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- Volume 1 : 1999-2000 - Nationalisme et démocratie
- Introduction : Nationalisme et démocratie
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Introduction : Nationalisme et démocratie
1Cette fin de siècle semble se caractériser par une globalisation galopante. Mondialisation de l'économie, émergence de formes postnationales d'appartenances (Soysal, 1995), construction d'ensembles politiques supranationaux, uniformisation planétaire de la culture de masse sont autant de tendances souvent mises en évidence dans les débats sur l'évolution actuelle du monde. Toutefois, au même moment s'affirment ça et là des mouvements politiques nationalistes et ultra-nationalistes qui, au-delà des différences qui les séparent, se présentent tous comme des résistants face à la globalisation et comme les sauveurs de la nation et de la patrie tant aimées. Ces mouvements et la philosophie dont ils s'alimentent ont fait l'objet de nombreuses études depuis les années 80. Ainsi, de manière apparemment assez paradoxale, l'étude du nationalisme a connu un essor remarquable dans une période marquée par la perte d'influence de l'État-nation sur la scène économique et politique mondiale.
2Considéré par les uns comme essentiellement antidémocratique et rétrograde, le nationalisme est considéré par les autres comme une force démocratique de libération. Ces conceptions diamétralement opposées indiquent à quel point la notion de nationalisme est "essentiellement contestée". Les intérêts et les valeurs de ceux qui l'étudient et l'utilisent font partie intégrante de leurs analyses. Contrairement aux exigences d'une vision idéaliste de la science, l'étude du nationalisme éprouve souvent des difficultés à se départir des partis pris idéologiques, philosophiques et partisans. De plus, les conceptions opposées indiquent l'énorme complexité d'un terme pourtant simple derrière lequel semblent se cacher des réalités parfois extrêmement différentes. Selon certains, il est illusoire de parler du nationalisme au singulier. Il faudrait plutôt parler des nationalismes pour souligner la diversité et la complexité des réalités que le terme peut simultanément évoquer et qui expliquent l'ambiguïté du concept de nationalisme (Alter, 1989).
3Il est donc opportun de définir avec clarté les principes de base du nationalisme. Ils sont au nombre de trois (Kedourie, 1992). En premier lieu, le nationalisme suppose que l'humanité est divisée en nations. En second lieu, les caractéristiques spécifiques objectives de ces nations peuvent être identifiées. En troisième lieu, le gouvernement des nations par elles-mêmes est considéré comme la seule forme de gouvernement légitime. C'est le principe d'autodétermination. L'objectif de tout nationalisme est de faire parfaitement correspondre à chaque nation son propre État (Gellner, 1983), ou si l'on veut de faire coïncider les frontières de la communauté politique avec les frontières de la nation.
4En considérant ces trois principes, la réflexion suivante peut être faite au sujet de la relation entre le nationalisme et la démocratie. L'idée de nationalisme est incontestablement moderne. Le terme lui-même semble avoir été inventé par le philosophe allemand Herder et en français, par l'abbé Barruel il y a environ deux cent ans (Calhoun, 1993). Quant aux discours nationalistes, ils trouvent leur origine dans la rébellion britannique contre la couronne du 17ème siècle, dans les luttes des élites du Nouveau monde contre le colonialisme espagnol, dans la révolution française de 1789 et dans la réaction allemande contre cette révolution (Calhoun, 1993). Ainsi, le nationalisme et la démocratie moderne se sont développés et propagés ensemble. Tant dans la pensée nationaliste que dans la pensée démocratique moderne, l'État-nation est le lieu privilégié de la participation démocratique. Le développement de la nation moderne va de pair avec l'émergence de l'individualisme libéral qui fait de chaque individu un membre de la nation équivalent à tous les autres, un citoyen disposant de droits et de devoirs dans un espace politique. La nation dans un espace démocratique, n'est rien d'autre qu'une communauté de citoyens (Schnapper, 1995).
5Dès lors, on pourrait dire que le nationalisme et la démocratie formant un mariage, compliqué, certes, mais union quand même dans la pensée occidentale. Historiquement, la théorie démocratique a du mal à penser la démocratie sans unité culturelle, laquelle est fournie par la nation. Quant à la pensée nationaliste, elle ne s'oppose pas nécessairement à l'idée de participation démocratique pour autant que les citoyens soient des membres à part entière de la nation. Comme le dit Nodia (1994), l'idée de nationalisme est impossible et impensable sans l'idée de démocratie et l'idée de démocratie moderne n'a jamais existé sans celle de nationalisme.
6Cette complémentarité historique entre la pensée démocratique et une certaine pensée nationaliste ne doit toutefois pas conduire à des conclusions optimistes. En effet, les formes de nationalisme qui s'expriment politiquement aujourd'hui vont souvent bien au-delà de l'idéal gellnérien de coïncidence entre la nation et l'État. Les nationalismes démocratiques sont de plus en plus dépassés par des nationalismes racistes et autoritaires comme ceux défendus par le Vlaams Blok ou le Front National. Pour ces mouvements, la nation est une donnée naturelle de l'histoire qui a ses caractéristiques, culturelles, raciales et biologiques spécifiques. Dans cette conception exclusive, l'incorporation de nouveaux venus dans la nation est pratiquement impossible. Par exemple, même s'il est de nationalité française, le jeune d'origine algérienne ne pourra jamais faire partie de la nation française telle que définie par Le Pen ou Mégret. Sur cette question, rien n'oppose en théorie les deux leaders politiques rivaux. Le nationalisme se mue alors en racisme qui peut justifier toute forme de discrimination et de mauvais traitements envers ceux que non seulement on ne reconnaît pas comme des membres de son groupe national et/ou racial, mais que l'on identifie en plus comme des ennemis de la nation. Par ailleurs, ces mouvements rejettent l'idéal démocratique même pour les membres de la nation. A cet égard, le scénario que les partis mentionnées envisagent pour les femmes ou pour les syndicats sont éclairants. C'est le culte du chef et la loi du plus fort qui priment au détriment de la participation citoyenne et du gouvernement par le peuple.
7Pour les démocrates, mais aussi pour de nombreux nationalistes modérés, cette résurgence d'un nationalisme raciste et antidémocratique constitue un des problèmes majeurs de ce début de siècle. Les premiers éprouvent bien des difficultés à contrer des formations politiques qui feignent d'accepter les fondements et les règles du jeu de la démocratie pour mieux la détruire. La menace est d'autant plus forte que dans certains pays européens, les formations racistes et antidémocratiques constituent une force électorale significative, susceptible de diriger jusqu'à un certain point les débats politiques. Les nationalistes modérés voient dans ces mêmes formations une cause de discrédit de leur combat. Le risque existe que, dès que l'on mentionne la défense de l'intérêt national, — que ce soit par rapport aux tendances centrifuges infranationales ou par rapport aux processus d'intégration continentale —, ils soient assimilés aux extrémistes avec lesquels ils sont pourtant loin de n'avoir que des points communs.
8Quoi qu'il en soit, il semble clair que l'Etat-nation démocratique tel que nous l'avons connu au cours des deux siècles derniers n'a plus le monopole de la régulation politique et économique. Toutefois, nous sommes entrés dans une période caractérisée par la disparition d'États anciens et la naissance de nouveaux États. Dans ce processus, les idéologies nationalistes continuent de jouer un rôle important. Réussira-t-on à penser et à développer une démocratie au-delà de l'Etat-nation ainsi qu'une démocratie multiculturelle (Martiniello, 1997) comme alternatives crédibles au racisme et à l'autoritarisme de formations telles que le Vlaams Blok et le Front national ? Cette question lancinante reste aujourd'hui posée.
9Elle est abordée dans plusieurs des contributions de ce numéro spécial consacré aux relations entre le nationalisme et la démocratie. Jean-Pierre Mbwebwa s’interroge sur l’utilité de ces concepts dans le contexte africain en général et au Congo, en particulier. Les deux contributions suivantes examinent la situation du Québec. André Bernard retrace l’histoire de la revendication souverainiste québécoise. Quant à Jean-Philippe Pauwels, il présente une réflexion critique au sujet de la légitimité des revendications souverainistes. André Lecours examine la tension entre nationalisme et fédéralisme dans l’Etat canadien. La contribution de Nicolas Bardos-Feltoronyi essaye de comprendre la réalité des nationalismes en Europe centrale et orientale à partir d’un schéma théorique se référant aux grands courants de la pensée politique moderne. Enfin, Kris Deschouwer nous ramène en Belgique pour une contribution stimulante sur le nationalisme flamand.
10Certes, ce volume, issu d'un colloque tenu à l'Université de Liège en 1998, n’épuise pas toutes les dimensions du problème des liens entre nationalisme et démocratie. Ce n’était du reste pas son objectif. Il doit néanmoins être considéré comme une contribution à une meilleure connaissance des problématiques hautement sensibles dans la politique d’aujourd’hui.
To cite this article
About: Jean Beaufays
Professeur ordinaire, Université de Liège
About: Marco Martiniello
Maître de recherches FNRS, Université de Liège