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Alexandre Oliveira Gomes & João Paulo Vieira Neto

Le Réseau des musées communautaires du Ceará : processus et défis pour l’organisation d’un champ muséologique autonome1

(Hors-série n° 2)
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Résumé

Depuis quelques années, des populations de diverses régions du Ceará ont initié des processus mettant en œuvre des pratiques muséales qui, bien qu’issues de contextes politiques et de groupes sociaux et ethniques différents, présentent des similitudes en termes de participation et d’appropriation communautaire du patrimoine et de la mémoire locale, en tant qu’outils d’affirmation, de préservation et de défense des territoires, des écosystèmes et des références culturelles. À travers ces processus se dessine une diversité culturelle, sociale et muséale : celle des musées indigènes, des écomusées et des musées communautaires, parmi d’autres initiatives conduites à partir des contextes locaux. Le présent article cherche à éclairer les modalités de la création du Réseau des musées communautaires du Ceará en 2011, en présentant des réflexions sur les actions, les motivations et les défis qui ont stimulé la coordination de ces différentes populations expérimentant, sur leurs territoires respectifs, des processus muséologiques autogérés.

Mots-clés : réseau des musées communautaires du Ceará, muséologie sociale, musées indigènes, mémoire

Abstract

Some years ago, populations of various regions of the State of Ceará began processes that resulted in museal practices, which, although originated in diverse political contexts and different social and ethnical groups, are similar in participation and community appropriation of local heritage and memory, as tools for affirmation, preservation and defense of territories, ecosystems and cultural references. In these processes, cultural, social and museal diversity stand out: they are indigenous museums, ecomuseums, community museums and others. The present article seeks to understand the creation of the Cearense Network of Community Museums, in 2011, and presents reflections about the actions, motivations and challenges that stimulated the articulation between different populations, which experience, in their territories, self-managed museological processes.

Keywords : Ceará community museums network, social museology, indigenous museums, memory

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« Ce qui fait la différence, dans ce cas, ne réside pas dans la reconnaissance du pouvoir de la mémoire, mais dans le fait de mettre ce pouvoir au service du développement social, ainsi que dans la compréhension théorique et l’exercice pratique de l’appropriation de la mémoire, et de son usage comme outil d’intervention sociale. Travailler dans cette perspective (du pouvoir de la mémoire) implique d’affirmer le rôle des musées au regard de leur agentivité, de leur capacité à servir et outiller les individus et les groupes pour une meilleure prise en considération de leurs collections de problèmes. Le musée qui emprunte cette voie n’est pas seulement intéressé à élargir l’accès aux biens culturels qu’il a accumulés. Il l’est avant tout par la socialisation de sa propre production de biens, de services et d’informations culturels. Son engagement, en ce cas, ne consiste pas à posséder, accumuler et préserver les trésors, mais à être un espace de relation, capable de stimuler de nouvelles productions et de s’ouvrir au vivre-ensemble avec les diversités culturelles » (Chagas 2000, p. 15).

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Introduction

3Depuis quelques années déjà, des populations de diverses régions de l’État du Ceará ont commencé à développer des processus de patrimonialisation2 aboutissant à la création de musées et d’autres types d’espaces de mémoire. Bien qu’issues de contextes politiques et de groupes sociaux et ethniques différents (indigènes, assentados3, communautés traditionnelles, quilombolas

44, travailleurs ruraux, pêcheurs, etc.), ces expériences présentent des similitudes en termes de participation et d’appropriation communautaire du patrimoine et de la mémoire locale en tant qu’outils d’affirmation, de préservation et de défense des territoires, des écosystèmes et des références culturelles.

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6Il convient de souligner la diversité de ces processus sociaux. Nombre de ces communautés disposent actuellement d’espaces physiques structurés et de collections constituées. Certains groupes ont initié des processus de sensibilisation et de mobilisation sur leurs territoires pour la constitution de tels espaces. D’autres ont déjà réalisé des inventaires participatifs des références culturelles locales et/ou des expositions muséales, même s’ils ne disposent pas d’espaces spécifiques destinés à cette fin. Nous pouvons considérer ces expériences, telles qu’elles sont connues dans la littérature muséale, comme des musées communautaires, des écomusées, des musées indigènes, des musées du territoire et/ou des initiatives similaires. Ce sont des espaces qui interprètent la nature comme faisant partie de la culture et l’homme comme faisant partie de la nature, où la communauté, ses savoirs et ses usages, sont perçus comme un patrimoine à préserver. La construction des notions d’appartenance et, par conséquent, de ce qui constitue le patrimoine culturel local, est réalisée de manière intégrée, la communauté vivant dans un territoire qui peut être muséalisé, selon la typologie proposée il y a plus de quarante ans par Hugues de Varine (2012) et Georges Henri Rivière, quoique dans des contextes nationaux et sociaux très différents.

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8Pour tenter de comprendre l’émergence de ces expériences, nous nous efforcerons ici de présenter, sous une forme descriptive et analytique, quelques réflexions sur les actions, les motivations et les défis qui ont conduit à la création d’un réseau de contacts et de coordination entre des populations qui font l’expérience de processus muséologiques autogérés sur leurs territoires, dans lesquels mémoire et patrimoine s’entremêlent aux politiques de mémoire, en tant qu’elles participent de leurs revendications et mobilisations politiques.

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10Avant de nous plonger dans cette diversité d’initiatives communautaires de mémoire et, surtout, dans leur processus de (re)connaissance de soi, étape préalable pour se connecter et établir un dialogue direct et sans la médiation d'instances gouvernementales, il est nécessaire de rendre compte des expériences pionnières qui ont anticipé ce processus, et de reconnaître la contribution du travail permanent développé depuis 2002 par le Projet Historiando dans de nombreuses communautés qui constituent aujourd’hui le Réseau des musées communautaires du Ceará (RCMC).

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L’Institut de la mémoire du peuple cearense et le réseau Rede Memória

12L’Instituto da Memória do Povo Cearense (IMOPEC) est une organisation non gouvernementale sans but lucratif fondée en 1988 à Fortaleza, capitale de l’État du Ceará, avec pour mission de « stimuler le recueil et l’actualisation de la mémoire du peuple cearense dans sa diversité, et de contribuer à la construction de ses identités en tant que sujet historique »5.

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14L’année suivant sa fondation, l’IMOPEC a commencé ses activités dans la municipalité de Jaguaribara, qui devait être submergée par les eaux après la construction du barrage de Castanhão. La formation des dirigeants communautaires impliqués dans la lutte, la publication de livres contenant des témoignages des habitants, la création d’une maison de la mémoire à Nova Jaguaribara et la réalisation de vidéos documentant les différentes étapes du mouvement d’organisation populaire pour la défense de ses droits, ont conféré à l’IMOPEC le poids d’une solide expérience, faisant de cette organisation une référence dans la lutte contre le projet du barrage et dans la construction de la mémoire de la population de la municipalité.

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16La nécessité d’élargir les débats sur les impacts de l’édification du barrage de Castanhão a conduit l’Institut à organiser, dans plusieurs villes de la vallée du fleuve Jaguaribe durant la seconde moitié des années 1990, le séminaire Nature, société et politiques publiques dans la vallée du Jaguaribe. Ce fut un moment privilégié pour établir des contacts avec divers groupes d’enseignants, d’étudiants et de dirigeants populaires, qui a permis de débattre publiquement d’un large éventail de problématiques environnementales et culturelles vécues dans cette région. Devant le succès de cette initiative, l’IMOPEC a lancé en 1999 sa première expérience de formation à distance, à travers le cours Nature et diversité culturelle dans la vallée de Jaguaribe, qui a contribué à diffuser et approfondir le débat sur la situation des habitants de Jaguaribara auprès des populations des autres municipalités de la vallée. Ce résultat a encouragé l’Institut à planifier un nouveau cours, destiné à un public plus étendu.

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18Ainsi, en 2001, a été organisé le cours à distance Mémoire et patrimoine culturel du Ceará, qui visait à qualifier les enseignants, les étudiants et les responsables communautaires des différentes municipalités du Ceará pour le développement d’actions de recensement et de valorisation de la mémoire et du patrimoine culturel et naturel local. Ce cours a été structuré en six étapes, comprenant entre trois et cinq modules articulés en fonction du contenu de la revue Propostas Alternativas, éditée par l’IMOPEC. Les textes de cette publication abordent autant des questions conceptuelles relatives à la mémoire et au patrimoine culturel et naturel, que des sujets liés à l’histoire du Brésil et du Ceará.

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20En plus d’une décennie de fonctionnement, ce cours de formation s’est adressé à plus d’une centaine de groupes répartis dans environ trente-cinq municipalités du Ceará. Les localités concernées ont tiré profit de ces activités, dans la mesure où de nombreux participants étaient des enseignants et des responsables communautaires, et par conséquent des multiplicateurs de ces savoirs construits collectivement. De la collecte de matériaux (photos, témoignages, objets, etc.) par les équipes a résulté une riche collection destinée à la mise en place d’espaces appelés Casas da Memória (« les Maisons de la mémoire »), à l’usage des écoles (qui généralement ne disposaient pas de matériel pédagogique portant sur l’histoire locale), et en vue des processus d’inventaire et de classement des biens patrimoniaux.

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22Ces collections ont été constituées au fur et à mesure de la progression des participants dans les modules de cours, en collaboration avec les populations locales qui ont apporté des témoignages et fourni des matériaux pour la recherche (livres, photos, documents anciens, objets). Les enseignants participants ont impliqué leurs élèves dans le recensement du patrimoine culturel et environnemental des municipalités. Les autres activités encouragées dans le cadre de ce cours, telles que la Campagne de valorisation du patrimoine culturel, les publications sur l’histoire locale, les ateliers, les séminaires intercommunaux et les expositions de photographies, ont dynamisé le paysage culturel de plusieurs municipalités durant la période où elles ont été développées.

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24Dans les lieux où des groupes se sont consolidés, certains événements permanents ont été maintenus, tels que l’ESPACULT (Espace culturel de Porteiras) et le Festival de la mémoire à Jaguaribara. Les villes de Jaguaribara, Jaguaretama (dans la vallée du fleuve Jaguaribe) et Porteiras (dans la région de Cariri) ont créé des Maisons de la Mémoire, aujourd’hui encore actives et ouvertes au public, proposant des activités diversifiées ainsi que des collections de livres et d’objets représentatifs des modes de vie, des pratiques sociales et des savoirs de la population locale.

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26Afin de promouvoir l’échange d’expériences entre les groupes et d’approfondir le débat autour d’un certain nombre de thématiques, des séminaires régionaux et une réunion annuelle à l’échelle de l’État ont été organisés. En 2002 a eu lieu la 1ère Rencontre des participants aux cours de formation à distance du Ceará, et la création du réseau Rede Memória, une organisation pionnière en son genre dans cet État. Bien qu’il ait impliqué un grand nombre d’initiatives et de groupes, ce réseau a laissé peu de traces de ses activités. Toutefois, sa charte de principes n’a pas été perdue. Elle a été réutilisée notamment comme source d’inspiration pour la construction du Réseau des musées communautaires du Ceará.

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Projet Brasil Memória em Rede : le pôle du Ceará

28Une autre initiative importante, cette fois-ci au niveau national, a permis l’articulation des communautés et des institutions travaillant avec la mémoire et le patrimoine dans l’État du Ceará : le projet Brasil Memória em Rede, placé sous la conduite du Museu da Pessoa de São Paulo, qui a connecté différentes organisations sociales de diverses régions du pays.

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30En 2008, au moyen d’un appel à projet national, ce réseau a été élargi et dix pôles de mémoire régionaux ont été constitués dans les États d’Amazonas, du Ceará, de Paraíba, Bahia, Minas Gerais, Rio de Janeiro, Goiás, Santa Catarina, Rio Grande do Sul et São Paulo. Les initiatives contactées, à leur tour, ont coordonné les organisations de leurs régions pour que celles-ci construisent, de manière collaborative, les histoires de leurs communautés. Au Ceará, la fondation Brasil Cidadão a pris en charge le Pôle régional de la Mémoire du Ceará, en mobilisant des institutions telles que la fondation Casa Grande (à Nova Olinda), l’Association des habitants de Titanzinho (à Fortaleza), le groupe de théâtre de rue Flor do Sol, le groupe de théâtre Cervantes du Brésil, l’Association Néu Pindú et l’Association de tourisme communautaire de Ponta Grossa (ASTUMAC). Outre les initiatives déjà mentionnées, d’autres communautés de la municipalité d’Icapuí se sont jointes ultérieurement à cette coordination.

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32Parmi les résultats de l’organisation en réseau du Pôle régional de la mémoire du Ceará, il convient de mentionner le projet Mémoire vivante, appuyé par l’UNESCO, et le projet Mémoires de la culture, soutenu par la Brazil Foundation. Ces projets ont rendu possible la formation d’agents culturels locaux grâce à un partenariat noué avec la Fondation Casa Grande/Museu do Homem Kariri et le Museu da Pessoa. De ce processus résulteront des inventaires participatifs du patrimoine et la construction de lignes de vie6 dans trente-deux communautés de la municipalité d’Icapuí.

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Les travaux du Projet Historiando (2002-2014)

34Le Projet Historiando est né au milieu de l’année 2002, dans le but de promouvoir, par le biais d’un programme d’éducation historique et patrimoniale, les débats sur la construction sociale de la mémoire du point de vue des mouvements et organisations communautaires, en mettant l’accent sur le travail réalisé conjointement avec les groupes populaires, qu’ils soient de quartier, ethniques ou traditionnels. Dans cette optique, les activités de ce projet se sont portées de manière croissante au-delà des institutions d’éducation formelle, telles que les écoles et les universités, en établissant des partenariats avec des organisations non gouvernementales, des associations, des groupes communautaires et des peuples indigènes, aux expressions et aux formes d’organisation les plus diverses.

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36Les différentes modalités de construction et de présentation de la mémoire sociale ont constitué la matière première des interventions initiales du Projet Historiando, principalement selon deux perspectives : sous la forme d’actions éducatives d’identification, de recherche et de gestion du patrimoine local ; et à travers une activité politique menée de concert avec les communautés organisées. En s’efforçant de cheminer de la mémoire locale vers la (re)connaissance de l’histoire sociale et du patrimoine culturel, des procédés méthodologiques diversifiés ont été développés au long de ces expériences, visant la construction d’un rôle actif et de premier plan des groupes communautaires dans la sauvegarde et la communication de leurs références culturelles7. Des ateliers/cours de recherche en histoire locale et des inventaires participatifs ont été mis en place dans ce but, débouchant sur l’organisation d’expositions muséales et la mobilisation des groupes dans leurs revendications patrimoniales.

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38Parmi les expériences développées par le Projet Historiando durant cette phase initiale, entre 2002 et 2007, se distinguent les innombrables actions d’éducation au patrimoine réalisées à Fortaleza, dans des quartiers (comme Jardim das Oliveiras et Parangaba) ; et dans des communautés (la Comunidade dos Cocos, jouxtant la Praia do Futuro sur le littoral ; ou celle du Mercado Velho, dans le centre historique). Ces activités, conjointement à d’autres initiatives d’organisation politique et de mobilisation sociale, ont abouti à une capacitation croissante des collectifs organisés autour des questions de la mémoire et du patrimoine.

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40Le cas le plus emblématique de ces processus d’organisation communautaire et d’appropriation de la mémoire/du patrimoine local est sans doute celui du quartier de Parangaba8. Les nombreuses actions éducatives développées entre 2002 et 2006, telles que des ateliers d’éducation patrimoniale, des recherches sur l’histoire locale, des inventaires participatifs et des expositions montées dans les écoles et les espaces communautaires, ont donné lieu à un processus d’organisation passionnant, mené par les habitants de ce quartier attelés à la préservation et la sauvegarde de leur patrimoine culturel. Des requêtes ont été adressées aux autorités, exigeant le classement de certains édifices importants pour la mémoire du lieu, et pour que soit réalisé un travail d’identification, de recherche et de recensement des références culturelles, notamment en ce qui concerne la Fête des Caboclos de Parangaba9. Les années d’activités menées avec les écoles et d’autres groupes locaux ont débouché sur l’organisation d’un collectif qui s’est illustré dans la capitale sous le nom de Comité Pró-Tombamento da Estação da Parangaba (CPTEP) en mobilisant, entre 2006 et 2007, la population locale et l’opinion publique autour du classement de la gare ferroviaire, menacée de démolition en raison des travaux de construction du métro de Fortaleza (MetroFor)10.

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42Au long de ces activités, le Projet Historiando a perfectionné diverses méthodologies participatives et stimulé l’autonomie des groupes locaux qui s’étaient formés sur la base des problématiques de l’histoire sociale et culturelle, de l’enseignement et de la recherche sur le patrimoine et la mémoire. Dans ce cadre a été poursuivie une réflexion sur les questions liées à l’identité (ou aux identités) et à la diversité/pluralité des mémoires exprimées à travers la préservation du patrimoine culturel local. Jusqu’en 2007, les interventions d’Historiando ont pris la forme d’actions et d’initiatives en partenariat avec des organisations communautaires dans les quartiers et les communautés de Fortaleza ; de manière indépendante et en conservant son autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics, mais en établissant un dialogue avec ces derniers au sujet des politiques relatives au patrimoine. À partir de leur insertion dans les mouvements sociaux, les acteurs de ce projet ont tracé leur voie au sein d’institutions, d’organismes et de secteurs liés à la préservation et à la planification de la gestion de culturelle et patrimoniale11.

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44Toujours en 2007, Historiando a initié un autre partenariat qui sera fondamental dans la constitution ultérieure du Réseau des musées communautaires du Ceará : celui noué avec les peuples indigènes du Ceará, en travaillant avec les communautés du peuple Tapeba, habitants de la municipalité de Caucaia, par l’intermédiaire de l’Association des communautés indigènes Tapeba (ACITA). Trois expositions et la publication d’un livret ont résulté de l’action Historiando os Tapeba, à laquelle elles ont emprunté leur titre12. La première exposition a eu lieu à l’Escola Diferenciada Indios Tapeba, la deuxième au Mémorial Tapeba Cacique Perna-de-Pau et la troisième au Musée du Ceará13. Depuis lors, les partenariats avec d’autres peuples et organisations indigènes se sont intensifiés, élargissant notre champ d’action principalement en direction de l’intérieur de l’État, à travers la réalisation de cours, d’ateliers et d’expositions auprès de diverses populations.

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46Une fois ce partenariat politique et éducatif établi, en premier lieu en ce qui concerne la réflexion sur leurs mémoires et leur patrimoine culturel, le Projet Historiando s’est appliqué à construire un dialogue avec ces populations au sujet de l’importance que revêt l’organisation d’espaces de mémoire créés et gérés par les communautés elles-mêmes : les musées indigènes.

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Musées et mémoires indigènes au Ceará : une proposition en cours d’élaboration

48Entre 2007 et 2008, le Projet Historiando a apporté son assistance au processus d’organisation de l’Oca da Memória, un musée indigène des peuples Tabajara et Kalabaça, qui vivent dans la municipalité de Poranga, à 340 km de Fortaleza. Cette consultation s’est étendue sur une année et demie, incluant la coordination du processus de formation de la collection du musée, la structuration physique de l’espace dans une salle de l’école indigène Jardim das Oliveiras, l’élaboration de l’exposition, l’organisation du comité de gestion et les premières activités d’une unité pédagogique réunissant un groupe d’enseignants indigènes.

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50Durant cette période, le Projet Historiando a noué des relations étroites avec deux musées indigènes déjà existants dans l’État du Ceará : le Musée Kanindé, à Aratuba (créé en 1995), et le Mémorial du Cacique Perna-de-Pau, à Caucaia (créé en 2005). Sur la base de ce travail déjà réalisé, Historiando a été invité en 2009 à coordonner des ateliers de Diagnostic Participatif des Musées (DPM) avec les communautés indigènes du Ceará, dans le but de réaliser une recension de la situation des processus de muséalisation en cours, dans le cadre du projet Emergência Étnica, alors développé par le Secrétariat d’État à la Culture de l’État via le Musée du Ceará14.

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52Durant cette action, en plus des trois musées indigènes déjà existants, des diagnostics participatifs ont été réalisés dans trois autres espaces communautaires qui présentaient une certaine sensibilisation pour la sauvegarde, la recherche et la communication des collections des musées. Ont été impliqués : l’Abanaroca (Casa do Índio) des Potyguara/Gavião/Tabajara/Tubiba-Tapuia ; la Casa de Apoio dos Pitaguary ; et le siège originel de l’école Maria Venância, des Tremembé. Les activités de chacun de ces espaces répondaient à des fonctions spécifiques, conformément à l’organisation de chaque peuple, et présentaient des nuances dans leurs processus de muséalisation respectifs.

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54La structure et les fondements des espaces muséologiques ont été discutés durant les ateliers, à partir des réalités vécues localement. La densité des informations recueillies et des réflexions produites a motivé la publication de l’ouvrage Museus e memória indígena no Ceará: uma proposta em construção (« Musées et mémoire indigène au Ceará : une proposition en construction », Gomes & Vieira Neto, 2009), marquant une étape importante dans le débat local entre les groupes ethniques et l’État sur les politiques publiques en matière de musées et de patrimoine. Ce livre présente les résultats des diagnostics, et les réflexions sur lesquels ils se basent, dans l’objectif de fournir des orientations en vue des modifications à apporter aux espaces visités, selon les demandes et les potentialités signalées durant les ateliers. Plus largement, il documente la construction d’une politique culturelle axée sur l’éducation historique et muséologique des peuples indigènes, en diffusant la méthodologie employée par le Projet Historiando afin d’inspirer d’autres initiatives du même type.

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Recherche, formation et muséalisation au sein des communautés de pêcheurs du Ceará

56Entre août 2009 et juillet 2010, le Projet Historiando a noué un partenariat avec l’Institut Terramar et le Réseau de tourisme communautaire du Ceará (Rede Tucum15), en vue du développement de processus muséologiques au sein des communautés de pêcheurs de la zone côtière. L’initiative a été soutenue par le ministère du Tourisme, à travers le projet Tourisme communautaire : affirmer les identités et construire la durabilité, approuvé dans le cadre d’un appel d’offre public. Ce travail a été réalisé auprès de cinq populations : Curral Velho (à Acaraú), Canto Verde (à Beberibe), Caetanos de Cima (à Amontada) Batoque et Jenipapo Kanindé (à Aquiraz) – le dernier groupe mentionné étant un peuple indigène. Outre le processus lui-même, ce partenariat a abouti à la création du Musée indigène Jenipapo Kanindé (inauguré en août 2010), à l’organisation de quatre inventaires participatifs portant sur les références culturelles locales, ainsi qu’à l’élaboration de cinq expositions muséales et de quatre manuels traitant du patrimoine culturel de chacune des communautés.

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58La réalisation de recherches collectives en histoire locale, conjointement aux processus de muséalisation et d’organisation des collections communautaires dans les territoires composant le Réseau Tucum, a contribué au renforcement de ces communautés en stimulant l’appropriation et la reconnaissance de la mémoire, de la compréhension de leur patrimoine et des dynamiques identitaires présentes dans leur vie quotidienne. Car dans les contextes de lutte et de conflit impliquant ces communautés, la mémoire sociale agit comme un outil de mobilisation et de coopération pour la défense de leurs manières d’être, de vivre et d’exister dans le monde, dans le passé et au présent.

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60Ces actions ont permis l’identification et l’enregistrement de la diversité des mémoires et des cultures de ces povos do mar, ces « peuples de la mer », comme ils sont appelés au Ceará. Elles ont démontré la relation intime établie entre ces communautés, qui vivent essentiellement de la pêche, de l’extraction de coquillages et de l’agriculture familiale, et la nature environnante : elles occupent un territoire de manière traditionnelle, établissant une relation basée sur la durabilité et l’usufruit des ressources naturelles et humaines. Toutes présentent des trajectoires historiques de résistance intense contre la spéculation immobilière et/ou l’élevage de crevettes, c’est-à-dire contre les agents et les activités commerciales qui dégradent leur espace de vie. La défense et la préservation des biens naturels sont devenues une priorité tant pour leur survie physique que pour le maintien des savoirs et des usages traditionnels.

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62La proposition initiale de faire l’histoire du processus d’organisation sociale de ces communautés a été modifiée au cours des activités, compte tenu de la perception de la mémoire comme outil de mobilisation et d’organisation communautaire. Ainsi, la réalisation des inventaires participatifs a suscité une demande de construction d’espaces de mémoire locaux, où puissent être disposées les collections communautaires constituées à travers les processus organisés, planifiés, construits et gérés par les communautés elles-mêmes. Aujourd’hui, la plupart des communautés concernées, que ce soit dans les quartiers de Fortaleza, de peuples indigènes et/ou de pêcheurs traditionnels, sont engagées d’une manière ou d’une autre en tant que membres au sein du Réseau des musées communautaires du Ceará.

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64Les difficultés rencontrées pour assurer la continuité de ces expériences, les défis que pose la gestion des espaces communautaires de mémoire locale, les demandes de visibilité et de politiques publiques spécifiques pour ce secteur, ainsi que le besoin de dialogue avec d’autres expériences existantes, tant au Ceará que dans d’autres régions du Brésil, ont encouragé les différentes initiatives à relever le défi de la création d’un réseau de coopération et de solidarité. L’un des principaux objectifs de ce mode d’organisation était le renforcement collectif de ses membres et le dépassement de la situation d’isolement (y compris en ce qui concerne la reconnaissance de ces expériences dans d’autres États du Brésil), dans laquelle se trouvaient jusqu’alors les initiatives de mémoire communautaire au Ceará. Et c’est ainsi qu’en 2011 a surgi la proposition d’organiser le Réseau des Musées Communautaires du Ceará (RCMC), le premier de ce type dans notre pays.

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« Combien faut-il de nœuds pour faire un filet, combien d'entre nous pour faire un réseau ? »16

« Parce qu’ici au Ceará / Le peuple s’est déjà avisé

Que pour réussir / Dans un avenir prometteur,

Il faut travailler ensemble / Et un réseau a été créé

C’est le Réseau Cearense / Des Musées communautaires

Qui une fois par mois / Suis son itinéraire

Se rencontrer pour partager / Notre travail quotidien. » (Dona Iolanda Lima, Ponto de Memória do Grande Bom Jardim, Fortaleza, Ceará)

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67Le 21 octobre 2011, en réponse à une convocation du Projet Historiando, des membres des mouvements sociaux, des représentants de musées et de communautés expérimentant des processus muséaux et/ou développant des initiatives communautaires de mémoire, se sont réunis dans l’auditoire du Musée du Ceará (à Fortaleza) pour discuter de la création du Réseau des musées communautaires du Ceará. Plus de quarante personnes, représentant près de trente collectivités, dont des indigènes, des assentados, des pêcheurs, des professionnels de musée, des étudiants et des environnementalistes, ont pris part à la conversation. Les expériences respectives ont été partagées, et le débat s’est porté sur les riches et divers processus de création et de gestion, sur les défis de l’exercice du musée sociocommunautaire, la plupart du temps réalisé sans aucun équipement technique spécialisé, mais traduisant en chaque réalité une méthode propre à celle-ci, pour travailler avec la mémoire et le patrimoine au service du développement social local.

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69La réunion a bénéficié d’une large participation des personnes présentes ; des individus et des groupes provenant de diverses régions de l’État du Ceará (Cariri, Littoral Est et Ouest, Acaraú, Serra de Baturité, région métropolitaine, du sertão-central et des Inhamuns) et appartenant à des groupes sociaux et ethniques différents. Parmi les multiples problématiques abordées, la question des défis et de l’importance de construire des instances de liaison et de communication entre ces populations et leurs expériences a occupé une place centrale. Autour de ce thème s’articulent plusieurs autres questions. Il est important de noter qu’un grand nombre de communautés et de personnes impliquées dans cette rencontre avaient déjà une vaste expérience de la mobilisation communautaire, au sein de laquelle la création de musées et/ou le développement de processus muséaux avaient surgi, du fait de la nécessité de s’approprier une mémoire sociale qui, de diverses manières, s’articulait à l’organisation locale.

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71Parmi les autres questions abordées, les points suivants méritent d’être relevés : l’absence de politiques publiques en faveur de la mémoire et du patrimoine ; l’importance de créer ses propres canaux de communication ; la nécessité de nouer des liens pour échanger des expériences et discuter des catégories et des critères propres aux musées/processus participant au Réseau ; la précarité et la négligence dont souffrent les collections archéologiques ; l’organisation d’une assemblée du Réseau ; la nécessité de réaliser des interventions muséologiques dans les communautés pour assurer la qualification des groupes et de leurs actions. Une information importante à cette époque concernait la présentation et la discussion de l’appel à projet des Points des Mémoire 201117, la plupart des communautés présentes disposant d’un profil adéquat pour concourir.

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73Lors de ce premier cycle de conversations, la création d’une organisation autonome et décentralisée agissant à l’échelle de l’État du Ceará faisait consensus. Selon ce qui a été convenu, l’objectif du RCMC serait de construire des espaces pour partager les expériences et encourager la coopération, la diffusion et le renforcement conjoint de ses membres, en agissant de manière décentralisée et en garantissant l’autonomie de chacun, à partir de la coordination des actions, des projets et des programmes interinstitutionnels. Cette organisation offrirait, dans cette perspective, une meilleure visibilité aux demandes locales, et permettrait d’accroître le pouvoir de pression, de proposition et de revendication auprès des autorités publiques, en vue de la formulation de politiques publiques reconnaissant et assurant la fonction sociale des musées communautaires. Afin d’atteindre cet objectif, des « commissions d’articulation » ont été formées, composées de membres de la région métropolitaine, de la vallée d’Acaraú, du Littoral Ouest et du Littoral Est.

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75Nous avons été très surpris par l’accueil réservé à notre convocation. La présence d’initiatives provenant de l’ensemble du Ceará a été très forte, si l’on considère qu’il s’agissait là d’une réunion préliminaire, qui visait à discuter concrètement d’une articulation en réseau de groupes dont le nombre était alors relativement réduit : ceux qui travaillaient, sous certains aspects, dans une perspective muséologique, envisageant les musées et le patrimoine principalement sur une base communautaire. Ou, plus simplement dit, ceux que nous avions convoqués, et avec lesquels nous collaborions depuis plusieurs années. Toutefois, à ces groupes déjà connus divers autres se sont identifiés et associés, car ils disposaient déjà de processus spécifiques d’organisation sociale en lien à la mémoire et au patrimoine local.

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77Entre octobre 2011 et juillet 2012, diverses activités ont été menées, et le dialogue entre ces expériences communautaires de mémoire s’est renforcé. La deuxième grande rencontre à l’échelle de notre État a eu lieu le 10 juillet 2012, une fois de plus dans l’auditorium du Musée du Ceará, pour discuter des points à l’ordre du jour suivants : présentation des résultats de la 1ère Rencontre des Réseaux de Points de mémoire et des musées communautaires (du 3 au 6 juin 2012, à l’auditorium de l’IBRAM à Brasilia) ; rapports sur la 4ème Rencontre internationale des musées communautaires et des écomusées (du 12 au 16 juin 2012, à Belém du Pará) ; Charte des Réseaux de Points de mémoire et des musées communautaires ; Programme de promotion des musées et Programme des Points de mémoire 2012 ; 1ère Assemblée du Réseau des musées communautaires du Ceará (planification et programmation).

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79Nous nous sommes rendu compte que les rencontres réalisées, en plus d’être des espaces de renforcement des liens entre les représentants autour des défis de la gestion communautaire des musées, sont aussi des moments de solidarité et d’entraide, de sentiment d’appartenance et d’identification collective, des moments d’échange d’informations sur les différents processus politiques que vivent ces populations. Lors de cette deuxième rencontre, par exemple, le missionnaire Florêncio Braga, de l’Association Mission Tremembé (AMIT), a fait part d’une annonce relative à la mobilisation des habitants de Tapeba au matin du 11 juin 2012, qui ont bloqué un tronçon de la route nationale BR222 traversant leurs terres, en protestation contre la destruction de dix maisons dans le village de Sobradinho (Caucaia), situé à l’intérieur d’un territoire bénéficiant d’un processus de régularisation foncière depuis plus de trente ans. Sur la base de ce récit, les personnes présentes ont rédigé une motion pour soutenir les communautés de Tapeba. Profitant de l’occasion, João Joventino (João do Cumbe) a parlé des travaux de construction d’un parc éolien dans la communauté de Cumbe (Aracati), qui ont dévasté les dunes et causé une série de nuisances à la population résidente. Il a mentionné l’engagement pris par l’entreprise responsable de construire un musée communautaire, mais a protesté contre l’enlèvement des pièces découvertes lors des fouilles archéologiques de sauvetage, requises pour l'ouverture du chantier. Ces pièces archéologiques ayant été emmenées dans un musée du Rio Grande do Norte, sous le prétexte qu’aucune institution pouvant les abriter n’existerait dans l’État du Ceará, João Joventino a réclamé leur retour. La nécessité de poursuivre, dans le cadre du RCMC, la discussion sur le patrimoine archéologique du Ceará et le rapatriement de ces collections a été soulignée.

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81L’esprit de collaboration et de solidarité en réseau s’est trouvé consolidé, et diverses activités et articulations, d’importance diverse, ont été réalisées à partir de ce moment. Certaines de ces actions se distinguent et méritent de faire l’objet de comptes rendus, tant en raison de la valeur de ces processus que du fait qu’ils ont transformé des demandes particulières en revendications politiques collectives, élargissant le dialogue à de nouveaux acteurs et espaces institutionnels, et démontrant la vigueur et l’accroissement organisationnel des processus dans lesquels nous nous étions impliqués, en tant que collectivités organisées au sein du RCMC.

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83Un exemple en a été donné les 23 et 24 avril 2012, lors de la présentation du projet Connexões Ibram18 au Centre Dragão do Mar de Arte e Cultura à Fortaleza. Durant cet événement, la participation des membres du RCMC a été remarquée, ces derniers constituant l’écrasante majorité du public ayant assisté et contribué aux débats qui s’y sont tenus. À cette occasion a été préparé et envoyé à l’Ibram un document présentant des demandes et des propositions relatives aux politiques publiques dans le domaine de la muséologie sociale. Parmi celles-ci, on comptait l’inclusion de la catégorie de « réseau » dans l’Appel à soutien et à la promotion des systèmes muséaux au niveau des États ; l’inclusion du RCMC dans le calendrier des actions annuelles de l’Ibram, de façon à assurer sa participation aux activités proposées et une articulation nationale des initiatives provenant du Ceará dans cet organe d’interlocution ; la garantie de la participation de représentants du RCMC au Forum national des musées (Rio de Janeiro/2012) ; la création d’un programme de formation en muséologie sociale en collaboration avec des agents communautaires de la mémoire, des mouvements sociaux et des chercheurs universitaires.

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85Les statistiques présentées par l’Ibram dans le cadre du projet Connexões ont démontré l’importance des actions muséologiques communautaires menées au Ceará. Parmi les initiatives identifiées par cette agence dans la macrorégion du Nordeste, qui présente le plus grand nombre d’expériences de ce type au Brésil19, environ 50 % se trouvaient à cette époque dans le Ceará. C’est également dans cet État que l’on observe le plus grand nombre de projets envoyés et approuvés dans le cadre des Appels publiés par le programme des Points de mémoire20.

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87Un autre moment important pour l’approfondissement et le mûrissement des relations entre les participants du RCMC a été l’atelier Musées, mémoire et citoyenneté, organisé par le muséologue Mario Chagas les 27 et 28 mars 2012 dans le quartier de Bom Jardim à Fortaleza. De nombreux membres du RCMC se sont alors retrouvés pour converser sur leur travail de coordination à l’échelle du Ceará. Une commission élue à cette occasion a été chargée, parmi d’autres tâches, de l’organisation d’une assemblée de ce réseau incluant l’ensemble de ses membres.

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89Les 4, 5 et 6 juin 2012, une délégation du RCMC a participé à la 1ère réunion du Réseau des Points de mémoire et des initiatives communautaires en matière de mémoire et de muséologie sociale, qui s’est tenue au siège de l’Institut brésilien des musées à Brasília, dans le District Fédéral. De cette réunion a résulté la Charte du Réseau des points de mémoire et des initiatives communautaires en matière de mémoire et de muséologie sociale, formulant des propositions en faveur de la promotion, du financement et de la durabilité, de la qualification, des inventaires participatifs et de l’articulation en réseau des projets. La même année, des représentants du RCMC ont pris part au 5ème Forum national des musées, organisé du 19 au 23 novembre dans la ville de Petrópolis, dans l’État de Rio de Janeiro. Avec comme thème 40 ans de la Table ronde de Santiago du Chili : entre idéalisme et contemporanéité, cet événement a été un moment essentiel, autant par la réflexion menée sur les débats tenus lors de cette Table ronde en 1972 à la lumière des récents développements dans le domaine de la muséologie brésilienne, que par l’opportunité de retrouver et tisser des liens avec d’autres initiatives affiliées, au niveau national, au Réseau des points de mémoire et des initiatives communautaires en matière de mémoire et de muséologie sociale.

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91Les contributions des représentants du RCMC tout au long de ce forum ont été significatives. Elles ont démontré une maturité politique importante, notamment à travers la proposition de création d’un Conseil de gestion pour le programme des Points de mémoire. Parmi les principaux apports de cet événement, il convient de souligner : 1) la création d’une commission préparatoire pour la prochaine édition de la Teia de memória, avec la participation des Points de mémoire et des réseaux existant dans chaque État ; 2) la création d’une commission de travail ayant pour objectif de créer un comité de gestion pour contrôler et suivre, de manière partagée, le programme des Points de mémoire ; 3) l’élection de deux représentants des écomusées, des Points de mémoire, des musées communautaires et des initiatives de mémoire sociale, ainsi que de leurs réseaux, pour composer le comité de gestion du Système des musées brésiliens ; 4) la remise d’un document émanant des Points de mémoire à la ministre de la culture de l’époque, Marta Suplicy. Le RCMC a obtenu des sièges dans les deux commissions nationales, et a ensuite publié un document évaluant les résultats du 5e Forum, intitulé Compte rendu des activités et des démarches des Points Mémoire et des initiatives communautaires en mémoire et muséologie sociale présentes au 5e Forum national des musées21.

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93Profitant de la présence d’Hugues de Varine au Brésil durant le second semestre de 2012, à l’occasion de son intervention au Forum national des musées, le Réseau des Musées Communautaires du Ceará et d’autres institutions partenaires (le Secrétariat d’État à la culture du Ceará, le Musée du Ceará, l’Écomusée de Maranguape, le Projet Historiando et le Point de mémoire du Grande Bom Jardim) ont organisé une caravane et convié le muséologue français à son premier voyage dans cet État22. Outre le lancement de son livre, As raízes do futuro: o patrimônio a serviço do desenvolvimento local23, diverses activités ont été organisées afin de présenter les expériences de muséologie communautaire dans cette région du Brésil. Hugues de Varine a ainsi participé à la 2e Rencontre pour la formation des gestionnaires de musées indigènes au Ceará, qui s’est tenue le 4 décembre 2012 au Musée indigène Jenipapo Kanindé à Aquiraz.

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95Les musées indigènes du Ceará ont contribué de manière décisive à l’organisation du RCMC et, ces dernières années, se sont distingués dans le paysage muséal brésilien. Outre les musées déjà cités, qui réalisent des actions permanentes en lien avec le territoire, le patrimoine et la population locale, il existe également des organisations communautaires visant la création de musées indigènes chez les Pitaguary de Monguba (à Pacatuba), les Tremembé de Almofala (à Itarema) et les Kariri (à Crateús). L’objectif de la rencontre mentionnée ci-dessus était de poursuivre le processus de formation conjointe des membres des comités de gestion, en offrant un espace de réflexion sur les défis de l’organisation des musées par les populations indigènes elles-mêmes, à travers l’échange d’expériences entre les acteurs de ces musées, les membres du RCMC, et Hugues de Varine.

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La 1ère Assemblée du Réseau des Musées Communautaires du Ceará : mai 2013

97Le 22 mai 2013, à la Casa de Juvenal Galeno (Fortaleza), a eu lieu la première Assemblée du RCMC à l’échelle de l’ensemble du Ceará. Cet événement a pu compter sur la participation d’environ cinquante représentants d’initiatives communautaires de mémoire, de représentants d’autres réseaux de muséologie sociale brésiliens et des invités qui, répartis en groupes de travail thématiques, ont discuté et élaboré un ensemble de lignes directrices, de principes, d’objectifs et de résolutions visant la consolidation du RCMC au Ceará, par le renforcement mutuel de ses membres et la formation d’une structure organisationnelle, basée sur les principes d’autonomie, d’entraide, de décentralisation et de coopération en réseau. Le document qui a été élaboré lors de cette assemblée, la Déclaration des principes, objectifs et résolutions du Réseau des Musées Communautaires du Ceará, sert désormais de guide pour nos actions et leur articulation en réseau24.

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99À cette occasion, les participants ont ratifié le fait que le RCMC soit un espace de coordination politique et de mobilisation sociale constitué afin d’intensifier les efforts, élargir les actions et fortifier les acteurs et les collectivités unis autour de l’appropriation communautaire du patrimoine et de la mémoire locale. Parmi ses objectifs déclarés, nous soulignons les points suivants :

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1. Partager les expériences et les méthodologies entre les différentes initiatives communautaires en mémoire et muséologie sociale ;

2. Encourager la coopération, la diffusion et le renforcement réciproque de ses membres, en agissant de manière décentralisée et en garantissant l’autonomie des participants ;

3. Coordonner les actions, projets et programmes interinstitutionnels ;

4. Rendre visibles les demandes, les revendications, les conflits et les luttes ;

5. Proposer et exiger des pouvoirs publics des politiques culturelles qui reconnaissent et assurent la fonction sociale des musées communautaires (2013).

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102Le Réseau des musées communautaires du Ceará est un processus, plutôt qu’un produit. Il est le résultat des efforts d’un ensemble d’acteurs sociaux en faveur du développement de processus muséaux et muséologiques articulés à l’organisation et à la mobilisation communautaire. La mémoire, appréhendée de manière à construire différentes possibilités d’organisation du passé et du patrimoine, appropriée, re-signifiée et intensifiée lorsqu’elle est réinventée comme tradition, acquiert une importance privilégiée dans ces processus organisationnels auxquels s’articulent, de manière pressante, les luttes sociales et les processus muséaux et muséologiques.

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Considérations finales : de la méconnaissance à un rôle de premier plan dans l’organisation en réseau et les débats sur une politique publique pour des mémoires plurielles au Brésil

104Un fait mérite d’être relevé : le Ceará, dans les analyses des spécialistes du secteur muséal brésilien, s’impose comme un pionnier dans les mobilisations et actions muséales communautaires. Cette situation se vérifie par les différents projets réalisés, les diverses organisations de musées et de réseaux, les publications, les recherches et les formations dispensées dans ce domaine. Tout cela, allié à l’influence croissante d’une série de chercheurs, gestionnaires et intellectuels, quand bien même aucun cursus de muséologie de niveau supérieur n’ait été établi dans cet État, nous autorise à réfléchir à ce que l’on pourrait appeler, en incluant certes des tendances diversifiées, une École de muséologie cearense.

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106Si, pour sa part, le Musée du Ceará a exercé une énorme influence dans le territoire de cet État depuis le début des années 2000, du fait de ses activités dans le domaine théorique et académique, principalement, et de l’écho qu’il a trouvé au-delà des frontières locales ; de leur côté les processus muséologiques communautaires ont, à leur propre rythme, renforcé et constitué un champ parallèle à celui des grands musées locaux, tout en participant aux activités que ces derniers organisaient et en dialoguant activement avec eux. Il est nécessaire de reconnaître qu’en plus d’une décennie de fonctionnement, le Projet Historiando est parvenu à intervenir dans presque toutes les régions du Ceará, et les résultats de ses actions ont permis la construction d’un processus de sensibilisation des populations rencontrées quant aux potentialités offertes par la mémoire et le patrimoine culturel en tant qu’outils d’organisation sociale et de développement local.

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108Il ne fait aucun doute que la question de la participation aux appels à projets publics et aux programmes de promotion culturelle constitue un point essentiel, et constamment débattu, compte tenu des difficultés récurrentes rencontrées par ces populations pour obtenir des ressources financières susceptibles d’assurer la continuité et la durabilité de leurs processus muséologiques. Lors des réunions du RCMC cependant, ce qui a plus particulièrement retenu notre attention est l’importance d’une action effective dans la construction de politiques culturelles publiques visant à renforcer les mouvements sociaux travaillant avec les musées et la mémoire au Brésil. Dans notre réalité, les exemples en faveur de cet argument abondent, étant donné la relation complexe entre la mémoire, le patrimoine et les luttes communautaires à l’œuvre dans bon nombre des expériences dont nous avons traité.

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110Dans la plupart de ces communautés, les populations traversent de graves problèmes liés aux disputes pour les territoires ; l’accès et l’usage des ressources naturelles traditionnellement employées étant au centre des conflits. Elles résistent à la destruction de leur patrimoine, qu’il s’agisse de la terre, de la mangrove, de la mer, des rivières, des connaissances, des savoir-faire ou des modes de vie. Et dans cette résistance, la mémoire sociale et le patrimoine collectif sont d’une importance cruciale.

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Bibliographie

Carta da Rede dos Pontos de Memória e Iniciativas Comunitárias em Memória e Museologia Social, Brasília, 2012.

 

Chagas Mário, 2000 : « Memória e poder: contribuição para a teoria e a prática nos ecomuseus. », Encontro Internacional de Ecomuseus, n° 2, Rio de Janeiro, Caderno de textos e resumos, Rio de Janeiro, Noph/Minom/Icofom Lam, p. 12-17.

 

Declaração de princípios, objetivos e resoluções da Rede Cearense de Museus Comunitários, Fortaleza, Rede Cearense de Museus Comunitários, 2013.

 

de Varine Hugues, 2012 : As raízes do futuro: o patrimônio a serviço do desenvolvimento local, Porto Alegre, Editora Medianiz.

 

Gomes Alexandre Oliveira, Vieira Neto João Paulo, 2009 : Museus e memória indígena no Ceará: uma proposta em construção, Fortaleza, Museu do Ceará/Secult.

 

IPHAN, 2000 : Manual de aplicação do Inventário Nacional de Nacional de Referências Culturais, Brasília, IPHAN.

 

Relatório das atividades e encaminhamentos dos Pontos de Memória e iniciativas comunitárias em memória e museologia social presentes no V Fórum Nacional de Museus, Fortaleza, Rede Cearense de Museus Comunitários, 2012.

 

Sancho Querol Lorena, 2011 : El Patrimonio Cultural Inmaterial y la Sociomuseología: estudio sobre inventarios. Tesis doctoral en Museología, presentada en el Departamento de Museologia de la Faculdade de Ciências Sociais e Humanas de la Universidade Lusófona de Humanidades e Tecnologias de Lisboa, sous la direction de Mário Canova Magalhães Moutinho. Lisboa.

Notes

1 Traduction Chloé de Sousa Veiga et Dominique Schoeni. La version originale en portugais de cet article est parue dans un volume des Cadernos do CEOM consacré à la muséologie sociale, publié en 2014 sous la direction de Mario Chagas et Inês Gouveia. Disponible en ligne sur: https://bell.unochapeco.edu.br/revistas/index.php/rcc/issue/view/168.

2 À propos de la notion de patrimonialisation, on notera la définition qu’en donne Lorena Sancho-Querol (2011, p. 320) : « […] la patrimonialisation pourrait être définie comme une sélection valorisée qui implique un processus dactivation symbolique de la valeur patrimoniale dune manifestation culturelle donnée, en fonction de son caractère représentatif par rapport à lidentité dun collectif ».

3 NdT : les assentados sont des petits paysans qui ont pu obtenir des parcelles à la faveur d’une redistribution des terrains agricoles (un projet d’assentamento) réalisée par un organe de l’État (au niveau fédéral ou des États) suite à une désappropriation de terres inutilisées – ou mal utilisées –, notamment celles de latifúndios lorsqu’elles ne font l’objet d’aucune exploitation. Ces actions sont appelées au Brésil reforma agraria (« réforme agraire »).

4 NdT : Au Brésil, le terme quilombola désigne à l’origine les membres des communautés formées par des femmes et des hommes esclavisés qui se sont enfuis et ont bâti en des lieux reculés leurs propres villages, ou ensembles de villages, appelés quilombos. Aujourd’hui le terme a gagné un sens beaucoup plus vaste, non seulement parce des communautés autrefois rurales sont devenues urbaines, mais aussi du fait de la prégnance d’une identité quilombola dans la société brésilienne actuelle et de nouvelles revendications liées aux droits culturels et territoriaux. Voir à ce sujet : Boyer Véronique, 2010 : « Qu’est le quilombo aujourd’hui devenu ? De la catégorie coloniale au concept anthropologique », Journal de la Société des américanistes [en ligne], n° 96-2, p. 229-251. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/jsa.11579 (consulté le 28 juin 2022).

5 Disponible sur : http://www.imopec.org.br/index.php?q=missao (consulté le 12 mars 2014).

6 NdT : ces linhas da vida sont plus ou moins l’équivalent des « lignes de temps » que l’on trouve dans nombre de musée, mais sous des formes adaptées aux réalités et contextes locaux.

7 « Les références sont les constructions et les paysages naturels. Ce sont aussi les arts, les métiers, les formes d’expression et les manières de faire. Ce sont les fêtes et les lieux auxquels la mémoire et la vie sociale attribuent une signification particulière : ceux que l’on considère comme les plus beaux, les plus mémorables, les plus affectionnés. Ce sont des faits, des activités et des objets qui mobilisent les personnes les plus proches et qui rapprochent les plus distantes, de sorte que le sentiment de participation et d’appartenance à un groupe, de propriété d’un lieu, est ravivé. En bref, les références sont des objets, des pratiques et des lieux appropriés par la culture dans la construction de sentiments des identités ; elles sont ce que l’on appelle communément la "racine"d’une culture » (IPHAN, 2000, p. 29).

8 Sous le nom de Porangaba, cette localité a dabord été un refuge pour les indigènes Potiguara, qui avaient migré depuis la région où les capitaineries du Rio Grande do Norte et du Paraíba avaient été établies (entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle). Elle est ensuite devenue une colonie jésuite (1656), un bourg indigène (1759, sous le nom de Arronches) puis une municipalité indépendante (entre 1759-1835 et 1885-1921). Aujourdhui, sous le nom de Parangaba, elle est devenue un quartier important de Fortaleza, qui porte encore dans son territoire et les pratiques culturelles de ses habitants la mémoire de ces multiples époques, dont on trouve l’expression, par exemple, dans les édifices qui ont été préservés, comme le bâtiment de la gare, léglise de Bom Jesus dos Aflitos et l’ensemble des maisons autour de la « place des caboclos ».

9 NdT : La Festa dos caboclos da Parangaba serait d’origine indigène, et l’un des rituels les plus anciens du Ceará. Cette fête religieuse commence le deuxième dimanche de spetembre avec une cérémonie de « descente de la couronne »  (la coroa do Bom Jesus dos Aflitos), suivie de diverses processions jusqu’au « retour de la couronne » dans l’église matrice à la fin de la même année. Le nom de cette fête, comme celui de la place mentionnée ci-dessus, renvoie à la fois à la présence originelle de populations amérindiennes – l’appellation de caboclo ayant servi à qualifier, au début de la colonisation portugaise, le métis d’origine indigène – ; et à la tentative d’effacement de cette présence au milieu du XIXème siècle, lorsque la reprise de ce terme et le discours du métissage ont servi à justifier l’appropriation des terres occupées par des indigènes dès lors réputés « ne plus exister ». Voir à ce sujet le travail d’un des auteurs du présent article : Gomes Alexandre Oliveira, 2017 : « Memória e patrimônio cultural dos povos indígenas: uma introdução ao estudo da temática indígena », in Andrade Juliana Alves de & Silva Tarcísio Augusto Alves da (orgs.), O ensino da temática indígena: subsídios didáticos para o estudo das sociodiversidades indígenas, Recife, Edições Rascunho, vol. 1, p. 111-160, p. 129.

10 En juillet 2006, un groupe d’habitants a déposé une demande de classement auprès du Département du patrimoine de la Fondation pour la culture, les sports et le tourisme de Fortaleza, afin d’inscrire dans la loi la sauvegarde de certains édifices du site historique de Parangaba : la gare ferroviaire (1927), l’église de Bom Jesus dos Aflitos (début du XIXème siècle), la Casa da Câmara, ancien bâtiment des autorités municipales (1879) et l’ancien groupe scolaire de Parangaba (1902), également connu sous le nom d’Educandário São José - Convento das Irmãs. Ce dernier a malheureusement été démoli sur ordre de ses propriétaires, quelques jours après la première visite des techniciens qui avaient commencé les études pour l’élaboration d’un avis sur sa valeur patrimoniale. La Casa da Câmara (en très mauvais état de conservation), la gare ferroviaire (en excellent état), ainsi que l’Église ont été protégés provisoirement par le décret-loi numéro 12099 (du 21 septembre 2006), publié au Journal Officiel Municipal le 27 septembre 2006, afin d’éviter d’autres éventuelles tentatives de démolition. La gare ferroviaire a été classée définitivement en 2007 et a subi en août 2009 un processus d’« abaissement », qui a réduit sa hauteur de trois mètres cinquante, rendant possible la construction d’une rampe pour le métro. Cet « abaissement » a employé un procédé d’ingénierie inédit au Brésil et a symbolisé la victoire d’une organisation communautaire soucieuse du patrimoine sur « l’argument d’autorité » utilisé par les pouvoirs publics vis-à-vis de la diversité des mémoires. La demande des habitants de Parangaba est que cette gare devienne un musée communautaire, et qu’à partir de celui-ci leur histoire et leur lutte pour sa préservation puissent être racontées.

11 Entre 2001 et 2010, en tant que concepteurs du Projet Historiando, nous avons fait l’expérience des différents services de l’espace institutionnel du Museu do Ceará, un équipement culturel du Secrétariat à la culture de l’État de Ceará : d’abord en tant qu’éducateurs (2001-2004), puis en tant que chercheurs (2005-2006), et enfin en tant que membres du comité de gestion et techniciens du Système des musées de l’État du Ceará (2007-2010).

12 NdT : le format de ces livrets (A6, une feuille A4 pliée deux fois en son milieu) reproduisait celui très couramment utilisé pour la publication de la littérature de cordel, ces petits récits populaires, poétiques et souvent satiriques, traitant de thèmes variés allant de la vie quotidienne à la politique, en passant par des chroniques imprégnées de religiosité.

13 L’exposition au musée du Ceará a été inaugurée le 18 mai (Journée internationale des musées), avec la tenue d’un séminaire intitulé « Peuples indigènes du Ceará : la diversité des mémoires », réunissant des représentants des ethnies Tapeba, Tremembé, Pitaguary, Jenipapo, Kanindé, Potiguara et Anacé. Ultérieurement, le Musée de Ceará incorporera une partie de cette collection à son exposition de longue durée. Le jour même de cette inauguration, les indigènes ont occupé le siège de la Fundação Nacional do Índio (FUNAI) à Fortaleza, exigeant la démarcation de leurs terres.

14 En mai 2009, des groupes indigènes, afro-brésiliens et quilombolas ont participé au projet Emergência étnica: índios, negros e quilombolas construindo seus lugares de memória no Ceará, organisé par le Secrétariat à la culture de l’État de Ceará, par l’intermédiaire du Musée de Ceará et de l’Institut de la mémoire du peuple cearense. Ce séminaire a été préparé en vue de réaliser une consultation des groupes ethniques pour la planification et l’élaboration de politiques culturelles publiques orientées vers la mémoire, le patrimoine et les musées. À l’occasion de cette phase du projet ont été réuni à Fortaleza plus de 120 responsables communautaires les 15, 16 et 17 mai 2009. L’atelier Diagnóstico Participativo em Museu, une des lignes d’action de ce projet, a été organisé avec six groupes indigènes qui avaient déjà pris des initiatives en lien avec la muséalisation du patrimoine culturel. Les ateliers ont socialisé des outils méthodologiques qui ont permis aux participants de formuler des propositions de restructuration ou de création/gestion des espaces muséologiques dans leurs communautés. Ils ont été accueillis par les groupes Kanindé (à Aratuba), Tapeba (à Caucaia), Tabajara/Kalabaça (à Poranga), Potiguara/Tabajara/Gavião/ Tubiba-tapuia (à Monsenhor Tabosa), Trememb (à Almofala/Itarema) et Pitaguary (à Monguba/Pacatuba). À partir de ces ateliers et visites techniques, des diagnostics ont été préparés pour guider les changements dans ces espaces, en fonction des demandes suscitées par les activités, partagées sous la forme de propositions de (re)structuration muséologique pour les communautés indigènes du Ceará, et présentées à l’occasion de ce séminaire (Gomes & Vieira Neto, 2009).

15 « Le Réseau Tucum est un projet pionnier en matière de tourisme communautaire dans l’État du Ceará, visant à établir une relation entre la société, la culture et la nature, dans un souci de durabilité sociale et environnementale. [...]. Tucum est formée par des communautés établies sur le littoral du Ceará et se construit à plusieurs mains. Actuellement, il compte sur la participation de dix communautés du littoral, parmi lesquelles des communautés indigènes, des pêcheurs et des habitants d’agglomérations rurales; de deux points d’hébergement solidaire à Fortaleza ; et de deux ONG qui apportent un soutien institutionnel au réseau – l’Institut Terramar (Brésil) et l’Association Tremembé (Italie) ». Les communautés concernées sont : Jenipapo-Kanindé (à Aquiraz), Batoque (à Pindoretama), Ponta Grossa (à Icapuí), Tremembé (à Icapuí), Curral Velho (à Acaraú), Tapeba (à Caucaia), Flecheiras (à Trairi), Assentamento Coqueirinho (à Fortim), Prainha do Canto Verde (à Beberibe), Caetanos de Cima (à Amontada), ainsi que le Centre de formation, de capacitation et de recherche Frei Humberto/MST et l’association Mulheres em Movimento (à Fortaleza). De plus amples informations peuvent être trouvées sur le site de ce réseau à l’adresse http://www.redetucum.org.br.

16 NdT : le titre original de cette partie, « De quantos nós precisamos para fazermos uma rede? », est intraduisible, jouant sur la polysémie des deux termes nós (« noeuds » et « nous ») et rede (« le filet » et « le réseau »). Son sens est restitué ici sous la forme de deux propositions distinctes, juxtaposant les différentes significations.

17 NdT : le programme des Pontos de Memória (« Points de mémoire »), mis en place en 2009 par l'Institut brésilien des musées (Ibram, Instituto Brasileiro de Museus) en partenariat avec le Ministère de la culture et l'Organisation des États ibéro-américains (OEI), s'adressait aux divers groupes sociaux qui n'ont habituellement pas la possibilité de raconter et d'exposer leur propre histoire, leur mémoire et leur patrimoine, afin que ceux-ci soient reconnus et valorisés comme une partie intégrante de la mémoire sociale brésilienne. De plus amples informations à ce sujet peuvent être trouvées sur le site https://www.gov.br/museus/pt-br/acesso-a-informacao/acoes-e-programas/pontos-de-memoria.

18 Le projet Connexões Ibram a parcouru plusieurs États du Brésil pour discuter des nouvelles politiques et des nouveaux instruments de gestion des musées. Lors des événements réalisés dans chacun de ces États, divers sujets ont été présentés, parmi lesquels les stratégies de promotion et de financement, le statut des musées et le plan national pour ce secteur, afin qu’ils soient discutés directement avec les représentants de la sphère culturelle des États et avec leurs citoyens.

19 NdT : la région brésilienne du Nordeste comprend, du Nord au Sud, les États du Maranhão, Piauí, Ceará, Rio Grande do Norte, Paraíba, Pernambouc, Alagoas, Sergipe et Bahia.

20 Outre le Point de mémoire de Grande Bom Jardim, déjà inclus dans le Programme depuis 2009, douze autres initiatives de mémoire et de muséologie sociale issues du Ceará ont figuré parmi les lauréats des appels à projets en 2011 et 2012. Ce sont la Fondation Brasil Cidadão (Icapuí) ; le musée Vivo do Barro (Cascavel), le musée indigène Jenipapo Kanindé (Aquiraz) ; le musée des Kanindé (Aratuba) ; le musée indigène Pitaguary (Monguba) ; Circo, Memória e Identidade (Fortaleza) ; Museu do Brinquedim (Pindoretama) ; le projet Casa do Capitão Mor (Sobral) ; la communauté Moura Brasil (Fortaleza) ; le Point de mémoire Cultura Afro e das Divindades Africanas (Fortaleza) ; le Point de mémoire sociale de Dias Macêdo (Fortaleza) ; le Resgate da Memória Circense e Difusão dos Saberes (Fortaleza).

21 Relatório das atividades e encaminhamentos dos Pontos de Memória e iniciativas comunitárias em memória e museologia social presentes no V Fórum Nacional de Museus. Ce document peut être consulté dans son intégralité sur le blog de la RCMC. Disponible sur : https://museuscomunitarios.files.wordpress.com/2013/05/relatocc81rio_5c2ba_fnm_final.pdf.

22 Hugues de Varine est un consultant international dans le domaine du patrimoine, de la muséologie et du développement. Il a occupé les postes de directeur adjoint et de directeur du Conseil international des musées (Icom), a participé à la Table ronde de Santiago du Chili (1972), fondé l’écomusée du Creusot-Montceau et travaillé au ministère français de la culture, dans les domaines du développement culturel et de l’évaluation des politiques culturelles. Hugues de Varine tient le blog https://hugues-interactions.over-blog.com/ et le site internet http://www.hugues-devarine.eu, rendant disponible un grand nombre de ses travaux.

23 NdT : Il s’agit de la traduction en portugais de l’ouvrage Les racines du futur : le patrimoine au service du développement local, éditions ASDIC, 2002.

24 Declaração de princípios, objetivos e resoluções da Rede Cearense de Museus Comunitários. Fortaleza: Rede Cearense de Museus Comunitários, 2013.

Pour citer cet article

Alexandre Oliveira Gomes & João Paulo Vieira Neto, «Le Réseau des musées communautaires du Ceará : processus et défis pour l’organisation d’un champ muséologique autonome1», Les Cahiers de Muséologie [En ligne], Hors-série n° 2, p. 187-209 URL : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=1308.

A propos de : Alexandre Oliveira Gomes

 Titulaire d’une licence en histoire (Université fédérale du Ceará, 2004), d’une maîtrise et d’un doctorat en anthropologie de l'Université fédérale du Pernambouc (UFPE), incluant un stage au Centre de recherches et d'études supérieures en anthropologie sociale (CIESAS) - Unité Pacifico Sur (Oaxaca, México), Alexandre Oliveira Gomes travaille dans les domaines des musées indigènes, du patrimoine culturel, de la muséologie sociale, de l’interculturalisme, de la mémoire et des mobilisations ethniques. Ses travaux portent sur la recherche collaborative, la coproduction de connaissances et la gestion partagée des collections communautaires. Membre de l'Association brésilienne d'anthropologie (ABA, Comité du patrimoine et des musées), co-concepteur des projets Historiando et Memórias Indigenistas no Nordeste, chercheur associé au Centre d'études et de recherches sur l'ethnicité (NEPE-UFPE), membre du Centre de gestion du Musée Kanindé au Ceará et consultant de l'Institut Maracá (Sáo Paulo), il intervient actuellement dans la mise en œuvre de processus de gestion partagée et participative dans le Musée des Cultures Indigènes de São Paulo (MCI).

A propos de : João Paulo Vieira Neto

Historien et titulaire d’un master en préservation du patrimoine culturel, suivi en 2015 d’un cours d'études avancées en muséologie à l’Université catholique pontificale de Rio Grande do Sul (PUCRS), João Paulo Vieira Neto a été conseiller du Registre national des musées du Ministère de la culture en 2006, coordinateur technique du Système national des musées de Ceará (SEM-CE) de 2007 à 2009, conseiller du Ministère de la Culture (MINC) en tant que coordinateur technique dans la préparation du plan culturel municipal de la ville de Fortaleza en 2012, et consultant sur les inventaires participatifs dans le Programme Pontos de Memória (Institut brésilien des musées / Ministère de la culture) de 2013 à 2016. Il est actuellement conseiller du réseau indigène de mémoire et de muséologie sociale, coordinateur du projet Historiando et consultant en éducation au patrimoine, gestion des collections et muséologie sociale à l'Institut d'archéologie et de patrimoine Cobra Azul.