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- Volume 9 : 2009
- Numéro 1 - Le fédéralisme américain
- Introduction. Unité et diversité du fédéralisme américain
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Introduction. Unité et diversité du fédéralisme américain
1Les États-Unis sont généralement présentés comme un État national, uniforme et intégré auquel il serait judicieux de comparer la France, les Pays-Bas et bien d’autres pays en Europe et ailleurs. Ils sont souvent évoqués comme une nation plurielle et bigarrée qui ferait néanmoins preuve d’homogénéité et de cohérence dans des domaines aussi variés que l’économie, l’institutionnel, l’enseignement, la culture et la vie sociale. Cette façon de voir ce pays est stimulée par la médiatisation de la vie politique qui touche en fait tous les pays aujourd’hui. Elle est également soutenue par la personnalisation du pouvoir propre au système politique américain lorsqu’il est vu seulement de l’extérieur, et qu’il concerne le plus souvent l’État fédéral. En effet, au-delà des sénateurs et des députés qui siègent au Capitole, et bien au-delà des gouverneurs, des sénateurs et des députés qui administrent chaque État fédéré, c’est essentiellement la figure du Président et des membres les plus illustres ou les plus contestés de son cabinet qui apparaît à la télévision en Europe. Et ce sont principalement les rapports de force, les enjeux et les intrigues à la Maison blanche et au Congrès à Washington qui alimentent notre représentation quotidienne de la vie américaine, et partant l’image familière et ordinaire des États-Unis.
2Ce qui précède offre une vision biaisée des États-Unis mais aussi et surtout une sélection fausse et caricaturale de ce qui peut être comparé entre ce pays et ce qui se passe dans plusieurs États européens. En effet, l’enfermement de la vie politique, sociale et économique américaine dans une entité unique et homogène incarnée par la présidence laisse de côté nombre de particularités propres aux États fédérés. Des particularités qui révèlent ici et là des différences entre les uns et les autres souvent bien plus significatives et avérées que ce qu’il est possible de retenir et de comparer lorsqu’on examine par exemple l’Italie et la Belgique, ou encore la France et l’Espagne. En fait, à bien y regarder, le poids de l’État fédéral américain dans les médias et le peu d’analyse consacrée à la vie politique des États fédérés contribuent à forger l’illusion d’une nation culturellement diversifiée mais politiquement et institutionnellement homogène et intégrée. La réalité est très différente et dans de multiples domaines, les contrastes entre États fédérés aux États-Unis ont davantage de poids et de conséquences sur les aspects de la vie quotidienne que ce que l’on peut imaginer lorsqu’on étudie des États européens.
3Plusieurs exemples illustrent le propos et c’est naturellement sur le plan éthique qu’il convient d’abord de décrire ce qui précède – les valeurs, les idées et les normes partagées sont la base de toutes sociétés. La peine de mort est une pratique qui touche aux valeurs communes propres à un peuple et une nation, aux valeurs officielles proclamées par le pouvoir. Il est surprenant de constater que sur un thème aussi important, contrairement à l’Union européenne, des États où elle est toujours en vigueur sont voisins, aux États-Unis, d’États qui l’ont abolie ou qui pour des raisons juridiques et techniques ne peuvent plus l’appliquer sans l’avoir officiellement abolie. L’exemple est connu mais il est fondamental car il illustre très bien comment, dans des domaines aussi importants, des divergences subsistent entre les populations et les élus d’un État à l’autre. Le droit à l’avortement est tout aussi fondamental. Il fait l’objet de multiples restrictions aux États-Unis et à bien des égards, la diversité des textes de lois sur le sujet ne diffèrent en rien de celle qui anime les pays membres de l’Union européenne. La peine de mort et l’avortement touchent au caractère sacré de la vie et on serait presque surpris de voir que sur des questions aussi fondamentales, les États des États-Unis diffèrent les uns des autres de façon parfois plus marquée que les États européens entre eux. Dans le premier cas, l’Union européenne fait preuve d’une unité étonnante sur des questions éthiques fondamentales, dans l’autre, ses pays membres ne sont pas plus ordonnés que leurs homologues étatsuniens.
4L’homogénéité de surface véhiculée par les médias européens sur les États-unis s’affiche également lorsqu’il s’agit de comparer les couvertures sociales en Europe et aux États-Unis, une pratique courante à la télévision qui augmente en intensité lorsque nos propres systèmes sont en crise ou endettés ou lorsqu’un Président envisage une réforme outre-atlantique comme Bill Clinton lors de son premier mandat ou plus récemment Barak Obama en 2009. La comparaison conduit souvent les observateurs médiatiques à conclure que le système américain est «le plus mauvais du monde» et que les Européens devraient se garder de vouloir l’imiter. Une analyse pays par pays au sein de l’Union européenne et État par État aux États-Unis montre qu’à bien des égards il n’est tout simplement pas possible de comparer les pays européens avec les États-Unis (pris en tant que bloc homogène) car cet aspect varie très fort d’un État à l’autre chez ce dernier. Certains États – comme le Maryland – organisent eux-mêmes des couvertures sociales proches de ce qui peut exister en France ou en Belgique alors que certains pays européens comme l’Espagne ou le Portugal possèdent des systèmes de santé dont les conséquences rappellent des situations souvent dénoncées aux États-Unis (médecine à deux vitesses, hausse des coûts médicaux, etc).
5Chaque État aux États-Unis possède sa propre constitution et chaque citoyen américain est doublement citoyen, une première fois au niveau de son État fédéré, une seconde fois au niveau de l’État fédéral. La loi électorale n’est pas homogène et des systèmes électoraux différents et parfois très complexes caractérisent les différents États. Dans des domaines aussi variés que la politique de la santé, les comportements électoraux, les valeurs fondatrices, la religion, la politique de lutte contre la dégradation de l’environnement, la citoyenneté et la perception de l’État fédéral par la population et les électeurs, le fédéralisme américain affiche une unité institutionnelle portée sur un conglomérat d’États typiques, originaux et spécifiques. Les textes réunis ici témoignent chacun à leur manière de cette diversité.
Para citar este artículo
Acerca de: Jérôme Jamin
Licencié en philosophie et docteur en science politique, chercheur au CEDEM, Université de Liège