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Nita Larroque

La mémoire de l’exil républicain espagnol gouvernée par ses publics : le cas du mémorial du camp de Rivesaltes

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Introduction

1Selon Pierre Nora1, la fonction unificatrice de la mémoire en tant que fait social laisse place, depuis les années 1980, au développement frénétique de politiques et d'initiatives mémorielles. Précédemment comprise comme une composante inhérente au fonctionnement des États, la mémoire revêt alors le caractère d'un « devoir »2 à engager pour maintenir une cohésion dont la fragilité est sans cesse rappelée. Au fil du temps, les politiques mémorielles se décentralisent3 et les instruments de gouvernement par la mémoire se complexifient, donnant cours à la création de nombreux mémoriaux et musées-mémoriaux4 comme dispositifs pédagogiques d'accès à un savoir mémoriel et citoyen5.

2En octobre 2015, la région Occitanie et le département des Pyrénées-Orientales inaugurent le Mémorial du Camp de Rivesaltes. Érigé sur un ancien camp d'internement, il entend représenter les mémoires des nombreuses populations détenues6. Les plus nombreuses correspondent à l'exil républicain espagnol, aux populations Tsiganes et Juives devant être déportées, ainsi qu'aux anciens combattants des guerres de décolonisation dont les Harkis et les tirailleurs sénégalais7.

3En 2019, dans le cadre du 80e anniversaire de l'exil républicain, le Mémorial de Rivesaltes s'investit dans le développement d'une offre culturelle mettant ces événements à l'honneur. Il se verra qualifier, quatre ans plus tard, de « Haut lieu de l'exil Républicain espagnol »8. Cette appellation, sans équivalent relatif à d'autres mémoires à Rivesaltes, semble indiquer que l'exil espagnol prend une place centrale dans la vie culturelle de la structure.

4Selon le dossier de presse du Mémorial, produit par la région Occitanie, c'est à l'action « d'entrepreneurs de mémoire »9 que la structure doit son ouverture, suite au scandale public de la découverte d'archives du Camp à la déchetterie de Rivesaltes. S'il s'agit d'abord de groupes de promotion de la mémoire de la Shoah, les associations de descendants d'exilés espagnols (internés ou non) rejoignent rapidement le projet.

5Les travaux de Fédérica Luzi10 et d'Anélie Prudor11, qui montrent comment une partie des descendants d'Espagnols s'investit dans des luttes mémorielles organisées en coopérant avec plusieurs structures mémorielles, conduisent à interroger le rôle des descendants de l'exil dans la genèse, la naissance et la vie du Mémorial. Comment contribuent-ils à son ouverture ? Quelle est leur importance dans le fonctionnement quotidien du lieu ? Comment la structure perçoit-elle ces acteurs ? Et enfin, quelle peut-être l'incidence de cette perception dans la gouvernance du Mémorial ?

6Cet article défend l'idée que les descendants de l'exil jouent un rôle non négligeable dans le développement de l'offre mémorielle qui les concerne. Ils se situent ainsi à de multiples étapes de sa construction, se constituant à la fois émetteurs et récepteurs de cette offre. Tout d'abord, il s'agira de comprendre comment les descendants de l'exil agissent sur les politiques mémorielles qui les désignent. Il convient de souligner que cette action se cristallise, par effet de conséquences, dans des structures mémorielles comme le Mémorial du Camp de Rivesaltes. Ensuite, la place des descendants de l'exil dans le développement de l'offre culturelle du lieu sera abordée, illustrant comment les associations et acteurs de la mémoire de l'exil contribuent à donner à l'exil espagnol une place de choix. Enfin, les résultats d'une enquête des publics au long cours ainsi que sa mobilisation par la structure indiqueront que le Mémorial du Camp de Rivesaltes est engagé dans une double dynamique, entre « universalisme » et « pluralisme » des mémoires.

7Plusieurs terrains sont déployés dans la réalisation de ce travail de recherche. En première intention, une analyse d'initiatives et de rapports parlementaires espagnols est mobilisée. Une seconde partie de l'analyse s'appuie sur le développement d'une enquête ethnographique correspondant à une immersion de deux ans au sein du Mémorial du Camp de Rivesaltes12. L'argumentaire repose sur différents documents internes produits par le Mémorial, ainsi que sur la réalisation d'observations flottantes. Plusieurs entretiens formels et informels auprès des personnels de la structure et de membres d'associations viennent compléter le propos. En dernière intention, une partie des résultats d'une enquête des publics d'un an auprès de 851 visiteurs est présentée.

I. Des descendants impliqués dans des politiques mémorielles internationales

8Une part importante des exilés républicains espagnols reste très active politiquement malgré les conditions de leur arrivée en France. Cet engagement se poursuit dans l'après-guerre, et permet de représenter les exilés et leurs descendants au sein des partis espagnols13. La dynamique mémorielle qui s'amorce dans les années 1990 produit un espace favorable à la création14 d'associations mémorielles15 visant à diffuser une mémoire de l'exil républicain et à promouvoir leur reconnaissance, en particulier de la part du gouvernement Espagnol.

9Par ailleurs, la place de l'exil dans les politiques mémorielles espagnoles s'amplifie au fil du temps. Elle se précise dans le cadre d'une loi de mémoire majeure publiée en 200716, dite « loi de Mémoire historique », où émerge pour la première fois un dispositif permettant la réintégration des exilés ainsi que de leurs descendants17. Ce dispositif ouvre la voie à la parution d'une seconde loi de mémoire de grande importance, plus aboutie et surtout plus précise. La « loi de Mémoire Démocratique », parue en octobre 2022, étoffe le projet de la précédente concernant l'exil.

10S'il est difficile de mesurer l'incidence des actions de ces entrepreneurs de cause mémorielle dans le développement d'initiatives qui les désignent, ces dernières évoluent toutefois dans une direction favorable à une partie de leurs revendications. Plusieurs éléments semblent indiquer que leurs requêtes aient été prise en compte par des acteurs institutionnels et parlementaires.

11C'est surtout dans le développement des initiatives relatives à la nationalité que l'on comprend la nature des échanges entre les exilés et les institutions espagnoles. L'analyse des débats autour de plusieurs actes parlementaires indique que des collectifs de descendants de l'exil en France18 sont consultés pour le développement de certaines initiatives. La proposition de « loi sur le Statut de la citoyenneté espagnole à l'extérieur » en 200619 montre que les parlementaires qui défendent l'accès à la nationalité pour les descendants de l'exil appuient leur propos sur une requête associative.

C'est pourquoi […], les contributions et propositions des représentants du monde de l'émigration, tant des membres du Conseil général de l'émigration que des représentants et organisations et associations d'émigrants et d'exilés à l'étranger et des rapatriés, ont été particulièrement appréciées.20

12Les discussions autour de la « loi de Mémoire historique » de 2007 indiquent que ces échanges avec les collectifs de descendants de l'exil se poursuivent.

Cette loi étend la possibilité d'acquérir la nationalité espagnole aux descendants jusqu'au premier degré de ceux qui étaient espagnols à l'origine. Cela répond à une revendication légitime des émigrés espagnols, qui comprend notamment les descendants de ceux qui ont perdu la nationalité espagnole par l'exil à la suite de la guerre civile ou de la dictature.21

13Ces collectifs et associations mémoriels, très présents dans le Sud-Ouest de la France, s'investissent d'une volonté de justice historique pour les exilés et leurs descendants, contribuant à définir les critères d'une « intégrité mémorielle » à leur garantir. Ce statut d'entrepreneurs de mémoire qu'on peut leur prêter s'accompagne de la mobilisation d'espaces de dialogues particuliers. En effet, en dehors des modes de communication passant par les événements commémoratifs publics, une partie des associations mémorielles noue un contact étroit avec les consulats, devenant un canal d'interaction privilégié. Les requêtes mémorielles qui se définissent dans ces « espaces confinés »22 sont ensuite relayées par les consuls aux acteurs parlementaires de la mémoire historique espagnole23.

14L'intérêt pour la mémoire de l'exil républicain espagnol ne se limite pas à l'Espagne ni à des collectifs restreints de descendants d'exilés en France. Au contraire, elle est mobilisée dans le cadre de diverses actions politiques et culturelles, à l'échelle nationale, régionale, départementale et même européenne. En 2018, la Région Occitanie institue l'année 2019 comme une date anniversaire de l'exil qu'il convient de commémorer, et lance un « appel à manifestations d'intérêt pour des projets en lien avec le 80 eme anniversaire de la Retirada »24.

L’année 2019 sera celle du 80ème anniversaire de la Retirada. […] C’est pourquoi, en cette année de commémoration, la Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée a prévu un vaste programme d’actions et de soutien afin de conserver, de valoriser et de diffuser, auprès d’un public le plus large possible, la mémoire de ces combattants de la liberté.25

15L'institution de cette date anniversaire et sa mobilisation politique par la Région Occitanie semblent contribuer à attirer l'attention du gouvernement central français. Une « convention de double nationalité »26 entre la France et l'Espagne est préparée en 2019, facilitant ainsi l'application des dispositifs de naturalisation des descendants d'exilés ayant eu cours dans le cadre de la « loi de Mémoire historique », et reconduits pour la « loi de Mémoire démocratique » de 2022 . La convention est signée mars 2021, quand le président Emmanuel Macron reçoit le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez à Montauban sur la tombe de Manuel Azaña (ancien président de la République espagnole de 1936 à 1939).

16Le Mémorial du Camp de Rivesaltes apparaît comme un lieu de convergence des différents intérêts mémoriels et projet politiques en lien avec la mémoire de l'exil. Il est créé dans le cadre d'une requête publique, faisant suite à un scandale27 lié à « la découverte, dans une déchetterie de Perpignan, d'archives du camp relatives aux internés juifs et à leur déportation »28. La mobilisation d'entrepreneurs pour la préservation de la mémoire du site aboutit à sa prise en charge par la région Occitanie.

17Son statut d'EPCC29 fait du Mémorial de Rivesaltes le lieu de mémoire de l'exil le mieux doté financièrement — financé aux deux tiers par la Région Occitanie, le tiers restant par le département des Pyrénées-Orientales — et le plus organisé de France.

18Les ressources investies dans le Mémorial ne font qu'accroître la place des questions mémorielles dans les politiques locales, renforçant la prise en compte des entrepreneurs de mémoire par les institutions30.

19Dans ce cadre, deux projets de grande ampleur s'amorcent par le truchement du Mémorial. Tout d'abord, il participe en juin 2022 au développement d'un projet de fédération des lieux de mémoire de l'exil de Catalogne du nord et du sud, qu'il piloterait en tant que « vaisseau amiral »31, aux côtés du Museu Memorial de l'Exili (MUME) — dans une position analogue à celle du Mémorial de Rivesaltes en Espagne. Cette fédération entre dans le projet européen POCTEFA32, et inscrit les mémoires de l'exil dans le développement du GECT33 Eurorégion Pyrénées-Méditerranée. Par ailleurs, ces velléités européennes, soutenues par un argumentaire mémoriel, préexistent à l'inauguration du Mémorial. En effet, il porte dès 2015 le projet de « développer des liens avec d'autres mémoriaux européens »34, et de mobiliser des acteurs dans des réflexions sur la construction européenne.

20Un peu plus tard la même année, le nouveau Secrétariat d’État espagnol à la Mémoire Démocratique collabore avec le Mémorial de Rivesaltes afin de développer et de promouvoir la nouvelle « loi de Mémoire démocratique ». En particulier, les dispositions relatives à la promotion de la mémoire de la République espagnole et de l'exil en France35 sont discutées en détail avec la direction du Mémorial et plusieurs membres de son conseil scientifique.

21Constitué à l'origine comme un instrument d'action publique36 culturelle, le Mémorial de Rivesaltes gagne en pouvoir et en autonomie au fil du temps. Cependant, le poids et le rôle des descendants de l'exil dans son fonctionnement ne semble pas décroître.

II. Les descendants de l'exil et la gouvernance du Mémorial

22L'identité du Mémorial comme espace « pluri-mémoriel »37 est sans cesse revendiquée. Il est présenté à l'origine comme un lieu de culture et de pédagogie mobilisant des mémoires multiples dans un souci de cohésion sociale.

La particularité de ce projet consiste à […] interroger cet empilement de mémoires de manière plus sensible et le faire résonner avec le monde d’aujourd’hui, à inscrire le Mémorial dans le réseau national, européen et international des lieux de mémoire et lui donner un rayonnement digne de son histoire38

23Le Mémorial veille à insister sur la complexité de l'histoire du lieu en développant une approche chronologique de sa muséographie. Refuser une approche thématique revient donc à refuser d'opérer des choix qui risqueraient de mettre en péril la neutralité que la structure défend.

Il n’y a pas un camp de Rivesaltes, mais des camps de Rivesaltes : camp des réfugiés de la guerre d’Espagne, camp des "indésirables" de Vichy durant la seconde Guerre mondiale, camp de regroupement des juifs déportés dans le cadre du génocide, camp de transit des harkis après la guerre d’Algérie. L’histoire du camp est celle des deux grands traumatismes du second xxe siècle en France.39

24Par ailleurs, l'offre mémorielle est également dépendante de la quantité de données historiques disponibles. Ainsi, certaines parties de l'histoire du camp sont très peu représentées. Pour remédier à cette difficulté, la structure maintient sa volonté de diversification et encourage la production de savoirs relatifs à ces périodes. Dans ce cadre, un mémoire de Master de recherche en histoire portant sur les tirailleurs guinéens internés au camp est soutenu en 2022.

25Les différents dispositifs de programmation temporaire — à court comme à long terme — traduisent une volonté de diversification des contenus. Des expositions en lien avec la Shoah, la détention de populations Tsiganes, ou l'internement de Harkis et de leurs familles sont présentées depuis 2015.

26En revanche, différents effets conduisent à une représentation plus importante de l'exil que des autres périodes et populations du camp. Le fonctionnement du Mémorial, laissant une place importante aux acteurs des mémoires qu'il représente, se trouve dépendant du dynamisme de ces derniers. Leur capacité de proposer des projets ou de produire des ressources culturelles constitue une ressource centrale de la vie du Mémorial. L'exemple de l'exposition Bartolí est parlant : Georges Bartolí40, neveu de l'ancien interné Josep Bartolí, artiste de renom, parvient à rassembler un certain nombre de ses œuvres qu'il prête au Mémorial pour constituer une exposition temporaire d'un an.

27Si la vie culturelle du lieu est dépendante du rôle des acteurs des mémoires représentées, il convient de noter que la structure naît suite à la mobilisation d'entrepreneurs de mémoire. Les premières associations à alerter le public sur le cas des mémoires de Rivesaltes ont pour objet la mémoire de la Shoah et la lutte contre l'antisémitisme mais des collectifs de descendants d'exilés, soucieux de faire reconnaître l'histoire de leurs ascendants, rallient rapidement leur cause. À titre d'exemple, la stèle érigée à la mémoire des Juifs déportés du Camp de Rivesaltes le 16 janvier 1994 est rejointe par une stèle consacrée à la mémoire des Républicains espagnols le 30 octobre 1999.

28Les entrepreneurs de mémoire ont une place au sein du Mémorial de sa création à aujourd'hui. Organisés en collectifs ou isolés, ils s'inscrivent dans le fonctionnement de ce lieu de différentes manières. Officiellement, le Mémorial est partenaire de deux associations de mémoire de l'exil depuis son ouverture : FFREEE — Fils et Filles de Républicains Espagnols et Enfants de l'Exode — et l'AAG-FFI — Amicale des Anciens Guerilleros-FFI. Par ailleurs, la structure est également partenaire d'autres lieux de mémoire et de culture dédiés à l'exil (le Mémorial d'Argelès, la maternité d'Elne et le fort de Collioure). Un ensemble de logiques concurrentielles ainsi que de conflits historiques et idéologiques entre les acteurs des mémoires représentées par le Mémorial contribue à écarter de façon plus ou moins définitive certains partenaires.

29Au cours d'un entretien, l'ancien président du Conseil Scientifique du Mémorial, ayant siégé à la Commission Mémoire41, indique qu'une part des associations de mémoire de la Shoah se désinvestit de la vie culturelle de la structure. Il suppute que la présence de plusieurs mémoires fortes et soutenues par des groupes très organisés au sein d'une structure culturelle est une position inconfortable pour les acteurs de ces mémoires.

30Du côté des groupes organisés autour de l'exil, les deux associations partenaires précédemment mentionnées s'intègrent dans un conflit de plus grande ampleur à l'échelle des mémoires de l'exil. Ces dernières entretiennent dès le départ un rapport différent à la structure. Abderamen Moumen et Nicolas Lebourg42 montrent comment l'association FFREEE lutte pour être reconnue par les élus locaux comme un acteur clé de la mémoire de l'exil. Cette association s'ordonne comme « expert »43 dans la présentation de l'histoire et de la mémoire de l'exil à l'échelle des politiques locales.

L'association s'impose comme référent associatif au Conseil Général dès le début de la réflexion sur la création du MCR. […] FFREEE vous demande donc de manière très officielle, à ce que la mémoire des Républicains espagnols et des Tziganes, ait toute sa place dans ce projet, pour lequel FFREEE doit être partie prenante.44

31D'après le site officiel du Mémorial du Camp d'Argelès-sur-Mer, « FFREEE s’est beaucoup impliquée pour la création des lieux de mémoire, à Argelès-sur-mer, au camp de Rivesaltes, à la Maternité d’Elne et le MUME de la Jonquera. Elle est partenaire de toutes les entités mémorielles des Pyrénées-Orientales. ».

32À l'inverse, les rapports avec l'AAG-FFI sont ténus, et ils sont peu mentionnés. L'actuel président de l'association s'étonne d'ailleurs de savoir qu'elle est référencée comme partenaire officiel du Mémorial45. Par ailleurs, des entretiens informels avec la responsable scientifique de la structure confirment la difficulté pour les deux organisations de s'entendre. Cette difficulté repose en partie sur l'existence de points de controverse autour de certains termes et concepts historiques.

33Entre autres, la désignation même du Camp de Rivesaltes pose problème à cette association46. En effet, une part des associations de mémoire de l'exil tendent à défendre l'usage de l'appellation « camp de concentration », bien que le consensus historien favorise celle de « camp d'internement », tel que le Mémorial le mobilise dans son exposition permanente. De même, les membres d'associations militent pour l'usage de « guerre d'Espagne » plutôt que de « Guerre Civile », et sont en désaccord avec l'événement considéré comme marquant la fin de cette guerre. Ce discours est relativement partagé par l'association FFREEE, mais l'AAG-FFI se montre plus vocale au sujet de ces controverses, renforçant sa place d'interlocuteur privilégié auprès du Mémorial47.

Concernant cette guerre d'Espagne, il est important de revenir sur la date exacte de sa fin, qui est le 1er avril 1939, & non pas après la Retirada comme on peut le voir écrit au mémorial de Rivesaltes. Erreur gravissime, signalée à de nombreuses reprises, mais le conseil scientifique de ce mémorial reste enfermé dans sa tour d'ivoire...48

34La désignation du Mémorial comme un « Haut lieu de l'exil républicain espagnol » par le Secrétariat d’État à la Mémoire démocratique le 8 mai 2023 est empreinte du poids des descendants de l'exil dans la mise en place de ce statut. En effet, ces derniers sont désignés pour choisir la date de remise de cette « Déclaration de Reconnaissance et de Réparation49 ».

En Espagne, l’article 8 de la loi Mémoire Démocratique a institué le 8 mai comme Journée d’hommage aux victimes qui ont subi l’exil à la suite de la guerre et de la dictature. Cette date a été choisie sur proposition des associations de l’exil espagnol pour affirmer l’idée que les exilés ont contribué à la construction de la mémoire démocratique européenne. […] Pour le Mémorial, cette distinction représente la récompense d'un inlassable travail au service de la mémoire et un outil puissant au service de ses ambitions de coopération transfrontalière.

35Le choix de cette date est lourd de sens, et il illustre le rôle de ces associations aussi bien dans le développement de lois mémorielles espagnoles que dans le fonctionnement et le rayonnement mémoriel du Mémorial de Rivesaltes.

36Enfin, la présence de descendants d'exilés à différents échelons de la gouvernance du Mémorial contribue certainement à renforcer son identité de lieu de mémoire de l'exil en priorité. Les agents du Mémorial sont souvent des descendants de l'exil ou de la migration espagnole de 1955 à 1975. De 2019 à 2022, près d'un tiers des personnels recrutés à moyen ou long cours au Mémorial ont au moins un ascendant exilé. Ils occupent tous types de postes, correspondant à différentes échelles hiérarchiques, depuis des positions de stagiaires jusqu'à la direction, en passant par le conseil scientifique. Cette hérédité n'est pas brandie comme un étendard par les agents, mais elle est parfois discutée, ou mobilisée pour justifier certaines attitudes et certains choix.

37Plusieurs échanges avec les médiateurs indiquent que ces choix s'opèrent parfois au moment de la réalisation de visites guidées. Le temps imparti ne permet pas de présenter la totalité de l'histoire du lieu et la priorisation d'une histoire par rapport à une autre est parfois inévitable. Par ailleurs, c'est en fonction de leurs intérêts personnels ainsi que de leurs connaissances historiques qu'ils définissent les sujets qu'ils abordent et le temps qu'ils souhaitent y passer.

38Sans doute, la mémoire partagée par les agents contribue à développer des représentations de la structure et de ses publics qui impactent son fonctionnement général. Il semble que les personnels du Mémorial, pris dans ces « effets de fonctionnement », préparent le terrain de façon involontaire à une gouvernance dans laquelle la mémoire de l'exil joue un rôle prépondérant.

39L'héritage mémoriel semble faciliter le développement d'initiatives et de partenariats qui donnent à l'exil une place centrale dans l'identité de la structure. Si les origines républicaines des plus hautes instances de direction du Mémorial sont souvent laissées de côté, cette hérédité est parfois assumée comme une ressource de gouvernance50. Leur mobilisation se produit en général dans des temps informels. Elle se fait notamment au moment des négociations dans le cadre du projet POCTEFA ainsi que de l'échange avec la délégation du Secrétariat d’État à la Mémoire Démocratique. Rappeler les origines mémorielles et sociales des interlocuteurs sert souvent à produire des anecdotes soutenant le bien fondé des projets, et remplit une fonction diplomatique, permettant l'usage de la langue espagnole ou catalane en plus du français.

40Le souci du sort des descendants de l'exil transparaît également dans les déclarations publiques effectuées à l'occasion de la venue du Secrétaire d’État à la Mémoire Démocratique espagnole dans le cadre d'une reconnaissance officielle du Mémorial de Rivesaltes non seulement comme un lieu de mémoire de l'exil, mais également de « maintien de la mémoire démocratique espagnole, et [de] contribution à la mémoire collective d'Europe, pilier fondamental de la construction de la démocratie européenne »51. La directrice du Mémorial publie sur un média social en son nom le texte suivant :

08 mai 2023 : Quel jour historique pour les exilés républicains espagnols et leurs descendants ! Voici la reconnaissance officielle, par l’État espagnol, du Mémorial du Camp de Rivesaltes comme lieu de l'exil républicain !

41Cet exemple illustre la façon dont l'action des descendants d'exilés conduit de différentes manières au développement d'un projet politique complexe qui institue et renforce l'argumentaire selon lequel la mémoire de l'exil est essentielle au soutien de valeurs républicaines et démocratiques. Ici, les descendants de l'exil, incarnation d'une mémoire républicaine, sont à la fois acteurs, symboles et publics de la gouvernance par l'institution d'une figure héroïque52.

III. Les descendants de l'exil parmi les visiteurs : maintenir le contrôle sur l'offre mémorielle et sur l'identité de la structure

42La direction du Mémorial du Camp de Rivesaltes entretient une volonté de connaître ses publics visiteurs. En 2018, le Mémorial indique être engagé dans le programme « MATRICE » — Mémoire Analyses Théories Représentations Individuelles Collectives Expérimentations — qui propose un regard transdisciplinaire sur les questions mémorielles. Dans son rapport d'activité de 2018, le Mémorial de Rivesaltes s'associe à l'un des projets du programme :

Il s’agit d’étudier les comportements des publics de mémoriaux. Le défi majeur est de se focaliser sur le récepteur plus que sur l’émetteur, sur le visiteur plus que sur le concepteur, sur l’auditeur plus que sur l’auteur.

43Cette initiative indique le souci d'identifier les attentes des publics vis-à-vis de l'offre mémorielle et historique proposée par le Mémorial, qui déclare envisager de l'adapter en fonction des résultats de l'enquête.

Ces résultats permettront d’éclairer les choix futurs du Mémorial en termes de communication, de modification de l’exposition permanente ou de programmation

44En 2021, la structure débute une enquête des publics d'une durée d'un an53, et présente le projet de façon analogue à ce qu'elle indique dans son rapport d'activité de 2018. Cette enquête correspond à une requête portée par l'administratrice du Mémorial, en poste de 2015 à 2021. Elle manifeste notamment la volonté de savoir à quel point la dimension pluri-mémorielle du lieu est un des facteurs qui influence la venue des visiteurs. Ainsi, le questionnaire développé interroge le rapport des visiteurs aux mémoires représentées de même qu'il cherche à évaluer leur satisfaction vis-à-vis des expositions temporaires et permanentes.

45Les résultats de l'enquête semblent indiquer que le Mémorial de Rivesaltes est surtout perçu comme un lieu d'exil par ses publics visiteurs. Parmi eux, 13,7 % déclarent être descendants d'exilés espagnols, et ils sont surreprésentés par rapport aux descendants d'autres mémoires du Mémorial54.

46Sans trop de surprise, les descendants d'histoires représentées au Mémorial viennent avant tout dans l'intention de s'informer sur la population qui les concerne. Ainsi, 96,6 % des descendants de l'exil indiquent être venus au Mémorial pour « visiter l'histoire » des exilés.

47De manière générale, les résultats de l'enquête indiquent que l'exil espagnol est l'événement historique du Camp de Rivesaltes le plus connu, mais également le plus attractif pour les visiteurs. Ainsi, ils sont peu nombreux à découvrir la présence d'exilés espagnols au camp de Rivesaltes au cours de leur visite (22,7 %). À l'inverse, la grande majorité d'entre eux (77,6 %) indique que c'est par l'histoire de l'exil qu'ils découvrent le Mémorial.

48Ces résultats semblent renforcer l'idée selon laquelle le Mémorial est dépendant de son identité de lieu de l'exil. Par ailleurs, les personnes issues d'histoires plus visibles, comme celle de l'exil, de la Shoah ou des guerres d'Algérie ont peu d'informations concernant les autres mémoires représentées au Mémorial avant leur visite. De manière générale, les résultats de l'enquête renforcent l'idée que certaines mémoires disposent d'une position marginale, qui se traduit par une faible connaissance de ces dernières, allant de pair avec leur faible représentation (c'est en particulier le cas des persécutions Tsiganes et des guerres de décolonisation Hors Algérie).

49Contrairement à l'objectif affiché du projet MATRICE, le projet émis par le Mémorial d'inclure les publics visiteurs ainsi que leur réception des expositions dans le développement de l'offre mémorielle future ne s'inscrit pas dans un projet de conforter le rapport que les visiteurs entretiennent aux mémoires présentées. Le fait que les visiteurs issus de populations mémorialisées viennent d'abord pour se renseigner sur la partie de l'exposition qui les concerne conduit la responsable scientifique de la structure à faire l'hypothèse de l'existence de « tunnels mémoriels »55, redoutant que cet intérêt initial ne constitue une entrave à la réception des expositions.

50Il semble que le particularisme mémoriel dans lequel certains enquêtés s'engagent soit interprété comme une réception partielle de l'exposition, voire un échec pédagogique. Cette absence d'efficacité perçue donne cours à une réflexion sur le moyen d'induire une lecture particulière de l'exposition par les visiteurs, revenant à restreindre leur possibilité de s'engager dans différents usages du lieu. En effet, si certains acteurs se présentent dans une démarche de visite classique56, d'autres semblent attachés à la fonction commémorative et affective du Mémorial57.

51Cependant, la période d'instabilité résultant d'un changement de direction et d'administration au cours de l'année 2021 contribue à réduire l'intérêt de la structure pour l'enquête. La nouvelle direction ne semble pas s'approprier les résultats et analyses de l'enquête de la même façon que la précédente, se montrant plus réceptive à l'usage commémoratif du lieu dans lequel s'engage une partie des visiteurs. Une présentation de l'enquête auprès du Conseil d'Administration du Mémorial en 2023 laisse entendre que celle-ci ne présente pas un grand intérêt pour la structure et ne sera probablement pas plus mobilisée qu'elle ne l'a été. Dès lors, il semble difficile de saisir la place que la structure accorde à ses publics dans le développement de son offre culturelle.

52Le fonctionnement du Mémorial semble dépendant de deux tendances qui cohabitent dans un équilibre fragile. D'une part, un projet « d'universalisme mémoriel » y est représenté : la structure, qui se positionne depuis son ouverture comme un espace de mémoires multiples, entend mettre l'emphase sur les éléments qui rassemblent les événements historiques et les populations concernées par les expositions et la programmation. De cette façon, elle souhaite contribuer à prescrire des valeurs de cohésion58 en véhiculant une approche des logiques d'exclusion au sens large.

Étudier à travers l’exemple du camp de Rivesaltes la notion du camp, ses dénominations et ses fonctions à travers le xxe et xxie siècle. Pourquoi peut-on dire du camp qu’il est ''lieu des enfermements et des exclusions multiples'' ?

53D'autre part, le Mémorial est pris dans une logique de « pluralisme mémoriel », où l'on privilégie une représentation des populations centrée sur leur identité singulière. Dans ce cadre, la mise en avant successive de populations et d'histoires différentes permet de servir aussi bien une fonction d'hommage commémoratif (qui convient à l'un des usages dans lesquels les visiteurs s'engagent) que les requêtes d'associations dont l'objectif est d'accroître la visibilité de la cause qu'ils représentent.

54À titre d'exemple, la coexistence de ces deux tendances s'illustre dans la programmation de décembre 2023. D'abord, l'exposition temporaire d'octobre à janvier « Art in situ, 3 regards contemporains sur le camp de Rivesaltes » présente un regard artistique sur l'enfermement et le déracinement en général en se focalisant sur les traces de vie dans l'ensemble du lieu. Ensuite, la projection « Les camps du silence » et le dispositif « Haraka, une installation immersive » se focalisent respectivement sur la période des camps d'Indésirables et sur la période de la guerre d'Algérie.

55Le changement de direction de la structure et les développement politiques et culturels qui l'accompagnent semblent créer un environnement favorable à une intensification des relations avec des associations de mémoire de l'exil. En décembre 2023, l'Amicale du Camp du Vernet prend contact avec la structure. Ce faisant, elle entraîne l'Amicale des Anciens Guerilleros-FFI avec laquelle elle collabore régulièrement vers un possible rapprochement, dépassant ainsi la distance instaurée au profit de l'association FFREEE au cours du mandat de direction précédent.

56Le poids de ces descendants à des échelles de pouvoir aussi bien locales que régionales, nationales ou internationales contribue à impliquer le Mémorial dans des politiques dédiées à cette population comme l'illustrent les cas de la « loi de Mémoire Démocratique » de 2022 et du POCTEFA. Ces prises de positions politiques entérinent le poids de l'exil dans l'image du Mémorial, qui peine à s'affranchir d'une identité exclusive de lieu de l'exil républicain espagnol.

57Ainsi, la tendance pluraliste engagée par le Mémorial peut représenter un frein à ses projets universalistes, risquant la surreprésentation d'une mémoire qui pourrait conduire au renforcement des logiques d'invisibilisation de certaines autres.

58De manière générale, le Mémorial de Rivesaltes semble entretenir un double rapport à ses publics. D'un côté, conformément au projet de la région Occitanie et de façon analogue à la plupart des institutions mémorielles, il se positionne comme une structure de prescription de valeurs solidaires et humanistes59. Il s'inscrit alors dans une approche de l'enquête des publics comme outil d'évaluation plutôt que dans approche compréhensive de la réception60. La présentation de l'enquête ne correspond donc pas à une volonté d'agir sur l'exposition pour s'adapter aux attentes et aux demandes des visiteurs. Il s'agit plutôt de manier l'exposition afin d'agir sur le visiteur lui-même et sur ses valeurs. En cela, la structure reçoit l'échec de ses initiatives à la manière des politiques d’État, qui cherchent un effet immédiat et contrôlé sur leurs destinataires61.

59D'un autre côté, le Mémorial laisse à ses publics une place importante dans la création et le développement de son offre culturelle. Le choix de ne pas renoncer à une approche pluraliste des mémoires permet à la structure de maintenir un espace de commémoration pour les publics issus des histoires qu'il représente. En cela, il assume un statut hybride entre mémorial et musée, permettant aux publics visiteurs d'effectuer différentes réceptions du lieu et des expositions, entre usage culturel et historique, touristique, et commémoratif.

Conclusion

60L'analyse proposée dans cet article invite à conclure que les publics destinataires des politiques de l'exil, qui œuvrent en vase clos, conservent une forme de contrôle sur les initiatives qui les gouvernent.

61Les descendants de l'exil sont pris en compte par des acteurs institutionnels dans le développement de politiques de mémoire de la Guerre d'Espagne et de l'exil. Ils interviennent aussi bien dans la fabrication de la reconnaissance de l'exil comme un problème public qu'au moment de sa mise en œuvre et de sa réception. Le Mémorial de Rivesaltes, exemple d'une structure dans laquelle ces politiques s'incarnent, cristallise les intérêts et l'interaction entre des acteurs individuels, collectifs et institutionnels à différentes échelles d'action et de gouvernance.

62Ces descendants, en tant qu'entrepreneurs de cause organisés en collectifs ou isolés, selon différents rôles et fonctions dans la hiérarchie du Mémorial, renforcent la place centrale de l'exil dans la structure. Leur action directe (associations mémorielles) ou indirecte (descendants à des postes décisionnaires) sur le développement de l'offre mémorielle entérine son identité de « Haut lieu de mémoire de l'exil » et conduit à la mise en place d'initiatives politiques de plus grande ampleur reposant sur l'histoire de l'exil espagnol.

63L'action des entrepreneurs de mémoire contribue donc à attirer un public particulier, qui découvre le Mémorial par la mémoire de l'exil en priorité. Une tension entre un rapport universaliste et pluraliste aux mémoires implique que la structure entretient des difficultés à agir sur cet effet d'appel. Il s'agit dès lors pour le Mémorial de trouver un équilibre entre représentation des mémoires et respect de leur singularité (cher aux entrepreneurs de cause), et mise en avant des caractéristiques universelles qui les rassemblent, remplissant ainsi sa fonction de prescripteur de valeurs politiques et sociales.

Notes

1 Nora Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, t1, Paris, Gallimard, 1997, 720 p.

2 Ledoux Sébastien, Le devoir de mémoire : une formule et son histoire, Paris, CNRS-Éditions, 2016, 367 p.

3 Michel Johann, « L’évolution des politiques mémorielles : l’état et les nouveaux acteurs », Migrations Société, 2011/6 (No 138), pp. 59-70.

4 Boursier Jean-Yves. « L’événement, la mémoire, la politique et le musée », in Musées de guerre et mémoriaux : Politiques de la mémoire, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2005, pp. 221-243

5 Antichan Sylvain, Gensburger Sarah et Teboul Jeanne. « La commémoration en pratique : les lieux sociaux du rapport au passé », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 121-122, no. 3-4, 2016, pp. 5-9.

6 Le Mémorial du Camp de Rivesaltes est un Établissement Public de Coopération Culturelle (EPCC), mais ne dispose pas du statut de musée. En revanche, il dispose d'une muséographie complexe, et il faut compter 1h30 minimum pour le visiter.

7 Il s'agit d'une des parties les moins documentées de l'exposition, ce étant dû à une difficulté de traitement des archives. Le Mémorial a encadré un mémoire de recherche portant sur ce thème au cours de l'année 2021-2022.

8 Article « Rivesaltes, haut lieu de l'exil républicain espagnol », du 8 mai 2023. Il est tiré de la section « actualités » du site du Mémorial.

9 Pollak Michaël, L'expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l'identité sociale, Paris, Métailié, 1990, 400 p.

10 Luzi Fédérica, Entre narrations et expériences : les usages du passé des réfugiés espagnols en France. Thèse de doctorat en anthropologie sociale et ethnologie, encadrée par Bensa Alban, Fabre Daniel et Godicheau François. École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 2016.

11 Prudor Anélie. ''España en el corazón'', travailler les mémoires transfrontalières de l'Espagne républicaine : acteurs, enjeux et processus (Sud-ouest français-Aragon). Thèse de doctorat en anthropologie sociale et historique, sous la direction de Valtchinova Gallia. Université Toulouse 2 Jean Jaurès, Toulouse, 2021.

12 Cette immersion s'inscrit dans le cadre d'une bourse doctorale CIFRE de novembre 2020 à juillet 2023.

13 Le cas de l'antenne française du PSOE est particulièrement parlant. Une requête formelle pour l'attribution de la nationalité espagnole par les exilés et leurs descendants y est émise dès les années 1990.

14 Dans certains cas, il ne s'agit pas de création mais plutôt de restructuration d'associations. C'est le cas de l'ancienne Amicale des Guerilleros, aujourd'hui Amicale des Anciens Guérilleros – FF1, dont la fonction change au fil des années et des successions administratives. D'abord association culturelle et politique (dès sa création en 1945), elle sera, comme beaucoup d'autres, interdite jusque dans les années 1970 à la suite de l'opération anti-communiste Boléro-Paprika. Elle est aujourd'hui une association dite mémorielle.

15 Serrano-Moreno Juan, Mémoires de vainqueurs, mémoires de vaincus. : La construction démocratique à l'épreuve des conflits autour des mémoires de la Guerre Civile et du franquisme, thèse de doctorat en science politique, sous la direction d'Yves Déloye, Paris, Paris 1, 2013.

16 BOE no 310 du 27 décembre 2007, Ley 52/2007, de 26 de diciembre, por la que se reconocen y amplían derechos y se establecen medidas en favor de quienes padecieron persecución o violencia durante la guerra civil y la dictadura.

17 Cela s'incarne par la possibilité pour les exilés espagnols et pour leurs descendants de « récupérer » la nationalité espagnole.

18 Ces collectifs d'exilés et d'émigrés espagnols prennent des formes multiples. L'existence d'institutions de culture espagnole comme l'Instituto Cervantes de Toulouse, ou les différents centres espagnols qui jalonnent la France sont des espaces de sociabilité qui ont permis de rassembler un certain nombre d'anciens ressortissants espagnols. Les partis politiques en exil et leur antenne française après la mort de Franco sont également des espaces au sein desquels des questions soulevées par les exilés et leurs descendants se développent, s'échangent et sont rapportées à des groupes parlementaires espagnols.

19 BOCG, Congrès des Députés num. A-75-1, du 27 janvier 2006, p. 1.

20 BOCG num. A-75-12, du 18/05/2006 : Amendements (députés)

21 BOCG num. 1-99-23, du 26 octobre 2007.

22 Gilbert Claude et Henri Emmanuel, « la définition des problèmes publics : entre publicité et discrétion », Revue française de sociologie, 2012/1 (Vol.53), pp. 35-59.

23 Une enquête par entretiens nous permet de prendre l'exemple de l'association FFREEE (Fils et Filles de Républicains Espagnols et Enfants de l'Exil), dont un ancien président œuvre pour le développement des dispositifs de réparation par la nationalité espagnole auprès des descendants d'exilés au début des années 2000. Plusieurs réunions avec le consul d'Espagne à Perpignan sont organisées, et des lettres sont adressées à des acteurs parlementaires et politiques, jusqu'au président du gouvernement espagnol. Cette association est un des partenaires officiels du Mémorial du Camp de Rivesaltes depuis sa création en 2015.

24 Appel à Manifestation d'intérêt déposé en 2018.

25 Op. cit.

26 La double nationalité franco-espagnole bientôt possible. Le petit journal, 4 décembre 2019

27 De Blic Damien et Lemieux Cyril, « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique », Politix, 2005/3 (no 71), pp. 9-38.

28 Citation tirée du site officiel du Mémorial, dans la section « l'histoire du projet ».

29 Établissement Public de Coopération Culturelle.

30 C'est notamment le cas de la subvention AMI, qui consacre au moins 32 000 euros à des organisations et collectifs pour le développement de projets relatifs à l'exil espagnol et à la retirada de décembre 2018 à octobre 2019.

31 Parfois « navire amiral ». Terme mobilisé par la directrice lors d'une réunion avec les représentants de lieux de mémoire de l'exil le 9 juin 2022. Il est depuis repris par d'autres agents du Mémorial.

32 D'après le site officiel du POCTEFA, le « POCTEFA 2014-2020 est l’acronyme du Programme Interreg V-A Espagne-France-Andorre. C’est un programme européen de coopération transfrontalière créé afin de promouvoir le développement durable des territoires frontaliers des trois pays. ». Ici, le Mémorial s'inscrit dans le projet POCTEFA 2021-2027.

33 Groupement Européen de Coopération Territoriale.

34 Citation du rapport d'activités du Mémorial de Rivesaltes en 2019.

35 Articles 49, 50, 51, 52 et 53.

36 Lascoumes Pierre et Le Galès Patrick, Gouverner par les instruments. Presses de Sciences Po, 2005, 370 p.

37 Terme mobilisé à plusieurs reprises par l'administratrice du Mémorial jusqu'en 2022.

38 Dossier de Presse du Mémorial, édité en février 2015, à l'initiative de la région Occitanie.

39 Présentation du Mémorial sur son site internet, dans la rubrique « l'exposition permanente ».

40 Georges Bartolí, entre d'ailleurs au Conseil d'Administration en 2022. Faisant partie des « personnes qualifiées [du Conseil d'Administration] désignées par la Région ». Information publique, obtenue sur le site du Mémorial, https://www.memorialcamprivesaltes.eu/letablissement-public-de-cooperation-culturelle (consulté le 11 mars 2024).

41 Groupe de réflexion instauré pour développer le projet de Mémorial jusqu'à son ouverture, en 2015. L'acteur mentionné le préside.

42 Lebourg Nicolas, Moumen Abderahmen, « Les strates mémorielles du camp de Rivesaltes », in De Hasque Jean-Frédéric et Lecadet Clara (dir.), Après les camps. Traces, mémoires et mutations des camps de réfugiés, Paris, Academia, 2019, pp. 51-75.

43 Crozier Michel et Friedberg Ehrard. L'acteur et le système. 1977, rééd. Seuil, coll. « Points essais », 2007, 436p.

44 Lettre adressée au Maire de Rivesaltes, tirée de l'article de Nicolas Lebourg et d'Abderamen Moumen.

45 Le site internet du Mémorial référence l'association dans sa globalité, mais fournit un lien vers sa section départementale.

46 Par ailleurs, elle n'est pas la seule à adopter cette posture. Le travail d'Anélie Prudor (2021) sur les associations de mémoire de l'exil illustre avec précision cette dynamique.

47 On me refuse au cours d'une conversation téléphonique la diffusion du lien d'un questionnaire pour ma thèse, portant sur la réception de la nationalité espagnole dans le cadre de la « loi de Mémoire historique », pourtant déconnectée des enjeux du Mémorial, à l'initiative de son président, à cause de ma position CIFRE.

48 Issu d'un mail envoyé à l'ensemble de ses adhérents le 6 janvier 2021.

49 Article « Rivesaltes, haut lieu de l'exil républicain espagnol », du 8 mai 2023. Il est tiré de la section « actualités » du site du Mémorial.

50 La directrice du Mémorial ne dissimule pas ses origines familiales. Dans son dossier de candidature au poste de directrice de la structure, elle défend sa volonté d' « imaginer un projet pour le Mémorial du Camp de Rivesaltes […] en s'appuyant sur les histoires individuelles », et défend « l'importance de travailler auprès des habitants dont les parcours de vie sont nécessairement au cœur d'une histoire transfrontalière et des questions mémorielles internationales ». Ce propos est soutenu par la mobilisation de son histoire personnelle, qui justifie son intérêt pour la structure aussi bien que son approche par les individualités, tout en lui conférant des compétences linguistiques (maîtrise du catalan et de l'espagnol) utiles pour la gouvernance du lieu .

51 Extrait de déclaration de reconnaissance du Mémorial de Rivesaltes par le Gouvernement espagnol, décerné le 8 mai 2023.

52 Michel Johann, « L’évolution des politiques mémorielles : l’état et les nouveaux acteurs », Migrations Société, 2011/6 (No 138), pp. 59-70.

53 Il s'agit d'une enquête de grande ampleur, qui mobilise différents acteurs et engage des ressources financières non négligeables. Je suis chargée de réaliser le questionnaire et de prévoir le protocole d'enquête, vérifié et soutenu par différents chercheurs (Jacqueline Eidelman, Mathilde Pette ainsi qu'Ygal Fijalkow). La passation du questionnaire est réalisée en majeure partie par des étudiants-stagiaires en sociologie.

54 Les ordres de représentation des populations parmi les visiteurs sont les suivants (qu'il s'agisse de personnes directement concernées ou de descendants) : mémoire Harki – 3,20 % (27 personnes) ; mémoire de la Shoah – 2,70 % (23 personnes) ; mémoire Tsigane – 0,70 % (6 personnes) ; mémoire liée aux autres guerres de décolonisation – 0,20 % 2 personnes).

55 Entretien avec la responsable scientifique du Mémorial au cours de l'année 2022.

56 Cordier Jean-Pierre, Eidelman Jacqueline, et Letrait Muriel, « Catégories muséales et identités des visiteurs », in Donnat Olivier éd., Regards croisés sur les pratiques culturelles. Paris, Ministère de la Culture - DEPS, « Questions de culture », 2003, pp. 189-205.

57 C'est particulièrement le cas des anciens internés Harkis et de leurs descendants qui visitent le Mémorial. En général, ils ne connaissent pas l'histoire globale du lieu, et semblent surtout à la recherche d'éléments de souvenir ou de savoirs qui pourraient apaiser leur perception traumatique de leur mémoire.

58 Michel Johann, « Chapitre I. Le régime mémoriel d’unité nationale », in Gouverner les mémoires. Les politiques mémorielles en France, sous la direction de Michel Johann, Paris, Presses Universitaires de France, « Hors collection », 2010, pp. 19-68.

59 Gensburger Sarah et Lefranc Sandrine, À quoi servent les politiques de mémoire ? Presses de Sciences Po, « Hors collection », 2017, 183p.

60 Revillard Anne, « Saisir les conséquences d'une politique à partir de ses ressortissants. La réception de l'action publique. », Revue française de science politique, 2018, pp. 469-491.

61 Warin Philippe, Le non-recours aux politiques sociales, Presses universitaires de Grenoble, « Libres cours Politique », 2017, 244 p.

Pour citer cet article

Nita Larroque, «La mémoire de l’exil républicain espagnol gouvernée par ses publics : le cas du mémorial du camp de Rivesaltes», Cahiers Mémoire et Politique [En ligne], Cahiers n°10. « Le gouvernement des musées mémoriaux par les publics », URL : https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=310.

A propos de : Nita Larroque

Nita Larroque est doctorante au laboratoire au Centre d'Études et de Recherches Travail Organisation Pouvoir (CERTOP-CNRS) et attachée temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) à l'université Toulouse II Jean Jaurès.