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Zélie Blampain, Elina Noris & Chloé Orrico

Conférence annuelle ICOM CECA 2021. La co-création au sein et au-dehors du musée1

(Numéro 3 — Dans la marge)
Débats et Controverses
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Mots-clés : Comité international pour l’Éducation et l’Action culturelle du Conseil international des musées (ICOM - CECA), conférence internationale, co-création, pratiques participatives.
Keywords : International Council of Museums Committee for Education and Cultural Action (ICOM - CECA), international conference, co-creation, participatory practices.

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2La conférence internationale ICOM CECA (Comité pour l’Éducation et l’Action culturelle du Conseil international des musées) a réuni du 25 au 29 octobre 2021 des participants autour de la co-création, à l’intérieur et à l’extérieur du musée. Son objectif était de rendre compte de la diversité des pratiques co-créatives à travers le monde. Les intervenants ont été sélectionnés selon des critères qui veillaient à la diversité de leurs approches. Si la conférence a été en partie hybride en raison de la pandémie de coronavirus, des journées d’ateliers à Louvain et à Bruxelles et des visites muséales à Gand et à Anvers ont pu avoir lieu2. Pendant les conférences en ligne, une cinquantaine de participants sont intervenus, avec Pat Villeneuve3 et Nina Simon4 comme keynote speakers. Leurs pays d’origine sont détaillés ci-après (fig. 1). Force est de constater qu’une majorité des intervenants étaient belges, c’est pourquoi de nombreux exemples cités dans cet article le sont aussi.

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4Ce dernier vise à mettre en exergue un état actuel de la participation dans les musées sur base d’une analyse des interventions en ligne de la conférence. Si l’exhaustivité n’est pas possible, nous souhaitons faire émerger les grandes tendances des pratiques participatives. Nous tenterons alors de répondre à diverses questions. Qu’est-ce que la co-création et en quoi se différencie-t-elle de la participation ? Quels sont les objectifs et les publics visés par les pratiques participatives ? Comment se traduit la participation ? Enfin, quel est son impact sur les institutions muséales et ses professionnels ?

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Figure 1 – Pays participants à la conférence internationale ICOM CECA (en pourcentage).

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1. Participation ou co-création ? Une question d’échelle

7Co-création et participation ont été les maîtres-mots de la conférence, or une certaine confusion règne entre les deux. Les intervenants l’ont prouvé : chacun semblait avoir sa propre définition. C’est pourquoi il est important de différencier ces deux termes. Ainsi, si la participation dans le champ muséal est née au début des années septante avec les écomusées, mouvement mené par Georges Henri Rivière et Hugues de Varine5, la co-création est un terme plus récent. Issu du champ de l’éducation, il a atteint les institutions muséales, en particulier les départements d’éducation et d’action culturelle (Simon 2010, p. 274).

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9Dans le milieu des musées, la participation peut se définir comme la simple implication des visiteurs. Pour certains, elle se manifeste dès qu’un visiteur se rend à une exposition. Dans cet article, elle est entendue comme un dispositif qui permet au public d’avoir un autre rôle que celui de visiteur. Différents degrés de participation existent alors, selon le pouvoir accordé aux participants par l’institution et la prise en compte de leur parole. Ainsi, le partage du pouvoir est un facteur décisif de la co-création.

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11Nina Simon distingue trois niveaux d’intensité de participation : dans l’ordre croissant, la contribution, la collaboration et enfin la co-création. Cette classification n’est pas sans rappeler l’échelle de participation citoyenne proposée par Sherry Arnstein en 1969 (fig. 2).

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Figure 2 – Sherry Arnstein, « A ladder of citizen participation », Journal of the American Planning Association, n° 35, 216–224.

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14Prenant en compte ces deux échelles, plusieurs niveaux de participation émergent :

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  1. La non-participation pensée par certains musées comme de la participation, qui vise davantage à amener le public à penser de la même manière que l’institution.

  2. La consultation où il est demandé aux citoyens de fournir des idées, actions, ou objets limités et spécifiques, telles que les enquêtes de public. Le projet The Finest Hundred au Musée royal des Beaux-Arts d'Anvers6 (Belgique) demandait ainsi à des Anversois de diverses catégories sociales d’apporter un retour sur le projet de rénovation du musée pour correspondre aux expériences de visite souhaitées.

  3. La collaboration, dans laquelle les citoyens deviennent des partenaires actifs dans la création d’un projet, qui reste organisé et contrôlé par l’institution, comme l’exposition Sikhs in Singapore de l’India Heritage Center7 (Singapour), pour laquelle des membres de la communauté sikh avaient été recrutés comme consultants et avaient prêté des effets personnels à exposer.

  4. La co-création où les participants et les institutions sont co-décisionnaires, le schème du pouvoir devenant horizontal. Un bon exemple est celui de l’exposition Instinct, produite par le MAS, à Anvers (Belgique). Ce dernier a donné le rôle de conservateurs à des jeunes bénévoles dotés ainsi des pleins pouvoirs, du choix des objets à la scénographie, en passant par la rédaction des textes.

  5. La prise d’initiative (de Varine 2018, p. 159), que Nina Simon dénomme hosted project (2011, p. 187), dans laquelle le projet est lancé par la communauté. L’institution met alors à disposition une partie de ses ressources, afin de créer une exposition basée à la fois sur les intérêts de la communauté et ses collections.

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17Ainsi, co-création et participation sont bien deux notions différentes, la co-création appartenant à un processus participatif plus général. Si ce classement permet d’évaluer la place donnée au citoyen lors d’un projet de participation, aucun modèle participatif n’est meilleur que l’autre. Ils sont à envisager comme une manière de progresser vers une participation globale (Simon 2011, p. 188).

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2. Les objectifs assignés à la co-création

19Si l’un des enjeux centraux des projets participatifs est leur impact sur les différentes parties en jeu (musées, professionnels et publics), il n’a été que très peu abordé par les intervenants de la conférence, davantage focalisés sur les objectifs et le processus. Aujourd’hui encore, les projets participatifs relèvent de l’expérimentation et les professionnels semblent peu outillés pour en étudier les résultats (Guiot-Cortveille 2018, p. 127). Comme l’indiquent Jean-François Leclerc et Héloïse de Costa, la demande d’évaluation est forte, la réponse faible

208. Or, selon Nina Simon (2011, p. 301), ces évaluations sont nécessaires pour contribuer à l’intégration de projets participatifs dans les musées.

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22Concernant ces objectifs, il est difficile de les identifier car la pluralité des pratiques en implique inévitablement une multitude. Prenant en compte les diverses interventions, les objectifs sont doubles. Ils incluent les souhaits de l’institution, pour elle-même et pour les publics impliqués.

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2.1. Pour les institutions muséales

24Si les musées se lancent dans des projets participatifs, c’est surtout pour s’ouvrir sur la société, en se recentrant particulièrement sur les publics. Ils souhaitent devenir des espaces fédérateurs et polyphoniques. Ce faisant, le musée réinvente sa relation au public et renforce son inscription dans l’espace social (Grenier 2013, p. 16). Comme l’explique Hildegarde Van Genechten de l’association flamande du patrimoine culturel (FARO), le centre de gravité du musée s’est déplacé progressivement de la collection vers le public, et à présent vers la société9. Ainsi, les musées ne sont plus simplement des lieux d’apprentissage ou d’expérience individuels mais aussi des lieux d’apprentissage social. Le projet de l’ICOM Russie baptisé Migrations : Revealing the Personal est un bon exemple10. En impliquant des personnes issues de l’immigration, il souhaite lutter contre la discrimination. Cela amène les musées à sortir du schéma directionnel vertical. Ainsi, profitant de sa fermeture, le Musée d’Ixelles (Belgique) a mené une consultation auprès de ses publics intitulée Dites-nous tout !, cherchant à réfléchir à leurs attentes et à les impliquer dans le musée de demain11.

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26Les musées souhaitent également qu’un nouveau regard se pose sur leurs collections. Au Bonnefanten Museum (Maastricht, Pays-Bas), l’inclusion de jeunes par le Young Office entraîne l’institution à regarder ses collections sous le prisme des intérêts des jeunes, à la fois politiques et sociaux12. Nouvelles visions et conceptions se confrontent alors et remettent en question le canon institutionnel à partir de perspectives actuelles.

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2.2. Pour les publics

28On souhaite tout d'abord le développement des compétences des participants. Le musée a donc un rôle de soutien, comme dans le projet The Young Choose à la galerie Matica Srpska à Novi Sad (Serbie)13. Il s’agit d’une collaboration avec des élèves de l’enseignement secondaire, invités à suivre une formation professionnalisante pour créer leur propre exposition (choix des œuvres, communication, organisation des événements). Les jeunes sont encouragés dans leurs propositions par le musée, qui veille à assurer la cohérence avec les missions muséales.

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30De plus, même dans un projet participatif, le rôle du musée reste lié à ses propres collections. Les projets se présentent alors comme un espace de dialogue entre le public et celles-ci, voire une appropriation des collections par le participant. Lorsque l’AfricaMuseum a invité l’artiste Freddy Tsimba et l’écrivain In Koli Jean Bofane à créer une exposition, ceux-ci se sont réappropriés ses collections pour proposer un nouveau discours autour14. S’ajoute au projet une dimension dé-coloniale, les deux étant d’origine congolaise.

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3. Les publics : à qui s’adressent les projets de co-création ?

3.1. Une question de communautés

32Lors de son intervention, Nina Simon est revenue sur sa définition de communauté, vue comme un groupe de personnes qui partagent une caractéristique commune, qui peut relever de la géographie, de l’identité, ou encore de l’affiliation (par exemple, les supporters d’une certaine équipe sportive)15. Pour créer un bon rapport avec toutes ces communautés, Simon propose une question toute simple, à ne pas oublier lorsque l’on travaille dans une institution culturelle : « Quelle(s) communauté(s) notre institution sert-elle bien maintenant ? ». Y répondre permet d’identifier les structures de pouvoir en jeu. Les communautés qui ne se sont jamais senties ni accueillies, ni en sécurité au musée, doivent être priorisées autant que possible lors de la création d’expositions participatives.

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34C’est dans cette optique que nous avons tenté de recueillir les « profils types » des publics visés par les actions présentées lors de la conférence. En effet, plusieurs catégories sociales étaient fréquemment citées. Ainsi, la participation semble souvent relever d’un « groupe structuré autour d’une identité, quelle qu’elle soit, comme si la participation ne pouvait se pratiquer qu’avec des groupes bien identifiés et circonscrits. » (DELARGE, 2018, p. 161). Pour de nombreuses institutions, limiter la participation à un groupe défini est un point de départ idéal pour l’engagement collaboratif.

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3.2. Les publics participants

3.2.1. Les jeunes

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37Les jeunes, des enfants jusqu’aux jeunes travailleurs, semblent être une des cibles privilégiées des projets présentés, qui leur donnent souvent le rôle de co-commissaires d’exposition. Ce dispositif se retrouve dans le projet My Museum, à Doha (Qatar), qui a réuni des enfants pour créer une exposition, pour former un panel consultatif16. Les musées s’intéressent à la collaboration avec les jeunes dans le but de rafraîchir leur image et d’éveiller l’intérêt de ces publics par une approche dynamique.

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3.2.2. Les publics de proximité

39Autres grands abonnés aux actions participatives, le voisinage du musée intéresse pour la possibilité de son retour fréquent au sein de l’institution. De plus, ce public est particulièrement intéressant pour les musées d’histoire locale. En effet, les habitants deviennent alors les dépositaires de la mémoire des collections muséales. On constate cela au STAM, le musée de la ville de Gand (Belgique)17, dans le cadre du projet Le Kilomètre carré, qui consistait à aller à la rencontre des habitants afin de leur demander de compléter l’Histoire présentée au musée par leurs histoires individuelles, dans toute leur diversité culturelle.

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41Surtout, le lien mis en place par les institutions culturelles avec leur voisinage peut permettre à celles-ci de jouer un rôle déterminant dans leur quartier. Ainsi, dans le cadre de leur Recherche sur la relation entre deux institutions culturelles et leur environnement social dans le quartier d’el Carmen à Murcie (Espagne), pour laquelle ils ont remporté le prix Colette Dufresne-Tassé18, Victoria Osete Villalba et Carlos Egio ont tenté d’identifier le niveau de participation actuel des habitants au centre culturel et au Musée de la Science et de l’Eau. L’un des objectifs de cette étude était d’identifier les problèmes relevés par les habitants afin, à terme, de créer un environnement adapté à la communauté qui y vit.

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3.2.3. Les publics éloignés

43Dans l’optique de faciliter la visite aux individus qui n’ont pas l’habitude ou la possibilité de se rendre au musée, plusieurs projets avaient pour objectif d’attirer les non-visiteurs. Apparaît alors la nécessité de faire « sortir le musée de ses murs ». Par exemple, le Green Laboratory on the Road de la fondation Klassik Stiftung de Weimar (Allemagne)19 a utilisé des vélos cargo pour aller à la rencontre des habitants, afin d’établir une cartographie des publics absents.

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45Plusieurs types de personnes ne se rendent pas au musée, non pas parce qu’ils ne le veulent pas, mais parce qu'ils ne le peuvent pas pour diverses raisons. Ainsi, l’initiative Through Art we Care, mise en place par la VUB (Vrije Universiteit Brussel)20 permet aux usagers de soins palliatifs de participer à des activités artistiques, soit dans des lieux culturels (théâtre ou musée), soit au sein même du centre hospitalier où ils résident.

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3.2.4. Les communautés concernées par l’exposition

47Lorsqu’une communauté en particulier se fait directement le sujet d’une exposition, il est aujourd’hui de plus en plus admis qu’elle doit être impliquée dans sa création. La plupart du temps, ces communautés sont de type ethnique. Par exemple, lorsque la Rembrandthuis d’Amsterdam (Pays-Bas) a monté l’exposition HERE. Black in Rembrandt’s time21, ce musée a intégré plusieurs personnes concernées par l’histoire et l’identité noires, chercheurs ou activistes, dans son comité d’examen.

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49Cependant, des actions similaires peuvent être menées pour de nombreux autres types de communautés. Pour son exposition Rubbish. A history of Europe and waste, la Maison de l’Histoire européenne de Bruxelles a invité la communauté des personnes travaillant autour des déchets22. Ces derniers ne sont pas uniquement des scientifiques ou des historiens, mais aussi des activistes ‘Zéro Déchet’ ou encore des éboueurs, l’objectif étant de partager l’autorité muséale avec des personnes qui n’ont pas l’habitude d’être considérées comme les experts d’un sujet qu’ils connaissent pourtant très bien.

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3.2.5. Les visiteurs

51Si les projets participatifs s’adressent à des groupes circonscrits, ils sont aussi destinés à un dernier public : les visiteurs. Quelle expérience de visite vivent-ils? Est-elle différente d’un projet plus traditionnel? Quels objectifs les institutions muséales veulent-elles atteindre avec ce public? Catégorie pourtant très large, elle n’a pas fait l’objet d’analyse lors de la conférence.

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4. Les partenaires

53Lorsque des actions participatives sont menées dans des institutions muséales, beaucoup sont conduites en partenariat avec des organismes tiers. Les compétences en matière de démarche participative étant encore peu développées chez les professionnels des musées et les services de médiation étant déjà souvent saturés par leurs missions plus traditionnelles, il est essentiel d’externaliser une partie des actions, ou, si possible, de construire un partenariat avec un tiers et devenir ainsi co-décisionnaire (Delarge 2018, p. 9). Ces diverses collaborations permettent de soulager les services de médiation, où les effectifs sont limités, et de s’ouvrir aux autres pour toucher d’autres publics ou varier les approches.

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55Parmi les nombreuses catégories de partenaires possibles, deux se sont distinguées lors de la conférence : les relais sociaux et les partenaires spécialisés dans le développement de participatif culturel.

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4.1. Les partenaires sociaux

57Les relais sociaux sont capables de toucher des publics éloignés ou empêchés. Ainsi, plusieurs musées belges, comme le M Leuven, le Musée royal des Beaux-Arts d'Anvers, le S.M.A.K. (Gand), le Musée de la Migration (Bruxelles) ou le Musée d’Ypres collaborent avec l’association Rode Antraciet

5823. Celle-ci met en place des offres culturelles dans les prisons de Flandre et de Bruxelles afin de proposer une interaction entre les prisonniers et le monde extérieur.

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60Au Musée de la Vie wallonne à Liège, c’est avec le planning familial Inforfemmes qu’un partenariat s’est mis en place pour le programme Vivre ensemble24, où des sujets comme le racisme, le sexisme ou l’homophobie sont abordés. Ici, les sujets de société sont approchés avec les mots justes tout en étant enrichi par une perspective historique.

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4.2. Les partenaires spécialisés dans le développement de la participation

62Autre type de partenariat, celui avec des opérateurs spécialisés dans le développement de participatif culturel. Pour son projet Musée comme chez soi, le Musée d’Ixelles s’est associé à l’association Patrimoine à roulettes25. Leur expérience sur le terrain, leur capacité à mobiliser une équipe de médiateurs à des moments ponctuels sont autant d’éléments essentiels que le musée ne pourrait pas mobiliser seul.

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64Aussi, à l’occasion de l’exposition Dalí & Magritte, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique se sont lancés dans un projet co-créatif pour développer des espaces interactifs au sein de l’exposition temporaire. Pour mener le projet, ils se sont associés à Cuscucian+s, un opérateur espagnol fondé par Lluís Sabadell Artiga26. Cette collaboration permet ainsi de suivre une méthode de co-création déjà existante, qui a fait ses preuves, et donc de garantir l’avancée du processus vers les objectifs préétablis.

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66Enfin, OF/BY/FOR/ALL, lancé par Nina Simon, est une organisation qui fournit des outils numériques pour aider les institutions publiques à compter davantage pour un plus grand nombre de personnes en devenant plus équitables et inclusives. La Rembrandthuis est l’un des musées qui a rejoint ce mouvement, après une première expérience de co-création lors de l’exposition HERE. Black in Rembrandt’s time.

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5. Les impacts de la co-création sur les professionnels de musées

68Dans son intervention, Hildegarde Van Genechten pointe l’importance de l’apprentissage par la co-création : il faut apprendre avec et des autres27. Les projets participatifs permettent notamment aux institutions muséales de s’ouvrir à d’autres réalités et d’autres savoirs (Giroux 2018, p. 12). Quels impacts sur ses professionnels peuvent-être décelés ?

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70Si les projets participatifs tendent à changer l’institution muséale en elle-même, ils contribuent également à modifier la position des professionnels qui les encadrent. Dans son intervention, Pat Villeneuve, professeure d’éducation muséale à l’université de Florida State, explique l’évolution de la curation vers l’edu-curation28. Inventée pour refléter une approche mixte et inclusive de la réalisation d’exposition, l’edu-curation souhaite reconceptualiser la hiérarchie entre éducateur et commissaire pour les mettre sur un même pied d’égalité, amenant de nouvelles perspectives. Villeneuve replace également le centre de gravité du musée sur le lien entre objets et visiteurs. Il s’agit de ne pas mettre le point de vue du commissaire en avant, en laissant plutôt le visiteur former ses propres idées. Pour cela, il est essentiel de travailler en équipe, de manière horizontale. Cependant, il est nécessaire que le personnel des musées s'écarte de sa position d’autorité, de détenteur de savoir (Guiot-Cortveille 2018, p. 127), ce qui entraîne inévitablement un travail réflexif sur sa pratique.

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72Les interventions montrent que le personnel des départements de l’éducation et de la communication se montre spontanément impliqué dans le travail participatif. Le médiateur y joue de plus en plus fréquemment un rôle de facilitateur, pour garantir la cohérence et la pertinence des contributions des publics. Ainsi, la hiérarchie verticale semble disparaître au profit d’une gestion transversale, où les pouvoirs se déplacent au gré des projets. Il est un activateur, un développeur (Chaumier 2018, p. 43) mais également  un :

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  • Décisionnaire : il discute et prend en compte les opinions de tous les partis pour arriver à une décision juste ;

  • Supporter : il encourage les participants et reconnaît les compétences de chacun ;

  • Coordinateur : il assure le bon déroulement du projet et sa cohérence avec les missions du musée ;

  • Créateur de lien social : il encourage un engagement social et crée une connexion avec le groupe.

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75Les recherches menées par Frederike Van Ouwerkerk (Pays-Bas) résument d’ailleurs bien le rôle crucial de l’éducateur dans les projets participatifs, pour organiser la coopération avec les communautés et visiteurs29. Qui plus est, il possède les connaissances et le savoir-faire requis pour rassembler les diverses histoires, communiquer avec tous les publics, et connecter les points.

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77Il appartient aussi au médiateur d’avoir le rôle de promoteur, pas seulement auprès des publics, mais également auprès de ses collègues et de sa direction. Au Bonnefanten Museum (Pays-Bas) par exemple, l’existence du Young Office n’était pas connue des autres services. La communication entre les différents services est cruciale pour que le projet se déroule au mieux et devienne pérenne. On rejoint alors l’opinion de Ine Van de Velde, du KMSKA (Anvers), qui voit le médiateur comme celui qui peut impliquer l’ensemble des départements d’un musée dans des projets participatifs. C’est également la vision de Colette Dufresne-Tassé, selon laquelle l’éducateur remplit le rôle de conseiller auprès du conservateur et/ou du muséographe30.

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79Si les directeurs des musées ne prennent pas tous forcément part aux projets participatifs avec les publics, ils peuvent s’inspirer des pratiques co-créatives dans leur manière de diriger. C’est le cas de Sandro Debono, ancien directeur du Musée national des Beaux-Arts de Malte, qui voit les directeurs comme des chefs d’orchestre31. Il veille à ce que chaque instrument (personnels et publics) intervienne au bon moment et fasse preuve de diplomatie et d’empathie.

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81Le travail réflexif sur les pratiques et la position d’autorité mené par les professionnels du patrimoine paraît fructueux. Cette prise de risques des professionnels semble amoindrir les distances sociales et mettre davantage en confiance les usagers, tout particulièrement si toutes les parties du musée, notamment la direction, sont impliquées.

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Conclusion

83La co-création est donc bien une catégorie de participation, se définissant par un partage du pouvoir muséal de l’institution au public. Il s’agit du degré le plus fort de participation, qui peut même être cristallisée dans la prise d’initiative, où le public a en mains les clés du projet de sa conception à sa réalisation.

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85Les communautés que les musées visent à toucher par leurs actions participatives sont principalement celles qui ne viennent pas au musée, parce que leurs circonstances les en empêchent ou parce qu’elles ne s’y sentent pas à leur place. Une attention particulière est accordée aux minorités et aux communautés vulnérables. Cette volonté d’inclusion est le futur des actions participatives.

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87Pour cela, le musée fait régulièrement appel à des tiers, les projets demandant du temps et des moyens humains. Cependant, loin d’être toujours un appel au secours du musée, cette collaboration peut aussi venir d’une volonté de l’institution de s’ouvrir à autrui.

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89Enfin, la participation peut offrir aux bénéficiaires une forme de professionnalisation, ainsi qu’un sens de fierté et de valorisation, dérivant de leur inclusion au sein d’une institution culturelle prestigieuse. Pour le musée, elle apporte une multitude de points de vue, permettant un renouvellement de son discours. Dans les deux sens, les projets participatifs renforcent la créativité, le lien social, la compréhension mutuelle et l’empathie. À terme, ces projets peuvent agir comme des transformateurs de l’environnement qui les a vus naître.

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91Les musées qui expérimentent la participation se rapprochent de plus en plus, chacun à leur manière, des nouvelles propositions de définition des musées, qui seront départagées lors de la conférence ICOM Prague en août 2022. Les voici :

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  1. « Le musée est une institution permanente, à but non lucratif, au service de la société et accessible au public. Il mène des recherches, il collecte, conserve, interprète et expose le patrimoine matériel et immatériel, culturel et naturel. Le musée opère d’une manière professionnelle, éthique et durable, à des fins d’éducation, de réflexion et de plaisir. Il agit et communique de façon inclusive, diversifiée et participative avec les publics et différentes communautés. »

  1. « Un musée est une institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel. Ouvert au public, accessible et inclusif, il encourage la diversité et la durabilité. Les musées opèrent et communiquent de manière éthique et professionnelle, avec la participation de diverses communautés. Ils offrent à leurs publics des expériences variées d’éducation, de divertissement, de réflexion et de partage de connaissances. »

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94La proposition B affiche plus ouvertement son objectif de participation. Cependant, la volonté actuelle de stimuler les actions participatives dans les musées, visible dans le choix même du thème de la conférence ICOM CECA 2021 Co-création au sein et au dehors du musée, se reflète dans les objectifs socio-centrés de chacune de ces définitions. La participation devient un objectif de première importance du monde muséal. Notre espoir est que les exposés ainsi que les divers exemples concrets de la conférence auront inspiré de nombreux professionnels de musées dans leur propre pratique.

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Bibliographie

Caillet Élisabeth, 2011 : « Le Rôle social », in Fourès Angèle, Grisot Delphine & Lochot Serge (dir.), Le rôle social du musée - Agir ensemble et créer des solidarités, 1ère., Bourgogne, Office de Coopération et d’Information Muséales (OCIM), p. 15-29.

 

Chaumier Serge, 2018 : « Musées et patrimoine. Nouvelles formes de médiation, nouveaux projets Serge Chaumier », L'Observatoire, n° 51, p. 40-43.

 

Denoit Nicole, 2015 : « De la légitimation : une approche des nouveaux circuits de reconnaissance artistique sur le Net. Le cas d’Alain Laboille », XIe colloque EUTIC, « Les écosystèmes numériques et la démocratisation informationnelle : intelligence collective, développement durable, interculturalité, transfert de connaissance », Université des Antilles.

 

Delarge Alexandre (dir.), 2018 : Le Musée participatif. L’ambition des écomusées, Paris, La Documentation française.

 

Grenier Catherine, 2013 : La fin des musées ?, Paris, Éditions du Regard.

 

Guiot-Cortveille Julie, 2018 : « Introduction. Médiation et participation : une évidence et une gageure », in Delarge Alexandre (dir.), Le Musée participatif. L’ambition des écomusées, Paris, La documentation française, p. 128-132.

 

Jeanson Francis, 1970 : « Sur la notion de "non-public" », Les droits culturels en tant que droits de l’homme, Paris, Unesco.

 

Simon Nina, 2011 : The participatory museum, Santa Cruz, Museum 2.0.

 

Organizing Engagement, 2019 : « Ladder of Citizen Participation » [en ligne]. Disponible sur : https://organizingengagement.org/models/ladder-of-citizen-participation/ (consulté le 6 mai 2022).

Notes

1 Nous tenons à remercier grandement Nicole Gesché-Koning, Sofie Vermeiren et Stéphanie Masuy (ICOM CECA Belgique) pour leurs nombreux conseils bienveillants et leurs relectures de l’article.

2 Le programme incluait aussi des visites à Liège et à Mons, mais faute d’inscrits, celles-ci furent annulées.

3 Peter Carpreau, « Keynote speaker Pat Villeneuve – Art/museum education and supported interpretation (visitor-centered exhibitions) », Pat Villeneuve over museumeducatie en edu-curation | ICOM CECA-conferentie 2021, https://www.youtube.com/watch?v=PhefdFVzGOc.

4 Lode Vermeersch, « Keynote speaker Nina Simon – The participatory museum », Nina Simon over 'The participatory museum' | ICOM CECA-conferentie 2021, https://www.youtube.com/watch?v=vmWar0HpjD4.

5 Dans les statuts de l’association de l’Écomusée Creusot Montceau (ratifiés le 7 janvier 1974), il est explicité qu’il s’agira de « faire participer » la population aux missions de l’association, c’est-à-dire d’« inventorier, étudier, protéger et utiliser l’ensemble du patrimoine naturel et culturel de la Communauté et des organisations associées » (Delarge 2018).

6 Ine Van de Velde, Musée royal des Beaux-Arts d'Anvers (Belgique), « The Finest Hundred ».

7 Malvika Agarawal, India Heritage Center (Singapour), « Cocréer avec la communauté – Exposition The Sikhs in Singapore, à l’Indian Heritage Centre, Singapour ».

8 Heloisa da Costa, Université fédérale Santa Maria (Brésil) et Jean-François Leclerc, Université fédérale Santa Maria (Brésil) et Museum Expert (Canada), « Une année d’échanges du GIS. Recherches autour de la réception par les publics des programmes éducatifs ».

9 Hildegarde Van Genechten, FARO (Belgique), « Co-creation : creating opportunities for individual and social learning ».

10 Dinara Khalikova et Olga Sinitsyna, ICOM Russia, « La cocréation dans les musées dans le contexte des histoires personnelles de migration ».

11 Stéphanie Masuy, Musée d’Ixelles (Belgique), « Campagne de consultation des publics "Dites-nous tout !" ».

12 Thi Ho Mai Lambrechts, Bonnefanten Museum (Pays-Bas), « Recherche sur l’impact du YOUNG OFFICE, le service jeunesse du musée Bonnefanten ».

13 Snežana Misic and Jelena Ognjanović, Galerie Matica Srpska (Serbie), « The Young Choose ».

14 In Koli Jean Bofane, Freddy Tsimba, Christine Bluard, AfricaMuseum (Belgique), « Co-création pour les expositions temporaires - une valeur ajoutée pour le musée et les publics ».

15 Lode Vermeersch, « Keynote speaker Nina Simon – The participatory museum », op. cit.

16 Alan Kirwan, Butler Gallery (Irlande) et Alexandra Bennet, consultante en apprentissage dans les musées (Écosse), « Finding our voices – le rôle clé des éducateurs dans la réussite de la création de pratiques participatives ».

17 Marieke Vangheluwe et Tine De Gendt, STAM (Belgique), « Negotiating the past ».

18 Ce prix, décerné par le CECA, récompense chaque année un projet de recherche en éducation et/ou en action culturelle dans les musées.

19 Kirsten Munch, Klassik Stiftung de Weimar (Allemagne), « Green Laboratory on the Road ».

20 Julie Rodeyns, VUB (Belgique), « Through art we care ».

21 Hesther Huitema, Rembrandthuis (Pays-Bas), « HERE. Black in Rembrandt’s time ».

22 Christine Dupont et Ana Salvador, Maison de l’Histoire européenne (Belgique), « Embarking on a co-creation project: why does it feel so scary? ».

23 Pierre Muylle, Rode Antraciet (Belgique), « Within each other's walls: on collaboration between museums and prisons in Flanders and Brussels ». Voir : https://www.derodeantraciet.be.

24 Alexandre Lambrette, Musée de la Vie wallonne et Chloé Colette, Planning familial Inforfemmes (Belgique), « Fais entendre ta voix – Co-création au Musée ».

25 Stéphanie Masuy, Musée d’Ixelles (Belgique), « Musée comme chez soi ».

26 Géraldine Barbery, Musées royaux des beaux-Arts de Belgique, Luis Sabadell Artiga, Cuscusian+s (Espagne), « "L’âme des choses et les choses de l’âme", une expérience type de co-création ». Voir : https://sabadellartiga.com.

27 Hildegarde Van Genechten, FARO (Belgique), « Cocréation : des opportunités d’apprentissage individuel et social ».

28 Peter Carpreau, « Keynote speaker Pat Villeneuve – Art/museum education and supported interpretation (visitor-centered exhibitions) », op. cit.

29 Frederike Van Ouwerkerk, Breda University of Applied Sciences (Pays-Bas), « Cocréation : un rôle majeur pour les éducateurs ».

30 Colette Dufresne-Tassé, Université de Montréal (Canada), « Une collaboration productive entre éducateur et conservateur. À quel prix ? ».

31 Sandro Debono, Université de Malte, « Quand les commissaires jouent les chefs d’orchestre : une anticipation de l’idée d’un musée anthropocentré ».

Pour citer cet article

Zélie Blampain, Elina Noris & Chloé Orrico, «Conférence annuelle ICOM CECA 2021. La co-création au sein et au-dehors du musée1», Les Cahiers de Muséologie [En ligne], Dans la marge, Numéro 3, p. 192-205 URL : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=1409.

A propos de : Zélie Blampain

 Zélie Blampain est étudiante à l’Université de Liège où, après avoir obtenu son bachelier en histoire de l’art et archéologie, elle poursuit un master spécialisé en muséologie. Elle s’intéresse principalement à la subjectivité de l’expérience muséale, depuis sa création jusqu’à sa réception par les publics. Contact : zelieblampain@gmail.com

A propos de : Elina Noris

Venant d’achever un bachelier en histoire de l’art et archéologie, Elina Noris entreprend un master spécialisé en muséologie à l’Université de Liège. Lors de cette formation, elle a entamé un travail de recherche sur la démocratisation et la démocratie culturelle au musée qu’elle souhaite poursuivre en Master. Contact : elinane2001@gmail.com

A propos de : Chloé Orrico

À la suite d’une licence en histoire de l'art à l’université Paris I Panthéon Sorbonne, Chloé Orrico poursuit son parcours à l’École du Louvre avec un master en muséologie. Ce cursus lui a notamment permis de découvrir la médiation culturelle, domaine dans lequel elle s’est spécialisé durant sa dernière année d’études supérieures. Par sa formation, elle souhaite mettre en avant la participation des publics dans les musées. Contact : chloe.orrico@gmail.com