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Perspectives ethnographiques sur les enfants & l'enfance / Ethnographic Perspectives in Children & Childhood / Perspectivas etnográficas sobre los niños & la infancia

2034-8517

 

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Andrea Lutz

Le corps (in)discipliné : biopouvoir, résistance et inégalités dans les thérapies de l’obésité de l’enfant (Suisse)

(N° 8 (2018) / Issue 8 (2018))
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Résumé

Dans le cadre de cet article, j’étudie le vécu des enfants qui suivent un programme thérapeutique pour la prise en charge de l’obésité. J’analyse les données d’une recherche ethnographique que j’ai conduit dans le cadre d’un camp thérapeutique pour enfants en excès pondéral, impliquant des observations participantes et des entretiens avec les enfants. En travaillant à partir de la notion foucaldienne de biopouvoir, j’essaie de montrer comment les thérapies de l’obésité mettent en place des mécanismes de contrôle et de surveillance autour du corps des enfants. Je m’intéresse à comprendre quels rapports de pouvoir s’expriment dans le cadre des thérapies de l’obésité, aussi bien entre adultes et enfants qu’entre enfants. Les résultats de l’étude révèlent que les thérapies de l’obésité tendent à normaliser la subjectivité de l’ensemble des enfants, tout en reproduisant également des inégalités entre enfants, basées sur l’âge, le genre, le milieu social et l’origine culturelle. De plus, il émerge de cette recherche que le biopouvoir donne lieu à des formes de résistance et de négociation de la part des enfants, qui jouent un rôle actif dans la définition des thérapies.

Mots-clés : biopouvoir, discipline du corps, inégalités, obésité, résistance

Abstract

The (un)disciplined body: biopower, resistance and inequalities in the therapies of childhood obesity. In this article, I study the experiences of children who are involved in a therapeutic program for the therapy of obesity. I analyse the data of an ethnographic study that I have conducted in the context of a therapeutic camp for overweight children, involving participatory observations and interviews with children. Building on Foucault’s notion of biopower, I try to show how obesity therapies implement control and surveillance mechanisms around children’s bodies. I am interested in understanding what power relationships are expressed in the context of obesity therapies, both between adults and children among children. The study results reveal that obesity therapies tend to normalize the subjectivity of all the children, while also reproducing inequalities between children, based on age, gender, social background and cultural origin. Moreover, the research shows that children negotiate and resist to biopower, and play an active role in the definition of the therapies.

Keywords : biopower, body discipline, inequalities, obesity

Abstracto

El cuerpo (in)disciplinado: biopoder, resistencia e desigualdades en las terapias de la obesidad del niño (Suiza).En el marco de este artículo, estudio lo vivido por los niños que siguen un programa terapéutico para la atención de la obesidad. Analizo los datos de una investigación etnográfica que desarrollé en el marco de un campo terapéutico para niños, en exceso ponderal, implicando observaciones participantes y entrevistas con los niños. Trabajando a partir de la noción foucaultsiana de biopoder, intento mostrar cómo las terapias de obesidad recurren a mecanismos de control y de vigilancia alrededor del cuerpo de los niños. Me interesa comprender qué relaciones de poder se expresan en el marco de las terapias de la obesidad tanto entre adultos y niños como entre niños. Los resultados del estudio revelan que las terapias de obesidad tienden a normalizar la subjetividad del conjunto de los niños, al mismo tiempo que reproduce desigualdades entre los niños, basadas en edad, género, medio social y origen cultural. Además, de esta investigación emerge que el biopoder da lugar a formas de resistencia y de negociación por parte de los niños quienes juegan un rol activo en la definición de las terapias.

Palabras clave : biopoder, desigualdades, disciplina del cuerpo, obesidad, resistencia

Introduction

1Dans le champ de l’anthropologie de l’enfance, la thématique du corps a connu un intérêt croissant depuis les années 1990 (James et al. 1998, 2004 ; Christensen 1999, 2000 ; Prout 2000 ; Fingerson 2006 2011). Le développement du domaine de recherche de l’anthropologie et de la sociologie de l’enfance (James et al. 1998 ; Qvortrup 2011) a favorisé l’émergence de recherches interrogeant le corps dans une perspective constructiviste, s’attachant à analyser le rôle du langage et des processus de catégorisation dans la construction du corps des enfants (Prout 2000). Plusieurs auteurs ont mis l’accent sur la nécessité de s’intéresser à la dimension corporelle et matérielle des expériences quotidiennes des enfants. En référence à la notion anglophone d’embodiment, ils ont montré le caractère incorporé de la vie sociale des enfants, à partir d’études de type ethnographique (Christensen 1999, 2000 ; Fingerson 2006, 2011). Certaines études se sont par exemple attelées à montrer la place que le corps assume dans les processus de différenciation au sein des groupes d’enfants (James et al. 1998), en servant de support à la construction des identités individuelles et collectives. D’autres études se sont intéressées au rôle du corps dans la régulation des relations adultes-enfants et dans la reproduction de l’ordre générationnel (Christensen 1999 ; Backett-Milburn 2000 ; Mayall 2015).

2Parmi les problématiques ayant un rapport avec le corps des enfants, l’obésité représente un des sujets qui a engendré le plus de débats scientifiques, médiatiques et politiques au sein des sociétés occidentales. C’est sur ce thème que va porter cet article. Depuis trois décennies environ, l’obésité s’est imposée en tant que problème de santé publique à l’échelle internationale et notamment en Occident, où sa prévalence au sein de la population est la plus élevée (Poulain 2009 ; Moffat 2010 ; Saint Pol 2010 ; Lupton 2013). Au cours de cette période, la corpulence a fait l’objet d’un processus de médicalisation, avec la diffusion de l’indice de masse corporelle (IMC) dans les enquêtes statistiques sur la population, la mise en évidence par l’épidémiologie d’un lien de probabilité fort entre l’obésité et le développement de différentes maladies chroniques et dégénératives (maladies cardiovasculaires, diabète, dyslipidémie, troubles métaboliques, etc.), la mise en place de multiples programmes de prévention visant à promouvoir une alimentation équilibrée et un style de vie actif, ainsi qu’avec le développement d’une offre thérapeutique pour les personnes souffrant d’obésité. Initialement considérée comme un simple facteur de risque, l’obésité a été progressivement transformée en maladie à part entière (Lupton 2013). Sur le plan politique, suite au travail de lobbying d’un certain nombre d’acteurs-clés1, l’obésité a pu être mise à l’agenda de la santé publique dans différents pays, ainsi qu’au niveau des organisations internationales (Poulain 2009 ; saint Pol 2010). Dans le cadre des politiques de lutte contre l’obésité, les enfants ont été d’emblée désignés comme cibles prioritaires (Moffat 2010). Dans une logique préventive, il a été question d’empêcher les enfants de devenir des personnes obèses à l’âge adulte, ainsi que favoriser la perte de poids de ceux étant déjà en excès pondéral à l’état présent. Plusieurs arguments ont été mobilisés pour justifier l’intervention auprès de ce groupe, tels que la vulnérabilité et la fragilité des enfants, la nécessité d’agir à la racine du problème, ainsi que la plus grande prédisposition des enfants à assimiler les messages de santé publique et à changer leur style de vie. Dans le contexte suisse, la problématique de l’obésité s’est imposée dans l’agenda de santé publique au cours des années 2000. En 2008, le gouvernement fédéral a lancé le Programme national alimentation et activité physique (PNAAP), dont l’objectif était de « lutter plus efficacement contre le surpoids, l’obésité et les troubles du comportement alimentaire, en priorité chez les enfants et les adolescents » (OFSP 2008 : 2). Il est intéressant de constater que les enfants ont été d’emblée désignés comme cible prioritaire de ces interventions. Les statistiques sur la prévalence de l’obésité ont servi d’argument pour justifier la nécessité d’une intervention rapide, face à un problème considéré comme urgent :

3« En Suisse, un enfant sur cinq souffre déjà de surcharge pondérale, un chiffre cinq fois plus élevé que vingt ans auparavant. (…) Le nombre de personnes en surpoids, tous âges confondus, a fortement augmenté au cours de ces dernières années. En 2002, 37% de la population adulte souffrait d’excédent de poids ou d’obésité, contre 30% auparavant » (OFSP 2008 : 4).

4Dans le cadre de cet article, je développe une perspective d’anthropologie de l’enfance autour du thème de l’obésité à partir d’un ancrage ethnographique. Pour faire cela, je m’appuie sur les résultats d’une étude de terrain que j’ai conduit dans un programme thérapeutique pour enfants en excès pondéral dans un canton de Suisse romande entre 2016 et 2017, comprenant des observations participantes et des entretiens semi-directifs avec les enfants et leurs parents. Par le biais d’une immersion directe dans le cadre des thérapies de l’obésité, j’ai souhaité appréhender les expériences que les enfants font du corps en situation. A la suite de différents auteurs ayant travaillé sur le thème du contrôle du corps (Wright & Harwood 2009 ; Lee & Motzkau 2011 ; Lee 2013), j’ai développé mon questionnement autour de la notion foucaldienne de biopouvoir (Foucault 1976, 2004). J’ai appréhendé les thérapies de l’obésité en tant que formes de biopouvoir, c’est-à-dire en tant que techniques visant le contrôle des corps des individus et de la population (Foucault 1976). À travers mon enquête, j’ai souhaité comprendre quels rapports de pouvoir s’expriment dans le cadre des thérapies de l’obésité autour du corps de l’enfant dans l’interaction entre adultes et enfants, et au sein des groupes de pairs. En partant du constat que les enfants se situent dans un ordre générationnel (Mayall 2015), dans lequel ils occupent une position subordonnée, je me suis interrogé sur le rôle que les thérapies de l’obésité jouent dans la reproduction des rapports de pouvoir adultes-enfants. De plus, j’ai voulu comprendre de quelle manière des formes d’inégalité viennent s’exprimer et se construire dans le cadre de ces thérapies, non seulement sur la base de l’âge, mais également du genre, du milieu social et de l’origine culturelle. J’ai fait l’hypothèse que la gestion du corps n’est pas vécue de la même manière par l’ensemble des enfants selon leur position sociale. Pour faire cela, je me suis inspiré de l’approche intersectionnelle (Alanen 2016 ; Konstantoni et Emejulu 2017 ; Rodo-de-Zarate 2017). Il s’agissait de savoir en quoi le travail thérapeutique affecte les rapports de pouvoir au sein du groupe des enfants et participe à réduire, ou au contraire à renforcer, les différences entre enfants. Afin d’avoir une approche non-essentialiste du corps, je me suis intéressé à la manière dont les identités sont construites à travers les performances corporelles et les actes de langage.

Méthode et contexte de l’étude

5La volonté de réaliser une enquête ethnographique dans le cadre d’un programme thérapeutique pour enfants en excès pondéral2 en Suisse est née du constat que la problématique de l’obésité de l’enfant a donné lieu à un grand nombre de mesures de santé publique dans le cadre de ce pays3, comme dans la plupart des pays occidentaux. Les thérapies de l’obésité représentent un des principaux axes de la lutte contre l’obésité de l’enfant. En 2007, les assurances maladie ont reconnu l’obésité de l’enfant comme étant une véritable maladie, dont les coûts de traitement peuvent être pris en charge par l’assurance maladie de base. A partir de là, un grand nombre de programmes thérapeutiques se sont développés dans l’ensemble du pays. Ces thérapies, dont le contenu est défini par l’Association suisse obésité de l’enfant4, comprennent un suivi médical, diététique, psychologique et de l’activité physique. Les parents sont impliqués dans la thérapie au même niveau que les enfants. Les thérapies reposent essentiellement sur des techniques comportementales visant à changer les habitudes de vie des enfants et de leurs familles, afin de favoriser une stabilisation du poids de l’enfant.

6Mon étude de terrain a été conduite entre avril 2016 et juillet 2017 dans le cadre d’un programme thérapeutique de groupe de Suisse romande, qui a été créé en 2011 par une association caritative d’ampleur cantonale bénéficiant de subventions publiques et qui est géré principalement par des professionnels, avec l’appui ponctuel de bénévoles. Le programme en question se déroule sur une année scolaire et comprend des rencontres mensuelles avec les enfants et leurs parents, qui ont lieu un samedi par mois pendant une journée entière dans les locaux de l’association. Pendant l’année scolaire, les enfants pratiquent également des activités sportives adaptées dans le cadre du programme avec une fréquence hebdomadaire. De plus, ce programme a la particularité d’inclure une semaine de camp en zone rurale, où les enfants dorment sur place sans la présence de leurs parents. Plusieurs activités sont proposées dans ce cadre, telles que des activités sportives et en mouvement (le réveil sportif, du sport en salle de gymnastique, de la piscine, de la zumba), des ateliers diététiques et de cuisine, des groupes de parole et des ateliers psychologiques, des visites guidées dans un château et dans une chocolaterie, de la luge d’été, du karting, des ateliers bien-être et une soirée dansante. Le camp est encadré par les mêmes professionnels qui suivent les familles pendant l’année, à savoir par deux psychologues, deux diététiciennes et une professeure d’activité physique. Ces professionnels sont tous issus de milieux moyens-aisés, et ont entre 25 et 35 ans.

7En 2016, j’ai pris contact avec la responsable (diététicienne) de ce programme thérapeutique et j’ai exprimé le souhait de mener des observations dans le cadre de celui-ci. La responsable du programme a accepté que j’assiste à la semaine de camp, avec la double casquette de chercheur et de moniteur bénévole servant d’appui à l’équipe professionnelle. Suite à cette expérience, elle a été d’accord de transmettre une feuille d’information concernant mon étude aux familles, afin de leur proposer de participer à des entretiens semi-directifs. Les enfants et les parents ont été interviewés séparément. L’expérience a ensuite été répétée en 2017. L’accès aux journées parents-enfants se déroulant le weekend a cependant été plus difficile. En 2016, il n’a pas été possible d’effectuer des observations dans ce cadre, car le programme était presque terminé. En 2017, suite à un changement de direction, j’ai fait face à des résistances de la part du nouveau responsable de programme (psychologue), qui a mis davantage de réserves quant à ma présence, sur la base de l’argument que la sphère privée des patients devait être protégée. Le responsable a uniquement accepté que j’observe une journée parents-enfants sur le thème de l’alimentation et de la cuisine, qui était jugé moins intime que d’autres thèmes. Les matériaux présentés dans le cadre de cet article sont donc basés avant tout sur les observations que j’ai menées pendant les deux semaines de camp en 2016 et 2017, des conversations informelles avec les professionnels, les enfants et les parents, ainsi que sur les entretiens semi-directifs conduits avec les familles. En 2016, 12 familles d’enfants ont suivi le programme thérapeutique et 2 d’entre elles ont accepté de participer à des entretiens semi-directifs avec moi. En 2017, 12 familles ont suivi le programme et 5 ont participé à des entretiens. Au total, 7 enfants et 11 parents ont été interviewés (3 mères et 5 couples père-mère). Les entretiens ont eu lieu au domicile des familles. Ils ont été enregistrés, entièrement retranscrits et analysés à l’aide du logiciel Nvivo sur la base d’un codage thématique. Le taux de participation des familles aux entretiens est relativement faible et pourrait s’expliquer par leur manque de temps et d’intérêt, ou encore par la peur d’être évaluées et jugées dans le cadre des entretiens. Dans le tableau 1 ci-dessous, j’ai résumé les données socio-démographiques (âge, genre, niveau socioéconomique et origine) des enfants qui ont participé au programme en 2016 et 2017.

Tableau 1 : données socio-démographiques des enfants ayant participé au camp

img-1.pngIl apparaît du tableau que la majorité des enfants participant au camp sont plutôt des (pré)adolescents. En 2016, il y avait davantage de filles que de garçons, alors qu’en 2017 les deux genres étaient représentés à peu près de la même manière. En termes de milieu social5, les trois couches sociales sont également représentées. Au niveau de l’origine, il y a une moitié d’enfants d’origine suisse et une moitié d’origine étrangère6.

8La négociation de mon statut sur le terrain n’a pas été simple. D’une part, l’existence d’une certaine ambigüité autour de mon statut m’a permis d’accéder relativement facilement au terrain, sans trop devoir justifier ma présence. Cependant, le manque de définition de ce statut a souvent donné lieu à des tensions et des attentes divergentes de la part des acteurs. En tant qu’adultes, les enfants m’ont d’emblée considéré comme faisant partie de l’équipe professionnelle et m’ont prêté une certaine autorité. En raison de mon rôle de chercheur/moniteur, j’ai parfois dû intervenir pour corriger leurs comportements, lorsqu’ils transgressaient certaines règles du vivre ensemble ou qu’ils se mettaient en danger. Le reste du temps j’ai cependant essayé d’éviter d’exprimer des jugements vis-à-vis de leurs comportements et j’ai essayé de sortir du rôle de l’adulte, afin de me rapprocher de leurs expériences. Cela n’a pas manqué d’engendrer des tensions avec les autres professionnels, qui m’ont parfois reproché de ne pas être suffisamment strict avec les enfants. En dépit des obstacles qu’elles ont engendré, ces tensions m’ont permis de réfléchir à l’importance des rôles sociaux et aux dynamiques de pouvoir entre enfants et adultes, ainsi qu’aux enjeux de l’engagement sur le terrain de recherche.

Biopouvoir et discipline du corps

9À travers mon travail de terrain, j’ai pu observer de près l’effet que le biopouvoir exerce sur la vie des enfants, notamment lors de ma participation au camp. Dans ce cadre, le biopouvoir assumait la forme d’une discipline du corps, qui était mise en place au quotidien à travers un ensemble de pratiques visant à encadrer les manifestations corporelles des enfants. Trois domaines faisaient en particulier l’objet d’un contrôle accru de la part des professionnels : l’alimentation, l’activité physique et le psychisme. En apparence ordinaires, la majorité des activités proposées dans le camp avait pour objectif de modifier la relation des enfants à leur corps, afin de stabiliser ou diminuer leur poids. La discipline du corps était souvent imposée par les professionnels aux enfants, mais reposait aussi parfois sur des formes d’autocontrôle et d’autosurveillance du corps, ainsi que sur le contrôle par les pairs. Lors de mes observations, j’ai pu constater que ces activités exerçaient un effet coercitif sur les comportements des enfants, mais elles ouvraient également des espaces de négociation et de résistance. Dans la mesure où la majorité des enfants participant au camp étaient des préadolescents et des adolescents, les professionnels avaient tendance à leur accorder une marge de manœuvre relativement importante, tout en exigeant de leur part de faire preuve de responsabilité et d’autonomie dans la gestion de leur corps.

Contrôler l’alimentation des enfants

10Dans le domaine de l’alimentation, la discipline du corps passait par le contrôle de la qualité des produits consommés par les enfants, des quantités, de la durée et du cadre des repas. Lors des repas principaux (midi et soir), la règle était que les adultes devaient servir les enfants, afin de limiter la taille des portions. Chaque repas était accompagné par un discours de la diététicienne qui soulignait l’importance de manger lentement, afin de ressentir ses sensations corporelles et régler sa consommation en fonction de la sensation de faim et de satiété. Les enfants devaient manger lentement et attendre 20 minutes avant de pouvoir être resservis, afin de pouvoir ressentir la sensation de satiété. Les attitudes des enfants pendant le repas faisaient aussi l’objet d’une surveillance importante : les professionnels corrigeaient les enfants qui parlaient trop fort, qui se disputaient, qui n’étaient pas assis correctement sur leur chaise ou qui se levaient sans permission de table. Les entretiens conduits après le camp nous ont permis de constater que les enfants avaient bien intégré ces principes dans leurs habitudes de vie :

11« Le camp m’a permis d’apprendre les doses, de ne pas abuser, de respecter sa faim surtout. Et puis se dire, ce n’est pas parce que tu vois les autres manger que tu es obligé de manger quoi. Si t’as pas faim, tu ne manges pas. » (L., 11 ans, fille)

12Au petit-déjeuner, les enfants disposaient de davantage de liberté, puisqu’ils pouvaient se servir tout seuls et choisir eux-mêmes les quantités et les produits qu’ils préféraient manger. Cette pratique s’explique notamment par le fait que les normes diététiques autorisent une consommation alimentaire plus importante au petit-déjeuner, qui est considéré comme le repas le plus important de la journée. Le repas était aussi accompagné par un discours de la diététicienne, qui soulignait l’importance de régler sa consommation sur sa faim et d’éviter les excès. La liberté des enfants n’était donc qu’apparente, puisqu’ils devaient faire preuve de modération dans leur consommation, et les excès donnaient toujours lieu à des réactions de la part des adultes. Si les enfants plus âgés faisaient généralement preuve d’autonomie dans ces situations, les enfants plus jeunes avaient plus de difficulté à s’autocontrôler. Lors d’un petit déjeuner, trois garçons s’étaient par exemple engagés dans une sorte de compétition visant à manger plus de kiwis que les autres. Cela avait amené une professionnelle à intervenir pour leur dire de se limiter à un ou deux fruits. La responsabilisation des enfants était également encouragée à travers l’obligation de participer au rangement des tables et à la vaisselle. Au cours du camp, j’ai assisté à de nombreuses reprises à la manifestation de résistance par les enfants vis-à-vis de la surveillance de leurs comportements alimentaires. À travers des stratégies cachées, certains enfants avaient par exemple réussi à se servir plusieurs fois de certains produits, en effectuant des échanges avec leurs camarades, en se levant discrètement de table sans que les professionnels s’en aperçoivent, ou en mentant sur le nombre de portions déjà consommées lors des services. En raison de la présence sur le site du camp de distributeurs automatiques, plusieurs enfants avaient aussi pu se procurer en cachette des produits interdits, tels que des bonbons, biscuits, chocolats et sodas, qui étaient consommés dans les chambres à l’abri du regard des adultes.

Promouvoir l’activité physique

13Les activités physiques et sportives constituaient également des leviers importants dans la discipline du corps des enfants au sein du camp. Tous les jours de la semaine, les enfants étaient amenés à pratiquer au minimum deux activités en mouvement. Le matin avant le petit déjeuner, les enfants faisaient environ 30 minutes d’activité physique dans le cadre du « matin sportif », qui permettaient de dépenser des calories avant le repas. Plus tard dans la matinée ou l’après-midi, ils suivaient également des cours de gymnastique, de piscine, de danse ou de yoga. Les professionnels qui animaient ces activités étaient formés dans l’approche de l’activité physique adaptée, qui prend en compte les besoins spécifiques des enfants avec des difficultés motrices ou en situation de handicap. Les activités sportives proposées aux enfants avaient pour particularité d’être ludiques et amusantes (il s’agissait la plupart du temps de jeux), en dépit du fait qu’elles étaient obligatoires pour tout le monde. En présentant l’activité physique sous cette forme, les professionnels espéraient impliquer plus facilement les enfants et limiter les résistances. De plus, ces activités avaient très souvent un caractère coopératif et non-compétitif. Bien que chaque jeu pouvait représenter une forme d’épreuve pour les enfants, où il était question de montrer sa compétence aux autres, les professionnels essayaient d’écarter le plus possible la compétition interindividuelle et le risque d’échec personnel, en favorisant plutôt des jeux coopératifs ou par équipes. La difficulté des épreuves était aussi souvent adaptée aux capacités de l’ensemble des enfants. Sur le plan pédagogique, ces activités visaient à montrer à des enfants d’âges différents que le sport et le mouvement peuvent être source de plaisir, tout en véhiculant aussi implicitement différents principes démocratiques tels que l’égalité et l’inclusion. Contrairement au domaine de l’alimentation, la discipline du corps n’était pas ici exercée par le biais de techniques individuelles d’autocontrôle de soi, mais bien plutôt par des pratiques collectives. La discipline du corps s’exerce ici par le biais du contrôle par les pairs et dans les interactions entre enfants. En termes de résistance, ces activités ne donnaient pas lieu à des oppositions majeures de la part des enfants, dans la mesure où elles n’étaient généralement pas perçues comme contraignantes, mais plutôt comme des sources de plaisir. Cependant, les professionnels qui encadraient ces activités devaient souvent rappeler à l’ordre certains enfants, qui ne respectaient pas les règles des jeux ou des exercices en question, qui n’écoutaient pas les instructions reçues, ou qui transgressaient d’autres règles plus générales concernant l’usage des lieux ou le comportement à tenir avec les autres enfants (ne pas insulter, ne pas se disputer). Les principes d’égalité et d’inclusion qui étaient prônés à travers ces activités sur le plan théorique se heurtaient souvent à la réalité de l’inégalité de fait entre les enfants, en termes de capacités physiques. Bien que les professionnels aient réduit le plus possible la dimension compétitive des différents jeux, les enfants avaient toujours tendance à se mesurer les uns par rapport aux autres et à rechercher la compétition de différentes manières.

Travailler sur le psychisme

14Le travail psychologique assumait également une place centrale dans les activités menées dans le cadre du camp et dans la discipline du corps des enfants. Le camp comprenait des groupes de parole (au début et à la fin du camp) encadrés par l’ensemble des professionnels, où les enfants pouvaient s’exprimer par rapport à leur vécu en lien avec l’obésité et leur expérience du camp, ainsi que des ateliers animés par une psychologue, qui portaient sur l’estime et la confiance en soi, la gestion des émotions, la motivation et la relation aux autres. Ces différentes activités avaient pour objectif de modifier le rapport de l’enfant à soi-même et aux autres, aussi bien en termes de cognition que d’émotions et de sensations corporelles. Contrairement à l’alimentation et au mouvement, ces pratiques ne visaient pas en premier la diminution du poids de l’enfant, mais plutôt l’acceptation de sa propre corpulence actuelle, qui devait passer par le développement d’un nouveau regard sur soi. Dans le cadre d’un entretien mené après le camp, K. (fille, 13 ans) avait bien résumé le sens de ces activités :

15« Nous avons appris à nous respecter et nous donner confiance. Et puis se dire qu’on n’est pas tout seuls. (…) Il faut s’assumer, assumer que t’as un corps comme ça, assumer ta différence » (K., 13 ans, fille)

16En 2016, dans le cadre de l’atelier psychologique, les enfants avaient dû peindre et décorer un masque, afin de représenter une image idéale d’eux-mêmes. En 2017, une activité similaire avait de nouveau été proposée, consistant à décorer individuellement un cadre, à l’intérieur duquel chaque enfant pouvait ensuite mettre une photo de lui-même. L’objectif sous-jacent de ces activités était d’encourager les enfants à travailler sur leur image de soi. Dans la même logique, le premier jour du camp la psychologue avait distribué à chaque enfant des petites boîtes à décorer (appelées « boîtes à compliments »), dans lesquelles les autres enfants pouvaient glisser des petits messages positifs. A travers cette activité, il était également question de renforcer l’estime de soi des enfants par le biais de la valorisation du respect, de la reconnaissance et de l’acceptation mutuelles.

17En dépit de leur caractère apparemment positif, ces pratiques exerçaient également une force coercitive sur les enfants, dans la mesure où elles les obligeaient à travailler sur leur image d’eux-mêmes, en faisant parfois violence à leurs propres pensées et émotions. Bien que la majorité des enfants se soit prêtée facilement au jeu des ateliers psychologiques, des manifestations de résistance n’avaient pas manqué de se produire dans ce cadre. En 2016, P. (garçon, 15 ans) avait par exemple refusé de décorer son masque par manque d’envie et s’était disputé avec d’autres enfants pendant l’atelier. En dépit de l’instauration d’un cadre bienveillant de la part de la psychologue, j’ai aussi assisté à plusieurs reprises à des situations où la règle du respect des autres était brisée par les enfants. Il est par exemple arrivé qu’un enfant trace le dessin d’un autre enfant et qu’il le fasse pleurer, que des enfants glissent des mots de moquerie dans les boîtes à compliments des autres, ou qu’ils refusent simplement d’échanger des compliments avec les enfants qu’ils n’aimaient pas. Bien que ces comportements fassent partie des échanges ordinaires qui ont lieu entre enfants dans des contextes pédagogiques, ils peuvent également être considérés comme des formes de résistance au pouvoir exercé par les professionnels et des remises en question des règles et des principes transmis par ces derniers. Ces épisodes révèlent également que le contexte du camp thérapeutique n’est pas complètement séparé du reste du monde social, mais que les dynamiques de pouvoir qui ont lieu entre enfants dans le reste de la société se retrouvent également en partie à l’intérieur de celui-ci.

Performances corporelles et construction des différences entre les enfants

18Dans le cadre du camp, mes observations m’ont permis de constater que la discipline du corps n’était pas vécue de la même manière par tous les enfants. Certains enfants semblaient parvenir mieux que d’autres à mettre en pratique les règles véhiculées par les professionnels en matière de gestion du corps, alors que d’autres semblaient avoir plus de difficultés à le faire. Le travail disciplinaire se mettait en place de manière différente selon l’âge, le genre, le milieu social et l’origine culturelle des enfants.

19En dépit de leur volonté affichée de mettre tous les enfants sur un même pied d’égalité, par le biais de leurs discours et pratiques, les professionnels avaient tendance à créer des divisions au sein du groupe d’enfants. Dans les discussions entre professionnels, certains enfants étaient désignés comme « problématiques », en raison de leur difficulté à respecter les règles établies dans le camp. A l’inverse, les professionnels se réjouissaient parfois des progrès effectués par d’autres enfants (les « bons élèves »), faisant preuve de motivation, d’autonomie et de responsabilité en matière de gestion de leur propre corps. Ces distinctions avaient pour effet de changer l’attitude que les professionnels adoptaient avec les différents enfants. Les enfants qui semblaient poser le plus de problèmes aux yeux des professionnels étaient généralement des garçons de milieu défavorisé, alors que les bons élèves étaient plutôt des filles de milieu aisé. Les enfants plus petits faisaient également l’objet de plus grandes préoccupations, en raison de leur manque d’autonomie, mais n’étaient pas nécessairement désignés comme problématiques. Des divisions entre enfants étaient également établies sur la base des règles qui régissaient la vie dans le camp, comme notamment la séparation entre les dortoirs, vestiaires toilettes et douches des filles et des garçons. La plupart du temps les enfants étaient cependant encouragés à se mélanger. Il n’y avait par exemple pas de séparation officielle par genre ou âge au repas, lors des activités de groupe et des sorties. Les divisions étaient dans ces cas construites spontanément par les enfants eux-mêmes.

20Les dynamiques existantes au sein des groupes d’enfants contribuaient à modifier la manière dont le travail disciplinaire se mettait en place dans le cadre de la thérapie. Les divisions d’âge, de genre, de milieu social et d’origine culturelle, qui caractérisent les relations entre les enfants, se voyaient reflétées dans les performances corporelles des enfants et dans la mise en pratique de la discipline du corps. J’ai pu remarquer que ces différences se construisaient à travers les épreuves auxquelles les enfants participaient et par le biais des performances corporelles dans lesquelles ils s’engageaient au quotidien, ainsi qu’à travers des processus de catégorisation. Dans ce cadre, le corps servait de moyen et de support à la construction des identités.

La construction des rapports d’âge

21Dans mes observations, l’âge est d’emblée apparu comme étant une variable centrale autour de laquelle se construisent les divisions et les rapports de pouvoir, en confirmant l’intérêt d’adopter une perspective théorique centrée sur cette variable (James et al. 1998 ; Qvortrup 2011). L’âge marquait avant tout la distinction entre les enfants et les adultes, à savoir entre les rôles sociaux de patients et de professionnels, mais participait également à construire les hiérarchies au sein des groupes d’enfants, entre « grands » et « petits ». En raison des écarts importants en termes d’âge qui existaient au sein du programme en question, ces rapports de pouvoir étaient amplifiés.

22En 2016 aussi bien qu’en 2017, il y avait dans le groupe deux enfants (un garçon et une fille) qui n’avaient que 7 ou 8 ans. A cause de leur très jeune âge, ils avaient de la peine à s’intégrer au sein des groupes respectifs des garçons et des filles, majoritairement composés de (pré)adolescents. La nuit, ils n’arrivaient souvent pas à dormir et pleuraient parfois, car ils n’étaient pas habitués à ces nouvelles situations et souffraient de l’éloignement de leurs parents. Leurs comportements suscitaient des réactions parfois très dures de la part des autres enfants, qui se plaignaient auprès des professionnels de l’immaturité et du manque d’autonomie de ces enfants. Cela pouvait les amener à rejeter ces enfants ou à rentrer en conflit avec eux. Dans certains cas, les petits enfants eux-mêmes demandaient de l’aide aux adultes. E., un garçon de 7 ans avait en 2016 demandé de pouvoir dormir dans la chambre des professionnels, afin de ne plus être dérangé par les garçons plus grands. Les professionnels avaient fini par lui proposer de dormir dans une chambre à part. Après le camp, cette problématique avait de nouveau émergé dans les entretiens que nous avons menés avec les enfants :

23« Les nuits ce n’était pas toujours facile. Les plus petites avaient peur du noir. Elles ne dormaient pas et elles pleuraient assez facilement. » (L., 11 ans, fille)

24Contrairement aux enfants plus âgés, les petits enfants avaient parfois de la peine à comprendre les messages donnés par les professionnels de santé et à les mettre en pratique. Ils faisaient donc plus souvent l’objet de remarques de la part des professionnels, voire des enfants plus âgés. Les professionnels étaient cependant plus indulgents à l’égard de ces enfants-là et prêtaient une grande attention à leurs besoins.

25Lors des différentes activités qui avaient lieu dans le cadre du camp, les enfants plus petits étaient souvent désavantagés, du fait qu’ils n’avaient pas encore les mêmes capacités physiques ou intellectuelles que les autres enfants. De ce fait, les professionnels étaient amenés à contrer ces difficultés, en venant en aide à un enfant en particulier, ou en formant des équipes où les différences d’âge s’équilibraient. Par exemple, dans le cadre de la piscine, les petits enfants étaient clairement désavantagés par rapport aux autres, car leur technique de nage était limitée. Ils avaient donc de la peine à participer aux jeux proposés dans l’eau. Pour compenser cela, les professionnels leur fournissaient du matériel supplémentaire (ceinture de sauvetage, planche en mousse), ou leur donnaient des petits avantages lors de certaines épreuves (temps supplémentaire, trajet plus court).

26Si les rapports d’âge contribuaient la plupart du temps à maintenir un ordre générationnel relativement hiérarchisé, mes observations ont également montré que ces rapports pouvaient faire l’objet de négociations et résistances. En créant des alliances avec les professionnels ou avec les enfants plus âgés (notamment les filles) et en jouant sur la dimension de l’affectivité et de la tendresse, reproduisant les logiques d’une relation parentale, les petits enfants parvenaient souvent à bénéficier de privilèges et de traitements spéciaux. En 2017, j’ai par exemple développé une très bonne relation avec R., un garçon de 8 ans, qui s’était beaucoup attaché à moi et qui recherchait mon soutien dans plusieurs situations difficiles, en reproduisant parfois une dynamique parent-enfant. Bien que les comportements de l’enfant puissent en partie être interprétés comme un besoin d’une figure parentale en l’absence des parents, ils doivent également être considérés comme une stratégie de survie de l’enfant au sein de son groupe de pairs, visant à compenser l’infériorité due à l’âge par une alliance avec un adulte disposant de plus de pouvoir.

Les divisions basées sur le genre

27Les divisions entre filles et garçons étaient très visibles dans le cadre du camp. Tout en découlant des dynamiques propres aux groupes d’enfants, ces différences étaient également construites et renforcées par les adultes, notamment à travers des divisions spatiales et par des attitudes différentes adoptées vis-à-vis des deux groupes. Les professionnelles de genre féminin s’occupaient avant tout des filles et les professionnels de genre masculin des garçons. Cette séparation était en partie due au fait que les chambres des filles et des garçons se situaient sur deux étages différents, mais résultait également des affinités propres aux professionnels et aux enfants, qui étaient amenés à interagir avant tout avec les personnes du même genre. Cette division de genre dans les interactions que les professionnels avaient avec les enfants ne découlait pas d’un ordre de la hiérarchie, mais semblait s’instaurer comme une pratique professionnelle implicite. Parmi les professionnels, les garçons avaient la réputation d’être plus bruyants et plus agités que les filles. De ce fait, leur attention tendait à se concentrer sur les garçons et notamment sur ceux qui posaient « le plus de problèmes ». Il était plus ou moins admis que les filles parvenaient plus facilement à s’autoréguler et transgressaient moins souvent les règles du camp. Cela avait pour conséquence que la discipline du corps était appliquée de manière plus stricte par les filles que par les garçons et que les filles internalisaient de manière plus forte le contrôle des adultes sur leurs corps que les garçons. Ces différences de genre tendaient à s’exprimer de manière plus marquée chez les enfants plus âgés que chez les petits enfants. Chez les filles adolescentes, le souci du corps apparaissait de manière très explicite, notamment à travers l’habillement et le maquillage. Ces résultats tendent à confirmer les analyses sociologiques sur les processus de socialisation genrée, qui montrent qu’au cours de leur développement les filles et les garçons construisent des rapports différents à leurs corps, en rapport avec les normes sociales de genre qui leur sont transmises (Croity-Belz et al. 2010 ; Rouyer et al. 2014).

28En règle générale, le programme impliquait les mêmes activités pour les filles et pour les garçons. Une seule exception avait lieu le dernier jour, où les filles participaient à un « atelier wellness » (maquillage, coiffure et ongles) pendant que les garçons pratiquaient le karting. Cette activité contribuait à renforcer sur un plan officiel une division de genre, en véhiculant l’idée que la beauté et le soin du corps sont des activités propres aux filles, et que le mouvement, la conduite, la vitesse et la prise de risques sont propres aux garçons en tant que formes de virilité (Croity-Belz et al. 2010). Certaines filles ont remis en question ce principe en regrettant a posteriori de ne pas avoir fait le karting, et inversement certains garçons ont trouvé dommage de ne pas avoir pu faire l’atelier wellness pour mieux soigner leur look. Le soir du même jour, une soirée dansante a été organisée pour les enfants. Dans ce cadre, les professionnels ont préparé deux bols séparés avec les noms des filles et des garçons, et ont effectué des tirages au sort pour déterminer quelles filles devaient danser avec quels garçons. Cette pratique n’a pas manqué de créer des réactions de la part de certainss enfants, notamment des plus petits, qui étaient gênés et avaient peur d’interagir avec les personnes du genre opposé. Lors de l’entretien avec R. (7 ans, garçon), le jeune garçon est revenu sur cet épisode, en rappelant le fait qu’il s’était senti mal à l’aise lors de cette soirée en raison des pressions des adultes et des autres enfants à danser avec les autres filles :

29« Je n’ai même pas dansé ce soir-là. Je n’ai pas voulu ! J’étais en petite boule, sur ma chaise et j’attendais. Les filles m’ont demandé d’aller danser avec une fille et j’ai dit ‘non !’ »

30À l’exception du dernier jour, pendant toute la durée du camp les activités proposées aux enfants étaient pourtant toujours mixtes. Cela ne voulait pas pour autant dire que la pratique de ces activités ne donnait pas lieu à des divisions de genre. Par exemple, lors des repas, les filles et les garçons ne se mélangeaient généralement pas. Dans les moments libres, il était également assez rare que les deux groupes jouent ensemble. Dans le cadre des activités communes, il arrivait assez fréquemment que des garçons adressent des moqueries aux filles, et vice versa. Le jour du 1er avril, les filles ont par exemple fait une blague aux garçons, en venant frapper très tôt à leur porte le matin et en collant des poissons d’avril sur leur porte. Ces formes de plaisanteries faisaient partie du répertoire de pratiques permettant d’exprimer les relations intergroupes entre filles et garçons sous la forme de la rivalité et du conflit, tout en restant dans le respect des règles du vivre ensemble. Au niveau des activités sportives et de loisirs, des différences de genre se construisaient également à travers des performances corporelles multiples et des formats d’épreuves variées, qui tendaient à avantager l’un ou l’autre groupe. Lors des cours de zumba, plusieurs filles étaient par exemple avantagées, du fait qu’elles avaient déjà pratiqué de la danse auparavant et qu’elles appréciaient particulièrement cette activité, alors que les garçons avaient de la difficulté à suivre les pas, se montraient gênés et trouvaient l’activité ridicule car ils l’associaient à la féminité. Les professionnels ne semblaient cependant pas être conscient de ce problème, puisqu’ils considéraient la zumba comme une activité unisexe pouvant favoriser l’activité physique d’une manière ludique. Dans le cadre des ateliers psychologiques, j’ai également remarqué que les filles se livraient beaucoup plus facilement à des récits sur leurs propres émotions et sensations en lien avec le corps que les garçons, qui étaient davantage réticents et inhibés par rapport à ce type de discours.

31Les rapports de genre ne s’exprimaient pas uniquement dans les relations intergroupes mais également au sein des groupes respectifs des filles et des garçons. Au sein du groupe des garçons, la masculinité était par exemple performée à travers des épreuves de force et de virilité (lutte, bras de fer), de vitesse (course), d’agilité, d’habilité technique (jeux vidéo, dessin) et d’intelligence (jeux nécessitant un savoir), ou encore par les vêtements et les mouvements corporels. D’une manière analogue, au sein du groupe des filles la féminité était performée à travers des épreuves d’agilité et de coordination (danse), d’habilité technique (dessin, décoration), de chant et d’intelligence, ainsi que par l’habillement, le maquillage et les attitudes corporelles. La concurrence entre des masculinités et des féminités différentes pouvait parfois être source de conflit, en raison de l’origine sociale ou de l’âge différent des enfants, mais aussi en raison du refus de certains enfants de se conformer aux idéaux corporels prônés par les autres. Lors de la séance de remise en beauté, L., une fille de 13 ans issue de l’immigration, avait par exemple refusé d’être maquillée et coiffée, en allant à l’encontre du modèle de féminité auquel les autres filles avaient adhéré. Les différences de genre se construisaient également de manière différente en fonction de l’âge des enfants. Comme évoqué auparavant, j’ai souvent constaté que les garçons et les filles plus petits avaient de la peine à participer aux activités informelles des groupes respectifs des garçons et des filles plus âgés en raison de leur jeune âge. Cela n’était pas uniquement lié à leur immaturité, mais aussi à la non-maîtrise des codes et des représentations des garçons et des filles plus âgés. Le refus du jeune R. de danser avec une autre fille de son âge constitue un bon exemple de cette difficulté des enfants les plus jeunes à s’intégrer dans les pratiques proposées par les enfants plus âgés et par les adultes.

L’importance du milieu social

32Contrairement aux différences d’âge et de genre, les différences de milieu social n’apparaissaient pas toujours de manière explicite dans le cadre du camp et ne donnaient pas lieu à de véritables débats. Elles avaient plutôt tendance à se construire sur un niveau implicite, à travers des affinités, des pratiques et des goûts différents. Comme l’ont souligné plusieurs sociologues de l’enfance, les différences socioéconomiques se construisent déjà au cours de l’enfance, bien qu’elles soient souvent peu visibles (Alanen et al. 2014 ; Alanen 2016). Aussi bien au sein du groupe des filles que des garçons, j’ai remarqué que les enfants avaient tendance à construire des relations d’amitié avant tout avec les enfants de leur même milieu social et du même âge. J’ai pu confirmer cela par le biais de mes observations, ainsi qu’à travers les entretiens avec les enfants, où je leur ai demandé avec quels enfants ils s’entendaient le mieux au camp. En 2016, K. et L., deux filles de 11 et 13 ans et de milieu aisé (leurs parents exerçaient des professions libérales et de cadres) avaient par exemple développé une très forte affinité, qui s’est prolongée en dehors du programme, et a impliqué également le développement d’une relation d’amitié entre leurs deux familles. Ces différences sociales pouvaient aussi s’exprimer à travers les conflits entre les enfants de milieux différents. En 2016, P. (garçon, 15 ans et de milieu défavorisé) s’était par exemple moqué du statut social élevé de K. (fille, 13 ans) en lui disant : « toi dès que tu perds un cheveu à la maison, il y a ton majordome qui le ramasse. » Ou encore E. (fille, 15 ans et de milieu défavorisé) avait qualifié la petite R. (7 ans) de « petite riche ». Les différences de milieu social s’exprimaient également à travers le langage, les attitudes, les styles vestimentaires et les accessoires, qui reflétaient des goûts sociaux différents. Ceux-ci étaient en même temps modulés par l’âge et le genre. Chez les enfants plus âgés, ces différences apparaissaient de manière plus visible que chez les plus petits enfants. Les pratiques de consommation semblaient également jouer un rôle important dans la construction des différences de milieu social. Lors de la sortie au Château de la Gruyère et à la chocolaterie, plusieurs enfants avaient souhaité faire des achats de souvenirs. Dans ces situations, les enfants de famille aisée, qui disposaient de davantage d’argent que les autres, ont effectué des achats plus importants. Les nombreux achats effectués par la petite R. (7 ans) ont notamment suscité des réactions de jalousie par les autres enfants, ainsi que l’inquiétude des professionnels. Ces achats étaient jugés illégitimes en raison du jeune âge de la fille, mais également parce qu’ils révélaient une différence de milieu social par rapport aux autres enfants. Lors de l’entretien mené après le camp avec K., cette question avait de nouveau ressurgi dans la discussion :

33« J’ai l’impression qu’il y en a plusieurs qui trouvent que R., je ne sais pas… Avoir un Iphone à son âge, avoir tout ça… Ce n’est pas normal, je ne sais pas… C’est jeune quoi. Ses parents n’auraient pas lui donner tout ça. »

34En termes de discipline du corps, j’ai constaté que les enfants de milieu aisé avaient plus de facilité à suivre les recommandations des professionnels, notamment parce que leur style de vie avant la thérapie correspondait davantage à l’idéal prôné par le programme que celui des autres enfants. Les entretiens menés avec les enfants et les parents ont d’ailleurs confirmé ce constat, en évoquant des changements de comportements significatifs de la part de ces enfants. De ce fait, les professionnels tendaient à féliciter les enfants de milieu aisé en raison de leurs progrès, alors qu’ils sanctionnaient plus souvent les autres enfants. L’intégration de la discipline du corps était visible aussi bien sur le plan des pratiques qu’au niveau du langage que ces enfants ont développé autour de leur corps. Leur meilleur niveau d’éducation leur permettait de construire des discours plus élaborés que les autres enfants autour de leur subjectivité et de leurs pratiques, en allant dans le sens voulu par les professionnels. Avant le début du programme, plusieurs de ces enfants ont déjà suivi d’autres thérapies et programmes de prise en charge de l’obésité, et leurs parents sont souvent dans un processus actif de recherche de solutions pour le problème de leurs enfants. Comme je l’ai souligné plus haut, cette grande prise de conscience était davantage visible chez les filles de milieu aisé que chez les garçons. De manière inconsciente, les professionnels tendaient à renforcer les différences sociales entre les enfants, en validant les comportements des « bons élèves » (de milieu aisé) et en sanctionnant les attitudes des « mauvais élèves » (plus souvent de milieu défavorisé). Ils avaient aussi tendance à interagir davantage avec les enfants de milieu aisé, notamment les enfants plus âgés, en raison du fait qu’ils partageaient certains intérêts, goûts et habitudes en matière de style de vie.

Des enfants aux origines culturelles différentes

35L’origine culturelle ne semblait pas non plus faire l’objet d’une problématisation par les acteurs à un niveau explicite. Elle semblait plutôt opérer à un niveau implicite. Comme souligné au départ, à peu près la moitié des enfants participant au camp étaient issus de l’immigration et avaient des origines multiples. Leur différence culturelle était exprimée par leurs corps, parfois de manière consciente et parfois malgré eux, à travers la couleur de la peau, l’habillement, le langage, les gestes et les mouvements corporels. Les identités culturelles pouvaient parfois donner lieu à des performances spécifiques, comme lors de la soirée dansante, où G. (garçon, 11 ans d’origine africaine) s’était mis en valeur en utilisant des pas de danse africains. Dans les interactions entre les enfants, la différence culturelle n’a la plupart du temps pas donné lieu à des conflits ou des insultes. Il est cependant arrivé que des enfants évoquent cette différence sous forme de plaisanteries. P. (garçon, 15 ans, d’origine italienne) a par exemple appelé quelques fois T. (garçon, 14 ans, d’origine africain) « le noir » en riant, mais les deux garçons étaient amis et s’amusaient ensemble. T. lui-même faisait souvent de l’autodérision par rapport à son appartenance culturelle. Au-delà de leurs manifestations corporelles, les différences culturelles des enfants faisaient l’objet d’une mise en discours lorsque les enfants évoquaient leurs pays d’origine et leur histoire familiale, par exemple lors des repas, où ils échangeaient autour de leurs goûts et habitudes alimentaires. Lors d’un repas commun, G. (garçon, 11 ans) avait par exemple affirmé préférer les repas portugais préparés par sa mère aux repas servis dans le cadre du camp.

36Dans les relations entre professionnels et enfants, la variable culturelle pouvait aussi parfois jouer un rôle. L’équipe professionnelle était composée exclusivement de personnes originaires de Suisse. Bien que les professionnels aient toujours souligné par leurs discours l’importance de respecter les différentes origines culturelles des enfants, ils ont souvent eu tendance à imposer de manière inconsciente leurs propres normes et valeurs culturelles en matière d’alimentation et de style de vie, qui se retrouvaient également dans le contenu du programme thérapeutique lui-même.

37Sur le plan de la discipline du corps, l’origine culturelle des enfants pouvait dans certains cas représenter un obstacle à l’internalisation des recommandations des professionnels en matière d’alimentation et de style de vie, en raison des habitudes de vie différentes héritées de leur famille et de leur milieu d’origine. Dans le cadre du camp, ces enfants ne semblaient pas vivre des difficultés particulières dans ce sens, puisque leur cadre de vie était le même que celui des autres enfants. Dans les entretiens, ces enfants et leurs parents ont cependant reporté avoir vécu un certain nombre de problèmes et de difficultés à mettre en pratique les recommandations thérapeutiques, notamment sur le plan de l’alimentation, en raison du fait qu’elles allaient à l’encontre des habitudes alimentaires de la famille et de leur culture d’origine.

Conclusion

38Les résultats obtenus dans le cadre de cette enquête ethnographique permettent de prolonger les réflexions sur les effets du biopouvoir et de la discipline du corps sur la vie des enfants. Les thérapies de l’obésité de l’enfant étudiées dans le cadre de cet article présentent toutes les caractéristiques du biopouvoir, dans la mesure où elles introduisent une surveillance des comportements des enfants de la part des adultes par le biais de la gestion de différents aspects corporels, tels que l’alimentation, le mouvement et le psychisme. Elles parviennent à construire un rapport de domination sur les enfants à travers la diffusion d’un savoir sur le corps, ainsi que par la soumission des enfants à un ensemble de pratiques visant à entretenir, à prendre soin et à gérer leurs manifestations corporelles (de la manière de manger jusqu’à la façon de gérer leurs émotions). Les thérapies de l’obésité ont la particularité de se présenter sous une forme positive et bienfaisante, qui tend à masquer leur dimension normative et contraignante. Leur objectif affiché est en effet de venir en aide à une population « souffrante », dont la santé serait en danger, aussi bien sur le plan physique que psychologique. La dimension pédagogique assume une place centrale dans ces thérapies, dans la mesure où elles ne souhaitent pas seulement traiter ces enfants, mais également les éduquer à une meilleure gestion de leur corps et de leur vie. Ces résultats confirment les analyses de Wright & Harwood (2009), qui avancent l’idée que le biopouvoir se serait aujourd’hui transformé dans une « biopédagogie », c’est-à-dire dans une stratégie visant à favoriser une meilleure compréhension par les individus de leur propre corporéité, ayant toujours pour fonction implicite de réguler leurs comportements. Si le biopouvoir assume à présent la forme d’une biopédagogie dans les politiques de lutte contre l’obésité de l’enfant, c’est avant tout parce que les enfants sont considérés comme des êtres en devenir dont il s’agit d’assurer le bon développement et l’éducation pour leur vie future d’adultes. Dans ce cadre, le corps constitue une stratégie spécifique d’éducation et de socialisation de l’enfant, permettant d’atteindre les enfants au plus profond de leur subjectivité (James et al. 2002).

39Les résultats montrent que les dynamiques de pouvoir introduites dans le cadre des thérapies de l’obésité expriment des tensions propres à l’ordre générationnel des rapports adultes-enfants (Christensen 1999 ; Backett-Milburn 2000). D’une part, les adultes chargés de l’éducation des enfants mettent en place de multiples stratégies pour encadrer la vie quotidienne des enfants, par le biais de la régulation de leur corps. D’autre part, les enfants s’engagent constamment dans des processus de négociation et de résistance vis-à-vis de ce contrôle social. Comme l’ont souligné différents auteurs ayant travaillé sur ce sujet (Prout 2000 ; Christensen 1999, 2000), le corps des enfants représente à la fois un lieu de contrôle social et de subversion, une contrainte et une ressource. Par le biais de leurs pratiques corporelles, les enfants peuvent modifier les structures de pouvoir dans lesquelles ils s’inscrivent. Le travail ethnographique que j’ai conduit dans le cadre du camp thérapeutique m’a permis de constater que les enfants ont la plupart du temps tendance à adhérer aux normes de comportement transmises par les professionnels. Ils sont donc soumis à un processus de normalisation, auquel participent à la fois les adultes et les enfants eux-mêmes, par le biais de l’autocontrôle et de la pression par les pairs. Nos observations révèlent cependant que l’emprise du biopouvoir sur le corps des enfants n’est jamais totale, mais que les enfants disposent d’une marge de manœuvre dans l’adoption des normes qui leur sont transmises par les professionnels, et peuvent parfois les contourner et les subvertir. Ils disposent donc d’un pouvoir de résistance. Les résultats de mon enquête ont aussi permis de constater que le biopouvoir constitue une force productrice d’identités pour les sujets, comme le concevait Foucault dans sa propre théorie de la subjectivation (1976). Les pratiques d’autocontrôle et d’autosurveillance auxquelles se livrent les enfants participent à façonner leur subjectivité et deviennent un support central dans leur relation aux autres. Dans le cadre spécifique du camp, le respect des règles en matière de gestion du corps représentait notamment un vecteur d’intégration et d’inclusion au sein du groupe, permettant de bénéficier de la reconnaissance des professionnels et des autres enfants. Le biopouvoir remplit donc en même temps une fonction coercitive et habilitante, voire cohésive, dans la vie des enfants.

40Mon exploration anthropologique des thérapies de l’obésité m’a également permis de comprendre que le biopouvoir n’exerce pas le même effet sur l’ensemble des enfants. En dépit de la volonté des professionnels de créer un environnement égalitaire, mes observations ont révélé que des processus de différenciation avaient lieu dans le cadre du camp. A travers différentes performances corporelles et actes de langage, des différences d’âge, de genre, de milieu social et d’origine culturelle viennent s’instaurer dans différentes situations de la vie dans le camp, qui n’est ni isolé, ni hermétique à la vie en société. Ces variables n’agissent pas de manière séparée, mais viennent s’imbriquer de manière complexe dans les interactions sociales. Les différences sont avant tout construites par les enfants eux-mêmes, mais elles peuvent également être reproduites par les professionnels. Ces constats sont en ligne avec les analyses menées par différents auteurs dans le champ des études de l’enfance au sujet de la construction des rapports de pouvoir au sein des groupes d’enfants (Devine 2002 ; Rysst 2015 ; Iqbal et al. 2017 ; Scholtz et al. 2017). Ces études soulignent l’importance des interactions entre pairs et des relations adultes-enfants dans la formation des identités. Dans le cadre des thérapies de l’obésité, la discipline du corps des enfants se construit de manière différente en fonction de l’identité sociale des enfants et le processus thérapeutique n’est pas vécu de la même manière par tous. Les résultats tendent à montrer que ces thérapies reproduisent les différences entre les enfants plutôt que les réduire. Bien que les enfants suivent tous la même thérapie, leurs expériences de la gestion de l’obésité ne sont pas les mêmes. Dans la thérapie, ils prennent conscience des différences qui les distinguent les uns des autres.

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Notes

1  Ces processus de lobbying ont été décrits par Maurer & Sobal (1995) pour la États-Unis et Poulain (2009) pour la France. La mise à l’agenda politique de l’obésité a notamment été rendue possible par la forte exposition médiatique du travail d’un certain nombre de médecins, qui ont par la suite assumé le rôle d’experts dans l’élaboration des politiques de santé.

2  Pour pouvoir participer à ces programmes thérapeutiques, les enfants doivent avoir été diagnostiqués comme obèses, ou en surpoids avec des complications médicales associées. Le diagnostic de surpoids et d’obésité se fait à partir de l’Indice de masse corporelle (IMC). Les seuils d’IMC à partir desquels les enfants sont considérés en excès pondéral varient en fonction de l’âge de l’enfant.

3  Plusieurs projets de promotion de la santé ont été mis en place dans le pays. En raison de la structure fédéraliste de la Suisse, ceux-ci varient fortement d’un canton à l’autre. La plupart de ces projets ont pour objectif d’encourager l’alimentation saine et le mouvement chez les enfants, à partir de la transmission de connaissances (aux enfants, parents et éducateurs) et la modification de l’environnement dans lequel évoluent les enfants (alimentation des cantines, suppression des distributeurs automatiques, interdiction des boissons sucrées dans certaines établissements scolaires).

4  Cette association professionnelle a été fondée en 2002 par différents cliniciens travaillant dans le champ de l’obésité de l’enfant dans le but d’améliorer la coordination interdisciplinaire et de construire un réseau de spécialistes. Elle bénéficie du soutien de la confédération, de Promotion santé suisse et de la Société suisse de pédiatrie.

5  Pour déterminer le milieu social des enfants, nous avons pris en considération la profession des parents.

6  Nous avons inclus dans cette catégorie les enfants qui ne sont pas nés en Suisse, ainsi que les enfants dont les parents sont nés à l’étranger.

To cite this article

Andrea Lutz, «Le corps (in)discipliné : biopouvoir, résistance et inégalités dans les thérapies de l’obésité de l’enfant (Suisse)», AnthropoChildren [En ligne], N° 8 (2018) / Issue 8 (2018), URL : https://popups.uliege.be/2034-8517/index.php?id=3155.

About: Andrea Lutz

Doctorante en sociologie, Université de Genève, Suisse, Centre interfacultaire en droits de l’enfant, assistante d’enseignement et de recherche, andrea.lutz@unige.ch