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#4
Cet article propose une méthodologie d’observation et d’analyse d’une situation pédagogique dans l’enseignement du projet en atelier d’architecture de troisième année et plus spécifiquement dans le cadre d’un exercice de structure.
Le défi de cette recherche réside dans la complexité de la situation étudiée.
Notre approche a été progressivement orientée vers un cadre constructiviste1, intégrant une méthodologie qualitative multimodale2 basée sur la théorie ancrée en croisant les perspectives des sciences du design et des sciences de l'éducation. L'observation s'est étendue sur une période de trois années consécutives, englobant divers moments, jusqu'à ce que la saturation des données soit atteinte. Cette démarche a conduit à l'émergence d'hypothèses relatives aux dysfonctionnements. Celles -ci pourraient être vérifiées dans le cadre de recherche ultérieure.
Dans sa thèse, Couton (2014) met en évidence un déficit de compétences en matière de construction chez certains architectes français, les plaçant ainsi dans une position désavantagée par rapport à leurs homologues allemands et suisses. Selon lui, cette lacune trouve principalement son origine dans le système éducatif des écoles d'architecture françaises, ainsi que dans certaines institutions à travers le monde ce qui se répercute négativement dans la pratique de l’architecte (Allen, 2006).
Pourtant, dans certaines œuvres architecturales, les aspects techniques et constructifs jouent un rôle crucial dans la genèse même des idées : la manière dont le bâtiment est construit influence directement son esthétique globale.
Minimiser l'importance de la construction est peu judicieux (Amaral, 2010). Non seulement ce sujet est étroitement lié à la réalisation architecturale, mais il devrait également être envisagé dès le début du processus de conception du projet, comme une "conduite anticipatoire" (Boutinet, 2012), impliquant notamment le choix des matériaux et des techniques de mise en œuvre. Le domaine de la construction est également lié à d'autres aspects tels que la configuration du bâtiment, le système formel, l'assemblage des matériaux, la structure, etc. (Uzunolu et coll., 2011 ; Pena, 2008), et ne se réduit pas au seul résultat final tel que défini par Sekler (1967).
Certaines formations mettent l'accent sur une réflexion théorique et artistique au dépend d’une réflexion pratique et constructive pourtant essentielle et caractéristique (Yates, 2001). La dimension constructive n’est pas intégrée dans les finalités/objectifs d’enseignement contrairement aux objectifs artistiques (Brown et coll., 2001 ; Iordanova, 2008). L’enseignement constructif est assez souvent basé sur une méthode pédagogique traditionnelle caractérisée par l'accumulation progressive des connaissances où les cours techniques sont dispensées théoriquement et sont séparées de l’enseignement d’ateliers (Hedges, 2014, Gelernter 1998). En outre, Chupin et Simonnet (2005) signalent une lacune dans l'enseignement technique, créant un écart entre la pensée plastique et la pensée technique dans l'enseignement du projet. Les étudiants se retrouvent ainsi dépourvus des compétences et connaissances nécessaires pour réfléchir au processus de conception dans sa dimension constructive. Allen (2006) met en évidence un manque de compétences techniques parmi les enseignants en atelier.
Cette convergence de points de vue souligne un besoin de reconsidérer les approches pédagogiques dans le domaine de l’architecture.
Dans le présent article, nous proposons de questionner l’implication de la dimension technique et constructive dans l’enseignement du projet dans une école nationale d’architecture3.
En décryptant la plaquette pédagogique de l’ensemble du cursus universitaire de l’école d’architecture concernée par notre recherche, nous relevons l’existence de plusieurs cours techniques et constructifs. Néanmoins la mise en application de ces connaissances techniques dans l’enseignement du projet n'intervient qu'au cours de la troisième année, lors d'un séminaire dédié à la structure.
Nous proposons donc d'identifier les dysfonctionnements pédagogiques dans le déroulement du processus d'enseignement/apprentissage de l'enseignement technique dans le cadre du séminaire de structure.
Le défi de cette recherche est de relever les dysfonctionnements pédagogiques dans un contexte de complexité.
Cette complexité découle de la nature intrinsèque du processus conceptuel (Le Coguiec, 2012) ainsi que des particularités de la situation pédagogique. La notion de complexité renvoie à un phénomène où les éléments d’un système sont interconnectés de manière non linéaire, engendrant des interactions imprévisibles entre eux (Morin, 1990).
Le processus conceptuel est complexe en raison de la multiplicité des parties prenantes (Perrin, 2001), des différentes phases qui le composent (Fernandez, 2002 ; Simon, 1996), de la diversité des représentations externes (Safin, 2011), des éléments stimulant la conception (Boudon et coll., 2001 ; Lebahar, 2007), du caractère itératif du processus (Cross, 2011 ; Bonnardel, 2006), et de la subjectivité du concepteur (Dukan, 2006 ; Bonnardel, 2006), entre autres.
La situation pédagogique est également complexe compte tenu des multiples variables qui la composent, des interactions sociales, des dynamiques d’apprentissage, et des contextes environnementaux dans lesquels se déroulent l’enseignement et l’apprentissage (Creswell, 2014 ; Bogdan & Biklen, 2007 ; Merriam & Tisdell, 2015 ; Perrenoud, 1993).
Nous nous sommes interrogés sur la méthodologie à adopter pour identifier les dysfonctionnements pédagogiques dans une situation d’apprentissage complexe qui intègre des préoccupations structurelles/constructives tout au long du processus de conception dans le cadre d’un projet d’architecture.
De nos jours, la recherche qualitative est privilégiée dans une recherche liée à la créativité ou à l'éducation (Iordanova, 2008) et s’impose lorsqu'un chercheur se concentre sur un nombre restreint de cas d’étude. Elle implique la collecte d'une gamme variée de données pour approfondir la compréhension du phénomène étudié (Creswell, 2014 ; Van der Maren, 1996).
Dans ce contexte, adopter un positionnement constructiviste/interprétativiste revêt une importance cruciale, car cela implique de prêter une attention particulière au contexte et à la situation observée, en adoptant une posture immersive vis-à-vis de l'objet d'étude.
L'observation exploratoire qualitative nous permet de comprendre le déroulement du séminaire, ainsi que d'identifier et de classifier les dysfonctionnements présents dans cet apprentissage. Parmi les différentes approches de recherche qualitative étudiées par Creswell (2014), la théorie ancrée semblait être celle qui pouvait le plus contribuer à cette recherche.
Notre observation se déroule sans recours à un cadre théorique, conformément à la méthode choisie pour notre recherche, à savoir la méthode de la "théorie ancrée". Cette approche est qualifiée de non traditionnelle. Contrairement à une méthode de recherche traditionnelle, la théorie ancrée débute par un questionnement sans formulation préalable d'hypothèses. Son objectif est de développer des théories en cherchant à donner un sens aux données collectées. Contrairement à la méthode traditionnelle, le recours aux théories existantes n'intervient qu'à un stade avancé de l'analyse, afin de prévenir toute influence sur les interprétations (Creswell, 2014).
À partir des données collectées, pouvant provenir de diverses sources telles que des enregistrements vidéo, des photos, des textes, des entretiens, etc., le chercheur cherche à identifier et à coder les éléments jugés significatifs. Ensuite, à partir de ces données, le chercheur tente de dégager des catégories ou des modèles. Ces catégories serviront de base à l'élaboration d'une nouvelle théorie ou pourront être confrontées aux théories existantes afin d'expliquer la situation observée.
Selon Creswell (2014), la recherche qualitative s'appuie sur quatre types de données : (1) l'observation, qu'elle soit participative ou non participative, (2) les entretiens, allant de semi-structurés à ouverts, (3) les documents, qu'ils soient privés ou publics, et (4) le matériel audio-visuel tel que les photos, les graphiques, les vidéos, etc. La collecte de données doit tenir compte de la complexité de la situation pédagogique, ce qui nécessite le recours à une stratégie multimodale permettant de réaliser des triangulations indispensables à la validité de la recherche qualitative.
Notre observation porte sur le séminaire de structure durant trois années consécutives (2015-2018). Les différentes phases et moments clés du séminaire sont observés dans leur intégralité, nécessitant une présence continue du chercheur et générant une quantité importante de données (voir fig. 1). Pour les organiser et les utiliser dans le cadre de la recherche, elles doivent être analysées afin d'être regroupées et catégorisées de manière à les rendre synthétiques et compréhensibles.
Figure 1 : Moments clés du séminaire de structure (Ben Fatma, 2021)
Nous enregistrons les réunions de coordination en format audio, qui font ensuite l'objet d'une analyse de contenu.
L'observation du processus conceptuel des étudiants et des séances d'encadrement lors des phases APS/APD et des jurys se fait par une observation in situ avec des enregistrements vidéo réalisés par le chercheur à l'aide de son téléphone.
Le recours aux entretiens, en particulier aux entretiens semi-dirigés, est d'une grande utilité (Poisson, 1991 ; Yakeley, 2001)4 car ils permettent de guider la discussion en fonction des objectifs de la recherche et favorisent l'émergence de nouvelles catégories pertinentes. Nous menons des entretiens au début et à la fin de chaque phase, adressés aux étudiants. Les guides d'entretien sont élaborés en se basant sur les résultats préliminaires issus de l'observation de la réunion de coordination.
Cette recherche est complétée par une analyse de contenu de certains textes tels que les énoncés et la plaquette pédagogique.
Le « séminaire de structure » est un exercice collectif intégré au programme de troisième année dans l’atelier d’architecture. Bien qu’il ne soit pas réglementé par des documents officiels, il suit depuis plus de vingt ans un modèle relativement uniforme, basé sur des lignes directrices définissant son fonctionnement, sa durée, sa méthode d’évaluation, etc.
La plaquette pédagogique/fiche du cours5 ne fournit aucune information spécifique sur le séminaire de structure. En dehors du projet d’application, l’énoncé reste identique tout au long des trois années d’enseignement observées. Il ne mentionne pas les compétences visées, les outils, les cours ou les ressources fournies aux étudiants pour les aider à atteindre ses objectifs. De plus, les critères d’évaluation fixés par les enseignants, qui devraient être alignés sur les objectifs et donc sur les compétences visées, ne sont pas précisés. Cette lacune rend difficile l’évaluation de l’adéquation entre les attentes et les réalisations de l’exercice.
La formulation des objectifs d’enseignement manque de verbes d’action spécifiques, ne précise pas l’acteur du comportement attendu, ni les conditions ou le contexte dans lesquels les actions se dérouleront, etc. (Bloom, 1956 ; Hameline,1983 ; Landsheere & Landsheere,1989 ; Meirieu 1993) (voir fig. 2).
Le séminaire de structure débute par une réunion de coordination visant à définir le projet d’application. D’une durée approximative d’un mois, il se divise en deux phases : une première phase APS (Avant-Projet-Sommaire) et une seconde phase APD (Avant-Projet-Détaillé).
Figure 2 : Extrait de l’énonce du séminaire de structure (source : énonce séminaire, année 2015/2016)
La première phase APS s’étend sur deux à trois semaines. Pendant cette période, les étudiants doivent concevoir un projet architectural en tenant compte des contraintes du projet notamment constructives et structurelles. Or, à travers l’observation, nous relevons que la réflexion sur la structure se limite généralement à la précision d’une typologie structurelle choisie par l’étudiant (structure HP, poteau-poutre, structure tridimensionnelle, etc.). Cette phase individuelle se clôture par un jury, où certains projets sont sélectionnés pour être développés en groupe lors de la phase APD.
La phase APD débute par une conférence visant à fournir aux étudiants les connaissances techniques nécessaires à une réflexion structurelle approfondie. Cette semaine est entièrement dédiée au séminaire. Sous la supervision quotidienne d’ingénieurs pluridisciplinaires et d’architectes, les étudiants doivent développer la composante structurelle de leur projet et réaliser des détails techniques. Cette phase se termine également par un jury.
La réunion de coordination offre une occasion de comprendre et de contextualiser le séminaire, tout en fournissant les prérequis nécessaires pour faciliter l'observation.
Lors de la première année de recherche, l’observation de la réunion de coordination s’est déroulée grâce aux enregistrements « audio ». Nous transcrivons l’intégralité des débats soulevés lors de la réunion de coordination tout en triant l’information brute et non importante (plaisanterie, discussion en marge du séminaire, etc.) et celle utile à notre travail.
Cette collecte de données est suivie d'un processus de traitement visant à regrouper et à catégoriser les informations afin de les rendre synthétiques et compréhensibles. Les méthodes utilisées pour cette opération varient, incluant la catégorisation et la codification (Creswell, 2014). Pour notre recherche, nous avons adopté l'approche du "codage ouvert" typique des études qualitatives telles que la théorie ancrée. Cette méthode commence par l'établissement de quelques catégories initiales de codage, qui restent ouvertes et peuvent évoluer avec l'ajout de nouvelles catégories.
Lors du traitement des données, nous regroupons certaines d'entre elles sous une même catégorie. Cette analyse nous a principalement permis de constater un désaccord concernant le choix du sujet de l'exercice, dû à l'absence de consensus sur les objectifs pédagogiques du séminaire et la méthode d’enseignement.
Ces désaccords dans les objectifs, la méthode et le choix du sujet ont été relevés par les membres présents et détectés à travers la divergence, la contradiction et l'incertitude des discours des enseignants. Pendant les deux années suivantes, le débat n'a pas eu lieu, car, selon une enseignante, cela reviendrait à tourner en rond pour reprendre à la fin ce que nous faisons chaque année. À la suite de cette observation, nous avons dressé un inventaire des profils d'enseignants et procédé à un "échantillonnage raisonné"6 (Van Der Maren, 2004) garantissant une diversité au niveau des ateliers observés.
Deux ateliers par année d'observation ont été choisis. Les enseignants d'atelier ont été sélectionnés en fonction de profils divergents, sur la base de leurs discours lors de la réunion de coordination. Cela garantit une diversité enrichissante dans les observations.
Nous avons suivi le processus conceptuel de deux étudiants par atelier pour chaque année d’observation, choisis selon un "échantillonnage raisonné". Le nombre limité d'étudiants s'explique par la nature qualitative de notre recherche et le protocole de traitement de données assez lourd. Les résultats de la réunion de coordination nous ont guidés dans l'élaboration des questions semi-ouvertes adressées aux étudiants (quatre par année d’observation).
L’observation porte sur tout le processus à savoir la phase APS-APD et les évaluations.
Les données collectées sont transcrites en saisissant les données verbales, les dessins, les manipulations et les gestes (language of designing) décrits par Schön (1984), en capturant des images fixes à partir des enregistrements vidéo. La durée et le moment des différentes données sont également enregistrés (voir fig. 3).
Figure 3 : Extrait des transcriptions des données (source : Ben Fatma, 2021)
Le travail de traitement des données se déroule à travers la technique de l’analyse de protocole, spécifique aux sciences du design présentée par Waldron & Waldron (1996). Complémentairement à l'analyse de contenu, qui se concentre sur les données verbales (textes), l'analyse de protocole peut examiner des images, des vidéos, des prises de note, des manipulations graphiques, des interactions, des traces, etc., afin de leur donner du sens.
Nous établissons des catégories que nous considérons pertinentes et récurrentes dans plusieurs observations. Ce travail de catégorisation est similaire à celui de l’analyse de contenu (codage + catégorisation des données). Nous utilisons le « codage ouvert », où les catégories dégagées ne sont pas prédéfinies et définitives, mais peuvent évoluer au fur et à mesure de l’avancement de l’observation (Van der Maren, 1996).
Pour mieux répondre aux objectifs de notre recherche, le codage des données est réalisé selon deux groupes de thèmes : celui issu des données – c’est-à-dire qui prend en compte les activités telles que dessiner, réfléchir, examiner, parler, écrire, écouter (Akin et coll., 1996), ainsi que les liens entre elles (Goldschmidt, 1996) ; et celui guidé par des théories (sciences de l’éducation, processus de conception architecturale, etc.). Le tableau avec la transcription est régulièrement révisé avec les différentes catégories (Voir tab.1, tab.2).
Le travail d’affinement des observations porte sur deux éléments :
1– Les catégories de discours des différents intervenants (Enseignant(s) — Étudiant(s))
2– Les manipulations effectuées par les différents intervenants.
Tableau 1 : catégorisation du discours des différents acteurs (source : Ben Fatma, 2021)
Ru |
Domaine du discours |
||||
Caté |
Autre domaine (parti, forme, site, etc.) |
Structure (matériaux, typologies structurelles, etc.) |
Objectif (Innovation) |
Le recours à la référence |
Vocabulaire |
Des disparités thématiques dans les discours sont observées entre les différents ateliers et acteurs impliqués, qu'ils soient enseignants architectes, ingénieurs ou étudiants (voir tab.1). Les étudiants accordent peu d'attention à la question de la structure, se concentrant principalement sur des précisions concernant le choix des matériaux de construction. En revanche, les ingénieurs se focalisent principalement sur la cohérence structurelle, tandis que les architectes mettent davantage l'accent sur l'image et l'innovation. Les étudiants se retrouvent ainsi partagés entre les discours des ingénieurs et ceux des architectes (Chupin & Simonnet, 2005). Ils rencontrent des difficultés à argumenter les solutions structurelles adoptées, souvent simplement transposées des propositions des ingénieurs.
La notion d'innovation n'est pas clairement définie et est interprétée différemment entre les acteurs, ce qui accentue la confusion chez les étudiants. Certains acteurs interprètent cette innovation en fonction du degré de complexité formelle et des défis techniques qu'elle présente. De plus, nous observons une confusion dans l'utilisation du vocabulaire, tant de la part des étudiants que des enseignants, révélant un manque de précision ou de connaissance claire et différenciée des différentes appellations (Paulin, 2005).
Des différences sont également notées entre les objectifs tels qu'énoncés dans l’énoncé, ceux abordés lors des séances de correction (en accord avec les thématiques développées par les enseignants) et les critères d'évaluation utilisés lors du jury (notions discutées par les membres du jury). Dans la plupart des cas, l'évaluation porte davantage sur l'image finale que sur la structure ou la cohérence générale (Oxman, 2006, Koch et al.,20002). Lors des entretiens, les étudiants ont souligné leur difficulté à comprendre les objectifs d'enseignement jusqu'à la fin du séminaire.
Par ailleurs, nous avons constaté une absence de culture constructive chez les étudiants, ainsi que chez les enseignants qui ont du mal à sélectionner des œuvres pertinentes en rapport avec la problématique. Le recours à la référence se limite souvent à l'image. Chupin (2010) met en avant la nécessité de développer une culture architecturale conséquente pour acquérir une aptitude cognitive permettant de comprendre et de mettre en œuvre le processus de conception.
Rub |
Manipulation |
||||
Cat |
Expérimentation |
Formules |
Dessin et maquette |
Outil informatique |
Diagramme de comportement mécanique |
Tableau 2 : Catégories des outils manipulés (source : Ben Fatma, 2021)
Nous avons remarqué des différences dans les méthodes de travail entre les différents acteurs et ateliers (voir tab.2). Les ingénieurs, principalement responsables de la supervision de la phase APD, utilisent principalement des formules mathématiques et des diagrammes de comportement mécanique contrairement aux étudiants qui utilisent beaucoup plus les maquettes et les croquis (voir fig.4). Bien que ces concepts soient enseignés dans les cours théoriques, les étudiants ont du mal à les intégrer et à les mettre en pratique dans le cadre des ateliers (Chiuini, 2006). Il existe souvent une déconnexion entre les connaissances enseignées par le biais de la théorie et leur application lors de la conception architecturale en atelier (Allen, 1997; Akin, 2002; Gelernter,1998; NAAB, 1981). Les entretiens ont révélé que les étudiants peinent à comprendre les discussions des ingénieurs et des architectes sur les contraintes structurelles.
Par conséquent, il est nécessaire d'introduire des changements dans la manière d'enseigner les cours théoriques en adoptant une approche axée sur les principes structurels plutôt que sur des formules et des calculs complexes (Berk & Unay, 2010). De plus, les étudiants ont signalé un faible niveau d'apprentissage et de satisfaction à l'issue de chaque phase.
Figure 4 : Différents outils de conceptions (source : Ben Fatma,2021)
Ce travail exploratoire vise à identifier les dysfonctionnements pédagogiques dans l’enseignement du séminaire de structure. Pour ce faire, nous avons réalisé une observation exploratoire couvrant différents moments (réunion de coordination, séances d’encadrement, jurys) à l'aide d'une méthodologie multimodale combinant différents modes de récolte et de traitement des données.
Cette observation in situ nous a permis de formuler des interprétations sous forme d’hypothèses. Nous avons identifié plusieurs niveaux de dysfonctionnement pédagogique dans le séminaire de structure qui se rapportent à :
•Un manque de clarté des objectifs d’enseignement et des critères d’évaluation, des divergences d'interprétation des objectifs entre les différents acteurs ainsi que dans définition des termes employés.
•Un manque de réceptivité de la part des étudiants, résultant d'une absence de prérequis techniques/constructifs ainsi que d'une absence de culture constructive.
•Un manque de clarté de la méthode de travail, notamment en ce qui concerne le recours aux références.
Ces catégories de dysfonctionnements pédagogiques doivent être confrontées à d'autres situations pédagogiques afin de mesurer leur prégnance ou leur saillance7. Cela permet de vérifier s'ils sont liés aux particularités du séminaire de structure observé ou s'ils peuvent être généralisés à d'autres contextes. Dans le cas où ils pourraient être généralisés, ils seront alors considérés comme incompressibles (Ismaïl,2016).
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1 L'approche constructiviste en recherche se concentre sur la manière dont les individus construisent activement leur compréhension du monde par l'interaction avec leur environnement. (Creswell,2014 ; Guba et al.,94). Retour au texte
2 La recherche multimodale se réfère à l'utilisation de plusieurs modes de collecte ou d'analyse des données en vue de fournir une compréhension plus complète et nuancée du phénomène étudié en combinant différentes perspectives et approches méthodologiques. Retour au texte
3 Cette étude prend un cas spécifique d’une école d’architecture qui adopte le système français. Retour au texte
4 Cités par Iordanova (2008) Retour au texte
5 https://enau.jimdofree.com/plaquette-des-enseignements/ Retour au texte
6 C’est un échantillonnage qu’on construit à travers un raisonnement qui permet de constituer le profil de personne (Jean Marie Van Der Maren, 2004). Retour au texte
7 Ces notions sont empruntées à René Thom (1988) et introduites par Dorra Ismail (2016). Retour au texte
Figure 1 : Moments clés du séminaire de structure (Ben Fatma, 2021)
Figure 2 : Extrait de l’énonce du séminaire de structure (source : énonce séminaire, année 2015/2016)
Figure 3 : Extrait des transcriptions des données (source : Ben Fatma, 2021)
Figure 4 : Différents outils de conceptions (source : Ben Fatma,2021)
Nourchen Ben Fatma et Dorra Ismail Dellagi, « Observation de dysfonctionnements pédagogiques dans un processus d’enseignement/apprentissage : cas d’un séminaire de structure en troisième année d’architecture », ModACT [En ligne], | 2024, document 4, mis en ligne le 28 novembre 2024, consulté le 23 février 2025. URL : http://popups.uliege.be/3041-4687/index.php?id=144
Ecole doctorale ‘Sciences et Ingénierie Architecturales’ (EdSIA), Université de Carthage (UCAR)
‘Equipe Epistémologie de l’architecture et Evenementialité’ EaE