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Etudes rusées sur lieux communs

2795-8892

 

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Laetitia Ogorzelec

La fabrique d’une « sainte » à l’ère de sa reproductibilité technique

(Saintes)
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1En 1861, Lourdes n’est plus cette bourgade « engourdie », simple relais sur la route des stations thermales de Barèges ou de Cauterets, « plus traversée que recherchée pour elle-même », car n’offrant « rien qui puisse retenir quiconque1 ». La ville est devenue, depuis le mois de février 1858, le théâtre d’évènements que relayent tous les organes de presse du pays. Provoqués par les visions de Bernadette Soubirous et les premières rumeurs de guérisons miraculeuses, des rassemblements spontanés forment désormais une foule dense, régulièrement réunie aux abords de la grotte de Massabielle. Devant le spectacle de ces manifestations de ferveur, bien qu’il ne se soit pas encore prononcé sur l’authenticité des apparitions et des guérisons2, mais pressentant les enjeux que représente la maîtrise de ce qui peut advenir en ces lieux3, l’évêque de Tarbes fait acquérir, par le diocèse, la langue de terre longeant le Gave et incluant la grotte.

2L’année de cette transaction avisée, Zola a 21 ans ; il mène la vie misérable qu’il évoque dans La Confession de Claude et qui le conduit à rompre avec les modèles romantiques, à affirmer l’importance de la science et à promouvoir une littérature naturaliste soucieuse de rendre compte de « l’humaine condition ». Nadar monte en ballon et réussit la première photo aérienne au-dessus de Bièvres. Claude Bernard entame la rédaction des Principes de médecine expérimentale. Renan est élu au Collège de France. Charcot, promu chef de service à la Salpêtrière, organise « son musée pathologique vivant » et procède au premier recensement systématique des troubles de ses patientes.

3Cette même année, en posant pour la première fois devant une chambre photographique, celle qu’on appelle déjà la « petite sainte » est engagée dans un nouveau régime de visibilité. Bernadette Soubirous devient ainsi la première visionnaire à être photographiée de son vivant, 72 ans avant d’être canonisée et déclarée « sainte » par l’Église.

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Photographie de Bernadette Soubirous prise par l’abbé Paul Bernadou, fin 1861.

4Dupliquée, plagiée, destinée à circuler, cette photographie deviendra célèbre. Estimant sa capacité à donner accès de manière « saisissante » à celle qui a vu, de nombreux commentateurs souligneront son « authenticité ». Mais, dans cette France qui se presse à Lourdes en quête de prodiges — comme dans celle qui défend le libre examen, l’observation et le discernement —, que peut cette image ? Quelle réaction appelle-t-elle de celui ou celle qui, attentivement, la considère4 ? S’abstrayant des railleries de ceux qui s’en amusent comme des croyances de ceux qui y confortent leur foi, cet article propose d’en interroger l’hypocrisie — si l’on veut bien entendre dans ce mot la complexité des pratiques qu’il désigne : « Hypocrisie, rappelle Georges Didi-Huberman, c’est l’acte du choix, de la décision, du tri ; c’est distinguer, séparer et résoudre. » Dans la tradition grecque, l’upokriter est, en effet, celui qui se montre capable, dans ses présomptions à viser l’authentique, à « réciter le vrai » par des artifices scéniques — autrement dit, des « moyens faits, contrefaits et feints5 ». Car le visible, on le sait, est une modalité retorse. Quelque chose, dans l’image, est généralement rejeté hors-cadre : « C’est l’espèce de danse que [le photographe] aura bien été obligé d’exécuter pour amener son [modèle] à telle ou telle figure6. » C’est en quelque sorte cette chorégraphie, absente du tirage, que cet article propose de retrouver. Plus précisément, il s’agit de restituer l’épaisseur de cette image en montrant que « l’authenticité » qui lui est reconnue est, en réalité, le résultat d’un travail mobilisant un ensemble hétérogène de discours, de croyances et de pratiques, de conventions et de possibilités techniques qui, toujours, échappent à la vue dans ce que donne à voir une photographie.

Quand une sainte ne saigne pas et n’écrit pas, elle pose7

5La visionnaire n’a pas été photographiée pendant la période des apparitions (18 apparitions entre le 11 février et le 16 juillet 1858). Ce n’est qu’à la fin de l’année 1861 que l’abbé Peyramale, curé de Lourdes et premier confesseur de la jeune fille, autorise l’abbé Bernadou, professeur de dessin et de chimie au petit séminaire de Saint-Pé de Bigorre, à photographier Bernadette. Ce dernier rapporte ainsi les conditions de l’obtention de cette autorisation : « Je priai M. le Curé de bien vouloir me permettre de photographier cette enfant, qui appartenait désormais à l’histoire. Il avait toujours refusé. Cependant, il voulut faire exception pour moi8… » En acceptant son projet, l’abbé Peyramale fait entrer Bernadette dans un régime de visibilité inédite et, ainsi, dans une autre ontologie : en multipliant les exemplaires, la technique de reproduction de l’image mécanique permet de substituer à son existence singulière une manière d’être en série. Faut-il pour autant envisager ici ce passage décisif de l’unique au multiple comme un élément de cette « vaste liquidation » de l’aura dont parlera Walter Benjamin au début du siècle suivant9 ? Les choses ne sont peut-être pas si évidentes, car le photographe cible une visionnaire et son apparition. Bernadou ne voulait pas réaliser un simple portrait, mais mettre Bernadette « en situation » : « Je tenais à ce qu’elle ne fût pas reproduite comme portrait vulgaire, mais en action concernant l’événement. Je la priai donc de vouloir bien se pénétrer de l’état dans lequel elle se trouvait devant l’apparition, et de prendre l’attitude qu’elle avait devant elle10. » Dans l’attente de l’instant de la prise, coincée entre le risque d’un « trop tard » ou d’un « trop tôt », la jeune fille est contrainte à devoir se ressembler. Au regard de la longueur des temps de pose qui caractérise alors la technique photographique — de l’ordre de quelques secondes à une minute —, il n’est pas rare d’attacher les sujets photographiés à un chevalet de pose pour assurer leur immobilité. Le tempérament de la jeune fille rend ce procédé inutile : « Durant les séances, elle ne bouge pas ; elle a cette docilité intérieure et cette immobilité placide de paysanne11. » Ainsi sous les consignes de Bernadou, elle s’exécute : « Mets-toi là, dit-il, tire ton chapelet et mets-toi à genoux… Et maintenant suppose que la Dame de Massabielle est devant toi… Tâche de trouver l’attitude et le ravissement que tu avais devant elle… » Bernadette essaie… une fois… deux fois… trois fois… Tandis que le photographe la récrimine — « Ce n’est pas ça ! » —, elle lui répond : « Mais, c’est qu’elle n’y est pas maintenant12 ! » La réplique est d’importance. Elle réfute d’emblée l’ambition qui animera tous les photographes qui la feront poser : fixer l’instant singulier révolu — qui a été, mais qui ne sera jamais plus —, donner à voir l’extase désormais évanouie. C’est que l’enregistrement par l’appareil ne possède pas la liberté de la main qui trace ; la photographie n’a que les moyens d’une saisie instrumentale du visible13. Cherchant à reproduire « l’attitude de l’extase avec un naturel parfait14 », les six photographies au collodion de Bernadou ne semblent restituer que l’application et la contrariété de son modèle.

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Photographie de Bernadette Soubirous jouant « l’extase » à la demande de Bernadou, fin 1861.

6L’entreprise du professeur du petit séminaire n’est pas une lubie isolée : avec les perspectives de gains financiers et symboliques que semble alors promettre la photographie, l’idée est dans l’air, comme on dit. Un second photographe, Billard-Perrin, obtient de l’évêque de Tarbes que la jeune visionnaire pose pour lui. La période de cette nouvelle campagne photographique est attestée par une lettre de son concurrent, datée du 12 octobre 1863 : Paul Dufour, libraire de Tarbes et éditeur de lithographies représentant la grotte et Bernadette, écrit ce jour-là au chanoine Fourcade, secrétaire de l’évêque, pour exprimer son étonnement qu’on ait « confié la tête de cette enfant » à l’exploitation d’un photographe peu scrupuleux, désirant avant tout achalander son commerce naissant. En réalité, au-delà du manque de probité de son confrère, il redoute la mise en circulation d’une multiplicité de poses : l’évêque, estime-t-il, se doit de n’en autoriser qu’une seule. Mais Billard-Perrin les multiplie, reprenant à peu près celles de Bernadou : à genoux/debout, les mains croisées/un chapelet dans les mains, un capulet blanc sur la tête/un foulard sur les cheveux ; s’ingéniant, lui aussi, à retrouver l’intensité des extases au moment des apparitions.

7De février à mars 1864, en rivalité avec son confrère Billard-Perrin, Paul Dufour réalise la troisième campagne de photographies. Dans le studio Annet de Tarbes, il exécute vingt-huit clichés de Bernadette. Ici, la mise en scène est explicite et l’esthétisation assumée : un décor pittoresque hâtivement dessiné — le Gave, un moulin — comme toile de fond ; un sol recouvert de feuillages et de branches ; deux fillettes accoutrées en paysannes jouent les compagnes de Bernadette au moment de la première apparition et font mines de ramasser du bois ; et, au milieu de cette scénographie muette, la visionnaire s’applique à reproduire l’extase.

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Photographie réalisée par Paul Dufour, 1864.

8La scène photographiée reprend donc des motifs déjà capturés par Bernadou et Billard-Perrin. À quelle fin ? Dufour ne cache pas ses intentions marchandes : les publicités qu’il diffuse alors dans L’Ère impériale promettent des « portraits de Bernadette à des prix modérés, pour étrenne du jour de l’an » et signalent que « plusieurs milliers d’épreuves ont été vendues en peu de temps15 ». En noir : 30 centimes ; pour les épreuves d’artiste tirée sur papier de Chine, grande marge : 1 franc pièce. On trouve sans doute là quelque chose de « cet art de quatre sous, mis à la portée de la vaniteuse gueuserie d’un siècle de bon marché et de camelote » que raillera, quelques années plus tard, Barbey d’Aurevilly16. Partout cependant la même insistance pour vendre de « l’authentique » et révéler « la vraie Bernadette ». Le marchand précise ainsi dans sa publicité :

PORTRAIT vu de face de la JEUNE BERNADETTE exécuté peu de temps après la miraculeuse apparition de 1858. Ce portrait qui ne laisse rien à désirer comme vérité et parfaite ressemblance indique également, de la manière la plus positive, le caractère de modestie et de simplicité répandu sur la douce figure de la jeune fille. Il se trouve aussi en parfaite harmonie avec le costume qu’elle portait à cette époque. On ne saurait le confondre avec tous ceux qui depuis 1 an seulement ont été répandus sans la même garantie.

9Suivent ensuite une nouvelle campagne photographique de Billard-Perrin entre 1865 et 1866 ainsi qu’une série de quatre clichés réalisés par Philippe Viron, agent de police au moment de la période des apparitions et photographe amateur, en juillet 1866, juste avant le départ de Bernadette pour Nevers. La visionnaire s’y plie comme d’habitude, sans discuter, avant de quitter Lourdes et de rentrer dans le silence et l’anonymat du couvent de Nevers. Mais c’est compter sans l’habileté et la diplomatie du photographe Provost de Toulouse qui réussit à forcer les murs du couvent qui protègent sa vie religieuse en obtenant l’autorisation des évêques de Tarbes et de Nevers de réaliser une nouvelle série de photographies. Les Sœurs reçoivent ainsi de Mgr Laurence la lettre suivante :

Un photographe renommé de Toulouse, homme de bien et bon père de famille, voudrait faire du bien à l’endroit de la construction de la chapelle de l’apparition, à la Grotte de Lourdes. À cet effet, il désire faire la photographie de Sœur Bernadette, et nous abandonner la grande partie du fruit de son travail […] M. Provost veut passer à Nevers, pour vous prier de laisser poser Bernadette. Si vous ne pouvez permettre à cette dernière de poser avec son habit religieux, ce qu’il désirerait, moi aussi, ne fût-ce que pour faire tomber les photographies qui existent en contrebande, il se contentera du costume que vous indiquerez. Je me joins à lui, Madame, pour que cette permission soit obtenue17

10Provost obtient de photographier Bernadette dans les deux costumes : en religieuse et en paysanne.

Abbé Bernadou

Fin 1861

6 clichés

Auguste Billard-Perrin

En octobre 1863

puis entre 1865 et juillet 1866

17 clichés

4 clichés

Paul Dufour

De février à mars 1864

28 clichés

Philippe Viron

Le 2 juillet 1866

4 clichés

Antoine Provost

Le 4 février 1868

9 clichés

11Ces différentes campagnes photographiques coïncident, en réalité, avec la mise en place progressive du retrait de Bernadette de Lourdes. Après la période des apparitions, petit à petit, la visionnaire est mise à l’écart par les représentants de l’institution religieuse qui souhaitent éviter les démonstrations populaires — « Sa mission est finie » écrit l’abbé Peyramale dès le mois de mai 186018. C’est que la jeune fille est, en effet, devenue un élément indispensable autant qu’un problème pour le développement du sanctuaire. « Il est certain, estime l’historienne Ruth Harris, qu’en bien des cas, c’était elle que l’on venait voir, et non le site des apparitions, les pèlerins cherchant désespérément le contact physique avec elle » (Harris, LLGHA, p. 203). Son prestige est alors immense et elle ne peut pas faire un pas dehors sans être assaillie par la foule, touchée, priée d’accorder ne serait-ce qu’un regard sur ceux et celles qui l’abordent et la sollicitent. Une anecdote de mai 1866, rapportée par R. Harris, est particulièrement révélatrice de la tension constante causée par sa présence près du sanctuaire :

Cette année-là, la crypte fut achevée, première structure terminée depuis le début des travaux de construction entrepris quatre ans plus tôt. Les festivités entourant cette inauguration furent extravagantes ; elles durèrent trois jours entiers, avec des cérémonies, des processions et la première messe à la grotte. Bernadette essayait de ne pas attirer l’attention en se cachant dans les rangs des Enfants de Marie. La chose était évidemment impossible et, le dernier jour, la cour de l’hospice, où elle habitait désormais, était remplie de gens qui lui firent une ovation : « Oh ! La jolie sainte… La jolie vierge… qu’elle est heureuse. » Lorsqu’elle se rendit à la Grotte, elle n’échappa à la foule que parce que les Sœurs de Nevers formèrent un cercle autour d’elle, repoussant les mains avides qui voulaient la toucher ou couper un bout de son voile. Plus tard, cette nuit-là, tant de gens escaladèrent les murs et les colonnes de l’hospice pour apercevoir Bernadette que la supérieure dut demander la protection des soldats en convalescence. Elle finit par ordonner à Bernadette de se promener dans le cloître et la jeune fille de répliquer : « Vous me montrez comme un bœuf gras. » (LLGHA, p. 194–195.)

12Deux mois plus tard, Bernadette quitte Lourdes pour toujours afin de poursuivre son noviciat à Nevers. Mais si le culte populaire est canalisé grâce à son éloignement, l’Église n’en cherche pas moins à mobiliser19 la visionnaire par l’intermédiaire des photographies. On peut d’ailleurs souligner que les nombreux donateurs qui contribuent à édifier la première basilique de Lourdes ne manquent pas de réclamer des photos de la jeune fille — « Je vous prierais de m’envoyer six nouvelles photographies de Bernadette avec sa signature20. »

13Éloignée donc, mais mobilisée. Coupée du lieu saint, mais démultipliée. Rendue possible par l’image mécanique, cette présence-absence contribue à établir le pèlerinage, bâtir la basilique et fortifier la foi de ceux et celles qui font l’acquisition d’un tirage.

Observer celle qui voit

14L’effort pour rendre visible (par les traits de la physionomie et les gestes du corps de Bernadette) ce qu’elle-même voit mais qui reste invisible à ceux qui l’entourent, ne commence cependant pas avec les campagnes photographiques. Dès la période des apparitions (11 février et le 16 juillet 1858), la visionnaire doit en effet affronter un problème figuratif de grande ampleur que Ruth Harris exprime ainsi :

À la Salette, c’est le texte qu’il fallait déchiffrer21, alors qu’à Lourdes tout l’effort d’interprétation tournait autour de la personne de Bernadette, de son corps. C’était son comportement physique, plutôt que les paroles ou les messages qu’elle transmettait — à l’exception du mystère de l’expression « Immaculée conception » — qui fournissait la preuve de sa sincérité et de l’authenticité de son expérience. (LLGHA, p. 95.)

15C’est que depuis les épidémies de possessions de Loudun en 1630, puis celles de Morzine à partir du printemps 1857, le ravissement n’est plus nécessairement la forme d’une expérience spirituelle univoque et le gage assuré d’une illumination divine. Il peut, tout aussi bien, être l’expression funeste des victimes de quelques ruses diaboliques ou celle des confusions de sujets psychologiquement perturbés que décrit la symptomatologie hystérique22. Les corps peuvent mentir ; les stigmates n’être que des « pseudo » — au sens médical du terme. Plus généralement, au milieu du xixe siècle, visions et états extatiques sont des expériences incertaines, ambivalentes, suspectes de n’être qu’illusions entretenues avec complaisance, surtout par les femmes dont on dénonce le goût et l’aptitude à l’imagination et à la simulation23.

16À Morzine, le premier cas de démonie observé n’était-il pas précisément celui d’une jeune fille ? Les possédés ne présentent-ils pas, eux aussi, en dehors des crises, ce « caractère doux et affable », ce « tempérament tranquille et calme24 » que l’on prête à Bernadette ? Quelques minutes avant l’ignoble attaque, les hystériques ne sont-elles pas belles, sereines et préservées de toute affliction ? Paradoxe de l’intermittence. Aussi, à Lourdes, la jeune visionnaire est-elle systématiquement observée au moment des apparitions. Une attention aiguë — presque clinique — se concentre sur les moindres modifications de son état. On scrute ses gestes, ses expressions physiques, son attitude… Mémoires, lettres, journaux intimes en offriront tout un nuancier : la manière dont elle s’agenouille, la façon dont elle tient son chapelet, les expressions de son visage, son sourire, son teint, la qualité de ses larmes, « plus claires que de l’eau25 »… Pour les personnes alors présentes dans le public au moment des apparitions, il s’agit de découvrir à quel type d’expérience elles ont affaire : indique-t-elle l’hystérie, la possession ou l’extase ? Se tenant à quelques pas de la visionnaire lors d’une vision, Jean-Baptiste Estrade, « receveur des contributions » à Lourdes, écrira ceci :

Après avoir pris son chapelet, elle fait le signe de la Croix, elle commence à réciter […] Elle devait être arrivée à la récitation de la première dizaine de son chapelet, lorsque sa prière sembla un moment interrompue, pour laisser place à un sourire (auquel je ne saurais donner de comparaison) qui se répandit sur sa figure […] Son regard était fixé sur le creux du rocher. Aux mouvements de ses lèvres et des muscles de son gosier, il nous fut facile de remarquer qu’elle parlait. Par moments, elle s’arrêtait de parler comme pour écouter ce que lui disait sa chère vision, puis elle reprenait. Elle accompagnait parfois le mouvement de ses lèvres par des signes de tête, tantôt négatifs, tantôt affirmatifs26.

17D’autres insistent sur sa pâleur translucide, décrivant son visage et son corps « comme une surface de cire prête à recevoir des empreintes » : elle n’est pas « pâle, bleuie, livide…, mais translucide » ; « vous auriez dit que c’était une cire, un ange, elle était blanche comme un cierge » (Harris, LLGHA, p. 106). De tels signes finissent par éradiquer les soupçons qui pouvaient, jusque-là, entourer les visions. Tout semble les opposer aux contractures et rictus, aux convulsions et aux regards obliques de certaines postures hystériques. La plupart des observateurs constatent en effet « plus d’harmonie que de désordre » (LLGHA, p. 97) dans le comportement de la jeune fille. Des témoins interrogés par le jésuite Léonard Cros affirment que, « bien que s’étant parfois tenus tout près d’elle, ils n’avaient jamais rien remarqué de tordu ou de bizarre sur son visage ni dans son corps […], qu’il n’y avait rien de répugnant, rien qui grimaçât, au contraire, que c’était beau à voir » (p. 97). Et que voient-ils ? « Un ange en prière, reflétant dans ses traits tous les ravissements des cieux » pour reprendre les termes du receveur des impôts de Lourdes27 ; « Une jeune fille à la physionomie respirant une parfaite tranquillité d’âme et la candeur de l’innocence » selon le directeur de l’École Supérieure de Lourdes28 ; « Une enfant dont le regard céleste et serein semble chercher à voir quelque chose qui n’est pas de la terre29 » selon un autre témoin ; et dont l’expression est « si douce et si candide qu’elle commande le respect et inspire la foi30 » selon le sculpteur Fabisch qui produira la statue de Notre-Dame de Lourdes à l’endroit des apparitions.

18Décrire des émotions. Porter attention aux moindres tressaillements et inflexions d’un visage. Déchiffrer une attitude, des gestes et des regards. À l’autre bout du siècle, dans le dernier tiers du xixe, n’est-ce pas une attention et un effort de même nature qui seront engagés, à la Salpêtrière, à l’endroit des extatiques ? Dans la grande machine optique qui se construit entre les murs de la citta dolorosa, devant l’objectif du photographe Paul Régnard, les hystériques donneront, elles aussi, le spectacle de leur extase. Mais leurs états émotionnels seront comme accordés à l’espace social fermé où ils se situeront, se décriront et s’interprèteront. Dans le plus grand hospice de femmes, l’extase sera « raptus, excessus mentis, dilatatio mentis, mentis alienatio » : formes attestées des attaques d’extase hystériques31.

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« Attaque d’extase » tirée de l’Iconographie photographique de la Salpêtrière, tome 1, 1875.

« Comme une flèche qui vient me percer32 »

19Il nous faut encore considérer un aspect essentiel dans la composition des images de la visionnaire. Il s’agit d’un élément qui « saute aux yeux », mais qui est pourtant difficile à saisir, comme le punctum dont parle Barthes — cet élément qui point, ce détail qui, dans l’image, attire ou blesse — et que René Laurentin exprima ainsi : « Ce que nous lisons sur ce visage commun, c’est cette sainteté des pauvres, sans éclat ni triomphes » (VDB1, p. 83). Avant le départ de Bernadette pour Nevers, les différentes campagnes photographiques cherchent toutes à donner à voir sa simplicité et son dénuement. Les photographes concernés évoquent son « authenticité », la font poser en costume pyrénéen en lui conférant une identité rurale très marquée33. De même que la construction de la basilique et l’aménagement de l’espace autour de la Grotte transforment le site des apparitions, l’image de Bernadette est structurée et refaçonnée de manière à produire cette « petite paysanne vertueuse » idéalisée dans son indigence.

20L’art, rappelle R. Harris, magnifie alors l’humilité rustique : « L’Angélus (1858–1859) de Jean-François Millet donne à voir une piété intense et silencieuse, tandis que ses Glaneuses (1857) présentent une vision à la fois romantique et austère de la vie rurale » (LLGHA, p. 208). La pauvreté est considérée comme un élément essentiel de la qualité morale de ceux qu’elle frappe. Bernadette correspond à cet idéal. Sa simplicité, son regard direct, son patois et « son français très incorrect » font partie intégrante du message de Notre-Dame de Lourdes — ainsi que l’observa un prêtre à propos de la « qualité particulière » des visionnaires montagnards, dans une lettre à Mgr Laurence : « C’est ainsi que la Très-Sainte Vierge qui aime les cœurs simples, candides, et se communique aux âmes dans la solitude, loin de la contagion des villes, a voulu de nouveau prouver cette grande vérité dans les monts des Pyrénées comme dans ceux des Alpes » (cité dans LLGHA, p. 210). En la choisissant, la Vierge a distingué les pauvres et les ignorants.

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L’Angélus de Jean-François Millet, 1857–1859.

21Si, au départ, sa jeunesse, son ignorance, sa pauvreté, le mépris dans lequel sa famille est tenue, rend son expérience et son discours peu crédibles34, ces mêmes caractéristiques font progressivement de Bernadette « l’humble messagère de la Sainte Vierge » (VDB1, p. 103) ainsi que l’expriment de nombreux témoins des événements dont l’historien jésuite Léonard Cros :

Quelle tenue d’une simplicité céleste ! Je voudrais que vous vissiez ce simple, ce tout simple, ce tout bonnement, mais digne, mais surtout simple, que la nature terrestre ne réussirait jamais à contrefaire. (Lettre de L. Cros après sa seconde rencontre avec Bernadette, le 24 octobre 1865 ; cité dans VDB1, p. 124.)

Le supérieur du grand séminaire me confia que la plus frappante démonstration des apparitions, c’est la personne même de Bernadette. Sa modestie extérieure est d’un naturel surnaturel. (Lettre de L. Cros du 29 octobre 1865 ; cité dans VDB1, p. 80.)

22Du reste, le comportement de la jeune fille demeure « exemplaire » : dans « l’extrême misère où elle se trouve », elle s’obstine à refuser le moindre sou proposé par ceux qui se pressent autour d’elle. N’est-ce pas là les voies par lesquelles la divine providence a coutume de manifester son élection ? « Dieu se plaît à confondre ce qui est fort par ce qui est faible », « les derniers seront les premiers »… Celle qui, délibérément, choisit la pauvreté au milieu des richesses ne confère-t-elle pas à sa misère une dimension sacrée, ou, en tout cas, ne laisse-t-elle pas entendre que son dénuement n’est pas tout à fait naturel, qu’il s’apparente à la grâce ?

23Avec sa manière tranquille et résignée de poser, ses atours paysans, sa simplicité rustique, sa manière de croiser les mains et de regarder l’objectif, Bernadette permet aux classes les plus pauvres de la société une identification efficace et profitable au catholicisme militant du Second Empire35. Elle n’a rien d’exceptionnel : « Elle est comme tout le monde, elle est la preuve réelle que l’élection est pour tous36. »

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Tableau composé des détails des mains de Bernadette Soubirous à partir de différentes photographies.

« Ce que nous voyons, ce qui nous regarde37 »

24Si les photographes s’obstinent, tour à tour, à restituer la visionnaire dans la situation des apparitions — en l’enjoignant à reprendre l’attitude et l’expression qu’elle avait « pendant l’extase » — c’est qu’ils s’efforcent d’abord de fixer, dans le visible lui-même, l’Autre du visible. Commander à Bernadette de se placer dans un état émotionnel intense, de feindre d’être à nouveau transportée par ce qu’elle a été seule à voir, est, en quelque sorte, une manière de convoquer « l’apparition » sur l’image. « Derrière toutes les séances de pose, c’était bien cet invisible — cette image en creux — qui était traquée » (BCQAV, p. 59). Mais, très vite, face à la défiance de la visionnaire et son impossibilité de jouer sur commande le rôle qu’on veut qu’elle tienne, l’effort ne consiste plus à mettre en scène Bernadette comme celle qui est en train de voir. À un moment où la photographie est encore une technique naissante et où les humbles n’ont pas de visage, on invite la visionnaire à fixer directement l’objectif. Chaque campagne photographique propose ainsi au moins un cliché de celle qui a vu, permettant à ceux qui le contemplent de participer à l’intimité de cette « chambre d’écho » qu’a bien décrite Roland Barthes.

25On se souvient en effet de l’ouverture de La Chambre claire : « Un jour, je tombai sur une photographie du dernier frère de Napoléon, Jérôme. Je me dis alors, avec un étonnement que depuis je n’ai jamais pu réduire : je vois les yeux qui ont vu l’Empereur38. » Que voulait dire Barthes ? Que d’incertaine et d’hypothétique, l’Histoire peut basculer dans l’évidence stupéfiante d’un regard. Que des yeux — qui l’ont vu — sont capables de relayer notre propre regard vers l’Empereur. Que, de proche en proche, ce corps voyant — que nous voyons — ramène à lui l’invisible corps de l’histoire dont les récits aveugles ont toujours parlé, sans nous convaincre vraiment. Au bout de notre regard, ce qui a été, est « là ». En accomplissant cette transmutation — en sortant, en quelque sorte, le temps de ses gonds —, la photographie n’est pas seulement constative — « cela a été » —, elle est exclamative : « c’est ça ! ». C’est bien cette fiction d’une transparence de l’image ; c’est bien cette croyance selon laquelle les photographies redoubleraient exactement les choses du monde, se confondraient avec elles, se substitueraient à elles sans perte, que l’on retrouve chez tous ceux qui, devant les images de la visionnaire, s’exclament : « Oh ! Ce sont ces yeux-là qui ont vu la Sainte Vierge ! » (BCQAV, p. 49). Ce nouveau régime de visibilité ouvre un nouveau mode de croyance.

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Tableau composé de regards de Bernadette Soubirous à partir de différentes photographies.

26Tandis que des milliers d’images d’elle circulent — reproductions de tirages ou petites vignettes lithographiées —, assurant la médiation entre l’ici et l’ailleurs, entre le sanctuaire alors en construction et l’ensemble de la nation catholique, la jeune femme meurt au couvent de Nevers à l’âge de 35 ans « dans la pure tradition des héroïnes romantiques qui s’en vont de la poitrine » (BCQAV, p. 92). En 1878, la suggestion que son corps soit ramené à Lourdes est repoussée avec vigueur (LLGHA, p. 195). L’éloignement de Bernadette de sa ville natale sera maintenu après sa mort. Son corps restera à Nevers. Les appareils photographiques ne s’arrêteront pas pour autant. Sur son lit de mort, les 18 et 19 avril 1879, celle que l’on nomme la « veuve Lorans », photographe à Nevers, réalise une nouvelle série de clichés et relance la polémique des contrefaçons, ainsi que l’indique cette lettre de protestation publiée par elle dans le périodique d’Henri Lasserre, L’Écho des pèlerins, le 24 mai 1879 :

Monsieur le Rédacteur,

J’ai l’honneur de vous informer qu’en vertu d’une autorisation exclusive qui m’a été donnée par la Congrégation des Sœurs de Nevers, j’ai été seule admise à faire et à reproduire la photographie de Bernadette (Sœur Marie-Bernard) sur son lit de mort.

Or, on me communique une contrefaçon répandue à Lourdes et dans le Midi, et émanant de M. Provost, photographe à Toulouse, lequel n’étant point venu à Nevers lors de la mort de Sœur Marie-Bernard, a composé, de fantaisie, un faux portrait de la Voyante sur sa couche funèbre qu’il a mis en vente et que le public accepte sans défiance comme une photographie sur nature.

Il est aisé de comprendre que l’inspiration de l’art ne soit point venue en aide à une telle supercherie. Ce faux portrait n’a ni ressemblance, ni sentiment, et on peut dire qu’une telle figure attribuée à la morte vénérée n’est qu’un outrage à sa mémoire.

Je m’adresse, Monsieur le Rédacteur, à votre respect pour cette mémoire et à votre équité pour vous prier d’insérer la présente lettre dans votre prochain numéro.

En même temps que je demande aux tribunaux de réprimer cette violation de propriété, je dénonce le fait au public chrétien pour qu’il soit prévenu du piège qui est tendu à sa bonne foi et à sa piété.

Toutes les photographies vraies de sœur Marie-Bernard sur son lit de mort sont faites par moi et portent le cachet de la communauté de Saint-Gildard, celui de ma maison et un numéro d’ordre, signes absolument irrécusables de l’authenticité du portrait et de mon droit de propriété.

Toute autre photographie est une contrefaçon mensongère et une odieuse tromperie vis-à-vis du public. (VDB1, p. 103–104.)

« Et s’il arrive parfois aux plus humbles d’accéder à une sorte de gloire39… »

27Celle qui voit ; celle qui a vu ; celle qui confirme que l’élection est pour tous : appuyées sur la pratique photographique et la production d’images, ces différentes étapes ont constitué les « moments dialectiques » dans l’élaboration de « sainte » Bernadette de Lourdes, bien avant que cette reconnaissance populaire ne soit officialisée par l’Église. Ici, sarcastique, le mythologue serait sans doute fondé à rapprocher certains des mécanismes de construction de la sainteté de ceux que Roland Barthes éclairait dans le processus de production de la « basquité40 » — cette condensation complexe de traits objectifs et de représentations qui finissent par s’imposer comme « essence », sans conserver aucune trace du corps d’intentions qui l’a motivée ainsi que des actes et de l’histoire qui l’a produite. Mais dans cette économie de fabrication d’une représentation, il manque encore une dernière étape.

28À l’issue des trois exhumations qui ont eu lieu le 22 février 1909, le 3 avril 1919 et le 18 avril 1925, au cours desquelles on reprit d’autres clichés de la candidate à la sainteté, on décide de recouvrir définitivement le visage et les mains de Bernadette d’un masque de cire qui scellera et consacrera ses traits en les inscrivant dans l’éternité. Pierre Imans, qui a déjà réalisé le masque mortuaire du saint curé d’Ars, est sollicité pour accomplir l’ouvrage. Réalisé d’après une empreinte, si le masque est conforme à la morphologie du visage de la visionnaire, il est retravaillé selon une technique sculpturale stylisant et accentuant les reliefs favorables au jeu des ombres et de la lumière. Le nez qui était un peu fort est effilé, les narines sont légèrement enflées, les sourcils que Bernadette avait quelque peu épais sont arc-boutés, les pommettes sont rehaussées, la bouche est redessinée, le contour des lèvres est retracé, la rectilignité du visage montre une perfection et une symétrie conformes aux canons artistiques de l’art religieux.

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Photographie réalisée par mère Thérèse Terriou le 18 avril 1925.

29Ici comme ailleurs, « le mythe n’est ni un mensonge ni un aveu : c’est un compromis » (Barthes, LMAH, p. 707). En transformant « une intention historique en nature » et en fondant « une contingence en éternité », il fait une économie : « Il abolit la complexité des actes humains, leur donne la simplicité des essences, il supprime toute dialectique, il organise un monde sans contradictions parce que sans profondeur, un monde étalé dans l’évidence, il fonde une clarté heureuse ; les choses ont l’air de signifier toutes seules » (p. 708). Juste avant qu’on ne dépose le corps de la visionnaire dans la châsse en verre où elle est désormais exposée comme « sainte », mère Thérèse Terriou, secrétaire de Saint-Gildard, oriente une dernière fois son objectif sur cette dialectique à l’arrêt ; cette forme désormais incorruptible « où le passé devient anachronique, alors que le présent s’y donne réminiscent41 ».

Notes

1 Pierre Assouline, Lourdes, Histoires d’eau, Paris, Éditions Alain Moreau, 1980, p. 18.

2 Ce n’est que dans son mandement de janvier 1862 que l’évêque de Tarbes, Mgr Laurence, consacre officiellement Lourdes comme un lieu où « la Vierge est apparue » et reconnait « l’authenticité » des apparitions et de certaines guérisons.

3 Voir Laetitia Ogorzelec, « De la foule à la procession. La mise en place d’une stratégie de contrôle social à Lourdes », ethnographiques.org, no 21, 2010, URL : ethnographiques.org/IMG/pdf/ArOgorzelec.pdf.

4 Horst Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, Paris, La Découverte, 2015.

5 Georges Didi-Huberman, Invention de l’hystérie. Charcot et l’iconographie photographique de la Salpêtrière, Paris, Éditions Macula, 1982, p. 12.

6 Ibid., p. 218.

7 Dans son ouvrage sur les saintes mystiques dans le monde chrétien, Jean-Pierre Albert explique que « quand une sainte ne saigne pas, elle écrit » (voir Le Sang et le Ciel. Les saintes mystiques dans le monde chrétien, Paris, Aubier, 1997, p. 357). Les textes de Thérèse d’Avila ont en effet fourni les analyses de son intériorité les plus précises — au point qu’on a pu parler, à son propos, de réalisme. Voir Sophie Houdard, « Affections de l’âme et émotions dans l’expérience mystique », Histoire des émotions, tome 1 : De l’Antiquité aux Lumières, sous la direction de Georges Vigarello, Paris, Seuil, 2016, p. 355–384. Ce modus loquendi n’existe cependant pas dans le cas de Bernadette Soubirous.

8 René Laurentin dans Visage de Bernadette, tome 1 : Présentation, Paris, Lethielleux, 1978, p. 22. Dorénavant VDB1.

9 Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique [1939], Paris, Allia, 2003.

10 Lettre de l’abbé Paul Bernadou du 9 novembre 1891, cité par René Laurentin dans VDB1, p. 108.

11 Alain Vircondelet, Bernadette, celle qui a vu, Paris, Desclée de Brouwer, 2002, p. 12.

12 Selon la tradition orale fixée par le chanoine Cassagnard et citée par René Laurentin (VDB1, p. 115).

13 Voir Édouard Pontremoli, L’Excès du visible. Une approche phénoménologique de la photogénie, Éditions Millon, Grenoble, 1996.

14 Lettre de l’abbé Paul Bernadou du 9 novembre 1891, citée par Laurentin (VDB1, p. 108).

15 Annonce publicitaire de Paul Dufour, libraire-éditeur à Tarbes, dans L’Ère impériale du 2 janvier 1864.

16 Jules Amédée Barbey d’Aurevilly, « Ridicules du temps. Les photographies et les biographies », Le Nain jaune, no 346, 3 janvier 1867, p. 23.

17 Lettres de Mgr Laurence à la supérieure générale de Nevers (18 janvier 1868) cité dans Laurentin, VDB1, p. 100.

18 Cité par Ruth Harris dans Lourdes. La grande histoire des apparitions, des pèlerinages et des guérisons, Paris, JC Lattès, 2001, p. 194. Désormais abrégé LLGHA.

19 Le terme « mobiliser » est utilisé ici au sens que lui donne le sociologue Michel Callon. La mobilisation est une forme de déplacement susceptible de faire apparaître, hors du lieu où elles se tiennent habituellement, des entités au nom desquelles on s’exprime. Voir par exemple Michel Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année sociologique, no 36, 1986, p. 169–208.

20 8 novembre 1863, lettre du Père Hamard, Lazariste, de Saintes en Charente, au Chanoine Fourcade (original aux Archives de la Grotte, casier 21, M 125).

21 Bien qu’il s’agisse de deux événements au cours desquels des messages ont été délivrés dans des endroits reculés à des enfants pauvres, les apparitions de Lourdes forment un contraste saisissant avec l’apparition de la Salette. En 1847, dans cette commune isolée des Alpes, deux enfants (Maximin Giraud et Mélanie Calvat) qui gardaient un troupeau sur l’alpage de leur village aperçurent une dame vêtue de blanc leur annonçant des malheurs épouvantables en punition de l’impiété de la population qu’elle appelait à se repentir et à se convertir : « Si vous avez du blé, il ne faut pas le semer ; tout ce que vous sèmerez, les bêtes le mangeront, et ce qui restera tombera en poussière quand vous le battrez. Il viendra une grande famine. Avant que la famine n’arrive, les enfants au-dessous de sept ans prendront un tremblement et mourront entre les bras des personnes qui les tiendront ; les autres feront pénitence par la famine. Les noix deviendront mauvaises et les raisins pourriront… » (cité dans René Bourgeois, Le Fait de La Salette 1846, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2006, p. 70). La menace et le ton apocalyptique du long discours de l’apparition de la Salette sont clairement en rupture avec le bref message d’espoir et de dévotion simple qui sera exprimé à Lourdes (Voir Ruth Harris sur ce point, op. cit., p. 93–95).

22 Voir Nicole Edelman, Les Métamorphoses de l’hystérique, Paris, La Découverte, 2003.

23 Ibid.

24 Mémoire d’Antoine Clarens, directeur de l’École Supérieure de Lourdes. Mémoire publié dans Laurentin, Lourdes. Documents Authentiques, tome 1, pièce no 23, Paris, Lethielleux, 1957, p. 196–201.

25 Première Lettre d’Adélaïde Monlaur (8 mars 1858) publiée dans René Laurentin, Lourdes. Documents authentiques, tome 1, ibid., p. 224–229.

26 Cité dans Léonard Cros, Lourdes 1858 : témoins de l’événement, Paris, Lethilleux, 1957, p. 83.

27 Jean-Baptiste Estrade, Les Apparitions de Lourdes. Récit d’un témoin des événements de 1858, Paris, Salvator, 2015.

28 Mémoire d’Antoine Clarens, directeur de l’École Supérieure de Lourdes, publié dans René Laurentin, Lourdes. Documents authentiques, tome 1, Paris, Lethielleux, 1957, pièce no 23, p. 190–203.

29 Description de Marie de Cornulier Luciniere, citée par René Laurentin, VDB1, p. 122.

30 Mémoire du sculpteur Joseph-Hugues Fabisch, cité par René Laurentin, ibid., p. 125.

31 Georges Didi-Huberman, op. cit., p. 146.

32 Pour décrire l’effet propre du punctum d’une photo, Barthes évoque « une flèche qui vient me percer ». Ce terme latin désigne « cette blessure, cette piqûre, cette marque faite par un instrument pointu ». Voir Roland Barthes, La Chambre claire, Paris, Seuil-Gallimard, 1980, p. 49.

33 À cet égard, on peut se reporter à la photographie réalisée par Bernadou (1961) qui se trouve au début de cet article.

34 Voir Laetitia Ogorzelec, Le Miracle et l’Enquête, Paris, PUF, 2014, ainsi que « La croyance, la vérité et la ruse. Apparitions et enquête policière à Lourdes », Genèses, no 108, 2017/3, p. 149–165.

35 Alain Vircondelet, Bernadette, celle qui a vu, Paris, Desclée de Brouwer, 2002, p. 20.

36 Ibid., p. 85. Désormais BCQAV.

37 C’est aussi le titre de l’ouvrage de Georges Didi-Huberman publié en 1992 aux Éditions de Minuit.

38 Roland Barthes, La Chambre claire, op. cit. p. 13.

39 Reprise d’une partie de la citation de Michel Foucault : « Longtemps n’avaient mérité d’être dits sans moquerie que les gestes des grands ; le sang, la naissance et l’exploit, seuls, donnaient droit à l’histoire. Et s’il arrivait que parfois les plus humbles accèdent à une sorte de gloire, c’était par quelque fait extraordinaire — l’éclat d’une sainteté ou l’énormité d’un forfait. » Voir « La vie des hommes infâmes », dans Dits et écrits, tome 3, texte no 198, Paris, Gallimard, 1994, p. 237–253.

40 Roland Barthes, « Le Mythe, aujourd’hui », dans Œuvres complètes, tome 1 : 1942–1965, Paris, Seuil, 1993, p. 694. Dorénavant LMAH.

41 Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Éditions de Minuit, 1992, p. 82.

Pour citer cet article

Laetitia Ogorzelec, «La fabrique d’une « sainte » à l’ère de sa reproductibilité technique», Eigensinn [En ligne], Saintes, URL : https://popups.uliege.be/2795-8892/index.php?id=140.

A propos de : Laetitia Ogorzelec

Université de Franche-Comté, LaSA