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- N° 2 (octobre 2012) / Issue 2 (October 2012)
- « L’enfant de la séropositivité » ou l’enfant de la « Grâce de Dieu » : conceptions de l’enfant chez les femmes confrontées à l’infection à VIH au Burkina Faso
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« L’enfant de la séropositivité » ou l’enfant de la « Grâce de Dieu » : conceptions de l’enfant chez les femmes confrontées à l’infection à VIH au Burkina Faso
Résumé
Pour les femmes séropositives au VIH, l’enfant apparaît comme l’élément positif d’une trajectoire de vie le plus souvent perçue comme négative du fait de l’infection. Celles qui découvrent leur séropositivité dans une situation d’absence ou de décès répétés d’enfants doivent relever le défi de la stigmatisation liée aussi bien à leur état de santé qu’à leur féminité en ayant au moins un enfant vivant. Parce qu’il est conçu dans la séropositivité, l’enfant ajoute de la valeur à la vie de la femme mais, il acquiert aussi une valeur, il est un miracle. Plus que les autres enfants, il est une « grâce de Dieu ». Des noms – Grâce, Divine, Deo Gracias, etc. – lui sont alors donnés pour témoigner de son histoire et aussi de la reconnaissance envers les entités qui pour les acteurs rentrent en jeu dans le fait d’avoir eu un enfant.
Abstract
For the women living with HIV, the child seems the positive element of a trajectory of life the most often perceived like negative because of infection. Those which discover their HIV-positive status in a situation of absence or repeated deaths children must take up the challenge of stigmatization dependant as well in their health status as with their femininity by having at least an alive child. Because it is conceived in seropositivity, the child adds value to the life of women but it acquires also a value, he is a miracle. More than the other children, it is a “Grace of God”. Names – Grace, Divine, Deo Gracias etc. – are the given to him to testify to its history and also to the recognition towards the entities which for the actors return concerned in the fact of having had a child.
Inhoudstafel
Introduction
1La nomination, la dation de nom ou encore l’attribution de nom est un des thèmes privilégiés de l’anthropologie africaniste classique. Les travaux (Attané 2007 ; Bonnet 1981-1982, 1988 ; Dupire 1982 ; Erny 1988 ; Lallemand 2000 ; Zempléni 2000, etc.) menés sur cette question en Afrique en général et en Afrique de l’ouest en particulier la présente comme une étape importante dans la vie sociale de l’individu et donnent à voir un ensemble de croyances, de représentations relatives à la conception de la personne et de l’enfant. Le nom traduit à la fois l’origine, l’identité et les circonstances de la venue au monde de l’enfant. Le nom, comme le relève Attané (2007 : 27), « n’est pas choisi en fonction de sa consonance et du goût des parents mais en fonction des conditions sociales dans lesquelles l’enfant est venu au monde (entente ou mésentente de ses parents, absence du père…), ou un évènement qui a traversé la vie de sa mère pendant qu’elle était enceinte ». Ainsi, selon que l’enfant soit né dans un lieu donné, dans des circonstances particulières, ou selon que la femme enceinte ait posé un acte particulier pendant la grossesse, selon qu’il soit considéré comme le retour du même enfant décédé (Bonnet 1994 ; Lallemand et al. 1999) ou encore selon qu’il soit perçu comme la réincarnation d’un ancêtre ou de parents défunts (Dupire 1982), le fruit de l’action d’un génie (Bonnet 1981-1982 ; 1988 ; Journet 1981), l’enfant portera un nom qui témoignera de son origine, de son identité. Les rites de dation de nom – qui diffèrent d’une société à une autre – étaient jusque-là , le moyen par lequel l’enfant qui vient au monde est identifié et se voit attribuer un nom. De façon générale, ces rites accordaient une part belle aux entités considérées comme responsable de la fécondité et de la fécondation, les ancêtres dans certains cas et les génies dans d’autres (Erny 1988 ; Jonckers 1991). Avec l’arrivée des religions étrangères (christianisme et islam) qui cohabitent désormais avec les religions traditionnelles, ainsi que les grands bouleversements que connaissent les sociétés dites traditionnelles, s’opèrent des transformations dans les rites de naissances, de dation de nom d’une part et d’autre part dans la conception même de la personne et dans les statuts des individus d’autre part. Attané (2003 et 2007) qui a par exemple observé les cérémonies contemporaines de dation de nom dans le Nord du Burkina Faso, relève que les rites contemporains de dation de nom, n’effectuent plus la recherche de l’ancêtre et semblent même ignorer le rôle des ancêtres et des génies dans la procréation. Les différentes représentations sur la conception des enfants sont devenues selon l’auteur, un mélange des différentes religions et du savoir biologique dans lesquels se meuvent les individus, et reposent dans une certaine proportion sur la volonté divine. L’analyse des représentations de l’enfant dans une situation de séropositivité au VIH de la femme s’inscrit dans cette perspective. En effet, l’accès aujourd’hui à la maternité après une quasi-longue période de réprobation voire d’interdiction pour les femmes séropositives, a profondément modifié le rapport à l’enfant. Considéré comme un miracle, une grâce divine, l’enfant né dans la séropositivité se voit attribuer des noms qui tout en témoignant de son histoire et de sa place dans la vie de sa mère, renseignent sur les représentations liées à sa conception. Des représentations dans lesquelles se mêlent progrès scientifiques et considérations divines. En partant d’une réflexion sur les noms portés par des enfants nés de mères séropositives, ce texte rend compte des représentations l’enfant en général et de l’enfant conçu dans la séropositivité au VIH en particulier chez des femmes séropositives au VIH au Burkina Faso.
Précisions méthodologiques
2Notre propos s’inscrit dans le cadre d’une recherche doctorale portant sur la procréation dans le contexte de l’infection à VIH en milieu urbain. L’enquête de terrain s’est déroulée entre janvier 2009 et janvier 2011 à Ouagadougou au Burkina Faso. Elle a mobilisé pour la collecte des données, des techniques d’enquêtes qualitatives que sont l’observation dans les associations et les centres de santé et les entretiens individuels répétés ayant permis de recueillir des histoires de vie et les itinéraires thérapeutiques des personnes vivant avec le VIH ainsi que les opinions de personnels de santé, des associations et des institutions locales et internationales intervenant dans la lutte contre le VIH au Burkina Faso. Les données qui servent à la présente réflexion proviennent essentiellement des entretiens individuels et répétés qui ont été réalisés auprès de 21 femmes confrontées à l’infection à VIH. Elles ont été rencontrées par le biais d’associations de lutte contre le VIH et de personnels de santé de sites de prise en charge médicale. La diversité des profils matrimoniaux et génésiques constitue une caractéristique essentielle de ces femmes. Six d’entre elles ont des partenaires séropositifs, huit ont des partenaires séronégatifs, un est veuve, quatre ont rompu avec leur partenaire et deux femmes ignorent le statut de leur partenaire (car n’ayant pas encore dévoilé leur séropositivité). Ces femmes ont un âge compris entre 25 ans et 37 ans, un niveau d’instruction allant de l’absence de scolarisation au niveau secondaire. Dix-sept de ces femmes ont des enfants conçus avant ou après la découverte de la séropositivité, tandis que quatre n’en ont pas encore. Onze d’entre elles sont chrétiennes et les 10 autres sont musulmanes. Tous les entretiens ont été réalisés avec le consentement des femmes. Enregistrés, ces entretiens ont été transcrits et traduits en français pour ceux qui ont été réalisés en mooré – langue locale véhiculaire dans la ville de Ouagadougou – avant de faire l’objet d’une analyse thématique. Les données ont été rendues anonymes ; ce sont donc des pseudonymes qui sont utilisés pour les cas qui servent d’illustrations pour l’analyse.
Question de féminité autour de l’enfant vivant
3La procréation chez les personnes vivant avec le VIH a été beaucoup documentée. Il est apparu de façon générale pour le contexte africain que la découverte de la séropositivité n’entraînait pas de facto l’arrêt de la procréation (Desgrées du Loû & Ferry 2006 ; Gobatto & Lafaye 2005 ; Leroy 2006 ; Nébié et al. 2001). Cela tiendraient en partie à la valorisation de la fécondité féminine dans ces sociétés et partant aux risques de stigmatisation voire de rejet encourus par une infécondité (Grenier-Torres 2009). Les exigences sociales pour les femmes se structurent autour de la maternité perçue comme un passage vers une reconnaissance sociale (Traoré 2005 ; Fainzang et Journet 1988 ; Journet 1981). Indépendamment de la présence d’une infection, l’enfant est perçu comme un gage de survie, le prolongement de la vie d’un individu. Les discours des femmes rencontrées présentent l’enfant dans cette définition première. Ils prennent place dans le contexte général des représentations « populaires » de la procréation comme l’explique Aïssa, veuve et sans enfant : « dans notre contexte, si tu n’as pas d’enfant, les gens pensent que c’est toi qui ne veux pas en avoir. Les africains veulent que tu laisses au moins un enfant avant de partir ». Ce contexte, Barbara mère d’un enfant né dans la séropositivité l’explicite :
4« Tout le monde est appelé à mourir un jour. Dans une famille quand quelqu’un meurt, la plupart du temps, on demande : ‘il a combien d’enfant ? Il a laissé des enfants ?’. C’était ça qui me préoccupait, que j’aie un enfant, comme ça, même si un jour je ne suis pas là , qu’on puisse dire : ‘elle a eu un enfant !’. C’est ça ! C’est ça seulement ! Quand une jeune fille meurt (sans enfant), on dit qu’elle est morte avec son nom, elle est partie, on ne va plus jamais se rappeler d’elle. C’est ça souvent ! ».
5L’enfant est donc considéré comme la marque « indélébile » du passage d’un individu sur la terre, il est le témoin d’une histoire vécue à un moment donné. Ce qui se saisit par ailleurs dans les différentes représentations, c’est aussi une façon pour les femmes de se construire, de construire leur féminité vis-à-vis de leur société et de ses exigences. Le tout pour elles n’est seulement pas d’avoir un enfant mais, un enfant vivant. C’est par sa présence physique que l’enfant permettra à la femme d’être considérée comme telle (Journet 1990). Avant de découvrir sa séropositivité, Colette, a eu deux enfants qui sont décédés en bas-âge. Si pour elle, avoir porté une grossesse et avoir accouché constituent une preuve de sa fécondité, le fait que les enfants ne soient pas vivants remet en cause cette fécondité aux yeux de son entourage. En effet, bien qu’elle ait déjà conçu, Colette, n’est pas véritablement considérée comme une femme par son entourage. Elle raconte :
6« J’ai envie d’avoir un enfant! Même si ce n’est qu’un seul enfant, c’est bien ! Je pense beaucoup à ceux que j’ai perdus ! Quand je vois ceux qui sont nés au même moment qu’eux, je me dis : ‘si mes enfants étaient là , ils seraient comme ceux-là !’. On me blesse à cause des enfants. Il y a des fois où, dès qu’un enfant s’approche de moi, on le chasse, on lui dit de ne pas m’approcher. Des fois j’achète des choses pour les enfants mais, on ne veut pas qu’ils les prennent. Je dis ‘ah, ce n’est pas un problème ! Moi aussi j’en ai déjà eu, c’est parce qu’ils ne sont plus là . J’ai donné la preuve que je suis une femme mais, mes enfants ne sont pas restés c’est tout ! Ce n’est pas grave’. (…). Ils se disent que je ne connais pas la douleur de la maternité… ».
7Colette est en quête d’enfant. Elle veut effacer les frustrations causées par le fait qu’elle n’ait pas d’enfant vivant dans sa vie de femme, rétablir sa féminité contestée et aussi consolider son foyer fragilisé également par cette absence d’enfant vivant majorée par la découverte de l’infection à VIH. En effet, gage de survie, l’enfant vivant est aussi et surtout un gage de féminité et de solidité pour le foyer conjugal. L’absence d’enfant dans le couple ou dans la vie de la femme indépendamment du VIH est source de conflits, de frustrations aboutissant dans certains cas à des ruptures (Dudgeon & Inhorn 2004 ; Ouattara & Storeng 2007). Si de façon générale les femmes aspirent à la maternité pour affirmer leur féminité, cette aspiration recouvre un sens particulier avec la séropositivité. Dans la séropositivité au VIH en effet, la maternité prend place dans un double défi : celui de la stigmatisation liée à la fois à la maladie et à la féminité remise en cause par l’absence d’enfant d’une part et d’autre part celui de la lutte contre la maladie en ayant un enfant sain.
Avoir un enfant dans la séropositivité
Un contexte socio-médical de procréation
8Jusqu’à une période récente, avoir un enfant dans la séropositivité était – d’un point de vue médical – déconseillé, impossible, considéré comme par certains comme un acte criminel en raison du risque de transmission du virus à l’enfant, de l’absence de traitement pour réduire ou éviter le risque de contamination et du risque qu’il soit précocement orphelin. Les femmes séropositives évoluaient dans un contexte de contradictions marquées par une valorisation sociale de la maternité d’une part et par un discours médical qui en déconseillait voire interdisait l’accès et partant, condamnait celles qui se retrouvaient enceintes (Grenier-Torres 2009 ; Hassoun 1997 ; Plaza 1999 ; Vidal 2000). Pour Barbara qui a découvert sa séropositivité en 2002, dans un contexte Burkinabé où les discours n’étaient pas totalement favorables à une procréation chez les personnes séropositives, la principale angoisse était celle de ne pas accéder un jour à la maternité comme elle l’explique : « quand j’ai connu ma sérologie, en son temps, on disait qu’on ne pouvait pas enfanter, donc c’était un problème alors que je n’avais même pas un (enfant). C’était une angoisse pour moi ». Le risque de transmission alors élevé ajouté aux difficultés d’accès aux traitements pour prévenir la transmission ou prendre en charge les enfants déjà infectés à grande échelle ont donné lieu à des discours qui faisaient du recouvrement de la santé l’aspect le plus important à rechercher par les personnes infectées par le VIH. Les projets de maternité se heurtaient bien souvent à des discours médicaux qui situaient la priorité sur les aspects sanitaires. On était en face de ce que Coulon, Feroni et al (2004 : 15) qui ont travaillé sur le contexte Français, ont qualifié de « tension entre les aspirations des femmes et le savoir médical déclinée sous la forme d’un décalage entre les connaissances médicales relatives au risque encourus par la mère et l’enfant et le constat du maintien des maternités ». Ils évoquent pour la période précédant la mise au point des multithérapies antirétrovirales, une forte réprobation du corps médical à l’endroit des femmes séropositives qui désiraient débuter ou poursuivre une grossesse, mettant en scène « le modèle normatif du patient séropositif « responsable », et une perspective idéale de la maternité supposant la bonne santé de la mère » (Coulon, Feroni et al 2004 : 16). Ils parlent d’un conflit de rationalités entre médecins et patientes structurés autour d’une opposition entre le risque biomédical et le risque social de la stérilité. Hassoun (1997 : 111) qui a travaillé auprès de femmes ivoiriennes dans un contexte de quasi absence de médicaments antirétroviraux (ARV), relevait que les femmes malades du sida et qui n’avaient pas d’enfants, étaient non pas animées de tristesse mais plutôt de désarroi. Le fait d’avoir appris qu’elles ne pouvaient plus avoir d’enfants constituait la douleur de ces femmes. La mise au point et la généralisation des ARV qui ont permis de ralentir la progression du virus, améliorant la qualité et l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH d’une part et permettant d’autre part de réduire la transmission du virus de la mère à l’enfant, ont constitué un tournant majeur pour la dyade VIH-procréation (Le Coeur 2004). Elles ont ouvert la voie vers la réalisation de projet de procréation chez les personnes confrontées au VIH mais, dans un cadre strictement médical (Desclaux & Cadart 2008). Au Burkina Faso, un programme national de prévention de la transmission mère-enfant du VIH élaboré au début des années 2000 à partir d’évidences scientifiques prouvées, a permis de penser la procréation dans le contexte du VIH ; à travers un ensemble d’interventions allant du test de dépistage de la femme enceinte à la prise en charge thérapeutique et les conseils d’alimentation pour l’enfant en passant par l’administration de la prophylaxie ARV à la femme durant la grossesse, l’accouchement et au post-partum pour l’enfant, ceci, selon les directives nationales. Si ces interventions ont permis de réduire considérablement le risque de transmission du virus à l’enfant, elles ne l’ont pas pour autant éliminé comparativement à la situation dans les pays développés où on assiste à un taux de contamination quasi nul (Le Coeur 2006). Environ 10.000 enfants vivent avec le VIH au Burkina Faso. La plupart de ces infections est due à la transmission mère-enfant au cours de la grossesse, pendant le travail de l’accouchement et au cours de l’allaitement. Malgré une réduction du risque de transmission mère-enfant de plus de 50%, la situation est encore considérée comme précaire au regard du nombre important de femmes enceintes et de couples mère-enfant qui n’accèdent pas au dépistage et à la prophylaxie (DSF 2009 ; Méda 2010). Même si les discours sont de plus en plus permissifs sur la procréation à risque viral, les femmes qui découvrent leur sérologie éprouvent tout de même des craintes relatives à la santé de l’enfant et ceci structure pour une part le projet de maternité ainsi que leur rapport à l’enfant qui naît dans une situation de séropositivité des parents (Sanon et al. 2010). Les femmes que nous avons rencontrées ont une histoire du dépistage qui se situe entre 2001 et 2009 mais pour la majorité d’entre elles, c’est la période comprise entre 2001 et 2005. Certes, il s’agit d’une période « récente » – comparativement à celles qui ont découvert leur sérologie avant les années 2000 – marquée par un début d’évolution dans les discours sur le VIH et un intérêt des instances locales et internationales, des associations et des ONG pour la question. Cependant, mis en relation avec la généralisation de l’accès aux traitements antirétroviraux (ARV) et des interventions rentrant dans le cadre de la prévention de la transmission mère-enfant de l’infection (PTME) au Burkina Faso, on se situe dans une période où l’accès traitements n’était généralisé et où les discours sur la procréation dans le contexte de l’infection étaient encore teintés de réserves. Pour les femmes qui découvrent leur sérologie dans ce contexte et consécutivement à des épisodes personnels de maladies à répétition (après le décès du conjoint), des épisodes de maladie du conjoint ou encore suite aux décès d’enfants en bas-âge, etc., la crainte de ne pas survivre à la maladie se combinait à celle de ne plus pouvoir poursuivre ou répondre à l’exigence sociale de la procréation.
Un enfant surveillé… Une valeur ajoutée
9La mort et la procréation ont été ce qui a suscité l’intérêt du monde scientifique pour la contamination des femmes par le VIH (Plaza 1997). Elles constituent aussi pour les femmes, les aspects sur lesquels se cristallisent leurs préoccupations lorsqu’elles découvrent leur infection. Pour la plupart d’entre elles en effet, l’annonce de l’infection a été vécue comme la fin de la vie, la fin de la possibilité d’avoir des enfants du fait d’une part des représentations sociales associées à l’infection et d’autre part de la transmissibilité du virus dans le processus reproductif. La séropositivité apparaît pour la plupart des femmes comme l’élément négatif de leur parcours de vie. Elle est même pensée comme une injustice (Sow & Desclaux 2011), comme en témoigne la réaction d’Anita lorsqu’on lui a annoncé sa séropositivité en 2005 : « j’ai dit ah ! Donc tout est fini pour moi, je ne vais plus pouvoir accoucher car j’entendais dire que si tu as cette maladie, tu ne peux pas avoir d’enfant, tu meurs. Le docteur m’a dit qu’on ne meurt pas, que le sida ce n’est pas la mort. Je lui ai dit que si c’est ainsi, j’ai compris, mais ça n’a pas été facile ! Quand je rentrais à la maison, je regardais le ciel et je me demandais comment une chose pareille a pu m’arriver, c’était difficile ! ». Le caractère négatif tient à la fois aux représentations sociales associées au VIH et surtout à la situation génésique et matrimoniale au moment de la découverte de l’infection. Pour les femmes qui avaient des enfants avant la découverte de la séropositivité et pour celles qui ont réussies à en avoir dans la séropositivité, le fait d’avoir eu au moins un enfant attenue ou fait disparaître ce rapport négatif tandis que pour celles qui n’y sont pas encore parvenues, ce rapport demeure. Aïssa – déjà citée – s’est mariée à l’âge de 16 ans. Elle a passé 17 ans avec son conjoint et elle n’a jamais connu d’expérience de grossesse. Cette situation était une source de disputes dans le couple. Au décès de son conjoint en 2003, le couple n’avait pas eu d’enfant. Après une longue période de maladie qui l’a conduite au dépistage en 2005, Aïssa a retrouvé une santé physique. Agée de 39 ans, sans enfant ni d’homme dans sa vie, elle n’a plus d’espoir. Elle pense avoir dépassé l’âge raisonnable pour avoir un enfant. Considérant sa situation, elle dit :
10« Des fois quand je pense que je me suis mariée très jeune, je suis restée avec mon mari jusqu’à ce qu’il meurt et, je découvre que j’ai cette maladie alors que je n’ai pas eu d’enfant, ça me fait souffrir mais, il y a des fois aussi où je me dis que c’est l’œuvre de Dieu et je me résigne…ah ! C’est dur ! Quand je pense que je suis restée avec lui pendant 17 ans, je n’ai pas eu d’enfant, quand il mourrait j’ai souffert avec lui et, c’est avec le VIH que je vis aujourd’hui...quand j’y pense, je me dis : je n’ai pas d’enfant, je n’ai rien, je ne suis qu’une malade qui marche… Le bilan est négatif ! Ce n’est pas bon ! C’est le fait que le VIH soit venu s’ajouter ! Parfois je me demande si je dois vivre longtemps et qu’il m’arrive d’être affaiblie par la maladie alors que je n’ai pas d’enfant, qui va s’occuper de moi ? ».
11Avoir un enfant c’est apporter de la valeur dans la trajectoire de vie surtout lorsqu’elle a été perturbée par la découverte de la séropositivité ; c’est apporter une touche positive à une situation d’incertitudes, de ressentiments, d’angoisses, etc. Toutefois, le tout pour les femmes n’est pas d’avoir un enfant mais avoir un enfant qui ne soit pas contaminé. Elles considèrent en effet que même s’il est désormais réduit grâce aux médicaments, le risque de transmission à l’enfant n’est pas nul, il est encore présent et en dehors de toute intervention médicale, il est élevé. Dans les associations et les centres de santé, elles reçoivent des informations dans ce sens, avec lesquelles, elles tentent de composer leur maternité. Avoir un enfant dans la séropositivité s’inscrit dans un ensemble d’attitudes et de choix, dans un processus jalonné d’exigences, de rigueur, de précautions. L’enfant désiré, à naître ou né de mère séropositive est inséré dans un ensemble de pratiques, de parcours qui commence avec la mise en place ou la planification d’une sexualité reproductive à moindre risque par des techniques de procréation appropriées, s’inscrit dans un suivi très médicalisé de la grossesse et de l’accouchement. Il se poursuit dans le choix et la pratique rigoureuse d’un mode d’alimentation à moindre risque de contamination pour l’enfant ainsi qu’un suivi thérapeutique régulier jusqu’à son dépistage et continue dans la préservation de la santé de l’enfant au quotidien pour éviter une contamination en cas de séronégativité ou une dégradation de sa santé en cas de séropositivité. Cette sorte d’inscription de l’enfant dans un cadre qui apparaît comme « codifié » et permanemment surveillé du fait de l’infection, donne une autre dimension à la maternité dans ce contexte, elle fait de « l’enfant de la séropositivité », un enfant différent de par sa conception et de par ce qu’il apporte dans la vie de la femme séropositive comme l’exprime Josée, mère de deux enfants nés dans la séropositivité : « Ça fait un plus en tout cas ! Ça fait un plus parce qu’en 2003 quand on faisait le dépistage, nous-même on ne savait même pas qu’on pouvait avoir un enfant, et puis avoir un enfant comme ça ! Même quand quelqu’un dit dehors que je suis séropositive, moi- même je n’ai plus peur comme ça ! ». Conçu dans la séropositivité, un contexte d’exigences, de rigueurs et de craintes liées au risque de transmission de l’infection dans le processus reproductif, l’enfant acquiert de la valeur et il ajoute de la valeur à la vie de la femme. Cette valeur est ajoutée lorsqu’au terme de ce qui peut être considéré ici comme un processus (parfois perçu comme contraignant et surtout angoissant), l’enfant est déclaré séronégatif, indemne de toute contamination. Il devient dès lors une victoire sur la maladie, sur la stigmatisation liée à l’infection et à l’absence d’enfant. Il compense les frustrations vécues ou ressenties et apparaît comme le couronnement des efforts consentis depuis la découverte de la sérologie positive jusqu’à l’accouchement et au dépistage de l’enfant selon l’histoire de chaque femme. L’enfant né dans la séropositivité est perçu comme un être précieux, une grâce qui se saisit dans la façon de le nommer.
« L’enfant de la Grâce de Dieu » : une histoire, une reconnaissance inscrite sur le nom
12La cristallisation de la séropositivité au VIH autour de la possibilité d’avoir un enfant contribue à donner à cet enfant lorsqu’il naît, un statut particulier. Symbole d’une maternité précieuse, valorisante et valorisée, l’enfant est aussi perçu comme un lien avec les autres (puisqu’il permet à la femme de se rétablir, de rétablir sa féminité) et surtout avec ce qui pour les acteurs, rentre en jeu dans le fait d’avoir eu un enfant. Ici, c’est la « Grâce de Dieu ». La nomination l’enfant devient alors un moyen de manifester ce lien, d’exprimer l’identité de l’enfant. Josée et son conjoint ont découvert leur séropositivité en 2003. A cette époque, Josée n’espérait pas avoir des enfants un jour du fait des discours des soignants et des discours populaires qui n’offraient pas de perspectives dans ce sens. Lorsqu’un projet de prise en charge thérapeutique des personnes vivant avec le VIH est mis en place dans un centre médical de la capitale, l’espoir renaît pour Josée ; cependant, elle ne disposait pas d’informations suffisantes sur la procédure à suivre pour être enceinte et elle avait peur d’en parler avec les soignants car, bien que les possibilités de prise en charge commençaient à exister, les attitudes des soignants n’avaient pas beaucoup changé comme elle l’explique :
13« (…) À l’époque même, MSF prenait en charge mais, ils ne disaient pas aux femmes d’être enceintes ; donc il y a des femmes, même quand elles étaient enceintes, pour venir…Quand tu rentres et que tu dis à un infirmier ou une infirmière que tu es enceinte, il te dit que ‘où sont les préservatifs et puis tu pars tomber enceinte comme ça ?’. Des fois même tu as peur d’aller dire que tu es enceinte ! Donc même à cette période-là , tu avais peur d’aller dire que tu es enceinte, donc si ce n’est pas toi-même qui tente et après tu vas dire, tu pars exposer ton problème et on va t’aider, c’était un peu difficile qu’on te dise de tomber enceinte ! On ne va pas te dire de prendre une grossesse ! C’est toi qui tombe enceinte et puis tu vas ! ».
14Avec son conjoint, elle s’engage dans une sexualité à visée reproductive. Enceinte, Josée est incluse dans la file active de la prévention de la transmission mère-enfant du centre médical où elle est suivie pour son infection. Grâce au soutien apporté par le projet, elle bénéficie d’une prise en charge thérapeutique et nutritionnelle pour son enfant à naître. Josée a accouché d’une fille, qu’elle a nourri au biberon et qui a plus tard été testée négative au VIH. La fille de Josée est âgée de 5 ans et, elle est de nouveau mère d’une fillette de 5 mois. Les enfants de Josée portent des noms qui sont loin d’être banaux pour le couple :
15« Le nom Grâce, c’est parce que nous rendons grâce à Dieu, c’est parce qu’on rend grâce à Dieu. C’est Dieu qui nous l’a donné, on rend grâce à Dieu c’est pour cela qu’on a donné le nom de Grâce ! C’est grâce à Dieu qu’on a eu Grâce, c’est pour cela qu’on a donné le nom de Grâce. Gloria aussi, on rend gloire à Dieu, on rend gloire à Dieu, c’est pour cela qu’on a donné le nom de Gloria. On disait que si c’était un garçon on allait l’appeler Gloire (…). Quand tu fais les examens de l’enfant et puis tout est bon comme ça là , toi-même, tu es, tu es… Je ne sais pas comment dire…Tu es tellement content ! Tu es positif, avec tous ces risques là …Tu as fait le suivi mais comme on a dit qu’il y a des risques là , tu avais peur, mais avec tout ça tu as fait et c’est séronégatif, ah ! Donc par rapport aux autres enfants là , tu vas dire que ça, c’est ‘Gloire à Dieu’ [rires]. Il faut rendre Grâce à Dieu pour tout ce qu’il a fait pour toi en tout cas parce qu’étant malade tu ne pouvais pas avoir des enfants, et voilà que Dieu t’a donné ça et ces enfants sont sains ».
16Julie également a découvert sa séropositivité la même année que Josée, dans un contexte où selon elle, les discours stigmatisaient les personnes séropositives et n’étaient pas favorables à leur accès à la procréation. Contrairement à Josée qui n’avait aucune expérience de grossesse, Julie avait fait deux fausses-couches et elle avait perdu un enfant en bas-âge dans une première union qu’elle a dû quitter du fait de son infection. Pendant son parcours de soins, Julie rencontre un homme – il est séropositif comme elle – avec qui elle entretient une relation. C’est avec ce dernier qu’elle aura son premier enfant vivant, une fille âgée de 4 ans, à la faveur du même projet de prise en charge dont a bénéficié Josée. La fille de Julie a été testée négative au VIH. Cette séronégativité, ajoutée à l’extension des interventions du programme national de PTME ces dernières années a conduit Julie à entreprendre une seconde maternité. Elle est désormais mère de deux enfants toutes deux déclarées séronégatives. Les enfants de Julie portent des noms qui revêtent pour elle une signification particulière : Divine Grâce surnommée Merveille et Schékina-Exaucée. Elle explique le sens de ces nominations :
17« Schékina veut dire, il faut rendre grâce à Dieu quel que soit ce qui t’arrive, c’est ce que ça veut dire…C’est, quel que soit le VIH, il faut remercier Dieu ! Quelle que soit la souffrance, il faut remercier Dieu. Exaucée, c’est parce que je voulais avoir deux enfants. Comme Dieu m’a aidé à avoir deux enfants, je l’ai nommé Exaucée… Divine Grâce, c’est la Grâce de Dieu ! Je ne savais pas que je pouvais avoir un enfant en étant infectée par le VIH. Divine Grâce, donc c’est la Grâce de Dieu ! ».
18Pour les femmes séropositives, au regard de leur parcours de procréation, « l’enfant de la séropositivité » est avant tout un enfant de la « Grâce de Dieu », un enfant obtenu grâce à Dieu, un miracle. La référence à Dieu est très prégnante dans les discours des femmes sur les noms que portent leurs enfants ou qu’elles souhaitent voir porter par leur futur enfant. Les nominations mettent en exergue une action de grâce au pouvoir divin à qui l’on témoigne sa reconnaissance. Cette action de grâce pour la naissance de l’enfant prend tout son sens lorsqu’il est testé négatif du VIH. Qu’elle procède du français ou de la langue locale véhiculaire, la nomination lui accorde une part belle à Dieu. Elle est un signe de reconnaissance, une façon de témoigner sa gratitude, de relativiser l’épreuve de l’infection. Divine, Grâce, Deo Gracias, Wend-kouni (don de Dieu), Wend-raabo (volonté de Dieu), Wend-panga (puissance de Dieu), Wend-tongo (œuvre de Dieu), etc., sont autant de noms qui mettent Dieu au centre de la conception/naissance de l’enfant. Dieu est considéré comme celui qui a permis de surpasser le risque de l’infection pour avoir un enfant sans qu’il soit contaminé, celui qui a rendu la maternité possible – on peut rapidement s’autoriser un rapprochement avec la conception moaga de la préexistence des enfants dans un autre monde, dans la cour de Dieu qui, en donne à la femme qui le mérite (Bonnet 1994 ; Badini 1992) ou encore de la conception chrétienne de l’enfant don de Dieu (Morel 2000) – c’est par la grâce de Dieu que l’enfant est né, c’est par sa grâce que l’on a pu parvenir à la maternité malgré la présence d’une infection transmissible comme l’exprime Marie, mère séropositive d’un enfant de 10 mois : « ma grande inquiétude ce n’était pas moi-même, c’était l’enfant parce que je n’en ai pas ! J’ai pensé et, cet enfant, je l’ai mis dans les mains de Dieu. C’est un don de Dieu, c’est Dieu qui m’a donné ça ! La manière dont ça (la conception) s’est passé là , ce n’est pas un don simple, ce n’est pas un don de la nature ! ». Le rapport à l’enfant dans la séropositivité traduit à la fois ce pouvoir divin sans l’intervention duquel les choses n’auraient pas pu arriver, mais aussi et surtout une gratitude, un remerciement pour le miracle qu’est l’enfant dont la venue était alors menacée par une contamination. La nomination peut être aussi saisie comme une façon de conjurer un mauvais sort (la découverte de l’infection à VIH) qui s’est abattu sur le parcours de vie, sur la vie génésique et donc, une façon de tourner la page négative de ce parcours. Don de Dieu, Pouvoir de Dieu ou Volonté de Dieu…, l’enfant devient précieux, il concentre l’attention de parents galvanisés par ce qu’ils considèrent comme une chance, un miracle, un cadeau qui leur est offert. Regardant son enfant jouer dans son salon, Marie s’exclame : « cet enfant-là , c’est vraiment un Wend-kouni (don de Dieu) ! La façon dont j’ai prié pour avoir cet enfant là … Je voulais l’appeler Wend-kouni mais comme on lui a déjà donné le nom du prophète, ça fera trop de grand nom pour lui ! Mais, s’il grandit, moi, je vais l’appeler Wend-kouni». Des parents qui paraissent déterminés dans les choix futurs, les projets de vie, les stratégies d’accomplissement de soi avec l’arrivée de l’enfant. Marie poursuit : « un enfant ça change beaucoup de chose ! Si je n’avais pas cet enfant, je n’aurais pas eu la force de supporter tout ça (les conflits conjugaux) ! J’ai dit à son père que moi j’attends seulement les examens de mon enfant. Si je fais et que tout est bon là , s’il fait, je pars ! ». Pour Julie qui s’est séparée de son conjoint après la naissance de son deuxième enfant : « je voulais des enfants, ce n’est pas un mari que je voulais… Le plus important ce sont les enfants. L’homme peut t’épouser aujourd’hui et te chasser demain alors que les enfants ne vont pas te chasser. L’homme peut t’épouser aujourd’hui, si tu meurs, demain il ira prendre une autre alors que les enfants eux, ils restent avec toi. Même si je meurs aujourd’hui, je sais que j’ai eu quelque chose. Les enfants sont plus importants ! ». Il ne s’agit pas de dire que l’accès à la maternité dans la séropositivité entraîne ou facilite des séparations conjugales mais de souligner l’impact de la présence de l’enfant dans la détermination des projets de vie ; des projets de vie qui peuvent revêtir plusieurs formes. Dans une autre perspective, il convient de relever que la nomination des enfants en tant qu’une reconnaissance envers Dieu ne s’inscrit pas forcément dans une pratique religieuse plus intense que la période qui a précédé la découverte de la séropositivité. En d’autres termes la découverte de la séropositivité n’a pas forcément modifiée les pratiques religieuses des femmes. Considérer Dieu comme celui qui a permis d’accéder à la maternité et lui dire merci pour cela, reste une conviction, une foi vécues plus intérieurement que par des pratiques très ostentatoires. Par ailleurs, il ne faut pas voir dans cette façon de se représenter et de construire l’enfant « de la séropositivité » un aveuglément des femmes ou une mise à l’écart voire une ignorance vis à vis des progrès thérapeutiques. Tout au contraire, l’enfant de « la Grâce de Dieu » est aussi pour ces femmes un enfant des progrès thérapeutiques ; des progrès thérapeutiques qui ont été rendus possibles grâce à Dieu. Si avoir un enfant est une Grâce de Dieu, les progrès thérapeutiques en sont aussi une. Dans les conceptions des femmes, c’est par ces progrès thérapeutiques que la Grâce de Dieu se manifeste, ils sont le canal utilisé par Dieu pour permettre aux personnes séropositives du VIH de procréer. Pour les acteurs donc, les deux vont ensembles comme le souligne Josée :
19« Tout est mélangé ! C’est comme on le dit… Même les ARV, les gens disent que c’est Dieu qui a fait, je dis Dieu fait mais si on te dit de prendre les médicaments, il faut prendre, c’est bon ! Mais tu vas laisser et dire que ce n’est pas bon ! Si on dit de prendre comme ça, tu prends correctement. Donc c’est les deux combinés, il ne faut pas laisser l’un, il faut combiner tous les deux quoi ! Voilà … J’ai eu mes enfants grâce à Dieu, donc il faut louer et puis prendre ses produits correctement, il n’y a pas de problème ! ».
Conclusion
20L’analyse des conceptions de « l’enfant de la séropositivité » par le biais de la nomination, offre une rupture dans les conceptions de la personne. La nomination dans ce contexte semble trancher avec la nomination « classique » qui procède de la réincarnation d’un ancêtre ou d’un génie mise en exergue par bien de travaux anthropologiques déjà cités. Elle n’est pas une façon de faire revivre un ancêtre mais, le reflet d’une histoire de vie, d’un parcours génésique singularisé par la présence d’une maladie transmissible tout le long du processus reproductif. Elle renseigne certes sur l’identité de l’enfant, les circonstances de sa venue au monde comme dans les conceptions traditionnelles mais, cela se situe ici en dehors des ancêtres et des génies. « Dieu » (au sens des religions chrétienne et musulmane) est considéré comme celui qui a permis de surpasser l’interdit, la maladie pour accéder à la maternité. Il est celui qui a réalisé un vœu perçu alors comme irréalisable, difficile voire criminel par les hommes. C’est par sa grâce que l’on a pu mettre en place des traitements thérapeutiques et partant, d’avoir des enfants dans la séropositivité sans forcément leur transmettre l’infection. Les représentations de « l’enfant de la séropositivité » peuvent être saisies comme une porte pour revisiter la problématique anthropologique classique de la conception de l’enfant à la lumière des transformations contemporaines. Des transformations caractérisées entre autres par une urbanisation galopante des villes africaines, entraînant une reconfiguration des liens intergénérationnels, une médicalisation de plus en plus constatée de la vie reproductive qui donne lieu à une socialisation médicale des individus (des femmes surtout) et aussi l’émergence des courants religieux qui offrent aux individus des perspectives de guérison, de salut et surtout d’aides matérielles. Il s’agit là d’autant d’aspects qui jouent sur les représentations que les acteurs ont d’eux-mêmes, de leur vie et de l’enfant qui vient dans ce contexte.
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Over : Sylvie Zongo
Doctorante en Anthropologie, UMR 912 (INSERM-IRD- Université de la Méditerranée), « Sciences Economiques et Sociales, Systèmes de Santé, Sociétés » ORS-PACA – 23, Rue Stanislas Torrents, 13006 Marseille, France