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Fake for Real. Une histoire du faux et de la contrefaçon à la Maison de l’histoire européenne
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original pdf fileIntroduction
1Ouverte à partir du 24 octobre 2020 pour une durée d’un an prolongée jusqu’au 30 janvier 2022 (Euronews 2021), l’exposition Fake for Real, dont l’objectif est de montrer que la falsification n’est pas un phénomène contemporain, retrace son histoire et la contextualise (Maison de l’histoire européenne, 2020b). Ses curatrices, Simina Bădică 1et Joanna Urbanek2, ont constaté que, dans notre société où la crédibilité et la confiance continuent d’être des valeurs très importantes, la nouvelle révolution de l’information nous interroge sur l’ère de post-confiance (Maison de l’histoire européenne 2020b).
2Ainsi, en traversant les époques de l’Antiquité à nos jours et située sur le continent européen, l’exposition invite les visiteurs à réfléchir et à développer leur esprit critique sur leur perception et attitude face aux vrais et aux faux dans le monde du mensonge, de la non-vérité et de la contrefaçon. Elle interroge sur la manière dont sont construites ces falsifications et leur but à atteindre. Il s’agit d’une exposition à message (Duarte Cândido 2021). Les curatrices, en évoquant une question de société, transmettent un propos aux visiteurs et provoquent le débat. Cette approche est définie comme communicationnelle par Noémie Drouguet (2021). Par ailleurs, leur volonté d’exprimer une interprétation singulière rejoint la formulation d’exposition d’idées de Davallon (Chaumier 2012, p. 42). Afin de rendre leur discours (Chaumier 2012, p. 30) compréhensible de tous, l’exposition apparait comme une synthèse. L’objectif a été d’examiner, pour chaque époque, quelle était la méthode de falsification la plus utilisée (Rtbf 2021).
3L’exposition met en scène 200 pièces de différentes époques en provenance d’Europe (Euronews 2021). Les objets se sont avérés l’outil principal pour contextualiser le programme muséographique (Maison de l’histoire européenne 2021a). Néanmoins, de nombreux substituts sont également présents tout au long de l’exposition.
4Le choix scénographique s’est manifesté par une métaphore du mythe du fil d’Ariane par la création d’un labyrinthe (Maison de l’histoire européenne 2020b). Ce parcours linéaire se situe sur deux niveaux non homogènes et est structuré à l’aide d’un système de miroirs associé à des vitrines de forme quadrilatère changeante. L’articulation des miroirs renvoie le visiteur à son propre reflet. Il est lui aussi victime de la falsification. Chaumier nous apprend que cet agencement ne permet pas au visiteur de s’écarter de ce qui est attendu de lui (Chaumier 2012, p. 28). Le mélange entre le black box (Idem, p. 91) et le reflexion box occasionne une ambiance sombre. Les salles, ne disposant pas de fenêtre, sont équipées d’un éclairage artificiel et fonctionnel. Les objets sont quant à eux mis en valeur dans les vitrines par un éclairage directionnel (Duarte Cândido 2021).
Figure 1 – Photographie présentant la séquence Régner et Prier de l’exposition Fake for Real. Photo : Floriane Paquay, 29 novembre 2021.
1. Contenu et organisation
5L’exposition est divisée en six sections thématiques se référant à des grands changements rencontrés par la falsification dans l’histoire européenne (Maison de l’histoire européenne 2020b). Ces thèmes suivent une structure chronologique avec des sous-structures thématiques (Drouguet 2021). Chaque section est divisée en plusieurs sous-évènements et se clôture par une vitrine comprenant un objet d’époque contemporaine encadré par des pointillés et accompagné d’un trombone. Le visiteur se déplace, selon l’idée de Serge Chaumier, de séquence en séquence (Chaumier 2012, p. 37). Elles sont indiquées par un fléchage signalétique et didactique comprenant un pictogramme et le titre de la section. Ainsi, les contenus sont hiérarchisés à l’aide de titres, sous-titres, textes explicatifs, citations et légendes. Ils sont écrits en quatre langues – Anglais, français, néerlandais, allemand – et apparaissent de manière dense et éparpillées ainsi qu’en caractères de petite taille.
6Le chapitre premier, intitulé Régner et prier, s’insère dans les périodes historiques antique et médiévale. Dans cette section, le visiteur est questionné sur la possibilité d’effacer quelqu’un de la mémoire publique. Des objets et des substituts sont présentés. Cette pratique qui se répète tout au long de l’exposition se réfère à l’exposition d’idées dans laquelle les objets et d’autres supports permettent de communiquer des contenus informatifs (Chaumier 2012, p. 42).
7Le second chapitre, Comprendre le monde, aborde plusieurs sous-thèmes. Tout d’abord, la question des pays inventés et des fausses créatures (Maison de l’histoire européenne 2021a). Ensuite, la censure et les périls de la parole libre suite à l’invention de l’imprimerie sont évoqués à l’aide d’un écran tactile par lequel le visiteur est soumis à un sondage sur les pamphlets. En finalité de cette expérience, il découvre une statistique en lien avec ce que le public a répondu lui permettant de nourrir son esprit critique. Dernièrement, la falsification scientifique au XIXe siècle (Maison de l’histoire européenne 2020b) est retracée à l’aide d’une ligne du temps mais aussi d’objets à manipuler tel qu’un crâne.
8Troisièmement, la séquence Unir et diviser présente le sujet des faux patriotiques utilisés lors de la formation des États-nations au XIXe siècle. Il est le seul thème de l’exposition non soutenu par des « vraies choses ». En effet, les curatrices nous expliquent que seuls des livres pouvaient nous éclairer sur ces questions puisqu’il s’agit essentiellement de faux médiévaux. Par ailleurs, afin d’approcher l’origine d’une des théories conspirationnistes les plus fortes, les Protocoles des Elders de Zion (Ibid.), l’équipe scénographique a conçu un mur constitué de caissons. Ce système image la multiplication des théories mais aussi la frustration des experts qui essaient d’écarter ces-dernières (Maison de l’histoire européenne 2021b). Finalement, appuyé par l’affaire Dreyfus, les conservatrices interrogent sur l’utilisation de fausses preuves pour convaincre des personnes innocentes. Cette séquence peut être directement mise en lien avec une autre section de l’exposition dédiée aux procès médiatiques dans le bloc soviétique (Maison de l’histoire européenne 2021a).
9La quatrième section, Faire la guerre, dédiée au XXe siècle et plus particulièrement à la Seconde Guerre mondiale nous force à nuancer notre jugement sur les faux. En effet, à cette époque, ils ont permis de sauver des vies (Maison de l’histoire européenne 2020b). Une vidéo retrace un témoignage grâce à un support animé. En effet, le patrimoine immatériel est aussi engagé dans l’exposition. Le second sous-thème est consacré au déni de crime et au massacre qui a eu lieu dans la ville de Katyń au début de la Seconde Guerre mondiale.
10Le cinquième thème, Gloire et fortune, fait découvrir aux visiteurs le faux dans l’art, les fausses marques que nous craignons et désirons ainsi que la contrefaçon de l’argent (Ibid.).
11Enfin, la dernière section questionne L’ère de la post-vérité. Elle est essentiellement conçue sur des outils multimédias pour comprendre les problèmes des fake news menant à la désinformation. Pour les curatrices, aujourd’hui, le faux ne se situe plus dans les objets mais dans nos interactions avec les autres (Maison de l’histoire européenne 2021b). Par ailleurs, une vidéo présente l’analyse d’un spécialiste sur la désinformation durant l’épidémie de COVID-19. L’exposition s’est aussi intéressée à collecter le contemporain.
Figure 2 – Photographie de l’outil numérique Dans notre bulle présent dans la séquence L’ère de la post-vérité ? de l’exposition Fake for Real. Photo : Floriane Paquay, 29 novembre 2021.
2. L’exposition hors des murs
12L’exposition Fake for Real, dont la date d’ouverture était fixée en juin 2020, a finalement ouvert en octobre avant de devoir fermer ses portes en raison de la crise sanitaire (Maison de l’histoire européenne 2020b). Il a été nécessaire d’adapter le rapport au public. Ainsi, différentes médiations ont été proposées sur les réseaux sociaux – Facebook, Instagram, Twitter et YouTube – et sur le site internet du musée. Repenser leurs stratégies de communication, comme nous l’explique Estelle Poirier-Vannier, a permis de maintenir le lien et le dialogue avec leurs publics (2020, p. 5) mais aussi d’entrer en contact avec de nouveaux publics (Idem, p. 15). Dès lors, il existe un déploiement de l’espace de communication des musées au-delà de son enceinte physique qui est conceptualisé par Nancy Proctor par le beyond museums walls (Juanals & Minel 2016, p. 164).
13Une visite guidée réalisée par les curatrices en sept épisodes présente les différentes salles en réalisant des raccourcis dans les siècles et dans les sections de l’exposition (Maison de l’histoire européenne 2020b). Deux épisodes ont été ajoutés dans le contexte de la journée des droits de l’homme (Maison de l’histoire européenne 2020a). À cela se joint, en ligne sur le site internet, une brève présentation écrite de chaque section soutenue par deux objets. Ces initiatives remettent en question le rapport à l’objet et le rôle attribué au visiteur (Poirier-Vannier 2020, p. 5). La dématérialisation de l’espace physique rend l’accès possible à l’exposition dans une autre dimension temporelle et physique. L’expérience est plus intimiste (Idem, p. 24).
14Les évènements Facebook live tels que The Flamboyant Fake Series3, Fake for real movie series4, FakeForReal interviews & speeches (Maison de l’histoire européenne, 2020d) et le discours d’ouverture de Klára Dobrev (Maison de l’histoire européenne, 2020c), aujourd’hui accessible en ligne sur YouTube, ont permis d’atteindre un objectif dans les missions du musée qui est la création d’une conversation et d’un échange (Maison de l’histoire européenne 2021c). Le jeu Fake Friday proposé sur Facebook, Instagram et Twitter invite le visiteur à poser un regard aiguisé sur l’exposition pendant une heure afin de trouver les faux. Ce mode de diffusion est utilisé pour mettre en avant l’interaction, plutôt que la narration. Le visiteur devient acteur et établit un dialogue moins institutionnel et plus participatif (Poirier-Vannier 2020, p. 15). Le musée rencontre sa mission sociale (Idem, p. 19).
15Sur Spotify, des podcasts sur la conception de l’exposition permettent aux visiteurs d’approcher l’envers du décor, le choix des objets, la scénographie, la conservation et la médiation. L’appel à la métamuséologie démystifie le fonctionnement de musée (Idem, p. 28). Cette pratique intègre mieux le visiteur dans la réflexion en lien avec la conception de l’exposition concédant une distanciation avec ce qui lui est présenté (Schärer 2018, p. 13).
Conclusion
16L’exposition nous apprend qu’il est préférable de chercher les faits à la vérité (Rtbf 2021). Ce discours est souligné dans le cartel Épilogue. Elle interroge aussi le visiteur sur les fake news et les discours de haine sur Internet et sur les réseaux sociaux. Elle pose des questions tels que « La liberté d’écrire et de publication est-elle un droit absolu ou devrait-il exister des limites ? », « Certains textes sont-ils purement destructeurs ou la liberté d’expression est toujours mauvaise ? ». Pour aider le visiteur à construire sa pensée pour le futur, elle apprend par l’histoire européenne l’impact qu’ont pu produire les faux, leurs intentions de tromper par l’action simple de falsifier des documents ou par des stratégies développées par les états. Elle questionne sur l'impact engendré par la falsification (Maison de l’histoire européenne 2021a).
17Comme le dit Jacques Hainard, l’exposition sert à déranger le visiteur, susciter des émotions, construire un discours spécifique à l’aide d’objets mais surtout à lutter contre les idées reçues (Duarte Candido 2021).
18Pour attirer l’intérêt, les expôts doivent bénéficier d’un rendu visuel en provoquant l’émerveillement (Maison de l’histoire européenne 2021a). L’altérité des contenus modifie l’esprit de l’exposition (Maison de l’histoire européenne 2021b). Des solutions scénographiques intéressantes sont développées ainsi que l’appel aux sens. Le dispositif numérique est au cœur de la visite permettant au public d’être actif. Le design inclusif permet à des personnes de différents horizons de penser ces perspectives (Maison de l’histoire européenne 2021a) par l’utilisation d’une langue universelle (Maison de l’histoire européenne 2021b). Ainsi, nous pouvons déclarer que l’exposition Fake for Real utilise une approche communicationnelle (Drouguet 2021). Quand bien même le labyrinthe sert de guide et les contenus semblent denses, leur diversité défère la possibilité de choix au visiteur. Ce dernier devient acteur de sa visite. Cependant, malgré l’effort de vulgarisation et d’inclusion, la visite apparait surtout accessible à un public de jeunes adultes et d’adultes en raison des nombreux textes.
Bibliographie
Bădică Simina, s. d. : « Biography », Academia.edu [en ligne] : Disponible sur : https://ceu.academia.edu/SiminaBadica (consulté le 25 décembre 2021).
Chaumier Serge, 2012 : Traité d’expologie. Les écritures de l’exposition, Paris, La documentation Française.
Drouguet Noémie, 2021 : « Les approches muséographiques, un outil d’analyse et d’exposition », communication orale dans le cadre du cours de Conception des expositions, ESA Saint-Luc Liège.
Duarte Cândido Manuelina Maria, 2021-2022 : Conception des expositions, notes de cours, Université de Liège, Histoire de l’art et archéologie.
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Poirier-Vannier Estelle, 2020 : Ressources virtuelles développées par les musées pendant la pandémie de COVID-19, Rapport de recherche préparé par les Programmes d’études supérieures en muséologie, Université du Québec.
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Schärer Martin, 2018 : Exposer la muséologie, Paris, ICOFOM.
Notes
1 Simina Bădică est une conservatrice de la Maison de l’histoire européenne à Bruxelles. Elle a été chercheuse, conservatrice et la directrice des Archives ethnologiques au Romanian Peasant Museum de Bucarest entre 2006 et 2017. Elle a défendu sa thèse en Histoire à l’Université d’Europe centrale de Budapest sur les pratiques de commissariat communiste. Elle enseigne la Muséologie à l’Ecole nationale pour les études politiques et administratives à Bucarest (Badica s. d.)
2 Joanna Urbanek est conservatrice à la Maison de l’histoire européenne. Elle est la gestionnaire du projet de l’exposition (Maison de l’histoire européenne, s. d.).
3 The Flamboyant Fake Series est une série de conférences animée par des spécialistes (historiens, linguistes, neuropsychologues, politologues, spécialistes de la communication, etc.) sur des questions relatives à la falsification (Maison de l’histoire européenne 2021d).
4 Fake for real movie series interroge le cinéma de différent genres, périodes et pays qui joue avec la vérité et l’authenticité, la déception et la manipulation (Maison de l’histoire européenne 2020e).