L’emploi des langues à l’épreuve du contexte politico-économique belge
Étude linguistique au sein d’entreprises publiques nationales et régionales
Résumé
Située entre les Pays-Bas, l’Allemagne et la France, la Belgique est un pays officiellement trilingue. Malgré ce plurilinguisme, la plupart des espaces sont officiellement monolingues. Ces monolinguismes territoriaux sont une source de tensions dans les zones où plusieurs langues officielles doivent coexister (dans la capitale, par exemple). Dans cet article, nous aborderons cet objet linguistique en l’illustrant à l’aide de quelques situations de communication interne et externe issues d’entreprises nationales (Bpost et SNCB) et régionale (STIB).
26/09/2019
Introduction
1Le milieu professionnel belge s’inscrit dans un contexte caractérisé, entre autres, par des mesures politiques complexes ayant un impact sur les usages linguistiques. Notre intérêt se porte sur les langues utilisées par des employés et des cadres d’entreprises publiques belges après une période de crise1 entre des forces politiques, et principalement autour d’une opposition entre les exigences des partis flamands et francophones. La gestion de telles entreprises a une dimension politique, puisque l’État belge en est l’actionnaire majoritaire. Les responsables entrepreneuriaux doivent dès lors développer des stratégies linguistiques afin de satisfaire les attentes non seulement des clients et des travailleurs, mais aussi d’un contrat de gestion, défini notamment par le politique. Nous nous demandons donc comment se positionnent ces derniers par rapport au trilinguisme officiel, aux tensions politiques et à la mondialisation.
2Dans cet article, nous mettons l’accent sur les langues en tant que « produit de l’activité de travail et […] facteur de productivité de l’entreprise » (Boutet et Heller 2007 : 314), et ce, particulièrement dans les entreprises du secteur tertiaire étudiées. Notre société, depuis quelques années, « subit » une tertiarisation qui a pour conséquence d’octroyer aux mots une valeur économique : ils « font vendre, acheter, fabriquer et […] ils permettent de donner des instructions, des modes d’emploi et des idées » (Klinkenberg 2015 : 58). Les idiomes structurent donc « le matériau même de l’économie » (Klinkenberg 2015 : 58), puisqu’ils rapportent (Canut et Duchêne 2011 : 8).
3Nous nous efforcerons de comprendre l’usage des langues par les travailleurs dans un contexte de tensions politiques et d’ouverture économique des marchés (due à la libéralisation, entre autres). Autrement dit, quelles stratégies linguistiques sont mises en œuvre par des entreprises publiques belges pour éviter une potentielle crise politique tout en gardant leur compétitivité économique ? Dans les trois entreprises étudiées (Bpost, SNCB et STIB), nous avons constaté un réaménagement linguistique dès 2010, caractérisé par l’apparition de l’anglais, en plus des idiomes officiels. Nous réaliserons une analyse de phénomènes langagiers dans les communications professionnelles interne et externe à l’aide d’un éclairage politico-économique belge. Cette approche est en accord avec les propos de Philippe Hambye : « cette démarche peut dès lors mettre en évidence le fait que tout discours est le produit de contraintes d’ordres multiples (e.a. sociales, psycholinguistiques, physiologiques [, économiques et politiques]) et qui seules permettent de rendre compte de la forme qu’il prend dans un contexte donné » (2012 : 33). Les responsables choisissent-ils un idiome officiel au détriment des deux autres ou préfèrent-ils une langue tierce ? Ou, encore, optent-ils pour l’usage de plusieurs idiomes ? De manière sous-jacente, nous tenterons de comprendre si l’emploi des langues, dans ces trois entreprises publiques, peut s’expliquer à l’aide du contexte politique ou économique particulier belge.
1. Corpus : de la collecte à l’analyse des données linguistiques
4Notre réflexion repose sur l’enquête menée dans une agence postale. À la suite de l’observation de ce milieu professionnel, nous centrons nos propos sur les choix de langues réalisés par les travailleurs de Bpost, choix contraints, en partie, par le règlement entrepreneurial. Nous reviendrons sur les normes linguistiques qui pèsent sur les entreprises publiques dans la section suivante. C’est à partir des résultats de cette étude que nous aborderons comparativement les stratégies linguistiques adoptées par deux autres entreprises : la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles (STIB) et la Société Nationale des Chemins de fer Belges (SNCB). Les données présentées dans cet article concernant la STIB sont issues des travaux de Frédéric Dobruszkes (2010 : 229-240 ; 2014), de faits d’actualité répertoriés dans différents journaux et d’une observation éparse en tant qu’usager des services de l’entreprise2. Quant aux informations portant sur la SNCB, elles viennent également de quotidiens et d’une observation comme utilisatrice des services ferroviaires3 ainsi que de la recherche menée par Margaux Wéry (2014). Les pratiques linguistiques étudiées dans ces trois entreprises appartiennent davantage à la communication externe (annonces aux clients, aux futurs partenaires, par exemple) qu’à l’interne4.
5Nous présenterons, dans les trois sous-sections suivantes, les techniques de collecte et d’analyse des données.
1.1. Une agence hennuyère francophone de Bpost5
6Bpost est une société anonyme de droit public et l’opérateur postal national dont l’État belge est l’actionnaire majoritaire en 2012, année de l’enquête de terrain. Afin de collecter des données en situation professionnelle de « back office » entre employés, entre cadre et employé, ainsi qu’entre cadres6 (Boutet 2001 : 30), nous avons eu recours à trois techniques : l’observation participante, l’entretien semi-directif et le questionnaire écrit (Baude 2006 : 47-50 et 54-56). Elles nous permettent de recueillir des données de deux types : ce que disent les informateurs (paroles lors du travail) et ce qu’ils en disent (paroles à propos du travail). Nous avons privilégié l’observation participante pour obtenir des « paroles lors du travail » en entravant au minimum les tâches des professionnels. L’entretien semi-directif et le questionnaire nous donnent accès aux « paroles à propos du travail » (Grosjean et Lacoste 1999 : 46-47 et 60), qui nous familiarisent avec le fonctionnement sociolinguistique de l’entreprise, ses rituels et ses pratiques, et qui nous aident à comprendre les valeurs attribuées aux éléments linguistiques utilisés par les locuteurs.
7Notre approche est qualitative : nous analysons les « paroles lors du travail » à la lumière des « paroles à propos du travail » présentes dans les entretiens semi-directifs et les questionnaires. Ces derniers comportent des questions ouvertes (sur le profil sociologique des enquêtés) et semi-ouvertes composées de stéréotypes (comme « Bien parler, c’est parler sans accent », « Plus on fait d’études, mieux on parle ») qui sont issus de l’étude de Michel Francard, Joëlle Lambert et Françoise Masuy (1993) et qui poussent les répondants à exprimer leurs attitudes et leurs représentations sur l’usage des idiomes dans l’entreprise. En plus de ces questions « stéréotypées », nous leur demandions quelles sont les langues employées dans le milieu professionnel (utilisez-vous l’anglais au sein de l’entreprise ? Cette langue est-elle requise à l’embauche ?). L’ensemble des réponses sont donc l’expression de points de vue sur les langues, qui nous aident à comprendre les pratiques linguistiques des employés et cadres postaux.
8À la manière de William Labov, nous avons sélectionné des éléments linguistiques saillants lors d’une préenquête en décembre 2011, tels que deux variables phonologiques liées à la région et des termes anglais (Collonval 2013 ; Collonval 2016 : 87-94). Dans le présent article, nous n’abordons que ces données lexicales. Ce choix est motivé par l’anglicisation de l’entreprise postale qui commence en 2010 ainsi que par l’emploi fréquent de l’anglais dans le milieu du marketing et des finances en Belgique comme en témoignent les travaux d’Emmanuel Dardenne et d’Alain Eraly (1995). Nous souhaitons ainsi comprendre pourquoi l’anglais fait son apparition dans l’entreprise en 2010. Est-ce (une partie de) la stratégie linguistique de Bpost ?
9Notre corpus se constitue de données de la préenquête et de l’observation participante menée de février à décembre 2012. Durant ces deux phases de collecte, l’échantillonnage des informateurs est non aléatoire, puisque seuls les usages linguistiques de professionnels volontaires sont étudiés. Le corpus est composé de données orales (27 heures 55 minutes et 42 secondes) et écrites (22 questionnaires) annotées et enrichies par les profils sociologiques des informateurs et par les descriptions situationnelles. En ce qui concerne le traitement des données, nous nous efforçons de les comprendre au moyen de deux variables extralinguistiques : le secteur (mail et retail) et la fonction (cadre moyen, cadre et employé). De plus, l’emploi des éléments lexicaux anglais sera éclairé à l’aide d’informations portant non seulement sur les représentations des informateurs sur leurs propres pratiques, mais aussi sur les contraintes politico-économico-linguistiques en vigueur dans l’implantation postale hennuyère.
1.2. Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles
10La Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles « offre » des services de transport en bus, tram et (pré)métro, et des produits associés. Les données présentées dans cet article portent sur les noms des stations de (pré)métro, des produits et des services ainsi que sur l’emploi des langues dans les véhicules et sur le site Internet de l’entreprise.
11Notre intérêt pour les choix linguistiques opérés par les responsables de la STIB trouve son origine dans les travaux de Frédéric Dobruszkes (2010 et 2014). Ce géographe de formation a étudié le baptême des stations de métro bruxelloises. Pour ce faire, il a consulté les archives de l’entreprise ; il a réalisé non seulement des entretiens avec les fondateurs du réseau, mais aussi une comparaison entre la toponymie des quartiers desservis et les appellations sélectionnées (Dobruszkes 2010 : 3 ; Dobruszkes 2014). Nous n’abordons pas, dans cet article, le choix des noms, mais la dynamique linguistique sous-jacente caractérisée, notamment, par les tensions entre les deux communautés (flamande et française) compétentes sur le territoire bruxellois.
12Dans la lignée de ces recherches, notre attention s’est portée sur des plaintes déposées par des usagers de l’entreprise parce que les noms des stations ou les annonces sont articulés dans la mauvaise langue, ou mal prononcés. Au moyen de ces faits d’actualité7, nous avons remarqué l’existence d’une politique linguistique particulière au sein de la STIB : les responsables tentent de respecter une parité des langues dans la capitale belge. Ce constat sera renforcé par les données de notre brève enquête dans des véhicules et des stations ainsi que sur le site de l’entreprise. Cette étude a débuté durant l’année 2015 et elle se poursuit jusqu’en février 2017. Nous observons les mêmes usages linguistiques dans les annonces collectées aléatoirement en 2015 et 2017.
1.3. Société Nationale des Chemins de fer Belges
13Les données qui ont permis l’étude de certains usages langagiers des professionnels de la Société Nationale des Chemins de fer Belges sont issues, d’une part, de l’enquête de Margaux Wéry (2014) et, d’autre part, d’une investigation linguistique identique à celle menée dans l’entreprise STIB (site Internet, annonces dans les véhicules et les stations)8.
14Margaux Wéry utilise une technique en deux étapes pour collecter ses données. Dans un premier temps, la chercheuse analyse le recours à l’anglais sur le site de la SNCB (2014 : 43 et 47). Et dans un second temps, elle recueille des « paroles à propos du travail » auprès de sept informateurs travaillant dans les services centraux (2) ou dans les services de la gare de Bruxelles-Midi (5). Ces données sont récoltées à l’aide d’entretiens semi-directifs balisés par un questionnaire de questions semi-ouvertes (quelles raisons pourraient amener les responsables de l’entreprise à recourir à l’anglais ? Dans quelle mesure les différences linguistiques gênent-elles le travail des professionnels ? [Wéry 2014 : 55-56]).
15Lors de notre enquête, nous nous sommes intéressées au site Internet également. Les constats de 2014 sont encore d’actualité. En outre, nous avons enrichi le corpus de données par des annonces observées ponctuellement dans les véhicules et les gares de 2015 à février 2017.
2. Contexte politico-économico-linguistique belge
16Selon Els Witte, la question des langues en Belgique pose problème dès la création du Royaume (2011 : 37). Nous ne retracerons pas les multiples conflits linguistiques des xixe et xxe siècles9 ni la montée du nationalisme flamand. Mais nous mettrons en évidence quelques événements qui nous aideront à comprendre ce qui amène les responsables d’entreprises nationales (Bpost et SNCB) et régionale (STIB) à établir des stratégies linguistiques. Un idiome est un « vecteur de mille problématiques, des problématiques qui s’inscrivent de plein droit dans l’espace politique » (Klinkenberg 2015 : 23), mais aussi économique. Nous développerons, dans cette section, la législation belge en matière de langues et le contexte politique des crises du xxie siècle.
17Nous pourrions envisager la situation linguistique belge comme une répartition territoriale des langues officielles. Cette affirmation repose non seulement sur les lois de 1962 et 1963 qui fixent la frontière linguistique10. En effet, dans les trois premiers articles de la Constitution, la Belgique est caractérisée comme étant un État fédéral composé de trois Communautés (flamande, française11 et germanophone) et de trois Régions (bruxelloise, flamande et wallonne). Les autorités des premières se voient confier les compétences culturelles, linguistiques et éducatives alors que celles des secondes reçoivent les matières socio-économiques, territoriale et environnementale (Pilet et Fiers 2013 : 117 ; Matagne, Dandoy et Van Wynsberghe 2013 : 9 ; Vuye 2010 : 11). De plus, nous pouvons ajouter à ces six entités quatre régions linguistiques12 : « la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale [français et néerlandais] et la région de langue allemande. Chaque commune du Royaume fait partie d’une de ces régions linguistiques » (art. 4 de la Constitution). La langue de chaque région linguistique est « la langue véhiculaire » dans les domaines administratif et fédéral13 (Witte 2011 : 46 ; Lagasse 2007). Dans les autres situations interactionnelles, les locuteurs sont libres d’utiliser la langue qu’ils souhaitent (Lagasse 2007). Cependant, la liberté linguistique est limitée par les articles 30, 129 et 130 de la Constitution dans les échanges grosso modo « entre autorité et citoyen »14 (Vuye 2010 : 29).
18L’emploi des langues dans les entreprises est également mentionné dans la Constitution (art. 129). D’une part, administrativement, les membres de l’entreprise doivent utiliser la langue de la région linguistique, dans laquelle ils travaillent, dans les documents et actes professionnels ainsi que dans les relations entre l’employeur et les employés. Seuls ces échanges et les documents officiels sont réglés au niveau de l’usage linguistique. Nous soulignons toutefois que les décrets d’une Communauté ne sont pas d’application si les services de l’entreprise sont présents dans plusieurs régions linguistiques. En effet, lorsque la zone d’activités entrepreneuriales s’étend au pays entier, la langue utilisée dans une implantation sera celle de la région linguistique, mais les documents peuvent être envoyés dans une autre langue officielle à la demande d’un citoyen (Vuye 2010 : 31-32). Pour les autres situations professionnelles, « la règle de base dans la vie économique reste la liberté linguistique » (Vuye 2010 : 36-37). Nous constatons donc que les communications interne et externe d’une entreprise belge sont réglées en partie par la Constitution : elle mentionne l’unilinguisme dans les régions unilingues (francophone, germanophone et néerlandophone) ou le bilinguisme dans la région bilingue de Bruxelles (français et néerlandais), même si la liberté linguistique s’applique comme une règle dans le monde commercial (Vuye 2010 : 40).
19Les observations menées dans les trois milieux professionnels s’inscrivent dans un contexte temporel particulier : l’après-crise politique. En effet, entre 2007 et 2011, la Belgique connaît deux périodes de crise :
Après les élections de juin 2007, 194 jours ont été nécessaires pour former un gouvernement qui ne répondit pas aux demandes institutionnelles flamandes et qui chuta sur le dossier Bruxelles-Hal-Vilvoorde […]. La crise politique qui suivit les élections anticipées de juin 2010 fut la plus longue de l’histoire du pays. Au terme d’une période de 541 jours sans gouvernement de plein exercice, la normalisation du fonctionnement institutionnel du pays reste dépendante de la mise en œuvre de l’accord institutionnel atteint en 2011 et des dynamiques bipolaires et centrifuges15 du fédéralisme belge (Matagne, Dandoy et Van Wynsberghe 2013 : 7).
20C’est du point de vue fédéral que les solutions sont trouvées pour maintenir l’équilibre entre les intérêts des deux grandes Communautés comme le soulignent Geoffroy Matagne, Régis Dandoy et Caroline Van Wynsberghe (2013 : 6) dans l’extrait suivant :
Pour garantir la coexistence au sein de l’État belge, il faut donc constamment procéder à des ajustements institutionnels. Ce processus est rendu particulièrement complexe puisque deux logiques opposées s’affrontent : le mouvement flamand exige une plus grande autonomie et davantage de compétences pour une entité dont la contestation du territoire soulève un sentiment d’agression. Tandis que [sic] la position francophone majoritaire exige, en tout cas jusqu’à récemment, le maintien en l’état du système belge et de certains droits individuels historiques qui entrent en contradiction avec la logique territoriale flamande.
21C’est dans un tel contexte politique d’après-crise que s’insèrent nos observations dans les trois entreprises étudiées. En Belgique (et peut-être ailleurs), un incident politique est souvent catégorisé comme susceptible de créer une crise ; en d’autres termes, tout événement (discursif ou non) pouvant être interprété comme une rupture de l’équilibre communautaire peut entraîner une crise politique.
22Un phénomène linguistique a retenu notre attention dans l’entreprise postale et nous a amenée à nous intéresser à l’usage des langues officielles en milieu professionnel. Ce phénomène est l’anglicisation du nom de La Poste en 2010. Étant donné ce constat de réaménagement linguistique, nous tenterons, dans cet article, de répondre à la question de recherche suivante : quelles seront les stratégies adoptées par les responsables de Bpost, de la SNCB et de la STIB au vu des prescrits de la Constitution ? Autrement dit, par les observations de l’emploi des langues, nous nous efforcerons de comprendre si les choix linguistiques des responsables entrepreneuriaux respectent ou non les lois.
23Outre une possible justification des choix linguistiques à l’aide de la situation politique, nous n’excluons pas une seconde hypothèse explicative : les responsables entrepreneuriaux optent pour une stratégie économique en passant à l’anglais afin de faire face non seulement à la mondialisation, mais aussi à la libéralisation de leurs marchés.
3. Stratégies linguistiques des entreprises Bpost, SCNB et STIB
24Le choix d’une langue officielle au détriment des deux autres est un acte symbolique fort, puisqu’il privilégierait une communauté linguistique. Cette option nous semble problématique dans le cas d’entreprises publiques nationales étant donné que leurs espaces économiques s’étendent dans toutes les régions linguistiques, ainsi que pour la STIB dont les services couvrent la région bilingue. Sur la base du contexte politico-linguistique complexe expliqué précédemment, nous postulons que les responsables des trois entreprises étudiées ont le choix entre deux solutions : soit ils optent pour un plurilinguisme entrepreneurial dans le respect des lois linguistiques, soit ils adoptent une autre langue que les trois officielles. Nous tenterons, dans la suite de cette section, de confirmer ou non notre hypothèse en ayant à l’esprit que les membres des trois entreprises conjuguent les contraintes de productivité et de rentabilité avec les lois linguistiques en vigueur en Belgique.
3.1. Choix langagiers d’entreprises nationales : Bpost et SNCB
25Les entreprises postale et ferroviaire sont des structures économiques devant répondre à une internationalisation de leur espace national. En effet, Bpost s’ouvre à l’économie mondiale dès 2002, et davantage en 2010, puisque le marché postal se libéralise progressivement. Cette entreprise est donc un lieu à la fois local, national et international ; cette triple situation implique une gestion linguistique particulière. Un constat similaire peut être fait concernant la SNCB, parce qu’elle s’ouvre également à la concurrence étant donné la politique européenne en matière de libéralisation ferroviaire. Ainsi, le transport des marchandises se privatise à partir de 2007 alors que la privatisation du transport des voyageurs débute en 2010 et elle est toujours en cours (Gruselin 2017 ; SNCB 2017). Au vu de l’ouverture de leurs marchés respectifs, les entreprises postale et ferroviaire font face à la concurrence qui amène les responsables à adopter des stratégies linguistiques. Afin de les mettre en évidence, nous aborderons, dans un premier temps, les éléments langagiers observés dans l’implantation postale étudiée ; et, dans un second temps, nous les comparerons avec des données sur la SNCB.
26En juin 2010, l’administrateur-délégué de l’entreprise postale belge annonce dans un communiqué de presse que La Poste, De Post et Die Post deviennent Bpost (De Post/La Poste 2010) : les trois noms dans les langues officielles belges laissent place à un terme unique. Cette renomination de l’entreprise marque un changement dans la gestion linguistique à partir de 2010. En plus de ce nom anglicisé, nous observons d’autres unités lexicales anglaises dans les « paroles lors du travail » des employés et cadres postaux : elles caractérisent des noms de secteur (mail, retail), de fonctions (Operational Platform Manager, Operational Support Specialist, clustermanager, par exemple) et quelques produits ou services (best operation, check advice, mobile device, mystery shopper, etc.). Parmi ces items anglais, nous distinguons ceux qui ont un équivalent français utilisé dans l’entreprise de ceux qui n’en ont pas. Les premiers sont donc le résultat d’une renomination en anglais alors que les seconds sont créés directement dans la langue germanique. Au sein des échanges professionnels collectés, il n’est pas rare d’entendre les informateurs (qu’ils soient employés ou cadres) recourir au terme français. Ainsi, l’Operational Platform Manager est appelé percepteur ; le teamleader, chef ou chef-facteur ; et le manager, gestionnaire. Nous remarquons la même tendance pour les noms des secteurs : courrier pour mail et banque pour retail. Nous constatons donc la coexistence de dénominations distinctes pour un même objet que ce soit un produit, un service, un secteur ou une fonction. Nous en déduisons que le parler de l’entreprise postale se compose de termes anglais (issus d’une renomination ou non) et français, comme les noms des fonctions des employés (guichetier et facteur). Cette coexistence de mots français et anglais illustre, selon nous, des stratégies sociales mises en place par les responsables postaux.
27Lors de notre enquête ethnolinguistique, nous avons observé la présence d’unités lexicales anglaises dans les interactions professionnelles, mais nous n’avons pas été témoin d’échanges caractérisés par une alternance ou un mélange codique. Néanmoins, un cadre moyen (Operational Support Specialist) du secteur mail évoque l’usage de l’anglais avec des clients ou des collègues non francophones. L’emploi de l’anglais dans la communication externe est également présent sur le site Internet qui « salue » son visiteur à l’aide de quatre termes dans quatre langues différentes (respectivement, en néerlandais, français, allemand et anglais) : welkom, bienvenue, willkommen et welcome. Tout utilisateur peut faire fonctionner le site dans ces quatre idiomes. Nous constatons donc l’utilisation des trois langues officielles belges ainsi que de l’anglais dans les communications interne et externe de Bpost. La rupture de l’équilibre entre les idiomes officiels est absente puisqu’aucun n’est privilégié par rapport aux deux autres.
28Le site web de la SNCB, quant à lui, a comme adresse www.belgianrail.be ; cette appellation se caractérise par le recours à une langue tierce, l’anglais, au détriment des trois langues officielles. Outre cette adresse, le site — comme celui de Bpost — est disponible, respectivement, en néerlandais, français, anglais et allemand. Si nous constatons une renomination du nom de l’entreprise postale, ce n’est pas le cas de la société ferroviaire. En effet, cette dernière a un double nom : SNCB est le sigle en français de Société Nationale des Chemins de fer Belges alors que le sigle en néerlandais est NMBS pour Nationale Maatschappij van de Belgische Spoorwegen. Lorsque le visiteur du site Internet choisit l’anglais ou l’allemand, le nom de l’entreprise devient double, à savoir NMBS/SNCB dans l’onglet MySNCB. Nous en déduisons que les stratégies linguistiques des responsables des entreprises ferroviaire et postale ne sont pas identiques. Ces choix seront analysés en détail dans la quatrième section de cet article.
29Bien que le nom de l’entreprise ferroviaire ne soit pas anglicisé, nous constatons par ailleurs que des termes anglais sont utilisés pour désigner des services (à destination des voyageurs comme MySNCB, ou des employés : SNCB Corporate, Logistics) et des produits (Go Pass, Rail Pass, Key Card, Charleroi Airport, Go Unlimited, etc.) ainsi que des fonctions (Senior Manager, Associate, Public Officer, par exemple16). Selon Margaux Wéry (2014 : 47-50), les items anglais sont fréquemment employés pour la gestion de l’entreprise ainsi que pour les informations aux touristes et non-Belges. Cet usage peut être illustré par l’exemple suivant : le train à destination de l’aéroport international est le Brussels Airport Express17 (Renette 2012). L’annonce de ce transport est en anglais dans les gares, mais pas uniquement. En effet, elle est formulée dans l’ordre de langues suivant : néerlandais, français, allemand et anglais. Nous remarquons donc la présence des idiomes officiels et de l’anglais dans les annonces des trains aéroportuaires en gares bruxelloises. Un choix similaire des langues est posé pour délivrer les messages concernant les trains internationaux.
30La SNCB, comme les deux autres entreprises étudiées, est soumise au respect des lois linguistiques. Les responsables de cette société établissent même sa propre politique dans laquelle est spécifiée la conformité « aux dispositions des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, notamment en ce qui concerne : l’émission des titres de transport, la constatation des irrégularités, la dénomination des gares et points d’arrêt, ainsi que l’utilisation de ces dénominations, les annonces dans les gares […] [,] dans les trains ; [et] toute autre communication auprès de la clientèle » (SNCB 2016). Afin d’illustrer cette mise en application politique, nous détaillons deux situations linguistiques : les messages du personnel d’accompagnement, et les annonces dans l’espace ferroviaire de la Région Bruxelles-Capitale. Concernant le message délivré par les professionnels dans les trains, nous prenons l’exemple de la ligne ferroviaire Eupen-Ostende18 (Renette 2012). Elle traverse toutes les régions linguistiques du pays (respectivement les régions germanophone, francophone, néerlandophone, bilingue, néerlandophone) ; en fonction de la zone traversée, l’accompagnateur adapte la langue de son annonce à l’idiome de la région. Par conséquent, si un voyageur monte dans le train à Eupen et s’il y reste jusqu’à son terminus, il entendra des messages dans l’ordre suivant : en allemand, en français, en néerlandais, en français ainsi qu’en néerlandais, et finalement en néerlandais. Nous nous demandons quelles stratégies sont développées dans les gares de Bruxelles et dans les trains qui y passent. Les responsables de la SNCB ont décidé que les messages seront délivrés en français et en néerlandais selon un principe d’alternance, prôné dans le Moniteur belge. Les annonces dans les trains à Bruxelles-Nord sont réalisées en néerlandais et puis en français ; l’accompagnateur à Bruxelles-Midi fait l’inverse (Demonty 2006). Quant aux annonces dans ces deux gares, elles suivent la même règle de succession19 (Renette 2012). Ce choix du français en premier à Bruxelles-Midi s’explique par sa situation géographique plus proche de la région francophone alors que Bruxelles-Nord est situé près de la région néerlandophone (Wéry 2014 : 60). À Bruxelles-Central, les annonces y respectent également l’alternance du français et du néerlandais. Cet ordre change chaque année : la « primauté y est accordée au néerlandais […] les années paires, au français les années impaires » (Renette 2012).
31Nous observons donc une parité linguistique dans les annonces en gares bruxelloises et dans les messages des accompagnateurs de trains qui traversent Bruxelles (Wéry 2014 : 60-61). Néanmoins, des items anglais sont présents — comme dans l’entreprise postale — pour désigner des produits, des services, des secteurs et des fonctions.
3.2. Stratégies linguistiques d’une entreprise régionale : STIB
32La Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles est une entreprise régionale. Actifs depuis les années 90, ses services publics ne concernent que la Région bruxelloise (STIB/MIVB 2016). Selon l’article 129 de la Constitution, les lois linguistiques dans les administrations régionales de cette zone géographique mentionnent le bilinguisme néerlandais-français (Boikete 2011 : 3 et 6). Nous observerons, dans cette section, des données issues du site web, de véhicules et de stations de l’entreprise ainsi que des plaintes présentes dans les journaux. Notre but est de comprendre quelles sont les stratégies linguistiques adoptées par les responsables de la STIB s’ils ne souhaitent pas provoquer une « crise » politique, c’est-à-dire une rupture de l’équilibre communautaire en matière de langues.
33Chaque véhicule (bus, tram et [pré-]métro) reçoit un numéro avant sa mise en circulation. Cette numérotation permet aux responsables de la STIB de suivre les recommandations du Moniteur belge, à savoir une répartition linguistique caractérisée par une alternance entre les véhicules pairs francophones et les impairs néerlandophones (Peignois 2012). Ainsi, « les autocollants de la calandre à l’avant et à l’arrière sont en français [pour les véhicules pairs] ou en néerlandais [pour les véhicules impairs] » (Peignois 2012). Pour la signalisation interne (comme celle des sorties de secours) des véhicules, c’est l’alternance qui prévaut : une mention en français dans les transports pairs est suivie d’une annotation en néerlandais, et inversement pour les véhicules impairs. Cette alternance linguistique est également présente à l’intérieur de certains véhicules, comme les rames de métro lors de l’annonce orale de la station et sur les panneaux d’affichage des stations (Dobruszkes 2014).
Partie du plan métro-train de la STIB20.
34Comme le souligne Frédéric Dobruszkes (2014 et 2010 : 8), les noms des stations de (pré) métro sont affichés et annoncés avec une alternance : si la station Comte de Flandre est mentionnée en premier lieu en français, une traduction néerlandaise suit (en italique) ; si l’appellation néerlandaise Park est la première notée, suit Parc en français. Cette stratégie est également appliquée lors des annonces dans les véhicules. Néanmoins, nous repérons des noms de stations uniques, tels que De Brouckère ou Schuman. Contrairement à ce que nous pourrions penser, l’unilinguisme ne sera pas d’usage dans ces cas. En effet, deux articulations distinctes — l’une francophone et l’autre néerlandophone — sont employées dans la bande d’annonces électroniques. Un passager arrivant dans des stations avec un seul nom entend donc l’alternance par « l’accent de la langue concernée » (Dobruszkes 2010 : 8). Ces différentes pratiques linguistiques mettent en évidence le choix des responsables de la STIB de respecter la parité entre le néerlandais et le français, l’équilibre entre les deux langues de la région linguistique. Cette dernière est également illustrée par le nom de l’entreprise — présent dans le logo et l’adresse du site —, qui est abrégé dans les deux idiomes de la Région : MIVB et STIB.
35Cependant, nous remarquons que l’anglais apparaît dans l’entreprise, et ce à partir de 2001, avec l’ouverture de la ligne de transport pour l’aéroport, qui se nomme Airport Line (STIB 2016) qui a évolué en Airport Express et en Brussels Airport – Brussels City à l’heure actuelle (Peignois 2012 ; STIB 2017). Le nombre de termes anglais s’accroît dès 2003 pour nommer des services (car-sharing Cambio, automate GO, Go Easy) et des produits (ticket Jump, MOBIB basic, Event pass) (STIB 2016 : en ligne ; STIB 2017) ainsi que le nom de la ligne de transport mise en circulation lors de travaux, Shuttle Tram. À ces unités lexicales anglaises, nous pouvons ajouter, dans certaines stations de métro, les messages électroniques vocaux en trois langues à partir de 2006 (français, néerlandais et anglais), comme aux arrêts Gare du Midi, Gare centrale et Schuman (Ladevèze 2006 ; Peignois, 2012)21 et la présence d’une version anglaise du site Internet. Ces exemples illustrent le souhait des responsables de cette société bruxelloise de rester neutres.
4. Discussion : entre respect des lois linguistiques et recours à une langue tierce
36Dans le secteur tertiaire, le choix d’une langue ou de plusieurs est primordial pour le bon fonctionnement des communications interne et externe de toute entreprise. En Belgique, le plurilinguisme est une réalité dotée d’une certaine valeur marchande, notamment à l’embauche (Dardenne et Eraly 1995 : 28-30 ; Wéry 2014 : 66-67). L’objet de notre article ne porte pas sur les compétences linguistiques requises pour être recruté, mais sur la gestion des langues par l’entreprise. Nous constatons un réaménagement linguistique se manifestant, entre autres, par le recours à l’anglais. Nous avons posé une double hypothèse à propos des causes de ce changement : le réaménagement est-il lié à un contexte politique belge particulier (régi par des lois et caractérisé par des crises politiques) ou à un contexte économique tertiaire qui fait face à la libéralisation et à la mondialisation des marchés ?
37Alors que la liberté linguistique est le principe de base (Vuye 2010 : 40) et que l’emploi des idiomes officiels (allemand, français et néerlandais) est régi par des lois, la Constitution ne fait pas mention d’une sanction ou d’une recommandation de l’usage d’une langue tierce, comme l’anglais. Parmi les entreprises étudiées, la SNCB et la STIB illustrent un respect des lois linguistiques : les annonces dans les gares et les trains sont faites dans l’idiome de chaque région linguistique unilingue. Dans la Région bruxelloise, l’option choisie est la parité, à savoir l’alternance français-néerlandais ou néerlandais-français dans les noms de stations de métro ainsi que dans les annonces au sein des stations, des véhicules et des panneaux d’affichage. Ce respect des lois linguistiques se manifeste dans les communications interne et externe de ces deux entreprises, respect qui illustre la volonté des dirigeants de maintenir l’équilibre entre les langues officielles selon le territoire. Le même constat peut être fait concernant Bpost : dans les interactions de « front office », les employés privilégient la langue du client (néerlandais ou français, pour la zone géographique étudiée). Quant aux communications internes, elles sont menées dans la langue de la région linguistique de l’implantation observée, c’est-à-dire en français.
38Cependant, nous remarquons une ouverture à l’anglais de toutes les entreprises, et ce, notamment dans le site Internet, dans les noms de produits ou de services, ou encore dans l’annonce de transport pour l’aéroport. Ce recours à une langue tierce — qui est une des langues les plus utilisées à l’heure actuelle dans le monde économique — permet « d’interagir avec un plus grand nombre de clients », comme des touristes (Wéry 2014 : 23 et 51). L’anglicisation est également une stratégie linguistique adoptée par les responsables postaux. Ce changement débute en 2010 et s’effectue progressivement. Plutôt que de choisir une langue officielle au détriment des deux autres, ce qui aurait été un acte symbolique fort et impossible22, les responsables des trois entreprises étudiées sélectionnent un idiome « neutre », dont l’usage n’est pas interdit par la Constitution et n’est pas ressenti par la plupart des Belges comme une agression (ou une rupture) dans l’emploi des langues en fonction du territoire. Ce choix témoigne d’enjeux pragmatiques liés à l’équilibre entre les coûts et les bénéfices, mais pas uniquement. L’anglicisation de Bpost commence par une renomination d’éléments existants : le nom de l’entreprise ainsi que les appellations des secteurs et des fonctions des cadres. Ce type d’action est courant dans les milieux professionnels selon Boutet (2016 : 106)23. Même si percepteur des postes est en concurrence avec Operational Platform Manager, ces deux items désignent une seule réalité du monde extérieur au sein de l’implantation étudiée. Pourtant, l’emploi du second au détriment du premier — et vice-versa — est porteur d’une signification sociale différente. En effet, la renomination d’unités lexicales françaises par des termes anglais a des conséquences sur les représentations des travailleurs et sur leurs usages linguistiques, ainsi que sur l’organisation de l’entreprise (Boutet 2016 : 107). L’acte de renomination comme celui de nomination24 ne sont pas anodins « car le mot engage tout un programme d’action », de représentation et d’organisation (Boutet 2016 : 108). Ainsi, nous pensons que l’anglicisation de certaines unités lexicales illustre des enjeux pragmatiques — voire économiques — tels que l’ouverture au marché international et la réduction des coûts de traduction pour une entreprise nationale dans un pays multilingue. Toutefois, des enjeux symboliques sont aussi véhiculés : d’une part, l’usage de termes identiques au sein de toutes les implantations d’une entreprise plurilingue dans un pays communautarisé contribue à l’édification d’une image unique, d’une cohésion entrepreneuriale ; et d’autre part, le recours à l’anglais permet aux responsables postaux d’éviter des querelles communautaires (Javeau 1997 : 256), voire une crise politique en tant que rupture de l’équilibre entre les langues. Autrement dit, nous pourrions nommer le choix de l’anglais comme l’usage d’une langue du « compromis » puisqu’elle permet de ne pas favoriser un idiome officiel au détriment des deux autres (Collonval 2013 ; Wéry 2014 : 11) et comme une évolution de l’entreprise qui se manifeste par un changement de nom et une nouvelle stratégie de communication (Libaert et Westphalen 2012 : 462-467), entre autres.
39Cette anglicisation et le respect des lois linguistiques peuvent se comprendre dans une dynamique d’adaptation aux publics ciblés, dynamique qui s’inscrit, pour la SNCB et Bpost, dans un contexte de libéralisation de leurs marchés. Les dirigeants souhaitent garder une entreprise productive et contenter le plus grand nombre de locuteurs, qui sont de potentiels clients. En outre, les trois entreprises étudiées sont publiques. Leur gestion a donc une dimension politique : les responsables doivent non seulement satisfaire les clients du point de vue économique, mais aussi les attentes d’un contrat de gestion défini politiquement. Après la crise de 2011, un équilibre politique est retrouvé, mais tout élément perturbateur, comme la rupture de la répartition des langues officielles, peut apparaître comme une menace, voire comme une crise politique potentielle.
40Nous pourrions comprendre la présence progressive de cette langue germanique comme l’illustration d’un nouveau besoin de trouver des moyens pragmatiques pour gérer des espaces entrepreneuriaux partagés par les membres de plusieurs Communautés linguistiques. Et ce réaménagement assure une stabilité dans un pays plurilingue (Klinkenberg 2015, 114). Nous en déduisons que les trois entreprises publiques, par les stratégies linguistiques mises en place, tentent de rester « neutres » et de ne pas manifester un lien pour l’une ou l’autre des Communautés belges. L’alternance, la parité et le recours à une langue tierce sont, à notre avis, les trois caractéristiques des politiques linguistiques développées au sein des trois entreprises en vue de ne pas entraîner une nouvelle crise politique ou de vivre une crise économique plus importante.
Conclusion
41Notre enquête comparative des pratiques linguistiques de trois entreprises publiques belges nous permet de mettre en évidence un changement communicationnel : l’apparition progressive de l’anglais dès le xxie siècle dans les communications interne et externe d’espaces économiques belges. Ce processus s’accompagne d’une renomination des noms d’entreprise (Bpost, Belgianrail), des secteurs et des fonctions, ainsi qu’une nomination des produits et des services à l’aide d’items anglais. Nous pourrions y voir une sorte de stratégie économique : l’anglais fait-il plus « vendre » ? Cette question pourrait faire l’objet d’un futur travail. Lors de notre étude entrepreneuriale, nous remarquons des transformations dans les pratiques linguistiques des professionnels, mais elles sont peu fréquentes. Les échanges se font encore dans les langues officielles belges dans le respect des lois linguistiques. Cette pratique peut s’expliquer, selon nous, par le fait que les documents et les noms des produits doivent être compréhensibles par le public auquel ils sont adressés (Klinkenberg, 2015 : 11-12).
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Notes
1 Nous entendons le terme crise comme une « situation de trouble profond dans laquelle se trouve la société ou un groupe social et laissant craindre ou espérer un changement profond » (CNRTL 2012). Autrement dit, un équilibre est rompu plus ou moins temporairement et ce déséquilibre sera résolu plus ou moins rapidement. Il en résulte donc un changement. Nous optons pour une définition plus élargie que celle utilisée en médecine, à savoir qu’une crise est un « ensemble des phénomènes pathologiques se manifestant de façon brusque et intense, mais pendant une période limitée, et laissant prévoir un changement généralement décisif, en bien ou en mal, dans l’évolution d’une maladie » (CNRTL 2012). Le caractère brusque et momentanément laisse place — si vous me passez l’expression — au trouble et à la difficulté de l’événement critique. En Belgique, la situation politique se caractérise par un certain équilibre qui pourrait être rompu par tout élément perturbateur, comme l’usage des idiomes officiels allant à l’encontre des prescrits constitutionnels. Les langues et leurs emplois constituent une dimension centrale et « sensible » de l’équilibre politique en Belgique.
2 Cette observation de terrain nous a permis de collecter des annonces dans quelques véhicules de la STIB, des affiches publicitaires et des autocollants de l’entreprise, entre autres.
3 Les observations réalisées de la SNCB reposent sur les annonces orales et écrites dans les véhicules et les gares.
4 La communication interne « englobe l’ensemble des actes de communication qui se produisent à l’intérieur de l’entreprise » (Libaert et Westphalen 2012 : 225-226).
5 Les données présentées dans le présent article concernant Bpost sont issues des deux sources suivantes :
S. Collonval (2013), Comprendre la corrélation entre la dimension linguistique et la dimension sociale au sein d’une communauté professionnelle hiérarchisée : enquête ethnographique dans l’entreprise Bpost, Louvain-la-Neuve, Université Catholique de Louvain, Mémoire de master.
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6 Nous avons collecté peu d’interactions de « front office », c’est-à-dire des échanges entre un employé ou cadre et un client (Boutet 2001 : 30), des interactions issues de l’ordre de la communication externe.
7 Les données présentées dans le présent article concernant la STIB sont issues des sources suivantes :
Du Brulle, C. (24 novembre 2014), « Baptiser les stations de métro n’est pas un acte anodin. Podcast », dans Daily Science, en ligne, repéré dans http://dailyscience.be/2014/11/24/baptiser-les-stations-de-metro-nest-pas-un-acte-anodin/ (page consultée le 28 février 2017).
« Équilibre linguistique : quand la SNCB et la STIB en perdent leur latin » (25 août 2012), dans LeSoir.be, en ligne, repérée dans http://www.lesoir.be/57561/article/actualite/belgique/2012-08-27/equilibre-linguistique-quand-sncb-et-stib-en-perdent-leur-latin (page consultée le 25 avril 2016).
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8 L’ensemble des documents qui nous ont permis de constituer notre corpus est mentionné ci-dessous :
Demonty, B. (13 juillet 2006), « Entre Zaventem et Bruxelles, do you speak English? Non, neen », dans Le Soir.be, en ligne, repéré dans http://archives.lesoir.be/m/entre-zaventem-et-bruxelles-do-you-speak-english-non-ne_t-20060713-005UHF.html (page consultée le 3 mars 2017).
« Équilibre linguistique : quand la SNCB et la STIB en perdent leur latin » (25 août 2012), dans LeSoir.be, en ligne, repérée dans http://www.lesoir.be/57561/article/actualite/belgique/2012-08-27/equilibre-linguistique-quand-sncb-et-stib-en-perdent-leur-latin (page consultée le 25 avril 2016).
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9 Le principe politico-linguistique mis en avant dès les années 1930 est celui de territorialité. Ce choix de répartition spatiale amène à des situations de tension comme le souligne Els Witte : « quand les lois linguistiques prennent comme point de départ le monolinguisme des régions, elles encouragent naturellement la tendance à se retrancher derrière des frontières sûres au sein de la communauté de statut non dominant. D’où les querelles pour savoir si une région appartient ou non à une région linguistique homogène, un problème qui reste en suspens jusqu’à aujourd’hui en Belgique » (2011 : 45).
10 Loi du 8 novembre 1962 modifiant les limites des provinces, arrondissements et communes, et modifiant la loi du 28 juin 1932 sur l’emploi des langues en matière administrative et la loi du 14 juillet 1932 concernant le régime linguistique de l’enseignement primaire et de l’enseignement moyen, M.B., 22 novembre 1962 ; loi du 2 août 1963 sur l’emploi des langues en matière administrative, M.B., 22 août 1963.
11 Nous optons pour l’appellation « Communauté française » et non pour la nouvelle dénomination « Fédération Wallonie-Bruxelles », qui est officieuse puisqu’elle n’est pas présente dans la Constitution belge (Van Wynsberghe 2013 : 63).
12 En effet, « ces régions linguistiques ne sont pas des entités fédérées disposant de compétences autonomes, mais des subdivisions territoriales. Par conséquent, les régions linguistiques n’ont pas de gouvernement ni de parlement, mais sont uniquement des délimitations au sein de l’état [sic] belge. […] Cette délimitation en régions linguistiques est cruciale pour le régime belge. […] La délimitation de la compétence territoriale des entités fédérées se base également sur les régions linguistiques » (Vuye 2010 : 10). En outre, si ces régions se caractérisent par une répartition territoriale, chaque commune fait partie d’une région linguistique (Vuye 2010 : 29-30).
13 Le niveau fédéral couvre, entre autres, les domaines de la justice et de l’armée (Lagasse 2007).
14 « L’autorité peut uniquement limiter la liberté linguistique dans les domaines énumérés de manière limitative dans la Constitution : les actes de l’autorité publique et les affaires administratives ; les affaires judiciaires ; l’enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par l’autorité ; les relations sociales entre les employeurs et leur personnel, ainsi que les actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règlements » (Vuye 2010 : 29).
15 Nous nous arrêtons un instant sur les termes bipolaire et centrifuge. Selon Min Reuchamps, en Belgique, la « vision bipolaire [nous soulignons] est tempérée, d’un côté, par une grande diversité des attitudes et des opinions au sein de chacune de ces deux Communautés et les ponts qui existent entre celles-ci et, de l’autre côté, par d’autres dynamiques notamment idéologiques et socio-économiques également à l’œuvre » (Reuchamps 2013 : 35). Quant au caractère centrifuge, il renvoie au « moteur de la transformation fédérale de la Belgique sous l’impulsion du fédéralisme dualiste — malgré certaines forces centripètes voire unitaristes […] — [qui] est la fédération ou, plus correctement, la défédéralisation des compétences du gouvernement national devenu fédéral vers les entités fédérées afin d’augmenter leur autonomie » (Reuchamps 2013 : 35-36).
16 Ces exemples sont issus de l’étude de Margaux Wéry (2014 : 63-66) comme les précédents qui sont, eux, encore observables sur le site de l’entreprise (Wéry 2014 : 49-52).
17 Nous n’évoquerons pas les articles de périodiques portant sur l’appellation « Brussel-Nationaal-Luchthaven » des années 2011 et 2012.
18 Un autre exemple peut être mentionné : celui du train Ostende-Charleroi. « Dans un premier temps, les messages à destination des voyageurs seront délivrés en néerlandais d’Ostende jusqu’à Bruxelles [région de langue néerlandaise]. Dans un second temps, les messages seront bilingues dans la Région bruxelloise, puis seront de nouveau en néerlandais à la sortie de cette région jusqu’à la frontière francophone où finalement, les communications seront faites en français jusque Charleroi » (Wéry 2014 : 42).
19 Les responsables de la SNCB ont même établi une « jurisprudence [concernant les annonces en gares bruxelloises]. Aux gares de Bruxelles-Nord, Bruxelles-Congrès, Bruxelles-Ouest, Schaerbeek, Haren, Bordet, Evere et Meiser, c’est le néerlandais qui vient en premier [et qui est suivi par une annonce en français]. Pour les gares de Bruxelles-Luxembourg, Bruxelles-Schuman, Etterbeek, Mérode, Delta, Boondael, Uccle-Calvoet, Uccle-Stalle, Forest-Est, Forest-Midi, Vivier d’Oie et Saint-Job, c’est le français [suivi du néerlandais] » (Renette 2012). À cette seconde liste de gares, nous ajoutons Bruxelles-Midi étant donné les observations réalisées.
20 La double ligne rejoignant les arrêts d’Étangs noirs à Maelbeek illustre les lignes 1 et 5 de métro. La double liaison De Brouckère-Lemonnier est réalisée par un prémétro. Quant aux deux lignes de Madou à Louise, ce sont les lignes 2 et 6 de métro. L’ensemble de ces informations sont issues du document électronique suivant : STIB (2017), Plan du réseau Métro et CHRONO, dans STIB.be, en ligne, repérée dans www.stib-mivb.be/irj/go/km/docs/WEBSITE_RES/Attachments/Network/Plan/Net_Reseau/Plan_Metro_Train_20161110.pdf (page consultée le 28 février 2017). Nous laissons de côté la double ligne reliant Bruxelles-Chapelle à Bruxelles-Congrès parce que ce sont des lignes de train de la SNCB.
21 Nos exemples ne sont pas exhaustifs. Nous postulons d’ailleurs sur la base des propos d’Aurore Peignois (2012) et de Mathieu Ladevèze (2006) que des panneaux d’affichage et de signalisation en anglais existent dans l’espace économique de la STIB. Il serait intéressant d’approfondir nos observations au moyen d’une future enquête ethnolinguistique.
22 Si nous réfléchissons au rôle des équilibres linguistiques pour éviter les crises politiques, les problèmes que provoquerait le choix d’une langue officielle (au détriment des deux autres) excéderaient les avantages.
23 En effet, « l’activité de renomination est permanente : dans les collèges, les écoles, les lieux de travail, les associations, les syndicats, on consacre une énergie non négligeable à dire les choses autrement, à inventer de nouveaux mots pour désigner autrement le monde qui nous entoure » (Boutet 2016 : 106).
24 Nous mentionnons également la nomination puisque, par la suite, de nouveaux produits et services apparaissent et qu’ils se caractérisent par des appellations anglaises, et non plus françaises : best practice, do my move, etc.