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- Volume 7 (2023) : Usages de la déviance
- Exclure l’hérésie, bâtir l’orthodoxie selon Théodore de Bèze (De haereticis, 1554)
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Exclure l’hérésie, bâtir l’orthodoxie selon Théodore de Bèze (De haereticis, 1554)
Résumé
En 1553, l’exécution de Michel Servet à Genève attise la polémique sur la légitimité du pouvoir civil à punir (de mort) les hérétiques. Cette controverse offre des matériaux privilégiés à la compréhension des tensions interreligieuses du xvie siècle. Parmi ceux-ci, la présente contribution se focalise sur le traité De haereticis du théologien réformé Théodore de Bèze. Elle examinera trois niveaux discursifs – violence verbale, administration du vrai et martyrologie du diable – employés par Bèze afin de stigmatiser Servet comme déviant. Dans une approche interactionniste des rapports entre orthodoxie et hérésie, une attention particulière sera portée à la manière dont l’une se définit et s’institutionnalise en excluant l’autre.
Tabla de contenidos
1Au xvie siècle, la chrétienté occidentale se parcellise au fil de l’émergence des mouvements réformateurs protestants. S’affranchissant progressivement de l’Église catholique romaine, plusieurs grands ensembles confessionnels se dessinent. La Réforme, non uniforme, comprend ainsi entre autres les luthériens, les calvinistes et les anglicans. Ces protestantismes cherchent ensuite à contester aux catholiques romains qu’ils qualifient de « papistes » leur prétention au catholicisme (au sens étymologique de catholicos, « universel »). Sur la scène religieuse européenne, on débat donc sur la Vérité, sur Dieu, alors que chaque confession a sa vérité, son Dieu, et n’entend les remettre en question sous aucun prétexte. Dès lors, toute divergence à la vérité d’autrui lui paraît fausse, erronée et, ipso facto, contraire, adversaire1.
2Bien entendu, les catholiques romains, et parmi eux le roi de France, ne comptent pas laisser libre cours à ces mouvements réformateurs qu’ils jugent séditieux et hérétiques : ils pourchassent les protestants et, si ceux-ci refusent d’abjurer leur foi nouvelle, les livrent aux flammes. À partir du début des années 1520, les premiers bûchers de protestants s’allument en Europe. Toutefois, la multiplication des brûlements ne parvient pas à endiguer l’émergence des Églises protestantes, au contraire : les fidèles réformés érigent leurs coreligionnaires exécutés en « témoins du Christ », en « martyrs2 » morts pour leur foi. Les réformes confessionnelles s’enracinent et s’appuient pour ce faire sur la mémoire de leurs martyrs, qui deviennent un ciment de construction identitaire3. À titre d’exemple, Théodore de Bèze (1519-1605) fait montre d’une grande sensibilité à la mort des fidèles pour leur foi sur les bûchers royaux. En témoigne par exemple cette lettre à Heinrich Bullinger, réformateur à la tête de l’Église de Zurich et l’un des pères spirituels de Bèze. Le destinateur évoque le sort des célèbres martyrs de Chambéry, en 1555 :
[…] cinq excellents frères ont été pendus et brûlés parmi lesquels deux étaient d’une piété exemplaire et d’une érudition peu banale. […] Mais il est bon que ceux-ci aient reconnu le Christ de manière très constante jusqu’à leur tout dernier souffle à tel point que le peuple frémissait contre les juges4.
3Bèze et ses coreligionnaires admirent la piété des martyrs, qui refusent de renier leur foi et confessent le nom du Christ sur le bûcher. Leur constance est telle qu’elle frappe de stupeur l’assemblée présente ; elle revêt une puissante valeur d’exemplarité. La construction identitaire fondée sur la mémoire des martyrs participe d’un processus d’institutionnalisation, au sens que Boltanski donne à l’institution, « être sans corps » capable, dans ses fonctions sémantiques, de « dire ce qu’il en est de ce qui est5 ».
4En marge des protestantismes en voie d’institutionnalisation, on peut encore identifier des minorités isolées sur le plan théologique. Les réformés désignent leurs propres hérétiques, qui sont également considérés comme tels par les catholiques romains et par les autres confessions protestantes majoritaires. De même, le schéma de persécution observable entre catholiques romains et protestants tend à se répéter entre réformés majoritaires et réformés radicaux. Dès lors, point essentiel pour notre propos, les minorités religieuses périprotestantes sont susceptibles, elles aussi, de revendiquer des martyrs.
5Ces minorités refoulées par les protestants, on les nomme aujourd’hui Réforme radicale6 ; elles comprennent notamment les spiritualistes7, les antitrinitaires8 et les anabaptistes9. Depuis leurs rangs, quelques penseurs (i.a., Castellion, Servet, Joris) osent se prononcer en faveur d’une relative tolérance religieuse. Cette prise de position les place immédiatement en porte-à-faux vis-à-vis des groupes confessionnels majoritaires, lesquels reçoivent leurs écrits comme des contestations de leur prétention au catholicisme. Les groupes majoritaires ne manquent pas alors de prendre ces détracteurs pour cible et de les refouler aux marges de leur communauté ecclésiale en les taxant de blasphème, de schisme et d’hérésie.
6Dans ces lignes, nous entendrons l’hérésie ou l’hétérodoxie comme une déviance religieuse, c’est-à-dire, en nous appropriant la conception que donne H.S. Becker de la déviance, le processus par lequel une minorité outrepasse certains principes théologiques établis par un groupe religieux majoritaire, groupe qui entreprend en retour de condamner cette transgression10. Historiquement, taxer l’adversaire d’hérétique revient déjà à l’exclure de la communauté des chrétiens, à le diaboliser et à le situer face à une orthodoxie, c’est-à-dire une « doctrine » « véritable11 ». L’étude de la littérature polémique qui alimente les controverses religieuses renseigne sur un double processus de construction identitaire en vis-à-vis : prétendre à l’orthodoxie implique de dessiner les contours de l’identité de l’Autre et, ce faisant, renseigne sur l’établissement de sa propre doctrine. C’est donc aussi en termes interactionnistes que doit être pensée l’institution qui nous intéresse dans l’affaire Servet et ses prolongements, c’est-à-dire l’orthodoxie défendue à Genève par Calvin, toujours germinante dans les années 1550. Nous qualifierons ici la doctrine de Calvin d’orthodoxie, premièrement, parce qu’elle est reconnue officiellement à Genève depuis la publication des Ordonnances ecclésiastiques de 1541 – bien que son enseignement demeure en cours d’élaboration12 –, deuxièmement, parce qu’elle tend à se désigner comme telle13, et, troisièmement, parce qu’elle entreprend de sanctionner quiconque contrevient à ses préceptes. Au terme du procès, le Petit Conseil – le Magistrat civil genevois14 – condamne les idées de Servet comme portant atteinte à la « vraie doctrine de Dieu » malgré le manque d’unanimité dont l’autorité de Calvin fait encore l’objet à Genève même15. Nous observerons comment, dans la polémique qui s’ensuit, la contribution de Bèze participe de l’institutionnalisation de la doctrine calvinienne.
7Aux yeux d’un Jean Calvin et d’un Théodore de Bèze, la déviance de Servet, aux tendances antitrinitaires et proches de l’anabaptisme sur certains points16, est donc synonyme d’hérésie. La terminologie qu’ils emploient à l’égard de leur adversaire vise à la fois à l’identifier (énonciation) et à le condamner (dénonciation).
Dans toute condamnation d’une « hérésie », dans tout établissement d’une « orthodoxie », se met en place un processus de différenciation dont les registres sont multiples : idéologique, social et politique. […] Ainsi, la désignation énonce et dénonce tout à la fois, soulignant l’altérité de l’errant comme pour se conforter dans la certitude d’être, quant à soi, dans la Vérité17.
8Dans ces lignes, nous nous attacherons ainsi à envisager comment Théodore de Bèze identifie et disqualifie son adversaire, en prêtant une attention toute particulière aux stratégies discursives qu’il déploie à cet effet. Gardant à l’esprit la dynamique interactionniste de la sociologie de la déviance, nous observerons la façon dont la dénonciation de l’altérité rejaillit en qualification positive, par défaut pourrait-on dire, sur l’orthodoxie en voie d’institutionnalisation18.
2. L’affaire Servet et la querelle de haereticis
9Afin de contextualiser la polémique sur la punition des hérétiques dans laquelle se cristallise la tension entre orthodoxie réformée et déviance religieuse, il convient de présenter brièvement les principaux acteurs qui interviennent dans l’affaire Servet et ses prolongements.
2.1. Michel Servet
10Ne se réclamant d’aucune Église sur le plan institutionnel, le théologien espagnol Michel Servet publie plusieurs ouvrages qui causent des remous tant chez les catholiques romains que chez les protestants. C’est particulièrement le cas de sa Christianismi Restitutio. Le traité soutient un vaste projet de « restitution » du christianisme dans son état originel, déchargé, entre autres, du dogme de la Trinité parce qu’il ne trouve pas d’ancrage biblique. Au cours des années 1545-1546, en parallèle de la rédaction, Servet échange des lettres avec Calvin à Genève : leurs vues divergent, le ton monte et les deux hommes en viennent à se détester. L’indépendance doctrinale de Servet ne lui ôte pas une profonde religiosité, d’inspiration globalement réformée. Calvin, lui, ne peut souffrir ni le statut marginal ni, surtout, la publication des thèses de Servet. La parution de la Restitutio, en janvier 1553 à Vienne (Dauphiné), pousse un partisan de Calvin à dénoncer l’auteur auprès des autorités viennoises, peut-être avec la complicité du réformateur lui-même19. L’inquisition fait arrêter Servet, mais il parvient à s’échapper. Le 17 juin, il est condamné in absentia et brûlé en effigie à Vienne.
11En cavale, Servet se montre assez téméraire pour se rendre à Genève alors que Calvin lui est absolument hostile. Il semble bien qu’il pense pouvoir défier son adversaire sur son propre terrain20. Démasqué le 13 août, Servet est emprisonné, mais le long procès qui s’ensuit manque bien de tourner en sa faveur, car il peut compter sur de puissants appuis locaux parmi le parti traditionaliste des Enfants de Genève opposé à Calvin21. Les magistrats genevois prennent soin de sonder les autorités civiles et religieuses des autres cantons protestants (Berne, Bâle, Zurich et Schaffhouse) ; toutes s’accordent sur la culpabilité de Servet, bien que certaines ne se prononcent pas sur la peine22. Au terme d’un véritable « duel public » qui manque bien de tourner en « procès de Calvin23 », le réformateur finit par l’emporter et obtient que Servet soit rendu coupable du « cas et crime d’hérésie griefz et détestable et méritant grieve punition corporelle » et condamné à être brûlé vif24. Le lendemain, 27 octobre, les flammes de son bûcher s’élèvent depuis le crêt de Champel.
12À la vérité, l’exécution de Servet à Genève ne semble guère diverger du supplice d’un martyr protestant orthodoxe, dont Bèze et Calvin auraient loué la constance au milieu des flammes. Un risque plane : l’amalgame entre le martyr et l’hérétique, entre la mort pour la bonne foi et la mort pour une foi jugée mauvaise (selon Calvin et Bèze). Effectivement, certains réformés radicaux tendent à présenter Servet comme un martyr25. La confusion entre hérétique et martyr est donc l’un des enjeux essentiels de la polémique.
2.2. Jean Calvin
13Calvin a mené frontalement la « dispute » théologique contre son adversaire26. Si le réformateur a su faire montre, au cours du procès, de son habileté à infléchir le jugement du Magistrat en sa faveur malgré les vents contraires27, sa victoire est loin d’être incontestée. Le « procès de Calvin » se poursuit par rumeurs et par plumes. Ses contempteurs lui font porter la pleine responsabilité de la dénonciation auprès de l’inquisition française et de la mise à mort de Servet. L’Historia de morte Serveti, un pamphlet bâlois rédigé dans les semaines qui ont suivi l’exécution, peut-être de la main de Sébastien Castellion, présente un exemple représentatif de ces critiques : « Il y a des gens qui racontent que, quand il vit que Servet était conduit au supplice, Calvin rit sous cape, en dissimulant partiellement son visage sous le revers de son manteau28. » Les cendres de Servet ne sont donc pas encore refroidies qu’une guerre de plumes éclate sur la question de la punition de l’hérétique.
14Calvin entreprend de justifier la sentence et sa propre conduite au cours du procès dans la Defensio orthodoxae fidei de sacra Trinitate, traduite peu après sous le titre Declaration pour maintenir la vraye foy29. Le titre et les premières pages sont clairs : Calvin entend « se poser – et poser Genève – » en protecteur de l’orthodoxie au sujet du mystère de la Trinité30. Il y reconnaît la part qu’il a jouée dans l’accusation devant le Magistrat genevois, mais nie avoir cherché à mettre Servet à mort31. Le traité entend cependant dépasser ce débat, car, au-delà de la réfutation des calomnies, « on debat une question plus haute » : « s’il est licite aux princes et juges chrestiens de punir les heretiques32 ».
2.3. Les auteurs du De haereticis, an sint persequendi
15Le mois suivant, un ouvrage est publié à Bâle sous pseudonymes pour dénoncer la punition de l’hérétique par le Magistrat comme une injustice. Il s’agit du De haereticis, an sint persequendi, « Des hérétiques, et s’ils doivent être persécutés33 ».
16Interviennent ici de nouveaux acteurs, dont Sébastien Castellion. Exilé à Bâle depuis sa brouille théologique avec Calvin et la Compagnie des pasteurs de Genève (1544), Castellion fait figure de ce que la sociologie des religions pourrait qualifier d’exiter : il a quitté l’institution ecclésiale34. Comme Servet, il est un Church none35, sans attache institutionnelle. Ses vues sur l’obscurité des Écritures36 et sa marginalisation le placent en porte-à-faux vis-à-vis de Genève. Lorsque survient la mort de Servet, il se fait l’avocat de sa cause : son De haereticis est à Servet ce que le Traité sur la tolérance de Voltaire sera à Jean Calas.
17Le De haereticis, an sint persequendi se présente sous la forme d’un farrago, une compilation d’extraits d’auteurs « tant anciens, que modernes » : Luther, Jean Brentz, Augustin… et même Calvin ! Castellion a rédigé la préface (sous le pseudonyme de Martin Bellie37) et un chapitre réfutant la proposition exposée dans les Decades (1549) de Bullinger sur la légitime répression de l’hérétique par le Magistrat (sous le pseudonyme de Basile Montfort) ; d’autres, comme l’anabaptiste David Joris38, ont probablement mis la main à l’ouvrage. Le recueil défend l’idée qu’il n’est pas licite de punir de mort les hérétiques : ce pouvoir appartient à Dieu seul. Quant au contexte de publication, et malgré le silence sur les récents événements, tout lecteur est en mesure de comprendre que derrière les hérétiques injustement mis à mort se trouve, à peine voilé, le nom de Servet, et que ceux qui sont blâmés comme excitateurs des persécutions ne désignent nul autre que Calvin.
2.4. Théodore de Bèze
18Lorsqu’éclate l’affaire Servet fin 1553, Théodore de Bèze enseigne le grec à l’Académie de Lausanne depuis fin 1549. En 1548, il avait renoncé à une carrière prometteuse dans les lettres à Paris en se convertissant à la Réforme. En l’espace de deux ou trois ans, Bèze est devenu l’une des figures majeures de la Réforme protestante en Suisse39. Du sommet de sa chaire, il s’emploie à forger ses armes théologiques dans le moule calvinien40. La publication, en 1553, d’un pamphlet théologique, l’Epistola Magistri Benedicti Passavantii, a fortement contribué à sa renommée parmi ses pairs : dès lors, le poète se double d’un théologien41.
19Rédigées dans l’ignorance l’une de l’autre, la justification de Calvin et la dénonciation de Castellion ne font que se croiser42. Du côté des partisans de Calvin, il manque une réponse structurée au De haereticis, an sint persequendi. Et qui de plus qualifié que Théodore de Bèze pour soutenir les Decades et la Defensio en réfutant la compilation de Castellion et consorts ? Polémiste déjà redouté pour sa plume acérée, théologien pleinement acquis à la cause de Calvin et convaincu de la nécessité d’exécuter Servet, il est tout désigné pour la tâche.
3. La réponse de Bèze
20Bèze a suivi le procès de Servet à distance, depuis Lausanne, sans doute grâce à sa correspondance avec Calvin, qui ne nous est pas parvenue pour cette période. Les lettres qu’il a expédiées à Bullinger pour tenir celui-ci au courant de l’affaire nous le montrent très au fait de la situation à Genève. Dans ces missives, Servet est clairement identifié comme une menace qui a « mis en pièces d’une manière monstrueuse le sacro-saint mystère de la Trinité » et doit être éradiquée pour la sûreté de l’Église43. Bèze et Bullinger sont inquiets : l’issue du procès semble incertaine, et « certains Genevois » (les Enfants de Genève) se sont employés à « renverser la discipline ecclésiastique ». En fin de compte, le « parti des hommes pieux » (melior pars) groupé autour de Calvin l’emporte et Servet est condamné44.
21Bèze prend rapidement connaissance du De haereticis, an sint persequendi. Dès le 29 mars 1554, il affirme à Bullinger sa ferme intention d’y répondre45. Une lecture plus approfondie du traité, « farci », écrit-il à Bullinger, « de bêtises et de blasphèmes », lui confirme la nécessité impérieuse d’une réplique46. Son ouvrage paraît à la fin de l’été 1554 sous le titre De haereticis a civili Magistratu puniendis, « Que les hérétiques doivent être punis par le Magistrat47 ».
22Dans sa réfutation, Bèze a recours à plusieurs procédés discursifs (pathos, reductio ad absurdum, argumentation ad hominem, etc.). Dans ces lignes, nous en épinglerons trois, dont l’articulation dénonce Servet comme déviant et sanctionne son rapport à la doctrine calvinienne : la véhémence verbale (par l’insulte et l’ironie), la rhétorique de la vérité et l’anti-martyrologie. Les deux premiers niveaux dialectiques (dialectiques en ce qu’ils structurent le raisonnement bézien) sont pour bonne partie d’application dans la disqualification des auteurs du De haereticis, an sint persequendi, que nous avons choisi de ne pas aborder ici. Tous trois sont également présents (le troisième dans une moindre mesure) dans la Defensio de Calvin, ce qui n’empêche pas le De haereticis bézien d’y apporter une plus-value significative, comme nous allons le voir.
3.1. Ostracisation verbale
23Le premier niveau dialectique retenu intègre la violence verbale, registre discursif auxiliaire de la polémique48, et le dispositif de l’ironie. Sous la plume de Bèze, les qualificatifs apposés au nom de Servet sont systématiquement accablants. À l’origine, l’auteur ne pensait pas devoir recourir à de telles extrémités, mais nécessité fait loi, comme il s’en confie à Bullinger :
En effet, ils [les auteurs du De haereticis, an sint persequendi] ébranlent ouvertement la religion tout entière depuis ses fondements. C’est pourquoi en répondant je me suis efforcé d’être beaucoup plus long et beaucoup plus acerbe que ce que j’avais pensé49.
24Le polémiste s’y emploie avec véhémence. Servet, dans le De haereticis bézien, devient « ce vilein et detestable heretique », « ce mal heureux, le plus plein d’impieté et de blaspheme de tous les hommes qui furent jamais », « cest execrable », « ce monstre horrible50 », etc. Le recours fréquent au pronom démonstratif « ille » marque l’éloignement et renforce l’exclusion. Au xvie siècle, la proscription lexicale est reconnue légitime si elle fait retour à une profonde vexation ou, plus encore, à des blasphèmes énormes, au scandale public défini par Calvin51. Dès lors, toute licence verbale est autorisée pour disqualifier le danger suprême que constitue l’agression faite à la doctrine.
25La véhémence passe aussi par le sarcasme, lequel permet de tourner l’adversaire et ses avocats en ridicule. Le recours à ce dispositif se traduit par une réduction du champ lexical des qualificatifs. Bèze fait ainsi un usage intensif des mélioratifs « bon » et « beau » sur un ton moqueur. La simplicité du vocabulaire et son contraste avec les invectives parmi lesquelles il prend place invalident le sens littéral de l’énoncé et dirigent le lecteur vers le sens construit de l’ironie, qui est précisément contraire au sens littéral. Par exemple, Bèze réfute comme suit l’idée de ses adversaires selon laquelle :
« Pour ce, disent-ils, que ceux qui aiment mieux mourir que de dire ce qu’ils n’ont pas sur le cœur sont les gens les plus obeissans de tous52. » C’est certes une belle obeissance quand un homme est tellement attaché à son opinion que mesme estant convaincu par la parole de Dieu [c’est-à-dire, par les ministres l’admonestant] il se laisse plustost mettre à mort que de changer, comme s’il n’y avoit point de difference entre constance et obstination ou opiniatrete. Le Magistrat commandera que les sujets se mettent en armes : il se trouvera un anabaptiste qui conttedira [sic] et aimera mieux mourir que de cesser de crier qu’il n’est pas permis aux chrestenis [sic] de mener guerre. Ainsi voyla une sedition esmeue, dont s’ensuyvra, entant qu’en luy est, une ruine de toute la Republique. Ne voyla pas un singulier exemple d’obeissance53 ?
26Dans cet extrait, Bèze commence par énoncer la thèse adverse puis la déplie avec ironie. Si obedientia est un terme neutre, le mélioratif eximia (« excellente », « remarquable ») pousse le lecteur à la rattacher à la pertinacia (« opiniâtreté », connoté péjorativement) plutôt qu’à la constantia (« constance », connoté positivement). Comme de manière prescriptive, l’auteur propose ensuite en exemple un anabaptiste qui s’obstine dans son refus d’obéir au Magistrat, et avertit que laisser le champ libre à une telle sédition mènera à la ruine du salut public. Enfin, la question oratoire, lancée de façon sarcastique, incite de nouveau le lecteur à prendre position. La stratégie ironique génère une contrainte interprétative pour le lecteur : il se voit forcé d’adhérer au point de vue de l’auteur, à moins de se retrouver dans la position de la cible de l’ironie54. Dans cette alternative manichéenne, le lecteur est comme pris en otage et n’a pas d’autre choix, pour ne pas perdre la face, que celui de consentir au sens construit. Inférer spontanément et sans résistance le sens construit, souscrire à l’exclusion de Servet comme déviant, c’est en outre se rattacher à la « communauté interprétative » des partisans de la doctrine calvinienne, le public privilégié du De haereticis bézien55. De connivence avec l’auteur dont il partage les vues, le lecteur endosse à son tour la « responsabilité idéologique du texte56 ».
27Avec condescendance, Bèze s’adresse aux auteurs du De haereticis, an sint persequendi :
Mais je croy que je m’appercoy de quelque chose qui vous esmeut bien d’avantage, ascavoir la pitoyable execution des poures innocens, c’est-à-dire des Anabaptistes, et puis la mort tant cruelle de vostre bon petit cher frere Servet57.
28Par l’utilisation soutenue du champ lexical de la pitié (miserabilis, illa innocentum hominum, Serveti boni illius vestri fraterculi, mors crudelissima), Bèze incite au renversement interprétatif. Ces mots, on aurait tout autant pu les écrire, ton sarcastique mis à part, au sujet d’un « vrai martyr de Dieu ». C’est ce qui explique le rôle essentiel joué par l’ironie dans l’économie discursive du De haereticis bézien.
3.2. L’administration du vrai
29Le deuxième niveau dialectique se fonde sur le rapport à l’« erreur », l’« administration du vrai ». Le traité de Bèze titre en effet adversus Martini Bellii farraginem et novorum Academicorum sectam (« Martin Bellie » est l’un des pseudonymes employés par Castellion). Dans sa préface à la traduction française, Nicolas Colladon se sent le besoin d’expliquer ce que l’auteur entend par « Académiques » : le terme fait référence à l’Académie platonicienne à Athènes, au sein de laquelle on ne concevait pas que l’homme puisse atteindre la vérité, ce que Colladon juge « absurde et ridicule58 ». Au xvie siècle, les « nouveaux Académiques », qui acceptent la coexistence de plusieurs opinions en matière religieuse, sont les apôtres du scepticisme et les avocats de la clémence (patrones clementiae) envers les hérétiques. Au contraire, Calvin (et Bèze à sa suite) associe Vérité et certitude. L’un des nœuds de l’intransigeance calvinienne réside dans la conviction d’une vocation divine. Parce qu’il est inspiré par la Parole, Calvin ne peut pas se tromper. Dès lors, commettre une erreur en matière de théologie n’est jamais une option : Servet devait avoir tort59. Castellion, lui, déplore cette administration de la vérité, ce qui lui vaut d’être fustigé comme « nouvel Académique ». Entre autres passages, il écrit, en préface du De haereticis, an sint persequendi :
Car les hommes étant enflés de cette science, ou plutôt de cette fausse opinion de science, déprisent hautainement les autres au prix d’eux, et s’en suit tantôt après cet orgueil cruauté et persécution, en sorte que nul ne veut plus endurer l’autre s’il est discordant en quelque chose avec lui, comme s’il n’y avait pas aujourd’hui quasi autant d’hommes que d’opinions60.
30De même, les positions de Castellion et des partisans de Calvin divergent sur leur conception de l’hérésie. Ce désaccord est fondamental dans la controverse qui oppose Bèze à Castellion. Selon Bèze, l’hérésie est immédiatement associée à l’idée d’action : elle touche ceux qui « tienent comme eschole de leur apostasie » et, par là même, mènent la « guerre civile contre la doctrine receue en l’Église61 ». La transgression, perçue comme une agression spirituelle, de la doctrine justifie la stigmatisation de l’hérésie et sa répression. La définition de Castellion est quant à elle beaucoup plus large et, surtout, peu engagée : « nous estimons hérétiques tous ceux qui ne s’accordent pas avec nous en notre opinion62. » Cette divergence d’opinions paraît de bien peu d’importance à Castellion en regard du dénominateur commun que constitue l’appartenance à l’Ecclesia chrétienne, qui regroupe les fidèles indifféremment de toute confession ; ce liant est une « monnaie d’or » qui a cours partout, quelle que soit la devise : Dieu seul a le pouvoir de la rejeter63. La « monnaie d’or » de Castellion met en valeur l’aspect strictement relationnel de l’hérésie.
31Selon Bèze en revanche, il n’est qu’une seule Vérité, celle de Dieu. Par conséquent, de son point de vue, si Servet ne se soumet pas à la Vérité, à la doctrine calvinienne, il se positionne contre la Vérité. Cette vision péremptoire transparaît notamment dans son De haereticis après avoir évoqué les dernières paroles de Servet sur le bûcher alors que ses bourreaux l’exhortaient à la confession :
Et nous penserons que telles gens invoquent Christ ? Ja n’adviene64. Mesme au contraire, toutes fois et quantes qu’ils prononcent le nom de Christ, autant de fois le Fils de Dieu est par eux blasphemé, veu qu’ils prenent Christ non pas tel qu’il est et qu’il se declare à nous en sa Parole, mais tel qu’ils l’ont forgé entr’eux-mesmes, c’est-à-dire en lieu du vray et unique Christ se tienent obstineméement à une idole de leur cerveau65.
32Appliquée au martyre, l’administration calvinienne de la Vérité consiste à reprendre les mots bien connus d’Augustin : « martyrem non facit poena, sed causa », « ce n’est pas la peine qui fait le martyr, mais la cause66 ». La cause, c’est la Vérité, le Christ. La peine subie par les martyrs de Chambéry, entre autres, et par Servet est la même : la mort par le feu. Dans la Declaration pour maintenir la vraye foy, Calvin prenait soin de poser cette distinction :
En somme, comme un martyr et un blasphemateur accouplez en une semblable punition seront toutesfois bien differens, pource que l’un a bonne et juste cause et l’autre l’a mauvaise, ainsi la vraye intelligence et la droicte foy discerne les vrais zelateurs d’avec les fols et temeraires, lesquels ne sont que par leur cuider. Si on meine au gibet quelque meschant pource qu’il aura dict que toute l’Escriture saincte n’est que fable et mocquerie, qui est-ce qui n’auroit honte d’attribuer à un tel et si vilain monstre le tiltre honorable de martyr ? Car, comme saint Augustin le dit tres bien, c’est la cause qui fait les martyrs, non pas la punition67.
33Précisément, selon Bèze, Servet a crié dans les flammes : « Jésus, fils du Dieu éternel, aie pitié de moi » et non « Jésus, fils éternel de Dieu68 ». C’est là toute la différence, qui permet d’affirmer la cause de Servet mauvaise. Ne pas dire Christ éternel revient à mettre en question son essence divine. Selon le mystère de la Trinité, le Dieu unique se décline en trois personnes d’une même essence divine : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Servet, lui, ne reconnaît pas que le Fils participe de la même essence que le Père. Par conséquent, s’il n’est pas pour le (vrai) Christ, il est contre lui (Mt 12, 30 ; Lc 11, 23), contre la Vérité et, de ce fait, hors l’Église.
3.3. Le « martyre du diable »
34L’affaire Servet prend lieu dans le paysage funéraire du début des années 1550 : la répression par les flammes s’est accentuée depuis l’édit de Châteaubriant en 155169. Dans ce contexte, le risque que l’on rapproche Servet des martyrs réformés soulève la nécessité de dissiper le brouillard qui plane sur la frontière entre martyr et hérétique. Servet a beau présenter toutes les apparences du martyr, il n’en a pas la cause. Lui et ses semblables, les anabaptistes, agissent à couvert, dissimulés, or le déguisement, le faux, est le propre du diable70. À l’image de son maître, Servet déploie des ruses, il dissimule. Bèze prend soin d’insister sur ce point en plusieurs passages du De haereticis, tant pour les soi-disant martyrs que pour leurs avocats, émissaires diaboliques (Satanae emissarii) qui agissent « sous couleur de piete » et publient sous pseudonymes, se gardant aussi de nommer la victime qu’ils défendent71. Se dessine alors une surenchère interprétative : il ne s’agit plus seulement de nier, à l’instar de Calvin72, que Servet soit un martyr, mais d’affirmer qu’il en est l’exact contraire ; Servet n’est pas un simple hérétique, il est bien pire que cela, il est la némésis du martyr de Dieu, un anti-martyr ; il est, dit Bèze, un « martyr du diable » :
Ce je te veux bien advertir, si tu ne le scais, que le diable aussi ha ses martyrs, comme sainct Augustin monstre fort bien, parlant de certains heretiques qui hors mis la cause ressembloyent en tout le reste aux martyrs de Dieu73.
35Si Bèze adresse cet avertissement à son adversaire Bellie (Castellion), le véritable destinataire n’est autre que le lecteur lui-même74. Le théologien prend soin d’insister sur l’aspect didactique de la citation d’Augustin (« Habet enim, si nescis… »), amplifié par Colladon dans la traduction française. C’est que l’enjeu est de taille : s’assurer que le lecteur, confronté au brûlement d’un nouveau Servet, ne soit pas dupe et se montre capable de distinguer le vrai du faux martyr, de révéler l’œuvre de Satan, connu comme le singe de Dieu. Diaboliser Servet, c’est encore inciter le lecteur « à la haine et à la peur » envers son comportement et ses opinions vus comme démoniaques ; c’est, aussi, l’ostraciser, car il est exclu de composer avec le démon75. « Même le diable a ses martyrs » : l’assertion tombe comme un couperet, elle tranche définitivement la question du statut de Servet.
36Le rejet de la déviance de Servet, processus filé tout au long du De haereticis bézien, peut dès lors atteindre son point d’orgue à la toute fin du traité, lorsque Bèze (dis)qualifie l’exécution de l’hérétique comme le « martyre de ce poure innocent Servet76 ». L’ironie est sans appel : le lecteur, entraîné à repérer ses marques tout au long du traité, saisit immédiatement la nécessité de renverser le sens de cet atermoiement feint. De plus, averti préalablement par la terrible mise en garde sur les martyrs du diable, il est désormais en mesure de démasquer lui-même le prétendu martyr. L’ironie, en effet, « se fonde sur l’idée que les rapports au monde et aux autres sont faits de dissimulation et de tromperie77 ». Elle apparaît ici comme une méthode heuristique, un moyen privilégié de révéler l’œuvre du diable, maître de la dissimulation. Dans l’anti-martyrologie, le martyr est un masque : Servet, sous couvert de mourir pour Dieu, cache l’action du diable78.
37Le De haereticis a civili Magistratu puniendis présente ainsi l’une des premières formulations du concept de « martyr du diable » dans l’espace réformé. Comment réfuter que les suppliciés adversaires sont des martyrs de Dieu ? Il suffit de les qualifier du contraire : « martyrs du diable79 ». L’expression passe dans le langage courant, à tel point qu’elle figure encore dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694) :
On dit abusivement que le diable a ses martyrs pour dire qu’il y a des gens qui, voulant paroistre devots pour tromper le monde, se damnent par des actions d’hipocrisie où ils se contraignent80.
38Le propos sur les « martyrs du diable » retient d’autant plus l’attention que Bèze ne peut pas parler ouvertement, en 1554, des « martyrs de Dieu » : les autorités civiles de Genève veillent à la censure pour ne pas indisposer leur allié le roi de France plus que nécessaire et les opposants de Calvin se méfient du possible développement d’un culte de l’exemplarité qui ramènerait le protestantisme au culte des saints81. Même dans la correspondance de Bèze sur les suppliciés de Chambéry, le mot « martyr » n’apparaît pas. Tant le destinateur que le destinataire savent toutefois que ces fidèles persécutés pour leur foi sont à considérer en témoins du Christ.
39Si Bèze peut difficilement construire un discours martyriel, il peut à l’inverse tenir un contre-discours qui dit en substance des réformés radicaux : leurs martyrs ne sont pas de vrais martyrs, ils appartiennent au diable. Image efficace, le diable constitue un « vecteur privilégié pour dire l’altérité82 », et de même ses suppôts, qui sont le masque de Satan83. C’est l’énonciation/dénonciation. La notion chrétienne de martyre n’a pas vocation première à être un épouvantail que l’on agite pour alerter le fidèle que le diable est à l’œuvre : au contraire, elle renvoie traditionnellement à l’image de Dieu (« le diable aussi ha ses martyrs », nous soulignons). Du jeu des masques et des renversements sémantiques, le lecteur qui partage les vues doctrinales de l’auteur est amené à inférer une autodétermination positive qui montre de façon significative comment la norme se différencie de la déviance qu’elle construit : nous avons ce que les autres n’ont pas, les vrais martyrs du Christ. L’implicite s’associe ici à l’herméneutique de l’ironie et aux autres modalités discursives de polarisation en contribuant à la formation d’une communauté interprétative qui fédère les partisans des doctrines réformées.
Conclusion
40Dans sa Defensio, Calvin a eu recours lui aussi à la rhétorique de rejet sur le thème du martyre, mais il s’agissait de dénier à Servet le statut de vrai martyr de Dieu plutôt que de lui en créer un nouveau ; dans son De haereticis, Bèze franchit ce pas. En ironisant sur le « martyr de Servet », Bèze énonce et dénonce à la fois l’altérité84. Il l’énonce, en ce qu’il décrit la fermeté dont fit preuve leur adversaire face à la mort ; il énonce, aussi, la prétention des partisans de Servet à se créer un martyr. Il dénonce, car il a eu le soin méthodique de tourner cette énonciation positive en ridicule ; il dénonce, car cette fermeté de Servet n’est pas selon lui la constance admirable des élus, mais une opiniâtreté diabolique, révélatrice de l’erreur et de la damnation ; il dénonce, enfin, car il ne voit pas en ce soi-disant martyr un vrai martyr de Dieu, mais un faux martyr (Calvin), un martyr du diable (Bèze) dont le propre est de revêtir l’apparence du vrai témoin du Christ pour tromper le spectateur et, comme le soutient métaphoriquement le réformateur, semer l’ivraie parmi le bon grain de l’Église85. Le De haereticis a civili Magistratu puniendis de Théodore de Bèze diabolise ainsi la déviance religieuse. Servet n’est déviant que dans la mesure où Bèze a intérêt à le présenter comme tel86. Une minorité – l’Église réformée genevoise – peut dès lors marginaliser une minorité moindre pour en tirer une forme de légitimation. Le recours au concept de martyre du diable révèle comment la doctrine de Calvin cherche à s’ériger elle-même en système de référence.
41Comme dans la plupart des ouvrages de controverse religieuse, le De haereticis bézien présente les trois composantes fondamentales de la polémique telles que les définit Ruth Amossy : la dichotomisation (l’opposition de thèses antithétiques), la polarisation (la rupture sociale abstraite entre un « nous » et un « ils ») et la dévalorisation de l’adversaire87. La proscription verbale met l’adversaire au ban de la communauté interprétative construite par l’ironie. L’administration théologique de la Vérité, quant à elle, rejette diamétralement les erreurs adverses et l’appel à la conciliation ; elle commande de toujours considérer le vrai et unique Christ conforme à la doctrine et de prêter une attention absolue à la cause du martyr. De même, l’introduction du Malin dans l’économie textuelle du martyre divise – c’est le sens étymologique de diable – l’espace religieux en deux pôles strictement opposés et inconciliables (celui de la Vérité et celui du masque fallacieux) et rassemble les fidèles autour du parti de Dieu88. La polarisation est poussée à l’extrême. Bèze déploie ces trois niveaux dialectiques contre les auteurs du De haereticis, an sint persequendi, mais, fait caractéristique de la polémique, l’auteur les adresse en réalité au lecteur et l’invite à prendre parti89.
42À ce sujet, le De haereticis bézien, à l’instar de la Defensio de Calvin, s’adresse prioritairement à un lectorat déjà acquis aux préceptes réformés orthodoxes. Il vise à dissiper leurs doutes et à les persuader de la nécessité absolue d’exécuter Servet. C’était un mal nécessaire, écrit Bèze : « solis flammis expiari », « il ne pouvait être purifié (ou racheté) que par les flammes seules90 ». Le polémiste entend aussi mobiliser les fidèles, en les incitant à l’action contre l’adversaire et en les armant pour ce faire d’un arsenal argumentatif solide ; il leur fournit également la méthode heuristique qui permet de distinguer l’élu de Dieu du suppôt du diable, au moyen de la cause du martyr. Autre fonction du traité, rassembler une communauté émotionnelle sous la bannière d’une orthodoxie réformée, calvinienne et zurichoise91. Faisant corps autour de la doctrine, l’ecclesia doit se dresser d’un bloc contre l’hérésie scandaleuse. Enfin, par la publication de son ouvrage, Bèze prend position dans le débat. Ce faisant, le théologien travaille à sa réputation : d’une part, il apporte le prestige de sa plume au parti de Calvin et de Bullinger, dont il se réclame avec une totale assurance ; d’autre part, son implication le place dans les bonnes grâces du Magistrat genevois (et bernois92) dont il légitime le pouvoir. En se positionnant de la sorte, Bèze contribue à décentraliser la polémique, que l’affaire Servet avait fixée autour de la figure de Calvin à Genève93.
43La condamnation de Servet avait été un moyen pour « Genève la réformée, tenue en France comme le repaire des “hérétiques” » d’afficher « son souci d’orthodoxie face aux “hérétiques” anabaptistes ou antitrinitaires94 ». Frédéric Amsler explique que c’est « surtout la justification » de l’exécution contenue dans la Defensio qui a produit « en quelque sorte un effet d’amorce de la mise en place du modèle calvinien des rapports entre l’Église et l’État à Genève » et de l’« “unanimisme” protestant genevois, terme par lequel nous entendons l’existence d’un puissant consensus religieux, voire d’un monolithisme théologique, garant de la cohésion sociale à Genève95 ». Au terme de cette étude, le De haereticis bézien nous semble participer de la même dynamique. À la suite de Calvin, Bèze a prolongé les effets de l’affaire Servet et s’est érigé en « entrepreneur de morale », selon les termes de Becker. Le (contre-)discours bézien dessine un double mouvement de différenciation (par l’expulsion de l’altérité) et de convergence (par la fédération d’une communauté interprétative) qui s’inscrit de façon déterminante dans le processus d’institutionnalisation de la doctrine réformée en tant qu’orthodoxie. L’institutionnalisation de cette norme-orthodoxie consiste pour celle-ci à se dire, à énoncer positivement ce qu’elle est. Cette institutionnalisation passe toutefois, d’abord et surtout, par le fait de dire la déviance-hétérodoxie, de l’énoncer et de la dénoncer, ce qui permet, entre les lignes, de dire ce qu’elle n’est pas, de s’énoncer négativement. Au terme de cette étude, la notion de déviance révèle sa pertinence comme outil herméneutique dans l’appréhension des conflits interreligieux du xvie siècle. C’est au travers de l’acception interactionniste de la notion que cette dernière permet de saisir, dans l’analyse des stratégies discursives et de leur déploiement (d)énonciatif, la dynamique d’institutionnalisation de la Réforme en tant qu’orthodoxie.
Notes
1 À ce titre, l’exemple de Noël Journet est éclairant : brûlé en 1582 à Metz, Journet semble avoir été condamné pour s’en être pris non à Dieu, mais au « Dieu de Calvin ». Berriot, F., Athéismes et athéistes au xvie siècle en France, Paris, Cerf, (1984), p. 244, 248 ; Hoffmann, G., « Littérature dissidente ou tributaire de la polémique réformée ? », dans Les Dossiers du Grihl, (2013) [en ligne], https://journals.openedition.org/dossiersgrihl/5570.
2 Dans ces lignes, nous opérons la distinction d’usage entre la personne, « martyr » (du grec martus, « témoin », transposé martyr en latin), et l’acte, « martyre » (du latin martyrium, tourments endurés par le martyr). Dans un emploi générique, nous privilégions l’acte à la personne.
3 Sur la martyrologie réformée française, qui se développe à partir de 1554, on se référera aux deux ouvrages de référence en la matière : El Kenz, D., Les Bûchers du roi : la culture protestante des martyrs (1523-1572), Seyssel, Champ Vallon, (1997) ; Lestringant, F., Lumières des martyrs. Essai sur le martyre au siècle des Réformes, Paris, H. Champion, (2004).
4 « […] suspensi et cremati sunt quinque optimi fratres, ex quibus duo erant singulari pietate et eruditione non vulgari. […] Verum bene habet quod illi constantissime ad extremum usque spiritum sint Christum professi, adeo ut plebs etiam in judices fremeret. » L. 67 à Bullinger, le 22 octobre 1555, dans de Bèze, T., Correspondance de Théodore de Bèze, recueillie par Hippolyte Aubert, t. I : 1539-1555, Meylan, H., Dufour, A., et Chimelli, C. (dir.), Genève, Droz, (1960), p. 180. Nous traduisons. Sur les martyrs de Chambéry, voir, i.a., El Kenz, D., « Les héros de la foi face aux juges ecclésiastiques et aux magistrats séculiers d’après l’Histoire des martyrs de Jean Crespin : des stratégies concurrentes », dans Bernat, C., et Bost, H. (dir.), Énoncer/Dénoncer l’autre : Discours et représentations du différend confessionnel à l’époque moderne, Turnhout, Brepols, (2012), p. 313-315.
5 Boltanski, L., « Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination », dans Tracés. Revue de Sciences humaines, hors-série 8 (2008), p. 26.
6 Williams, G.H., The Radical Reformation, 3e édition, Kirksville, Sixteenth Century Journal Publishers, (1992).
7 Les tendances spiritualistes de la Réforme radicale se caractérisent par le rejet d’une médiation matérielle et institutionnelle (Église visible, Écritures, sacrements, etc.) entre Dieu et la dévotion intérieure du fidèle. Emmet McLaughlin, R., « Spiritualism », dans Hillerbrand, H. (dir.), The Oxford Encyclopedia of the Reformation, New York/Oxford, Oxford University Press, vol. 4 (1996), p. 105-107 ; Kuhn, T.K., « Spiritualisme », trad. par Wezranowska-Jacot, V., dans Dictionnaire historique de la Suisse (2011) [en ligne], https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/026989/2011-07-11.
8 Les courants antitrinitaires dénient le fondement biblique de la Trinité (Père, Fils et Saint-Esprit), dogme fixé à l’occasion du concile de Nicée en 325. Au xvie siècle, l’antitrinitarisme est perçu comme un crime de religion, sorte de lèse-majesté divine, qui réactive les anciennes hérésies d’un Arius ou d’un Paul de Samosate. Gounelle, A., « Antitrinitarisme », dans Gisel, P. et al. (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Éditions du Cerf – Labor et Fides, vol. 1 (1995), p. 40-41 ; Szczucki, L., « Antitrinitarism », trad. par Mitchel, A.-M., dans Hillerbrand, H. (dir.), The Oxford Encyclopedia of the Reformation, New York/Oxford, Oxford University Press, vol. 1 (1996), p. 55-61.
9 L’anabaptisme désigne différents courants de la Réforme radicale qui partagent, à grands traits, trois grands points de friction avec les Églises catholique romaine et protestantes : le rejet du pédobaptisme, le refus de la médiation de l’Église entre le fidèle et Dieu et la récusation, au détriment du Magistrat, de l’interpénétration du religieux et du politique. Bernard, P., « Anabaptistes », dans Dictionnaire d’Histoire et de Géographie ecclésiastiques, Paris, Letouzey et Ané, vol. 2 (1914), col. 1383-1405 ; Blough, N., « Anabaptisme », dans Gisel, P. et al. (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Paris/Genève, Éditions du Cerf – Labor et Fides, vol. 1 (1995), p. 30.
10 Becker pose trois conditions à la déviance : sont requis une norme, un mouvement de transgression de cette norme et une stigmatisation de cette transgression. La déviance n’est donc pas seulement relative, elle est le fruit d’une interaction : elle désigne un processus par lequel le comportement d’une personne est désigné comme déviant par d’autres acteurs. Becker, H.S., Outsiders. Études de sociologie de la déviance, trad. par Briand, J.-P., et Chapoulie, J.-M., Paris, A.-M. Métailié, (1985), p. 186-187, 207, 231-232 ; Kitsuse, J.I., « Societal Reaction to Deviant Behavior : Problems of Theory and Method », dans Social problems, vol. 9 no 3 (1962), p. 248.
11 L’haeresis est conceptualisée comme telle par Justin Martyr au cours du iie siècle. Quant au terme orthodoxia, il est employé à partir de la fin du iiie siècle, mais c’est à partir du ive siècle, en particulier sous la plume d’Eusèbe de Césarée, qu’il prend le sens de « l’identité normative et doctrinale de la religion chrétienne ». Le Boulluec, A., « Orthodoxie et hérésie aux premiers siècles dans l’historiographie récente », dans Elm, S., Rebillard, É., et Romano, A. (dir.), Orthodoxie, christianisme, histoire, Rome, École française de Rome, (2000), p. 303, 309. Sur l’émergence de la notion d’orthodoxie dans le contexte de confessionnalisation à l’époque moderne, voir Le Brun, J., « Orthodoxie et hétérodoxie. L’émergence de la notion dans le discours théologique à l’époque moderne », dans Elm, S., Rebillard, É., et Romano, A. (dir.), Orthodoxie, christianisme, histoire, Rome, École française de Rome, (2000), p. 333‑342.
12 En histoire de la théologie réformée, l’« orthodoxie » désigne traditionnellement une période ultérieure à notre propos (ca 1565-ca 1800), au cours de laquelle le « juste enseignement » de la doctrine née au cours du xvie siècle est systématisé. Van Asselt, W.J., « Reformed Orthodoxy : A Short History of Research », dans Selderhuis, H.J. (dir.), A Companion to Reformed Orthodoxy, Leiden/Boston, Brill, (2013), p. 11 ; Selderhuis, H.J., « Introduction », dans Selderhuis, H.J. (dir.), A Companion to Reformed Orthodoxy, Leiden/Boston, Brill, (2013), p. 1-2. Suivant ce raisonnement, l’affaire Servet prendrait donc place dans une période qui pourrait être qualifiée, en reprenant la terminologie anglaise, de « pre-Early Reformed Orthodoxy ».
13 À ce titre, l’interchangeabilité des termes « orthodoxe » et « réformé » nous semble symptomatique. En 1559, Nicolas Colladon, le traducteur de l’ouvrage De haereticis que nous proposons d’analyser dans ces lignes, remplace occasionnellement orthodoxas Ecclesias par « Églises reformées ». I.a., de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, [Genève], Robert I Estienne, (1554), p. 5 ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, trad. par Colladon, N., [Genève], Conrad Badius, (1559), p. 5.
14 Le Petit Conseil est l’organe suprême de gouvernement de la Seigneurie de Genève, constitué d’une vingtaine de magistrats et dirigé par quatre Syndics. « Magistrat » au singulier désigne ici « toute espèce de gouvernement civil, roi, prince ou conseil ». Dufour, A., « Relations Église-État à Genève au temps de Bèze », dans Fragnito, G., et Miegge, M. (dir.), Girolamo Savonarola da Ferrara all’Europa, Florence, Sismel – Edizioni del Galluzzo, (2001), p. 477, 483.
15 Carbonnier-Burkard, M., « Calvin/Servet : un duel public », dans Clavairoly, F. (dir.), Calvin, de la Réforme à la modernité. Actes du colloque de Paris (16-17 octobre 2009), Paris, Presses universitaires de France, (2010), p. 44-45.
16 Dufour, A., « L’histoire des hérétiques et Théodore de Bèze », dans Pour une histoire qualitative. Études offertes à Sven Stelling-Michaud, Genève, Presses universitaires romandes, (1975), p. 42-43. Voir Bainton, R., Michel Servet, hérétique et martyr. 1553-1953, Genève, Droz, (1953).
17 Bernat, C., et Bost, H., « Présentation », dans Bernat, C., et Bost, H. (dir.), Énoncer/Dénoncer l’autre : Discours et représentations du différend confessionnel à l’époque moderne, Turnhout, Brepols, (2012), p. 5.
18 Notre démarche consiste à appliquer, comme d’autres avant nous, des méthodes en analyse du discours sur ces textes polémiques du xvie siècle. E.g., Goderniaux, A., « Le “voile commun à tous meschans”. La justification de l’intolérance par la rhétorique du dévoilement dans la polémique catholique (France et Pays-Bas habsbourgeois, 1580-1594) », dans Montagne, V., et Carlstedt, A. (dir.), Loxias, vol. 18 (2021) ; Yvert-Hamon, S., « Stratégies de désignation dans le discours politique catholique et protestant pendant les guerres de religion : le tournant décisif de la conversion d’Henri IV (1593) », dans Bergen Language and Linguistics Studies, vol. 10 no 1 (2019). D’autre part, elle est à rapprocher des études portant sur la désignation de l’altérité dans les luttes interreligieuses du siècle des Réformes. E.g., Grosse, C., « “Obstinés et incorrigibles”. L’impénitence devant le consistoire de l’Église de Genève (xvie siècle) », dans Briegel, F., et Porret, M. (dir.), Le criminel endurci. Récidive et récidivistes du Moyen Âge au xxe siècle, Genève, Droz, (2006), p. 81-91 ; Souriac, P.-J., « De l’adversaire religieux à celui du contraire parti. Désigner son adversaire durant les guerres de Religion », dans Bernat, C., et Bost, H. (dir.), Énoncer/Dénoncer l’autre : Discours et représentations du différend confessionnel à l’époque moderne, Turnhout, Brepols, (2012), p. 223-242.
19 La question de l’implication de Calvin dans la dénonciation de Servet, déjà évoquée par ce dernier lors de son procès, a fait couler beaucoup d’encre. Aujourd’hui encore, elle semble impossible à trancher. Voir Carbonnier-Burkard, M., « Des procès de Servet au procès de Calvin », dans Zuber, V. (dir.), Michel Servet (1511-1553). Hérésie et pluralisme du xvie au xxie siècle. Actes du colloque de l’École pratique des Hautes Études (11-13 décembre 2003), Paris/Genève, H. Champion ‒ Slatkine, (2007), p. 29-30 ; Gilmont, J.-F., « Jean Calvin et Michel Servet », dans Giacone, J.-F. (dir.), Calvin insolite. Actes du colloque de Florence (12-14 mars 2009), Paris, Classiques Garnier, (2012), p. 410-411 ; Ra, E.S., « The Question of Calvin’s Involvement in the Trial of Servetus at Vienne (1553) », dans Verbum et Ecclesia, vol. 23 no 1 (2002), p. 168-182 ; Weiss, N., « Calvin, Servet, G. de Trie et le tribunal de Vienne », dans Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, vol. 57 no 5 (1908), p. 387-404.
20 Gilmont, J.-F., « Jean Calvin et Michel Servet », op. cit., p. 420.
21 Dits aussi « libertins », car ils revendiquaient la liberté à l’égard de la tutelle de l’Église en priorisant la loyauté à la patrie avant celle à l’Évangile, les Enfants de Genève s’opposaient alors férocement à Calvin et à ses partisans. La détention du droit d’excommunication était au centre des préoccupations. Le conflit atteignit précisément son apogée en 1553, parallèlement à l’affaire Servet. Amsler, F., « L’affaire Servet et la naissance de l’unanimisme protestant genevois », dans Bulletin du Centre protestant d’Études, vol. 58 no 4-5 (2006), p. 7-9. Sur leur instrumentalisation de l’affaire Servet à l’encontre de Calvin, voir également Carbonnier-Burkard, M., « Des procès de Servet au procès de Calvin », op. cit. ; Carbonnier-Burkard, M., « Calvin/Servet : un duel public », op. cit. ; Gilmont, J.-F., « Jean Calvin et Michel Servet », op. cit.
22 Dufour, A., « L’histoire des hérétiques et Théodore de Bèze », op. cit., p. 38 n. 2.
23 Carbonnier-Burkard, M., « Des procès de Servet au procès de Calvin », op. cit. ; Carbonnier-Burkard, M., « Calvin/Servet : un duel public », op. cit.
24 Calvini Opera, t. VIII, col. 829, cit. in Carbonnier-Burkard, M., « Des procès de Servet au procès de Calvin », op. cit., p. 57.
25 Amsler, F., op. cit., p. 26 ; Carbonnier-Burkard, M., « Des procès de Servet au procès de Calvin », op. cit., p. 48, nuancé par Roussel dans [Castellion, S.], Un pamphlet bâlois : l’Histoire de la mort de Servet (décembre 1553 ?), éd. et trad. par Roussel, B., dans Zuber, V. (dir.), Michel Servet (1511-1553). Hérésie et pluralisme du xvie au xxie siècle. Actes du colloque de l’École pratique des Hautes Études (11-13 décembre 2003), Paris/Genève, H. Champion ‒ Slatkine, (2007), p. 175.
26 Carbonnier-Burkard, M., « Calvin/Servet : un duel public », op. cit., p. 50-54.
27 Gilmont, J.-F., « Jean Calvin et Michel Servet », op. cit., p. 421.
28 [Castellion, S.], op. cit., p. 181.
29 Calvin, J., Defensio orthodoxae fidei de sacra Trinitate, contra prodigiosos errores Michaelis Serveti Hispani, [Genève], Robert I Estienne, (1554). Dans ces lignes, nous nous référons à la traduction française, Calvin, J., Declaration pour maintenir la vraye foy que tiennent tous chrestiens de la Trinité des personnes en un seul Dieu, Genève, Jean Crespin, (1554). Sur cet ouvrage, voir Amsler, F., op. cit. ; Carbonnier-Burkard, M., « La dispute avec l’hérétique dans la Defensio de Calvin après l’affaire Servet (1554) », dans Bernat, C., et Bost, H. (dir.), Énoncer/Dénoncer l’autre : Discours et représentations du différend confessionnel à l’époque moderne, Turnhout, Brepols, (2012), p. 69-90.
30 Ibid., p. 69.
31 Calvin, J., op. cit., p. 10-11, 54-55.
32 Ibid., p. 11.
33 [Castellion, S., Joris, D.,] et al., De haereticis, an sint persequendi, et omnino quomodo sit cum eis agendum, Luteri et Brenti, aliorumque multorum tum veterum tum recentiorum sententiae, Magdebourg [Bâle], Georgium Rausch [Jean Oporin], (1554). La traduction française paraît en avril : [Castellion, S., Joris, D.,] et al., Traicté des heretiques, à savoir si on les doit persecuter et comment on se doit conduire avec eux selon l’advis, opinion et sentence de plusieurs autheurs, tant anciens que modernes, Rouen [Lyon], Pierre Freneau [Jean Pidet], (1554). González Echeverría et Kemp (2020) ont récemment démontré que les caractères typographiques employés dans l’édition française sont ceux du lyonnais Jean Pidet. González Echeverría, F.J., et Kemp, W., « La impresión en 1554 del Traité des hérétiques por el lionés Jean Pidié tras la muerte de Servet », dans Erasmo : Revista de Historia Bajomedieval y Moderna, vol. 6-7 (2020), p. 75-100. Nous avons consulté l’édition de référence : [Castellion, S., Joris, D.,] et al., Traité des hérétiques. À savoir si on doit les persécuter et comment on se doit conduire avec eux selon l’avis, opinion et sentence de plusieurs auteurs, tant anciens que modernes, Choisy, E. (préf.), Olivet, A. (dir.), Genève, A. Jullien, (1913).
34 Cragun, R.T., et Hammer, J.H., « “One Person’s Apostate is Another Person’s Convert”. What Terminology Tells Us about Pro-Religious Hegemony in the Sociology of Religion », dans Humanity & Society, vol. 35 no 1-2 (2011), p. 152-156.
35 Ibid., p. 160-162.
36 Voir, i.a., Delville, J.-P., « L’herméneutique de Sébastien Castellion. Obscurité de la Bible, pluralité des interprétations et convergence entre religions », dans Gomez-Géraud, M.-C. (dir.), Sébastien Castellion. Des Écritures à l’écriture, Paris, Classiques Garnier, (2013), p. 307-320.
37 Selon González Echeverría et Kemp (2021), Martin Bellie ne serait pas un pseudonyme de Castellion mais du théologien hétérodoxe Martin Borrhaus (ou Cellarius) (1499-1564), qui partageait plus d’affinités avec Servet. Cette hypothèse n’emporte pas la conviction. Les auteurs avancent, entre autres arguments, que Castellion ne maîtrisait pas l’allemand, au contraire de Borrhaus, et n’aurait donc pas pu traduire certains textes compilés dans le premier De haereticis. González Echeverría, F.J., et Kemp, W., « Martín Borrhaus (1499-1564) es el autor principal del Tratado de los herejes de 1554 », dans Borreguero Beltrán, C., et al. (dir.), A la sombra de las catedrales : cultura, poder y guerra en la Edad Moderna, Burgos, Universidad de Burgos, (2021), p. 953-966. Nous nous contenterons d’opposer que Castellion connaissait bien cette langue, comme l’atteste sa traduction de la Theologia deutsch. Voir Gomez-Géraud, M.-C., « Préface à la Théologie germanique (1557) », dans Gomez-Géraud, M.-C. (dir.), Sébastien Castellion. Des Écritures à l’écriture, Paris, Classiques Garnier, (2013), p. 443-448.
38 Voir van Veen, M.G.K., « Contaminated with David Joris’s Blasphemies. David Joris’s Contribution to Castellio’s De haereticis an sint persequendi », dans Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, vol. 69 no 2 (2007), p. 313-326.
39 Dufour, A., Théodore de Bèze, poète et théologien, 2e édition, Genève, Droz, (2009), p. 40.
40 Maruyama, T., The Ecclesiology of Theodore Beza. The Reform of the True Church, Genève, Droz, (1978), p. 5.
41 de Bèze, T., Epistola Magistri Benedicti Passavantii, éd. et trad. par Ledegang-Keegstra, J., Leyde, Brill, (2004) ; Dufour, A., Théodore de Bèze, poète et théologien, op. cit., p. 30.
42 Bèze lui-même a interprété, à tort, le De haereticis, an sint persequendi comme une réponse à la Defensio de Calvin. de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit. ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit. Peut-être cela lui permettait-il de justifier d’autant mieux sa réplique.
43 « […] prodigiose conscidisse sacrosanctum Trinitatis mysterium […] Rogemus Dominum ut ab his monstris ecclesiam suam repurget. » L. 34 à Bullinger, le 27 août 1553, dans de Bèze, T., Correspondance de Théodore de Bèze, recueillie par Hippolyte Aubert, t. I : 1539-1555, op. cit., p. 106-108. Nous traduisons.
44 « His diebus tumultuati sunt rursus Genevenses nonnulli, ut disciplinam ecclesiam everterent […]. Tandem melior pars vicit, et illi victi gravissima optimi viri oratione manus dederunt. » L. 38 à Bullinger, le 23 novembre 1553, dans de Bèze, T., Correspondance de Théodore de Bèze, recueillie par Hippolyte Aubert, t. I : 1539-1555, op. cit., p. 116-117. Nous traduisons.
45 « Constitui igitur respondere […]. » L. 42 à Bullinger, le 29 mars 1554, dans de Bèze, T., Correspondance de Théodore de Bèze, recueillie par Hippolyte Aubert, t. I : 1539-1555, op. cit., p. 123-124.
46 « […] quorum illi nugas et blasphemias suae farragini infarserunt. » L. 44 à Bullinger, le 7 mai 1554, dans de Bèze, T., Correspondance de Théodore de Bèze, recueillie par Hippolyte Aubert, t. I : 1539-1555, op. cit., p. 127-128. Nous traduisons.
47 de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit. Nous aurons principalement recours, dans ces lignes, à la traduction française de Nicolas Colladon, parue en 1559, en prenant soin de préciser les variantes par rapport à l’original latin le cas échéant. de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit.
48 Voir Amossy, R., Apologie de la polémique, Paris, Presses universitaires de France, (2014), p. 175-177.
49 « Nam aperte religionem a fundamentis totam convellunt. Itaque in respondendo coactus sum multo longior esse et acrior quam putaram. » L. 45 à Bullinger, le 14 juin 1554, dans de Bèze, T., Correspondance de Théodore de Bèze, recueillie par Hippolyte Aubert, t. I : 1539-1555, op. cit., p. 129. Nous traduisons.
50 « […] illum impurissimum haereticum […] » ; « […] per quam homo ille omnium qui adhuc vixerunt maxime impius et blasphemus […] » ; « […] teterrimum illud monstrum […] » ; « […] execrandi illius […] ». de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit., p. 3, 3, 72, 259 ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., p. 2, 2, 111, 393.
51 Calvin, J., De scandalis, quibus hodie plerique absterrentur, nonnulli etiam alienantur a pura Evangelii doctrina, Genève, Jean Crespin, (1550). Calvin y attaquait déjà Servet. Bèze applique ce concept de « scandale » aux hérésies anabaptiste et servétiste. E.g., de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit., p. 248-249 ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., p. 392-393.
52 Bèze reprend surtout cette idée de la lettre-préface à la Biblia de Castellion (1551), reproduite dans le De haereticis. [Castellion, S., Joris, D.,] et al., Traité des hérétiques. À savoir si on doit les persécuter et comment on se doit conduire avec eux selon l’avis, opinion et sentence de plusieurs auteurs, tant anciens que modernes, op. cit., p. 140-141.
53 « “Quia, inquiunt, omnium sunt obedientissimi, qui mori malunt quam dicere quod non sentiunt”. Eximia certe obedientia, ita sententiae tuae addictum esse ut etiam verbo Dei convictus, occidi te potius sinas quam sententiam mutes. Quasi vero inter constantiam ac pertinaciam nullum sit discrimen. Iubet Magistratus ut cives arma capiant : repugnabit Anabaptista, et morietur potius quam vociferari desinat, Christianis bellum gerere non licet. Et ita excitabitur seditio, totaque Respublica, quantum in ipso est, evertetur. Nonne hoc egregium est obedientiae exemplum ? » de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit., p. 95 ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., p. 148. Nous soulignons.
54 Denis, B., « Ironie et idéologie. Réflexions sur la “responsabilité idéologique” du texte », dans COnTEXTES. Revue de sociologie de la littérature, (2007), § 7, 15, http://journals.openedition.org/contextes/180.
55 Selon le concept de « communauté interprétative » posé par Fish et développé par Hutcheon, « le propre de l’ironie est de n’être décelable et interprétable qu’au sein d’une communauté qui partage un nombre relativement élevé de valeurs et de codes ». Ibid., § 15.
56 Ibid., § 19.
57 de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit., p. 88 ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., p. 137.
58 de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., f. 12 ro-13 ro. « Vray est que comme les anciens Academiques prenoyent occasion de ne rien affermer et de dire que tout estoit incertain, pour ce qu’ils voyoyent grande diversite d’opinions entre les philosophes, ainsi ces bons supposts [auteurs du De haereticis, an sint persequendi] alleguent les opinions differentes qui sont entre les hommes touchant la religion, et ainsi veulent que chacun demeure en suspens tenant ce qui luy semble probable » (f. 15 vo). Colladon traduit ensuite (f. 13 vo-14 vo) des extraits du traité d’Augustin Contre les Académiques afin de démontrer au lecteur français la fausseté des propositions des Académiques. C’est sa principale plus-value au De haereticis bézien.
59 Gilmont, J.-F., « Jean Calvin et Michel Servet », op. cit., p. 403. Voir Ganoczy, A., Le Jeune Calvin. Genèse et évolution de sa vocation réformatrice, Wiesbaden, Steiner, (1966), p. 335-361.
60 [Castellion, S., Joris, D.,] et al., Traité des hérétiques. À savoir si on doit les persécuter et comment on se doit conduire avec eux selon l’avis, opinion et sentence de plusieurs auteurs, tant anciens que modernes, op. cit., p. 13-14.
61 de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit., p. 14, 18-19 ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., p. 18, 25-26. Calvin l’énonçait déjà dans la Declaration pour maintenir la vraye foy : « Car nous voyons que Dieu ne commande pas indifferemment qu’on punisse tous ceux qui auront semé mauvaise doctrine, mais seulement les apostats, qui se sont alienez et desbauchez de la vraye religion et taschent de seduire les autres ». Calvin, J., Declaration pour maintenir la vraye foy que tiennent tous chrestiens de la Trinité des personnes en un seul Dieu, op. cit., p. 46. Sur la façon dont Bèze dessine avec précision les contours de l’hérésie, voir Panetta, O., « Heresy and Authority in the Thought of Théodore de Bèze », dans Renaissance and Reformation, vol. 45 no 1 (2022), p. 33-72.
62 [Castellion, S., Joris, D.,] et al., Traité des hérétiques. À savoir si on doit les persécuter et comment on se doit conduire avec eux selon l’avis, opinion et sentence de plusieurs auteurs, tant anciens que modernes, op. cit., p. 24.
63 Ibid., p. 25.
64 Dans le texte latin, le subjonctif présent absit tombe comme un couperet.
65 de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit., p. 99 ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., p. 154-155. Le traducteur ajoute « de leur cerveau ». Ici, Bèze ne dit pas autre chose qu’Eusèbe de Césarée contre les marcionites : « Et, tout d’abord, les marcionites, ainsi appelés de l’hérésie de Marcion, ont beau dire tous les martyrs du Christ qu’ils possèdent, ils ne confessent pas pour autant le Christ lui-même selon la vérité. » Meylan, H., « Martyrs du diable », dans Revue de théologie et de philosophie, vol. 9 no 2 (1959), p. 115.
66 Nous soulignons. Augustin reprend fréquemment cet adage dans son œuvre. Voir la liste donnée par Lestringant, F., op. cit., p. 63 n. 7.
67 Calvin, J., Declaration pour maintenir la vraye foy que tiennent tous chrestiens de la Trinité des personnes en un seul Dieu, op. cit., p. 23.
68 de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit. ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., p. 154. Nous soulignons. Dans sa Defensio, Calvin n’explicite pas ces détails sur les ultima verba de son adversaire.
69 De leur emprisonnement en 1552 à leur martyr à la fin de l’année 1553, l’exemple de cinq étudiants de l’Académie de Lausanne à Lyon a considérablement frappé les esprits des réformés.
70 Voir Blum, C., « Le Diable comme masque. L’évolution de la représentation du Diable à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance », dans Jones-Davies, M.T. (dir.), Diable, diables et diableries au temps de la Renaissance, Paris, Jean Touzot, (1988), p. 149-164. L’image du diable est traditionnellement sollicitée par les chrétiens qui cherchent à affirmer leur identité face à un adversaire. Voir Backus, I.D., « Connaître le diable : évolution du savoir relatif au diable d’Augustin à Martin del Rio », dans Hummel, P., et Gabriel, F. (dir.), La Mesure du savoir. Études sur l’appréciation et l’évaluation des savoirs, Paris, Philologicum, (2007), p. 33-54. Par antonomase, Satan désigne alors l’ennemi. Jones-Davies, M.T., « Le diable gagnant ou perdant sur la scène jacobéenne ? », dans Jones-Davies, M.T. (dir.), Diable, diables et diableries au temps de la Renaissance, Paris, Jean Touzot, (1988), p. 84.
71 E.g., concernant Servet : « Car mesme à l’article de la mort, il ne pouvoit oublier ses ruses et deguisemens malicieux qu’il avoit prattiquez toute sa vie. » de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit. ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit. Nous soulignons. Colladon déplie la sémantique du latin artium en « ruses et deguisemens malicieux ». Voir aussi, i.a., de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit., p. 3, 6, 36 ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., p. 2, 6, 52-53.
72 Dans sa Declaration, Calvin ironisait déjà sur le soi-disant « martyr » de Servet : « Certes il faut que ceux qui se plaignent de moy confessent que c’ait esté une chose faussement controuvée, ou que leur martyr Servet ait eu plus de faveur que moy entre les papistes. » Calvin, J., Declaration pour maintenir la vraye foy que tiennent tous chrestiens de la Trinité des personnes en un seul Dieu, op. cit., p. 54, voir aussi p. 95-97 ; Carbonnier-Burkard, M., « Des procès de Servet au procès de Calvin », op. cit., p. 49-50 n. 92.
73 « Habet enim, si nescis, etiam diabolus suos martyres, ut recte docet Augustinus de Circuncellionibus loquens, quibus praeter causam omnia sunt cum Dei martyribus communia. » de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit., p. 72 ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., p. 111. Nous soulignons. Dans un souci de vulgarisation, Colladon remplace les « circoncellions », une branche radicale des donatistes au ive siècle, par « certains heretiques ».
74 La cible de la fonction persuasive de la polémique n’est pas l’adversaire (ici, les avocats de la clémence envers Servet), avec lequel le compromis est rendu impossible par la dichotomisation, mais le spectateur que l’on tente de faire adhérer à ses vues (ici, le lecteur). Amossy, R., op. cit., p. 104, 221-222.
75 Ibid., p. 63 ; Amossy, R., et Koren, R., « La “diabolisation” : un avatar du discours polémique au prisme des présidentielles de 2007 », dans Denis, D., Huchon, M., Jaubert, A., et al. (dir.), Au corps du texte. Mélanges en l’honneur de Georges Molinié, Paris, Champion, (2010), p. 222, 224-227.
76 « […] innocentissimi illius Serveti martyrio […]. » de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit., p. 269 ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., p. 426.
77 Denis, B., op. cit., § 10.
78 « Le masque n’est pas pensé en tant qu’il cache, qu’il masque, mais en tant qu’il donne autre chose à voir que celui qu’il cache. Il brise le rapport à l’être, le rapport au vrai, le rapport de l’Homme à sa seule image, Dieu. » Blum, C., op. cit., p. 149.
79 Voir Meylan, H., op. cit.
80 Biet, C., et Fragonard, M.-M., « Introduction », dans Biet, C., et Fragonard, M.-M. (dir.), Tragédies et récits de martyres en France (fin xvie-début xviie siècle), Paris, Classiques Garnier, (2009), p. 86.
81 Carbonnier-Burkard, M., « Des procès de Servet au procès de Calvin », op. cit., p. 49 ; Gilmont, J.-F., Jean Crespin, un éditeur réformé du xvie siècle, Genève, Droz, (1981), p. 170 ; Lestringant, F., op. cit., p. 31-34.
82 Holtz, G., et Maus de Rolley, T., « Introduction : Le diable vagabond », dans Holtz, G., et Maus de Rolley, T. (dir.), Voyager avec le diable : voyages réels, voyages imaginaires et discours démonologiques (xve-xviie siècles), Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, (2008), p. 19.
83 Dans la littérature protestante, l’intériorisation de la représentation du diable (le diable comme combat intérieur) est considérablement renforcée par la notion de prédestination : « c’est dès à présent et à jamais que les “enfants du diable” sont le masque de Satan et les “enfants de Dieu” l’image de Dieu. » Blum, C., op. cit., p. 157.
84 Voir Bernat, C., et Bost, H., op. cit., p. 5.
85 La parabole du bon grain et de l’ivraie (Mt 13, 24-30) est centrale dans la querelle de haereticis : faut-il ou non éliminer l’ivraie hérétique afin de préserver le bon grain de l’ecclesia ? Pour une analyse de son usage dans le traité bézien, voir Panetta, O., op. cit., p. 43.
86 « At its heart, the designation of deviance is an issue of status conflict and competition so whichever group loses this competition comes to be labelled as deviant, leaving the winner to be seen as normative and “better”. » Cragun, R.T., et Hammer, J.H., op. cit., p. 166-167.
87 Amossy, R., op. cit., p. 55-63.
88 « […] la diabolisation est une forme poussée à outrance de la polarisation, jouant à son instar un rôle à la fois de regroupement (autour du Vrai et du Bien) et de division (la lutte du Bien contre le Mal). » Ibid., p. 63. Voir aussi Amossy, R., et Koren, R., op. cit.
89 Amossy, R., op. cit., p. 104, 209-210.
90 Colladon traduit par « il meritoit d’estre bruslé ». de Bèze, T., De haereticis a civili Magistratu puniendis libellus, adversus Martini Bellii farraginem, et novorum Academicorum sectam, op. cit., p. 90-91 ; de Bèze, T., Traitté de l’authorité du Magistrat en la punition des heretiques et du moyen d’y proceder, fait en latin par Theodore de Besze, contre l’opinion de certains academiques, qui par leurs escrits soustienent l’impunité de ceux qui sement des erreurs, et les veulent exempter de la sujection des loix, op. cit., p. 141-142.
91 Le De hareticis bézien soutient la Defensio de Calvin ainsi que les Decades de Bullinger ; il cite abondamment ce dernier ouvrage.
92 Lausanne se trouvait alors sous domination bernoise ; la part belle faite au Magistrat dans le De haereticis bézien n’était pas pour déplaire à « Messieurs de Berne ». Sur le contexte politique et religieux à Lausanne au cours de ces années, voir Carron, J.-C., « “Abraham sacrifiant” de Théodore de Bèze. Exil et propagande évangéliques au xvie siècle », dans Revue d’histoire du théâtre, vol. 54 (2004), p. 69-92.
93 Le De haereticis a civili Magistratu puniendis paraît chez Robert Estienne à Genève, mais c’est depuis l’Académie de Lausanne que Bèze le rédige.
94 Carbonnier-Burkard, M., « Des procès de Servet au procès de Calvin », op. cit., p. 34.
95 Amsler, F., op. cit., p. 6-7.