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Milan Thomas

Musée universitaire : acteur d’inclusion et de mobilité sociale ?

(Hors-série n° 1 — Regard des étudiants)
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2Il existe actuellement des musées universitaires contribuant à l’inclusion sociale : un processus – non pas muséal, mais sociétal – où l'un des objectifs premiers est de garantir à tous la pleine participation à la vie culturelle (Bouquet 2015, p. 18). À titre d’exemple, les institutions respectives de Bruxelles, de Tartu, de Melbourne et de Cambridge partagent de diverses façons ce projet ambitieux. Elles souhaitent notamment remédier à un problème de diversité rencontrée au niveau de la fréquentation non scolaire. Les enquêtes qu’elles ont menées révèlent que les visiteurs restent principalement issus des sphères socioéconomiques dites « supérieures ». Les couches sociales et culturelles moins avantagées demeurent sous-représentées, voire absentes, formant ainsi un « non-public » signifiant. Ce constat eut pour conséquence d’engager ces établissements dans des prises de mesures multiples ayant pour objectif l'amélioration de leur accessibilité. Ils ont mis en œuvre des plans d’action visant l’élaboration d’un environnement inclusif.

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4La question de l’inclusion au sein des musées universitaires sera abordée en plusieurs points. En premier lieu, elle sera définie en la distinguant de l’intégration. Ensuite, il sera présenté quatre différents types d’inclusion, chacun visant à dissiper une cause spécifique altérant l’accessibilité (la muséographie, les raisons communautaires, le facteur géographique et la situation socioéconomique). La dernière partie portera sur l’inclusion sociale et les répercussions sur la mobilité sociale.

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Intégration ou inclusion ?

6Les termes d’intégration et d’inclusion sont habituellement utilisés au sein des milieux éducatifs et sociaux dans les descriptions de situation de handicap. Néanmoins, le vocable « inclusion » est devenu de plus en plus présent en politique, dans les médias et dans le monde associatif (Idem, p. 15), et tend à supplanter le terme « intégration » (Le Capitaine 2013, p. 125). Tous les deux sont toutefois employés pour désigner une situation identique, pourtant ils correspondent à deux réalités bien distinctes.

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8L’intégration est un processus dans lequel une personne s’insère un environnement (groupe, institution, communauté…) en adoptant les valeurs et les normes définies par la population de celui-ci. Un individu éprouvant des difficultés (économiques, socioculturelles, psychologiques...) devra s’adapter à ce milieu et se conformer à ses règles dans l’objectif de faire partie de la norme, généralement par l’intervention d’aides spécialisées pour atténuer ou dissiper les désavantages et les différences (Idem, p. 125-126).

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10L’inclusion, quant à elle, repose sur un processus opposé puisque l’adaptation ne se produit plus du côté de la personne, mais naît de l’environnement lui-même. « Là où l’intégration n’interrogeait pas la norme établie, l’inclusion fait varier la norme pour y inclure toutes les singularités. » (Idem, p. 127). De ce fait, la norme – ou « frontière d’inclusion » (Idem, p. 126) – se voit modifiée de façon que tout le monde, peu importe les différences, soit englobé dans la normalité. Un environnement inclusif prône l’égalité et s’ajuste à toutes les catégories de personne en répondant favorablement à leurs besoins particuliers pour qu’elles ne soient en aucun cas exclues.

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Le musée inclusif : une nouvelle approche de l’institution ?

12Le processus d’inclusion s’effectue également au sein d’une institution muséale. Par exemple, celle-ci peut se renouveler en réinventant son espace de présentation et en réformant la manière de s’adresser aux différentes classes de public. Ce fut le cas de l’exposition permanente « Earth. Life. Story. » (Musée d’histoire naturelle de l’Université de Tartu, Estonie) qui fut entièrement élaborée à l’intention d’un public majoritairement non universitaire. En vue de connaître les ajustements à apporter pour s’adresser à celui-ci de la meilleure manière qui soit, les concepteurs cherchèrent à comprendre de quelle façon leur perception des publics pouvait influencer l’exposition dans son ensemble. Ils ont reconsidéré la muséographie et la scénographie puisqu’elles jouent un rôle majeur dans la réception et la pédagogie. Ils ont repensé les contenus présentés ainsi que les dispositifs pour l’adapter à ce public nullement habitué à fréquenter ce genre d’évènement. En améliorant l’accessibilité et l’interaction avec les visiteurs, ils ont instauré un environnement muséal inclusif.

13Les « Jardins Santé à Bruxelles pour la promotion de la santé et la prévention des maladies » procurent un autre aperçu de l’inclusion. Initié par le Musée des plantes médicinales et de pharmacie de l’Université libre de Bruxelles, ce projet espère opérer une collaboration avec les diverses communautés de la capitale belge. L’institution aspire à mettre à disposition ses collections botaniques ayant pour finalité la récolte des connaissances et expériences détenues par les multiples cultures et ethnies autour de l’utilisation des plantes thérapeutiques. Pour acquérir de nouveaux visiteurs, potentiellement intéressés par cette démarche, l’établissement change la façon dont il percevait le « non-public » composé par l’ensemble des collectivités cosmopolites. Le personnel universitaire considère les membres de celles-ci sur un pied d’égalité – comme des « chercheurs-citoyens » – détenant des savoirs dont eux-mêmes ne disposent pas. Il se crée ipso facto un environnement inclusif dans lequel les professionnels et amateurs débattent et enrichissent leurs connaissances, et par conséquent celles possédées par le musée. En partant de l’objectif de diffuser ses collections à de nouvelles personnes, étrangères à la fois par rapport à la nation et à l’institution, l’établissement bruxellois s’inscrit dans un projet bien plus global : les savoirs issus des collaborations seront mis à contribution de la recherche en vue de promouvoir la prévention des maladies et de faire progresser la médecine.

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L’inclusion sociale soutenue par un musée ?

15Les motivations du musée agissent grandement sur le type d’inclusion à laquelle elle participe. Un cas particulier se manifeste en Australie. En raison des distances les séparant des centres urbains, les enfants des communautés rurales ne disposent pas d’un accès favorable aux ressources éducatives et culturelles – un inconvénient majeur impactant profondément leur avenir. Le musée universitaire de Melbourne imagina une structure mobile destinée aux établissements scolaires. Elle consiste en des modules recélant des répliques d’objets issus des collections, accompagnées d’activités dédiées. L’étude démontre que les élèves détiennent une meilleure compréhension des items présentés avec le support de ce procédé que par la méthode classique d’enseignement. En outre, la stratégie adoptée, participant à une découverte néanmoins restreinte des collections, permet de notamment divulguer les recherches se développant au sein du monde académique.

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17En apportant son aide aux communautés exclues de facto par leur éloignement des ressources éducatives et culturelles de qualité, le musée contribue à l’inclusion sociale – l’exacte antinomie de l’exclusion sociale. Dans le « Rapport conjoint sur l’inclusion sociale » de 2004, la Commission européenne la définit comme suit : « L’inclusion sociale est un processus qui garantit que les personnes en danger de pauvreté et d’exclusion sociale obtiennent les possibilités et les ressources nécessaires pour participer pleinement à la vie économique, sociale et culturelle, et qu’elles jouissent d’un niveau de vie et de bien-être considéré comme normal pour la société dans laquelle ils vivent. L’inclusion sociale leur garantit une meilleure participation aux processus de prise de décision qui affectent leur vie et un meilleur accès à leurs droits fondamentaux. » (Bouquet 2015, p. 18).

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19Actuellement, les instances internationales incitent les gouvernements à s’investir dans ce mouvement inclusif (Gardou 2014, p. 20) : un processus visant l’égalité de tous en assurant l’accès aux ressources essentielles en particulier éducatives. Conformément aux décisions politiques et aux démarches de ses organes institutionnels, la société inclusive pourrait alors se concrétiser, même si cette transformation prendra du temps (Ibidem.). Une telle société s’ajusterait aux besoins des citoyens et s’adapterait à leurs différences, quelles qu’elles soient. Pour que chaque personne puisse jouir de leurs droits fondamentaux, elle assurerait l’accès aux ressources nécessaires, accorderait le pouvoir de s’exprimer librement et de participer pleinement à la vie sociétale – ce qui, de nos jours, constitue encore une utopie. Toutefois, l’inclusion sociale n’émane pas exclusivement de la volonté des autorités publiques. Les institutions muséales, bien que leurs missions et leurs devoirs restent influencés par celles-ci, possèdent les possibilités et les moyens y afférant pour contribuer à une telle démarche, et accessoirement constituer les premiers piliers d’une future société inclusive.

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La mobilité sociale réamorcée par un musée ?

21Selon les États, les pouvoirs publics orientent peu ou prou les devoirs des institutions culturelles ; les politiques menées pouvant même favoriser les établissements à sortir de leurs missions premières. À titre d’exemple, depuis une vingtaine d’années au Royaume-Uni, « pour prouver sa valeur, le musée anglo-saxon doit aujourd’hui répondre à une commande politique, d’insertion sociale, d’intégration des nouveaux arrivants, de développement économique, etc. » (Paquette 2015, p. 45). L'aspiration de l'administration britannique eut pour effet direct la création de multiples opérations obligeant les institutions muséales d’aller au-delà de leurs missions originelles. Ainsi, le consortium des dix-huit musées de l’Université de Cambridge tint pour ambition de se concrétiser en tant qu’ascenseur social. Il a élaboré deux programmes d’assistance à l’éducation des populations défavorisées ayant pour finalité une lutte contre la précarité. Le premier projet, les « Creative Families », est dédié aux enfants en âge préscolaire éprouvant de réelles difficultés d’apprentissage en comparaison avec la moyenne nationale (ce qui se traduit par une carence de vocabulaire). Au moyen d’un travail pédagogique s’opérant avec le soutien des collections, les musées participent au développement de leur langage. Le second intitulé « Strategic School Partnerships » repose sur une assistance aux écoles défavorisées dans lesquelles ils souhaitent détecter et aider les étudiants possédant les capacités pour accomplir un parcours académique, mais qui n’ont pas la possibilité de saisir cette opportunité en raison de leur situation.

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23Les deux programmes consistent en une entreprise d’envergure puisqu’ils visent, non seulement à promouvoir le niveau d’instruction de la région, mais également à relancer la mobilité sociale. Le sociologue russo-américain Pitirim Alexandrovitch Sorokin l’a définie comme « le phénomène de déplacements d’individus dans l’espace social » (Gallez & Kaufmann 2009, p. 42). C’est-à-dire la circulation des citoyens entre les couches de la société; ou autrement dit, elle désigne les changements de position des individus au sein de la hiérarchie sociale. Le chercheur distingue deux types mobilités. La première, verticale, correspond à une ascension ou rétrogradation de position d’une personne dans l’échelle sociale (Ibidem.). La seconde est horizontale lorsque l’évolution de la situation socioéconomique reste trop faible ou inexistante pour résulter à une modification de la position (Ibidem.). Dans ce cas-ci, il est préférable d’employer les termes d’immobilité sociale. Celle-ci concerne principalement les populations les plus défavorisées dans lesquelles les possibilités d’ascension restent plus restreintes par rapport aux autres couches sociales.

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25La situation socioéconomique d’un individu dépend fortement de celle de sa famille et de son niveau d’instruction qui est en corrélation. La mobilité intergénérationnelle, qui « dénote la relation entre le statut socioéconomique des parents et celui que leurs enfants atteignent à l’âge adulte » (OCDE 2010, p. 190), reste nulle. Ainsi, il se maintient dans la position sociale de ses ascendants, et ceci perdure plus souvent toute leur vie. Dans le cas précédent, les musées du Cambridgeshire, l’une des régions britanniques les plus défavorisées, tentent de réduire des inégalités et de relever le niveau d’instruction à travers des campagnes d’actions et de collaborations avec les établissements scolaires. Les institutions ont développé des programmes adaptés dans l’espoir de briser le plafond de verre pour aider les habitants, en priorité les enfants, à sortir de leurs positions actuelles. En somme, promouvoir la mobilité sociale consiste à rompre la chaîne entre les antécédents parentaux d’une personne et les possibilités de réaliser son plein potentiel dans la vie.

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Conclusion

27À l’origine d’un problème de fréquentation, des musées universitaires ont instauré des plans d’action avec pour priorité la diffusion de leurs contenus. Certains se sont penchés sur l’accessibilité en repensant la conception de leur exposition tandis que d’autres ont modifié la perception de leur public, deux méthodes participant à la création d’un environnement inclusif et accueillant. De surcroît, des institutions muséales ont également contribué à la société en assistant le système éducatif par le biais de leurs collections et d’activités conjointes. Maints établissements universitaires disposent des moyens, des ressources, des connaissances et du personnel nécessaire octroyant les possibilités d’intervention dans un processus d’inclusion sociale, mais également dans le phénomène de la mobilité sociale. Derrière ces projets, ces ambitions et ces motivations différents, les musées initialisèrent les prémices d’une éventuelle et future société inclusive.

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Bibliographie

Bouquet Brigitte, 2015 : « L’inclusion : approche socio-sémantique », Vie sociale, vol. 11, n° 3, octobre, p. 15-25.

 

Gallez Caroline & Kaufmann Vincent, 2009 : « Aux racines de la mobilité en sciences sociales. : Contribution au cadre d’analyse socio-historique de la mobilité urbaine », in Flonneau Mathieu & Guigueno Vincent, De l’histoire des transports à l’histoire de la mobilité ?, Presses Universitaires de Rennes, p. 41-55.

 

Gardou Charles, 2014 : « Quels fondements et enjeux du mouvement inclusif ? », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n° 65, p. 11-20.

 

Le Capitaine Jean-Yves, 2013 : « L’inclusion n’est pas un plus d’intégration : l’exemple des jeunes sourds. », Empan, n° 89, mars, p. 125-131.

 

OCDE, 2010 : « Chapitre 5. Une affaire de famille : la mobilité sociale intergénérationnelle dans les pays de l’OCDE », Réformes économiques, vol. 6, n° 1, p. 187-207.

 

Paquette Jonathan, 2015 : « Les musées, instruments des pouvoirs », Nectart, n° 1, p. 41-46.

Pour citer cet article

Milan Thomas, «Musée universitaire : acteur d’inclusion et de mobilité sociale ?», Les Cahiers de Muséologie [En ligne], Hors-série n° 1, Regard des étudiants, 237-242 URL : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=608.