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Diplomaties environnementales et contre-hégémonie : l’Équateur et la Bolivie, ou le commun environnemental à l’épreuve de l’appropriation politique
Résumé
Le présent article porte sur les rapports de pouvoir liés à l’appropriation politique de l’espace amazonien en Bolivie et en Équateur, champ concurrentiel qui engage davantage d’acteurs que les seuls gouvernements. Ces derniers, sous les gouvernements d’Evo Morales et Rafael Correa, ont toutefois tenté d’affirmer à la fois une politique contre-hégémonique en matière environnementale et leur souveraineté sur l’Amazonie. Ils ont ainsi paradoxalement, amplifié la conflictualité socio-environnementale autour des espaces amazoniens, ce qui souligne à quel point l’indétermination de la communauté légitime à gérer les communs environnementaux est un facteur clé pour comprendre la conflictualité autour de ces espaces. Le présent article interroge le rapport entre volonté de transformation de l’ordre international, nécessité de ce changement à l’heure Anthropocène, et inertie des centres de pouvoir au regard des propositions issues de la périphérie. Les puissances étatiques n’étant pas seules à pouvoir s’approprier politiquement des espaces, la configuration singulière de chaque appropriation est décisive à éclairer : l’ordre international se déploie dans des espaces concrets et se manifeste partout, singulièrement en ce qui concerne les dynamiques de transformation des milieux de vie. Les communs environnementaux, comme espaces dont la destruction ou la rapide dégradation contribuent à éroder les conditions de reproduction du vivant vertébré, appellent pour leur préservation un nouvel ordre écologique international. L’analyse des projections internationales bolivienne et équatorienne invite à en penser les conditions d’émergence.
Tabla de contenidos
Introduction
1Les dynamiques géophysiques formaient hier le paysage immuable de l’histoire des sociétés humaines (Chakrabarty, 2009). Leur caractère mouvant renverse la perspective de l’histoire contemporaine en train de se déployer (Morton, 2019). En effet, le monde physique sur lequel reposent les sociétés humaines n’est plus marqué du sceau de la stabilité millénaire (Chakrabarty, 2009 ; Fressoz et Locher, 2020 ; Morton, 2019). L’ordre international est affecté par des bouleversements profonds : changement climatique, érosion des terres, extinction de masse des espèces, réchauffement des océans, perturbation des courants marins, et déforestation.
2Ce changement rapide de nos milieux de vie n’entraîne toutefois pas nécessairement une réorientation de l’ordre international en vue d’atténuer les dynamiques actuellement destructrices. Définissons l’ordre international comme l’alliage de dynamiques économiques autonomes, désencastrées du social et liées à l’économie-monde capitaliste, et du pouvoir politique prescripteur des puissances étatiques correspondant au centre de cette économie (Polanyi, 1983 ; Wallerstein, 2004). Cet ordre international ne s’adapte pas, au sens où les structures socioéconomiques de production, directement articulées au problème écologique, empruntent toujours les mêmes trajectoires d’émission de gaz à effet de serre ou de réduction de la biodiversité (Federau, 2017 ; Tordjman, 2021 ; Wainwright and Mann, 2018)1.
3Nous avons par ailleurs proposé de définir les « communs environnementaux » comme des espaces dont la destruction, l’altération rapide ou la transformation irréversible favoriseraient la disparition des conditions de reproduction du vivant, et singulièrement de l’espèce humaine. C’est à partir d’un travail autour de l’Amazonie que cette définition s’est formulée. Elle a l’avantage d’articuler les communs locaux aux communs globaux. La destruction ou la perpétuation des communs environnementaux sont déterminées par l’écopouvoir, comme pouvoir de réunir ou non les conditions de perpétuation de l’espèce humaine et d’une large part du vivant (Cadalen, 2020a). L’écopouvoir fonctionne conceptuellement comme le signe d’un redéploiement général des relations de pouvoir à l’heure Anthropocène2.
4Quelle est l’articulation entre les dynamiques de pouvoir relatives au devenir des communs environnementaux et l’ordre international ? Cette question de recherche n’est évidemment pas uniquement d’ordre théorique, et mérite de s’y arrêter à partir de situations concrètes. C’est pourquoi le présent article prend pour objets d’étude empirique les propositions diplomatiques environnementales émanant de la Bolivie gouvernée par Evo Morales (2005-2019) et de l’Équateur de Rafael Correa (2006- 2017). Dans un cas comme l’autre, ces diplomaties ont posé la question écologique au centre de leur projection internationale, ce qui s’inscrivait dans une stratégie claire de contestation de l’ordre international.
5Pourquoi l’Équateur et la Bolivie ? Incarnant une rupture politique importante, survenue après des mouvements sociaux de contestation de l’ordre interne antérieur, notamment articulée à la revendication de souveraineté sur les ressources naturelles (Fontaine, 2010 ; Gerlach, 2003 ; Hylton et Thomson, 2010), les gouvernements d’Evo Morales et de Rafael Correa ont adopté une stratégie internationale singulière. Elle liait références néo-indigénistes, marqueurs de l’altermondialisme, et écologie anticapitaliste. Leur situation périphérique à l’ordre international permet d’étudier celui-ci à partir de ses contestations : ces deux pays appartiennent nettement à la périphérie économique, ce qui détermine en partie leur poids politique. En partie, mais en partie seulement : penser à partir de la périphérie permet de saisir ce qui est inventé à sa marge, puisque la périphérie de l’ordre international peut, comme le note le sociologue René Zavaleta, être un lieu d’inventivité politique avant de provoquer une réaction du centre (Zavaleta Mercado, 1986). La dynamique propre à ces deux projections diplomatiques permet donc d’étudier les possibilités d’évolution de l’ordre international à partir des propositions contre-hégémoniques formulées depuis la périphérie de cet ordre. Les stratégies diplomatiques de ces deux pays relèvent d’un populisme écologique international (Cadalen, 2020b), au sens où elles mobilisaient à la fois le sujet très large des peuples, tout en traçant une ligne de clivage nette entre le Nord et le Sud à la lumière des enjeux écologiques, véritable renouvellement de l’anti-impérialisme. Mais la définition de cet adversaire ne suffit pas à assurer à ces projections internationales leur dynamisme, qui est en butte à la complexité de l’espace amazonien, espace fortement conflictuel, au-delà même de ces deux pays (Pérez-Rincón et al., 2019). Afin de le comprendre, des entretiens semi-directifs réalisés à Quito en janvier 2015 et lors de l’été 2016 à La Paz avec des responsables politiques, associatifs et syndicaux boliviens et équatoriens, sont mobilisés tout au long de l’article. Ces entretiens ont été accomplis dans le cadre d’une thèse de doctorat. Puis vient la question du sens des projections internationales de ces deux pays. Aux Nations unies se côtoient la proposition bolivienne d’un tribunal international de justice climatique et l’initiative Yasuní-ITT qui défend la valorisation de la non-exploitation du pétrole équatorien. Ni l’une ni l’autre ne sont adoptées internationalement, ce qui pose à la fois la question de l’inertie des structures internationales mais aussi, plus fondamentalement sans doute, le débat quant à la communauté légitime à gouverner les communs environnementaux.
6D’abord, l’appropriation politique est une notion féconde pour analyser les rapports de pouvoir autour d’un commun environnemental tel que la forêt amazonienne : elle permet d’y inclure l’ensemble des forces sociales et politiques qui déterminent son évolution (1). Ensuite, l’espace amazonien est aussi concerné comme enjeu de projections diplomatiques centrées sur l’écologie, dont l’ambition était, depuis les gouvernements bolivien et équatorien, de transformer la logique des négociations internationales de l’environnement; une telle démarche a produit et suscité de l’unité au sein des blocs d’appui aux gouvernements nouvellement élus (2). Enfin, sitôt l’ordre international ayant prouvé sa résistance au changement, d’autant plus depuis la périphérie, la conflictualité socio-écologique s’intensifie en Amazonie, et à son propos (3).
Anti-impérialisme écologique et appropriation politique
7C’est ici qu’intervient la notion d’appropriation politique : la littérature académique qui entend montrer la diversification des acteurs des relations internationales, si elle permet de tirer un constat empirique, ne suffit pas à conclure sur la nature de l’ordre international qui, pour l’heure, accompagne la destruction des communs environnementaux (Badie, 2013 ; Rosenau, 1990). En effet, les forces sociales et politiques impliquées dans le gouvernement3 des communs environnementaux sont nombreuses, mais il s’agit surtout de s’interroger sur leurs pouvoirs respectifs d’appropriation politique des communs environnementaux.
8L’appropriation, au sens politique, se rapproche de la souveraineté étatique, puissance de rendre propre au public ce qui n’était auparavant à personne ou à des propriétaires privés. Les appareils d’État fonctionnent en effet comme des puissances d’appropriation de territoires et du territoire (Badie, 2013 ; Boccon-Gibod et Crétois, 2015). L’appropriation politique peut donc être définie comme le processus au cours duquel les appareils d’État, à partir d’un bien commun ou d’un bien privé produisent un bien public – bien qu’il faille préciser que la distinction entre bien public et bien commun n’est pas objet de consensus (Borrits, 2018). Mais il n’est pas possible d’en rester à une définition qui limiterait le périmètre de l’appropriation politique à l’État dans le cas amazonien en Bolivie et en Équateur. En effet l’Amazonie est sans ambivalence un objet politique essentiel des relations internationales liées à l’environnement (Smouts, 2001). Là où elle s’étend, des tensions politiques d’importance se sont déployées depuis la fin du XXe siècle quant à la maîtrise des institutions étatiques et la position internationale de celles-ci.
9Des entretiens de recherche menés en Bolivie comme en Équateur font état d’une forte dépendance à l’aide internationale dans les années 1990, à tel point que dans les ministères les personnels étaient rémunérés par ce biais, installés par diverses institutions internationales et recrutés internationalement (Pacheco, 2016). Un rapport de la banque interaméricaine de développement (BID) l’écrit sans détours, à propos de la période des décennies 1980 et 1990 : « la Bolivie dépendait lourdement de l’aide extérieure (…). La conditionnalité [des aides] devint un outil de mise en œuvre des préférences des donateurs » (BID, 2009, p. 78). Les appareils étatiques ne fonctionnaient plus, dès lors, comme modes d’appropriation publique du territoire, et de nombreuses concessions très favorables au secteur privé ont été garanties dans le même moment politique. Un tel contexte, propice à la contestation des gouvernements alors en place dans les deux pays (Gerlach, 2003 ; Hylton et Thomson, 2010), a favorisé l’émergence de mouvements sociaux. C’est un tel phénomène que l’économiste du développement Antonio Rodríguez-Carmona a nommé « projectorat », pour rendre compte de la perte de souveraineté liée aux projets de la coopération internationale (Rodríguez-Carmona, 2008).
10Au moment où les institutions étatiques perdent de leur centralité, il est donc possible de définir l’appropriation politique comme le pouvoir d’influencer de façon décisive sur les rapports de pouvoir pesant sur un territoire. Cette appropriation politique n’est pas nécessairement liée aux institutions étatiques, qui ne sont en tout cas pas la seule force sociale et politique capable de pouvoir s’approprier un espace.
11C’est la leçon donnée par l’étude de l’Amazonie bolivienne et équatorienne dans les années 1990. La relative absence des structures étatiques, leur affaiblissement et le moment conjoint de développement de la décentralisation et des droits des peuples autochtones (Calvo et Recondo, 2012 ; Hale, 1997) ont concouru à ouvrir le champ de l’appropriation territoriale par-delà les seules institutions étatiques. Il faut être clair sur ce point : l’État a fonctionné souvent comme base avancée de l’appropriation territoriale en vue de l’accumulation de richesses a posteriori, et ce pour le secteur privé – les marchands ou les capitalistes, capital commercial et capital productif (Harvey, 2010 ; Tilly, 2000). Mais le degré d’affaiblissement des structures étatiques bolivienne et équatorienne était tel dans les années 1990 que le mécanisme d’appropriation territoriale ne pouvait plus y être décrit ainsi. Les secteurs de la contestation voyaient deux phénomènes à l’œuvre : l’internationalisation du territoire, et son appropriation privée, notamment celle des ressources naturelles comme le pétrole ou le gaz (Correa, 2013 ; Fontaine, 2010 ; Gutiérrez Aguilar, 2008 ; Svampa, 2009).
12De ce point de vue, la notion d’appropriation politique est féconde pour analyser les déplacements de pouvoir révélés par l’analyse des rapports de pouvoir liés à l’Amazonie en Bolivie et en Équateur. Dans La fin des territoires, Bertrand Badie considère que le territoire souverain s’érodant, la souveraineté étatique ne régule plus à elle seule l’ordre international. Il est possible, à la lumière de nos deux cas d’étude, d’aller plus loin : la souveraineté étatique n’est pas le seul mode d’appropriation politique du territoire. En ce sens, les institutions ou la coopération internationales, lorsqu’elles en viennent à mettre en place des dispositifs d’appui aux États jugés faillis, peuvent devenir également des agents de l’appropriation politique du territoire, de la même façon que les communautés indigènes ont une marge de manœuvre plus grande si les institutions étatiques sont affaiblies. Les peuples autochtones doivent toutefois faire face à l’appropriation du territoire par des entreprises transnationales qui extraient des ressources naturelles, ce qui limite d’emblée et matériellement l’autonomie indigène. L’appropriation politique du territoire peut donc relever d’une intervention internationale, comme cela a été documenté par ailleurs relativement à des politiques de conservation (Blanc, 2020).
13Les tensions sociales et politiques, à leur paroxysme, ont donné lieu à des changements de gouvernement et de Constitution dans les deux pays. Dans les deux cas, que ce soit pour l’accession au pouvoir d’Evo Morales ou pour celle de Rafael Correa, l’idée de souveraineté était absolument centrale. Le parti du premier avait pour nom « mouvement vers le socialisme – instrument politique pour la souveraineté du peuple » (MAS-IPSP). Quant au conseiller auprès de l’ambassadeur équatorien en France, il laissait entendre son point de vue à propos de la façon dont son pays était traité à l’international, dans le cadre de l’initiative Yasuní-ITT : « [i]ls nous ont mis en procès. On nous demandait : « mais vous, vous êtes suffisamment sérieux ? ». Beaucoup laissaient entendre une inquiétude que ce gouvernement, ces Sud-Américains, ces Équatoriens, de quoi s’agit-il ? (…) » (Noriega, 2014)4.
14Les institutions étatiques sont donc devenues, après une période de forte dépendance à l’aide internationale et de perte relative de souveraineté, l’enjeu central des champs politiques nationaux. Les forces sociales sur lesquelles se sont appuyés les deux nouveaux gouvernements étaient précisément liées par leur refus conjoint de l’appropriation privée et internationale des espaces amazoniens, et plus largement des ressources naturelles5. L’unité politique des blocs sociaux qui appuyaient les nouveaux gouvernements était négative, en opposition aux entreprises transnationales et à l’influence des gouvernements étasuniens et européens. Il fallait mettre fin à l’humiliation internationale de ces pays, motivation centrale dans la volonté de récupérer la souveraineté – volonté loin d’être cantonnée à nos deux cas d’étude, et fort justement analysée par Bertrand Badie (Badie, 2014).
15Mais l’unité négative constituée autour de cette volonté de récupérer la souveraineté ne constituait pas pour autant un accord sur les modes d’appropriation ni les usages du territoire, et singulièrement du territoire amazonien. Si l’idée de retrouver un contrôle souverain du territoire s’était exprimée dans les mouvements sociaux antérieurs à l’arrivée au pouvoir des présidents Morales et Correa, elle portait des significations différentes d’une partie à l’autre des blocs sociaux qui les appuyaient. Par exemple, la distinction entre la revendication paysanne d’exploiter la tierra et la défense par les communautés indigènes amazoniennes de leur territorio (Canedo, 2011) implique des modes différenciés d’appropriation politique de l’Amazonie.
16Les deux modes d’appropriation politiques défendus au sein des blocs sociaux appuyant les gouvernements Correa et Morales étaient antagonistes : soit il s’agissait de s’approprier nationalement les ressources gazières et pétrolifères afin de financer des politiques de redistribution des richesses, soit d’envisager un modèle de développement laissant de côté l’extraction de matières premières. Ainsi, l’exclusion du mode dominant d’appropriation territoriale des années 1990, privé et international, ne règle pas pour autant cette tension fondamentale.
17Un extrait d’entretien avec le Vice-président bolivien d’alors, Álvaro García Linera est révélateur de cette contradiction entre modes d’appropriation politique du territoire.
18En Bolivie, presque 27 % du territoire est devenu un parc, et ceci en 15 ans. Et ceux qui doivent administrer le parc, avec financement de la banque mondiale, de quelques ONG, on y met quelques gardes forestiers et on dit ici l’État n’entre plus maintenant, ici il ne doit pas y avoir d’école car cela peut affecter l’environnement, par ici il ne peut y avoir de route car cela va affecter la biodiversité unique qui existe en ce lieu, et tout doit rester statique comme si nous étions à l’âge de pierre, sous contrôle d’institutions et d’entreprises transnationales, étrangères ou transterritoriales. Face à cela, l’État apparaît. (…). Alors, l’État arrive, l’État souverain du XXIe siècle apparaît, au moment où l’on disait que l’État était en train de disparaître, l’État est un mécanisme de limitation de ce gouffre prédateur de ressources communes. Et alors l’État installe la souveraineté (García Linera, 2016)6.
19Le Vice-président bolivien considère que le mode d’appropriation politique majeur des parcs nationaux reste internationalisé, facteur d’injustice – sans mentionner à ce stade la question de l’autonomie indigène sur les territoires concernés. Les institutions étatiques sont dans sa perspective les seules légitimes à revendiquer l’appropriation politique du territoire.
20Cette vision est loin d’être partagée par Cristobal Huanca, responsable « arkiri » du syndicat indigène andin en rupture avec le gouvernement, le Conseil national des Ayllus et Markas du Qullasuyu (CONAMAQ) organique :
21[a]u-dehors, ils parlent de la Pachamama, mais à l’intérieur de la Bolivie, ils sont l’ennemi de la Pachamama. Car il y a des constructions et, oui, dans le parc Isidoro Secure Tipnis. C’est un parc, non? Il ne fallait pas exploiter les ressources naturelles, ni construire la route (Huanca 2016)7.
22La légitimité du gouvernement à décider des projets territoriaux est donc contestée ici au nom d’un principe supérieur, celui de la défense de la Terre nourricière ou Pachamama. Et Cristobal Huanca, responsable syndical indigène, se pose en défenseur légitime des territoires indigènes et parcs naturels. L’appropriation politique par des puissances extérieures étant écartée, une contradiction oppose donc les tenants du principe de souveraineté aux tenants du principe de protection de l’Amazonie pour l’autonomie indigène. En d’autres termes, la souveraineté et l’autonomie peuvent unir des partisans contre l’intervention extérieure, mais une fois celle-ci diminuée, ces partisans communs peuvent s’affronter ensuite sur la base de contradictions fortes8.
23L’État se trouve donc être un acteur parmi d’autres de l’appropriation politique du territoire, contrairement à la perspective théorique de la souveraineté qui suppose qu’il en soit seul détenteur. Cela va dans le sens de la thèse posée par Bertrand Badie dans La fin des territoires, tout en lui offrant un prolongement nouveau. Des conceptions distinctes du territoire coexistent et entrent en concurrence, opposant différentes forces sociales et politiques qui défendent des modes différenciés d’appropriation politique du territoire. L’appropriation politique du territoire est donc une réalité sociale et politique. Elle renvoie à une logique de confrontation entre puissances sociales, économiques et politiques que la contestation des puissances étatiques semblait effacer dans la perspective de Bertrand Badie. Ce phénomène engage l’ordre international et ses équilibres, puisqu’il mobilise des acteurs qui le structurent : communautés autochtones, institutions étatiques, entreprises transnationales, ONG et institutions internationales.
Ordre international de l’environnement et inertie des structures diplomatiques
24Afin d’éviter que se brise le consensus social et politique sur lequel s’était construite la prise de pouvoir, les gouvernements Morales et Correa ont tâché de mobiliser des arguments relatifs à l’ordre international pour maintenir l’unité de leurs appuis. Il fallait pour cela reconduire l’opposition entre modes d’appropriation privée du territoire et modes d’appropriation public ou commun. Dans le cas des deux principales initiatives diplomatiques des deux gouvernements, l’initiative Yasuní-ITT (Acosta, 2014 ; Falconí et Vallejo, 2011 ; Le Quang, 2012 ; Narváez, 2013) et la proposition de tribunal international de justice climatique, la conflictualité socio-environnementale des territoires amazoniens est posée comme un enjeu de justice internationale, et non plus comme un rapport entre communautés locales et institutions étatiques.
25La complexité de l’espace amazonien suppose en effet une difficulté d’ampleur quant à la construction d’une ligne de clivage capable de maintenir unifiés les blocs sociologiques qui viennent en appui, nationalement, aux gouvernements. Les projections diplomatiques proposées par les deux gouvernements, l’initiative Yasuní-ITT et le tribunal international de justice climatique, visent toutes deux à dessiner une ligne de clivage entre les puissances européennes et étasuniennes d’un côté, et de l’autre l’ensemble des forces qui peuvent entrer avec elles en contestation. C’est en ce sens que ces projections peuvent être qualifiées de « contre-hégémoniques » : elles s’opposent à l’hégémonie internationale des États-Unis notamment et renvoient à la densité historique de l’anti-impérialisme à l’égard du voisin du nord (Gobat, 2013).
26Il faut donc examiner la façon dont ces deux initiatives ont tenté de déplacer le conflit en proposant une redéfinition de l’ordre international à partir de la question écologique. La ligne de clivage posée par l’une comme l’autre de ces initiatives passe donc par un renouvellement de l’anti-impérialisme. Le clivage Nord-Sud existe toujours dans la perspective politique posée par ces initiatives diplomatiques, notamment dans l’esprit du Vice-président bolivien qui à propos de la Chine9 déclare ceci :
27[e]lle se défend avec les armes qu’ont utilisées tous les Européens et les Américains pour défendre leur accumulation. Le Nord n’a pas autorité morale pour dire : « ne fais pas ça », peut-être le Sud peut l’avoir, mais le Nord a pratiqué cela pendant 350 ans (García Linera, 2016).
28Pour ce qui est du « Sud », la volonté clairement posée par les deux diplomaties est celle de projeter une alternative au niveau international, ce qui les définit comme diplomaties environnementales contre-hégémoniques.
Yasuní-ITT ou la contre-hégémonie par la non-accumulation
29Le premier principe contre-hégémonique est posé par la diplomatie équatorienne sous la forme de l’initiative Yasuní-ITT. Issue d’une réflexion plus large sur la nécessité d’un moratoire sur l’extraction de pétrole, elle repose sur un principe clair. Si l’Équateur décide de ne pas exploiter deux blocs d’exploitation pétrolière au sein du parc Yasuní, alors la communauté internationale – au sens large, les États comme les acteurs non-étatiques – est appelée à contribuer à l’effort accompli pour préserver ce commun environnemental à l’humanité entière. Cette initiative, qui se solda par un échec en 2013, a occupé pendant six ans des équipes dédiées de diplomates équatoriens pour sa défense à l’international (Labarthe, 2013 ; Martin, 2011).
30Cette idée avait émergé également au Nigéria en 2005, lors du sommet de Montecatini, portée par Nnimmo Bassey, prix Nobel alternatif nigérian (Acosta, 2015). De ce point de vue, il paraissait tout à fait possible de prolonger diplomatiquement cette initiative en la défendant comme un principe venu du Sud et de logiques contre-hégémoniques liées au mouvement altermondialiste. Une telle intégration d’une proposition de moratoire international n’était pas, dans un premier temps au goût de Rafael Correa, sceptique quant aux revendications écologistes. En la limitant à une zone définie et en appelant à la solidarité internationale, cette idée a vu le jour. Elle revêtait un intérêt évident en termes de projection diplomatique et de prestige international. Alberto Acosta, à l’initiative du projet politiquement, président de la Constituante, raconte ainsi une conversation avec Rafael Correa :
31Ensuite, je l’ai convaincu, nous avons eu plusieurs réunions, plusieurs discussions, y compris une fois je lui disais qu’il ne fallait pas qu’il pensât uniquement à ce que [l’initiative] signifiait pour l’Équateur, qu’il se renforcerait au sein du pays, mais il fallait également qu’il prît en considération qu’il se consoliderait à l’extérieur comme un homme d’État (Acosta, 2015).
32La dimension internationale de l’initiative a donc joué un grand rôle dans le fait même que cette idée soit retenue et présentée comme l’un des cœurs de la projection de cet État périphérique au niveau international. Sa formulation initiale comme simple moratoire ne la rendait pas, du point de vue de l’entourage politique de Correa, aussi puissante que la formulation seconde, qui supposait une contribution internationale et, partant, une forme concrète donnée à l’idée de bien commun international. Dans le cadre d’un processus politique qui entendait chercher des voies alternatives au développement (Buendía García, 2013 ; SENPLADES, 2009), le principe posé par l’initiative allait même plus loin encore : il s’agissait de défendre au niveau international une logique de valorisation de la non-accumulation.
33René Ramirez, l’un des économistes importants du gouvernement Correa, dirigeant le comité de planification, le Secrétariat équatorien à la planification et au développement (SENPLADES), écrit par exemple : « [e]n suivant les paroles d’Oscar Wilde, on pourrait ironiser en disant que l’économie capitaliste connaît le prix de tout mais ne sait la valeur de rien » (Instituto de Altos Estudios Nacionales (Ecuador), 2012, p. 147)10. Il s’agit là d’une critique de la désarticulation entre valeur marchande et vie sociale, actualisée par le péril qui pèse sur nos milieux de vie (Tordjman, 2021). Le principe de cette initiative était foncièrement anticapitaliste, car payer pour le fait de ne pas extraire du pétrole revenait à intégrer une logique complètement étrangère à celle de la valorisation capitaliste. Au sein du processus de négociations de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUC), l’Équateur propose même un concept nouveau, celui d’émissions nettes évitées, qui intégreraient la non-extraction de ressources carbonées (UNFCCC, 2011).
34L’idée de la projection internationale équatorienne était d’éviter les questions de disputes territoriales autour de l’Amazonie, en y affirmant sa souveraineté, tout en opérationnalisant la notion de bien commun à l’échelle globale. C’est en ce sens qu’elle est contre-hégémonique.
Le tribunal international de justice climatique, ou la contre-hégémonie par la contrainte
35Pour ce qui est de la Bolivie, l’appel aux peuples comme sujet du système international est une constante de la rhétorique employée par Evo Morales qui convoque en 2009 et 2015 la conférence mondiale des peuples sur le changement climatique. Moins techniquement articulée au cadre international de la CCNUC11, la projection internationale bolivienne propose néanmoins une mesure concrète à mettre en œuvre à échelle internationale, la création d’un tribunal international de justice climatique.
36Son caractère contre-hégémonique vient d’une forte affirmation de la contrainte du droit international en matière écologique. Les conclusions du groupe 5 de la conférence mondiale des peuples sur le changement climatique sont de ce point de vue tout à fait claires : « le tribunal jugera pénalement et civilement les nations, les États, ainsi que les entreprises transnationales, multinationales et toute personne naturelle ou juridique responsable d’aggraver les impacts du changement climatique ou qui réalisent des activités destructrices environnementalement pour la Madre Tierra » (OMAL, 2009)12. Le champ d’application d’un tel projet serait très large, car il intègre l’ensemble des acteurs du système international, et pas uniquement les États. Une interprétation étendue des formulations indiquant le cadre d’exercice de ce tribunal renforce également l’extension du projet. Les débats autour d’un tel tribunal évoquent les travaux portant sur la reconnaissance nationale et internationale du crime d’écocide (Cabanes, 2016a, 2016b).
37De la même façon que l’initiative Yasuní-ITT entendait changer de paradigme en passant, pour reprendre le titre du livre de la dirigeante de l’ONG Acción Ecológica Esperanza Martinez « De Kyoto à Quito » (Martínez, 2009), l’insistance forte sur la contrainte juridique fonctionne ici comme un moyen diplomatique de proposer une alternative. Le caractère contre-hégémonique de la proposition bolivienne tient donc à la contrainte, par contraste avec l’incitation promue par le Protocole de Kyoto, ou les objectifs révisés par les États eux-mêmes adoptés par la suite lors de l’Accord de Paris en 2015.
38La proposition de ce cadre alternatif s’inscrit dans une conception étendue du champ juridique, puisque « toute personne naturelle ou juridique » est tenue pour sujet de droit dans la formulation proposée par le groupe de travail. Il est tout à fait marquant que les acteurs envisagés pour contribuer au fonds Yasuní comme les sujets de droit impliqués par le tribunal international de justice climatique vont au-delà des seuls États. Entreprises transnationales, individus, ONG : le champ d’application du tribunal international de justice climatique est vaste. Par ailleurs, du côté des dommages et destructions infligés à la « Madre Tierra », les possibilités de définition des sujets de droit sont aussi nombreuses, tant la pollution d’un fleuve, de l’atmosphère, d’une forêt ou des océans peuvent relever de ce périmètre – ce qui n’est pas sans rappeler certains travaux juridiques récents (Vanuxem, 2018 ; Revet 2022).
39Le tribunal international de justice climatique s’articule également à la dette écologique que le Nord aurait dans cette perspective contracté visà-vis du Sud, comme le soutient le Ministre des relations extérieures équatorien lors de la première conférence de Tiquipaya au printemps 2010 : « nous souscrivons pleinement à la reconnaissance de la dette climatique, de la dette écologique et de la nécessité de compter à partir de cela, car lorsqu’on a des dettes, il s’agit d’en assurer le paiement et pour cela nous demandons la création d’un tribunal international de justice climatique et écologique dans le monde »13. Poser le paiement de la dette écologique (Grupo de trabajo sobre deuda externa y desarrollo, 1992) comme une caractéristique intrinsèque du tribunal international de justice climatique revient à en affirmer sans ambages le caractère contre-hégémonique.
40Le gouvernement équatorien rejoint ici l’agenda du gouvernement bolivien. Le tribunal international de justice climatique, proposition issue de la première conférence de Tiquipaya, quelques mois avant la Conférence des parties à la convention sur les changements climatiques de Cancún (COP Cancún), ne s’insérait toutefois pas dans l’agenda prévu cycliquement par les parties négociantes à la COP, négociations qui fonctionnent dans un rythme régulier qui crée une forte dépendance au sentier précédemment tracé et laisse peu de place aux possibles bifurcations (Gemenne, 2015). Comme le raconte Magdalena Medrano à propos de la stratégie de négociation adoptée par le Bolivien Pablo Solón, l’agenda pouvait difficilement être modifié par les propositions issues de la conférence des peuples sur le changement climatique de Tiquipaya :
41[l]orsqu’ils sont allés au Mexique, à Cancún, Evo s’est trouvé seul. Tous se sont ralliés là-bas à la proposition d’atténuation. (…). Avant tout, cette négociation a été mal menée par Pablo. Il a cru pouvoir, en tant que dirigeant paysan, imposer un agenda aux Nations unies. (…). Après Tiquipaya, ils ont mis beaucoup de temps pour arrêter leur agenda. Déjà, il y en avait un autre qui circulait depuis 2009. (…). Lorsqu’ils se sont rendus sur place, ils sont arrivés et pensaient imposer l’agenda, mais il n’y avait pas d’espace pour cela. Tu peux faire ton discours, mais ton document n’entre pas (Medrano, 2016)14.
42L’échec de ces deux projections internationales, au sens où elles n’ont pas été adoptées au sein des instances multilatérales pour initier d’autres politiques internationales de lutte contre le changement climatique ou de préservation de la biodiversité, donne à voir une inertie de l’ordre international face à ces enjeux. Dans le Léviathan climatique, cette possibilité d’inertie des structures socio-politiques au regard de l’ampleur de l’enjeu est envisagée très clairement par les auteurs Geoff Mann et Joel Wainwright, qui considèrent que « l’histoire est pleine d’exemples de structures socio-politiques contradictoires, fortement inégales, gouvernées par des élites qui restent hégémoniques pour une durée considérable (en général avec des conséquences violentes), bien qu’elles manquent de réponses à des problèmes fondamentaux » (Wainwright et Mann, 2018, p. 24). Cela permet de rappeler que nécessité ne fait pas loi, le besoin établi du changement ne le suscitant pas par magie dans le réel.
L’intensification de la conflictualité autour des communs environnementaux par une politique internationale contre-hégémonique
43L’inertie du système international est venue arrêter les projections diplomatiques contre-hégémoniques de Bolivie et d’Équateur. Les espaces concernés par les rapports d’appropriation politique ne se sont pas effacés pas pour autant, et les enjeux posés dans cet article autour de l’Amazonie ne se sont pas épuisés dans ces projections inabouties au niveau international. En d’autres termes, l’unité recherchée par le déplacement de la conflictualité de l’espace amazonien au niveau international s’est éclatée une fois ces projections internationales retombées. Cette réalité internationale, commune aux stratégies équatoriennes et boliviennes, intensifie en retour la conflictualité autour des espaces amazoniens.
44Telle est l’idée centrale défendue dans la troisième partie de cet article. En effet, Robert Putnam a été reconnu pour son analyse de la diplomatie comme jeu à double-niveau, dans lequel il met en scène l’opposition entre politique domestique et politique internationale (Putnam, 1988). Cette logique inclut notamment la possibilité d’écarts d’interprétation ou d’intention entre le gouvernement et ses représentants diplomatiques. Lorsque Correa refuse de signer le premier accord avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour l’hébergement du fonds Yasuní, puisque l’équipe de négociations de l’initiative n’a pas négocié une majorité de sièges équatoriens – institutions étatiques et société civile réunis – une telle analyse fonctionne.
45Mais il y a, en l’espèce, davantage en jeu. L’Amazonie est un espace d’appropriation politique qui suscite des conflits nombreux et récurrents. L’union un temps réalisée autour du caractère commun des ressources naturelles s’est trouvée morcelée entre les conceptions différenciées du développement, dans les deux pays. Ces différences existaient depuis l’arrivée au pouvoir de Morales et Correa. La centralité de la question écologique dans les projections diplomatiques a été un facteur décisif de permanence de l’unification des blocs d’appui aux gouvernements (Cadalen, 2020b). Mais l’échec relatif de ces initiatives a rendu la politique amazonienne à ses contradictions usuelles, augmentées du fait de l’insistance particulière portée par ces nouveaux gouvernements à la question écologique : il n’y a donc pas, dans cette situation, un « jeu à double niveau », puisque la fracturation du bloc est préexistante, puis accentuée par les projections diplomatiques elles-mêmes. L’espace amazonien égalise ces deux niveaux dans une même réalité, celle d’un commun environnemental, enjeu d’appropriation politique.
Le transfert de l’hégémon au niveau national : un jeu à double sens
46Une fois les initiatives diplomatiques mises en échec au niveau international, les instances multilatérales se réduisent à être la chambre d’écho de discours contre-hégémoniques. Ne sont mises en place ni les politiques de valorisation de la non-accumulation, ni celles de contrainte juridique proposées par les deux pays. La conflictualité des espaces amazoniens revient nécessairement. Elle ne disparaît pas. Mais un fait reste irréductible : les communautés locales et les gouvernements nationaux ne sont pas les seuls acteurs dans la bataille pour l’appropriation politique, c’est-à-dire le contrôle effectif, de ces espaces.
47Toutefois, les projections à l’international ayant montré le caractère relativement insaisissable de l’hégémonie économique et politique internationale – que ce soit la mise à contribution des États du Nord ou l’adoption d’un cadre juridique en capacité de sanctionner les grandes entreprises transnationales – l’analyse en termes d’hégémonie des forces sociales et politiques qui structurent l’espace amazonien revient au niveau national, dans la perspective défendue depuis les mouvements sociaux notamment (Acosta, 2014 ; Martínez, 2010 ; Solón, 2011).
48C’est le cas en Bolivie avec le conflit du Tipnis à partir de 2009 (PerrierBruslé, 2012) : le projet gouvernemental de faire passer une route à travers un parc amazonien, territoire indigène, produit un mouvement de contestation important et amène des intellectuels plutôt favorables au processus politique engagé là-bas auparavant, comme Silvia Rivera Cusicanqui, à critiquer « un tournant colonial » du MAS-IPSP (Rivera Cusicanqui, 2015). L’hégémonie est tout entière dans les structures étatiques, le niveau international ou transnational s’efface de ce type d’analyses, et le conflit devient un duel, comme cela se voit de façon très claire dans les propos de l’un des coordinateurs de la campagne Tipnis es la vida, en lutte contre le projet de route, Pablo Rojas :
49[l]e problème du Tipnis tient à la confrontation de deux manières de penser. L’une, qui est celle du capitalisme prédateur, extractiviste, d’exploitation des ressources naturelles comme dit García Linera, ou la préservation de ces espaces. Car, en plus, préserver ces espaces revient à préserver le territoire des communautés. Préserver le territoire, c’est préserver les cultures. De fait, le thème va plus loin que ses aspects techniques et objectifs, liés à la route. C’est l’affrontement entre deux manières de voir le monde, deux manières différentes (Rojas, 2016)15.
50De l’autre côté du miroir, dans ce duel renouvelé par les retombées des projections contre-hégémoniques au niveau international, ces oppositions sont lues comme des volontés d’affaiblir les institutions étatiques et les processus de transformation sociale en cours avec ces gouvernements de gauche. C’est la thèse développée notamment par Franck Poupeau et Maëlle Mariette dans un article du Monde diplomatique (Mariette et Poupeau, 2021) qui soulève les enjeux liés à ce duel. La position de García Linera est également celle-ci, défendue dans son ouvrage sur la géopolitique de l’Amazonie : les oppositions aux projets gouvernementaux sont lues comme des projets de déstabilisation des gouvernements de gauche articulés à des intérêts internationaux (García Linera, 2012). Le Vice-président bolivien émet des critiques particulièrement sévères, dans ce contexte, à l’égard des intellectuels se joignant aux communautés indigènes opposées au projet de route (Andreucci, 2018, pp. 837-838).
51Le face-à-face entre ces deux positions est parfaitement lisible. Il fonctionne sur la transposition factice de l’hégémon international dans un duel où seul le gouvernement et les communautés semblent persister. Pour les opposants au projet du Tipnis, ou à l’exploitation des blocs du parc Yasuní à la suite de l’échec de la réunion des contributions internationales pour la non-extraction du pétrole qui s’y trouve, les structures étatiques se muent simplement en reproducteurs d’un ordre capitaliste et prédateur des ressources naturelles. Dans ce cadre, le projet politique défendu par tel ou tel gouvernement importe peu au regard de cette reproduction d’un ordre destructeur. En revanche, pour les soutiens aux gouvernements, une telle position revient à construire une indistinction entre gouvernements de droite et de gauche, donc à affaiblir la position de la gauche en Amérique du Sud et favoriser les intérêts de l’hégémonie étasunienne et capitaliste. La question des politiques redistributives est centrale pour ces soutiens comme Carlos Viterí Gualinga, président de la commission ressources naturelles de l’Assemblée équatorienne en 2015, commentant la fin de l’initiative Yasuní-ITT :
52[c]ela aurait été un sacrifice considérable pour notre pays d’assumer 100 % [de l’effort financier lié à la non-exploitation], juste nous. Cela n’aurait pas été juste avec les citoyens, n’aurait pas été juste au regard de ce régime d’inégalités énormes qui a existé dans ce pays et que nous sommes en train de dépasser (Viterí Gualinga, 2015)16.
53La mise en échec des initiatives diplomatiques bolivienne et équatorienne revient donc, in fine, à poser les conditions pour un duel entre des parties qui, unies sur des revendications internationales, s’affrontent désormais en reconnaissant dans le visage de l’autre celui de l’hégémon international.
L’intensification de la conflictualité comme effet paradoxal des projections diplomatiques
54Le conflit se déplace donc, après une tentative de porter le fer au niveau international. L’enjeu de l’appropriation politique de l’espace amazonien, singulier dans sa dimension écologique et du fait du mode de vie d’une partie de ses habitants – les communautés indigènes (Buclet, 2006) – retrouve une conflictualité encore plus intense une fois les projections internationales retombées. Dans le cas du Tipnis, la conflictualité s’alimente en effet du discours articulé autour de la Pachamama porté par Morales à l’Organisation des Nations Unies (ONU) et dans les instances internationales. Celui qui a obtenu le jour international de la Madre Tierra à l’ONU (ONU, 2009) est critiqué par les secteurs écologistes et une partie des représentants indigènes pour ses contradictions à ce sujet. Au moment du conflit autour du Tipnis, en 2011, c’est le responsable de l’organisation du premier sommet de Tiquipaya, Pablo Solón, qui écrit une lettre d’interpellation et de critique publique contre Morales. Il fonde et appuie son argumentation précisément sur la position internationale prise par la Bolivie, et ce notamment lors du sommet de Tiquipaya : « [l]es milliers de délégués des cinq continents qui ont participé à la première Conférence Mondiale des Peuples sur le Changement Climatique et les droits de la Mère Terre sont profondément contrariés par la position du gouvernement bolivien » (Solón, 2011). Il ajoute : « en tant que pays à l’initiative du jour international de la Terre Mère, nous avons la grande responsabilité de donner l’exemple au niveau mondial » (Solón, 2011). La position internationale défendue par la Bolivie, ainsi que la mise en avant d’un responsable politique tel que Pablo Solón, finit par intensifier la conflictualité autour de l’espace amazonien, en ceci qu’elle a donné des ressources supplémentaires à certains acteurs qui se dissocient ensuite de la position gouvernementale.
55Il en va de même en Équateur avec le parc Yasuní. Dans ce pays où la côte et les Andes sont en compétition pour le centre de l’influence politique et économique, l’Oriente amazonien occupe sans conteste la position périphérique. Toutefois, l’initiative Yasuní-ITT a donné une importance sans précédent, y compris pour les secteurs urbains et la jeunesse, à cet espace, et à la nécessité de le défendre. De 2007 à 2013, la campagne diplomatique pour les contributions adopte plusieurs stratégies. Ivonne Baki, la dernière responsable de l’initiative, met en place une campagne nationale pour sensibiliser les Équatoriens à l’initiative, et aux enjeux de préservation de la biodiversité du parc amazonien. Elle lance une campagne nationale en 2011, reposant sur l’identification affective au parc, « Yasunizate » qui pourrait être traduit approximativement par « Joins-toi au Yasuní ». Elle souhaite que la population équatorienne s’empare ellemême du sujet et se l’approprie politiquement. Cela serait selon elle – de nature à rendre plus dynamique l’initiative internationale, en lui donnant une base forte dans la société civile équatorienne (Baki, 2015).
56Cette stratégie rencontre effectivement un écho national. Un centre de sondages équatorien, le CEDATOS, a mené une enquête relative à la perception de l’initiative en Équateur. En décembre 2011, 88 % de la population n’avait pas entendu parler de l’initiative. En décembre 2012, une majorité en a pris connaissance. C’est en 2013 que la popularisation de l’initiative est la plus forte : en août 2013, 83 % de la population en a eu vent. Ce sondage est assez précieux en ce qu’il apporte une autre information décisive, celle de l’approbation, au sein de la population qui en a connaissance, de l’initiative : de 59 % en 2011, le niveau monte à 76 % en 2013 (Baki, 2015 ; CEDATOS, 2013). C’est donc au moment de l’abandon de l’initiative, faute de contributions internationales suffisantes, que le soutien à celle-ci est au plus fort dans le pays. La décision d’exploiter les blocs pétroliers Ishpingo-TambocochaTiputini (ITT) du parc Yasuní a donc suscité une campagne d’opposition particulièrement forte, jusqu’à la demande d’un référendum pour décider du moratoire sur l’exploitation de pétrole en Amazonie équatorienne. Cette campagne, comme un écho retourné contre le gouvernement de celle initiée par Ivonne Baki, se nomme « Yasunidos ».
57Le référendum n’a pas lieu, mais cette campagne et son intensité ont montré à quel point la conflictualité autour de l’Amazonie avait été renforcée du fait même de la projection diplomatique autour du parc amazonien. Cette projection a même renforcé dans l’opinion publique équatorienne les bases de la défense de l’Amazonie.
58En Bolivie comme en Équateur s’est donc déployé un effet paradoxal de la projection diplomatique : vouée à unifier les blocs d’appui aux gouvernements, elle finit par intensifier la conflictualité autour de l’appropriation politique de l’espace amazonien. La volonté première d’unification par les projections internationales, afin de neutraliser les conflits liés à l’appropriation politique de l’Amazonie, en vient donc à rendre plus aigüe la conflictualité autour de cette forêt tropicale.
Conclusion
59L’ordre international se joue partout, et prend corps dans des espaces concrets. C’est le sens précis donné ici à la notion d’appropriation politique, pour décrire les rapports de pouvoir liés aux espaces conflictuels que sont les communs environnementaux, et, en l’espèce, l’Amazonie équatorienne et bolivienne. Les puissances étatiques ne sont pas seules à disputer le champ concurrentiel de l’appropriation politique des espaces : puissances étatiques, capital financier, ONG, entreprises transnationales, communautés indigènes s’articulent ou se désarticulent pour produire des situations de gouvernement des communs environnementaux, équilibres plus ou moins précaires. La conflictualité intense autour des espaces amazoniens en Équateur comme en Bolivie a donné lieu, lors des tournants politiques posés par Correa et Morales, à une diplomatie particulièrement offensive quant à l’écologie au niveau international. Cette diplomatie entendait lier la question de la justice environnementale au niveau global, de la répartition des richesses et du mode de production internationale, à la conservation d’un bien commun environnemental singulier, en l’occurrence l’Amazonie. Cette démarche contre-hégémonique a été vectrice d’unité, sans pour autant parvenir à modifier substantiellement les rapports de force et les structures de pouvoir internationales. L’effet en retour de ces diplomaties contre-hégémoniques n’avait sans doute pas été prévu par ceux qui en avaient eu l’initiative : elles ont renforcé, du fait de la centralité accordée à la question écologique et de leur inaboutissement international, la conflictualité localisée en Amazonie. C’est que l’Amazonie, si elle articule plusieurs niveaux de pouvoir, est un espace aux dynamiques conflictuelles propres. L’analyse de cette intensification de la conflictualité montre bien que cet espace n’est ni saisissable, ni réductible à la séparation entre politique internationale et politique domestique. Ces diplomaties contre-hégémoniques ont donc déplacé des éléments de conflit international dans un duel entre les gouvernements et leurs opposants. Ce duel, attribuant à la partie la dimension d’ingérence internationale, avait tout d’un duel factice auquel échappaient précisément les structures de l’ordre international. La question que soulève l’analyse de ces projections internationales est d’ordre théorique et politique : est-il possible de transformer les structures internationales de pouvoir à partir d’États périphériques au système international? Si, comme l’indiquait le sociologue bolivien René Zavaleta Mercado, la position périphérique peut provoquer une indifférence du centre, et donc créer un espace important de liberté, ce pouvoir d’initiative peut être rattrapé par des rapports de pouvoir qui le dépassent et l’enserrent (Zavaleta Mercado, 1986). Toutefois, le pouvoir d’initiative est en soi créateur d’une nouveauté et d’idées qui par la suite peuvent circuler et être de nouveau mises à l’agenda, voire être appliquées à d’autres occasions. Une réponse définitive ne peut donc être apportée à une telle question à ce stade, bien que la réalité historique contemporaine nous pousse à osciller vers la négative. Puisqu’il y a désormais consensus quant à la nécessité de réguler le changement climatique et la sixième extinction de masse en cours, la question de la nature du régulateur et de la forme de la régulation se pose avec plus d’acuité que jamais. Walter Benjamin l’écrivait en des termes qui paraissent si proches aujourd’hui : « Marx avait dit que révolutions sont la locomotive de l’histoire mondiale […]. Il se peut que les révolutions soient l’acte, par l’humanité qui voyage dans ce train, de tirer les freins d’urgence » (cité in Chamayou, 2020, p. 42). Cette préoccupation hautement contemporaine fait écho à la nécessité posée par Karl Polanyi du réencastrement de l’économie et des modes de production au sein des sociétés (Polanyi, 2009). La définition des conditions de possibilité de la mise en œuvre de ce processus est l’une des questions cruciales pour les études des politiques de l’écologie au niveau international, et pour les relations internationales. Formulons le vœu que la thèse défendue ici y contribue.
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Entretien avec Ivonne Baki, dirigeante de l’équipe de négociation Yasuní, entretien vidéo, 10 février 2015.
Entretien avec Diego Pacheco, vice-ministre de la planification au développement, La Paz, 14 juillet 2016. Entretien avec Magdalena Medrano, directrice du projet d’assistance agrobioénergétique au paysan, Proyecto de asistencia agrobioenergética al campesino (PAAC), Cochabamba, 3 août 2016.
Entretien avec Pablo Rojas, porte-parole de la campagne en faveur du Tipnis, « Tipnis es la vida », Cochabamba, 11 août 2016.
Entretien avec Álvaro García Linera, Vice-Président de l’état plurinational de Bolivie, La Paz, 21 août 2016.
Entretien avec Cristobal Huanca, arkiri CONAMAQ orgánica, La Paz, 22 août 2016.
Articles de presse
Mariette Maëlle et Poupeau Franck (2021), « À bas la mine, ou à bas l’État », Le Monde Diplomatique, pp. 10-11.
OMAL (2009), « Por un Tribunal Internacional de Justicia Climática », Grupo impulsor del Tribunal, disponible à l’adresse suivante : https://rebelion.org/por-un-tribunal-internacional-de-justicia-climatica/ (consulté le 11 novembre 2022).
Notes
1 Le cours inaugural au Collège de France de Chris Bowler, donné le 20 janvier 2021, est très instructif sur la question (https://www.college-de-france.fr/site/chris-bowler/ Lecon-inaugurale-du-Pr-Chris-Bowler.htm).
2 Le concept d’Anthropocène est objet d’intenses débats sur lesquels nous ne pouvons revenir, mais auxquels nous renvoyons (Bonneuil and Fressoz, 2013 ; Chakrabarty, 2018 ; Harraway, 2015 ; Malm, 2017). Nous nous en tenons à une acception claire, l’Anthropocène étant entendue comme la nouvelle époque placée sous le signe d’un paradoxe, la puissance immense de transformation des milieux par les êtres humains, puissance qui mine les conditions mêmes de leurs survie à terme. Les responsabilités historiques et la causalité contemporaine sont différenciées, mais la situation posée par l’Anthropocène concerne tous les êtres humains, et des pans entiers du vivant au-delà de la seule humanité.
3 Le concept de gouvernement convient mieux que celui de gouvernance, qui tend à effacer la dimension asymétrique des relations de pouvoir constitutives de l’ordre international, en imaginant une participation égale de diverses forces qui sont pourtant loin d’avoir les mêmes moyens. États centraux, États périphériques, entreprises transnationales, ONG ne participent selon nous aucunement d’une gouvernance commune, mais s’inscrivent bien plutôt dans des rapports dynamiques de pouvoir, structurés asymétriquement. Les communs environnementaux sont, dans cette perspective, gouvernés.
4 Entretien avec Ramiro Noriega, conseiller spécial auprès de l’ambassadeur d’équateur en France, Paris, 19 septembre 2014 « Siempre nos preguntaban : pero ustedes son suficientemente serios ? Muchos dejaron la inquietud de que ese gobierno, de que será, estos sudamericanos, estos ecuatorianos » (Noriega, 2014).
5 Une précision est ici nécessaire : si le consensus, au sein des mouvements sociaux des deux pays, était opérant pour revendiquer la réappropriation des ressources naturelles, leur usage ultérieur ne faisait pas pour autant partie du consensus. Si certains considéraient que les ressources financières issues d’une taxation plus importante des revenus pétroliers et gaziers devaient être l’objectif prioritaire, d’autres établissaient comme priorité le dépassement d’un modèle fondé sur l’extraction de matières premières à court-terme. C’est la contradiction que tente de saisir, suite à la victoire d’Evo Morales et Rafael Correa, la notion de « néo-extractivisme » (Merchand Rojas, 2016 ; Poupeau, 2013), concept qui mérite discussion.
6 « En Bolivia, casi el 27 % del territorio se ha vuelto parque, en lo que va de 15 años. Y quién tiene que administrar el parque, con financiamiento del banco mundial, de unas ONG, se coloca a unos guardabosques y se dice, bueno aquí ya no entre el Estado, aquí no tiene que haber escuela porque puede afectar el medioambiente, por aquí no puede haber carretera porque va a afectar la biodiversidad única que existe en este lugar, y todo tiene que quedarse estático como si fuera la edad de piedra, bajo control de instituciones y de empresas transnacionales, extranjeras o transterritoriales. Frente a eso, aparece el Estado. (…). Entonces, el Estado se coloca, se aparece el Estado soberano del siglo 21, en tiempos en que se decía que el Estado estaba desapareciendo, el Estado es un mecanismo de limitación de esta vorágine depredadora de recursos comunes. Y entonces el Estado asienta soberanía » (García Linera, 2016).
7 « Hablan hacia fuera de Pachamama, pero sin embargo dentro de Bolivia, aquí es el enemigo de Pachamama. Porque hay construcciones y si, en el parque Isidoro Secure, Tipnis. Es parque, ¿no? No debía explotarse los recursos naturales, ni la carretera » (Huanca, 2016).
8 Il est d’ailleurs notable que ces contradictions, si elles peuvent à l’occasion distinguer des blocs opposés lors d’un conflit donné, traversent également les individus eux-mêmes.
9 « Está defendiendo con las armas que usaron todos los europeos y los americanos para defender su acumulación. El Norte no tiene autoridad moral para decir no hagas eso, quizás el Sur puede tener autoridad moral, pero el Norte lo hicieron por 350 años » (García Linera, 2016).
10 La seconde partie de l’ouvrage inscrit clairement dans son titre même l’inscription dans le courant socialiste des auteurs : « Analyse stratégique. Parvenir à un projet socialiste », (Instituto de Altos Estudios Nacionales (Ecuador), 2012, p. 147).
11 Dans le cadre de la CCNUC, notamment à la COP de Paris en 2015, la Bolivie avait proposé un budget carbone calculé en fonction des émissions passées de chaque État, attribuant des droits à émettre du carbone en fonction de ces émissions passées. Les pays industrialisés ne disposaient que de 11 % des émissions restantes, dans la limite déterminée par les 60 % de matières carbonées à laisser sous terre pour ne pas dépasser les 2 degrés de réchauffement moyen par rapport à l’ère préindustrielle. Nous choisissons, dans le cadre de cet article, de porter notre attention sur le tribunal international de justice climatique, proposition plus centrale dans la projection diplomatique bolivienne, articulée aux ambitions de conflictualisation de l’écologie portées au sein des instances onusiennes (Gobierno de Bolivia, 2015, pp. 14-15).
12 « El tribunal juzgará penal y civilmente a las naciones, Estados, así como a las transnacionales, multinacionales y a toda aquella persona natural o jurídica responsable de agravar los impactos del cambio climático y realicen actividades destructivas ambientales a la Madre Tierra » (OMAL, 2009).
13 « Suscribimos plenamente el reconocimiento de la deuda climática, de la deuda ecológica y de la necesidad de contar en base a esto, porque cuando se tienen deudas, alguien tiene que asegurar su pago y por eso planteamos y nos suscribimos al planteamiento de la creación de un Tribunal Internacional de Justicia Climática y Ecológica en el Mundo » (Patiño, 2010).
14 « Primero, esta negociación del Pablo fue mala. Porque creyó que como un líder campesino, él podía imponerle una agenda a las Naciones Unidas. (…). Después de Tiquipaya, tardaron harto para hacer la agenda. Ya, desde 2009, circulaba una agenda (…). Cuando fueron, llegaron, querían imponer la agenda y no había espacio. Puedes dar tu discurso, pero tu papel no entra » (Medrano, 2016).
15 « El problema del Tipnis es la confrontación entre dos maneras de pensar. Una, que es de un capitalismo depredador, extractivista, de explotación de recursos naturales como dice García Linera, o la preservación de esos espacios. Porque además preservar esos espacios es preservar el territorio de comunidades. Preservar el territorio es preservar las culturas. Entonces el tema va más allá del tema este técnico y del tema objetivo, la carretera. Es el enfrentamiento entre dos maneras de ver el mundo, dos distintas » (Rojas, 2016).
16 « Hubiera sido mucho sacrificio para nuestro país asumir 100 %, solamente nosotros. No hubiera sido justo con los ciudadanos, no hubiera sido justo con este régimen de enormes inequidades que en este país ha existido y que estamos hoy en camino de superar » (Viterí Gualinga, 2015).
Para citar este artículo
Acerca de: Pierre-Yves Cadalen
Pierre-Yves Cadalen travaille actuellement à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) comme chercheur postdoctorant. Docteur en science politique, mention relations internationales, ses travaux portent sur les relations de pouvoir autour des communs environnementaux. À partir du cas de l’Amazonie en Équateur et en Bolivie, il entend proposer un cadre d’analyse des relations de pouvoir qui déterminent une histoire qui, à l’heure Anthropocène, peut pencher du côté de la disparition du vivant ou de sa perpétuation : ainsi de sa proposition conceptuelle, l’écopouvoir, à partir duquel les relations contemporaines de pouvoir se redéfinissent. Il est également docteur associé au Centre de recherches internationales (CERI)-Sciences Po.