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Pierre-Jérôme Biscarat

Les musées-mémoriaux de la Shoah face à l’émotion des publics

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1Quand le triptyque « corps », « lieu », « parole » est convoqué sur les lieux de la mémoire de la Shoah en France, et plus largement en Europe, la question de l’émotion de tous les publics devient centrale. Quand il s’agit du génocide des Juifs ou de la Shoah, c’est-à-dire l’extermination planifiée de 6 millions d’hommes, de femmes et d’enfants par les nazis et leurs collaborateurs, l’émotion est forcément présente.

2Avant d’exposer quelques observations de terrain et de proposer des pistes de réflexion, nous souhaitons proposer une définition de la dénomination : « musées-mémoriaux de la Shoah ». Nous pourrions considérer qu’elle englobe les « musées-mémoriaux » sur site c’est-à-dire un lieu où il s’est joué quelque chose en rapport avec l’évènement : le lieu d’une décision comme pour la Maison de la Conférence de Wannsee à Berlin ; le lieu de vie et d’arrestation pour le Mémorial des enfants juifs d’Izieu ; le lieu de la mise à mort comme pour le Musée d’État d’Auschwitz ou le futur mémorial de Sobibór en Pologne. Cette catégorisation entend que les publics visitent une exposition mais se rendent également sur des lieux d’histoire chargés émotionnellement.

I. Les observations de terrain auprès des publics scolaires, enseignants et adultes

3Les observations de terrains sur les attentes des publics, et en particulier sur la question de l’émotion, ont été menées depuis 25 ans dans le cadre d’activités professionnelles liées à l’histoire de la Shoah et à sa transmission : de 1999 à 2016, en tant que membre du service pédagogique de la Maison d’Izieu, mémorial des enfants juifs exterminés ; de 2016 à 2020 comme directeur du département éducatif de l’association Yahad-In Unum sur la Shoah à l’est de l’Europe. L’exercice de deux mandats, entre 2010 et 2022, comme expert et membre de la commission « Enseignement » de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, a permis de traiter des centaines de dossiers de projets pédagogiques de visites sur des lieux de mémoires. Parallèlement, depuis le début des années 2000, la participation à différents conseils scientifiques pour des refontes muséographiques, a été l’occasion de participer aux choix de nouveaux dispositifs d’exposition incluant des réflexions sur l’usage de l’émotion, notamment pour la nouvelle exposition de la Maison d’Izieu en 2015.

4L’observation du « besoin impératif d’émotion » s’est notamment posée lors des visites des lieux de mémoires à Izieu, Auschwitz, Bełżec et Sobibór. Sur ces quatre terrains, les deux premiers ont fait l’objet de visites régulières. Celles de la Maison d’Izieu ont été assurées de 1999 à 2016 avec une fréquence de cinq à dix visites guidées par semaine, et pour le Musée d’Auschwitz entre 2000 et 2022 à raison de deux voyages par an. Pour Izieu, les publics concernés pour les visites étaient majoritairement des scolaires de tous les niveaux : primaire (CM1/CM2) pour 10 % ; collège (4e/3e) pour 70 % ; lycée (Première/Terminale) pour 20 %1 mais aussi des enseignants dans le cadre de formation académiques2. La durée moyenne d’une visite guidée pouvait s’étaler entre 1h30 et 2h.

5Pour le Musée d’Auschwitz, quarante visites ont été assurées principalement pour des lycéens de Terminales et des enseignants en histoire et en lettres dans le cadre d’un séminaire de formation. Le parti-pris a été d’éviter les visites d’une seule journée pour se consacrer à des formats longs : trois à quatre jours de travail plein pour les élèves ; cinq jours pour les enseignants3. Le parcours se décomposait de façon progressive : un à deux jours pour la visite des traces juives de Cracovie et deux à trois pour les différents sites historiques du complexe d’Auschwitz. Les groupes étaient composés d’environ trente élèves tout comme ceux des enseignants. Sur chacun des sites, les publics bénéficiaient d’un important corpus de documents, et parfois de la présence de témoins rescapés d’Auschwitz. De 2005 à 2011, le Service pédagogique de la Maison d’Izieu a mis en place, avec le concours de l’historien Jean-François Forges, un séminaire annuel d’études pour les enseignants et les professionnels des musées. Ce séminaire, intitulé « Les traces juives de Cracovie, le camp d’Auschwitz et le crime contre l’humanité »4 répondait à la demande des enseignants qui attendaient une mise à jour de leur savoir scientifique, une réflexion didactique, et des contacts utiles sur le terrain. Le séminaire durait sept jours dont deux jours pour les traces juives de Cracovie et trois jours pour Auschwitz. À partir de 2006, les enseignants, quelquefois les lycéens, rencontraient systématiquement le directeur du Musée d’Auschwitz, Piotr Cywiński, pour échanger longuement avec lui sur la façon d’aborder le site avec les scolaires. La question du choc émotif, ou de son absence, ressenti par les visiteurs revenait systématiquement dans les discussions sur la manière de le gérer et dans les projets de rénovation des parcours et de la muséographie.

6Les visites des mémoriaux de Bełżec et de Sobibór ont été moins nombreuses que les deux précédents sites. Pour Bełżec, elles se sont déroulées en 1999, 2000 et 2004. Pour Sobibór, elles se sont étalées en 1999, 2000, 2004 et 2023 alors même que le futur « Musée et mémorial du site de Sobibór » terminait ses travaux d’aménagement des restes des chambres à gaz et des fosses communes. Pour ces quatre lieux de mémoire, Izieu, Auschwitz, Bełżec et Sobibór, les impressions et représentations des publics5 sur la question de l’émotion ont été recueillies et utilisées principalement dans trois cadres. Le premier cadre fut et est celui de l’amélioration des visites guidées pour chacun des sites. Les longues expériences d’Izieu et d’Auschwitz ont été particulièrement fructueuses. Le second cadre concernait la rédaction en 2009-2010 d’un Rapport d’évaluation pour Fondation pour la Mémoire de la Shoah ayant pour thème : « Les voyages pédagogiques en Pologne des élèves de Troisième ». Il s’agissait de se demander s’il y avait un âge pour se rendre sur ce type de site mémoriel avec un public aussi jeune. Le troisième cadre fut celui d’un projet éditorial pour les éditions pour la publication d’un Guide historique d’Auschwitz et des traces juives de Cracovie rédigé avec Jean-François Forges6. À chaque étape des visites, des séances de débriefing ont été systématiquement organisées avec les publics concernés. De même, les directeurs et les médiateurs de ces institutions sont sollicités sur les questions historiques et pédagogiques, dont la place de l’émotion. Les récentes visites d’Auschwitz se sont déroulées en octobre 2021 avec 30 étudiants et cinq professeurs d’une classe de Khâgne A/L du lycée Janson-de-Sailly à Paris, et en mars 2022 avec 30 Terminales du lycée Notre Dame des Minimes à Lyon. En mars 2023, nous étions présents le 10 mars 2023 sur le site mémorial de Sobibór avec 20 étudiants de Licence 3 (histoire, sociologie, géographie) dans le cadre d’une Unité d’Enseignement d’Ouverture de l’Institut national universitaire Champollion d’Albi, encadrée par Ygal Fijalkow, Sandrine Victor et Thibault Courcelles, sur le thème de la Shoah en Pologne7. Lors des observations et des discussions avec l’ensemble des publics pour ces lieux de mémoire et dans le cadre de l’élaboration de nouveaux dispositifs muséographiques, la demande « d’émotion » apparaît comme une tendance lourde.

II. La diversité des publics

7Concernant les publics, deux grandes catégories peuvent être identifiées : les publics au sens large puis ceux plus spécifiques du monde scolaire allant de l’enseignement primaire au secondaire en passant par les étudiants du supérieur. Nous pourrions affiner avec le public des établissements confessionnels juifs et le grand public de confession ou de culture juive. Dans ces deux catégories, si nous voulions affiner, il y aurait à distinguer ceux qui ont perdu un membre direct de leur famille dans le génocide et ceux dont les familles ont échappé au crime et celles qui n’ont pas été impactées. Notons que sur le plan culturel, une autre distinction pourrait être faite entre les Juifs d’Afrique du Nord et ceux originaires d’Europe de l’Ouest et de l’Est sachant que globalement les Juifs d’Europe de l’Ouest ont été moins touchés que ceux d’Europe de l’Est8, et ceux d’Afrique du Nord encore bien moins touchés que ceux de toute l’Europe. Pour l’énoncer plus clairement, le monde ashkénaze, majoritairement les « Juifs étrangers » pour Vichy, a été en première ligne dans le génocide alors que pour des raisons géopolitiques, le monde sépharade d’Afrique du Nord a été relativement épargné même si des persécutions ont sévi dans cette région9 et même si une partie de ceux réfugiés en métropole, considérés comme apatrides par Vichy, n’ont pas échappé à la déportation. Ces nuances pourraient paraitre trop subtiles mais elles comptent pour un sujet aussi sensible que celui de la Shoah. Pour ceux qui ont perdu une partie ou presque toute leur famille, l’émotion ressentie au cours de la visite est souvent très intense. Elle se manifeste généralement par des visages très fermés, voire des pleurs. Pour ce public spécifique, le choc, voire le traumatisme, sont des éléments à prendre en compte pour les professionnels des mémoriaux de la Shoah. Face à ces publics, le discours de la distanciation historique est inefficace et contre-productif ainsi que le refus du recours à l’émotion. Autant en avoir conscience pour trouver les attitudes adaptées afin de transmettre avec justesse l’histoire de la Shoah dans les lieux mêmes où celle-ci s’est déroulée. Nous parlons ici des rescapés en tant que public mais aussi de certaines associations de descendants pouvant tout autant être considérés comme une catégorie de public et acteurs à part entière de la mémoire. Dans l’élaboration des mussés-mémoriaux, dans leur visite et dans nos pratiques pédagogiques, ces nuances comptent et il convient de les prendre en compte pour ce qu’elles induisent.

III. L’impérative et irrésistible demande d’émotion

8Les publics, jeunes et adultes, veulent ressentir, vivre avec force l’expérience des visites ; ils veulent éprouver un « choc ». Et s’il n’est pas au rendez-vous de la rencontre, ne rien ressentir est vécu comme une grande culpabilité, un manque d’humanité à la limite du traumatisme. À la question « y a-t-il une demande d’émotion des publics pour les musées-mémoriaux de la Shoah ? », nous pouvons répondre par l’affirmative. À savoir si ces publics sont écoutés par les administrateurs et s’ils se transforment en acteurs des musées mémoriaux, la question mérite d’être posée.

9Les liens sont effectivement étroits entre les acteurs décisionnaires et les destinataires d’un musée mémorial de la Shoah. Ces derniers peuvent en effet peser directement ou indirectement sur l’élaboration et la politique des publics d’un musée. De nombreux exemples illustrent comment la question spécifique du « besoin d’émotion » est prise en compte lors de la visite des musées mémoriaux de la Shoah.

10En 2017, la chercheuse Sarah Gensburger publiait dans Histoires des émotions un chapitre intitulé « L’univers concentrationnaire : les affects malgré tout ». Elle constatait que « plus de soixante-dix ans plus tard et alors que les déportés disparaissaient peu à peu, la transmission de l’histoire des camps prend appui sur les émotions que visiteurs, spectateurs ou élèves doivent ressentir. La simple évocation de l’extermination des enfants juifs à Auschwitz, symbole du système concentrationnaire nazi, suffit effectivement à faire naitre l’émotion chez la plupart de nos contemporains »10 tout en prenant le soin d’ajouter cette précision fondamentale que « [r]essentir est, y compris pour le non-témoin, considéré comme la voie d’accès privilégié à la réalité de l’univers concentrationnaire, à tel point que certains ont pu parler de ‘ fantasmes du témoignage’»11.

11Elle remarquait avec justesse que la mémoire des camps dans les musées-mémoriaux prenait appui sur l’individualisation du récit en s’appuyant sur une référence en la matière à savoir le Musée-Mémorial de l’Holocauste à Washington aux États-Unis ouvert en 199312. L’option proposée au public avait fait grand bruit à l’époque : à votre arrivée on vous propose d’endosser l’identité d’une victime piochée parmi des fac-similés de passeports et de déambuler dans l’exposition permanente. Ce lien d’identification avec un personnage du passé permet l’instauration d’un lien émotionnel fort, et par conséquent une meilleure transmission. La formule avait remporté un immense succès. 20 ans plus tard, ce dispositif est encore aujourd’hui considéré comme une réussite et remporte auprès des publics le même engouement. À tel point que les équipes pédagogiques ont conçu une exposition centrée sur l’explication de la Shoah pour les enfants à partir de l’âge de 11 ans. Il s’agit de l’histoire romancée d’un enfant nommé Daniel. Le récit est élaboré sur la base d’une collection d’histoires vraies sur les enfants pendant la Shoah13. La formule demeure extrêmement populaire auprès des familles. Dans cet exemple américain, les équipes pédagogiques et muséographiques ont répondu à l’impératif et irrésistible besoin d’émotion du grand public et des scolaires. Et sans doute s’agissait-il d’un pacte réciproque entre les décideurs et les ressortissants. Rappelons à l’évidence que la Shoah n’a pas eu lieu sur le sol américain. Par conséquent pour les concepteurs, l’angle émotionnel de l’identification était probablement l’option la plus adaptée pour sensibiliser les destinataires. Mais l’américanisation de la Shoah fut un mouvement puissant en Europe14. En France, le président de la République, Nicolas Sarkozy avait poussé cette logique à son extrême, en février 2008, en proposant de faire parrainer par des élèves de CM2 chaque enfant juif de France victime de la Shoah entraînant une levée de boucliers du corps des enseignants et les reproches appuyés de Simone Veil alors présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Sarah Gensburger met en lumière que

« l’individualisation et l’identification sont ainsi les deux principaux ressorts mobilisés aujourd’hui pour mettre en place une relation empathique vis-à-vis de l’histoire de l’univers concentrationnaire avec l’idée implicite que ce lien émotionnel, s’il est établi, permettra la transformation non seulement sentimentale mais aussi morale et civique de ceux à qui il s’adresse. »

12C’est bien cette tendance qui l’a globalement emporté dans les musées-mémoriaux et par extensions dans les pratiques pédagogiques de la transmission de l’histoire de la Shoah.

13L’historienne de l’art américaine, Alison Landsberg, a qualifié ce phénomène de « mémoire esthético-émotionnelle » car il s’inscrit dans une époque d’omniprésence des dispositifs de médiation qui fait de l’empathie et du partage d’émotions les modalités centrales de tout lien avec le passé15. Les publics trouvent dans les musées-mémoriaux de la Shoah ce qu’ils réclament, à savoir une expérience émotionnelle. Si les responsables et les pédagogues de ces institutions ont adopté globalement cette formule, il est moins sûr qu’ils y adhèrent entièrement notamment pour ceux ayant une formation d’historien où l’établissement des faits et leur interprétation, la distance critique face au drame demeurent les règles intangibles de la discipline. Et les historiens sont nombreux à occuper des postes dans ces institutions mémorielles. Il n’est pas inutile de rappeler que la Shoah est un « fait d’histoire »16  et que le premier acte de transmission est de faire de l’histoire. Les faits, rien que les faits, et l’analyse des faits. Alors que les négationnistes et les complotistes continuent à œuvrer sans relâche, il est salutaire d’enseigner que les fondements d’un monde commun n’existent que s’il y a des vérités factuelles que l’on ne peut pas changer à volonté. La connaissance des faits permet d’accéder à une conscience universelle, et il est impératif de préserver la distinction entre les faits et les opinions. Cependant, les musées-mémoriaux ne sont pas des universités, et pour les historiens franchissant le pas d’une aimable coopération avec ces structures mémorielles, il convient de s’aligner sur ces standards émotionnels tant demandés par les publics. Mais les critiques de ces dispositifs émotionnels ne manquent pas, et il n’est pas sûr que les équipes des musées-mémoriaux laissent les affects se diffuser dans le récit et l’interprétation de l’histoire qui se donnent dans les scénographies des mémoriaux la Shoah. Il y a même une forme de résistance pour contourner les demandes émotionnelles des publics.

14Trois terrains d’enquêtes vont nous servir de base pour l’analyse de ces questions sensibles. Des terrains d’enquêtes où les enjeux liés à l’émotion sont fondamentaux. Il s’agit de la Maison d’Izieu, mémorial des enfants juifs exterminés dans l’Ain à l’est de Lyon17, du Musée national d’Auschwitz-Birkenau18 et du futur « Musée et mémorial du site de Sobibor » en Pologne19.

IV. La Maison d’Izieu et l’équilibre des forces

15Le musée-mémorial des enfants d’Izieu a été inauguré par le président de la République française François Mitterrand le 24 avril 1994 dans le cadre du cinquantenaire de la rafle. Il a été édifié à la mémoire de 44 enfants juifs et leurs sept éducateurs arrêtés, le 6 avril 1944 par le chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie. Seule une éducatrice revint de la déportation. Pour une grande partie d’entre eux, leurs parents avaient été arrêtés en 1942 par des gendarmes ou des policiers français puis placés dans des camps d’internements avant d’être livrés aux nazis en vue de leur déportation20. Le procès Barbie, qui s’est tenu à Lyon du 11 mai au 4 juillet 1987, a joué un rôle central dans l’idée de faire d’Izieu un lieu de mémoire nationale. En effet, parmi les temps forts du procès il y eut trois audiences consacrées à la rafle. Le 17 juin, Serge Klarsfeld fit une puissante plaidoirie où il évoqua le destin des 44 enfants d’Izieu dont il fit le symbole de « l’innocence assassinée », et le 24 juin, le procureur général Pierre Truche conclut son réquisitoire par les enfants d’Izieu en demandant aux jurés « de dire qu’à vie Barbie sera reclus ». L’émotion suscitée par le crime des enfants d’Izieu fut considérable. Évoquer leur mémoire dans un musée sans laisser place à l’émotion eut été impensable.

16Les statuts de l’association pour la création et la gestion du musée-mémorial d’Izieu sont déposés à la préfecture de l’Ain le 8 mars 1988 et les premières réunions se tiennent au siège de l’Office National des Anciens Combattants de Bourg-en-Bresse. François Mitterrand, fit un usage politique du projet du musée-mémorial d’Izieu pour « blanchir » sa réputation puisque son passé à Vichyste remontait inexorablement à la surface. Pour le président de la République, le mémorial d’Izieu devait marquer les esprits et les cœurs. Les responsables du mémorial ne pouvaient pas ignorer cette dernière dimension.

17Entre 1994 et 2015, deux bâtiments étaient ouverts à la visite. Les muséographes prirent le parti de dissocier la fonction « Mémoire » de la fonction « Histoire ». La Maison est le lieu où vécurent les enfants et leurs éducateurs. Plutôt qu’une reconstitution, les concepteurs ont privilégié l’évocation de la vie des enfants dans la colonie pour mieux souligner leur présence disparue. Des lettres et des dessins des enfants sont exposés dans le réfectoire et le portrait de chaque enfant est accroché aux murs des dortoirs avec son nom, ses dates et lieux d’assassinat. C’est le lieu de mémoire, le lieu qui produit généralement l’émotion la plus forte Dans la Grange, l’itinéraire et l’histoire des enfants d’Izieu et de leurs familles, sont retracés dans le cadre de ce que furent la collaboration du régime de Vichy et la persécution des Juifs dans l’Europe nazie. C’est le lieu d’histoire. La visite du mémorial propose non pas une opposition mais une articulation entre « Histoire » et « Mémoire ». La mémoire pour ressentir des émotions, l’histoire pour comprendre. « Histoire » et « Mémoire » ne sont plus en conflit, en en concurrence ou antagonistes mais complémentaires, une sorte d’alliance entre le cœur et la raison21. Chacun put y trouver son compte. Une forme d’équilibre fut respectée. L’exigence historique comblait les responsables et les professionnels du site. L’émotion présente dans le lieu où vécurent les enfants répondait à la demande des publics, particulièrement les héritiers de cette histoire.

18En 2015, le projet de l’extension a développé plutôt la place de l’histoire mais l’équilibre mémoriel avec la Maison a été respecté. Il faut dire que l’ensemble des bâtiments s’intègre dans un paysage exceptionnel. Situé à l’extrême sud du département de l’Ain, sur les contreforts du Jura, le site est d’une grande beauté. De la grande terrasse de la Maison d’Izieu, la vue permet de contempler un sublime panorama où domine à l’horizon une partie des Préalpes, la vallée du Rhône et le massif accidenté de la Chartreuse. À l’automne quand les feuilles tombent, on aperçoit le Rhône. C’est l’un des lieux les plus beaux et les plus tragiques de France. Comment ne pas être ému ? C’est ce contraste qui donne sa force au lieu.

V. Résister à l’hypertrophie symbolique du camp d’Auschwitz-Birkenau

19Dans un lieu aussi emblématique qu’Auschwitz, doté d’une valeur symbolique d’« épicentre de l’Holocauste »22, l’impératif de l’émotion est aussi bien partagé par les publics scolaires que par des personnalités institutionnelles ou éminentes comme Serge Klarsfeld. Qu’ils soient jeunes ou adultes, c’est le lieu de mémoire « absolu » où les attentes émotionnelles sont les plus fortes. Et, il ne fait aucun doute que les jeunes souhaitent ardemment vivre l’expérience émotionnelle par excellence dans un lieu où, entre le 14 juin 1940 et le 27 janvier 1945, environ 1.300.000 personnes furent déportées à Auschwitz. Parmi eux : 1.100.000 Juifs de toutes les nationalités ; 140.000 ou 150.000 Polonais non juifs ; 23.000 Tsiganes et 15.000 prisonniers de guerre soviétiques23.

20Pour Serge Klarsfeld, les voyages de mémoire à Auschwitz servent à provoquer un choc. Et celui-ci est plus positif quand les élèves sont collégiens plutôt que lycéens, c’est-à-dire vers 13-14 ans. Toujours selon Serge Klarsfeld, c’est l’âge où l’on peut le mieux intégrer ce type de visite. Ce n’est pas la maturité politique ou intellectuelle qui compte, ce sont plutôt les impressions très fortes qui font que pour toute la vie on garde une sainte horreur du totalitarisme et être en position de résister à une résurgence de ce type de régime. La maturité ne joue pas un rôle fondamental, c’est davantage quelque chose qui vient se greffer sur la sensibilité plus que sur l’intelligence mature24. Avec cette « pédagogie du choc », Serge Klarsfeld rejoint la position d’Anne-Marie Revcolevschi qui en 2006, alors directrice de la Fondation pour la mémoire de la Shoah (FMS), déclarait à propos des voyages scolaires à Auschwitz : « L’objectif c’est que l’élève soit confronté à la réalité de l’horreur. C’est un choc émotionnel obligatoire. Aucun cours ne remplace ce que l’on voit. »25 Depuis sa création en 2000, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (FMS) aide au financement de nombreux voyages scolaires sur des lieux de mémoire de la Shoah, principalement au Musée national d’Auschwitz-Birkenau.

21Cependant, en 2010, après quelques années d’expérience, la FMS a été amenée à réfléchir à la question de l’âge adéquat pour visiter de tels lieux. Concrètement, il s’agissait de savoir si les visites des élèves en classe de Troisième étaient pertinentes. Poser cette question impliquait de traiter les effets de l’émotion sur un public jeune. Nous nous sommes donc posé les questions suivantes : la visite du musée-mémorial est-elle adaptée pour des élèves de Troisième en raison de leur jeune âge (13-15 ans) et d’une plus grande émotivité ? C’est la question centrale de la maturité qui est ainsi posée26. Qu’entend-on par maturité d’un élève ? Elle peut s’entendre par rapport à l’émotion. Un élève de Troisième peut-il recevoir le choc émotionnel d’une telle visite ? Ce choc peut se traduire par un traumatisme, voire générer une forme fascination morbide. Sans aller jusqu’au traumatisme, un simple effet de sidération peut entraver le processus d’apprentissage. Un autre problème peut surgir, celui de l’absence d’émotions créant chez les plus jeunes, mais aussi chez les adultes, un sentiment de grande culpabilité27. Il s’agit également de la maturité qu’il faut appréhender dans une acception plus intellectuelle qu’affective. Un élève de cet âge a-t-il les clés culturelles, de connaissances, de méthodes, pour en comprendre l’importance et la spécificité de ce qu’il découvre ? A-t-il les capacités d’abstraction nécessaires pour appréhender un lieu immense dont l’histoire est complexe ? Avec la Direction générale de l’enseignement scolaire, nous avons répondu par la négative. Depuis 2010, les voyages de collégiens au Musée national d’Auschwitz-Birkenau sont vivement déconseillés, et la directive est respectée depuis près de quinze années. Dans le cas précis visites des scolaires à Auschwitz, c’est l’Éducation nationale qui en France restreint la venue d’un public trop jeune, à savoirs les collégiens de classe de Troisième.

22Quand l’historien Piotr Cywiński prit la direction en 2006 du Musée national d’Auschwitz-Birkenau, il dut faire face, en grande partie, à une muséographie héritée de la Pologne communiste datant de 1955, avec des installations qui recherchaient explicitement à produire un choc émotionnel. Un héritage complexe et lourd à porter et à manier avec précaution tant l’ensemble est le fruit d’une histoire tumultueuse28. Le musée mémorial s’ouvre au public le 2 juillet 1947 sous l’autorité du Parlement polonais d’obédience communiste jusqu’à l’élection des nationaux-conservateurs du parti Droit et Justice (PiS) de 2015 à 2023, en passant par la guerre froide, les campagnes antisémites de la fin des années 1960, la chute du régime communiste au début des années 1990 avec le retour à la démocratie puis l’intégration de l’Union européenne en 2004. Ces différentes vagues politiques ont joué un rôle décisif sur la perception des Juifs et de la Shoah.

23Concernant les lieux dits « sensibles » avec les publics, les expositions des block 4 et 5, sur le site du camp principal d’Auschwitz I, exposent dans de larges vitrines les « preuves matérielles des crimes » comme près de 2 000 valises, des milliers chaussures, de lunettes, de prothèses, des vêtements d’enfants ainsi qu’une salle entière avec deux tonnes de cheveux de déportés. L’effet sur tous les publics est radical. La vision est insoutenable. Souvent, elle se solde par les larmes et un retour sur ses pas en direction de la sortie. Conscient des difficultés à modifier des espaces muséographiques à la fois historiques, symboliques et sensibles, Piotr Cywiński tient à rénover le Musée national d’Auschwitz-Birkenau pas à pas, dans la durée, avec le souci de ne pas céder aux pressions des différents publics qui demandent, voire exigent de ressentir des émotions fortes. Les systèmes muséographiques d’immersions, très en vogue aujourd’hui, n’auront pas leur place. Dès son arrivée, Piotr Cywiński avait donné le ton :

« La nouvelle exposition devrait prendre en compte tout le savoir historique acquis depuis mais aussi utiliser les nouvelles méthodologies d’aménagement des musées. Mais, il ne s’agit pas en aucun cas d’en faire un musée interactif et priver cet endroit de son caractère exceptionnel. L’ensemble devra rester sobre et digne. Nous voulons que les jeunes sortent après une visite du camp non seulement avec l’image du plus grand drame de l’humanité que fut l’Holocauste, mais aussi en connaissant l’héroïsme des victimes, leur entraide et solidarité. »29 

24Un espace devrait être aménagé pour exposer les quelque 2.000 œuvres d’art, dessins et peintures, créés par les détenus. Face aux exigences gouvernementales, aux pressions des différentes associations et des publics toujours plus nombreux, aux impératifs de conservations des bâtiments, le projet de rénovation du Musée national d’Auschwitz-Birkenau a pris du retard mais son directeur tient le cap sans céder aux sirènes des partisans de l’émotion30.

VI. Le musée-mémorial de Sobibór contre l’architecture de l’effroi

25Le futur « Musée et mémorial du site de Sobibór » est un autre exemple intéressant. Lieu historique hautement tragique et symbolique puisque le 14 octobre 1943, des prisonniers juifs se sont révoltés. Environ 300 prisonniers s’évadèrent. Entre le printemps 1942 et l’automne 1943, près de 170.000 hommes, femmes et enfants juifs avaient été gazés dans le centre de mise à mort de Sobibór31. Au lendemain de la guerre, il subsistait encore plusieurs baraques SS sur le site mais elles furent détruites assez vite de même que la rampe d’accès ferroviaire. Un mémorial fut érigé en 1965 sans prendre en compte les zones des fosses communes dont le sol régurgitait les restes humains et les objets des victimes et des bourreaux. Jusqu’aux années 1980, le site fut l’occasion de nombreux pillages et de recherches de l’or « juif ». En mai 2012, le musée de l’ancien camp de la mort de Sobibór est rattaché au musée d’État de Majdanek de Lublin. En 2020, la partie muséographique ouvre ses portes au public. Il faut attendre la fin de l’année 2023 pour que les différentes parties muséographiques soient définitivement aménagées : zones des baraquements, des chambres des gaz et des fosses communes. Tout comme pour le Musée d’Auschwitz, il n’a sans doute pas été aisé pour l’équipe de direction de composer avec les représentants du PiS défendant des propos pour le moins ambigus face à la mémoire de la Shoah entre 2015 et 2023. Rappelons que le 6 février 2018, le président polonais signa une modification de la loi sur l’Institut de la mémoire national, qui érigea en infraction le fait d’affirmer publiquement que la Pologne joua un rôle dans la Shoah ou en fut complice.

26Mais pour comprendre les spécificités du nouveau « Musée et mémorial du site de Sobibór », il nous faut remonter à l’année 2013. En juillet, les architectes Piotr Michalewicz et Marcin Urbanek ont remporté, avec l’artiste-historien Łukasz Mieszkowski, le premier prix du concours international pour le développement d’un nouveau concept de mémorial sur le site de l’ancien centre d’extermination de Sobibór. Dans la revue K. Les Juifs, l’Europe, le xxie siècle, Łukasz Mieszkowski32 s’est longuement expliqué sur les intentions du projet où s’entremêlent pression des familles des survivants et pressions nationales et diplomatiques sur la question sensible de l’émotion dans leur projet33. L’une des premières interactions du public ou plutôt des « visiteurs » concerne la question du pillage des lieux. Une pratique courante sur les sites de la Shoah à l’Est dont le sociologue américano-polonais Jan Tomasz Gross a tiré une étude publiée en France en 2014 sous le titre Les moissons d’or34. Il a donc été décidé très vite dans leur projet de recouvrir les sites des fosses communes d’une épaisse couche de pierres blanches afin de protéger les fosses pour éviter les profanations.

27L’équipe du futur mémorial a fait le pari audacieux de rompre avec la tendance dominante de la représentation architecturale et artistique de l’extermination des Juifs d’Europe nommé « architecture de l’effroi » c’est-à-dire des dispositifs architecturaux et scénographiques conçus pour éveiller au maximum les émotions du visiteur, pour susciter la tristesse, la solitude ou la désorientation ou simplement pour l’effrayer35. L’exemple le plus frappant reste celui du musée-mémorial du centre de mise à mort de Bełżec36. Les partisans de cette forme architecturale estiment qu’elle souligne la singularité de la Shoah, qu’elle attire l’attention et qu’elle favorise le processus éducatif. Ce type de Musée-mémorial cherche à recréer chez les visiteurs des actions dans leur matérialité — par exemple, répéter le passage des rampes aux chambres à gaz — et les sentiments des Juifs assassinés. Cette méthode, qui s’inspire des principes de l’architecture postmoderne et de la tendance à la reconstitution, suggère que pour mieux comprendre l’histoire, il faut la revivre personnellement. Au mémorial de Bełżec, le public est servi en émotions puisque les visiteurs passent par une brèche qui traverse une pente inclinée sur laquelle se trouvent des fosses communes. Les visiteurs empruntent ensuite le même chemin que les victimes, des wagons aux chambres à gaz, et descendent comme eux dans l’abime. Dans ce « tunnel de la peur », de hauts murs, recouverts de reliefs sculptés expressifs, les entourent. À la fin de cette déambulation, les visiteurs croient pouvoir se réfugier dans des alcôves mais la sensation de soulagement est de courte durée puisque sur les murs sont gravés les prénoms, et non les noms, des victimes juives de Bełżec. Pour les visiteurs allemands ou polonais portant ces prénoms, l’effet « d’effroi » est garanti notamment pour les plus jeunes. Ce processus émotionnel est décrit par les partisans de « l’architecture de l’effroi » comme une « induction du choc »37.

28L’équipe de Sobibór propose un projet radicalement différent en évitant les tentatives de rapprochement émotionnel. Łukasz Mieszkowski et ses partenaires ont décidé de limiter l’accès physique et visuel aux fosses communes et de tracer une ligne de démarcation nette entre les visiteurs et les victimes. La distance prenant la forme d’un mur de béton blanc. Cette barrière immobile rappelle aux gens la distance qui les sépare du vide de Sobibór devenant ainsi un « un témoignage de l’inimaginable38», de notre perpétuelle incapacité à comprendre l’incompréhensible, le fossé qui sépare à jamais les visiteurs des victimes.

29Si ce n’est que l’équipe de Mieszkowski a dû faire face aux familles des victimes des Pays-Bas qui ont rejeté l’idée de limiter le contact visuel avec les fosses communes. Le premier projet a donc été arrêté en concertation avec un comité directeur composé de représentants des ministères de la Culture polonais, néerlandais et slovaque, de l’Institut Yad Vashem de Jérusalem et du musée d’État de Majdanek à Lublin. Dans le projet final, la clairière des fosses communes devenait parfaitement visible mais inaccessible physiquement. Comme pour le musée-mémorial d’Izieu, un bâtiment dédié à l’étude l’histoire de la Shoah et de Sobibór jouxte la partie des fosses communes que nous pourrions qualifier de partie mémorielle. On retrouve ainsi un espace historique et un espace mémoriel sobre qui ne cherche pas à jouer sur les émotions. L’audace de cette rupture architecturale pour un musée-mémorial en Pologne s’est soldée par de vives critiques. Les descendants néerlandais des victimes de Sobibór les ont accusés de vouloir enfermer leurs grands-parents derrière un haut mur, comme les Allemands l’avaient fait il y a 70 ans ; les familles israéliennes des victimes ont prétendu que l’équipe du projet voulait imposer une rupture architecturale à des fins publicitaires. Durant des mois, il a fallu de nombreuses réunions et d’âpres négociations avec de nombreux compromis pour que leur projet voie enfin le jour.

30L’autre dimension à prendre en compte est celle de la révolte du 14 octobre 194339.Le Musée-mémorial devrait être inauguré le 14 octobre 2023 à l’occasion de la date anniversaire des 80 ans de la révolte. En effet, Sobibór fut l’un des trois centres de mise à mort sur six où la résistance juive s’illustra le 14 octobre 1943. Une dizaine de détenus réussirent à s’échapper et le site fut démantelé par les nazis40. Cet élément central de la « révolte de Sobibór » est d’ailleurs trop peu en mis en avant dans l’exposition permanente renvoyant d’une certaine manière les Juifs uniquement à leur condition de victime41. Sur ce point notamment, il faut reconnaître que la partie historique appelle des critiques tant l’image des Juifs s’inscrit dans un parti-pris victimaire. Mais ce n’est pas ce point qui a fait polémique. À notre connaissance et après discussion avec les actuels responsables du mémorial de Sobibór, les associations de descendants des victimes se sont contentées de la place modeste accordée à la révolte, préférant orienter les débats sur la place consacrée aux victimes à travers les questions du chemin emprunté pour se rendre aux chambres à gaz et la mise en valeur des fosses communes. Il est probable que les directives gouvernementales de l’époque aient joué un rôle dans les débats qui ont été publicisés. Il faut considérer que les différents ministères et mémoriaux concernés anticipent un retour négatif des publics se plaignant d’une architecture trop conceptuelle au détriment du recueillement et de l’émotion. Il faut également considérer que les descendants directs des victimes juives constituent un public à part entière. Ils peuvent se transformer indirectement ou directement en acteurs de politiques publiques mémorielles.

Conclusion

31L’exemple de Sobibór accrédite l’idée d’un « gouvernement des publics » pouvant exercer une pression sur des décisions et des actions mises en œuvre. Il s’agit bien, ici, d’une forme de pouvoir, et dans le cas d’un public de « descendants » directs de la Shoah, il n’est pas sûr que l’asymétrie des rapports soit en faveur de l’équipe en charge du projet. Les décideurs et les concepteurs ne peuvent par mener leur projet à terme sans le consentement du public spécifique des héritiers d’une histoire personnelle et familiale. Au titre de notre visite du 10 mars 2023, dans les espaces aménagés en extérieur (le chemin, les fosses, les traces des chambres à gaz), et non l’exposition permanente, le dispositif global nous a paru un peu « sobre » et ne pas susciter un doute conceptuel. Pour répondre aux attentes émotionnelles du public, sans doute y a-t-il un juste milieu à trouver entre l’architecture de l’effroi et une architecture sèche et austère.

Notes

1 Entre 1999 et 2016, la fréquentation oscillait entre 15 000 et 20 000 scolaires par an.

2 Environ 10 000 par an pour ce type de public.

3 Le « travail plein » prend bien en compte les journées entières consacrées à l’étude des lieux et ne prend en compte le jour d’arrivée et le jour du départ.

4 Séminaire organisé avec le concours du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation, et de la Chaire lyonnaise des droits de l’Homme.

5 Ces publics étaient composés de scolaires (collège, lycée), d’étudiants (Université, Classes Préparatoires aux Grandes Écoles littéraires), d’enseignants en histoire et en lettres du Secondaire et de professionnels des mémoriaux (directeurs et médiateurs) mais aussi les publics de familles et d’adultes.

6 Biscarat Pierre-Jérôme et Forges Jean-François, Guide historique d’Auschwitz et des traces juives de Cracovie, Paris, Autrement / Ministère de la défense (DMPA), 2011, 288 p.

7 Le programme fut conçu et mené conjointement avec l’association Yahad-In Unum et le directeur de son centre de recherches Michal Chojak.

8 Sur les 76 000 Juifs déportés de France : 51 300 sont étrangers soit 68 % du total des victimes et 24 700 sont français soit 32 %. Pour les 130 000 juifs étrangers vivant en France en 1940, cela représente 39 % ; pour les 200 000 juifs français, 12 %. Si l’on ajoute aux étrangers les déportés parmi les juifs naturalisés après 1927 et les dénaturalisés par les lois de Vichy, les enfants français nés de parents étrangers, le total des Juifs déportés parmi ceux arrivés en France entre 1920 et 1940 constitue 90 % du total des victimes. Voir Rousso Henry, Le régime de Vichy, Paris, Presses universitaires de France, 2007, pp. 93-95.

9 Michman Dan et Saadoun Haïm (dir.), Les Juifs d’Afrique du Nord face à l’Allemagne nazie, Paris, Perrin, 2018, 348 p.

10 Gensburger Sarah, « L’univers concentrationnaire : les affects malgré tout », in Corbin Alain, Courtine Jean-Jacques et Vigarello Georges (dir.), Histoires des émotions. De la fin du XIXe à nos jours, Paris, Le Seuil, 2017, pp. 229-230.

11 Ibid., p. 242 ; ’fantasmes du témoignage’ (Cf. Weismann Gary, Fantaisies of Witnessing: Postwar Efforts of Experience the Holocaust, Ithaca, Cornell University Press, 2004, 288 p.).

12 « Encyclopédie multimédia de la Shoah », United States Holocaust Memorial Museum, disponible à l’adresse suivante : https://www.ushmm.org (consulté le 11 mars 2024).

13 « Remember the Children: Daniel’s Story », United States Holocaust Memorial Museum, disponible à l’adresse suivante : https://www.ushmm.org/information/exhibitions/museum-exhibitions/remember-the-children-daniels-story (consulté le 11 mars 2024).

14 Mayers Oren, « Musées historiques et américanisation de l’Holocauste », Le Temps des Médias, 2005, n° 2, pp. 92-114 ; Wieviorka Annette, L’Ère du témoin, Paris, Plon, 1998, 189 p.

15 Landsberg Alison, « Memory, Empathy, and the Politics of Identification », International Journal of Politics, Culture, and Society, 2009, vol. 22, n° 2, pp. 221-229.

16 Bensoussan Georges, « la Shoah, fait d’histoire », Le Monde, 7 juillet 2000, p.15.

17 Information disponible à l’adresse suivante : https://www.memorializieu.eu (consulté le 11 mars 2024).

18 Information disponible à l’adresse suivante : https://www.auschwitz.org/en/french (consulté le 11 mars 2024).

19 Information disponible à l’adresse suivante : https://www.sobibor-memorial.eu/en (consulté le 11 mars 2024).

20 Klarsfeld Serge, Les enfants d’Izieu, une tragédie juive, Paris, Éditions AZ repro, 1984, 132 p. ; Schittly Richard, Izieu, l’innocence assassinée, Chambéry, Éditions Comp’Act, 1994, 170 p. ; Biscarat Pierre-Jérôme, Dans la tourmente de la Shoah. Les enfants d’Izieu, Paris, Fayard, 2014, 336 p.

21 Biscarat Pierre-Jérôme, « Les activités pédagogiques de la Maison d’Izieu (1994 – 2010) », Revue d’Histoire de la Shoah, juillet-décembre 2010, n° 193, pp. 385-409.

22 Grynberg Anne, « La pédagogie des lieux », Les Cahiers de la Shoah, 2005, n° 8, p. 15. L’auteur cite ici une expression de James Young.

23 Bruttmann Tal, Auschwitz, Paris, La Découverte, 2015, 128 p. ; Hördler Stefan et Kreutzmüller Christophe, Un album d’Auschwitz. Comment les nazis ont photographié leurs crimes, Paris, Le Seuil, 2023, 304 p. ; Biscarat Pierre-Jérôme et Forges Jean-François, Guide historique d’Auschwitz et des traces juives de Cracovie, op. cit.

24 Entretien avec Serge Klarsfeld par Pierre-Jérôme Biscarat, le 25 mai 2010.

25 Entretien avec Anne-Marie Revcolevschi, « Aucun cours ne remplace ce qu’on voit », 20 minutes, 20 novembre 2006.

26 Biscarat Pierre-Jérôme, Les voyages pédagogiques en Pologne des élèves de Troisième, Rapport d’évaluation, Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Juin 2010, 86 p. ; « Y a-t-il un âge pour aller à Auschwitz ? » in Fijalkow Jacques et Ygal (dir.), Les élèves face à la Shoah. Lieux, histoire, voyages, Albi, Presses du Centre universitaire Jean-François Champollion, 2013, pp. 64-80.

27 Dans la version éditoriale de son doctorat, publié en 2014, Geoffrey Grandjean avait décrit avec soin les différentes facettes émotionnelles des jeunes après un voyage à Auschwitz. Parmi tous les sentiments, celui paradoxal de la déception était ressorti et il avait fortement caractérisé le discours des jeunes. Voir Grandjean Geoffrey, Les jeunes et le génocide des Juifs. Analyse sociopolitique, Bruxelles, Éditions de Boek, 2014, pp. 79-100.

28 Wieviorka Annette, Auschwitz, 60 ans après, Paris, Robert Laffont, 2005, 297 p.

29 « Le camp de la mort d’Auschwitz modernise son exposition permanente », AFP, 26 janvier 2007.

30 D’autant qu’en avril 2021, Beata Szydło, la vice-présidente du PiS, fut nommée au sein du conseil d’administration du musée d’Auschwitz.

31 Lanzmann Claude, Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, 2001, 95 minutes ; Bem Marek, Sobibor Extermination Camp 1942-1943, Varsovie, The « Polesie Heritage » Foundation, 2015, 442 p. ; Cüppers Martin et Gerhardt Anne, Fotos aus Sobibor, Berlin, Metropol, 2020, 382 p. ; Sauli Arnaud, Sheol, 2022, 88 minutes (consacré aux fouilles archéologiques menées à Sobibór ; Grand Prix du documentaire historique des Rendez-vous de l’histoire de Blois en 2022).

32 Łukasz Mieszkowski est un historien et un artiste originaire de Varsovie, en Pologne. Il est actuellement boursier Fulbright à UC Berkeley, où il travaille sur son doctorat intitulé « Dragons et poux. La Pologne au temps de la peste 1918-1922 ».

33 Mieszkowski Łukasz, « Au-delà de l’architecture de l’effroi. Sur le nouveau mémorial de Sobibór », K. Les Juifs, l’Europe, le xxie siècle, 15 juin 2022.

34 Gross Jan Tomasz, avec la collaboration de Grudzińska Gross Irena, Moisson d’or. Le pillage des biens juifs, Paris, Calmann-Lévy, 2014, 184 p.

35 L’expression « architecture de l’effroi » a été définie ainsi par Krzysztof Lenartowicz, architecte et théoricien de la psychologie de l’architecture à l’Université de technologie de Cracovie (cf. Lenartowicz Krzysztof, « Architektura Trwogi » [ L’architecture de l’effroi], in Majewski Tomasz et Zeidler-Januszewska Anna (dir.), Pamięć Shoah. Kulturowe reprezentacje i praktyki upamiętnienia [La mémoire de la Shoah. Représentations culturelles et pratiques de commémoration], Lodz, Éditions Officyna, 2011, pp. 632-645.)

36 Entre mars et décembre 1942, près de 450 000 juifs ont été assassinés au centre de mise à mort de Bełżec ; Kuwalek Robert, Belzec. Le premier centre de mise à mort, Paris, Calmann-Lévy, 2013, 352 p. ; « Plan your visit », Bełżec Museum and Memorial, disponible à l’adresse suivante : https://www.belzec.eu/en (consulté le 11 mars 2024).

37 Bojarska Katarzyna, « Obóz-Muzeum. Afektywna przestrzeń przekazu doświadczenia traumatycznego (i sztuka) » [Camp-Musée. L’espace affectif de l’expérience traumatique (et de l’art)], in Fabiszak Małgorzata et Owsiński Marcin, Obóz-Muzeum, Trauma we współczesnym wystawiennictwie [Camp-Musée. Traumatisme dans une exposition contemporaine], Cracovie, Universitas, 2013, p. 140.

38 Jedlińska Eleonora, Obraz jest świadectwem niewyobrażalnego [L’image est un témoignage de l’inimaginable], séminaire donné le 13 avril 2016 au Musée Polin à Varsovie, disponible à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=vmfxLp0lA4M (consulté le 11 mars 2024).

39 Dont les commémorations des 80 ans ont été occultées par les attaques terroristes du Hamas sur Israël, le 7 octobre 2023 et la guerre qui s’en est suivie.

40 Les deux autres révoltes éclatèrent au centre de mise à mort de Treblinka le 2 août 1943, et au camp mixte d’Auschwitz-Birkenau, le 7 octobre 1944, avec le soulèvement des « travailleurs » juifs du Krématoire IV. Cehreli Sila, Témoignage du Khurbn, La résistance juive dans les centres de mise à mort — Chełmno, Bełżec, Sobibór, Treblinka, Paris, Éditions Kimé, 2013, 356 p. ; Arad Yitzhak, Belzec, Sobibor, Treblinka. The Operation Reinhard Death Camps, Bloomington, Indiana University Press, 1999, 437 p.

41 Catalogue de l’exposition : SS-Sonderkommando SS Sobibór, German death camp, 1942-1943, Lublin, Permanent Exhibition, Państwowe Muzeum na Majdanku, 2020, 216 p.

Pour citer cet article

Pierre-Jérôme Biscarat, «Les musées-mémoriaux de la Shoah face à l’émotion des publics», Cahiers Mémoire et Politique [En ligne], Cahiers n°10. « Le gouvernement des musées mémoriaux par les publics », URL : https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=308.

A propos de : Pierre-Jérôme Biscarat

Pierre-Jérôme Biscarat, historien, enseigne à l’université Catholique de l’Ouest à Angers et à l'Institut National Universitaire Champollion.