Cahiers de Science politique

Université de Liège

1784-6390

 

since 05 February 2011 :
View(s): 1861 (39 ULiège)
Download(s): 32 (2 ULiège)
print        
Justine Kubera

Pauline Schnapper, Le Royaume-Uni doit-il sortir de l’Union européenne, Paris, La documentation française, coll. « réflexe europe», 2014, 164 p.

Compte-rendu
Open Access

Attached document(s)

original pdf file

1Pauline Schnapper, Le Royaume-Uni doit-il sortir de l’Union Européenne ?

2Dans cet ouvrage, Pauline Schnapper a pour objectif d’éclairer le lecteur sur la question de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et surtout de comprendre pourquoi celle-ci est réapparue dans le débat politique anglais. Pour se faire, elle va remonter dans le temps et plus précisément à 1945 où déjà le Royaume-Uni n’envisageait que la coopération intergouvernementale contrairement aux projets d’intégration de type fédéral proposés dès 1950 (p.9).

3Avant d’aborder la question de la probabilité et des conséquences tant pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne d’un éventuel Brexit1, la première partie de cet ouvrage revient sur les relations ambiguës qu’entretient le Royaume-Uni avec l’Union européenne (p.7). Ces relations peuvent être divisées en trois périodes : 1945-1975, 1975-1997, 1997-2010. Au fil du temps, sa position à l’égard de l’Europe n’a cessé d’évoluer pour des raisons pragmatiques et économiques et non pas idéologiques comme ce fut le cas avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier initiée en 1950 (p.9). Le Royaume-Uni est invité à y participer, mais refuse pour deux motifs : d’une part, la méfiance à l’égard de la France et de l’Allemagne  et d’autre part, pour des raisons liées à la souveraineté nationale comme le refus de perdre le contrôle sur la production de charbon et d’acier (pp.10-11). Cependant, le Royaume-Uni change rapidement de position puisqu’en 1961, le Premier ministre conservateur Macmillan dépose la candidature de son pays à l’adhésion à la Communauté économique européenne (CEE) qui n’aura lieu qu’en 1973 suite aux deux vétos posés par le Général De Gaulle (p.14). Deux ans plus tard seulement, les conditions d’adhésion sont déjà renégociées et le premier référendum sur son maintien ou non dans la CEE est organisé (pp.20-22).

4Durant la seconde période (1975-1997), on va également retrouver ces changements d’attitude  qui permettent à l’auteure de qualifier le Royaume-Uni de partenaire ambivalent voire récalcitrant face aux différentes propositions pour avancer dans l’intégration communautaire (p. 25). Plusieurs exemples sont mobilisés pour illustrer cette ambivalence dont celui du refus des Britanniques de participer au projet de système monétaire européen (p.26). Cependant, le Royaume-Uni a également contribué au développement de la CEE comme cela a été le cas au moment de l’Acte Unique Européen. La signature de celui-ci est même perçue comme une victoire des Britanniques car il met en place un marché unique sans frontières intérieures, objectif que s’était fixée Margaret Thatcher (p.31).  

5En 1997, le parti travailliste revient au pouvoir après sa troisième défaite électorale consécutive en 1987 (p.42). Tony Blair, Premier ministre en 1997, prend différentes positions en faveur de l’Union européenne notamment sur la monnaie unique. L’évènement le plus marquant de son mandat est, sans conteste, la rupture opérée avec ces prédécesseurs, tant conservateurs que travaillistes, en faveur du développement d’une défense européenne commune autonome par rapport à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) (p.48). Ce changement radical d’attitude se matérialisa par l’accord de Saint-Malo conclu avec la France en 1998 (p.48).

6Après avoir démontré que les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne étaient assez ambiguës, l’auteure identifie les différentes raisons qui expliquent la difficulté des Britanniques à participer au projet européen (p.54). Parmi celles-ci, on retrouve la souveraineté parlementaire, principe fondateur du Royaume-Uni selon lequel en théorie, aucune autorité n’est ou ne peut être supérieure au Parlement de Westminster (p.55).

7Selon A. Venn Dicey, cette souveraineté est absolue et indivisible2. Par conséquent, elle ne peut être partagée avec une entité supranationale ou infranationale3. Dès 1960, des militants anti-européens défendent donc la thèse selon laquelle l’adhésion à la CEE est incompatible avec ce principe. En effet, le droit communautaire primant sur le droit national, le principe de souveraineté parlementaire serait remis en cause (p.58).

8Le Royaume-Uni a également du mal à abandonner ses liens avec le Commonwealth et à privilégier l’entrée dans l’union douanière et une politique commerciale commune (p.66). Cette solidarité a, d’ailleurs, été souvent invoquée par le parti travailliste pour justifier leur opposition à l’entrée dans le marché commun (p.66).

9Ensuite, l’Union européenne est perçue par les Britanniques comme étant une source de problèmes, idée que l’auteure illustre en reprenant une citation de Margaret Thatcher : « Au cours de ma vie, la plupart des problèmes auxquels le monde a dû faire face sont venus, d'une façon ou d'une autre, de l'Europe continentale, et les solutions en dehors d'elle. » (p.69).

10Le lien privilégié qu’entretient le Royaume-Uni avec les Etats-Unis a aussi été vu comme étant incompatible avec une participation au projet européen (p.72). D’ailleurs, une fois membre de l’Union européenne, tant les gouvernements conservateurs que travaillistes ont fait en sorte que l’intégration européenne ne se fasse pas au détriment de ce lien avec les Américains (p.72). Un exemple qui illustre parfaitement cet objectif est la création d’une défense européenne autonome à laquelle tous les gouvernements anglais se sont opposés jusqu’à l’arrivée de Tony Blair au pouvoir en 1997 (pp.72-73).

11Enfin, la dernière raison identifiée par l’auteure concerne l’attachement des Britanniques au libre-échange et le refus du protectionnisme (p.73). La construction européenne a permis la création d’un marché commun et la fin des barrières douanières, projet qui a reçu le soutien des gouvernements britanniques comme celui de Thatcher. Cependant, l’Union européenne a aussi développé un volet protectionniste notamment avec la politique agricole commune ainsi qu’un volet social4 et régulateur5 qui eux, ont fait l’objet de davantage de critiques de la part des Britanniques (p.74).

12Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteure analyse la manière dont les partis conservateurs et travaillistes ont traité la question européenne au fil du temps. En ce qui concerne le parti des tories, il n’avait pas vocation à soutenir le projet européen mais pourtant, il sera, dans un premier temps, favorable à l’Europe contrairement aux travaillistes qui eux, sont, dès le départ, opposés au projet européen (pp.76-80). Cependant, cet engouement pour l’Europe est à relativiser puisque ce soutien est lié à des raisons qui sont purement pragmatiques et non pas idéologiques (p.77). Dans un deuxième temps, le parti conservateur va connaître des divisions internes sur la question européenne. Une première crise, opposant europhiles et europhobes, aura lieu en 1986 sur la question de l’Europe communautaire, divisions qui réapparaîtront avec le discours prononcé par Thatcher en 1988 affirmant que l’Europe ne doit se fonder que sur l’intergouvernementalisme (p.79-85). L’euroscepticisme commence à s’organiser au moment de la ratification du Traité de Maastricht puis s’institutionnalise et devient majoritaire au sein du parti fin des années 1990 (pp.84-85). Cependant, les divisons sont toujours bien présentes au sein des conservateurs où l’on retrouve, désormais, une opposition entre eurosceptiques modérés et radicaux6 (p.88).

13A l’inverse, dès le départ, le parti travailliste est opposé à l’adhésion à la CEE notamment pour des raisons de souveraineté nationale et de préservation de la solidarité avec le Commonwealth (p.80). Cependant, cette position change suite à leur troisième défaite électorale consécutive. Kinnock, leader du parti entre 1983 et 1992, a été l’auteur de ce changement puis ensuite Blair qui entame dès 1994 un projet de modernisation et soutient la construction européenne (p.83).

14L’auteure tente de démontrer dans la troisième partie de l’ouvrage que même si le Royaume-Uni est réputé être un partenaire récalcitrant, il a aussi contribué au développement de la construction européenne. Tant sur le plan économique que politique, les Britanniques sont partisans du libéralisme et ont tenté d’influencer l’Union européenne dans ce sens. En ce qui concerne le volet économique, cette influence s’est révélée être un succès. Le libre-échange et la dérégulation défendus par les Britanniques ont séduit la Commission européenne ainsi que certains Etats membres. La concrétisation du marché unique, déjà mentionnée ci-dessus, en est un exemple (pp.100-102). En ce qui concerne le volet politique, il a tenté d’exporter les principes de la démocratie libérale sur le plan européen mais avec beaucoup moins de succès (p.103). Les Britanniques ont, par exemple, proposé de réformer la Commission européenne mais ce fut un échec (p.103). Ils sont également les premiers à poser la question de l’impact de l’Union européenne sur les démocraties nationales ainsi que la question du déficit démocratique européen ou encore à proposer de renforcer le rôle des parlements nationaux dans le processus décisionnel européen (p.104). Le Royaume-Uni a, très tôt, posé des questions importantes mais n’a pas réussi à mettre en place un dialogue constructif notamment parce que les hommes politiques britanniques ont plutôt décidé de caricaturer l’Europe et se sont présentés comme des défenseurs de l’intérêt national contre Bruxelles (p.105).

15Enfin, l’auteure se pose la question de savoir si le Royaume-Uni a encore un avenir dans l’Union européenne (p.112). En 2010, le parti conservateur revient au pouvoir et avec lui, le débat sur les bénéfices pour le pays d’être membre de l’Union européenne et sur les opportunités d’en sortir (p.112). Ce débat n’est pas nouveau. En effet, ces questions se sont déjà posées en 1975, ce qui avait d’ailleurs donné lieu au premier référendum sur son maintien ou non dans la CEE. Avant d’aborder la probabilité d’un Brexit ainsi que les conséquences tant pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne, P.Schnapper va, d’abord, tenter d’expliquer pourquoi ce débat a fait son retour chez les Britanniques. Elle constate, d’abord, l’émergence de partis populistes dans les années 2000 et surtout l’arrivée de l’United Kingdom Independance Party (UKIP) (p.116-117). Au départ, ce parti ne se définit que par un seul objectif à savoir le retrait de l’Union européenne mais par la suite, il va étoffer son programme afin de s’imposer comme un parti de gouvernement, ce qui va lui permettre d’accroitre ses succès électoraux notamment lors des élections européennes7 (P.117). Le parti qui est le plus menacé par ce succès est le parti conservateur (p.118). En effet, même si les électeurs de l’UKIP viennent de tous les partis, la majorité d’entre eux votaient auparavant en faveur des tories (p.118). Par conséquent, les conservateurs ont dû renforcer leur discours eurosceptique pour essayer de limiter la perte de voix (p.118). Cameron doit également faire face à un euroscepticisme grandissant dans son propre parti, ce qui fait dire à l’auteure que la politique adoptée à l’égard de l’Union européenne dépend d’éléments de politique interne (p.128).

16Le débat sur l’organisation d’un référendum concernant le Brexit fait son retour en 2012 après que des ministres se soient interrogés publiquement sur la nécessité de rester dans l’Union européenne (p.131). C’est la première fois depuis 1973 que des ministres en exercice se positionnent en faveur du retrait de l’Union européenne (p.131). Le Premier ministre, David Cameron, mis sous pression par son parti et occupant une mauvaise position dans les sondages, décide de prononcer un discours de clarification sur sa politique européenne le 23 janvier 2013. Il s’engage à obtenir un certain nombre d’avancées comme de nouvelles dérogations aux politiques communautaires et une fois acquises, il promet d’organiser un référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union européenne (p.132). Cependant, cette promesse est conditionnée à sa réélection aux prochaines législatives de 2015 (p.134).

17Après avoir expliqué les raisons du retour du débat autour du Brexit, l’auteure pose la question de la probabilité de celui-ci. Elle considère qu’il y a beaucoup trop d’inconnues pour déterminer si cette sortie de l’Union européenne est probable. Parmi celles-ci, elle mentionne l’attitude de l’Allemagne ainsi que celle d’autres Etats membres par rapport à la demande britannique d’obtenir un nouveau statut, l’évolution de la situation économique en Europe mais également le résultat des élections de 2015 (pp.138-140).

18Pour terminer, l’auteure analyse les conséquences que le Brexit pourrait avoir tant pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne. En ce qui concerne le premier, elle distingue des conséquences à la fois sur plan économique (telles que les économies réalisées grâce à la fin du versement d’une contribution au budget de l’Union européenne, sur le coût lié à la transposition des directives européennes, ou encore des conséquences limitées pour ses importations et exportations s’il retourne dans l’Association européenne de libre-échange) et sur le plan diplomatique et militaire (perte d’influence dans les organisations internationales auxquelles les Britanniques appartiennent) (p.142-145). Pour ce qui est de la deuxième, il y aura des conséquences sur le plan institutionnel (négociations potentiellement plus efficaces suite au départ du Royaume-Uni), économiques (réduction de 11% du budget, soit l’équivalent de la contribution du Royaume-Uni) et sur le plan diplomatique et militaire (réduction des ambitions de l’Europe de la défense, perte d’influence de l’Union européenne notamment au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies par exemple) (pp.146-147).

19En conclusion, cet ouvrage tente de démontrer la complexité des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, les Britanniques pouvant être à la fois des partenaires récalcitrants mais également un moteur dans la construction européenne comme ce fût le cas avec la concrétisation du marché unique. L’influence des Britanniques s’est faite à la fois sur le plan politique et économique avec plus ou moins de succès. Après cet éclairage, l’auteure revient sur la question du Brexit et surtout sur trois éléments : pourquoi ce débat est-il à nouveau d’actualité, quelle est la probabilité d’un Brexit et avec quelles conséquences tant pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne.

20Référence : Schnapper P. (2014), Le Royaume-Uni doit-il sortir de l’Union européenne, Paris, La documentation française, coll. « réflexe europe», 164 p.

21Justine Kubera, Mars 2015

Notes

1  En anglais, British Exit abrégée par l’expression Brexit

2  Venn Dicey A. [1885] (1961), Introduction to the Study of the Law of the Constitution, chapitre 1er, New York: St-Martin’s Press, 10e éd.

3  Ibidem

4  Par exemple, la charte sociale européenne.

5  Par exemple, la directive sur la limitation du temps de travail.

6  Les eurosceptiques modérés vont adopter une position critique à l’égard de l’Union européenne alors que les eurosceptiques radicaux remettent en question le projet européen et sont partisans de la sortie de l’Union européenne.

7  L’UKIP est passé de 1% des voix en 1994 à 16% des voix en 2004 lors des élections européennes. En 2009, il a même obtenu 13 sièges au Parlement européen.

To cite this article

Justine Kubera, «Pauline Schnapper, Le Royaume-Uni doit-il sortir de l’Union européenne, Paris, La documentation française, coll. « réflexe europe», 2014, 164 p.», Cahiers de Science politique [En ligne], URL : https://popups.uliege.be/1784-6390/index.php?id=826.