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Léa Di Francesco

Réflexion sur la médiation culturelle à partir des interventions du colloque des « Musées universitaires et leurs publics » : en quoi le Réseau des musées universitaires de l’Université libre de Bruxelles participe-t-il à construire du « lien vivant » par la médiation culturelle ?

(Hors-série n° 1 — Regard des étudiants)
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1Ce compte-rendu avancera l’idée de la possibilité de (re)créer du lien vivant avec le public au sein des musées universitaires, par l’intermédiaire de la médiation culturelle. Mais qu’est-ce que le lien vivant ? J’emploie ce terme pour parler de quelque chose qui relie, qui unit. C’est une rencontre entre le musée et le public, basée sur la création et la créativité de chacun. La médiation culturelle et le public lui-même jouent un rôle dans la création de ce lien vivant. Comme développé par Michèle Gellereau dans une réflexion sur la création du commun par les médiations culturelles et patrimoniales, le public joue un rôle actif avec les pratiques de médiation culturelle pour « construire le monde commun » (Gellereau 2016, p. 105 et 108). Renversons alors le rapprochement trop souvent fait entre public et « pôle récepteur », ce dernier étant alors défini uniquement par rapport à un « pôle émetteur » qui « fabrique, crée, diffuse une offre » (Le Marec 2001, p. 1). A contrario, j’envisage de penser le public du côté de la création.

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3Entre participation et expérience, le lien vivant sera au cœur de ce compte-rendu en se basant sur ce qui a été exposé d’une part par Nathalie Nyst avec le Réseau des musées universitaires de l’Université libre de Bruxelles et d’autre part par Kevin Torch avec le musée de l’Université de Mons (MUMONS), lors du colloque « Les musées universitaires et leurs publics ». Les musées universitaires se trouvent dans une position spécifique par rapport à leur public et pour envisager ce lien vivant, seront abordés l’évolution de la place du public ainsi que du rôle de la médiation culturelle dans le milieu muséal. Les stratégies des publics du MUMONS, mais principalement les actions de valorisation des étudiants par le Réseau illustreront ce premier point. Le deuxième point sera consacré à la mise en place d’un collectif par la collaboration et la création de la part du public et plus particulièrement de la part des étudiants du Réseau. Enfin, le dernier point évoquera l’importance de la parole dans le milieu muséal et dans les actions des professionnels de la culture et de l’enseignement.

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L’évolution et l’importance de la place du public et le rôle de la médiation culturelle

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6On ne peut parler de lien sans, au préalable, parler du public, qui sera au cœur de cette réflexion. Le public a été pendant longtemps une préoccupation qu’on pourrait qualifier de secondaire pour le monde artistique et culturel, l’attention était mise sur l’institution et sur les œuvres exposées. Ce public est, depuis les années 1980, « sollicité, convoité » pour reprendre les termes d’André Desvallées (2011). En effet, il explique que le public est placé au centre des préoccupations et qu’on va dès-lors s’interroger sur ce qu’il pense. Il ne sera plus perçu comme un visiteur passif, mais comme un acteur qui donne son opinion et qui est invité à faire partie d’une collaboration active (Desvallées & Mairesse 2011, p. 169). Cela permet de considérer le public comme « un acteur essentiel du fonctionnement sémiotique, symbolique et social du musée » (Bordeaux & Caillet 2013, p. 17). Ces relations entre publics et musées – ces liens vivants – ont aujourd’hui le vent en poupe et le public est alors considéré « comme récepteur actif et la réception comme acte d’interprétation » (Bordeaux & Caillet 2013, p. 14). À tel point qu’Élisabeth Caillet développe l’importance accordée au public comme ayant une visée organisatrice du musée (Caillet 1995, p. 17). Le colloque des « Musées universitaires et leurs publics » met l’accent sur ces relations évidentes et essentielles entre l’institution culturelle et les publics. Il n’est pas toujours facile d’entrer dans une université ou dans un musée. Ces relations sont donc sans cesse à réfléchir, à travailler et à prendre en considération.

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8La médiation culturelle est l’expression de cette préoccupation pour le public, il y a une volonté d’établir une collaboration active du public au sein des institutions culturelles. On retrouve cette dimension dans les propos de Nathalie Nyst sur le Réseau et sa volonté de former les étudiants de l’ULB à la pratique professionnelle future, avec l’exemple de la conception d’une exposition. Le lien vivant dans un musée peut être pensé grâce à la médiation culturelle qui « aide à la rencontre par l’expérience esthétique […] à transformer le public en partenaire » (Dufrêne & Gellereau, 2003, p. 165). En le considérant comme partenaire, Bernadette Dufrêne et Michèle Gellereau (2003) mettent bien en évidence la dimension participative du public et la possibilité de créer une rencontre entre le public et le musée. Cette rencontre est essentielle et donc possible grâce à la médiation culturelle. En effet, cette dernière cherche à « privilégier une véritable implication des publics » (Bordeaux & Caillet 2013, p. 6). Cela est fortement présent dans l’intervention de Nathalie Nyst : dans la promotion des créations des étudiants, dans la confiance accordée à leurs diverses compétences, mais également dans la formation proposée par le Réseau à la pratique professionnelle permettant notamment de réaliser une exposition, de la conception au démontage. Tout cela permet une rencontre et transforme les étudiants en partenaires et en public également. La médiation au sein du Réseau conduit à cette « véritable implication » des étudiants et à la création du lien vivant. En effet, dans son intervention, N. Nyst parle de liens entre les étudiants et les projets des musées universitaires du Réseau, des projets comme « L’affaire Mendeleïev » ou encore « Universeum Belgium ».

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10Une nuance est à établir quant aux stratégies des publics du MUMONS développé par Kevin Torch, étant donné que s’intéresser au public n’est pas forcément synonyme de création du lien vivant. Ces stratégies des publics apparaissent comme une médiation culturelle visant à rendre accessible la culture et les sciences ainsi qu’à permettre une communication entre l’UMONS et les citoyens ; il est question « d’offre ». Comme expliqué par M. Gellereau, « une tendance aux raisonnements de type marketing s’empare de la médiation », elle évoque l’apparition de « nouvelles stratégies de conquêtes des publics » (Gellereau 2016, p. 109). Cette offre du MUMONS donne le sentiment de ne pas être une méthode de médiation culturelle, car la relation qu’elle engendre – le lien – ne semble pas admettre la réception du public. Ces stratégies relèvent plutôt de l’ordre du marketing, ce dernier s’étant développé dans les institutions culturelles depuis les années 1980, autour de deux objectifs centraux (Le Marec 2001, p. 5-6) : « la volonté de s’assurer de la satisfaction du public et la volonté d’infléchir l’action institutionnelle sur les bases d’une conception de la communication qui ne soit plus référée au modèle de réception ». Malgré la volonté d’aller à la rencontre du public et d’être visible en dehors de Mons en misant sur des activités délocalisées, il semble y avoir dans les propos de Kevin Torch une identification des besoins du visiteur pour lui proposer une offre adéquate, mais non un réel questionnement quant à la réception culturelle qui ne peut pas être considérée comme ayant besoin d’une « offre ciblée découpant la culture en produits prédestinés à telle ou telle clientèle » (Gellereau 2016, p. 109). En effet, « l’offre » que le MUMONS propose parait préétablie et antérieure aux « besoins » réels du public. Or, comme l’expriment très bien Philippe Scieur et Damien Vanneste, à travers la typologie de médiations de Jean-François Six (1990), la médiation culturelle dite « créatrice » a pour but de « créer entre des personnes ou des groupes des liens nouveaux » (Scieur & Vanneste 2015, p. 14).

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La possibilité de création d’un collectif

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13Comme le montre la valorisation des compétences des étudiants par le Réseau, le lien vivant est donc possible par la dimension participative des actions de médiation culturelle. Il est intéressant, dès à présent, de se pencher sur les types d’actions de médiation culturelle pour aborder la dimension collective favorisée par ce lien vivant. 

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15Ces actions sont déclinées différemment. Des actions collectives, telles que des performances artistiques et des flash mobs permettant de « réunir autour d’une proposition culturelle un public ‘acteur’ à part entière » (Mairesse 2016, p. 14), peuvent être envisagées. Le Réseau propose donc de former un public « acteur ». Il est important de comprendre que cette considération du public est propice à la création du lien vivant. De la même manière avec l’exemple du projet collectif développé par M. Gellereau permettant aux « amateurs » d’avoir un rôle de médiateur, ce projet unit une diversité d’acteurs et, comme dans le Réseau, chaque savoir est valorisé. Il s’agit d’une réelle « co-construction » de connaissances où « chacun parle de son point de vue, sans concession, mais est prêt à partager ses savoirs avec les autres » (Gellereau 2016, p. 121). Le collectif autour duquel tout se construit permet du lien vivant et une collaboration active, dans le cas des musées universitaires avec leurs étudiants. En effet, le Réseau permet aux étudiants, aux « amateurs » pour reprendre le terme de M. Gellereau, d’avoir un rôle de médiateur et de créer un collectif à travers des activités de formation et de créations diverses : les visites de musées universitaires sur les campus, les réalisations de mémoire sur le Réseau, les visites guidées ou encore les micro et macro-projets didactiques.

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Place à la parole et au débat

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18Dans cette dimension participative du public et dans l’idée de (re)créer du lien vivant dans les musées universitaires, il est intéressant de se pencher sur les notions de parole et de débat mises en lumière par la médiation culturelle. Comme l’expliquent P. Scieur et D. Vanneste, le médiateur culturel ne détient pas le savoir à transmettre, mais permet de partager autour des savoirs, et de les rendre accessibles via notamment la parole et le débat. Ils expliquent que la médiation permet de travailler sur le lien social en acceptant la pluralité des réponses possibles (Scieur & Vanneste 2015, p. 16). Il y a, en effet, un partage de points de vue différents du public. C’est le cas dans la valorisation des compétences des étudiants par le Réseau, soulignée par N. Nyst. Ainsi, il n’y a pas un savoir à transmettre d’une unique façon. En laissant participer les étudiants, il y a donc création du lien vivant. Par ces aspects, peut s’établir un rapprochement aux écomusées où là aussi les populations sont invitées à s’exprimer, ne se limitant pas « aux seuls experts, mais dans lesquels (les débats) la voix des citoyens est requise » (Bordeaux & Caillet 2013, p. 5). Cette action accomplie par le Réseau est également à rapprocher une seconde fois au projet expliqué par M. Gellereau qui a permis une valorisation de la parole des amateurs et un travail de reconnaissance de la multiplicité des voix. Ainsi, les compétences et les savoirs de tous les amateurs de ce projet sont mis à l’honneur (Gellereau 2016, p. 112). De plus, la médiation sensible sous la plume de M. Gellereau ouvre « des possibilités de partager un monde commun et donc de refuser une séparation a priori entre institutions, médiateurs et publics » (Gellereau 2016, p. 123). Cette réflexion souligne l’importance d’éviter cette séparation et de favoriser le lien vivant. Finalement, la question posée par Pierre Gaudibert : « Le musée, temple ou forum ? » est, me semble-t-il, essentielle à se poser. « Le temple est un lieu de sacralisation silencieuse » alors que le forum est « l’espace dans lequel se cristallisent les débats de société » (Caillet 1995, p. 13). La réponse à la question posée serait peut-être que grâce au lien vivant, nous sommes dans un forum.

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20Pour conclure, à la lumière des interventions de ce colloque, nous comprenons l’importance du rôle du public au sein des musées, ce rôle a évolué d’un visiteur passif à un acteur central qui est de plus en plus invité à participer. La médiation culturelle travaille en permanence pour le public et tente de le comprendre, elle vise à laisser place au débat, à la parole et au partage. Elle tente également de créer un collectif. Le lien vivant est alors possible grâce aux actions de médiation culturelle et du rôle du public qui ne cesse d’évoluer, de surprendre et d’agir : « la médiation culturelle ne consisterait pas ici à réparer des fractures entre art/culture et publics […] mais à construire du commun partagé » (Gellereau 2016, p. 124). Construire ce commun partagé, ce lien vivant, est l’une des clés pour tenir un discours d’aujourd’hui et de demain sur les musées, sur la médiation culturelle et sur les publics.

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Bibliographie

Bordeaux Marie-Christine & Caillet Élisabeth Caillet, 2013 : « La médiation culturelle : Pratiques et enjeux théoriques », Culture & Musées, Hors-série, p.139-163.

 

Buffet Françoise, 1995 : « Entre école et musée : le temps du partenariat culturel et éducatif ? », Publics et Musées, n° 7., p. 47-66.

 

Dufrene Bernadette & Gellereau Michèle, 2003 : « Qui sont les médiateurs culturels ? Statuts, rôles et constructions d’images », Médiation et information, n° 19, Paris, L’Harmattan, p.163-175

 

Caillet Élisabeth, 1995 : À l’approche du Musée, la médiation culturelle, Lyon, Presses universitaires de Lyon.

 

Desvallées André (dir.) & Mairesse François (dir.), 2011 : Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin.

 

Gellereau Michèle, « Médiations culturelles et patrimoniales : partager des expériences culturelles pour construire du commun ? », in Servais Christine (dir.), La médiation. Théorie et terrains, Bruxelles, De Boek, Coll. « Ouvertures sociologiques », 2016, p. 103-127.

 

Le Marec Joëlle, 2001 : « Le public : définitions et représentations », Bulletin des bibliothèques de France, Ecole Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques (ENSSIB), n° 46 (2), p. 1-10.

 

Mairesse François, 2016 : La médiation culturelle, Que sais-je ? n° 4046, Paris, Presses Universitaires de France.

 

Scieur Philippe & Vanneste Damien, 2015 : « La médiation artistique et culturelle : cadrage théorique et approche sociologique », Repères, n° 6, O.P.C., p. 1-32.

Pour citer cet article

Léa Di Francesco, «Réflexion sur la médiation culturelle à partir des interventions du colloque des « Musées universitaires et leurs publics » : en quoi le Réseau des musées universitaires de l’Université libre de Bruxelles participe-t-il à construire du « lien vivant » par la médiation culturelle ?», Les Cahiers de Muséologie [En ligne], Regard des étudiants, Hors-série n° 1, 231-236 URL : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=604.