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Les régions tchèques ont-elles une identité politique ?
Résumé
La République tchèque s’est dotée, en 2000, d’une nouvelle organisation régionale dont l’objectif est de moderniser et décentraliser son administration publique. Les nouvelles «régions» sont confrontées à des identités régionales historiques dont les origines peuvent remonter à plusieurs décennies, voire plusieurs siècles. Nous décrirons l’histoire de la constitution des régions actuelles en analysant la manière dont chaque région construit une identité propre qui découle de son action politique et non pas d’héritages historiques. Nous présenterons de premières pistes de réflexion afin de construire des indicateurs permettant d’étudier la constitution de nouvelles identités régionales. L’indicateur privilégié ici est le droit d’initiative législative accordé aux Assemblées régionales, qui se heurte aux intérêts du Parlement national. La seule Assemblée qui est parvenue jusqu’ici à l’utiliser avec une certaine efficacité est celle de la capitale, Prague. Les identités régionales sont, par ailleurs, en concurrence avec des identités locales et, en République tchèque, jusqu’ici, le localisme apparaît plus porteur tant sur le plan identitaire que sur celui de l’orientation de l’action politique.
Table of content
Introduction
1La République tchèque va organiser en octobre 2008 ses troisièmes élections régionales depuis la réforme administrative de 2000. En République tchèque (ou Tchéquie), le mot «régions» est porteur de deux significations distinctes. Il peut renvoyer à des unités administratives, d’une part et à des unités historico-identitaires, d’autre part. Dans cet article, nous nous focalisons sur quatorze régions (ou Kraj) créées par la loi constitutionnelle de 1997 en tant qu’unités administratives et politiques de niveau intermédiaire entre les gouvernements locaux et le gouvernement central.
2La mise en place d’un nouveau cadre régional nous invite à nous interroger sur la construction identitaire de ces nouveaux échelons politico-administratifs qui sont en compétition avec les «pays historiques» (la Bohême, la Moravie et la Silésie) aussi bien que par rapport aux «anciennes» régions administratives (la division territoriale du pays dans le système judiciaire et policier) ou bien celles définies par l’Union européenne (UE) dans le cadre de la nomenclature d’unités territoriales statistiques (NUTS). Par ailleurs, nous sommes également confronté à une dizaine de «petites» régions culturelles1. L’existence d’autant de formes différentes de régions a influencé la réforme de 1997-2000. Celle-ci a tenté de faire en sorte que les nouvelles entités régionales intègrent les références socioculturelles existantes sans que cela n’entrave les objectifs modernisateurs au cœur de la réforme. La modernisation administrative était en effet le moteur principal de la décentralisation. La décision politique finale fut d’abandonner l’historicité et d’avancer plutôt dans la direction de la modernisation et de la démocratisation de l’administration du pays. Depuis 2000, les Assemblées régionales doivent assurer le fonctionnement des administrations régionales tout autant que trouver leur place en tant qu’acteurs du système politique tchèque. À l’origine, les auteurs de la réforme ont initié un processus lent avant que les régions ne se saisissent pleinement de leurs nouveaux rôles, car ce niveau politico-administratif était considéré comme moins «politisé» que le niveau central. Un président de région a par exemple illustré cette thèse de l’apolitisme régional par l’accent placé sur les problèmes concrets et quotidiens, accent qui ne permettrait pas la mise en scène des conflits politiques comme au niveau national : «Elles [les Régions] doivent travailler plus en consensus autour des problèmes pratiques»2.
3Cette situation a été bouleversée par les résultats de deux premières élections régionales en 2000 et surtout en 2004 lorsque le principal parti d’opposition, le Parti civique démocrate (ODS), a obtenu une majorité écrasante dans douze des treize régions. De plus, ce parti a dans le même temps confirmé sa supériorité dans la capitale. Outre ses compétences municipales, Prague assure aussi des compétences régionales. Il s’ensuit que, depuis 2004, nous assistons à l’exportation du conflit parlementaire entre le gouvernement et l’opposition au niveau régional. Il n’existe pas de partis ethno-régionaux et on peut affirmer que le conflit est renforcé par la régionalisation de l’ODS. L’ODS recrute ses principaux leaders parmi les présidents régionaux et les sénateurs attachés par leurs mandats sénatoriaux aux régions.
4Cet article comprend deux objectifs. Le premier est d’étudier pourquoi les références historiques sont si faibles dans les régions actuelles. Nous allons décrire à la fois les principaux courants de différenciation régionale dans les «pays» tchèques3 et les facteurs qui ont contribué au fait que les acteurs politiques ont dessiné des nouvelles régions avec des identités historiques et politiques faibles. Les deux premières parties, méthodologique et historique, sont consacrées à cette problématique.
5Le second objectif est d’analyser l’action politique des acteurs régionaux afin d’identifier de premiers éléments susceptibles de décrire un processus de construction identitaire. Dans une troisième partie, nous analysons ainsi l’action politique à travers l’usage du droit d’initiative législative par les Assemblées régionales. Ce droit est utilisé par des sociologues, à côté de dix autres indicateurs, pour caractériser les régions tchèques4. Néanmoins, jusqu’ici, celui-ci reste réduit à un indicateur synthétique et on néglige les logiques situationnelles et les logiques de pouvoir sous-jacentes au processus d’élaboration des lois.
1. Approche et méthodologie
6Le concept d’identité tel que nous l’employons ici doit être clarifié et précisé. L’identité est ici étudiée en tant qu’expression des catégorisations liées aux territoires. Une identité régionale correspond dans cette perspective à un «état» des sentiments d’appartenance et des symboles liés au territoire. Il s’agit ainsi d’un modèle formulé à partir d’analyses socio-historiques et juridiques reprises de la littérature5. Révélant les régions tchèques à la lumière des «pays historiques», ces analyses ont contribué au balisage de l’identité non seulement régionale, mais aussi nationale. Il ne faut pas sous-estimer cette dimension puisqu’elle correspond aux évolutions historiques. Elle est par exemple intégrée dans la symbolique nationale puisque l’emblème national est composé de quatre petits emblèmes historiques représentant la Bohême, la Moravie et la Silésie. Ces «pays historiques» ont été effectivement évoqués lors de la réforme de 1997 lorsque leurs défenseurs ont argumenté sur la légitimité de cette division du pays reposant sur des solidarités territoriales.
7Notre objectif est de mener une réflexion sur l’identité politique régionale qui découle de l’action politique. Il s’agit donc d’une identité en construction où l’action politique régionale circonscrit le rapport entre les résidents, leurs territoires et leurs institutions régionales. Pour définir l’identité politique, nous partons de trois postulats : l’existence de processus de «construction», de «différenciation» et de «situation» qui remettent en cause toutes les approches théoriques qui assimilent l’identité à un «état»6. La problématique se situe ainsi dans le processus au cours duquel une identité est construite et reconstruite au moyen de différenciations qui consistent en une prise de conscience de ce qui sépare un «Soi» régional et un «Autre». L’identité est vue en tant que relation qui a un «sens» défini à travers des situations uniques. Selon Denis Constant Martin, les identités en construction sont soumises aux «situations dans lesquelles elles sont érigées, […et elles sont déterminées] par les rapports de pouvoir […] et les efforts entrepris pour les modifier»7.
8La troisième partie de cet article montre que les propositions de lois au Parlement sont réellement une expression de la différenciation des régions par rapport aux «Autres». Les «Autres» peuvent être représentés soit par le «centre politique» soit par les régions voisines. Néanmoins, il faut appréhender les propositions dans leurs situations propres. Les antagonismes se situent entre les politiciens, entre différents échelons de l’administration, de même qu’au niveau régional.
9L’usage pratique de l’initiative législative est pourtant restreint : en déposant la proposition à la Chambre des députés, les régions ne peuvent qu’attendre le résultat du vote sans qu’elles ne puissent influencer soit le débat, soit le contenu des amendements parlementaires. L’activité législative des régions au Parlement national dresse un bilan spécifique pour la vie des régions. Pour mieux comprendre notre objectif, il est utile de préciser que nous n’étudions ni les réglementations régionales produites par les Assemblées régionales, ni les lois concernant les régions. Nous nous concentrons uniquement sur les propositions régionales de lois qui devraient être votées au Parlement national.
10Nos ressources principales d’information sont les rapports parlementaires, les transcriptions intégrales de discours parlementaires et une base de données des propositions régionales de lois construites par nos soins.
2. Le contexte historique
11Ce processus historique de la différentiation régionale tchèque a suivi deux trajectoires : la plus ancienne est la tradition constitutionaliste, la plus jeune est celle de la modernisation industrielle. La tradition constitutionnelle évoque des «pays historiques» à savoir la Bohême, la Moravie et la Silésie. La Moravie a notamment eu un rôle important dans l’histoire du pays lorsqu’elle s’est émancipée face au centrisme praguois sous l’Empire habsbourgeois. La Vienne habsbourgeoise s’est rendu compte que le clivage au sein du pays de la couronne tchèque8 pouvait affaiblir la position de Prague au sein de l’Empire9. L’importance des autres «pays historiques» tels que la Silésie ou la Lusace a disparu au cours des siècles mais la Moravie a réussi à maintenir ses prérogatives. L’abolition de jure de la Moravie découle de la Constitution tchécoslovaque de 1920 mais son existence fut renouvelée suite à l’échec de la réforme administrative départementale en 1928 même si la Moravie n’a jamais plus reconstitué son autonomie administrative.
12Il est à noter que la division entre la Moravie et la Bohême n’est ni linguistique ni nationaliste. Les députés M. Šrámek ou M. Bouček ont réclamé, en 1920, au Parlement une spécificité régionale culturelle et politique, dans une logique très éloignée de la crainte répandue à l’époque selon laquelle les Allemands de Sudètes souhaiteraient créer leurs propres provinces linguistiques10.
13L’existence des Sudètes est connectée au deuxième aspect qui a influencé la régionalisation historique du pays. Il s’agit des aspects liés aux identifications culturelles et nationalistes lors de la révolution industrielle du 19ème siècle11. En ce qui concerne les régions, les «pays tchèques» ont connu un processus de différenciation régionale comparable à ce qu’Eugen Weber a décrit concernant l’exemple de la campagne française au 19ème siècle. La construction de routes, le télégraphe et l’école sont devenus, dans les «pays tchèques», les instruments et les symboles de la différenciation entre des territoires habités par des peuples de différentes nationalités. Au sens plus large, la Cisleithanie et la Transleithanie distinguaient au 19ème siècle les régions industrialisées des régions agraires de l’ancien Empire austro-hongrois, ce qui a eu des conséquences sur les niveaux, profondément différents, de développement entre les «pays tchèques» et la Slovaquie. Après la naissance de la Tchécoslovaquie, l’expérience de l’industrialisation a renforcé les différences linguistiques et culturelles en divisant le pays entre territoires des «Sudètes» allemands, de la Bohême tchèque, de la Moravie habitée par les Tchèques, Polonais et Allemands, puis de la Slovaquie avec les territoires hongrois du Danube et de l’Ukraine carpatique. Toutefois, l’identité régionale fondée sur la diversité culturelle, linguistique et économique n’est jamais parvenue à s’exprimer sur un plan politico-administratif. Pourtant, la Moravie et la Silésie gardent encore aujourd’hui leur légitimité «culturelle» et jouissent d’une série d’institutions propres : musées, bibliothèques, théâtres, philharmonies et autres associations dites «morave-silésiennes».
14En regardant le cheminement historique du régionalisme tchèque et ses expériences liées aux irrédentismes allemand et slovaque, il n’est pas étonnant que la régionalisation n’ait été bien accueillie ni par les citoyens ni par les élites12. En ce qui concerne les élites, elles voulaient, avec l’aide de l’administration centrale, réduire les résistances territoriales à la domination de Prague. La situation après la Deuxième Guerre mondiale et le départ forcé des Allemands a placé la Tchécoslovaquie devant de grands défis économiques et sociaux. La réforme administrative visait à les résoudre. Il est paradoxal que la réforme régionale était en préparation depuis 1945 avec le soutien des forces démocratiques, mais que sa réalisation en 1949 l’a stigmatisée comme étant le produit du régime communiste. Elle a été perçue comme un moyen de contrôle autoritaire plutôt qu’un instrument de modernisation.
15La première configuration régionale était inspirée par le modèle soviétique comportant trois échelles de l’administration publique : l’État, la région (Kraj) et la municipalité. Ce système a été réformé douze ans plus tard, en 1960. Le Parti communiste voulait, en réduisant le nombre des régions, augmenter le centralisme démocratique. Le Comité régional (Krajský národní výbor, KNV) est réellement devenu le levier politique entre le centre praguois et les régions. Le KNV symbolise ainsi un exemple des institutions régionales non démocratiques selon les critères ouest-européens (par exemple ceux du Conseil de l’Europe).
16Les réformes de 1949 et de 1960 montrent que le nombre des régions tchèques varie entre deux alternatives : soit quatorze régions (1949), soit huit régions (1960), la capitale, Prague, y compris. Le nombre de 1949 a été repris lors de la réforme de 1997-2000, mais avec des frontières modifiées.
17Le futur des régions était conditionné jusque 1992 par le débat sur la fédéralisation du pays. Pour ces raisons, les régions ont été considérées comme des unités purement administratives et les questions identitaires ont été évoquées notamment par rapport à la Slovaquie. La Slovaquie est un modèle à l’époque pour une région ethno-politique. Mais la question de l’identité régionale est comprise autrement dans la Tchéquie actuelle. Suite à la création des KNV, les régions avaient avant tout une identité «bureaucratico-oppressive». Après l’abolition des KNV en 1990, seule l’identité «bureaucratique» subsiste. Depuis 2000, le défi pour les nouvelles régions est de leur redonner une identité plus variée et profonde.
2.1. La naissance de nouvelles régions
18La question de l’organisation régionale apparaît brièvement à l’agenda politique juste après la chute du communisme en 199013. Le débat et les premières démarches dans la réorganisation administrative du pays ont subi des contraintes correspondant au changement de régime. Il s’agissait notamment de la contrainte idéologique et de l’influence des idées philosophiques sur le fonctionnement de la démocratie14. Le gouvernement a aboli les KNV sans que le reste de l’organisation du pays ne soit remise en cause. Ainsi, les organisations judiciaire, scolaire, de santé publique ou de police continuent à exister dans le cadre des huit «régions». L’idéologie a aussi influencé une brusque réforme de l’administration publique pendant quelques mois au cours de l’année 90. En automne 1990, les communes et villes deviennent les premiers interlocuteurs des citoyens en obtenant de nombreuses compétences et libertés liées à la démocratie locale. Il s’en suit une explosion du nombre de nouvelles communes débouchant sur le fait que 70 % des résidents «urbains» se trouvent, aujourd’hui, dans les communes de moins de mille habitants. Ces villes sont souvent économiquement faibles, manquent de ressources humaines dans l’administration, mais leur voix compte dans la définition des politiques locales15. Depuis lors, on peut parler d’un «localisme» fort qui influence incontestablement toute réforme régionale16.
19Remettre l’ordre dans cette situation était l’objectif du président Havel au début des années 90, mais cette initiative, préparée sans discussion préalable entre experts et acteurs politiques, s’est heurtée à la mise à l’agenda de la réforme économique. Le promoteur de cette réforme économique, Václav Klaus, ne voulait pas que les régions aient un potentiel politique et puissent ensuite bloquer le déroulement de sa réforme. Les blocages des politiques économiques défendues par Klaus seront d’ailleurs suivis par le «divorce de Velours» qui scindera le pays.
20Les régions contemporaines sont nées en trois étapes : par la constitution de 1992, par la loi constitutionnelle de 1997 et par la réforme administrative lancée en 1999. Des résistances peuvent être observées tout au long des années 90. Elles sont liées à des raisons idéologiques, au localisme fondé en 1990, à l’avis négatif du chef de gouvernement et de son parti politique, et à la crainte du sécessionnisme morave. Pourtant la réforme a vu le jour en 1999, dans la conjoncture des quelques opportunités politiques qui sont apparues après le changement de gouvernement. Primo, il fallait que la réforme régionale soit conçue en tant que réforme également administrative et non pas purement régionale. Secundo, l’ODS est affaibli après les élections de 1996. Tertio, la ČSSD fait de la réforme régionale son cheval de bataille. Quarto, l’administration publique est davantage perçue comme lourde et difficile et donc il est plus légitime de demander sa réforme17. La cinquième raison est celle de la préparation pour l’adhésion à l’UE. L’objectif principal de cette réforme est finalement, et avant tout, la réforme d’une administration jugée inefficace où se chevauchent de plus en plus les compétences entre les institutions étatiques déconcentrées. La perte de transparence s’est accompagnée d’une perte de légitimité de l’administration. Tout cela a produit le gonflement de l’administration publique et le mécontentement des citoyens18.
21La création des régions s’est imposée en tant que solution aux problèmes de l’administration liés au disfonctionnement de l’État. Ceci dément l’hypothèse selon laquelle elle fut imposée par l’UE19. Bien évidement, la perspective européenne a été discutée mais, en 1997, quand le Parlement a voté la loi constitutionnelle, les unités NUTS II ou d’autres questions européennes n’intéressaient que très peu de personnes en République tchèque.
22Depuis la discussion parlementaire en 1997, la question de l’affirmation d’une identité régionale, à savoir celle de Moravie, n’a plus été à l’avant-plan. Elle est absente du discours politique et abandonnée par les experts. Ce sont uniquement des députés populistes ou communistes (M. Sládek et M. Frank par exemple) qui ont soulevé ces thèmes. Les principaux courants anti-régionalistes représentés par l’ODS ont, quant à eux, critiqué les régions, les présentant comme un gaspillage de ressources et un nouveau gonflement bureaucratique (M. Payne). Les communes et les villes avaient peur de la perte de leurs compétences et de la croissance des charges administratives20.
Carte 1 : Les nouvelles régions tchèques
2.2. Vers de nouvelles identités
23C’est l’arrivée du Parti social-démocrate (ČSSD) au pouvoir en 1998 qui a ouvert la voie au lancement de la réforme régionale. La création de régions politico-administratives a été présentée en tant que partie intégrante d’une grande réforme de l’administration publique. Le critère crucial retenu pour la définition de nouvelles frontières fut notamment l’espace des bassins économico-administratifs et des bassins du marché du travail. De ce fait, les nouvelles frontières ne coïncident pas avec les frontières historiques. La Moravie est désormais répartie sur six régions différentes. Michal Illner a identifié quatre représentations objectives évoquées au moment de la réforme. Les aspects identitaires (pour renforcer ou affaiblir l’identité régionale) étaient les plus faibles21. En premier lieu, les régions, selon l’enquête menée en 2004, sont censées soutenir le développement social et économique. En deuxième lieu, elles doivent démocratiser l’administration publique et, en troisième lieu, assurer le droit des «communautés territoriales» à l’autogestion. Par contre, les représentations liées aux «raisons latentes» qui posent que les nouvelles régions doivent empêcher l’augmentation de l’autonomie de la Moravie et de la Silésie sont très faibles.
3. Étude des propositions de lois régionales
24Les Régions sont mises en place en 2000 selon un modèle mixte. Leur nom officiel est Kraj ou bien Vyšší územně správní celek (VÚSC). Elles assurent l’administration de compétences régionales propres et un certain nombre de compétences partagées avec l’État. La démocratie régionale est incarnée par l’Assemblée régionale (Krajské zastupitelstvo). Le Conseil exécutif régional (Krajská rada) et le Président régional (Hejtman) constituent le pilier exécutif du pouvoir. Il existe aussi une «Autorité régionale» (Krajský úřad) qui représente l’État au niveau régional. Celle-ci assure l’exercice de compétences déconcentrées, la tutelle étatique et représente l’État devant les institutions démocratiques régionales. Le directeur du Krajský úřad est nommé par le ministre de l’Intérieur sur la proposition du Hejtman. Le nombre des députés régionaux varie selon la taille de la région. Le Hejtman a des compétences assez faibles car ses décisions sont soumises à l’approbation de l’Assemblée régionale.
25Il y a treize régions plus la capitale, Prague. Prague a un double statut défini par la loi sur la capitale. Elle a toutes les compétences destinées aux régions, mais elles sont exercées par le conseil de la capitale (zastupitelstvo Hl. m. Prahy). Parmi ces régions, il y en a trois qui dépassent significativement les autres par leur taille : Prague, la région de Moravie du Nord (Moravskoslezský kraj) et la région de Bohême centrale (Středočeský kraj).
26Les propositions que nous avons étudiées reflètent deux situations différentes. Primo, la plupart des propositions sont liées à l’exercice de compétences régionales dont les régions souhaitent des modifications. Les propositions prennent souvent la forme d’amendements à des lois qui touchent directement ou indirectement à la vie régionale. Secundo, quelques propositions sont purement politiques. À l’aide de quelques exemples exposés dans la partie suivante, nous pouvons montrer que les régions ont utilisé leur droit d’initiative législative pour mettre à l’agenda politique des problèmes politiquement «sensibles». Ces lois sont minoritaires, mais elles attirent d’autant plus l’attention des médias et du public sur les régions.
27L’analyse des propositions exige deux phases distinctes. Dans un premier temps nous analyserons la situation générale : combien de propositions de lois ont été proposées ? Par qui ? Qui réussit le mieux à faire adopter ses propositions ? Comment peut-on les catégoriser ? Quel est leur lien avec les compétences régionales ? Cette description nous aidera à comprendre la situation régionale, notamment les différences dans les capacités politiques des différentes régions22. Elle démontre aussi quelles sont les préoccupations quotidiennes régionales les plus significatives et que nous pouvons considérer comme les semences de leur identité. Dans un deuxième temps, nous ciblons des lois que nous pouvons qualifier de «politiques» puisqu’elles expriment un conflit d’intérêts. Ces propositions sont parfois des réformes complexes : redistribution des impôts, rapports concernant la gestion de propriétés publiques, conception de l’organisation de la santé publique. Parfois il s’agissait d’amendements de lois très spécifiques et sectorielles : questions relatives au transport ou à l’ordre public local.
28Les lois proposées par les régions peuvent entrer dans plusieurs catégories. Nous avons utilisé des catégories thématiques, mais aussi des catégories liées à la complexité de la proposition (un amendement ou une loi) et à la nature de la proposition. Les régions ont des contraintes financières limitant leurs ressources humaines et la préparation d’une loi est un processus complexe. Nous distinguons alors principalement entre les propositions techniques qui sont liées aux problèmes de l’administration ordinaire et/ou de son financement et les «propositions politiques» qui sont les actes politiques visibles où les régions prennent la parole à un moment bien spécifique. Elles montrent par leur proposition une prise de position politique et un conflit d’intérêt. Depuis 2000, les quatorze régions ont proposé cinquante lois au total. Cela ne permet pas de conclusions définitives sur les corrélations entre une région, ses types de coalitions et la catégorie de la loi. Néanmoins, il est possible de comparer les situations dans des cas particuliers tel que Prague par rapport au reste des régions, les coalitions ODS par rapport au gouvernement ČSSD ou les problèmes financiers par rapport aux conflits des compétences. En outre, le temps des cycles électoraux nationaux, régionaux et municipaux (pour Prague) est différent. Nous ne pouvons donc pas établir clairement d’influence de la conjoncture électorale.
3.1. Les propositions de lois : premières analyses
29Afin d’exprimer quelle est la position effective des régions devant le Parlement pour présenter des propositions des lois, nous pouvons commencer par les paroles du Hejtman de la Moravoslezský kraj M. Tošenovský. En 2006, il a présenté au nom des autres régions une loi23 permettant aux représentants régionaux de prendre automatiquement la parole devant le Parlement (Chambre des députés et le Sénat) lorsqu’une loi d’intérêt régional est débattue. Il a argumenté que jusqu’en 2006 les régions n’ont utilisé leur initiative législative que très modestement et qu’il est donc souhaitable qu’elles s’expriment davantage. Selon lui cela contribuera à l’efficacité du travail et au développement de la capacité régionale d’être plus impliqué dans la préparation des lois. La proposition a été débattue par les députés puis est retournée à la région après avoir obtenue un avis négatif du gouvernement. Selon ce dernier, même s’il faut améliorer la situation des régions pour qu’elles participent davantage au processus législatif, donner une telle possibilité aux régions est trop risqué.
30M. Tošenovsky soulignait néanmoins à raison le fait que l’usage de l’initiative législative par les régions reste modeste et la plupart des lois échouent ou sont retirées avant même la première lecture. Il y a sept propositions en moyenne par an, mais entre 2001 et 2008 seulement onze propositions ont été votées en tant que lois24. Parmi celles-ci, six étant des propositions de Prague.
Graphique 1 : L’usage du droit d’initiative législative par les régions
31Pour l’ensemble des propositions, votées ou non, il y a une progression entre 2001 et 2003. De deux propositions en 2001 nous passons à huit en 2002 pour atteindre un pic en 2003 avec onze propositions. Par la suite, ce nombre diminue à six propositions en 2004 et cinq propositions en 2005. La dynamique reprend à nouveau puisque nous voyons douze propositions pendant l’année électorale de 2006 et, en 2007, la situation revient à la moyenne avec six propositions. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette observation. D’abord, le chiffre élevé de 2003 a très peu à voir avec la maîtrise de la possibilité de légiférer. Il est dû à la deuxième phase de la décentralisation, à la fin de 2002, quand l’État a aboli les départements et divisé leurs compétences entre l’administration régionale et un certain nombre des communes et villes aux «compétences excessives». Cette nouvelle répartition des compétences a mis une pression sur les régions qui ont demandé un amendement de la réforme.
32Les propositions faites entre 2002 et 2004 reflètent surtout des problèmes apparus lorsque les régions ont gagné en responsabilité et visibilité. C’est aussi dans cette période qu’on voit la naissance d’une compétition entre l’État et les régions. En analysant les propositions de cette période, nous y trouvons surtout la problématique financière liée à la gestion décentralisée de certaines matières et biens immobiliers : les écoles et les institutions scolaires et éducatives, la santé, le transport, la culture et le social. Les régions sont devenues responsables sans être les véritables propriétaires. Par exemple, elles sont limitées en matière d’investissement à cause du système fiscal en place. À partir de 2001, les régions se trouvaient dans une situation financière faible et très dépendante de l’État qui tardait à préparer la législation relative aux finances régionales. La ČSSD, au pouvoir à cette époque-là, ne voulait pas donner trop de marges de liberté aux régions conquises par l’ODS. Néanmoins, les compétences avaient déjà voté et il fallait financer ces politiques.
33Lorsque la Pardubický kraj propose, en 2002, une loi sur la répartition des impôts, le gouvernement ne peut plus tarder et il exprime officiellement sa position envers les régions : les régions seront financées selon les normes ministérielles qui définissent leur part dans le budget national afin de couvrir leurs besoins liés à leurs compétences décentralisées ou partagées. Elles ne peuvent pas participer à la collecte des impôts (notamment celle de la TVA collectée sur le territoire régional) de la même manière que le font les communes et les villes. Pour ces dernières, les impôts locaux ont un aspect «motivationnel». Ils sont utilisés comme des instruments pour attirer des entrepreneurs en renforçant leur position concurrentielle. Les régions doivent accomplir avant tout un rôle de gestionnaires des politiques décentralisées et non de productrices de politiques nouvelles dans le domaine de leurs compétences propres25.
34La proposition de la Pardubický kraj était très politique mais, par la suite, les régions n’ont plus proposé, pendant plusieurs années, que des amendements techniques inspirés des expériences locales, comme la délivrance des licences pour l’établissement de la santé publique, les réductions d’impôts et les politiques fiscales d’amortissement liées aux investissements ou encore le financement pour les assistants pédagogiques affectés aux institutions sociales (asiles). Il s’agissait soit de revendiquer de nouveaux moyens et compétences soit de refuser une charge financière nouvelle alors que l’État n’assurait pas assez de ressources financières ou humaines pour gérer ces nouvelles responsabilités26. L’octroi de responsabilités sans capacité financière était problématique notamment dans le domaine de l’éducation publique, du transport public ou dans les décisions relatives à l’enregistrement des terrains et immeubles (bureau cadastral)où les régions ont vite été identifiées comme responsables.
35Il est vrai qu’au début de l’existence des régions, nous observons aussi quelques propositions concernant des changements de nom et des modifications des frontières régionales. C’est le cas de la première et de la troisième proposition régionale et toutes deux proviennent de régions de la Moravie. Aucune n’a été votée27. Les arguments de ces propositions sont qu’un changement de nom renforcerait les sentiments d’appartenance avec le territoire et avec un espace culturellement construit. Au début, presque toutes les régions portaient un nom lié à celui de leur principale ville. L’exception est la Bohême centrale (Stredočeský kraj) qui a son siège à Prague. Peu de temps après cette revendication régionale, le Parlement a voté un amendement en changeant le nom des régions pour Brněnský kraj (devenue Jihomoravský kraj ou Moravie du sud), Ostravský kraj (devenue Moravoslezský kraj ou Moravie-Silèsie), Jihlavský kraj (devenue Vysočina ou «Les Hauteurs») et Budějovický kraj (devenue Jihočeský kraj ou Bohême du Sud). La question de la symbolique régionale se referme ainsi pour plusieurs années. En 2003, la Ústecký kraj propose avec succès un amendement qui renforce la protection des symboles régionaux28. Afin de comparer l’importance symbolique des régions, il faut préciser que la compétence d’attribuer un symbole régional appartient formellement au président de la Chambre des députés qui gère aussi la symbolique au niveau des communes et des villes.
36Les propositions de lois nous montrent d’autres éléments. Nous voyons ainsi de quelle manière les régions se positionnent parmi d’autres acteurs dans l’espace régional. Parmi les propositions, il faut distinguer celles issues des groupes d’intérêts sectoriels et de celles des villes. Ces dernières constituent par ailleurs elles-mêmes un lobby puissant et peuvent voir les régions comme un autre espace d’opportunité. Quelques propositions, toujours sous la forme d’amendements, sont conçues de telle sorte qu’elles répondent aux besoins communaux, surtout dans le cas de Prague. La plupart de ces propositions, et surtout celles qui ont été votées en tant que lois, n’avaient rien à voir avec les compétences régionales, mais bien avec celles de la ville (la criminalité citadine, la règlementation de la publicité érotique, la régulation du service de taxi, etc.). D’autres régions proposent aussi des amendements en faveur de l’administration locale. Ces catégories de propositions répondent probablement le mieux à l’idée originale du droit d’initiative législative donné aux Assemblées régionales : elle est censée servir à corriger les défauts des textes législatifs à partir de l’expérience quotidienne de leur application.
37À propos de cette problématique, il faut noter que, dès le début, la question de savoir si les régions sont capables de représenter l’intérêt public ou représentent plutôt des intérêts particuliers, locaux et sectoriels était soulevée29. Quelques propositions influencées par les groupes d’intérêts sectoriels tels que les chasseurs, les hôteliers ou les associations de guides touristiques sont allées dans le sens de la défense d’intérêts particuliers, mais sans succès. Par exemple, une région a proposé le changement d’un paragraphe dans la loi sur la chasse pour faciliter la chasse des jeunes sangliers30. Des dérogations pour le traitement des eaux résiduaires ont été demandées pour prendre en compte la situation des hôteliers des régions touristiques dans les montagnes Krkonoše et Orlické hory (Královehradecký kraj). Prague a, de son côté, proposé une réglementation des licences pour les guides touristiques (brevets tchèques obligatoires), mais elle n’a pas non plus réussi à la faire adopter.
38La région qui a le plus grand succès avec ses propositions est la ville de Prague. Le Conseil de Prague exerce les mêmes compétences et droits que les régions, tout en étant considérée comme une métropole. En comparaison avec d’autres régions, Prague a rencontré le succès six fois, les régions de Moravie une seule fois, et les régions tchèques quatre fois. La disproportion existe non seulement au niveau du nombre absolu de propositions déposées mais aussi dans la capacité de réussir à les faire adopter. Le gouvernement n’a donné que six fois un avis positif sur les propositions régionales. Mais Prague a réussi à faire passer quatre fois une proposition malgré un avis gouvernemental négatif.
39Il y a encore d’autres situations qui marquent de manière significative l’image de la région. C’est notamment l’organisation de la sécurité civile régionale qui constitue une ressource matérielle et symbolique pour les Présidents régionaux. Dans les situations de crise, ils organisent les premiers travaux de secours, en prenant de premières décisions et en promettant des aides financières. La répartition des compétences pour la gestion des crises implique un travail de coordination et entraîne des pouvoirs inégaux entre les régions. Par exemple, lorsqu’un fleuve dépasse les frontières administratives, les régions doivent se coordonner au moment d’une inondation mais certains présidents jouent un rôle plus important que d’autres, privent des collègues d’une grande visibilité et prennent aussi des décisions qui touchent d’autres territoires que le leur sans avoir de responsabilité financière. Un conflit interrégional est ainsi apparu à l’occasion d’une proposition de loi, en 2003, par la Královehradecký kraj et, en 2006, par la Moravoslezský kraj.
40Un autre domaine où les régions cherchent à être actives est celui du développement régional, en particulier dans le secteur de la construction des réseaux et des nœuds de transport : construction des autoroutes, privatisation des aéroports, gestion du transport public routier et du chemin de fer. La Moravoslezský kraj a ainsi poussé le gouvernement afin qu’il avance sur le dossier des aéroports. Cette région espère avoir un aéroport régional pour la Moravie du Nord et la Silésie. Un aéroport international qui sera pour elle un signe très important de son identité en tant que région moderne et industrielle.
3.2. Propositions «politiques»
41La première proposition politiquement motivée était celle de 2002 sur la répartition des impôts. Les autres étaient, pour la plupart, issues de Prague lorsqu’il s’agissait de promouvoir des intérêts urbains. Ces propositions praguoises ont toute été votées. Les autres propositions du même type, mais élaborées par d’autres régions n’ont fait qu’attirer l’attention sur les régions concernées. Tandis que la plupart des propositions finisse un jour leur procédure législative par un vote ou par un retrait de l’ordre du jour de la Chambre de députés, quelques-unes des propositions régionales sont toujours au niveau des comités parlementaires, sans espoir de réapparaître un jour dans le programme de la Chambre des députés. Parmi ces initiatives, citons, en 2005, une nouvelle proposition de trois lois sur la redistribution des impôts, puis deux propositions sur la création des «organisations à but non lucratif», une proposition pour la défense du transport public routier contre les obligations de péages et enfin, une proposition pour l’abolition des circonscriptions judiciaires correspondant toujours à la division régionale de 1960.
42En 2005, la situation a beaucoup changé au niveau régional. Les régions sont contrôlées par l’ODS et la ČSSD est sur la défensive suite aux scandales politiques et financiers éclaboussant ses premiers ministres. Dans ce contexte, la région Ústecký kraj dépose quatre propositions touchant à certains problèmes sensibles au Parlement.
43La première concerne la question du financement des urgences médicales dont le fonctionnement est mis à mal par la pénurie financière. Les régions sont forcées d’effectuer des réductions impopulaires et politiquement très sensibles. La Ústecký kraj propose ainsi que les régions ne soient plus responsables pour le fonctionnement des urgences31. Cette activité politique de la Ústecký kraj se poursuit et la même année, la Région soumet trois autres propositions.
44La Ústecký kraj augmente ainsi son activité de manière spectaculaire puisque elle n’avait auparavant proposé qu’une seule loi depuis 2001. Elle propose alors une nouvelle réforme pour la répartition des impôts dans le but d’augmenter l’autonomie financière régionale. Il s’agit des trois propositions modifiant consécutivement les lois sur le budget national, les diminutions d’impôt et finalement les règles comptables qui permettront la réalisation de ces changements. Ces trois propositions sont toujours bloquées au stade du comité budgétaire avec un avis négatif du gouvernement et sans espoir d’être votées32.
45La deuxième proposition de la Ústecký kraj sur les diminutions d’impôt ainsi que les deux autres propositions faites l’année suivant par la Zlinský kraj et la Pardubický kraj doivent être remises dans leur contexte. Ces trois propositions concernent l’instauration d’une nouvelle personne morale dite «organisation à buts non lucratif». En effet, il s’agit d’un moyen par lequel les régions veulent obtenir plus d’autonomie dans la gestion des biens à leur charge33. Autrement dit, la création de ces organisations permettra, par exemple, la transformation des hôpitaux publics en entreprises quasi-privées avec des garanties publiques, mais échappant au contrôle central. Le gouvernement social-démocrate s’est opposé à ce type de transformation dans le domaine de la santé publique. En outre, le principe de ces organisations serait applicable à tous les autres domaines couverts par les compétences régionales. Ces deux dernières propositions n’ont donc pas été votées, mais il faut dire que le sujet n’a pas été abandonné et est partiellement repris dans les réformes que le gouvernement de l’ODS prépare depuis 2006.
46La question de l’identité politique perçue au travers des propositions législatives renvoie aussi à la question du rapport des régions avec l’UE. L’identité régionale renforcée par les fonds structurels apparaît de temps en temps dans les discussions. Les politiciens régionaux sont considérés comme étant plus proches des questions européennes puisqu’ils y sont confrontés assez souvent. La taille modeste des régions tchèques et leur faiblesse financière n’empêchent en rien chaque région d’avoir son bureau de représentation à Bruxelles. Dans toutes les propositions étudiées, nous n’avons trouvé que quatre références à l’UE. Cela peut être expliqué par le fait que le financement européen est pour le moment limité et qu’il y a toujours peu d’expériences pratiques.
47Ces quatre références européennes apparues dans les propositions proviennent tout d’abord de Prague qui a demandé avec succès le transfert des compétences liés à la gestion des NUTS II sous sa propre administration. Il s’agit d’une asymétrie par rapport aux autres régions, pour lesquelles le gouvernement a préparé l’architecture de soutien concernant les programmes européens. Dans une deuxième et une troisième proposition, Prague fit référence aux «standards européens» lorsqu’elle voulut réglementer les guides touristiques à Prague et lorsqu’elle voulut changer le processus de prise de décisions concernant le patrimoine culturel34. Enfin, la Zlinský kraj a demandé des dérogations aux directives européennes concernant l’épuration des eaux. L’UE n’était pas ici dans le rôle d’un référentiel positif, mais plutôt négatif35.
3.3. L’exception praguoise
48L’identité régionale est ainsi construite dans le processus très pratique de l’action politique et finalement reflétée dans les propositions des lois. Le nombre de lois ne permet pas de réaliser une comparaison interrégionale et nous ne pouvons préciser quelle région est incline à proposer plutôt tel ou tel type de lois. Néanmoins, nous pouvons constater la place exceptionnelle de Prague et l’isolement relatif des régions moraves qui, même si elles sont les plus actives, restent loin derrière la capitale. Quelques chiffres en témoignent.
49Prague domine l’initiative législative avec ses quatorze propositions. Si on observe l’activité des autres régions, deux régions de Moravie (Moravoslezský kraj et Jihomoravsky kraj) et une tchèque (Ústecký kraj) ont proposé chacune cinq lois. Tandis que la Ústecký kraj partage la deuxième place grâce aux quatre lois proposées en 2005, les deux régions moraves proposent des lois ou plutôt des amendements assez régulièrement, à peu près toutes les années. En effet, la Moravoslezský kraj et la Jihomoravsky kraj sont les représentants les plus forts des anciens pays historiques de Moravie-Silésie. Leurs centres économico-administratifs Ostrava et Brno sont aussi les centres de la Silésie et de la Moravie respectivement. Aujourd’hui, elles sont les deuxième et troisième plus grandes villes de République tchèque. Néanmoins, si nous comptons ensemble toutes les lois proposées par les quatre régions de l’ancien Moravie, nous relevons seulement quatorze propositions, c’est-à-dire 28 % de toutes les propositions. Les régions tchèques, à l’exception de Prague, ont proposé dans la même période vingt-deux propositions. La plus active est, jusqu’en 2003, la Královehradecký kraj et, depuis 2005, les régions Stredočeský kraj et Ústecký kraj. Seule une proposition de Moravie a été votée (n° 74/0 en 2002). La seule région qui n’a jamais fait une proposition de loi est la Plzeňský kraj en Bohême de l’Ouest.
Tableau 1 : Nombre de propositions selon la Région (par an)
Conclusion
50L’étude des propositions de loi régionales est liée à la question identitaire des régions tchèques. Les trois parties de notre contribution ont montré que la construction identitaire est difficile à cause de ruptures et de différenciations successives. Tout d’abord, il y a une rupture avec les traditions historiques et puis le fait que les identités territoriales se sont développées sur les échelons très locaux. Le départ forcé des Allemands des Sudètes en 1945 a laissé de vastes territoires sans mémoire collective. Seuls deux centres identitaires émergent : Prague et la Moravie. Néanmoins, la réforme de la régionalisation du pays a été votée de manière à éviter les références identitaires. Elle s’inspire d’une tradition fondée en 1949 selon laquelle les régions ont été créées pour promouvoir le développement économique et social. Les sous-estimations du fait régional, voire le refus des régions à la fin du 20ème siècle, est dû à une mauvaise perception des Comités régionaux communistes. En outre, les crises de cohabitation avec d’autres nations ont débouché sur le fait qu’il y avait peu de volonté parmi les Tchèques de comprendre leurs relations avec les Allemands et les Slovaques, ce qui s’est traduit par le sentiment que la régionalisation représente un risque.
51Le retour aux aspects très pratiques de la vie régionale a permis de relancer une nouvelle régionalisation du pays et la construction de nouvelles identités régionales. L’analyse des propositions de loi démontre néanmoins qu’il y a beaucoup d’obstacles. Ce qui domine, ce sont les problèmes financiers et administratifs. Les régions arrivent à être identifiables dans le domaine de l’éducation, de la santé publique et de la construction des infrastructures de transport. Leur atout politique est notamment la gestion des systèmes de sécurité civile où les élus régionaux obtiennent une visibilité publique. On peut dire que leur identité est moins symbolique et plutôt exprimée par leur action publique : ce qu’elles font administrativement et politiquement.
52L’identité est ainsi concentrée sur des aspects bureaucratiques. Mais il s’agit tout de même d’une identité centrée autour de l’idée d’une administration moderne, flexible et généreuse en opposition à une administration lourde et peu transparente censée caractériser l’État central. Il y a très peu de revendications territoriales ou symboliques. Les régions sont plutôt identifiées à des programmes concrets tels que la construction et le développement d’autoroutes. Ce sont des sujets d’un grand impact médiatique en fonction desquels les régions peuvent être perçues positivement ou négativement.
53L’analyse a aussi démontré la position exceptionnelle de Prague. Étant une ville plutôt qu’une région, elle réussit mieux et ses intérêts communaux sont plus visibles que ses besoins associés aux compétences régionales. Les villes et notamment les grandes villes «statutaires»36 sont très importantes pour l’attachement identitaire. Le localisme très fort en République tchèque sera encore longtemps un obstacle important au fait que les régions puissent trouver leur place d’un point de vue identitaire. L’identité régionale est liée étroitement au politique. Le fait que, pendant presque huit ans, les régions exprimaient une opposition au gouvernement a renforcé leur visibilité. L’étude des propositions de loi permet de mieux cerner la problématique de la représentation sociale des régions dans l’opinion publique mais aussi de mieux comprendre leur action politique.
Bibliographie
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Documents officiels
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77Discours de J. Houzak devant le Parlement, 2006, http://www.psp.cz/eknih/1996ps/stenprot/012schuz/s012075.htm (2 avril 2008).
78Discussions et rapports sur les textes législatifs concernant les Régions, 3ème, 4ème et 5ème périodes législatives du Parlement tchèque, http://www.psp.cz (2 avril 2008)
79Rapport Grulich, Rapport du ministère de l’Intérieur sur la réforme administrative de l’État, 1999, http://www.psp.cz/sqw/text/tiskt.sqw?O=3&CT=196&CT1=0 (2 avril 2008).
Notes
To cite this article
About: Ondrej Novotny
Doctorant au CEVIPOL, Université Libre de Bruxelles