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Impact du changement climatique et du barrage de Manantali sur la dynamique du régime hydrologique du fleuve Sénégal à Bakel (1950-2014)
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Le présent article a analysé la dynamique hydrologique du bassin du fleuve Sénégal à travers l’évolution du débit à la station hydrométrique de Bakel de 1950 à 2014. L’objectif est donc de montrer, à partir de la série chronologique de débits annuels, l’évolution du régime hydrologique du cours d’eau face au changement climatique et l’effet du barrage de Manantali sur l’hydrologie du fleuve Sénégal. Des évolutions ou des ruptures significatives sont mises en évidence et l’analyse de la série chronologique montre une diminution des modules (-46,3 %) et des crues (-48,5 %) et une très forte augmentation des étiages (1922 %) de 1950 à 2014. Tant pour les modules que pour les crues, tous les tests de rupture indiquent une cassure sur la décennie 1970 (période avant barrage) dans le sens d’une diminution des écoulements, alors que pour les étiages, la rupture est notée à partir de 1988 (après la mise en eau du barrage de Manantali) dans le sens d’une augmentation des écoulements.
Abstract
The present article analyzed the hydrological dynamics of the watershed of the Senegal River through the evolution of the flow in the hydrometric station of Bakel from 1950 to 2014. The objective thus is to show, from the chronological series of the annual flows, the evolution of the water regime of the stream in front of climate change and the effect of the dam of Manantali on the hydrology of the Senegal River. Evolutions or significant breaks are highlighted and the analysis of the chronological series shows a decrease of modules (46.3 %) and floods (48.5 %) and a very strong increase of low flows (1922 %) from 1950 to 2014. Both for the modules and for the floods, all the tests of break indicate a break on the decade 1970 (period before dam) in the direction of a decrease of the flows, while for low flows, the break is noted from 1988 (after the putting in water of the dam of Manantali) in the direction of an increase of the flows.
Inhoudstafel
I. INTRODUCTION
1L’étude des séries hydrométéorologiques revêt une grande importance en hydrologie et en climatologie. La sécheresse qui a débuté en Afrique de l’Ouest à la fin des années soixante a très rapidement attiré l’attention des chercheurs (Rodier et Roche, 1973; Roche et al., 1976; Nicholson et al., 2000) et les a conduits à s’interroger sur la pertinence des modèles admis classiquement et en particulier sur les hypothèses de stationnarité du climat (Hubert et Carbonnel, 1993).
2Diverses études mettent en évidence l’évolution des débits dans les cours d’eau sur la période récente. L’ampleur et la réalité de cette évolution dépendent des régions et des conditions hydro-climatiques. Il n’est par ailleurs pas toujours facile d’établir si l’origine de l’évolution constatée est liée à des modifications climatiques ou à des évolutions de l’occupation des sols (imperméabilisation), des pratiques agricoles, etc.
3Le fleuve Sénégal, le deuxième plus grand fleuve d’Afrique de l’Ouest, constitue un énorme espoir de par sa vitalité pour les populations des pays (la Guinée, le Mali, le Sénégal et la Mauritanie) qu'il traverse. Prenant sa source en territoire guinéen, il prend d'abord une direction nord en passant par des différentes zones climatiques (climats guinéen, soudanais et sahélien) avant de se jeter dans l'Océan Atlantique en territoire Sénégalais (Figure 1).
4Ce fleuve fait l'objet de nombreuses études tant hydrologiques que climatologiques depuis le début de ce vingtième siècle (Michel, 1973 ; Rochette, 1974 ; Dione, 1996 ; Sow 1984 et 2007 ; Faye, 2013 parmi d'autres). Le bassin du fleuve Sénégal à l’instar de toute la bande intertropicale a connu un bouleversement climatique depuis les années 1970 (Bodian, 2011). Ce bouleversement se traduit par une tendance générale à la baisse des débits et une variabilité hydrologique.
Figure 1. Localisation du haut bassin du fleuve Sénégal, des sous bassins et des stations hydrométriques de l’étude
5Dans le cadre de préparation à la mise en œuvre de la directive cadre sur les changements globaux, les changements climatiques notamment, les décideurs peuvent être intéressés par les évolutions attendues dans le futur. Cela peut permettre de proposer des mesures d’atténuation locales ou d’adaptation. Mais, avant de quantifier l’ampleur des évolutions futures, une étape préliminaire est déjà l’établissement d’un diagnostic sur les années passées et présentes, à partir des séries de données de débits existantes, afin d’identifier si des tendances sont déjà détectables. Pour ce faire, des tests statistiques permettent de détecter des ruptures ou des tendances linéaires à la baisse ou à la hausse et d’évaluer si les évolutions sont statistiquement significatives. On peut alors se poser la question du rôle d’une telle approche et de sa pertinence.
6Devant la succession d’épisodes extrêmes (crues et étiages), il est fréquent d’invoquer le changement climatique pour expliquer leur augmentation, sans toujours se baser suffisamment sur l’analyse des données. Cependant, avant toute conclusion, il convient d’aborder deux questions préalables : 1) les évolutions des débits constatées sont-elles statistiquement significatives ? 2) les évolutions des débits ou de l’écoulement sur la période récente pourraient-elles découler de ces changements ? Les données de débits sur ce bassin à la station de Bakel ont donc été analysées afin d’obtenir des premiers éléments de réponse à ces deux questions. Ainsi, cette étude se fonde sur une application de quelques tests et procédures existants qui permettent de caractériser la variabilité hydrométrique dans le bassin à la station de Bakel. Ces tests statistiques et procédures utilisés sont, entre autres, le test statistique de Pettitt et le test statistique de Mann-Kendall. Ces paramètres permettent de déterminer la continuité de la forte irrégularité hydrométrique et/ou de la sécheresse sur la période 1950-2014.
II. SITUATION GEOGRAPHIQUE ET DESCRIPTION DE LA ZONE D'ETUDE
7Long de quelques 1700 km, le fleuve Sénégal draine un bassin de 300 000 km2, à cheval sur quatre pays que sont, d’amont en aval, la Guinée, le Mali, le Sénégal et la Mauritanie (Figure 1). Il va de 10°20’ à 17° N et de 7° à 12°20’ W et est formé de plusieurs affluents, dont les principaux sont le Bafing, le Bakoye et la Falémé. Ces trois affluents prennent leurs sources en Guinée et forment le haut bassin qui produit plus de 80 % des apports du fleuve à Bakel (OMVS/Projet FEM/ BFS, 2008). Ce haut bassin est contrôlé par la station de Bakel. Le fleuve Sénégal ainsi formé par la jonction entre le Bafing et le Bakoye, reçoit la Kolimbiné puis le Karokoro sur la droite et la Falémé sur la gauche, à 50 km en amont de Bakel. Dans la partie Sud du bassin, la densité du réseau hydrographique de surface témoigne de la nature imperméable des terrains. Du point de vue topographie, le bassin est allongé du Sud vers le Nord, des massifs du Fouta Djalon (1445 m) aux étendues dunaires et sableuses du Nord, en Mauritanie et au Sénégal.
8Sur la base du relief qui est sans doute le facteur qui traduit le mieux la partition d’un bassin entre le cours supérieur aux hautes terres et les cours moyen et inférieur aux régions de plaines, le bassin du fleuve Sénégal est généralement découpé en trois entités (OMVS/Projet FEM/ BFS, 2008) : 1) le haut bassin : des sources du fleuve (le Fouta Djalon) à la confluence entre le fleuve Sénégal et la Falémé (en aval de Kayes et en amont de Bakel), 2) la vallée : de la confluence Fleuve Sénégal-Falémé à la limite traditionnelle de la remontée de la langue salée (Rosso Mauritanie), 3) le delta : de Rosso Mauritanie à l’embouchure du fleuve. Ce découpage est largement modifié par les deux grands barrages, celui de Diama dans la vallée et celui de Manantali sur le haut bassin.
9Le bassin du fleuve Sénégal, de manière générale, est bien doté en stations de mesures hydrométriques (Coly, 1996). Les archives des stations révèlent que les premières furent installées au début du 20ème siècle. Bakel, la station sur laquelle porte la présente étude est construite en 1901. Le suivi hydrologique du fleuve remonte à 1903 à Bakel. Cette échelle constitue la première génération d’échelles du bassin du Sénégal (Sow, 1984), et avait pour objectif l’acquisition de données de base pour la connaissance du régime et des modalités de l’écoulement dans le bassin. Cependant, ce suivi n’a concerné que les hautes eaux en période de crue jusqu’en 1950. A partir de 1951, les relevés des cotes du plan ont été quotidiens. On dispose donc maintenant d’une longue série de valeurs (plus de 60 ans). A la station de Bakel, le Sénégal a déjà reçu la quasi-totalité de ses affluents.
10La station de Bakel située à la frontière du Sénégal et du Mali, draine un bassin versant de 218 000 km2 et intègre les conditions climatiques d’une vaste région de l’Afrique de l’Ouest (Figure 1). Les débits du fleuve Sénégal à la station de Bakel sont pour une part reconstitués puisque, depuis 1987, ils sont influencés par l’exploitation du barrage de Manantali (Hubert et al., 2007). A Bakel, souvent considérée comme la station de référence du fleuve Sénégal et située à l’aval du dernier affluent important (la Falémé, Figure 1), le débit moyen annuel du fleuve est d’environ 676 m3/s, correspondant à un apport annuel de l’ordre de 21 milliards de m3 (OMVS et HYCOS, 2007). Le haut bassin du fleuve Sénégal, à la station de Bakel, est étudié depuis longtemps et constitue d’ailleurs l’une des parties du bassin les mieux étudiées.
11Ces différentes études (Dione, 1996 ; Ardoin, 2004 ; Hubert et al., 1989 ; Nicholson et al., 2000 ; Paturel et al., 2003), en montrant les effets des changements climatiques sur les modifications du régime hydrologique du fleuve Sénégal, ont indiqué un amenuisement des débits au niveau des différentes stations du bassin. Elles évoquent ainsi l’apparition d’une cassure observée aux environs de 1970 comme notée assez souvent sur quelques fleuves africains (Servat et al., 1998 ; Sighomnou, 2004 ; L’Hôte et al., 2003 ; Malou, 2004 ; Goula et al., 2005 ; Sow, 2007), est-européens et latino-américains (Milly et al., 2005). Par contre, ces tendances à la baisse sont opposées à celles notée sur les fleuves d’Amérique du Sud (Genta et al., 1998 ; Callède et al., 2004), de la Chine (Tao et al., 2003), de la Finlande (Hyvarinen, 1998), des 48 Etats contigus des États-Unis (Walter et al., 2004). D’autres auteurs (Sambou et al., 2009) ont évoqué les aménagements en indiquant les effets de la gestion du barrage de Manantali sur la dynamique de l’écoulement dans le bassin.
12Par rapport à ces divers travaux antérieurs, la méthode proposée ici est originale et intéressante car elle se base sur les conditions passées et présentes de l’écoulement pour déterminer le poids des aménagements et/ou des changements climatiques sur la dynamique hydrologique des rivières du haut bassin du fleuve Sénégal. Cet article recèle certains intérêts majeurs : sur le plan hydrologique, il caractérise et compare la variabilité de l’écoulement des régimes hydrologiques naturels et contrôlés du haut bassin, ainsi que les facteurs (naturels ou anthropiques) responsables ; sur le plan de la gestion et de l'aménagement des bassins, il permet de déterminer la responsabilité de chaque facteur sur la variabilité de l’écoulement. Cette approche n'est donc pas négligeable dans le contexte actuel de changement climatique, de pression anthropique accrue et d’aménagements sur les ressources en eau.
III. DONNEES ET METHODES
A. Données
13Il est à rappeler ici que les tests envisagés doivent être appliqués sur des séries de données d’au moins 30 à 40 ans, si possible sans lacunes importantes, si on veut pouvoir détecter des évolutions significatives. C’est pourquoi, les données utilisées devaient respecter deux critères importants : la longueur des chroniques d’une part (couvrir la plus grande période de temps possible), la qualité des données d’autre part (le moins de données manquantes possible mais aussi la stabilité et fiabilité de la courbe de tarage). Ce qui a été le cas à la station de Bakel, station retenue pour ladite étude. Les données hydrométriques ont été mises à notre disposition par l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS). Avec ces données de débits journaliers (de 1950 à 2014), sont calculés les modules annuels (débit moyen annuel), les crues (DMAX ou débit maximum annuel) et les étiages (DMIN ou débit minimum annuel) soumis aux tests statistiques.
B. Méthodes
14Les méthodes utilisées pour cette étude sont basées sur la détection de rupture dans les séries des débits annuels. Les séries chronologiques homogénéisées ont été analysées avec le logiciel XLStat, pour la détection de rupture et de tendance. Il s’agit de tests de détection de ruptures et de tendances. La détection de rupture utilise le test non paramétrique de Pettitt et la détection de tendances linéaires à la baisse ou à la hausse utilise le test de Mann-Kendall.
1. Test de Pettitt
15Le test de Pettitt (Pettitt, 1979) examine l'existence d'une rupture à un instant inconnu de la série à partir d'une formulation dérivée de celle du test de Mann-Whitney. Ce test est plus particulièrement sensible à un changement de moyenne et, si l'hypothèse nulle d'homogénéité de la série est rejetée, il propose une estimation de la date de rupture. Le test repose sur les signes des différences entre valeurs qui forment l’échantillon. Une série temporelle résultante est élaborée. La valeur p de la statistique permet de savoir si cette rupture est statistiquement significative au seuil.
2. Test de Mann-Kendall
16Le test de Mann-Kendall est un test statistique non-paramétrique pour détecter la présence d’une tendance linéaire (à la hausse ou à la baisse) au sein d’une série chronologique en absence de toute saisonnalité ou autres cycles. Ce test de tendance non paramétrique a d'abord été étudié par Mann (1945) puis repris par Kendall (1975) et amélioré par Hirsch et al. (1984) qui a permis de prendre en compte une composante saisonnière. La robustesse du test a été validée par plusieurs essais de comparaison effectués par Yue et Wang (2004). Dans le cas de variables autocorrélées, le test de Mann-Kendall doit être modifié pour prendre en compte l’effet de l’autocorrélation (Yue et Wang, 2004 ; Renard et al., 2006).
17Ces deux méthodes ont été successivement appliquées à chacune de nos séries et les différents résultats obtenus présentés sous forme de tableaux et de figures.
IV. RESULTATS ET DISCUSSION
18Dans cette étude, l’analyse de la variabilité et des tendances de l’écoulement du bassin est principalement basée sur la station de Bakel qui contrôle l’ensemble du haut bassin versant du fleuve Sénégal. D’autres stations comme Kidira dans le bassin de la Falémé, Oualia dans le bassin du Bakoye et Bafing-Makana dans le bassin du Bafing sont associées à l’analyse pour la caractérisation de l’impact du barrage de Manantali sur les débits du fleuve. Les modules, les crues et les étiages annuels de la station de Bakel sont soumis à six différents tests de détection de tendance et de rupture. Cette étude est principalement basée sur le test statistique de Pettitt et le test statistique de Mann-Kendall. Les résultats de ces différents tests sont présentés au Tableau 1.
Tableau 1. Résultats des tests statistiques de Pettitt et de Mann-Kendall sur les indicateurs analysés dans le bassin du fleuve Sénégal de 1950 à 2014
Débits |
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||
Modules |
0,0005 |
-0,30 |
présence de tendance |
baisse |
< 0,0001 |
1971 |
présence de rupture |
-46,3 |
||||||||||||||||||||||||||||
Crues |
< 0,0001 |
-0,34 |
présence de tendance |
baisse |
< 0,0001 |
1975 |
présence de rupture |
-48,5 |
||||||||||||||||||||||||||||
Etiages |
< 0,0001 |
0,38 |
présence de tendance |
hausse |
< 0,0001 |
1988 |
présence de rupture |
1922 |
19L’analyse de ces résultats permet de constater que les séries analysées suivent une loi normale et présentent toutes des ruptures et/ou des tendances significatives.
A. Evolution des modules
20Le débit moyen annuel ou module annuel à la station de Bakel est de 592 m3/s de 1950 à 2014. Toutefois, l’évolution des modules montre une grande variabilité de l’écoulement pour un débit maximal moyen annuel de 1159 m3/s en 1950-51 et un débit minimal moyen annuel de 226 m3/s en 1988-89. Les débits du fleuve Sénégal présentent d’importantes fluctuations dont les conséquences sur l’environnement sont multiples, d’où l’intérêt d’étudier les tendances.
Figure 2. Evolution, tendance et rupture sur les modules annuels à la station de Bakel de 1950 à 2014
21Sur la courbe d’évolution, on note les modules les plus importants de 1950 à 1971 suivis d’une diminution et une stabilisation de 1972 jusqu’aux environs de l’année 1990-91. A partir de cette année, les modules ont connu une hausse jusqu’en 2014 (Figure 2). La baisse des modules sur la période 1972 à 1991 est en corrélation avec la décroissance de la pluviométrie des décennies 1970, 80 et 90 en Afrique de l’Ouest (Ozer et al., 2003 ; Faye, 2013 ; Faye et al., 2015). Les deux tests calculés pour la série des modules (Tableau 1) indiquent tous la présence d’une tendance et/ou rupture.
22Le test de rupture de Pettitt indique une cassure en 1971 au seuil de confiance de 99 %, les débits diminuant après cette date comme en atteste la valeur p de probabilité. Ces observations sont en phase avec les résultats d’un certain nombre de travaux, parmi lesquels nous pouvons citer Servat et al. (1998), L’Hôte et al. (2003), Sighomnou (2004), Malou (2004), Sow (2007) qui situent la plupart des ruptures entre la fin de la décennie 1960 et le début de la décennie 1970, dans la sous région de l'Afrique Occidentale et Centrale, contrairement aux fleuves d’Amérique du Sud (Genta et al., 1998).
23Cette valeur p de probabilité (< 0,0001) est inférieure au seuil de signification (qui est de 0,01), ce qui est statistiquement significatif. La variation de moyenne dans les deux séries hydrométriques (1950-1971 et 1972-2014) a entraîné un déficit de 46,3 % à la station de Bakel, ce qui est élevé et montre un impact beaucoup plus fort de la sécheresse sur les débits (Servat et al., 1998 ; Goula et al., 2005). En effet, le déficit hydrologique qui en a résulté est plus accentué que le déficit pluviométrique et expliquerait la forte sensibilité des cours d’eau aux variations climatiques (Sighomnou, 2004), y compris le fleuve Sénégal. En Afrique, cette rupture à partir de 1970 s’explique par la pluviométrie annuelle au Sahel (L’Hôte et al., 2003) dont la diminution a causé une sévère sécheresse. Cette cassure est également observée sur d’autres bassins d’Afrique comme le bassin de la Gambie (Sow, 2007), les bassins du N’zo et du N’zi (Goula et al., 2005), le bassin du Niger (Olivry et al., 2005). Toutefois, sur certains cours d’eau, il n’y a pas de rupture : c’est le cas de l’Ogoué à Lambaréné au Gabon (selon Callède et al., 2004) et de la Cuyuni à Kamaria Falls (Guyana).
24Les résultats du test de Pettitt sont confirmés par le test de Mann-Kendall dont le τ de Kendall décèle une relation négative entre les modules et le temps, indiquant une diminution des modules sur la période étudiée. Les résultats statistiques obtenus indiquent une valeur négative du τ de Kendall qui est de -0,30. Cela montre une tendance significative à la baisse des modules à la station de Bakel, la valeur p de probabilité (de 0,0005) étant inférieure au seuil de signification qui est de 0,01. Un ajustement linéaire de toute la série de débits confirme cette tendance significative assez grande. A la station de Bakel, cette tendance est de -0,30 m3/s/an et correspond à une diminution de l’ordre de -606 m3/s sur la période totale analysée (1954-2014) par rapport à la moyenne. Ainsi, cette tendance à la baisse statistiquement significative à la station de Bakel a montré un changement significatif des volumes d’eau écoulés au niveau de confiance de 99 %. Cela est en accord avec d'autres études faites sur la détection de tendances dans les eaux de ruissellement (Nyoni, 2007 ; Chingombe et al., 2013).
B. Evolution des crues
25L’analyse des DMAX de 1950 à 2014 indique, en relation avec les modules, une baisse relative et une importante variabilité à la station de Bakel avec une valeur moyenne de 3591 m3/s pour une valeur maximale de 7546 m3/s en 1958-59 et une valeur minimale de 821 m3/s en 1990-91, soit un écart très élevé. La courbe d’évolution (Figure 3) indique une rupture depuis 1975 entrainant des modifications très importantes au régime de crues qui paraissait plus ou moins régulier de 1950 à 1975. Une tendance et/ou rupture est indiquée sur les deux tests calculés pour la série des DMAX (Tableau 1).
Figure 3. Evolution, tendance et rupture sur les crues annuelles à la station de Bakel de 1950 à 2014
26Par rapport aux crues, le test de rupture de Pettitt indique une rupture en 1975. A partir de cette date, les débits de crues ont connu une baisse relative avec une valeur p de probabilité (de < 0,0001) inférieure au seuil de signification qui est de 0,01 %. L’importance des fluctuations des DMAX entre la période 1950-1975 et 1976-2014 est illustrée par un déficit de l’ordre de 48,1 %, ce qui est élevé. Le test de Mann-Kendall calculé pour les DMAX confirme la rupture notée par le test de Pettitt.
27Avec le test de Mann-Kendall, la tendance négative notée sur les modules se confirme. Cette tendance à la baisse est statistiquement très significative sur les débits maximaux (DMAX) analysés, la valeur p de probabilité étant inférieure au seuil de signification qui est de 0,01. Bien que la courbe de tendance des crues soit un peu semblable à celle des modules annuels, la tendance est néanmoins plus importante sur les DMAX que sur les modules. Cette tendance à la baisse des DMAX est de l’ordre de -0,34 m3/s/an soit une diminution de -684 m3/s par rapport à la moyenne. Cette tendance notée sur les crues est donc statistiquement significative à la station de Bakel et témoigne de leur forte baisse.
28De façon générale, de 1950 à 1975, la tendance est à la stabilité. Mais à partir de 1976, la tendance est à la baisse. La diminution générale des débits de crues, significative sur la période 1950–2014, est de 48,5 %. Le test de rupture indique également une cassure en 1975. La corrélation entre modules et crues est très bonne, le coefficient de corrélation linéaire étant égal à 0,85.
C. Evolution des étiages
29L’analyse des DMIN permet de distinguer trois phases distinctes (Figure 4). La première phase va de 1950-51 à 1973-74 durant laquelle le débit moyen d’étiage est de 7,1 m3/s pour un maximum de 28,2 m3/s (en 1955-56) et un minimum de 0,9 m3/s (en 1971-72). La deuxième phase se situe entre 1974-75 à 1988-89 et constitue la période durant laquelle l’écoulement du bassin à la station de Bakel est saisonnier, le fleuve se tarissant durant une partie de l’année. La troisième et dernière phase commence à partir de 1989-90 jusqu’en 2013-14 et est marquée par une hausse considérable des débits d’étiage avec la mise en place du barrage de Manantali qui a régulé le fleuve Sénégal. Durant cette phase, le débit moyen d’étiage est de 90,9 m3/s pour une valeur maximale de 180,2 m3/s (en 2012-13) et une valeur maximale de 11,8 m3/s (en 1993-94).
Figure 4. Evolution, tendance et rupture sur les étiages annuels à la station de Bakel de 1950 à 2014
30Le test de rupture de Pettitt appliqué aux étiages indique une rupture dans la série à partir de 1988, année qui correspond avec la mise en eau du barrage de Manantali. Dès la mise en fonction du barrage, les débits d’étiages ont connu une forte hausse avec une valeur p de probabilité (de < 0,0001) inférieure au seuil de signification de 0,01 %. Entre la période 1950-1988 et la période 1989-2014, un fort excédent de 1922 % est noté, ce qui est très élevé.
31Le test de Mann-Kendall indique aussi une tendance dans la série. Contrairement aux modules et aux crues, la tendance détectée sur les étiages est positive. Cette tendance à la hausse y est statistiquement très significative sur les débits minimaux (DMIN), la valeur p de probabilité étant inférieure au seuil de signification qui est de 0,01. La tendance à la hausse des DMIN est de l’ordre de 0,38 m3/s/an soit une augmentation de 755 m3/s par rapport à la moyenne. Cette tendance statistiquement très significative à la station de Bakel, indique une forte augmentation des débits des étiages. Le τ de Kendall très significatif montre donc qu’il y a une forte évolution des étiages sur la période 1950-2014 du fait de leur forte hausse récente. L’évolution de la courbe de tendance des DMIN s’oppose à celle des modules et des DMAX, surtout à partir de 1988.
D. Influence du barrage de Manantali sur les débits de la station de Bakel
32Le barrage de Manantali, construit sur le Bafing, contrôle la majeure partie des écoulements du fleuve Sénégal passant par Bakel. Il permet de régulariser le cours d’eau en vue de remplir différents objectifs : irrigation, navigation, production d’électricité, etc (OMVS/FEM, 2008). Pour étudier l’effet du barrage sur l’hydrologie du fleuve Sénégal à la station de Bakel, nous avons raccourci les séries pour vérifier si des ruptures allaient être détectées après la mise en eau du Barrage (Tableau 2). Cela est dû au fait que les tests d’homogénéité sur les modules et les crues détectent tous une rupture antérieure à la mise en service du barrage.
Tableau 2. Résultats des tests statistiques de Pettitt et de Mann-Kendall sur les indicateurs analysés dans le bassin du fleuve Sénégal de 1970 à 2014
Débits |
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||
Modules |
0,04 |
0,22 |
présence de tendance |
hausse |
0,0054 |
1993 |
présence de rupture |
38,3 |
||||||||||||||||||||||||||||
Crues |
0,33 |
0,10 |
absence de tendance |
stable |
0,1902 |
absence de rupture |
1,6 |
|||||||||||||||||||||||||||||
Etiages |
< 0,0001 |
0,62 |
présence de tendance |
hausse |
< 0,0001 |
1989 |
présence de rupture |
3817 |
33Les tests statistiques d’homogénéité disponibles ont donc finalement été appliqués aux séries des modules, des crues et des étiages de la station de Bakel, en aval du barrage, de 1970 à 2014 (Figure 5). Les tests d’homogénéité sur les séries des modules et des étiages détectent tous une rupture postérieure à la mise en eau du barrage, mais pas sur les DMAX.
34- Sur la série des modules, les évolutions significatives détectées ont une tendance à la hausse avec un τ de Kendall significatif de 0,22. Le test de rupture de Pettitt indique une rupture en 1993 et l’excédent entre la période 1970-1993 et la période 1994-2014 est de l’ordre de 38,3 %, ce qui est très élevé.
35- Sur la série des étiages, l’impact du barrage est plus apparent et la rupture est arrivée plus tôt, en 1989 (une année après la mise en eau du barrage). L’excédent de la période 1990-2014 par rapport à la période 1970-1989 est énorme (3817 %). L’évolution est très significative avec une tendance fortement à la hausse, comme en atteste un τ de Kendall élevé (0,62).
36- Sur les crues, on note une absence de tendance et donc de période de rupture pour les deux tests de l’étude (Mann-Kendall et Pettitt).
37L’analyse simple de l’évolution interannuelle de la Figure 5 et des Tableaux 3 et 4 s’est donc avérée insuffisante pour juger de l’effet du barrage, car la rupture dans la série peut avoir deux origines : changement climatique ou influence du barrage (Sambou et al., 2009). En effet, une hausse des débits est notée même dans les stations du bassin qui ne sont pas sous l’influence du barrage (Kidira sur la Falémé, Oualia sur le Bakoye et Bafing-Makana sur le Bafing en amont du barrage). Ainsi une question est soulevée : la hausse des modules ces dernières années est-elle strictement liée à l’action du barrage ? Les conditions pluviométriques plus ou moins favorables ne peuvent-elles pas en être à l’origine ?
Figure 5. Evolution, tendance et rupture sur les modules, les crues et les étiages annuels à la station de Bakel de 1970 à 2014
38Pour répondre à ces questions, des tests d’homogénéité sont effectués sur les séries de modules des stations principales qui contrôlent des trois principaux affluents du fleuve Sénégal (le Bafing, le Bakoye, la Falémé) qui ne sont pas sous influence du barrage (Tableau 3) sur la même période (1970-2014). Nous rappelons que le débit passant par Bakel provient du Bafing, mais également des affluents non contrôlés que sont le Bakoye et la Falémé.
Tableau 3. Résultats des tests statistiques sur les indicateurs analysés dans le bassin du fleuve Sénégal de 1970 à 2014
Stations |
|
|||||||||||||||||||||||||||||||||||
Oualia |
0,11 |
0,17 |
absence de tendance |
stable |
0,0098 |
1993 |
présence de rupture |
54,3 |
||||||||||||||||||||||||||||
Bafing-Makana |
0,005 |
0,30 |
présence de tendance |
hausse |
0,0003 |
1993 |
présence de rupture |
26,6 |
||||||||||||||||||||||||||||
Kidira |
0,03 |
0,24 |
absence de tendance |
stable |
0,0055 |
1993 |
présence de rupture |
58,9 |
39Bien que le test de Pettitt indique une rupture en 1993 (tout comme à la station de Bakel) sur les trois stations (Kidira sur la Falémé, Oualia sur le Bakoye et Bafing-Makana sur le Bafing en amont du barrage), le test de Mann-Kendall marque l’absence d’une tendance sur deux de ces stations. Il s’agit de Kidira sur la Falémé et Oualia sur le Bakoye. Seule la station de Bafing-Makana sur le Bafing en amont du barrage connait une tendance un peu significative avec un τ de Kendall de 0,30. Sur cette station, l’excédent entre la période 1970-1993 et la période 1994-2014, de l’ordre de 26,6 %, est plus faible comparé à celui noté à la station de Bakel (qui est de 38,3 %).
40Cette différence en faveur de Bakel peut être liée à l’action du barrage de Manantali. Cependant, les stations de Kidira et d’Oualia ont, quant à elles, enregistré un excédent supérieur à celui de Bakel avec respectivement 58,9 % et 54,3 %. Pourtant, elles ne subissent l’influence d’aucun barrage, mais celle d’une pluviométrie plus ou moins excédentaire qui présage d'une amélioration du régime hydrologique (Ali et al., 2008 ; Ouoba, 2013 ; Bodian, 2014). Néanmoins, d’autres travaux (L'Hôte et al., 2003 ; Frappart et al., 2009) indiquent une pluviométrie toujours déficitaire. Avec la hausse de la pluie du bassin, le rôle du barrage de Manantali comme le principal responsable de la hausse des débits est en partie entravée. Ainsi la seule évolution annuelle s’avère insuffisante pour identifier le véritable rôle du barrage de Manantali dans cette hausse des débits écoulés. Pour ce faire, les débits mensuels ont été utilisés et soumis aux mêmes tests d’homogénéité. Les résultats sont donnés dans le Tableau 4.
Tableau 4. Résultats des tests statistiques sur les débits mensuels dans le bassin du fleuve Sénégal de 1950 à 2014
STATION DE BAFING-MAKANA |
M |
J |
J |
A |
S |
O |
N |
D |
J |
F |
M |
A |
AN |
||||||||||||||||||||||||||||||||
Test de Mann-Kendall |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Test de Pettitt |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
CMD |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Comparaison |
- |
- |
+ |
+ |
+ |
- |
- |
- |
= |
- |
= |
- |
|||||||||||||||||||||||||||||||||
STATION D’OUALIA |
M |
J |
J |
A |
S |
O |
N |
D |
J |
F |
M |
A |
AN |
||||||||||||||||||||||||||||||||
Test de Mann-Kendall |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Test de Pettitt |
Date de rupture |
1970 |
1985 |
1975 |
1974 |
1971 |
1971 |
1971 |
1971 |
1972 |
1972 |
1972 |
1972 |
- |
|||||||||||||||||||||||||||||||
Déficit en % |
-100 |
-59 |
-38 |
-48 |
-60 |
-73 |
-79 |
-88 |
-94 |
-96 |
-98 |
2511 |
-58 |
||||||||||||||||||||||||||||||||
CMD |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Comparaison |
= |
- |
+ |
+ |
+ |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
|||||||||||||||||||||||||||||||||
STATION DE KIDIRA |
M |
J |
J |
A |
S |
O |
N |
D |
J |
F |
M |
A |
AN |
||||||||||||||||||||||||||||||||
Test de Mann-Kendall |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Test de Pettitt |
Date de rupture |
1967 |
1969 |
1971 |
1974 |
1971 |
1969 |
1969 |
1969 |
1976 |
1976 |
1976 |
1971 |
- |
|||||||||||||||||||||||||||||||
Déficit en % |
-100 |
-84 |
-48 |
-53 |
-54 |
-50 |
-56 |
-64 |
-53 |
-45 |
-64 |
-85 |
-53 |
||||||||||||||||||||||||||||||||
CMD |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Comparaison |
= |
- |
- |
- |
+ |
+ |
+ |
= |
- |
= |
- |
- |
|||||||||||||||||||||||||||||||||
STATION DE BAKEL |
M |
J |
J |
A |
S |
O |
N |
D |
J |
F |
M |
A |
AN |
||||||||||||||||||||||||||||||||
Test de Mann-Kendall |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Test de Pettitt |
Date de rupture |
1988 |
1991 |
1969 |
1975 |
1971 |
1969 |
1969 |
1969 |
1970 |
1991 |
1990 |
1988 |
- |
|||||||||||||||||||||||||||||||
Déficit en % |
1954 |
185 |
-31 |
-49 |
-51 |
-63 |
-52 |
-46 |
-41 |
104 |
311 |
878 |
-43 |
||||||||||||||||||||||||||||||||
CMD |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Comparaison |
+ |
+ |
+ |
- |
- |
- |
- |
+ |
+ |
+ |
+ |
+ |
41CMD (coefficient mensuels de débits) ; les signes (+), (-) et (=) indiquent respectivement un gain, une perte et une égalité sur le CMD du mois après l’année de la mise en place du barrage ; les valeurs des CMD en gras indiquent les périodes de hautes eaux ; le déficit est calculé avec les débits moyens de part et d’autre de la date de rupture.
42À l’échelle mensuelle (Tableau 4), le test statistique de Pettitt indique, pour la station de Bakel, une rupture dans les séries des débits mensuels tantôt antérieure, tantôt postérieure à la mise en eau du barrage de Manantali, selon que l’on soit en crue ou en décrue (Sambou et al., 2009). La rupture se produit après la mise en eau du barrage, pour les mois de février à juin, et avant la mise en eau du barrage pour les mois de juillet à janvier. Cette rupture se fait toujours dans le sens d’une diminution des écoulements si elle se produit avant la mise en eau du barrage et dans le sens d’une augmentation des écoulements si elle se produit après la mise en eau du barrage. Toutefois, le test de Mann-Kendall indique l’absence de tendance pour les mois de janvier, février et juillet. Par comparaison aux stations de Kidira, Oualia et Bafing-Makana (qui ne subissent pas l’influence du barrage de Manantali), la rupture se produit toujours avant la mise en eau du barrage et s’accompagne d’une diminution des écoulements pour les mois.
43L’analyse du Tableau 4 met en exergue l’action de laminage des crues et de soutien des débits faibles du barrage de Manantali, comme en attestent les coefficients mensuels de débits (CMD) de la station de Bakel. La comparaison des CMD entre la période 1950-1987 (période avant barrage) et la période 1988-2014 (période après barrage) indique une différence du nombre de mois de hautes eaux (c'est-à-dire mois à CMD > 1). Sur la période 1950-1987, le nombre de mois de hautes eaux est de 3, alors que sur la période 1988-2014, il est de 4. Cette différence s’explique par les effets du barrage sur la période 1988-2014, alors que sur la période 1950-1987, le fleuve avait un écoulement naturel. Quant aux stations de Kidira, Oualia et Bafing-Makana dont l’écoulement reste toujours naturel, le nombre de mois de hautes eaux est toujours égal entre les deux périodes : 3 mois aux stations de Kidira et Oualia (il s’agit du régime fluvial tropical pur) ; 4 mois à la station de Bafing-Makana (c’est le régime fluvial tropical de transition). Ainsi, la mise en eau du barrage de Manantali change le régime du bassin à la station de Bakel qui passe d’un régime fluvial tropical pur (avant barrage) à un régime fluvial tropical de transition (après barrage).
44Le barrage entraine une augmentation des débits mensuels sur la période de basses eaux (c'est-à-dire CMD < 1) et une diminution des débits mensuels sur la période de hautes eaux. En période d’étiage, le fleuve, en régime naturel, pouvait se tarir complètement lors de certaines années, alors que le soutien d’étiage du barrage permet d’y maintenir un volume important. Eu égard à l’écart appréciable pendant la période de décrue, la rupture détectée par les tests ne relève plus du tout du changement climatique mais probablement du soutien d’étiage qui permet de maintenir dans le cours d’eau un débit suffisamment important et d’éviter son éventuel tarissement quasi complet. C’est pourquoi, les opérations de gestion en période de crue (stockage dans le réservoir de Manantali) provoquent bien une diminution des débits mensuels sur la période de hautes eaux.
45La Figure 6 procède à une comparaison de l’évolution des écarts de débits moyens mensuels entre la période 1950-1987 et la période 1989-2014 aux stations de Bakel, de Kidira, d’Oualia et de Bafing-Makana. Il ressort de la comparaison des écarts de coefficients mensuels de débits de la station de Bakel (contrairement à Kidira, Oualia et Bafing-Makana où toutes les ruptures détectées sont strictement dues au changement climatique) que :
46Pour la période de hautes eaux, la rupture dans les séries chronologiques des débits mensuels, dont l’ampleur est très importante, peut être imputable au changement climatique : il est donc bien probable que la diminution des débits de crues puisse correspondre à une modification du régime des précipitations ou du climat au cours de cette même période ;
47Pour la période de basses eaux, cette rupture dans les séries des débits mensuels provient de l’influence du barrage : alors que le fleuve pouvait tarir complètement certaines années en régime naturel, le soutien d’étiage permet d’y maintenir un volume important pour l’irrigation (Sambou et al., 2009).
48Ecarts positifs
49Ecarts négatifs
50Bassin contrôlé
51Bassins naturels
Figure 6. Evolution comparée des écarts de coefficients mensuels de débits entre 1950-1987 et 1988-2014 aux stations de Bakel, de Kidira, de Oualia et de Bafing-Makana
52De façon générale, le signal du changement climatique a été si fort, à l’échelle annuelle, qu’il a masqué l’effet du barrage sur le régime hydrologique. En revanche, à l’échelle mensuelle (la période de basses eaux notamment), la rupture détectée relève des opérations de gestion du barrage. Ainsi, elle correspond non plus au changement climatique, mais au soutien des étiages du barrage qui permet de maintenir dans le fleuve un débit suffisamment important et d’éviter son éventuel tarissement.
V. CONCLUSION GENERALE
53Pour caractériser la dynamique hydrologique du bassin du fleuve Sénégal, cet article avait comme objectif de mettre en évidence, sur la base de deux tests statistiques d’homogénéité, l’action naturelle (effet du changement climatique) et celle anthropique (influence du barrage de Manantali) sur les importantes modifications de son régime d’écoulement. Les séries de débits moyens annuels (modules, crues et étiages) et mensuels calculés à partir des débits journaliers observés au niveau de la station de Bakel sur la période de 1950 à 2014 ont été utilisées. Des stations comme Kidira, Bafing-Makana et Oualia ont été associées à l’analyse. L’analyse des paramètres mis en jeu (modules, crues et étiages) très variables dans le temps et dans l’espace, a mis en évidence l’influence du changement climatique et celle de la gestion du barrage de Manantali sur l’écoulement du bassin.
54A l’échelle annuelle, à la station de Bakel, les tests statistiques d’homogénéité ne permettent pas de détecter les modifications du régime hydrologique dues au barrage. Ainsi, sur les séries allant de 1950 à 2014, les ruptures détectées sont antérieures au barrage et aucune d’elles ne s’est manifestée, ou pas encore après sa mise en eau. Toutefois, l’analyse des débits annuels montre avec beaucoup de constance l’existence d’une rupture au début des années 1990 (plus précisément en 1993) si les tests statistiques sont effectués sur les séries allant de 1970 à 2014. Ce résultat semble suffisant pour supposer la présence, depuis quelques années, d’une nouvelle phase climatique à l’échelle du bassin du fleuve Sénégal. Mais, à l’échelle mensuelle, les tests statistiques détectent une rupture en 1989 et mettent bien en évidence le soutien des étiages en période de basses eaux. En revanche, sur la période de hautes eaux, l’effet de la gestion du barrage sur le régime hydrologique n’est pas illustré par les tests aux échelles mensuelle et annuelle car masqué par le fort signal du changement climatique.
55Face au double rôle du changement climatique et de la gestion du barrage sur les débits, cette étude montre les difficultés des tests statistiques d’homogénéité, à eux seuls, à déceler les effets de chacun (changement climatique et barrage) sur le régime hydrologique à Bakel. Il faut alors les combiner à d’autres approches, par exemple reprendre les analyses de tendance en y incluant les données de précipitations des années récentes et des états de surfaces. Il sera donc important de connaître la dynamique de l’occupation du sol, dans un contexte de changement climatique, et son impact sur l’écoulement dans le bassin, ce qui est aujourd’hui possible avec les techniques de télédétection.
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Om dit artikel te citeren:
Over : Cheikh FAYE
Département de Géographie,
Laboratoire de Géomatique et d’Environnement,
Université Assane Seck de Ziguinchor,
BP 523 Ziguinchor (Sénégal),
cheikh.faye@univ-zig.sn