011.

Pour citer cet article

Jean-Jacques Kourliandsky, «ALBA, organisation interaméricaine ou vénézuélienne ?», Fédéralisme Régionalisme [En ligne], Numéro 1 - Le régionalisme international dans les Amériques : dynamique interne et projection internationale, Volume 11 : 2011, URL : https://popups.uliege.be/1374-3864/index.php?id=1099.

A propos de : Jean-Jacques Kourliandsky

Diplômé en science politique et docteur en histoire ; Chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques de Paris ; Membre du comité de rédaction de la Revue internationale et stratégique