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Jeanne Garcia

Poster - « Archives, mémoires et identités métisses ». Une exposition virtuelle réalisée dans le cadre du projet de recherche « Résolution-Métis » aux Archives de l’État à Bruxelles

(Vol. 46 - 2023)
Article
Open Access

Résumé

Le 15 octobre 2021, l’exposition virtuelle « Archives, mémoires et identités métisses. Regard sur le projet de recherche “Résolution-Métis” en cours aux Archives de l’État » est mise en ligne. Quelques semaines plus tôt, l’équipe du projet annonçait le lancement de cette exposition lors de la Journée d’histoire belge des migrations. Cet espace virtuel offre un aperçu, à travers une sélection de documents contextualisés, de l’histoire encore peu connue des Métis nés durant la période coloniale belge et des pratiques de séparation et de déplacements forcés dont ils et elles ont souffert. Mais il est avant tout destiné à offrir, en toute transparence, un regard sur la manière dont travaille l’équipe sur ce sujet sensible et complexe. Nous allons revenir dans cet article sur les différents enjeux qui ont entouré la conception de cette exposition, mais aussi sur le contexte particulier qui l’a vu naitre et sur les objectifs que l’équipe s’est fixés, notamment en matière d’accessibilité et de co-construction du récit historique.

Index de mots-clés : Exposition virtuelle, Métis, Colonisation, Archives, Patrimoine partagé

Abstract

On 15 October 2021, the virtual exhibition "Archives, memories and Métis identities. A glance at the "Resolution-Métis", ongoing at the State Archives". A few weeks earlier, the project team announced the launch of this exhibition on the occasion of the Belgian Migration History Day. This virtual space offers a brief overview, through a selection of contextualised documents, of the little-known history of the Métis born during the colonial period and the forced displacement they suffered. But above all, it is intended to offer a transparent look at the way the project team works on such a sensitive and complex issue. In this article, we will look back at the different challenges that surrounded the conception of this exhibition, but also at the context in which it was conceived and at the objectives that the team wanted to achieve, particularly in terms of accessibility and co-construction of the historical narrative.

Index by keyword : Virtual exhibition, Métis, Colonisation, Archives, Shared heritage

1Le 22 septembre 2021 s’est tenue, à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, la Journée d’histoire belge des migrations. À cette occasion, l’équipe du projet de recherche « Résolution-Métis » est venue présenter le résultat de plusieurs mois de travail : l’exposition virtuelle Archives, mémoires et identités métisses. Un regard sur le projet de recherche “Résolution-Métis” en cours aux Archives de l’État. Mise en ligne en octobre 20211, celle-ci apparait aujourd’hui comme un outil exemplaire de partage de connaissances et de documents d’archives, notamment en direction du grand public. La conception de cette exposition s’inscrit donc dans un contexte particulier et a suscité des réflexions d’ordre éthique et scientifique.

1. Le Projet « Résolution-Métis »

2La « Résolution-Métis » a été adoptée par la Chambre des Représentants le 29 mars 20182. Elle est relative à la ségrégation subie par les Métis, le plus souvent nés d’un père européen et d’une mère africaine, durant la colonisation belge en Afrique centrale. Cette résolution fait suite à un long combat mené par les Métis, femmes et hommes, et leurs ayants droit, regroupés essentiellement par l’« Association des Métis de Belgique » et MiXed2020. En effet, les autorités coloniales belges d’alors, civiles et religieuses, envisagent le métissage comme un problème et mettent rapidement en œuvre une politique visant à séparer les enfants métis de leur famille africaine et à les placer dans des institutions religieuses, sous prétexte de leur donner une éducation européenne3. Au moment des indépendances, ces enfants sont envoyés en nombre vers la Belgique ou plus rarement vers d’autres pays occidentaux. Placés dans des familles d’accueil ou des foyers, seule une petite minorité d’entre eux sera légalement adoptée. De nombreux Métis ont ainsi subi un ou plusieurs déracinements, des changements de nom et de nationalité, et beaucoup font face aujourd’hui encore à de graves problèmes administratifs.

3Reconnaissant officiellement – pour la première fois au niveau fédéral – les torts subis par les Métis en conséquence des pratiques mises en place par l’État colonial, la Résolution demande également dans ses articles 6 et 7 la mise en place d’un ambitieux projet de recherche scindé en deux phases :

41) répertorier les sources permettant de reconstituer les parcours individuels et les origines familiales des Métis ;

52) réaliser une étude historique des pratiques dites de ségrégation ciblée et établir le rôle joué par les autorités civiles et religieuses dans leur mise en œuvre.

6C’est un projet qui mêle à la fois enjeux archivistiques, scientifiques et sociétaux comme le présente Delphine Lauwers dans l’article « (Re)construire des identités pour co-construire une histoire ? Le projet “Résolution-Métis” au croisement d’enjeux individuels et collectifs »4. Il est donc impératif que les chercheuses et chercheurs investis de ces questions postcoloniales favorisent le partage d’un patrimoine archivistique commun en le rendant accessible à tous et toutes.

2. Une exposition virtuelle, co-construite et accessible

7Cette exposition s’adresse en premier lieu aux Métis et à leurs proches, mais aussi à la communauté scientifique et au grand public. La démarche de sa réalisation a été pensée de façon inclusive, à la fois historiquement documentée et accessible dans le fond comme dans la forme. Elle répond, entre autres objectifs, à une volonté de mise en commun et de partage des ressources archivistiques coloniales conservées en Belgique avec les pays anciennement colonisés ou sous tutelle : la République démocratique du Congo, le Rwanda et le Burundi. La conception de l’exposition s’est par ailleurs déroulée dans un contexte de crise sanitaire mondiale induit par la pandémie de Covid-19, qui a nécessité le confinement, à plusieurs reprises, de la population, de même que la fermeture des établissements habituellement ouverts au public. Cette situation a confirmé la nécessité d’avoir accès, sous forme virtuelle, aux connaissances et au patrimoine archivistique.

8La réalisation de cette exposition a demandé une grande inventivité et une autonomie totale, de la conception technique et graphique, au scénario et à sa rédaction. Les personnes concernées, auxquelles s’adresse en partie l’exposition, sont parfois nées bien avant les années 1960. Nous en avons tenu compte et avons proposé une interface utilisateur adaptée, maniable et intuitive. Pour toutes ces raisons, nous avons fait le choix de fonctionnalités très rationnelles en respectant les standards web. Il est important de noter que puisque la recherche est en cours et que les travaux évoluent, le format de l’exposition virtuelle offre une souplesse bienvenue, qui permettra aisément d’éventuelles mises à jour.

9En plus d’autres acteurs institutionnels, il nous est rapidement apparu indispensable de travailler avec différents partenaires. Nous avons, par exemple, collaboré avec les responsables des collections iconographiques de l’AfricaMuseum (Tervuren, Belgique), qui nous ont permis d’identifier et de présenter dans l’exposition des photographies de la Colonie scolaire de Moanda, située dans la province actuelle Kongo-Central en République Démocratique du Congo et qui fut l’une des premières institutions spécialisées pour filles métisses.

10Nous avons également collaboré avec l’artiste plasticienne, Nora Fluckiger Al Zemmouri, dont l’esthétique et la démarche complétaient les contenus de l’exposition. Cette collaboration a permis de faire évoluer l’exposition et d’y intégrer le thème « Arts mémoriels ». Le travail de cette artiste avait été proposé par des membres des associations de Métis avec lesquels l’équipe travaille en concertation depuis les débuts du projet. Le fait que l’exposition soit permanente et durable émane également de leurs demandes. Il s’agit donc d’un projet inclusif et co-construit. Nous avons d’ailleurs souhaité rendre hommage de manière explicite au sein de l’exposition à la lutte menée par les Métis. Ainsi plusieurs légendes et textes ont pu être adaptés lors d’échanges avec eux. Ce travail souhaite donc rendre hommage à leur combat et vise à renouer le dialogue autour de la question d’un « patrimoine partagé ». Ce concept s’applique lorsque les archives sont constitutives du patrimoine national de plusieurs États, et qu’il ne peut être divisé sans perdre de sa valeur historique et juridique5.

3. Partager le récit, protéger les données

11L’exposition virtuelle contribue à répondre aux objectifs de la « Résolution-Métis » et offre aux visiteurs un état des lieux de la recherche en cours aux Archives de l’État. Elle présente en toute transparence le travail de l’archiviste face à des documents de natures diverses. Elle promeut une meilleure connaissance de ce pan douloureux et complexe de l’histoire nationale, qui engage la responsabilité des autorités coloniales et qui a vu se développer tout au long de la période coloniale – et même au-delà – des pratiques extrêmement brutales d’enlèvement et de déplacement de milliers d’enfants nés de relations mixtes. Cette exposition n’est en aucun cas un relevé exhaustif des documents et collections sur lesquels travaille l’équipe, mais elle offre un aperçu de la diversité des parcours qu’ils documentent.

12L’exposition est une vitrine où tous les documents présentés sont contextualisés. Les cinq thèmes qui la composent rendent compte des préjudices subis par les Métis. Ils traduisent le parcours historique et personnel des personnes métisses déplacées. Les documents exploités par l’équipe sont issus de sources très variées, provenant d’une multitude de fonds publics et privés, conservés dans diverses institutions. Ils s’étendent de la fin du 19e siècle jusqu’à aujourd’hui. Reflétant leur contexte de production, ces documents traduisent une nette sous-représentation des populations colonisées et en particulier des mères africaines. Expliciter les biais et présupposés raciaux propres à l’époque coloniale et révéler « l’effacement » des identités contribue à les déconstruire6. C’est pourquoi l’exposition analyse, contextualise et lie entre eux des documents issus de collections diverses. Cette exposition met également en valeur des documents archivistiques tout en les rendant accessibles et compréhensibles par toutes et tous. Ces archives contenant des données sensibles, que ce soit au point de vue légal ou éthique, l’anonymisation a été étendue à toutes les pièces, même celles ne tombant plus sous le coup du Règlement général sur la protection des données (RGPD). En effet, l’équipe a également été animée par le souci éthique de respecter toute personne ayant été victime de ces préjudices, et a voulu éviter tout voyeurisme. Nous n’avons, par exemple, pas exposé les lettres, très intimes et poignantes, adressées par des mères à leurs enfants, mais avons choisi de présenter une enveloppe, que nous avons contextualisée, pour aborder ce sujet. Parallèlement, nous avons veillé à ce que l’anonymisation des documents n’en altère pas la valeur et la richesse.

13La grande majorité des documents exploités sont de nature textuelle. L’exposition, qui ambitionne de refléter la réalité du paysage archivistique existant, présente donc essentiellement ce type de documents. Nous l’avons toutefois illustrée de quelques documents iconographiques, photographies anciennes issues des collections de l’AfricaMuseum. Le choix de photographies anciennes nous a permis d’éviter à avoir à estomper des visages, procédé qui aurait visuellement renforcé l’impression d’effacement des personnes concernées et de leur histoire. Nous avons cependant pris soin de contextualiser ces images produites dans un contexte colonial, car elles véhiculent, elles aussi, des présupposés raciaux.

4. L’histoire au service du présent

14La réalisation de l’exposition virtuelle a permis d’engager de réelles réflexions sur nos pratiques professionnelles. Comment présenter des documents établis dans un contexte colonial tout en déconstruisant les biais qu’ils trahissent et en explicitant les lourds silences qu’ils entretiennent ? Comment ne pas reproduire dans l’exposition un discours dépeignant systématiquement les Métis, même adultes, comme des enfants ? Cette infantilisation étant d’ailleurs appliquée à l’ensemble des populations colonisées. Comment être accessible à tous et toutes en veillant à adopter le ton juste et à garder une rigueur scientifique ? Comment ne pas exclure les Métis restés au Congo, au Rwanda ou au Burundi, alors que les sources sont plus abondantes pour les Métis déplacés vers la Belgique ? Cette exposition met en évidence les vides et les inégalités documentaires.

15Nous avons également veillé à ce que les personnes métisses ne se sentent pas « objets d’étude », mais acteurs de cette histoire. Ainsi, nous avons à plusieurs reprises avant, pendant et après la réalisation de cette exposition, recueilli les conseils et avis des associations avec lesquelles nous sommes en contact. Chaque parcours est différent, les sources anciennes traduisent une réalité dont les conséquences affectent encore aujourd’hui l’identité familiale et sociale des personnes concernées. Valoriser ainsi ces archives dans une démarche collaborative vise à encourager les échanges avec les personnes concernées. Cela est essentiel pour partager un récit historique nuancé, au travers notamment de témoignages pour appuyer les recherches des origines des Métis.

Notes

1 D. Lauwers, J. Garcia et C. Candaele, « Archives, mémoires et identités métisses. Un regard sur le projet de recherche “Résolution-Métis” en cours aux Archives de l’État », en ligne, https://www.expometis.arch.be/

2 Chambre des représentants de Belgique, doc. no 54 2952/007  : La ségrégation subie par les métis issus de la colonisation belge en Afrique, Bruxelles, 29 mars 2018, en ligne : https://bit.ly/3CgWb0K

3 L. Jeurissen, Quand le métis s’appelait « mulâtre ». Société, droit et pouvoir coloniaux face à la descendance des couples eurafricains dans l’ancien Congo belge, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, 2003.

4 D. Lauwers, « (Re)construire des identités pour co-construire une histoire ? Le projet “Résolution-Métis” au croisement d’enjeux individuels et collectifs », dans Un dossier pour se (re)construire ? Archives et enjeux d’identités, éd., V. Fillieux, A. François, G. Mathieu et M. Van Eeckenrode, UCLouvain, Louvain-la-Neuve, 2022, p. 29-57.

5 En référence à P.-A. Tallier, M. Van Eeckenrode et P. Van Schuylenbergh, Belgique, Congo, Rwanda et Burundi. Guide des sources de l’histoire de la colonisation (19e-20e siècle). Vers un patrimoine mieux partagé !, 2 vol., Turnhout, Brepols, 2021.

6 J. Garcia, Vers un processus de « décolonisation » des archives. L’exemple du projet de recherche « Résolution-Métis » en Belgique, mémoire de master en Valorisation numérique du patrimoine. Archives et Images, Toulouse, Université Toulouse 2 Jean-Jaurès, 2021.

Pour citer cet article

Jeanne Garcia, «Poster - « Archives, mémoires et identités métisses ». Une exposition virtuelle réalisée dans le cadre du projet de recherche « Résolution-Métis » aux Archives de l’État à Bruxelles», C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], Vol. 46 - 2023, URL : https://popups.uliege.be/1370-2262/index.php?id=1582.

A propos de : Jeanne Garcia

Titulaire du Master Recherche « Histoire et Civilisations » et du Master « Archives et Images » de l’Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès (France), Jeanne Garcia travaille actuellement comme collaboratrice scientifique aux Archives générales du Royaume dans le cadre du projet de recherche « Résolution-Métis » (www.metis.arch.be).