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- Volume 9 : 2009
- Numéro 1 - Le fédéralisme américain
- Concevoir le fédéralisme en Amérique latine
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Concevoir le fédéralisme en Amérique latine
Table des matières
1En dépit de fortes controverses politiques et d’une pratique parfois contradictoire, l’Amérique latine a la plus longue expérience historique du fédéralisme moderne après les États-Unis1. En 1811, le Venezuela est devenu le deuxième pays moderne à adopter le fédéralisme. Le Mexique a suivi – de façon hésitante – en 1824, puis l’Argentine en 1853 et le Brésil en 1890. En dépit d’autres transformations profondes dans leurs systèmes politiques, ces quatre pays ont officiellement été des fédérations de façon continue depuis la fin du 19e siècle2.
2Dans cet article, j’essaie de déterminer si et comment cette longue expérience a donné naissance à une conception strictement latino-américaine du fédéralisme. Je cherche aussi à dépeindre la manière dont les relations toujours compliquées entre la théorie et la pratique du fédéralisme se développent en Amérique latine en vue de contribuer à notre compréhension plus large de ce phénomène.
3Alors que je me concentre sur les éléments contemporains du fédéralisme latino-américain, il est important de garder à l’esprit que la compréhension régionale du fédéralisme est profondément influencée par son expérience historique. Par ailleurs, l’existence de quatre fédérations en Amérique latine exige l’adoption d’une perspective comparative, tout en cherchant à présenter une vue d’ensemble.
4Puisqu’il est impossible de couvrir tous les aspects du fédéralisme latino-américain dans les limites de cet article, je préfère me concentrer sur trois dimensions, inspirées de l’analyse positive du droit : la dimension doctrinaire du fédéralisme latino-américain, la dimension constitutionnelle (le niveau de la norme) et la dimension politique (la traduction concrète des doctrines et des normes)3.
5Dans la première section, j’étudie les principes fondamentaux du fédéralisme tel qu’il est conçu en Amérique latine. J’analyse aussi la relation entre ces principes et le modèle fédéral le plus important de la région : les États-Unis.
6Dans la deuxième section, j’examine la façon dont les systèmes fédéraux ont en fait été construits en Amérique latine. Ce faisant, j’essaie de déterminer la mesure dans laquelle les États subnationaux latino-américains peuvent s’engager dans des initiatives politiques et des réformes institutionnelles de façon autonome (un des principaux avantages du fédéralisme, selon les Federalist Papers4). Je fais le point sur la structure institutionnelle des États subnationaux, sur le statut juridique de leurs initiatives et les ressources matérielles dont elles disposent. Je conclus cette section en analysant les conditions et la portée et d’une possible intervention fédérale.
7La troisième dimension est politique et concerne la relation entre le fédéralisme et le régime politique au sens plus large. Alors que de nombreux auteurs affirment que le fédéralisme est indissolublement lié à la démocratie5, les quatre fédérations latino-américaines ont connu de longues périodes d’autoritarisme, tout en maintenant nominalement une structure fédérale. Il est donc évident que le fédéralisme en Amérique latine va au-delà de la simple attribution de juridictions et joue un rôle important dans le fonctionnement des systèmes politiques concernés, même sans un rapport direct ou nécessaire avec le type de régime.
1. La doctrine du fédéralisme en Amérique latine
8Y a-t-il une doctrine latino-américaine du fédéralisme ? Comment a-t-elle évolué ? Quel est son contenu ? Dans cette section, je cherche à déterminer si un corpus cohérent a vu le jour à cet égard, indépendamment de la question de savoir s’il est effectivement appliqué dont je discute dans la section suivante. L’étude des constitutions fédérales latino-américaines, de leur contenu et de leur doctrine est inéluctable parce que le fédéralisme, après tout, est basé sur un pacte constitutif explicite.
9Compte tenu de la proximité géographique et historique, il n’est pas surprenant que les théories étasuniennes du fédéralisme, surtout telles qu’elles sont exposées dans les Federalist Papers, aient profondément influencé la conception du fédéralisme en Amérique latine. Cette influence s’étend au-delà de la dimension doctrinaire et se retrouve aussi dans la rédaction des textes constitutionnels eux-mêmes6.
10Autant aux États-Unis qu’en Amérique latine (et ailleurs), le fédéralisme est apparu non seulement comme un mécanisme pour diviser – et partager – le pouvoir sur des lignes territoriales, mais aussi – et surtout – comme une technique de consolidation de l’État. Dans l’ensemble de l’hémisphère occidental, le fédéralisme a été considéré comme un moyen de combler le vide généré par l’indépendance et l’effondrement de l’ancien système politique7. Dans ce contexte, les anciennes colonies anglaises des États-Unis trouvent leur équivalent dans les intendencias hispano-américaines et les províncias au Brésil, établies à la fin de la période coloniale et comportant un embryon de gouvernement régional8.
11En Amérique latine, le fédéralisme a également été perçu comme un moyen de protéger l’intégrité territoriale du pays. La perte de l’Uruguay et du Paraguay, qui devinrent des pays indépendants, et de la Californie et du Texas, qui furent annexées aux États-Unis, sont directement liées à l’adoption du fédéralisme en Argentine et au Mexique, respectivement9. Au Brésil, la sécession (principalement du Rio Grande do Sul) a été une menace plus diffuse, mais également présente10. Le Venezuela, par contre, se sépara lui-même de la Grande-Colombie11.
12Dans un premier temps, les quatre fédérations latino-américaines ont suivi de très près le modèle étasunien de fédéralisme dual. Ce modèle suppose que les États subnationaux sont symétriques de jure (c’est à dire, ont juridiquement le même poids politique que leurs contreparties), préexistent à la fédération, ont un degré important d’autonomie institutionnelle et politique et sont les bénéficiaires des compétences résiduelles. Les fédérations latino-américaines ont également suivi le modèle bicaméral étasunien qui fait du Sénat le lieu de la représentation territoriale sur une base d’égalité12. En outre, la doctrine fédérale étasunienne est constamment utilisée comme guide d’interprétation, à la fois dans le système judiciaire et dans la recherche universitaire13.
13Néanmoins, les principes étasuniens du fédéralisme et ses institutions n’ont pas été adoptés aveuglement ni sans débat. Par la suite, l’évolution politique de chaque fédération au cours des 19e et 20e siècles les a écartés davantage du modèle étasunien original14.
14La différence la plus notable avec les États-Unis, et une caractéristique commune aux quatre fédérations latino-américaines, est le statut des municipalités. Tandis que les municipalités sont absentes du texte constitutionnel étasunien et sont censés être les créatures des gouvernements subnationaux, les fédérations latino-américaines suivent le modèle ibérique, hérité de la période coloniale, et accordent aux municipalités une reconnaissance constitutionnelle explicite et leur attribuent des compétences et des ressources fiscales, de façon à les transformer effectivement en un troisième niveau de gouvernement. L’Argentine, qui n’avait pas à l’origine octroyé de reconnaissance constitutionnelle à ses municipalités, le fit à la fin des années 1980, bien qu’au niveau subnational et non fédéral15.
15Une autre différence importante a trait aux procédures d’amendement constitutionnel. Le Mexique suivit le modèle étasunien en exigeant la ratification des amendements approuvés par le Congrès fédéral par les deux-tiers des États subnationaux, mais abandonna la possibilité de convoquer une convention constitutionnelle si une réforme globale était envisagée dans les années 1960 (art. 135 de la Constitution mexicaine). En Argentine, en revanche, seule une convention constitutionnelle spécialement convoquée peut modifier la Constitution (art. 30 de la Constitution argentine). Alors que les États-Unis n’ont jamais recouru à ce mécanisme, il a été utilisé plusieurs fois en Argentine, le plus récemment en 199416.
16Au Brésil, la réforme de la Constitution fédérale est entièrement entre les mains des organes fédéraux, mais doit être adoptée par deux votes séparés (art. 60 de la Constitution brésilienne), alors qu’au Venezuela toute réforme constitutionnelle (qu’elle soit adoptée par l’Assemblée nationale ou par une Convention constitutionnelle) doit être ratifiée par référendum (titre 9 de la Constitution vénézuélienne). Bien que ces constitutions ne prévoient pas formellement de participation subnationale dans le processus d’amendement, certains auteurs font valoir que leurs procédures strictes protègent néanmoins le fédéralisme17.
17Initialement, toutes les fédérations latino-américaines conçurent le Sénat comme le lieu de représentation territoriale dans l’assemblée législative fédérale, où chaque État subnational bénéficiait d’une représentation égale aux autres, les deux principes découlant directement du modèle étasunien. Toutefois, en 1996, une réforme constitutionnelle élargit le Sénat mexicain de façon à inclure des membres élus par représentation proportionnelle sur une liste nationale. La réforme, qui cherchait à réduire la sous-représentation de l’opposition au Sénat, laissa de côté toute discussion sur le fédéralisme18.
18Dans une décision plus radicale, la Constitution vénézuélienne de 1999 supprima carrément le Sénat, arguant une duplication injustifiable des principes de représentation, car, en fin de compte, les deux assemblées représentent le même peuple19. Au lieu de cela, elle prévoit un Conseil fédéral de gouvernement, intégré par des représentants des trois niveaux de gouvernement – fédéral, étatique et municipal – pour assurer la coordination intergouvernementale (art. 185). Bien que ce Conseil donne plus de poids aux États subnationaux que les instances intergouvernementales précédentes, il n’a aucun pouvoir législatif20.
19Des quatre fédérations latino-américaines, le Venezuela est celle qui s’écarte le plus du modèle étasunien et cela même avant l’abolition du Sénat en 1999. Déjà en 1961 le Venezuela est devenu la seule fédération latino-américaine à avoir officiellement abandonné le fédéralisme dual et opté pour le modèle collaboratif, qui concentre dans la fédération les pouvoirs législatifs généraux, mais habilite les États subnationaux à exercer le pouvoir exécutif conformément à leurs conditions particulières (un arrangement similaire à celui observé en Autriche et en Allemagne sur la base du principe de subsidiarité21). La rupture est devenue explicite avec l’adoption de la Constitution de 1999 qui mit l’accent sur la nature collaborative du fédéralisme vénézuélien, établit un forum intergouvernemental à trois niveaux (Conseil fédéral de gouvernement) et supprima le Sénat et toutes les formes de représentation subnationale dans l’Assemblée fédérale22.
20De toute façon, les différences les plus importantes entre le fédéralisme latino-américain et son modèle étasunien se situent toutefois dans le domaine de l’interprétation, plutôt que dans le texte constitutionnel lui-même. Par ailleurs, on note en Amérique latine un glissement conceptuel important (autant au niveau judiciaire qu’académique) entre la doctrine fédérale et l’aménagement constitutionnel qui en découle23.
21Les impératifs de la construction d’identités nationales viables – un problème crucial au 19e siècle en Amérique latine – et des stratégies étatistes de développement économique – une caractéristique de la région au cours du 20e siècle – marquèrent l’interprétation latino-américaine du fédéralisme, autant dans le domaine politique qu’académique, et donnèrent aux gouvernements fédéraux un rôle prépondérant que le gouvernement fédéral étasunien n’acquit jamais, même au cours des vagues centralisatrices du 20e siècle24.
22Bien que la centralisation apparaisse comme une évolution naturelle pour le Mexique révolutionnaire, où elle contribua également de façon importante à la pacification25, elle joua aussi un rôle important dans la construction de l’État dans les régimes populistes et militaires en Argentine et au Brésil26. Au Venezuela, la centralisation fut perçue comme un rempart efficace contre l’autoritarisme et les caciques subnationaux27.
23En dépit de cette tendance à la centralisation, qui se refléta de plus en plus dans des longues listes de pouvoirs fédéraux exclusifs et concurrents, le caractère fédéral de chacune des fédérations latino-américaines n’a jamais été remis en question depuis la fin du 19e siècle. En outre, les États subnationaux restèrent toujours responsables de la gouvernance locale28. Je reviendrai sur ce point dans la troisième section de ce chapitre.
24Les transitions démocratiques récentes ont entraîné une réflexion intense en Amérique latine sur la nature du fédéralisme et sur son rapport au système politique dans son ensemble. Cependant, les résultats de cette réflexion ont été différents. Tandis qu’au Mexique, les changements les plus importants sont liés à la pratique politique et à l’interprétation constitutionnelle sans réforme formelle29, au Brésil, la réaction à la centralisation du régime militaire conduit l’Assemblée constituante de 1988 à déclarer solennellement que le caractère fédéral du pays ne pouvait pas faire l’objet d’un amendement constitutionnel30. Au Venezuela, même si la structure fédérale du pays a été l’objet de profondes réformes, autant dans les années 1960 qu’à la fin des années 1990, aucune nouvelle doctrine fédérale ne semble avoir émergé31.
25En conclusion, l’interprétation latino-américaine du fédéralisme est directement liée au modèle originel étasunien, même si elle ne le suit pas strictement et que son évolution a été nettement différente. En presque deux siècles d’expérience fédérale, la doctrine fédérale des États-Unis ne fut pas remplacée par un nouveau corpus latino-américain ; les changements ont plutôt été progressifs et pragmatiques à la fois. Le débat en cours sur la nature du fédéralisme dans les quatre fédérations latino-américaines continue à refléter cette tradition paradoxale.
2. Les constitutions fédérales latino-américaines
26Dans cette section, je cherche à comprendre comment les principes du fédéralisme, décrits ci-dessus, sont traduits dans la réalité politique latino-américaine. La question de savoir si les États subnationaux peuvent se livrer à des réformes institutionnelles autonomes ou entreprendre des initiatives politiques importantes guide mon analyse dans cette section.
2.1 La structure institutionnelle des États subnationaux
27Aux États-Unis, puisque les États subnationaux sont censés précéder à la fédération, la Constitution ne prévoit pas de directives explicites en ce qui concerne le cadre institutionnel de ses États fédérés au-delà de garantir une «forme républicaine du gouvernement» (art. 4:4). Bien que cette hypothèse ait aussi été adoptée dans les fédérations latino-américaines, leurs dispositions constitutionnelles fournissent des directives détaillées sur la forme et le contenu des institutions subnationales.
28Au Mexique et en Argentine, les États subnationaux sont formellement souverains dans leurs affaires intérieures au-delà de l’obligation de garder une forme républicaine de gouvernement (art. 122 de la Constitution argentine, art. 40 de la Constitution mexicaine). Cela leur a permis d’entreprendre certaines innovations institutionnelles importantes – telle la décision de certaines provinces argentines de donner un statut constitutionnel à leurs municipalités – surtout après les transitions des années 1980 et 199032.
29En revanche, l’évolution de la transition démocratique au Mexique a conduit la fédération à imposer un certain nombre de contraintes aux États subnationaux, notamment en ce qui concerne la composition de leur assemblée législative – l’inclusion obligatoire de membres élus par représentation proportionnelle – et la nature de leur système judiciaire – l’obligation d’avoir un tribunal électoral spécial33. Dans la mise en œuvre de ces mandats, les États mexicains ont toutefois fait preuve d’une versatilité importante34.
30En contraste, au Brésil et au Venezuela, les Constitutions fédérales imposent un degré important d’homogénéité institutionnelle sur leurs États subnationaux. Dans les deux pays, la durée des mandats exécutifs et législatifs, le caractère monocaméral des législatures subnationales, ainsi que le nombre de leurs membres et les procédures électorales à utiliser sont tous déterminés par la Constitution fédérale35.
31Au Brésil, par ailleurs, les tentatives faites par certains des plus grands États pour adopter des modèles institutionnels différents furent invalidées par la Cour suprême, freinant davantage les initiatives subnationales36. En revanche, la Constitution vénézuélienne de 1999 représente une amélioration en termes d’autonomie subnationale puisqu’elle annule la disposition de 1961 qui donnait au président de la République le pouvoir de nommer et destituer les gouverneurs et les maires et consacre leur élection directe37.
32En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, l’Argentine, le Brésil et le Mexique suivent le modèle étasunien en accordant à chaque État subnational son propre système judiciaire, qui statue sur les questions découlant de la législation subnationale. Dans tous les cas, cependant, le pouvoir judiciaire fédéral jouit d’un pouvoir de révision important et peut, à l’occasion, renverser certaines décisions subnationales. Le Venezuela, par contre, ne dispose pas de système judiciaire subnational, en accord avec son modèle collaboratif de fédéralisme, où la législation – et, par conséquent, l’adjudication judiciaire – est largement une compétence fédérale38.
2.2 Le statut juridique des initiatives subnationales
33Dans cet environnement institutionnel plutôt limité, il est encore théoriquement possible pour les États subnationaux d’entreprendre certaines initiatives politiques autonomes. Ceci est un des principaux avantages du fédéralisme, d’après les Federalist Papers, dans la mesure où cela permet de réaliser des expériences politiques, tout en limitant territorialement leurs conséquences. Si l’expérience est réussie, elle peut facilement être reprise ailleurs.
34En Amérique latine, toutefois, cela n’a pas souvent été le cas. Bien que les constitutions fédérales latino-américaines (à l’exception du Venezuela) accordent les compétences résiduelles aux États subnationaux, leur nature casuistique et extrêmement détaillée – une caractéristique commune aux constitutions latino-américaines – a donné lieu à des listes longues et détaillées de compétences fédérales exclusives et concurrentes, notamment dans les domaines concernant le développement économique ou les secteurs définis comme stratégiques, ce qui limite sensiblement l’autonomie subnationale39.
35Au Venezuela, le modèle collaboratif de fédéralisme fait naturellement des gouvernements étatiques les agents de la fédération au niveau subnational (art. 165). Même si cela contredit le caractère dual de ces fédérations, ceci est également le cas de l’Argentine (art. 128) et du Brésil, où il a été imposé par la jurisprudence de la Cour suprême. Cet état de choses limite davantage l’autonomie subnationale en détournant leur temps et ressources pour l’exécution des mandats fédéraux40.
36Dans les quatre fédérations latino-américaines, la législation fédérale bénéficie de la primauté juridique dans les domaines de compétence partagée ou concurrente. Dans un développement commun à beaucoup d’autres fédérations, l’interprétation judiciaire, conjuguée au principe des pouvoirs implicites, a servi à étendre énormément les compétences fédérales, parfois même au détriment des compétences subnationales explicites41.
37Un autre développement commun à toutes les fédérations latino-américaines, qui tend à modifier la nature même du fédéralisme dans la région, est l’essor de la déconcentration. Initialement plutôt limitée dans les différentes constitutions, la déconcentration – appelée décentralisation en Amérique latine – permet aux administrations centrales de déléguer la prestation des services publics à d’autres niveaux de gouvernement, tout en conservant la responsabilité d’établir et d’appliquer des normes communes. Le principe de subsidiarité est souvent invoqué dans ce contexte42.
38Bien que le modèle vénézuélien de fédéralisme collaboratif fasse de la déconcentration l’état normal des choses, les autres fédérations latino-américaines ont aussi avancé récemment dans cette direction. Alors que l’Argentine et le Brésil font des gouvernements subnationaux les exécuteurs formels de la législation fédérale, au Mexique, les amendements à la Constitution fédérale du début des années 1980 exigèrent que la fédération et les États subnationaux coordonnent leurs politiques dans un certain nombre de domaines, y compris les transferts fiscaux et la planification économique (théoriquement sur un pied d’égalité)43.
39Dans tous les cas, cette coordination intergouvernementale augmente les responsabilités subnationales, mais limite leur initiative politique, surtout si la fédération impose des normes communes, comme c’est souvent le cas. D’autres problèmes importants se posent si cette coordination suscite des mandats non financés44.
2.3 Les ressources matérielles des États subnationaux
40Pour tous les États subnationaux, la capacité d’entreprendre des initiatives politiques autonomes dépend de leur accès à des ressources économiques inconditionnelles suffisantes. Toutefois, dans les quatre fédérations latino-américaines, cet accès reste limité, même si le fédéralisme fiscal est devenu récemment un enjeu politique majeur et d’importantes réformes ont eu lieu dans les quatre fédérations latino-américaines.
41Sous la Constitution de 1961, les États vénézuéliens étaient complètement dépendants d’un système de transferts fiscaux conditionnels prescrit par la Constitution. Après des débats houleux, la Constitution de 1999 n’étendit les compétences subnationales ni leur capacité fiscale, en accord avec le modèle collaboratif de fédéralisme. Néanmoins, elle attribua 30 % des recettes de la nouvelle taxe sur la valeur ajoutée aux États et aux municipalités, ainsi qu’une part beaucoup plus importante (aussi 30 %) des redevances du pétrole. Cependant, la surveillance du Conseil fédéral du gouvernement et des autres organes constitutionnels limite les dépenses subnationales discrétionnaires (art. 167)45.
42Au Brésil, la Constitution de 1988, conçue comme un rempart contre le renouvellement des vielles pratiques autoritaires, établit un vaste dispositif de déconcentration fiscale qui fit des États et des municipalités les bénéficiaires, mais non pas les percepteurs de la plus grande partie des taxe du pays, y compris la taxe sur la valeur ajoutée (titre 6). Un système de péréquation fut également établi. Toutefois, la fédération demeura responsable pour les éléments les plus importants de la politique sociale, ce qui produisit des profonds déséquilibres budgétaires – un élément majeur de la grave crise économique que secoua le Brésil dans les années 199046.
43Il est vite devenu évident que, compte tenu de la situation économique, le régime fiscal constitutionnel n’était pas viable. Au milieu de la crise, le gouvernement fédéral réussit à centraliser certaines recettes fiscales contre l’endossement de la plus grande partie des dettes publiques subnationales. L’accord, cependant, est temporaire et doit être renégocié périodiquement47. Une solution définitive est encore en suspens.
44Malgré leur droit constitutionnel de percevoir leurs propres impôts, les États subnationaux du Mexique sont devenus de plus en plus dépendants au cours du 20e siècle des transferts fédéraux pour financer leurs dépenses. Après l’imposition de la coordination fiscale en 1980, la dépendance subnationale vis-à-vis des transferts fédéraux augmenta à 82 % de leurs recettes. Bien que ces transferts fussent destinés à compenser la perte de sources de revenus autonomes des États subnationaux, une partie importante d’entre eux étaient conditionnels, imposant ainsi les priorités et les normes fédérales aux gouvernements subnationaux48.
45La transformation récente de l’équilibre du pouvoir, conséquence de la transition démocratique, permit aux États subnationaux de négocier des nouveaux transferts fédéraux inconditionnels, y compris pour la première fois des redevances sur le pétrole. Néanmoins, la capacité fiscale des États subnationaux reste très limitée et soumise aux aléas politiques49.
46En Argentine, la Constitution attribue la plupart des sources fiscales aux provinces. Néanmoins, leur capacité bureaucratique limitée et une intense pression fédérale depuis les années 1930 menèrent à l’adoption de nombreux accords de coparticipation qui transférèrent la perception fiscale des provinces à la fédération en échange d’une proportion importante des recettes. En outre, la Cour suprême limita les pouvoirs fiscaux subnationaux en invoquant la clause de commerce50. En tout cas, l’instabilité chronique, politique autant qu’économique, mena à l’émergence d’un système fiscal relativement inefficace et à faible rendement51.
47À l’exception de l’Argentine, tous les nouveaux arrangements fiscaux des fédérations latino-américaines comprennent une dimension municipale importante, ce qui renforce les trois niveaux du fédéralisme latino-américain. Suite à ces réformes, les municipalités ont à la fois bénéficié de sources autonomes de revenus et d’une augmentation de leur part des transferts fédéraux et subnationaux. Bien que l’autonomie financière des municipalités soit loin d’être assurée, leur droit au partage des recettes fiscales semble fermement établi.
48Si les quatre fédérations latino-américaines présentent des cas très significatifs d’asymétrie de facto, elles restent symétriques de jure, au moins au niveau constitutionnel52. Néanmoins, l’essor de la déconcentration et de la coordination intergouvernementale, mis en œuvre au nom de la subsidiarité par le biais d’accords intergouvernementaux casuistiques, ont conduit à l’apparition d’une asymétrie juridique importante dans les quatre fédérations. Néanmoins, à l’exception du Venezuela, la nature du fédéralisme – dual ou collaboratif, symétrique ou asymétrique – n’a pas été explicitement débattue53.
2.4 L’intervention fédérale
49Quel que soit leur niveau de développement, l’autonomie institutionnelle et les initiatives politiques subnationales peuvent être écrasées en bout de compte par l’intervention fédérale directe si la paix, l’ordre ou la forme républicaine de gouvernement sont menacés. Cette possibilité, absente dans la Constitution des États-Unis (bien que l’art. 4:4 soit souvent cité dans ce contexte), est explicitement présente dans les quatre fédérations latino-américaines et a été abondamment utilisée tout au long du 20e siècle, le plus souvent pour des motifs strictement partisans, plutôt que pour des raisons constitutionnellement justifiées54.
50Néanmoins, l’intervention fédérale a été l’objet de critiques constantes, puisqu’il s’agit très évidemment d’une subversion du fédéralisme. Dans le cadre de leurs transitions démocratiques, l’Argentine et le Brésil ont adopté des amendements constitutionnels (en 1994 et 1988 respectivement), pour limiter l’intervention fédérale injustifiée55. En outre, dans le cas du Brésil, la discussion et l’approbation de toutes les initiatives de réforme constitutionnelle est suspendue pour la durée de l’intervention (art. 60:1).
51Au Venezuela, la Constitution de 1999 attribue la supervision des procédures fédérales d’intervention non seulement à l’Assemblée nationale mais aussi, et simultanément, à la Cour suprême (titre 8, chapitre 2). Au Mexique, la clause constitutionnelle pertinente (art. 76:5) est restée inchangée, mais, après une intervention particulièrement controversée en 1975, le Congrès fédéral adopta une loi signalant les critères spécifiques nécessaires pour déclarer l’intervention fédérale56. Depuis l’adoption de cette loi, aucune intervention fédérale n’a eu lieu, même lors des crises politiques importantes, comme celle de l’Oaxaca en 200657.
52L’analyse des dimensions constitutionnelles du fédéralisme latino-américain ne fournit pas un tableau homogène. Malgré les larges pouvoirs figurant dans les textes constitutionnels originels, les États subnationaux des quatre pays ont perdu une portion substantielle de leur autonomie après avoir été désignés – explicitement ou implicitement – comme les agents régionaux des gouvernements fédéraux. Cependant, des restrictions importantes sur le pouvoir fédéral d’intervention protègent désormais ce qui reste de l’autonomie subnationale, surtout contre des motivations purement partisanes.
53Les perspectives pour l’avenir sont tout aussi équivoques, D’un côté, le nouveau fédéralisme fiscal a tendance à renforcer les États subnationaux et les municipalités, soit en leur accordant des sources autonomes de revenus, soit par l’expansion de leur participation dans le partage des recettes fiscales. De l’autre, l’augmentation ad hoc des programmes de déconcentration représente une nouvelle charge sur les agendas et les budgets subnationaux. En conclusion, l’autonomie institutionnelle et l’initiative politique des États subnationaux latino-américains restent limitées et ambiguës.
3. La dimension politique du fédéralisme latino-américain
54Si le fédéralisme est défini par un partage clair et ordonné de compétences et par sa relation intrinsèque avec la démocratie58, il ressort de l’analyse précédente que les fédérations latino-américaines ne remplissent pas entièrement ces exigences. Néanmoins, le fédéralisme est un élément proéminent du débat politique dans ces pays. Ainsi, plutôt que de classifier les fédérations latino-américaines comme des «fausses fédérations», nous devons expliquer la persistance du modèle fédéral en Amérique, quelle que soit sa pratique historique.
55Dans cette section, j’essaie de montrer que, au-delà de ses fonctions institutionnelles, le fédéralisme joue un rôle politique crucial dans les quatre fédérations latino-américaines : la présence des deux (ou trois) niveaux de gouvernement fournit des garanties de gouvernance et permet un partage du pouvoir essentiel au fonctionnement du système politique. Ce sont ces caractéristiques, plutôt que des doctrines abstraites ou des normes constitutionnelles, qui expliquent la persistance du fédéralisme dans la région.
56Le fédéralisme a été conçu, en Amérique latine comme ailleurs, comme un instrument de construction de l’État59. En Amérique latine, la faiblesse de l’État hérité de la période coloniale (renforcée en Argentine, au Mexique et au Venezuela par de longues guerres d’indépendance) signifie que, pour conserver l’unité de ces grands espaces territoriaux, les acteurs régionaux devaient être explicitement inclus dans le nouveau système politique. Dans ce contexte, les institutions fédérales étaient un moyen d’accorder une reconnaissance formelle aux structures politiques préexistantes qui devaient tout de même être impérativement accommodées60.
57La construction de l’État et de sa capacité de pénétration sociale furent les deux tâches principales auxquelles l’Amérique latine se trouva confrontée tout au long du 19e siècle. Elles purent être accomplies, entre autres, grâce à l’intégration des intermédiaires régionaux dans le cadre politique national. En échange de leurs services d’intermédiation entre le système politique national et les sociétés locales – dont certaines n’étaient pas intégrées du point de vue culturel et linguistique –, ces dirigeants régionaux, connus sous le nom de caudillos en Argentine, coronéis au Brésil et caciques au Mexique et au Venezuela, reçurent une reconnaissance formelle de leur pouvoir et une autonomie substantielle dans de nombreux domaines61.
58Cette tendance s’est maintenue pendant la plus grande partie du 20e siècle. Comme je l’ai déjà montré, la croissance de l’État fédéral demandée par le modèle étatique de développement se fit au détriment des compétences subnationales. Néanmoins, la nécessité d’intermédiation ne disparut pas, la capacité étatique de pénétration sociale restant incomplète. En outre, certains caciques furent capables de renouveler leur contrôle patrimonial sur leurs régions à l’aide de structures politiques et sociales modernes62.
59Même au Mexique, où, pendant presque tout le 20e siècle, le choix des gouverneurs d’État était effectivement dans les mains du Président par le biais de son parti hégémonique (le PRI), les élites régionales eurent généralement leur un mot à dire dans le processus, même si leurs préférences ne furent pas toujours satisfaites. En outre, les conditions locales furent toujours prises en considération, puisque la fédération cherchait à éviter ou à désamorcer les problèmes de gouvernance dans les États subnationaux63.
60En protégeant ainsi la diversité sociale, le fédéralisme latino-américain a aussi préservé certaines structures traditionnelles de domination qui rentrent en conflit avec la prétendue nature démocratique du fédéralisme. En outre, au cours du 20e siècle, l’Amérique latine vit l’émergence de versions autoritaires du fédéralisme, où les élites subnationales, avec leurs vastes réseaux sociaux et leur contrôle sur la gouvernance locale, devinrent des éléments incontournables des coalitions autoritaires64.
61La relation entre le fédéralisme et la transition démocratique des années 1980 et 1990 en Amérique latine est donc ambiguë. En général, les structures fédérales sont associées positivement à la démocratisation, comme au Brésil, où les gouverneurs des États les plus peuplés jouèrent un rôle crucial dans l’organisation des manifestations massives qui finalement forcèrent les militaires à remettre le pouvoir aux civils en 198565, ou au Venezuela, où la première élection des gouverneurs des États en 1989 fut considérée comme le début de la fin du régime consociatif et qui est désormais considérée comme un rempart contre les excès populistes d’Hugo Chávez66.
62Au Mexique, l’élection du premier gouverneur d’opposition en 1989 fut également perçue comme une percée majeure de la transition démocratique. En outre, la décision du nouveau gouverneur de créer un registre électoral subnational avec des normes strictes (y compris la création d’une pièce d’identité avec photo) fut considérée comme cruciale dans la décision fédérale de faire de même un an plus tard67.
63Néanmoins, des enclaves autoritaires persistent dans les quatre fédérations latino-américaines. Non seulement certains anciens réseaux régionaux d’intermédiation se réaffirmèrent, mais, compte tenu de l’augmentation de l’incertitude politique au niveau fédéral, les élites subnationales furent capables d’obtenir une certaine tolérance fédérale pour leurs pratiques autoritaires en dépit des réformes démocratiques.
64D’une part, la gouvernance régionale reste dans les mains des États subnationaux et les fédérations sont dans l’impossibilité de renoncer à leur collaboration à cet égard. Ainsi, les élites subnationales peuvent mitiger l’ingérence fédérale dans leurs affaires. D’autre part, certains partis (comme le PRI au Mexique) devinrent électoralement dépendants de leurs bastions régionaux et durent donc défendre leurs gouvernements subnationaux contre l’intervention fédérale68.
65En outre, le retrait fédéral d’un certain nombre de domaines (en raison de la déconcentration, telle que discutée ci-dessus, ou simplement à la suite de stratégies néolibérales) a permis aux États subnationaux d’étendre leur autorité et, dans certains cas, d’imposer des formes autoritaires de régulation politique et économique. Les ressources obtenues dans le cadre du nouveau fédéralisme fiscal financèrent en outre la capacité subnationale d’entreprendre ces expériences69.
66Bien que la transition démocratique modifiât considérablement le fonctionnement du fédéralisme en Amérique latine, elle n’en transforma pas fondamentalement sa nature. Les dirigeants des États subnationaux et des municipalités ont toujours été des acteurs politiques importants. Les nouveaux régimes fiscaux, qui augmentent la participation subnationale et municipale dans le partage des recettes fiscales, sont le reflet seulement de leur influence croissante dans le système politique.
67Dans les quatre pays, des leaders subnationaux acquirent une grande notoriété nationale. Plusieurs anciens gouverneurs ont été élus Président de la République (Fernando Collor de Melo au Brésil en 1990, Vicente Fox au Mexique en 2000, Carlos Menem et Néstor Kirchner en Argentine en 1989 et 2002, respectivement), tandis que de nombreux autres furent des candidats malheureux.
68Néanmoins, les États subnationaux latino-américains restent largement dépendants des transferts fiscaux fédéraux, dont un grand nombre est de nature conditionnelle. En outre, les compétences subnationales demeurent ambiguës, puisque dans les quatre pays tant l’interprétation politique de la Constitution que les décisions judiciaires dans ce domaine ont systématiquement favorisé la fédération.
69En conséquence, un changement dans l’équilibre politique peut concentrer encore une fois le pouvoir et les ressources matérielles dans les mains du gouvernement fédéral. Cependant, et même si cela devait arriver, les États subnationaux et les municipalités resteraient des acteurs politiques importants, puisque leur pouvoir réside moins dans les structures juridiques et les ressources matérielles que dans leur contrôle des réseaux sociaux et de l’intermédiation politique. En tant que l’instrument principal de pénétration de l’État dans la société locale, surtout dans les régions les plus hétérogènes, et en tant que garants de la gouvernance régionale, les États subnationaux auront toujours un rôle politique incontesté dans les fédérations latino-américaines.
4. Concevoir le fédéralisme latino-américain
70Dans sa dimension doctrinaire, le fédéralisme latino-américain suit largement la doctrine fédérale des États-Unis, tout en ayant été adaptée aux conditions locales. Les modifications ultérieures à la nature du fédéralisme furent pragmatiques plutôt que doctrinaires, donnant lieu occasionnellement à des contradictions (telles que la persistance simultanée du principe des compétences résiduelles et le recours constant à la doctrine des pouvoirs implicites du gouvernement fédéral, autant dans l’interprétation académique que dans l’adjudication judiciaire).
71La différence doctrinaire la plus frappante entre le fédéralisme latino-américain et son modèle étasunien est l’inclusion spécifique des municipalités héritées de la période coloniale comme un élément constitutif du fédéralisme, ce qui donne naissance à trois paliers de gouvernement. Par conséquent, les municipalités sont des acteurs formels dans les relations intergouvernementales, en particulier dans le fédéralisme fiscal. Cependant, la reconnaissance constitutionnelle des municipalités n’est plus propre à l’Amérique latine, puisque d’autres fédérations, comme l’Allemagne (1948, art. 28-29), la Belgique (1994, chapitre 8) et l’Inde (1950, partie 9), donnent également reconnu un statut constitutionnel à leurs municipalités.
72L’approche pragmatique du fédéralisme latino-américain est très évidente dans sa dimension constitutionnelle. La tradition juridique ibérique qui fait des textes constitutionnels des instruments casuistiques et facilement amendables fait en sorte que le fédéralisme et ses structures sont considérés comme subordonnés aux priorités nationales: la construction de l’État au 19e siècle et la stratégie étatique de développement économique pour la plupart du 20e siècle. En conséquence, l’autonomie institutionnelle et l’initiative politique des États subnationaux ont été considérablement restreintes. Le nouveau fédéralisme fiscal, avec sa conditionnalité et la dépendance subnationale à l’égard des transferts fédéraux, n’a que partiellement inversé la tendance.
73En conclusion, la dimension politique est la dimension la plus importante du fédéralisme latino-américain. Malgré ses insuffisances techniques et doctrinaires, le fédéralisme a toujours été un élément essentiel du fonctionnement des systèmes politiques fédéraux en Amérique latine. Cette caractéristique, qui explique – au moins partiellement – l’approche pragmatique de la région au fédéralisme, a été présente depuis l’adoption de la première constitution fédérale latino-américaine au début du 19e siècle et est essentielle pour expliquer à la fois la construction de l’État et la préservation de la diversité sociale dans les fédérations latino-américaines. En outre, les changements politiques récents liés à la démocratisation (mais pas nécessairement démocratiques eux-mêmes) ont renforcé ce caractère pragmatique. Le fédéralisme en Amérique latine reste donc un instrument de création de coalitions et de partage du pouvoir.
74En réfléchissant sur la théorie du fédéralisme à la lumière de l’expérience latino-américaine, on peut dégager plusieurs questions. La première et la plus évidente est la relation entre fédéralisme et démocratie. Bien que presque tous les auteurs soulignent l’existence de cette relation, l’expérience latino-américaine permet de la remettre en question, car le fédéralisme y a coexisté avec des divers régimes autoritaires. Non seulement la structure fédérale de ces pays a été maintenue, mais aussi une certaine division informelle des pouvoirs, basée sur la responsabilité subnationale pour la gouvernance locale.
75La deuxième question théorique qui émerge de l’étude du fédéralisme latino-américain est donc la question du partage des compétences – un élément central de toute définition de fédéralisme. Il est évident que ce partage, bien qu’ancré dans des textes juridiques, peut avoir une dimension informelle tout aussi importante. Cependant, l’étude des institutions informelles et de leur relation avec le fédéralisme ne se trouve qu’à ses débuts70.
76En étudiant les fédérations latino-américaines, il devient évident que nous devons aller au-delà de l’étude simpliste des doctrines et institutions fédérales et concevoir le fédéralisme comme un instrument pragmatique de gouvernance et de construction de l’État, inspiré, de près ou de loin, par une doctrine de partage du pouvoir. Après tout, c’est cette dimension qui explique pourquoi un pays adopte une structure fédérale et la renouvelle, même lorsque d’autres éléments importants de son système politique se transforment profondément.
Notes
Pour citer cet article
A propos de : Julián Durazo-Herrmann
Professeur à l’Université du Québec à Montréal