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- Compte-rendu : Jean-Paul BORD (2012). L’univers des cartes. La carte et le cartographe. Collection Mappemonde. Paris : Belin, 208 p. ISBN 978-2-7011-5781-8. ISSN 1275-2975.
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Compte-rendu : Jean-Paul BORD (2012). L’univers des cartes. La carte et le cartographe. Collection Mappemonde. Paris : Belin, 208 p. ISBN 978-2-7011-5781-8. ISSN 1275-2975.
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Version PDF originaleL’auteur
1Jean-Paul Bord se présente comme géographe-cartographe, enseignant et chercheur. Il est professeur à l’Université Paul Valéry (Montpellier 3), où il est responsable du Master « Géomatique » (Master co-habilité entre les départements d’informatique de l’Université Montpellier 2 et géographie-aménagement de l’Université Montpellier 3) et membre de l’UMR GRED (Gouvernance, Risque, Environnement, Développement).
2C’est un élève de Jacques Bertin (Laboratoire de graphique de Paris), ex-directeur de l’Atelier de cartographie de l’Université de Tours, qui à travers de multiples publications, a cherché à sensibiliser les étudiants à la graphique (Bord, 1984, 1998 ; Bord & Blin, 1995). Tout en restant fidèle à cette ligne de conduite, il porte ensuite sa réflexion sur les relations entre géographie et cartographie, entre géographes et cartographes (Bord, 2000 ; Bord & Baduel 2004). Il s’ensuit une définition des « concepts de base » de la cartographie, une vision holistique de la démarche cartographique, qui l’amène à une réflexion sur une théorie de la connaissance cartographique dont cet ouvrage rend largement compte. Enfin, durant la dernière décennie, il est comme nous tous confronté à « l’explosion cartographique » qui culmine avec sa diffusion sur le Web. Ceci l’amène à poser plusieurs constats qui sont le point de départ de l’ouvrage, mais qui sont aussi la source d’une nouvelle série d’interrogations sur les relations entre cartographie et géomatique, cartographes et géomaticiens (Bord, 2008, 2010), évoquées également dans ce livre.
L’ouvrage
3L’ouvrage est composé de deux parties distinctes, chacune divisée en 3 chapitres, suivis d’une conclusion partielle. Le tout est complété par une discussion sur quelques questions récurrentes et par une conclusion générale. De nombreuses notes émaillant le texte sont rassemblées en fin d’ouvrage, avant une bibliographie assez riche mais presque exclusivement francophone.
4Le livre débute sur plusieurs constats, présentés comme autant de postulats :
5- Parmi les multiples « images géographiques » actuellement disponibles, la carte occupe une position ambiguë.
6- Malgré la multiplication des outils informatiques, la difficulté de réalisation d’une carte reste constante.
7- Pour le grand public la carte reste essentiellement un outil de localisation (constat renforcé en France par le fait que, qui dit « carte », dit « IGN »).
8- Les relations entre carte et géographie ne sont pas aussi automatiques qu’on pourrait l’imaginer, notamment dans l’enseignement secondaire de la géographie où les historiens (majoritaires en France) paraissent mal à l’aise vis-à-vis de toute carte qui voudrait dépasser le rôle d’illustration – localisation.
9De plus, revisitant les définitions multiples de la carte, l’auteur en arrive au constat qu’elle constitue, pour beaucoup, une construction culturelle complexe, plutôt qu’un produit des règles de la géométrie et de la raison (sic). L’auteur note en outre un tournant épistémologique, dont témoigne un nombre significatif de publications récentes, critiquant et contestant la subjectivité, voire dénonçant la manipulation de l’information cartographiée. Il en appelle dès lors à une réflexion sur la théorie de la connaissance cartographique.
10Le second chapitre, le plus long de l’ouvrage, présente une approche personnalisée de la démarche cartographique (limitée aux cartes traditionnellement qualifiées de « thématiques »). Cette démarche se décompose en trois temps ou trois phases.
11La première phase est celle de la réflexion : que veut-on montrer, dans quel but, à qui, avec quelles données, sur base de quel fond, dans quelle projection et à quelle échelle ? Autant de questions souvent négligées par facilité, par manque de choix, par contraintes externes ou par méconnaissance. Ces questions ne sont pas de celles que se pose le dessinateur-cartographe, mais bien le concepteur-géographe, spécialiste du thème, du domaine. Mais aujourd’hui, grâce ou à cause des facilités informatiques diverses, les deux rôles sont souvent confondus, alors que l’auteur de la carte est rarement compétent simultanément sur le fond (domaine) et sur la forme (cartographie, en particulier la sémiologie).
12La seconde phase est la plus spectaculaire, celle à laquelle on consacre le plus de temps, celle enfin pour laquelle se sont développés quantité d’outils informatiques spécialisés. C’est la phase de construction de la carte. L’auteur pourtant constate d’une part, que parmi les multiples types de cartes possibles, ce sont toujours les mêmes types qui reviennent (cartes choroplèthes et cartes par symboles centrés) et les mêmes variables graphiques qui sont utilisées (taille et valeur). D’autre part, il note un « oubli », y compris dans les logiciels, des règles de construction de la carte (sémiologie graphique), l’émergence de « nouvelles » variables graphiques mal définies (transparence, dynamique…) ou mal maîtrisées (couleur), le maintien voire la multiplication de graphiques statistiques inutiles (camemberts…) et l’abandon de certaines méthodes (matrices ordonnables, points « Bertin »). Loin de prôner une stagnation de la sémiologie (dont il dénonce par ailleurs l’inertie), l’auteur appelle à une sémiologie infographique, mise à jour mais maîtrisée.
13La troisième et dernière phase est celle de l’interprétation et de la communication. La carte reste trop souvent illustrative et, dans les atlas et sur le Web, la carte prétend trop souvent se suffire à elle-même. Or, il faut donner un sens à ce qui a été construit pour éviter toute dérive dans l’interprétation. Cela suppose d’une part, une maîtrise des moyens de communication, et d’autre part, une capacité de commenter les points forts et les aspects cachés de la carte. De nouveau, il s’agit d’une phase ne relevant pas du rôle du cartographe-dessinateur traditionnel, mais aujourd’hui trop souvent négligée par le concepteur-réalisateur de la carte.
14Après avoir ainsi redéfini la carte et l’approche cartographique, l’auteur cherche à redéfinir le rôle actuel du cartographe. Les chapitres précédents ont montré que le cartographe-dessinateur avait été remplacé par le cartographe-concepteur, ou par le géomaticien. Il note en plus l’arrivée massive de néo-cartographes, de cartographes amateurs. Pour tenter de cerner le profil de cartographe, l’auteur fait appel à des témoignages de professionnels. Cette approche idiographique ne se laisse pas résumer aisément, et les conclusions de la première partie se limitent à ce propos, à souligner l’évolution du métier de cartographe vers celui de géomaticien.
15La seconde partie du livre s’intitule « quelques exemples avec corrections possibles ». Partant de plusieurs cartes publiées dans divers medias, les trois chapitres de cette partie illustrent la manière selon laquelle la démarche cartographique – en particulier la phase de réflexion préalable – permet d’aboutir à des cartes plus efficaces. Les solutions sont multiples, et l’auteur insiste tant sur les nombreux choix dont est responsable le concepteur de la carte, que sur le caractère subjectif, et sans doute non optimal du résultat des choix effectués. On retrouve dans ces chapitres une volonté didactique évidente, qui complémente utilement la première partie plus « théorique » de l’ouvrage.
16Le troisième chapitre de cette seconde partie est pourtant l’occasion d’un retour sur l’un des objectifs essentiels du livre. L’examen des « concepts » de la carte participe à la théorie de la connaissance cartographique et renforce la phase réflexive. Alors que les différentes disciplines des sciences géographiques se sont, assez récemment, penchées sur l’identification et la définition de leurs concepts fondamentaux (par exemple : Bailly, 2004 ; Clifford et al., 2009), la cartographie ne s’en est pas inquiétée. L’auteur montre qu’une telle introspection réclame un certain recul et il finit par retenir trois concepts de base, double en fait : données/informations, espace/territoire, et humains/acteurs. Le premier couple renvoie à des considérations classiques de la théorie de l’information, tandis que le second s’engage sur une discussion, toujours complexe, sur les relations entre espace, réseaux et territoires. Le troisième concept revient sur le remplacement du dessinateur-cartographe par le géomaticien-concepteur, mais souligne aussi l’importance croissante du lecteur dont le rôle devient de moins en moins passif (référence implicite au « crowdsourcing »).
17Les conclusions de la seconde partie amènent à se questionner sur l’avenir de la carte « papier » ainsi que sur les « ouvertures participatives » et le rôle « citoyen » permis par la carte « numérique ». Une discussion spécifique est consacrée à ces questions avant la conclusion générale. Plusieurs avis sont collectés tant à la suite d’expériences du monde administratif et politique que parmi les expériences d’enseignement. Dans le contexte français évoqué, on note, d’une part, une volonté de visibilité, de transparence, mais pas encore d’implication citoyenne véritable, et, d’autre part, un usage banalisé des « globes numériques » (ex. Google Earth) mais une très lente appropriation des autres outils numériques par les enseignants.
18C’est précisément l’accès aux globes numériques virtuels sur Internet qui entame la conclusion générale. Ils sont perçus par l’auteur comme autant de monopoles, privés ou participatifs, imposant leur vision du monde, en l’absence de réflexion en amont et en aval par l’utilisateur, cédant à la facilité via une géo-localisation descriptive. Une cartographie « explicative » numérique sur Internet reste à faire…
Commentaires
19Ce n’est évidemment pas un manuel de cartographie, ni un ouvrage consacré à la phase identifiée comme celle de la construction cartographique. C’est un livre dédié au professionnel, enseignant-chercheur, cartographe ou géomaticien en activité ou en devenir (certainement utile pour les étudiants de 2e cycle).
20C’est d’abord le témoignage d’un expert de la graphique qui nous fait part explicitement – on pourrait presque dire pas à pas – de l’évolution de son expérience. À ce titre, c’est déjà une référence. On ne peut que partager la plupart des constats que fait l’auteur, qu’il s’agisse de la difficulté récurrente de réaliser une carte thématique efficace malgré les outils aujourd’hui disponibles, des précautions à prendre vis-à-vis des cartes « participatives », ou des problèmes soulevés par la sémiologie graphique, tant par l’emploi intempestif qui en est fait dans certains logiciels, que par la nécessité d’une mise à jour de certains éléments dans un contexte d’infographie. L’approche cartographique en trois étapes – réflexion, construction, communication – est aussi une source d’idéation bien structurée pour tout concepteur-cartographe.
21Il est vrai aussi que l’ouvrage est consacré à la seule cartographie « thématique », qui plus est, en s’inscrivant dans un paradigme bien particulier qui est celui des sciences sociales, dans lequel baigne la géographie française. Les propositions de définitions, les concepts, les approches méthodologiques parfois, ont dès lors de quoi surprendre le géomaticien ou le géographe évoluant dans des paradigmes bien distincts tels que l’informatique ou les sciences de la Terre. L’absence de référence aux contributions étrangères récentes les plus significatives en cartographie (Brewer & Harrower, 2009 ou Dent et al., 2009, pour ne citer que deux exemples) pose aussi parfois question.
22Au total, un livre qui soulève de nombreuses interrogations et qui suscite, indubitablement, la réflexion auprès de tout professionnel.
BibliografÃÂa
Bailly A. (dir.) (2004). Les concepts de la géographie humaine (5e éd.), Collection U – Géographie, Paris : Armand Colin.
Bord J.-P. (1984). Initiation Géo-Graphique ou comment visualiser son information, Paris : SEDES.
Bord J.-P. (1998). Géographie et sémiologie graphique : deux regards différents sur l’espace, Bulletin du Comité français de cartographie, 156, 52-58.
Bord J.-P. (2000). La carte thématique et l’explication en géographie. Dans L’explication en géographie – Actes du colloque Géopoint 2000, (125-128), Avignon : Groupe Dupont.
Bord J.-P. (2008). De la cartographie à la géomatique : une amnésie récurrente. Le monde des cartes, Bulletin du Comité français de cartographie, 197, 59-62.
Bord J.-P. (2010). Qu’est-ce que la géomatique ? Introduction au colloque « Comment je suis devenu Géomaticien ? ». Récupéré sur le site de l’Université de Montpellier 3 : http://www.univ-montp3.fr/ateliermercator/?cat=21.
Bord J.-P. & Baduel P.-R. (2004). Les cartes de la connaissance, Paris – Tours : Karthala – Urbama.
Bord, J.-P. & Blin E. (1995). Initiation Géo-graphique ou comment visualiser son information (2e éd.), Paris : SEDES.
Brewer C. & Harrower M. (2009). Color Brewer 2.0. Color advice for cartography, PennState University. Récupéré sur le site : http://colorbrewer.org/.
Clifford N., Holloway S.H., Rice, S.P., & Valentine G. (2009). Key concepts in geography, (2e ed.), Londres: SAGE Publications.
Dent B.D., Torguson J. S. & Hodler T.W. (2009). Cartography: thematic map design (6e ed.), Boston : McGraw Hill.