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- Volume 5 : 2004-2005 - La IIIe République Démocrat...
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«Et demain, le Congo ?»
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La première guerre africaine
1Sept ans après son déclenchement, le conflit qualifié, dans un premier temps, d’«insurrection» est devenu la première guerre africaine, avec des conséquences désastreuses pour les populations civiles : la mort de plus de 3,3 millions de Congolais1, le déplacement de plus d’1,5 million de personnes, la violence sexuelle utilisée systématiquement comme arme de guerre contre les femmes dans le but de détruire les communautés ennemies, le pillage des ressources naturelles alimentant la violence, la famine, la réapparition des épidémies jadis éradiquées, le cannibalisme, etc. Dans cette guerre, une pluralité d’acteurs furent directement impliqués. Pas moins de sept États y engagèrent des troupes : le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, l’Angola, la Namibie, le Tchad financé par la Libye et enfin, le Zimbabwe. Outre ces armées, une coalition de mouvements rebelles minée par des dissensions internes et/ou de crises d’identité fut également engagée dans ce conflit, à savoir : le Rassemblement congolais pour la Démocratie (dit le RCD-Goma), le Rassemblement congolais pour la Démocratie – Mouvement de Libération (dit le RCD-ML) et le Mouvement de Libération du Congo (MLC). Il faut aussi souligner l’implication sur le terrain de mouvements rebelles étrangers comme les ex-FAR et Interahamwe (dit l’Armée de Libération du Rwanda – ALIR), les rebelles ougandais s’opposant au régime du Président ougandais Museveni (Alliance of Democratic Forces – ADF), les mouvements rebelles burundais notamment les Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD) et les Forces Nationales de Libération (FNL). Enfin, des groupes de résistance luttant contre l’occupation étrangère (dits les milices Maï-Maï) figurèrent également parmi les acteurs-clés. Cette multitude d’acteurs aux intérêts divergents rendit complexe cette guerre et incertaines les pistes de résolution proposées2.
2Pour y mettre fin, la communauté internationale se mobilisa timidement. En juillet 1999, ses efforts se concrétisèrent par la signature des Accords de Lusaka. Non respectés et ne correspondant plus à la situation de terrain, ils s’avérèrent inadéquats et largement dépassés. Enlisé pendant plusieurs mois, ce conflit engendra une partition de fait du Congo ce qui permit l’existence de plusieurs entités autonomes administrées par les différents mouvements rebelles et leurs alliés étrangers. Le Congo fut ainsi plongé dans un état de délabrement généralisé.
3Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le devenir de ce pays-continent qui, depuis 1996, vit des pages très sombres et tragiques de son histoire : pays sans institutions politiques légitimes, balkanisé, dévasté, ruiné, épuisé par tant d’années de conflits violents.
4Une lueur d’espoir, une «window of opportunity» se profile, néanmoins, depuis l’assassinat de Laurent Désiré Kabila, en janvier 2001 et son remplacement à la tête de l’État par son fils Joseph Kabila. Ce dernier s’engagea très tôt dans une direction opposée à celle de son prédécesseur en privilégiant la relance d’une dynamique de paix, la collaboration avec les Nations Unies et l’Union Africaine ainsi que la tenue du «dialogue inter-congolais». Ses promesses se concrétisèrent rapidement par la signature de toute une série d’accords notamment celui de Pretoria (entre le Rwanda et le Congo, visant le retrait des troupes rwandaises et le démantèlement des milices Interahamwe et ex-FAR encore présents au Congo) et de Luanda (entre l’Ouganda et le Congo, fixant les modalités de retrait des troupes ougandaises). Ces accords rendirent possible le retrait de toutes les forces militaires étrangères présentes au Congo et la tenue d’un dialogue entre toutes les parties congolaises ce qui laissait entrevoir une lueur d’espoir de fin de conflit. Avec l’adoption, en mars 2003, de la Constitution de transition, la République Démocratique du Congo (RDC) entama «une phase à haut risque de transition démocratique».
5Dès le printemps 2003, le retrait ordonné à l’ensemble des forces étrangères fut constaté, exception faite pour le Nord et Sud Kivu et la région de l’Ituri, province frontalière avec l’Ouganda, où s’affrontèrent les forces du Mouvement de libération du Congo (MLC) et les troupes du RCD-National, une dissidence du RCD-Goma. De même, la région d’Uvira vit régulièrement s’opposer les forces du RCD-Goma, soutenues par Kigali et les milices Maï-Maï soutenues par Kinshasa.
6Le déploiement prévu des forces des Nations Unies commença en décembre 2000. Toutefois, placés «dans une situation impossible», car n’ayant pas l’autorisation d’ouvrir le feu, les 700 militaires uruguayens déployés en Ituri se montrèrent incapables d’empêcher les massacres récurrents. En quelques semaines, les affrontements entre groupes rivaux lendu et hema firent plus de 400 morts (bilan dressé suite à la découverte de fosses communes). La férocité des exactions et l’inquiétude quant à une possible aggravation de la situation poussèrent le Conseil de sécurité à créer, fin mai 2003, une force multinationale3 sous commandement de la France, avec le soutien logistique des États-Unis et l’appui politique de Londres (800 soldats français, 600 Sud-Africains et 700 Bangladais). Cette opération permit de diminuer le niveau de violence dans et autour de la ville de Bunia ainsi que le reploiement d’autres forces de l’ONU dans les zones encore en conflit, notamment à l’Est du pays, chargées d’imposer la paix.
Le Congo au cœur des enjeux régionaux et internationaux
7Ce conflit au cœur de l’Afrique fut la résultante de nombreux enjeux (politiques, stratégiques, militaires, économiques, …) menés par une multitude d’acteurs tant locaux, nationaux, régionaux qu’internationaux.
8Ainsi, la plupart des intervenants comme les mouvements rebelles nationaux et étrangers combattaient pour l’accès au pouvoir et d’autres convoitaient les fabuleuses richesses du Congo. Ainsi, pour le Rwanda, outre la volonté affirmée d’exercer son «droit de poursuite» contre les ex-FAR et autres Interahamwe, l’attrait pour les ressources congolaises constitua une des principales motivations de sa présence au Congo4. Quant à l’implication de l’Ouganda sous des réflexes sécuritaires, se cachèrent en réalité des motivations économiques et commerciales. Les pays alliés au régime de Kabila ne furent pas non plus en reste : le soutien du Président zimbabwéen Mugabe reposait également sur des motivations politico-économiques dont l’enjeu était de maintenir l’axe Kinshasa-Harare pour concurrencer le leadership sud-africain en Afrique australe. S’agissant de l’intervention angolaise, le premier objectif fut de couper l’Unita, le mouvement rebelle de Jonas Savimbi opposé au régime du Président angolais Dos Santos, de ses bases arrières situées au Congo. Le second objectif était de maîtriser toute la côte atlantique allant de l’Angola au Congo Brazzaville car regorgeant de ressources pétrolières.
9Grâce aux liens privilégiés entretenus entre Kabila père et le Président namibien, Mujoma, la Namibie intervint pour soutenir Kinshasa aux côtés des forces angolaises. Parallèlement, la Namibie bénéficia de l’aide de l’Angola pour mettre fin à la tentative de sécession de la province de Caprivi. Enfin, la Libye de Kadhafi, en finançant le déploiement d’un contingent tchadien au côté du gouvernement congolais, espéra consolider sa stratégie de devenir le leader politique du continent africain.
10L’implication des USA dans la résolution des différents conflits en Afrique fut directement liée à la sécurité de son approvisionnement en ressources énergétiques ainsi qu’à la lutte contre le terrorisme5. La politique énergétique des États-Unis passe notamment par la diversification de ses sources d’importations en pétrole. Le pétrole africain (essentiellement celui provenant de la côte atlantique) représentait donc un intérêt géostratégique important pour les États-Unis.
11Pour la France, après la débâcle de sa politique africaine dans la région des Grands Lacs, elle mena un interventionnisme actif au Conseil de Sécurité ce qui permit le vote de plusieurs résolutions sur la crise congolaise. Après son intervention en Côte d’Ivoire pour empêcher un embrasement généralisé, on assista à son réengagement en Afrique des Grands Lacs. La France fut l’une des pièces essentielles de l’opération «artemis».
12Quant à la Belgique, le regain d’intérêt pour l’Afrique centrale résulta de la volonté affichée par le gouvernement «arc-en-ciel» issu des élections de juin 1999 de redorer, sur le plan international, l’image de la Belgique écornée par diverses affaires notamment l’affaire Dutroux et la crise de la dioxine.
13Cet attrait politique pour le Congo est essentiellement le fait de la politique menée par Louis Michel, ancien ministre belge des Affaires étrangères qui a investi beaucoup d’énergie dans une diplomatie active en Afrique centrale, mettant fin à un désinvestissement de 10 ans au moment de l’arrivée des socialistes flamands au ministère des Affaires étrangères6. Par son engagement, il avait su gagner le cœur des Congolais et la politique étrangère fut même considérée par les Belges comme la meilleure réalisation du gouvernement «arc-en-ciel» (1999-2003)7. Cette politique incarnée par Louis Michel ne doit pas faire oublier tous les autres acteurs que sont le ministère de la Défense et celui de la Coopération qui furent également pour beaucoup dans la revalorisation de l’image de la Belgique au Congo.
14Il faut avouer que les actions de cette diplomatie furent parfois improvisées, dispersées, voire brouillonnes mais, au final, furent un pas dans la bonne direction : elles ont remis le dossier congolais à l’agenda européen et international. Elles firent de Louis Michel, le défenseur de la cause du Congo auprès des instances internationales.
15Son départ du gouvernement belge et l’arrivée de Karel De Gucht, diplomate atypique, au poste de ministre des Affaires étrangères ont fait naître des craintes pour le Congo dans sa délicate phase de consolidation de la période de transition. Sur le fond, la Belgique reste engagée à côté des Congolais pour mener à bien le processus de la transition. Le Congo demeure le premier bénéficiaire de l’aide publique belge. Mais, le ton de cette politique a changé. La première visite au Congo du ministre donna le ton de la marque «Karel». Il provoqua pas mal d’émoi lorsqu’il déclara à Kigali qu’il a rencontré peu de dirigeants congolais qui lui ont fait une forte impression. Il est un fait que les dirigeants congolais furent quelque peu déboussolés par ces propos. Ces déclarations et les différentes réactions rappelèrent l’époque des rapports tumultueux. On aurait pu craindre le retour à une période de haine entre les deux pays, mais, comme à l’accoutumée, les choses finirent par s’arranger.
16Pour la deuxième visite de M. De Gucht en Afrique centrale, tout fut fait pour que cette visite se déroule dans des meilleures conditions, mais voilà : il y eut l’affaire des curriculum vitae des dirigeants congolais distribués officiellement aux journalistes qui gâcha les retrouvailles.
17Si on peut déplorer les dérapages du ministre belge, on peut, néanmoins, constater que ces propos ont contribué à accélérer le processus devant aboutir à des élections tant attendues par la population congolaise et ont eu un écho favorable au sein de l’opinion publique congolaise. Cette dernière estime même que le ministre dit tout haut ce que les Congolais pensent tout bas. Par ailleurs, les Congolais reconnaissent qu’ils ont besoin de la Belgique8.
Fin de conflit, l’Accord global et inclusif ?
18Après plusieurs tentatives de résolution notamment à Syrte en Libye, Lusaka en Zambie, Gaborone au Botswana, Abuja au Nigeria, Addis-Abeba en Éthiopie, Bruxelles en Belgique, Genève en Suisse, Sun City et Pretoria en Afrique du Sud et Luanda en Angola, les représentants du gouvernement de Kinshasa, des mouvements rebelles, des partis d’opposition et de la société civile purent, enfin, signer un accord de paix global9. Cet accord basé sur des principes de consensualité, d’inclusivité et de non conflictualité au sommet de l’État, constitua une grande première sur le continent africain surtout si on tient compte du nombre des parties impliquées. L’accord prévoyait que le Président Joseph Kabila soit maintenu à son poste mais assisté par quatre vice-Présidents issus du parti du Président, du RCD-Goma, du MLC et des partis d’opposition politique non armée. C’est ce qui constitue la présidence de la République10, aussi dénommée par l’opinion publique congolaise «1+4». De plus, les belligérants se mirent également d’accord sur la répartition et l’attribution des différents ministères et la mise en place des institutions citoyennes en appui à la démocratie présidées par des personnalités issues de la société civile.
19Outre la fin de la guerre, la véritable avancée de cet accord est d’avoir permis à l’espace présidentiel de disposer, de manière collégiale, des moyens militaires et financiers de l’État qui étaient auparavant détenus par un seul homme. Ce système de «1+4», malgré sa lourdeur, semblait être un gage de bonne gouvernance et aurait pu permettre de limiter les abus que l’on avait constatés lors de la première transition démocratique dans les années 90. Malheureusement, une véritable économie de prédation s’est installée à tous les niveaux de pouvoir du Congo. Plusieurs rapports des institutions internationales stigmatisent la mégestion et la criminalisation de l’État congolais.
20Par ailleurs, le pays n’est pas encore réunifié sur le plan politique, administratif et financier. Certaines institutions de la transition sont fonctionnelles et d’autres pas. Même si, depuis le 30 juin 2005, à Kinshasa, on constate une certaine normalisation de la vie publique et politique, de nombreuses zones de conflit subsistent, notamment : en Ituri, dans les deux Kivu, dans le Bas-Congo, dans le Nord Katanga, dans l’arrière-pays de Kinshasa. Bien que la plupart des forces étrangères se soient retirées du pays, certaines milices locales continuent de se disputer le contrôle de zones d’influence. La poursuite des combats continue à provoquer, selon les sources, des dizaines voire des centaines de milliers de déplacés. Ce qui a poussé l’organisation non gouvernementale ASADHO à mettre en exergue la problématique de «l’insécurité qui demeure une épine dans le processus de réunification effective du pays»11.
21L’armée intégrée et recomposée, tant attendue par la communauté internationale, est également source de préoccupations. En effet, suite au retard enregistré dans la mobilisation de certaines bandes armées, celles-ci non encadrées et laissées à elles-mêmes, bafouent allègrement les droits de l’homme.
22Enfin, le Congo aspire comme un grand nombre d’États africains à l’émergence d’un véritable État moderne démocratique. Cependant, force est de constater que la violence y est encore présente voire privatisée. Certains «entrepreneurs politiques» entretiennent, par exemple, encore des milices ou des factions armées pour faciliter leurs activités commerciales. Des seigneurs de guerre se taillent des fiefs dans des territoires que le pouvoir central a cessé d’administrer depuis plusieurs années.
Perspective : l’intégration régionale
23Il est un fait que l’environnement régional influe durablement sur le contexte congolais. Depuis le début de l’année 2002, toute la région est entrée dans une phase de recherche de paix durable.
24Des élections présidentielles et législatives ont eu lieu au Rwanda malgré les imperfections relevées, notamment, par la mission d’observation électorale dépêchée sur place par l’Union européenne.
25Au Burundi, la période de transition, telle que prévue par les accords d’Arusha, a pris fin avec l’organisation des élections communales, législatives et présidentielles. Celles-ci furent remportées par l’ancien mouvement rebelle hutu, les Forces pour la défense de la démocratie (FDD).
26Par ailleurs, le processus de démobilisation, désarmement, rapatriement, réinsertion et réinstallation (DDRRR) des groupes armés étrangers opérant en RDC a permis le rapatriement de près de 10 000 personnes dont la grande majorité sont des ex-combattants. Parmi ceux-ci, les Rwandais sont les plus nombreux. L’exécution de ce programme permettrait d’apporter des réponses à la préoccupation sécuritaire du Rwanda ce qui annihile pour ce pays, le prétexte d’intervention au Congo pour y exercer son droit de poursuite des Interahamwe et ex-FAR.
27Ce processus de normalisation et de recherche de pacification doit être consolidé et ce, notamment par la tenue de la Conférence internationale sur les Grands Lacs programmée initialement à la fin 2005. Cette conférence devra se pencher sur les moyens de renforcer la paix et la sécurité ; la démocratie et la bonne gouvernance ; le développement économique et l’intégration régionale ainsi que de résoudre les problèmes humanitaires et sociaux, autant d’enjeux à l’origine de l’embrasement de la Région des Grands Lacs.
28La plupart des textes publiés dans ce numéro ont été rédigés par des experts qui ont travaillé pour le Sénat et l’Assemblée nationale en vue d’aider à la rédaction de la Constitution dans un premier temps puis, dans un deuxième temps, à la rédaction de la loi électorale. Leur liberté académique est bien entendu ici totale.
29Novembre 2005
Voetnoten
Om dit artikel te citeren:
Over : Dr Bob Kabamba
Chargé de cours adjoint à l’Université de Liège