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- N° 2 (octobre 2012) / Issue 2 (October 2012)
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Le religieux à l’épreuve de l’enfance et des enfants : quels défis pour l’anthropologie ?
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Introduction
1« Do Infants have religion ? » demandait Alma Gottlieb dans un article publié en 1998. Oui, si l’on en croit les adultes Beng de Côte d’Ivoire. Mais disséquons cette question : elle comporte en effet les deux orientations complémentaires que devrait prendre toute étude portant sur les enfants et le religieux : que font, pensent et disent les adultes à ce sujet d’une part – ce qui, bien sûr, va en partie façonner le point de vue des enfants – et que disent, pensent et vivent les enfants eux-mêmes d’autre part ? La seconde orientation est bien évidemment plus adaptée à des enfants d’un certain âge et ne peut que difficilement concerner les plus petits d’entre eux (infants). Si la question de la transmission formelle ou informelle (par imitation ou enseignement, par imprégnation, notamment corporelle) d’adulte à enfant constitue une entrée centrale, elle ne doit cependant pas pour autant occulter les autres sphères de transmission et d’expérience que constituent les groupes de pairs ou encore les médias (séries télévisées entre autres).
2De nombreuses questions traversent de part en part ce numéro qui constitue une première réponse au fervent appel de Susan Ridgely (2012) qui, au terme d’un état de l’art sur le traitement du thème « enfants et religion », déplore le manque cruel de travaux d’anthropologues en la matière : comment la religion vient-elle (ou ne vient-elle pas) aux enfants1 ? Comment leur statut est-il travaillé par le religieux ? Quelle place leur accorde le discours religieux ? Comment les enfants s’inscrivent-ils dans les dispositifs religieux institués ? Quel rôle jouent-ils dans ces dispositifs religieux ? Comment interprètent-ils les enseignements religieux qu’ils reçoivent ? Présentent-ils des croyances et des pratiques religieuses propres ? Comment et avec qui les partagent-ils ? Entre pairs ? En font-ils part aux adultes ? Quel rôle joue le religieux dans leur quotidien ?
3Plus fondamentalement, on peut se demander si l’existence d’un religieux enfantin parallèle ou indépendant de celui des adultes peut être postulée, ce qui revient à se demander si les enfants sont des « êtres religieux » comme les autres (sous-entendu comme les adultes) et s’ils peuvent en retour – et ce quelle que soit la réponse apportée à la question précédente – jouer un rôle dans le modelage du religieux adulte.
4Avant d’entrer plus avant dans la présentation des textes qui composent le présent numéro, nous procèderons à une brève mise en perspective de la question à la lumière des sources disponibles.
Les enfants dans l’anthropologie du religieux versus le religieux dans l’anthropologie de l’enfance ?
5Les questionnements anthropologiques sur le religieux n’ont pas manqué de ménager une place aux enfants, des plus petits aux plus grands d’entre eux. Ceux-ci constituent en effet les sujets privilégiés des dispositifs religieux, tant au niveau des discours que des pratiques.
6De nombreuses monographies et de multiples articles font référence à des représentations et pratiques religieuses concernant les enfants, parfois avant même leur naissance (Tylor 1871, Durkheim [1912]1979 ; Malinowski 1927 ; Mead 1928 et 1932 ; Evans Pritchard 1937 et [1940] 1968 ; Fortes 1945). La question des rites en particulier a abondamment été traitée depuis les travaux fondateurs et dans les sociétés les plus variées : un grand nombre de travaux sur des manifestations rituelles marquant la conception de l’enfant, la naissance puis la sortie de la petite enfance ou encore « le passage à l’âge d’homme » (L’Homme 2003) ou de femme a vu le jour. Songeons aux monographies explorant rites d’initiation, classes d’âge et rites de passage depuis Van Gennep ([1909] 1991), mais encore Griaule (1938)2, jusqu’à Condominas ([1957]1982), Firth (1967), Turner (1967), Vidal (1976), Descola (1993), Henry (1994), Peatrik (1999), Taylor (2003), Saladin d’Anglure (2006), Godelier (1982) ou encore Baeke (2004).
7Malinowski, en chef de file, ouvre la voie à des recherches sur la socialisation qui étudient l’enfance et les enfants sous l’angle du développement et de l’enculturation. Cet intérêt pour la socialisation s’exprime dans les courants américains Culture and Personality et Cross-Cultural Studies, ainsi que, du côté britannique, dans les travaux de certains anthropologues, telle Esther Goody (1982). Les recherches anglo-saxonnes ne font toutefois que ponctuellement référence à la question des enfants et de la religion (à l’exception notable de Gottlieb 2004), que les chercheurs francophones ont davantage thématisée, cela jusqu’à nos jours (Cartry [1973]1993, Le Moal 1981, Jonckers 1988, 2007, Fortier 1998, 2003, Albert 2005, Hamayon 2012).
8Les chercheurs francophones commencent à s’intéresser plus particulièrement aux dispositifs rituels et cérémoniels religieux impliquant les (petits) enfants en Afrique dans les années 1960, sous l’impulsion de Suzanne Lallemand et de Jacqueline Rabain-Jamin. Ces chercheuses inaugurent une tradition d'études africanistes dont le but consiste à comprendre comment, à travers des traitements ponctuels ou quotidiens3, le façonnage du corps est sous-tendu par les représentations de la personne et contribue à définir l’appartenance de l’individu à un groupe social donné. Ces études concourent pour une part non négligeable à un glissement épistémologique implicite du paradigme de l’enfant-réceptacle à la perspective de l’enfant-acteur, dans la mesure où elles montrent qu’aux yeux des adultes, les enfants constituent des créatures disposant de certains pouvoirs. En atteste la figure de l’enfant-ancêtre (Lallemand 1978) ou de l’enfant à la marge entre les mondes visible et invisible (Zempléni & Rabain 1965, Rabain-Jamin 1979, Rabain 1985, Bonnet 1988, 1994)4. Si le « modèle de l'enfance » (Bonnet, Rollet & Suremain ed. 2012) qu’elles mettent au jour semble diamétralement opposé, dans ses fondements et finalités, à un certain modèle occidental inspiré par la psychanalyse, les deux modèles sont pourtant bien symétriques quant au statut de sujet/personne accordé au petit enfant (Razy 2012).
9C’est, pour certaines, fortes des enseignements de ces travaux, que des contributions plus récentes explorent le rapport des enfants au religieux en prêtant attention non plus seulement aux pratiques des adultes « sur eux », mais également au point de vue des enfants eux-mêmes et aux manifestations religieuses proprement enfantines. Adoptant différents angles d’analyse, ces études se demandent comment les enfants « apprennent » le religieux (Hérault 1999, 2000, 2004) et dans quelle mesure leurs pratiques, notamment entre pairs, reproduisent celles des adultes dans des cadres ludiques (Jonckers 1988, Ségalen 2005, Duchesne 2007, Rabain-Jamin 2007) ou donnent lieu à des mythologies et des rituels originaux (De Boeck 2000). D’autres travaux encore explorent les dynamiques socialisatrices ou identitaires des enfants, où le religieux institué leur sert comme faire-valoir (Hemming & Madge 2012).
10Signalons pour terminer quelques orientations actuelles plus particulières. L’une d’elle, proche de l’anthropologie cognitive, se penche sur la transmission et l’apprentissage du religieux pour comprendre comment les personnes incorporent ces contenus si particuliers que sont les « croyances en des êtres surnaturels », et les assument en certitudes existentielles orientant leurs modes de conduite personnels et sociaux (Berliner & Sarrò eds. 2007). Les enfants sont ici considérés comme des agents du processus d'apprentissage religieux, lequel est modulé en fonction des sens qu’ils lui confèrent (Hérault 2007). Cette approche pourrait être articulée avec les réflexions initiées par Jean Pouillon (1993), reprises et enrichies par Roberte Hamayon (2005), autour du verbe « croire » et de la connotation ambiguë, parfois péjorative, attribuée en Occident au terme de « croyance ». Contrairement à ce que l’on a longtemps envisagé comme une évidence, les enfants construisent, partagent et se transmettent des croyances et des représentations qui font sens et s’articulent à des pratiques plus ou moins collectives (ou individualisées)5. Ces ensembles de croyances et de pratiques s’apparentent à ce que Pierre Smith (1991) appelle les « rites ordinaires ». Enfin, des travaux centrés sur des problématiques liées à l’« ethnicité » donnent la parole aux enfants dans des contextes où des univers de sens « traditionnels » ou locaux – faits notamment de notions et pratiques religieuses – entrent en contradiction avec des valeurs et des modes de vie introduits par des pouvoirs réformateurs ou des agents d’aide au développement (García Palacios 2010 ; Carrin à paraître).
11Cette brève genèse de la place des enfants dans l’anthropologie du religieux et de la place du religieux dans l’anthropologie de l’enfance et des enfants révèle que les tendances se partagent entre une approche centrée sur les dispositifs religieux institués davantage analysés du point de vue des adultes, et une autre approche qui se focalise sur les enfants eux-mêmes. Au sein de la discipline anthropologique, particulièrement en anthropologie de l’enfance et des enfants, le premier type d’approche l’emporte tant par sa longévité que par le nombre de travaux. Les recherches attentives aux expériences et interprétations religieuses des enfants demeurent minoritaires, marginales et dispersées. Si bien qu’à ce jour il n’existe pas de réflexion suivie et approfondie concernant la créativité des enfants dans le domaine religieux ou l’éventuelle spécificité d’une religiosité enfantine, que celles-ci s’éprouvent individuellement ou entre pairs.
12Une telle situation est mise en exergue par des chercheurs anglo-saxons inscrits, de près ou de loin, dans les Childhood Studies (Hemming & Madge 2012 ; Ridgely 2011 & 2012). Ce courant interdisciplinaire puisant largement dans la sociologie s’est développé dans les années 1990 parallèlement aux recherches francophones sur les « cultures enfantines » (Arléo & Delalande ed. 2011). Le point commun de ces approches consiste à reconnaître spécificité et autonomie aux modes d’appréhension, d’expression et de socialisation des enfants au sein d’espaces dominés par les adultes, mais aussi émancipés de ces derniers, et que les enfants contribuent eux-mêmes à construire. La thématique du religieux, cependant, entre rarement dans les préoccupations des chercheurs qui se réclament de cette perspective (Zotian 2012), ou alors de manière très disparate.
13En effet, les nombreux travaux existants relèvent pour la plupart d’approches interdisciplinaires anglo-saxonnes telles que les Religious Studies, où les pratiques et discours des enfants sont envisagés sous la loupe de la théologie, de l’histoire ou de l’éthique religieuse (voir le numéro spécial de The Journal of Religion 2006 : « Religion and Childhood Studies » ; Browning & Miller-McLemore ed. 2009 et aussi Browning & Bunge ed. 2009). S’y ajoutent des approches plutôt tournées vers la psycho-pédagogie (Coles 1990) ou adoptant une démarche résolument sociologique6. Ces dernières se caractérisent par la construction de modèles explicatifs à partir de corrélations entre variables standardisées (« âge », « sexe », « observance religieuse », cf. Hopkins et al. 2011). Mais elles peuvent également se déployer à de plus petites échelles et développer des analyses plus compréhensives de phénomènes qui engagent l’investissement du religieux par les enfants dans différents contextes, notamment l’école (Hemming 2011).
14La rencontre entre ces différents horizons de recherche a donné lieu récemment à des évènements et des initiatives importants, dont le Copenhagen Colloquium on Children and Religion (2011) et la création de l’unité de recherche Childhood Studies and Religion Group de l’American Academy of Religion7. Force est cependant de constater que tout reste à faire en anthropologie pour développer et fédérer les différentes approches.
15L’ensemble des recherches décrites qui se focalisent sur le point de vue des enfants, se concentre sur leur rapport au religieux tel qu’il est institué ou institutionnellement défini. Toutes s’accordent pour reconnaître que les enfants s’en saisissent tant sur le plan des pratiques que sur celui des discours afin de l’utiliser, dans des dynamiques de subjectivation et de socialisation, comme élément discriminatoire ou moyen de revendications, contestations et affirmations (cf. notamment l’exemple polysémique de la pratique du ramadan chez les enfants étudié par Elsa Zotian 2012). Cependant, aucune approche spécifiquement anthropologique n’a jusqu’à présent exploré les spécificités des mondes religieux enfantins construits entre pairs, indépendamment des cadres (adultes) institués, à la croisée de différentes sources de transmission ou de référents culturels et cultuels multiples. De même, aucune étude anthropologique n’a été consacrée à la compréhension d’expériences et interprétations enfantines plus personnelles et intimes du religieux.
16Traiter ces questions s’avère utile voire nécessaire pour approfondir la compréhension des reconfigurations actuelles des champs religieux en présence. L’intérêt en est d’autant plus vif que les contextes mondialisés contemporains voient les trajectoires transnationales réduire sans cesse les distances entre cultures et confessionnalités, en même temps que d’innombrables conflits dits religieux surgissent au quotidien, à des échelles internationales, nationales et « interlocales ».
17Mais quelles questions présuppose, pose ou implique une telle entreprise ?
18Préjuger de la validité religieuse de croyances et pratiques enfantines comme de leur légitimité reviendrait à anéantir le projet même de toute l’anthropologie, mais également à faire fi des grands débats qui ont animé et animent toujours la discipline à propos des notions de croyance et de religieux (Pouillon 1993 ; Hamayon 2005 ; Mary 2000 pour ne citer que quelques sources).
19L’étude du religieux enfantin permet d’interroger la pertinence de la frontière tracée entre enfants et adultes. N’est-il pas en effet légitime de se demander si les adultes et les enfants établissent des relations privilégiées avec le religieux selon des ontologies similaires ? N’est-il pas temps de dépasser la prétendue incapacité des enfants à faire la part entre l’imaginaire et la réalité en fonction d’un contexte donné ? Répondre par l’affirmative à cette dernière question n’implique-t-il pas de rompre avec l’idée selon laquelle les enfants seraient plus enclins que les adultes à « faire semblant » lorsqu’il s’agit de religion ? Sans aucun doute, cette vision plaçant spontanément les enfants du côté du jeu et de l’imitation et réservant aux seuls adultes le privilège de dispositions religieuses véritables mène à une impasse.
20Pour s’en persuader, il suffit de se pencher sur les travaux en psychologie du développement8 et en psychanalyse9, qui remettent notamment en question certains éléments des théories de Piaget et d’explorer des situations-limites qui mettent à l’épreuve l’interprétation de pratiques enfantines10.
21Si la question de la croyance et du rapport entre réalité et imaginaire est essentielle, il est une autre question, qui est du reste intimement liée à la première, à laquelle les recherches sur les enfants permettent d’apporter des éléments de réponse : la frontière entre jeu et rite, entre ordres ou registres de réalité ou d’imaginaire différents. Cette question occupe, dans ce numéro, les contributions de Stéphan Dugast, Marie Campigotto et Armelle Lorcy sur des terrains très différents.
22À n’en point douter, une anthropologie de l’enfance et des enfants articulée à l’anthropologie générale peut contribuer, aux côtés des autres disciplines, à documenter et à analyser les phénomènes religieux qui concernent les enfants et, partant, faire progresser la connaissance tant sur les mondes religieux des enfants que sur le fait religieux. De plus, cette entrée par les enfants pourrait constituer une voie possible pour dépasser le temps du « grand partage » entre terrains « exotiques » et « euro-américains », entre notions et cadres interprétatifs pensés pour les uns et non pour les autres, entre religions du livre, religions instituées et autres manifestations religieuses.
De la destinée pré-natale à la mort : une traversée
23Le numéro11 s’ouvre sur un article considérant les enfants comme des acteurs sociaux à part entière. Le texte de Michael Allen propose un cadre réflexif à la lumière du temps long de sa carrière et des évolutions de la discipline. En se distançant d’une analyse andro-centriste des faits sociaux à la lumière de l’anthropologie féministe, et en rompant avec un adulto-centrisme fort prégnant, Allen illustre un changement de paradigme dans l’abord du rôle des enfants en anthropologie. Au terme d’une enquête ethnographique minutieuse, l’auteur étudie la contribution de fillettes et de jeunes filles au développement du culte marial dans le sud de l’Irlande. Sur la base d’entretiens avec les « visionnaires », leur entourage et l’analyse de pratiques collectives, il examine la manière dont l’expérience religieuse a été interprétée, transmise et narrée par différents acteurs (proches parents, villageois), parmi lesquels un nombre croissant de pèlerins (nationaux et internationaux). Allen met en relation les récits et les pratiques, notamment la transe, des visionnaires avec des représentations de leur entourage et des pèlerins. En se fondant sur deux cas distincts, l’auteur montre que l’expérience des apparitions de la Vierge ne dure qu’un temps et qu’elle s’inscrit de manière différente dans la vie des visionnaires, s’accompagnant ou non d’une mobilisation collective durable. Tandis que l’une des visionnaires s’est engagée dans une carrière professionnelle profane, l’autre a créé « une organisation religieuse complexe, qui possède de nombreuses propriétés immobilières, entretient des structures bureaucratiques efficaces et attire un nombre croissant de dévots et de fidèles ».
24Les deux articles suivants adoptent également le point de vue de l’enfant sans pour autant négliger celui de l’entourage. Ils abordent des contextes contrastés, mais tous deux catholiques – comme dans le premier article du numéro –, dans un pays du Nord et dans un pays du Sud.
25Armelle Lorcy montre comment les représentations de l’enfance des Noirs du littoral équatorien confèrent à ces derniers un rôle spécifique s’articulant avec celui d’autres générations dans des contextes rituels – en particulier lors de funérailles d’adultes mais surtout d’enfants. L’auteur explique que le statut de l’enfant renvoie ici à un état d’« être divin ayant pris forme humaine » : « Sans expérience du péché charnel, les enfants, décrits comme ‘purs’, ont une place particulière par rapport aux saints, aux vierges et aux petits anges. Ils sont considérés comme leurs semblables ». L’activité sexuelle qui marque l’entrée dans l’âge adulte en fera des pécheurs. La mort revêt alors une signification différente selon qu’elle touche les enfants ou les adultes : elle signifie pour les enfants un retour au paradis et entraîne l’assignation des adultes au purgatoire. La différence existant entre les trajectoires post mortem détermine les modalités de célébration des funérailles qui visent à faire circuler les âmes entre l’ici et l’au-delà. Tandis que les funérailles des enfants doivent être marquées par l’allégresse, celles des adultes sont placées sous le signe de la tristesse. Ainsi, les enfants contribuent à la célébration des rites mortuaires de façon complémentaire, spécifique et indispensable à celle des hommes et des femmes adultes.
26Se focalisant sur les discours et pratiques des enfants, Marie Campigotto a conduit une ethnographie des premières communions à Castelbuono, en Sicile. Elle s’inscrit dans l’analyse de la « reproduction interprétative » (Corsaro 1993) et cherche à comprendre la manière dont les enfants créent « des mondes sociaux et culturels qui leur sont propres à partir de l’appropriation d’éléments religieux institués ». Elle se penche tout d’abord sur les catéchistes et leur pédagogie. L’auteur pointe deux types d’approches fondées sur des conceptions différentes de l’enfant : celle des Pères de l’Eglise considère les enfants comme des réceptacles passifs ; la seconde leur attribue une capacité d’action dans leurs apprentissages. Campigotto s’intéresse ensuite au sens que revêt le catéchisme pour les enfants, ainsi qu’à leurs attentes : la dimension ludique côtoie la quête d’avantages tant sociaux que symboliques. L’auteur décrypte les divergences entre les objectifs des enfants et ceux des responsables, et analyse les ajustements réciproques. En mettant en évidence la capacité interprétative et créatrice des enfants et en soulignant par ailleurs l’adaptation consentie par les catéchistes aux intérêts de la jeune génération, l’article montre que les enfants font preuve d’une certaine agencéité. À cet égard, l’article renouvelle la compréhension des dynamiques à l’œuvre dans la transmission intergénérationnelle des pratiques et des représentations religieuses.
27À partir de terrains et d’approches différents, Sylvie Zongo et Stéphan Dugast quittent le point de vue de l’enfant pour embrasser celui des adultes sur les débuts de la vie, offrant ainsi de nouveaux prolongements à la perspective africaniste sur la construction de la personne chez l’enfant.
28Dans son article, Zongo montre que les mères séropositives de Ouagadougou au Burkina Faso considèrent la naissance d’un enfant sain comme « une victoire sur la maladie, sur la stigmatisation liée à l’infection et à l’absence d’enfant ». En attribuant aux enfants de la séropositivité des prénoms spécifiques, les femmes rappellent à la fois l’histoire singulière de l’enfant, explicitent la reconnaissance sociale à laquelle elles aspirent et témoignent de l’intervention divine qu’elles appellent de leur vœux pour protéger l’enfant. Ces prénoms, montre l’auteur, dévoilent plus profondément des représentations liées à la conception de l’enfant où s’entremêlent progrès scientifique et registre divin. L’enfant né de mère séropositive est plus généralement suivi dans un cadre médical strict. Ce suivi se prolonge au domicile par des soins, alimentaires notamment, visant à rendre une vie « normale » à l’enfant, une « normalité » dont le prénom qu’il porte rappelle sans cesse la fragilité. On prie également pour lui. Dans ce contexte, la nomination ne procède pas de l’inscription de l’enfant dans une lignée spécifique. Il ne s’agit pas de « faire revivre un ancêtre », mais de faire vivre un enfant, grâce au port de cette sorte d’« amulette orale » que serait le prénom. Dieu et la science s’enchevêtrent ici pour façonner des représentations de la personne relativement inédites dans une situation où l’aspiration de la mère pour la vie de son enfant « né de la séropositivité » semble l’emporter sur les considérations mortifères. Tout est fait, explique Zongo, pour que l’enfant s’approprie cette protection inédite qui lui est offerte à travers la dation du nom.
29Le numéro se termine par le texte de Stéphan Dugast qui souligne le rôle central des entités surnaturelles chez les Bassar du Togo et se penche plus précisément sur le choix des amulettes. Le traitement rituel des enfants se fonde en particulier sur l’influence de la destinée prénatale sur le présent et le futur des individus. En fonction de leur relation avec la vie, la mort et l’au-delà, les enfants ressortissent de trois catégories : « mangeur de pâte » (qui a décidé de mener une vie entière chez les humains et de dépasser le stade du sevrage) ; « non mangeur de pâte » (qui a choisi de retourner rapidement dans l’au-delà) ; « quelqu’un qui a des arrangements à faire » (dont la durée de vie dépend de l’accomplissement de certains rites). Cette catégorisation confère à l’enfant en bas âge une agencéité ancrée dans son rattachement au monde prénatal qui peut obliger ses proches, surtout ses parents à déployer des stratégies pour retenir l’enfant au destin incertain. Parmi les dispositifs privilégiés figure l’usage de différents types d’amulettes aux propriétés variées dont le choix résulte des rapports complexes que l’enfant entretient avec différentes entités de l’autre monde. Les amulettes sont censées répondre à des demandes émanant d’une entité liée à sa naissance et renvoyer à des engagements pris dans le monde prénatal. L’auteur explore un cas particulier : celui de l’amulette donnée à l’enfant pour répondre à sa volonté d’humain. Il s’agit alors de ce que Dugast appelle un « rite pour de faux » qui mobilise les représentations de la construction de la personne et de ses composantes dans le monde prénatal et dans le monde humain. La capacité d’action de l’enfant et son aptitude à conditionner les pratiques rituelles de ses proches à son égard se reflètent tout particulièrement dans ce dernier cas de figure qui souligne bien sa relation privilégiée avec l’autre monde.
30Loin de constituer un état des lieux exhaustif et de clôturer les interrogations sur le rapport entre enfants et religieux, ce numéro spécial entend ouvrir la voie, stimuler la réflexion et susciter de nouvelles recherches en montrant l’intérêt d’explorer la question de manière comparative tant sur le plan des terrains (africains, américain, européens) que sur celui des approches et des tranches d’âge étudiées. La diversité des contributions et leur hétérogénéité qui mobilisent des objets tant « classiques » que plus récents et des aires géographiques variées tout en abordant des questions transversales démontre, s’il en est besoin, l’intérêt de faire entrer les enfants dans le champ du religieux en anthropologie.
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http://www.cairn.info/revue-lettre-de-l-enfance-et-de-l-adolescence-2008-4.htm#fiche
Actes de colloques
Copenhagen Colloquium on Children and Religion (18th -19th May 2011). Organised by S. Anderson (Child and Youth Studies, Danish School of Education) & C. Højbjerg (MindLab, Aarhus University), Copenhagen.
Notes
Notes de bas de page astérisques :
* Cf. See AnthropoChildren first issue selected references. It includes other journal special issues on children and religion.
URL: http://popups.ulg.ac.be/AnthropoChildren/document.php?id=950
et URL: http://popups.ulg.ac.be/AnthropoChildren/document.php?id=923