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#2
Ce pictorial présente un dispositif graphique de modélisation de processus de rénovation de logement du point de vue d’habitants propriétaires. Il met en relation les étapes de transformation du bâtiment avec certains éléments de leur parcours personnel et familial afin de questionner les choix de conception opérés au prisme des ressources matérielles et humaines mobilisées. Plus généralement, la démarche renseigne les modes d’accompagnement professionnel des habitants propriétaires engagés dans un projet d’auto-rénovation.
Les problématiques environnementales nous poussent aujourd’hui à rénover plutôt qu’à construire, et à améliorer les performances des bâtiments existants afin de réduire globalement nos consommations d’énergie. En France, les objectifs définis par la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) prévoient, d’ici 2050, un parc de logements faiblement consommateur d’énergie et dont les émissions de gaz à effet de serre sont ramenées à zéro. Or il existe aujourd’hui de nombreux freins à la réalisation de travaux : complexité des programmes d’aides financières publiques, reste à charge trop important pour les propriétaires (Trouvé, 2022) et difficultés d’accès à des professionnels qualifiés. Dans ce contexte, l’Auto Réhabilitation Accompagnée (ARA), qui consiste pour un particulier maître d’ouvrage à faire appel à un accompagnement professionnel tout en prenant lui-même en charge une partie des travaux, a été identifiée par l’Agence de la transition énergétique - ADEME (Marquet, 2023) comme un levier de contribution à l’atteinte des objectifs pour le parc résidentiel. L’ADEME considère en effet que cette pratique, par les économies qu’elle fait réaliser aux particuliers, leur permet souvent d’être plus ambitieux sur le volet énergétique. Dans le même temps, l’ARA s’est développé historiquement en dehors du milieu de la construction (appartenance “sociale” des Compagnons bâtisseurs) ce qui le pénalise actuellement, notamment du fait du manque de soutien des assureurs (Berrier, 2014). Du côté des professionnels de la construction, l’implication dans l’ARA induit une évolution de leur rôle actuel. Cela suppose, en pratique mais également en théorie, une meilleure compréhension des moyens et logiques d’actions des habitants en situation (Drozd et alii, 2015) : quelles ressources matérielles et humaines, internes et externes, mobilisent-ils pour alimenter leurs réflexions et accompagner la réalisation de leurs travaux ? Comment évaluent-ils la qualité du résultat produit ?
Ce pictorial présente un dispositif graphique de modélisation de processus de rénovation de logement du point de vue d’habitants propriétaires. Il met en relation les étapes de transformation du bâtiment avec des éléments de leur parcours personnel et familial afin de questionner les choix de conception opérés au prisme des ressources matérielles et humaines mobilisées. La première partie pose le cadre collaboratif et méthodologique dans lequel s'inscrit la construction de cet outil de visualisation dont la description et l’intérêt pour l’analyse du processus de projet sont développés dans une deuxième partie. En conclusion, nous revenons sur les principaux résultats pour les professionnels de la construction : conseillers en rénovation énergétique, architectes et artisans.
Notre travail est né d’une collaboration avec un service public d’appui aux particuliers pour l’éco-rénovation des logements au sein d’une communauté de communes rurales. Cet organisme assure gratuitement une activité de conseil pour l’amélioration thermique de l’habitat (choix énergétiques, matériaux performants, solutions écologiques adaptées au bâti ancien…). Cette collaboration s’est inscrite plus largement dans une recherche que nous menons sur les évolutions et la transformation d’une typologie architecturale de fermes en pierre et pisé de terre très largement répandue au 19e siècle sur ce territoire. Au moins un tiers sont encore aujourd’hui des exploitations agricoles, mais de plus en plus nombreuses sont celles qui sont vendues en maisons d’habitation cossues à rénover.
Notre collaboration s’est concrétisée par le co-encadrement d’une stagiaire étudiante de master en architecture, de février à juin 2023, dans le but de documenter sous forme de retours d’expériences les pratiques de rénovation-réhabilitation des fermes en logements. L’accès à la base de données de notre organisme partenaire a permis de sélectionner des projets de rénovation réalisés ou en cours d’accompagnement. Le corpus d’enquête a été défini sur la base des critères suivants : recours aux matériaux bio-sourcés, rénovation achevée ou en cours ; ferme en activité (à la fois lieux de travail et de vie) ou ayant aujourd’hui pour seul usage l’habitat ; travaux en auto-réhabilitation ou réhabilitation accompagnée ; réalisation considérée comme techniquement exemplaire ou situation plus ordinaire.
L’enquête, exploratoire a porté sur 6 cas étudiés à partir de visites commentées (Thibaud, 2001), c’est-à-dire d’entretiens semi-directifs réalisés dans le logement avec leur(s) propriétaire(s) occupant(s) et complétés par des relevés photographiques ou dessinés. Ces entretiens abordaient les moyens techniques, matériels et financiers mis en œuvre au cours du projet mais également les ressources immatérielles mobilisées (motivations, compétences initiales, acquises par l’expérience ou par accompagnement, étapes de planification) ou encore les contraintes, difficultés et freins rencontrés.
En second lieu, l’immersion de l’étudiante un jour par semaine au sein de l’organisme lui a, par ailleurs, permis d’échanger avec les agents, d’assister à des séances de conseil et à des visites-diagnostic de logements en présence d’un architecte conseil et ainsi d’observer le fonctionnement, les modalités et les outils mobilisés pour l’accompagnement des particuliers.
La représentation sous forme de frise chronologique des récits issus des entretiens s’est d’abord imposée comme un moyen de reconstituer a posteriori les étapes du projet énoncées par les habitants au cours de la visite. Ce principe graphique a ensuite été l’objet d’une réélaboration itérative au fil de l’enquête, conduisant finalement à croiser pour chaque cas d’étude : les informations retranscrites des entretiens, celles issues des comptes-rendus d’accompagnement et les relevés ou observations architecturales faites in-situ.
Fig. 1 - Exemple de frise chronologique relative à un cas d’étude du corpus
La frise (fig. 1) est principalement construite sur le principe d’une mise en regard dans le temps entre évènements biographiques et matérialité du projet :
la ligne de gauche représente l’évolution de la situation familiale (rencontre des partenaires, naissance d’un enfant, acquisitions de biens…) ;
la ligne de droite représente l’évolution du bâti (depuis la date de construction de la ferme dans certains cas) et les différentes périodes de travaux, matérialisées au centre par des dates en blanc sur fond noir.
L’ensemble des autres éléments inscrits de part et d’autre de ces deux lignes de temps sont :
les questionnements suscités par le projet et les décisions actées à mesure de son avancement, positionnées à l’aide de bulles “ ?” ; ces informations, qui rendent compte des réflexions menées par les propriétaires-occupants, relèvent de problématiques architecturales ; elle sont accompagnées de schémas qui les situent globalement dans l’espace du logement ;
les interventions significatives supportant les décisions ou les actions. Ces interventions font notamment apparaître le recours à des aides extérieures selon 3 modalités distinctes :
• le conseil [icône “bulle de dialogue”] ; celui-ci peut porter sur des demandes d’aide de financement, le recours à un expert, une visite de performance thermique sur site avant ou après travaux, le conseil d’architectes ou d’artisans lors de visites du logement ;
• la production de documents d’étude de maîtrise d’œuvre [icône “crayon”] tels que les dessins d’architectes, les notes de calcul de thermicien etc… ;
• la réalisation de travaux [icône “briques de mur”] mobilisant l’intervention d’artisans (par défaut pris en charge par les propriétaires occupants).
Fig. 2 - Légende de la frise - principaux codes graphiques
La frise est un procédé graphique qui permet de situer les informations de chaque étude dans le temps mais elle fonctionne aussi comme un dispositif visuel synthétique qui donne à comprendre comment différents registres “agissent” sur le processus de projet, que ce soit de manière isolée ou en interaction les uns par rapport aux autres. Elle constitue en cela un outil d’analyse permettant d’objectiver les données d’un point de vue à la fois monographique et comparatif.
Fig 3 - Mise en regard de frises chronologiques issues de 3 cas d’étude
Quatre registres d’analyse et de types de résultats peuvent alors être mis en évidence :
la relation entre trajectoire biographique et matérialisation du projet. La frise témoigne de l’influence des motivations et des événements de la vie sur le cours du projet ; elle montre comment les questions architecturales et matérielles des rénovateurs interagissent avec leurs contraintes familiales ou financières ;
le rapport au temps qu’engage le processus de projet. On constate dans les récits que le vécu de la rénovation se concentre sur le temps des travaux à proprement parler, et tend à négliger le temps amont nécessaire à la conception. En ce sens, le temps long du projet est souvent sous-estimé et mal anticipé par les habitants. Au-delà de l’identification des étapes-clés, l’intérêt de la frise est ici de rendre compte des périodes d’intensification de travaux (années représentées de manière contractée sur fond noir) mais également des “temps morts” (années représentées de manière plus étirée sur fond blanc) ;
les interactions entre choix techniques, caractéristiques spatiales et usages. Les entretiens montrent que les intentions de travaux relèvent de questionnements portant sur l’énergie et la thermique mais aussi sur les usages et la réorganisation de l’espace. Alors que ces thématiques ont souvent été abordées de manière séparée par les rénovateurs lors des visites, nous avons choisi de les réunir dans la frise (fig. 3) sous forme de bulles et de les “spatialiser” à l’aide de schémas volumiques reprenant la configuration générale du logement. En termes d’analyse, ces parti-pris graphiques permettent : d’une part d’articuler des choix couramment énoncés comme “techniques” à des problématiques architecturales plus globales qui engagent des sujets de conception ; d’autre part d’évaluer le processus de projet de rénovation sous l’angle d’une confrontation entre un “idéal” initialement projeté par les propriétaires et les contraintes ou possibilités d’usages qu’offre concrètement l’espace pré-existant (orientations du bâti, structure, ouvertures, circulations…) ;
les modalités d’accompagnement professionnel. La représentation graphique des cas étudiés montre que les aides extérieures mobilisées dépassent les rôles définis a priori. Les interventions des différents corps de métier débordent du cadre traditionnel distinguant missions de conception et de réalisation de par le séquençage dans le temps (architecte et bureau d’études en amont, artisans en aval) et le niveau concret d’engagement sur le résultat. A l’encontre des représentations selon lesquelles l’architecte n’accompagne pas les travaux ou l’artisan la conception, les pratiques d’accompagnement à l’auto-rénovation témoignent d’un décloisonnement professionnel de fait.
Les retours de l’organisme partenaire sur les frises chronologiques ont permis de mettre en évidence le potentiel de cet outil graphique pour les conseillers afin d’améliorer leur accompagnement des auto-rénovateurs. Il ressort plus particulièrement l'intérêt de représenter le processus de projet, ce qu’ils n’avaient jamais fait, mais reconnaissent comme très pertinent pour les aider à visualiser et donc mieux anticiper les différents sujets et contraintes qui vont se poser à eux au fil du temps. De par leur expérience qui s’étend au-delà du simple champ d’expertise « technique », les conseillers connaissent la plupart des difficultés rencontrées par celles et ceux qu’ils accompagnent, mais peinent à les partager faute de pouvoir les “montrer”. Le recours à des “situations concrètes” leur paraît en cela très utile, notamment pour illustrer les étapes clefs de développement du projet et alerter sur le temps global et les moyens nécessaires, souvent largement sous-estimés. Plutôt que des mises en garde qui peuvent être perçues comme théoriques, les frises peuvent apporter aux auto-rénovateurs de la « matière » permettant d’envisager concrètement les choix à faire. La représentation d’un ensemble diversifié de contraintes agissant sur le projet permet de relier les choix techniques aux autres contraintes spatiales et besoins d’usage et aide en cela, à dépasser la première vision « idéale ».
Donner à voir les ressources mobilisables peut contribuer à mieux ajuster l’accompagnement de différents profils d’auto-rénovateurs, notamment les « vaillants » disposant de peu de ressources propres mais contraints d’auto-rénover par manque de moyens financiers (Hamon et Héraud, 2022). Ces profils sont davantage contraints au recours d’aides extérieures : conseillers mais aussi réseau familial ou amical, professionnels de la conception missionnés et artisans. Positionner ces aides extérieures en vis-à-vis des capacités personnelles des auto-rénovateurs à accomplir les tâches eux-mêmes permet une prise de conscience de leurs limites mais pointe aussi vers les compétences et les connaissances externes nécessaires à la réalisation du projet. De ce point de vue, les frises chronologiques montrent que le décloisonnement des rôles traditionnels dans l’ARA suppose un transfert de responsabilité des professionnels vers les auto-rénovateurs et souligne les complémentarités potentielles que peut créer une meilleure articulation des compétences et interventions globales mobilisées en situation.
La frise chronologique se présente finalement comme un outil pédagogique en ce sens qu’elle mobilise davantage le partage d’expériences que le conseil “descendant” et qu’elle favorise la construction d’un regard critique sur les choix de rénovation, de la part des propriétaires-habitants comme des professionnels de la construction. En particulier, au regard des objectifs fixés par l’ADEME, cet outil peut aider à répondre aux enjeux d’évaluation de qualité des résultats produits d’une manière qui ne se limite pas aux critères de performance énergétique mais intègre un ensemble de problématiques architecturales et le caractère processuel de la démarche de rénovation.
Berrier, H. (2014). Contribution de l'auto-réhabilitation accompagnée au plan de rénovation énergétique de l'habitat. Rapport n° : 009350-01 du conseil général de l’environnement et du développement durable. Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Jimenez C., Beaudeigne A., Combes G., Saboret A.S., Marquet S. (2023). Auto-rénovation accompagnée - Impacts et perspectives économiques pour les entreprises du bâtiment. Rapport final ADEME.
Drozd C., Requena-Ruiz I., Mahé K., Siret D. (Dir.) (2015). La construction du chez-soi dans la transition énergétique : entre conceptions de la performance et pratiques habitantes. Rapport de recherche, UMR AAU, Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes.
Hamon V. Héraud M. (2022). Auto-rénovation : accompagner une pratique pour favoriser les rénovations performantes et pallier les limites de l’offre, Région Auvergne Rhône-Alpes, CèDRe.
Thibaud J.-P. (2001), « La méthode des parcours commentés ». In Michèle Grosjean et Jean-Paul Thibaud, L’espace urbain en méthodes, Marseille, Éd. Parenthèses, p.79-99.
Trouvé A. (2022). Rapport N° 482 de la Commission des affaires économiques sur la proposition de loi de Mme Aurélie Trouvé et plusieurs de ses collègues visant à accélérer la rénovation thermique des logements, en garantissant un reste à charge zéro pour les ménages les plus modestes réalisant des travaux et en interdisant réellement les logements les plus énergivores (324).
Sandra FIORI and Estelle MORLE, « Proposition d’un outil de représentation pour l'accompagnement professionnel des processus d'auto-rénovation de l’habitat », ModACT [Online], | 2024, document 2, Online since 05 September 2024, connection on 24 February 2025. URL : http://popups.uliege.be/3041-4687/index.php?id=136
Professeur
EVS-LAURe (UMR CNRS 5600)
Ecole nationale supérieure d’architecture de Lyon
sandra.fiori@lyon.archi.fr
sandra.fiori@lyon.archi.frMaître de conférence
EVS-LAURe (UMR CNRS 5600)
Ecole nationale supérieure d’architecture de Lyon