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- N° 10 (2021-2022) / Issue 10 (2021-2022)
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Note de recherche. Difficultés, enjeux et bénéfices du récit ethnographique au sein d’une institution de réinsertion familiale (Liège, Belgique)
Résumé
Utiliser le terme restitution en anthropologie pour désigner le processus par lequel le chercheur expose ses hypothèses, ses réflexions et, à terme, son analyse aux acteurs concernés pose problème au niveau sémantique. En effet, l’anthropologue ne restitue pas quelque chose qu’il aurait volé, mais partage ses découvertes sur le terrain avec les personnes qu’il a rencontrées au fil de celui-ci. C’est pourquoi je vais privilégier l’expression « récit d’enquête » (Bizeuil 1998) ou « récit ethnographique ». Au travers de cet article, j’exposerai une de mes expériences de terrain mené dans le cadre de mon parcours académique, en me focalisant plus particulièrement sur les récits d’enquêtes que j’ai menés. Je décline cette expression au pluriel car j’ai réalisé plusieurs récits ethnographiques intermédiaires, avec les personnes travaillant au sein d’une institution de Réinsertion Familiale (RF), ainsi qu’avec le directeur de l’institution à Liège (Belgique). De plus, j’ai réalisé mon récit ethnographique final en deux temps. Le premier, sous forme écrite, était une adaptation de mon rapport de stage (demandé dans le cadre de mon cursus). Il n’était en effet pas possible de transmettre le document tel quel. Certains termes et concepts anthropologiques devaient être explicités. De plus, je devais nuancer, reformuler quelques-uns de mes propos afin de ne pas blesser ou « braquer » certains membres du RF. Je ne voulais pas prendre le risque de réaliser mon second récit ethnographique final dans un climat tendu. Ce dernier fut réalisé sous forme d’un exposé suivi d’une discussion avec les membres de l’institution. J’ai ainsi pu recueillir leurs ressentis de vive voix.
Abstract
Research note. Difficulties, stakes and benefits of the ethnographic narrative within a family reintegration institution (Liege, Belgium). Using the term restitution in anthropology to denotes the process by which the researcher exposes his hypotheses, his reflections and at the end his analysis to the actors concerned, poses a problem at the semantic level. Indeed, the anthropologist does not restore anything that he would have stolen but shares his discoveries on the stop with the people he met over the course of it. That is why I prefer the expression of investigation account (Bizeuil 1998) or the one of ethnographic account. Through this article I will expose one of my field experiences realized within the framework of my academic career, by focusing more particularly on the stories of investigations that I led there. I put this expression in the plural because I have realized several intermediate ethnographic stories, with people working at the Family Rehabilitation (FR) as well as with the director of the institution. Moreover, I have realized my final ethnographic account in two stages. The first one, in a written form was an adaptation of my internship report (requested as part of my curriculum). Indeed, I couldn’t transmit the document as it was. Some terms and anthropological concepts had to be discussed. In addition, I had to qualify, rephrase some of my remarks so as not to upset or put some members of the FR back. I didn’t want to take the risk of making my second final ethnographic account in a tense climate. This was done in the form of a presentation followed by a discussion with the members of the institution. So, I was able to collect their feelings in person.
Abstracto
Nota de investigación. Dificultades, problemas y ventajas de la narrativa etnográfica en una institución de reinserción familiar (Lieja, Bélgica). Utilizar el término restitución en antropología para designar el proceso por el cual el investigador expone sus hipótesis, sus reflexiones y finalmente, su análisis a los actores involucrados, plantea problema al nivel semántico. En efecto, el antropólogo no restituye algo que habría robado, sino que comparte sus descubrimientos en el trabajo de campo con las personas que encontró en el curso de éste. Es por eso utilizo la expresión de “relato de encuesta” (Bizeuil 1998) o la de “relato etnográfico”. A través de este artículo voy a exponer una de mis experiencias de trabajo de campo realizado en el marco de mi trayecto académico, enfocándome más particularmente sobre los relatos de encuestas que llevé allí. Pongo esta expresión en el plural porque realicé varios relatos etnográficos intermedios, con las personas que trabajaban en Reintegración Familiar (RF), así como, con el director de la institución en Lieja, Bélgica. Además, realicé mi relato etnográfico final en dos tiempos. El primero, bajo forma escrita, era una adaptación de mi informe de prácticas (pedido en el marco de mis estudios universitarios). En efecto, no podía transmitir el documento tal cual. Ciertos términos y conceptos antropológicos debían ser explicitados. Además, debía matizar, reformular a algunas de mis intenciones con el fin de no lastimar o transformar a ciertos miembros del RF. No quería tomar el riesgo de realizar mi segundo relato etnográfico en un ambiente tenso. Este último fue realizado en forma de una exposición, seguida de una discusión con los miembros de la institución. Pude recoger así sus sentidos a viva voz.
Table of content
2022
Cet article est distribué suivant les termes et les conditions de la licence CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr)
Introduction
1Au travers de cet article, je propose, à partir d’une enquête ethnographique menée au sein du RF (Institution de Réinsertion Familiale )1, de réfléchir au processus de restitution. Cette enquête réalisée dans le cadre de mon cursus académique a été marquée par différentes obligations envers mon professeur, l'institution, son directeur, avec des conséquences sur la réalisation même de mon terrain.
2Je ne trouve pas le terme « restitution » adéquat, l’anthropologue ne dérobant rien sur le terrain et ne jouant pas d’avantage le rôle de restaurateur (Kobelinski 2008). C’est pourquoi, j’ai préféré nommer ce processus « récit d’enquête » (Bizeuil 1998) ou récit ethnographique. Ces deux termes me permettent d’expliciter le processus dont il est question ici, à savoir le partage de mon analyse avec les acteurs concernés.
3À partir de cette vision du récit ethnographique, j’ai mis en lumière différents types de récit d’enquête. Cette différenciation repose sur trois facteurs : la variation temporelle, le public auquel s’adresse ce récit (dans le cas présent : le directeur et/ou les intervenants de l'institution) et le support utilisé (copie écrite de l’analyse ou présentation orale). Lorsque l’anthropologue partage les prémices de son analyse avec les acteurs concernés alors que l’enquête est toujours en cours, je parlerai de récit ethnographique intermédiaire. Tandis que celui ou ceux réalisés à la fin du terrain seront qualifiés de récits d’enquête finaux.
4Le choix appartient à l’anthropologue qui, selon les contraintes du terrain, sera amené à privilégier une forme plutôt qu’une autre. Mais comme je l’expliquerai, les différentes formes des récits d’enquêtes amènent le chercheur à réfléchir aux conditions dans lesquelles le récit ethnographique est mené ainsi qu’aux répercussions positives et négatives de celui-ci. Malgré les difficultés, le récit d’enquête est, à mon sens, un processus nécessaire lors de la réalisation de tout terrain. Cette démarche peut s’avérer enrichissante pour les acteurs concernés qui se voient offrir un point de vue extérieur sur leurs pratiques. Le chercheur, quant à lui, doit alors se poser la question de la réception de son analyse mais verra également certains matériaux ethnographiques émerger suite à la réalisation de cet exercice.
5Entrons dès à présent dans le vif du sujet avec une mise au point terminologique à propos du terme utilisé pour désigner ce processus de partage de l’analyse avec les acteurs concernés.
Mise au point terminologie
6Je souhaiterais questionner le terme « restitution » en tant que tel afin de permettre au lecteur de saisir ma vision de ce processus. Comme l’exprime Kobelinsky (2008), le terme « restitution » utilisé dans le contexte d’une enquête ethnographique pose un problème au niveau sémantique. En effet, celui-ci induit le vol de quelque chose ou la remise à l’état d’origine d’un élément. Or, les anthropologues ne sont, à mes yeux, ni voleurs, ni restaurateurs mais d’avantage les photographes de réalités vécues à travers le monde. C’est pourquoi, je n’utiliserai pas le terme de « restitution », ni même celui de « retour » proposé par Kobelinski (2008) mais bien celui de « récit d’enquête » proposé par Bizeuil (1998) ou de « récit ethnographique ».
7En effet, si nous poursuivons la réflexion sémantique de Kobelinski (2008), le terme « retour » n’est pas tellement plus adéquat pour qualifier le processus par lequel l’ethnographe partage ses hypothèses et, à terme son analyse aux personnes rencontrées sur le terrain. Voici les différentes définitions que donne le dictionnaire Larousse2 du mot retour : (1) fait pour quelqu’un, quelque chose de repartir, de revenir vers l’endroit d’où il est venu ; (2) action ou fait de revenir à un état antérieur ; (3) fait pour quelque chose d’être rendu, réexpédié. Aucune de ces définitions du sens commun n’exprime bien sûr l’idée selon laquelle l’anthropologue, après avoir construit une analyse basée sur les matériaux ethnographiques récoltés et produits durant son terrain, partage cette dernière avec les acteurs concernés.
8Très vite au fil de mes expériences de terrains, aussi courtes soient-elles, je me suis rendue compte de l’importance d’effectuer un récit ethnographique. Cela me semblait une marque de respect envers des personnes qui m’avaient ouvert les portes de leur quotidien mais également le signe d’une certaine honnêteté scientifique (Vidal 2011). Jusqu’à cette récente expérience de terrain, exposée ci-dessous, je me suis contentée de faire parvenir une copie de mon travail aux personnes concernées en y ajoutant mes coordonnées s’ils souhaitaient en discuter. Je ne me souciais alors pas énormément de la façon dont ce texte pouvait être compris, en dehors du monde académique, par les différents acteurs rencontrés sur le terrain, ni même de l’impact que mon analyse (Kobelinski 2008) avait pu avoir sur ces individus. J’ai finalement compris que cette démarche, que je considère comme nécessaire pour quitter « sereinement » le terrain, nécessite bien plus de préparation et de travail que le simple envoi d’un e-mail contenant une copie de notre analyse (Flamant 2005).
Contexte de mon enquête ethnographique
9Dans le cadre de mon cursus académique, j’ai eu l’occasion de réaliser un terrain au sein d’une institution de réinsertion familiale que je nommerai simplement RF afin de garantir l’anonymat des personnes travaillant au sein de cette dernière. Se revendiquant d’une approche systémique (Bateson 1995), leurs missions consistent concrètement en l’apport d’une aide éducative aux parents, un soutien pour les démarches administratives diverses et variées, mais aussi une aide pour les enfants perdus face à des repères troubles (parent absent par exemple), à une autorité parentale pas toujours adéquate ou encore à des difficultés financières au sein du foyer familial.
10Avant même que je ne commence le terrain à proprement dit, ma problématique était déjà formulée. En effet, le directeur de l’institution avait une demande précise et l’acceptation de celle-ci était la condition pour que je puisse réaliser mon enquête ethnographique. Loin des terrains dont j’avais l’habitude, il n’était pas ici question que je réalise une observation participante. Le directeur de l’institution, que je nommerai ici M. Gérard, dans un souci de conservation de l’anonymat, souhaitait une analyse sur la base des dossiers constituant 30 ans d’archives destinées à être détruites. Son hypothèse, ou devrais-je plutôt dire sa thèse au vu de la certitude avec laquelle il énonçait son propos, était qu’une évolution au niveau de la prise en charge des situations par les intervenants serait visible au travers d’une lecture minutieuse et analytique. Une seconde condition pour la réalisation de mon terrain était que je produise une analyse utile à l’institution. Le récit ethnographique était donc inévitable.
11Je me suis rapidement rendue compte que cela ne serait pas aussi simple et mériterait que je questionne la forme de mon récit d’enquête dès le début de mon terrain (Flamant 2005 ; Kobelinski 2008). Deux autres impératifs s’ajoutaient à la demande de M. Gérard. Réalisant mon terrain sous la forme d’un stage, j’avais des rendez-vous hebdomadaires avec le directeur de l’institution jouant alors le rôle de maître de stage. De ce fait, M. Gérard exerçait en quelque sorte une opération de « contrôle de l’enquête » pour reprendre les termes utilisés par Flamant (2005 :149). Parallèlement, réalisant ce travail dans le cadre de mon cursus, je devais donc également répondre aux critères d’évaluation mis en place par mon professeur. Un de ceux-ci était que je réalise un récit d’enquête de vive voix à l’ensemble de l’équipe (Lambelet 2003).
Différents types de récits d’enquêtes
12Lors de la réalisation de mon terrain, j’ai eu l’occasion de prendre davantage conscience des différents types de récits d’enquête survenant lors d’une enquête ethnographique. J’ai pu mettre en lumière une première différence reposant sur une dimension temporelle. On distingue d’une part les récits ethnographiques réalisés alors que le chercheur est toujours sur le terrain que je qualifierai d’« intermédiaires » (Flamant 2005) et, d’autre part, celui ou ceux survenant une fois que l’anthropologue a mené à bien son analyse. Je qualifierai ce second type de récits ethnographiques de « finaux ». La seconde différence que j’aimerais souligner concerne le public auquel s’adresse le récit d’enquête. Questionner ce second point me semble intéressant afin de préparer au mieux les récits ethnographiques et de ne pas créer de situation délicate pour le chercheur (Kobelinski 2008). Dans ce cas, la différence se marque entre les récits ethnographiques préparés dans l’optique d’être partagés avec M. Gérard et ceux destinés aux membres de l’équipe du RF. Il ressort que les difficultés, mais aussi les apports de ces différents moments d’échanges, furent bien différents selon le ou les interlocuteurs auxquels je m’adressais. La troisième et dernière particularité des récits d’enquête réside dans leurs formes. En effet, tous les supports ne sont pas adéquats pour réaliser un récit ethnographique fructueux pour le chercheur comme pour les enquêtés. Je reviendrai plus particulièrement sur ce point dans la section dédiée aux récits ethnographiques finaux.
Les récits ethnographiques intermédiaires
13En respectant la logique temporelle, je vais tout d’abord m’intéresser aux récits intermédiaires. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit de l’ensemble des entretiens que j’ai eu avec M. Gérard ainsi que des discussions tant formelles qu’informelles que j’ai eues avec les différents membres de l’équipe à propos de ce qu’ils nommaient de façon quasi unanime « mes découvertes ».
Gérard
14J’aimerai tout d’abord revenir sur les différents récits ethnographiques que j’ai réalisés auprès de M. Gérard, les plus stressants sans aucun doute. Comme susmentionné, le directeur de l’institution ayant également la casquette de maître de stage, je devais faire preuve de tact lors de mes constats et hypothèses (Lambelet 2003). Comme Kobelinski (2008), j’avais la crainte que mon terrain ne se referme si je partageais avec M. Gérard des informations contraires à sa vision des choses.
15Le premier entretien que j’ai eu avec M. Gérard a été en quelque sorte un étalon pour la suite de nos rencontres (Kobelinski 2008 ; Lambelet 2003). Je lui ai fait part de mes premières hypothèses sur les dossiers composant les archives et sa réaction m’a permis d’esquisser un double constat. M. Gérard n’était pas prêt à tout entendre. Comme le souligne Lambelet, « il est plus difficile de prévenir, alors même que cela peut faire partie de tout résultat d’étude, que l’ethnologie peut parfois être gênante ou blessante et qu’en révélant un certain nombre de pratiques et de propos, elle peut mettre à jour des vérités refoulées et déplaisantes » (2003 :6). M. Gérard représentait aussi ce que j’ai nommé « le paradoxe face au changement ». Alors que sa demande était clairement formulée dans ce sens, M. Gérard ne semblait pas à l’aise avec l’idée de changement. Lorsque je lui ai présenté, lors de notre second rendez-vous, le constat selon lequel, aucun changement au sein de l’institution n’était visible au travers de la lecture de dossiers constituant cinq années d’archives, sa première réaction a été de mettre en doute ma méthode. Je me suis empressée d’argumenter en faveur de ma méthodologie et, plus largement, de l’apport de l’anthropologie dans une réflexion plus large sur le RF en tant qu’institution. J’avais la crainte qu’il ne décide de mettre fin à mon terrain (et donc à mon stage) parce qu’il se rendait compte que mon travail ne pourrait lui fournir une analyse utile pour l’institution, qui était, rappelons-le, une condition de la réalisation de mon stage au sein du RF.
16Ce qui a motivé mon choix de parler de « paradoxe face au changement » tient au fait que lors des discussions que j’ai eues avec les membres de l’équipe du RF, tous ont souligné la frilosité de M. Gérard à effectuer des changements au sein de l’institution. Un exemple récurrent concerne les formations qu’il a refusé de financer et pour lesquelles il n’a pas facilité la prise de congé pour les intervenants. Donc, d’un côté M. Gérard souhaitait que je réalise une lecture analytique de trente ans d’archives dans le but de garder une trace de celles-ci avec en arrière-plan la thèse selon laquelle une évolution de l’organisme serait visible. De l’autre côté, il refusait de mettre en place quoi que ce soit permettant à l’organisme d’évoluer. Il s’agit donc bien de deux idées, opinions, faits contraires, voire antinomiques, qui sont défendus par une même personne3.
17Comme le dit Bizeuil « la bonne ou la mauvaise fortune du travail d’enquête peut d’abord être reliée à des éléments indépendants de la volonté du chercheur » (1998 : 54). Je n’ai pas échappé au constat formulé par l’auteur. En effet, la vision paradoxale du changement de M. Gérard a fait accroître le risque que mes récits ethnographiques aient des répercussions négatives. Ce constat m’a obligé à préparer davantage nos entretiens afin de ne pas présenter trop rapidement certaines hypothèses ou encore à choisir avec attention les termes à utiliser pour expliciter ces dernières (Kobelinski 2008).
Les membres de l’équipe
18Installée au dernier étage dans une pièce isolée (choix de M. Gérard), j’ai mis un point d’honneur à avoir un maximum d’interactions avec les intervenants. J’ai donc pris la liberté de partager avec eux des moments informels tels que la pause-café ou le repas de midi. Le but de cette démarche était de faire émerger et de produire d’autres types de matériaux ethnographiques que ceux mis en lumière lors de la lecture des rapports composant les archives. J’avais également décidé de réaliser des entretiens et des focus groupes afin de partager mes hypothèses avec les membres de l’équipe, de connaître ainsi leur point de vue et leur permettre aussi de suivre l’évolution de ma recherche (Flamant 2005).
19Cette double démarche de partage n’a pas été accueillie par tous de la même façon (Flamant 2005 ; Kobelinski 2008 ; Lambelet 2003). Lors des moments de rencontres informelles, j’ai constaté que les membres de l’équipe se divisaient autour de trois attitudes face à ma présence. Certains ne voyaient pas d’un très bon œil ma venue, remettant en doute ma démarche et son utilité pour l’institution. Cela se manifestait principalement par le fait de ne m’adresser la parole qu’en cas de nécessité (par exemple : « peux-tu me passer le sel ? » ou encore « je peux t’emprunter ton briquet ? ») ainsi que leur réticence à participer à un entretien ou à un focus groupe. Heureusement pour moi, M. Gérard a veillé à ce que chaque membre de l’équipe se livre à ces deux exercices. D’autres, en revanche, étaient curieux mais attendaient des « résultats » pour donner un réel avis sur ma venue (Kobelinski 2008). Leur point de vue était clair et ils n’ont pas tardé à m’en faire part ainsi qu’à régulièrement me le rappeler. Cela s’est également marqué lors des focus groupes auquel ils ont participé. Une dernière partie de l’équipe voyait mon travail de façon positive, montrant un intérêt à mes hypothèses et constats et exprimant l’espoir de changements.
20En prenant conscience de ces trois attitudes face à ma présence, j’ai pu mettre en lumière les points de clivage au sein de l’équipe ainsi que des comportements largement admis par l’institution (Bizeuil 1998). Cela m’a permis de faire émerger des matériaux riches pour mon analyse mais aussi pour la préparation de mon récit d’enquête final réalisé sous la forme d’un exposé oral.
21J’ai rencontré quelques difficultés pendant la réalisation de ce terrain suite aux craintes ou au manque d’enthousiasme de quelques-uns (Kobelinski 2008). Certains entretiens se voulant semi-directifs se sont transformés en un entretien totalement directif parce que mon interlocuteur ne souhaitait pas être particulièrement bavard sur le fonctionnement du RF, par exemple. Certains de mes propos ont été « détournés » pour laisser place à un débat entre les membres de l’équipe.
22Au travers de ces exemples de récits ethnographiques intermédiaires, nous pouvons voir à quel point ceux-ci peuvent enrichir ou compliquer la réalisation d’un terrain anthropologique (Bizeuil 1998 ; Kobelinski 2008), mais que tout n’est pas blanc ou noir, avantageux ou problématique pour le chercheur, comme le laisse penser Flamant (2005). En effet Flamant (2005) considère que « l’enquête de longue durée pose comme principal problème la nécessité de produire des restitutions intermédiaires permettant aux responsables de l’entreprise de suivre l’avancée sinon le contenu de la recherche » (2005 :144). À mon sens, il est impératif de nuancer ces propos sur deux points. Premièrement, je pense que lors de toute enquête ethnographique, l’anthropologue est amené à produire des récits d’enquêtes tout au long de son terrain et non pas uniquement pour les autorités comme je l’ai exposé précédemment. Deuxièmement, je trouve que qualifier ce processus, qu’est le récit ethnographique, de « principal problème » (Flamant 2005 :144) est exagéré. Selon moi, les récits ethnographiques, que l’anthropologue partage tout au long de son enquête avec les différents acteurs rencontrés sur le terrain, font partie intégrante de la réalisation de celui-ci et ne doivent donc pas être considérés comme une difficulté supplémentaire. De plus, le partage de récits d’enquête participe de la construction de relations ethnographiques basées sur la confiance, ce qui ne peut être que bénéfique pour le chercheur.
Récit ethnographique final : un processus en deux temps
23En ce qui concerne le récit ethnographique final destiné au RF dans son ensemble, j’ai procédé en deux temps. J’ai tout d’abord envoyé une copie quelque peu modifiée de mon rapport de stage. Quelques mois plus tard, je suis retournée au sein de l’institution pour réaliser un récit d’enquête de vive voix et laisser une série d’affiches reprenant de façon plus visuelle mon récit ethnographique. J’aimerais préciser que les deux types de récits ethnographiques finaux réalisés s’inscrivent dans un même processus, à savoir celui de partager mon analyse avec les intervenants mais aussi avec le directeur du RF. De cette façon, une éventuelle réflexion commune à propos des pratiques de l’institution pouvait être engagée.
Récit ethnographique final par écrit
24Comme le souligne Kobelinski « le travail d’écriture sera nécessairement différent selon l’auditoire » (2008 :188). C’est pourquoi je ne pouvais pas me contenter de transmettre mon rapport de stage, tel que je l’avais rendu à mon professeur, à l’ensemble des membres du RF. Notons que j’avais déjà dû faire preuve de tact et de prudence dans la rédaction de ce document car M. Gérard, en tant que maître de stage, devait donner une appréciation de mon travail. Je ne pouvais donc pas, par exemple, exprimer de but en blanc que ce dernier entretenait une vision paradoxale du changement en ce qui concerne le RF. J’ai préféré une explication nuancée exprimant le décalage entre le discours (le RF évolue au fil des années) et les pratiques (rien n’est mis en place pour que les intervenants puissent se former à de nouvelles techniques). Il est important de stipuler que je ne considère pas l’envoi de ce premier document au directeur comme un récit ethnographique à proprement dit mais simplement comme relevant d’une obligation m’incombant en tant que stagiaire. C’est pourquoi j’avais demandé à M. Gérard de ne pas transmettre ce document à l’équipe.
25J’avais en effet prévu de transmettre une version moins jargonneuse et académique de mon analyse. Au vu des différentes attitudes rencontrées face à ma présence (Flamant 2005 ; Kobelinski 2008 ; Lambelet 2003), je craignais qu’une partie de l’équipe ne prête pas attention à ce premier temps de mon récit ethnographique final. Je ne voulais pas risquer d’accroître ce risque en leur transmettant un texte peu compréhensible pour des « non-anthropologues » risquant de provoquer davantage le désintérêt que la curiosité. J’ai donc repris le texte original en apportant des précisions, sans pour autant banaliser mes constats ou leur pratique. Je ne voulais pas non plus qu’ils se sentent infantilisés. Il fallait donc que je vulgarise mon écrit sans tomber dans l’excès inverse consistant à expliquer chacun de mes propos et risquant alors de rendre le texte lourd pour le lecteur. Cela a représenté un véritable exercice qui m'a amenée à demander l’aide de mon entourage « non-anthropologue » pour juger de la compréhension de mon texte. Ce n’est qu’après plusieurs tentatives que je suis parvenue à une version vulgarisée de mon rapport de stage qui ne perdait rien en termes de réflexion et d’intérêt pour les acteurs concernés.
26Lors de la rédaction de mon premier récit ethnographique final, j’ai fait attention à ce que mes propos soient le plus univoques possible afin de ne pas créer de doute sur leur signification. Je craignais en effet que cela n’engendre des discussions et des tensions entre les membres de l’équipe favorables à ma venue et ceux qui ne l’étaient pas. J’ai également pu constater certains points de clivage au sein de l’équipe mais également que les trois types d’attitudes face à ma présence se calquaient largement sur ces derniers. En parallèle de cette démarche, j’ai gardé à l’esprit que cette volonté d’univocité engendrait le risque que mes propos soient perçus comme rigides et que les membres du RF risquaient de se sentir enfermés dans des catégories. J’ai alors fait le choix de préciser certains propos en ajoutant une note de bas de page. Cela m’a, par exemple, permis de préciser la façon dont j’ai défini et utilisé les dichotomies traversant l’équipe du RF.
Récit ethnographique final de vive voix
27Passons maintenant au second temps de mon récit ethnographique final. Comme mentionné au début de l’article, ce récit d’enquête de vive voix était une condition pour la réussite de mon travail. C’était également une première en ce qui me concerne. En effet, je n’avais jamais pensé ce processus dans ces termes mais cela a été une expérience enrichissante tant pour moi, en tant qu’anthropologue, que pour les différents membres de l’institution. Je propose dès à présent de revenir sur les conditions dans lesquelles j’ai mené mon second récit ethnographique final (Bizeuil 1998).
28Neuf mois au total se sont écoulés entre le moment de l’envoi du texte aux membres de l’équipe et le moment de mon retour au RF. Cela n’était pas ma volonté mais M. Gérard n’a pu me proposer une date plus tôt en raison d’un agenda d’équipe bouclé depuis des mois. Il y avait donc un risque que les membres de l’institution n’aient qu’un bref souvenir du document que je leur avais envoyé peu de temps après mon dernier jour au sein du RF. C’était un élément à prendre en compte lors de la préparation de mon récit ethnographique final. Je devais en effet me préparer à ce qu’il y ait peu ou pas de réactions de la part des membres de l’institution et ne pas en être déstabilisée. J’avais prévu comme solution de faire au préalable un tour de table pour recueillir l’avis et ressenti de chacun sur le travail accompli au sein de l’institution.
29Un autre point important était que M. Gérard ne m’accordait que vingt, trente minutes tout au plus pour mon intervention. J’ai donc fait le choix de ne revenir que sur une partie de mon travail, à savoir la partie purement analytique4. Afin de ne pas déborder du temps qui m’avait été imparti tout en répondant à la demande initiale de M. Gérard, à savoir que je produise une analyse utile à l’institution, ce choix me semblait le plus judicieux pour permettre aux acteurs concernés de s’exprimer par rapport à mon travail. Sachant que j’allais intervenir lors d’une réunion où l’ensemble des membres du RF seraient réunis autour d’une table, j’ai préféré opter pour une forme simple concernant mon exposé. Je me suis contentée de me joindre à eux avec quelques notes afin de ne pas perdre le fil de mes idées. Je souhaitais que ce moment soit décontracté et soit une discussion entre chercheur et acteurs sur le même pied d’égalité, pour que chacun puisse s’exprimer le plus librement possible (Flamand 2005). Avoir recours à un exposé oral aux allures de cours ex cathedra soutenu d’un PowerPoint ne me semblait donc pas adéquat. J’ai fait le choix d’utiliser les affiches créées et affichées aux murs de la salle de réunion pour appuyer mes propos et de laisser place aux réflexions des membres de l’institution. Cela avait également comme avantage de laisser une trace de mon passage que j’espérais plus durable qu’un écrit risquant d’être à son tour archivé.
30Le dernier élément important à prendre en compte est le public auquel j’allais m’adresser. Pour la première fois, j’allais être confrontée en même temps à l’équipe et à M. Gérard, le directeur de l’institution. Comme le souligne Bizeuil, « l’identité du chercheur, comme il en va de quiconque, est définie et appréciée différemment par des personnes de milieux, d’habitudes et de goûts différents, si bien que le chercheur se trouve traité différemment par les uns et par les autres et engage lui-même des relations différentes avec les uns et les autres au sein d'une même communauté » (1998 :755). Cela était encore plus vrai en ce qui concerne la relation que j’avais pu établir avec M. Gérard d’une part et les membres de l’équipe d’autre part. Cela tenait peut-être au fait que l’équipe, contrairement à M. Gérard, n’avait pas de pouvoir décisionnaire concernant mon terrain (Flamant 2005 ; Kobelinski 2008) ou peut-être au constat qu’il existait un réel fossé entre le directeur et les intervenants. Je n’ai pas eu l’occasion d’apporter de réponse à cette question. Mais la prise en compte de cette réflexion m’a permis, d’une part, de garder à l’esprit qu’un conflit pouvait survenir lors de la discussion (comme c’était semble-t-il devenu la norme lors des réunions) et, d’autre part, que je devais penser à ce que mon récit ethnographique final soit utile pour tous et ne desserve ni les intérêts de la direction ni ceux de l’équipe. J’avais donc préparé mon exposé de façon à consacrer autant de temps aux réflexions concernant la direction, qu’à celles concernant les intervenants ou encore ces deux types d’acteurs.
31Lorsqu’arriva le jour de retourner au RF, j’étais, malgré la préparation, quelque peu anxieuse. J’espérais évidemment que les acteurs concernés aient bien réceptionné mon travail mais, plus encore, qu’ils puissent percevoir le bénéfice d’une enquête anthropologique pour l’institution. Arrivée lors d’un moment de pause pendant la réunion, j’ai eu l’occasion de saluer l’ensemble des intervenants avant de prendre la parole. Cela a été l’occasion pour certains de me féliciter et pour d’autres de me marquer leur impatience d’avoir une discussion avec moi sur certains points. C’est confiante par rapport à la nécessité de ma démarche que j’ai pris place pour mon intervention. M. Gérard m’a donné la parole en ne manquant pas de me rappeler la limite de temps dont je disposais. J'ai immédiatement commencé à exposer mon analyse. À ma surprise, ils semblaient tous attentifs à mes propos. Certains prenais même des notes. Il n’y a eu aucune interruption lors de mon exposé, ni pour une question, ni pour une remarque. Cela m’a étonnée car cela ne m’avait pas semblé être la norme lorsque j’effectuais mon terrain.
32Une fois mon exposé terminé, je les ai alors invités à prendre la parole à leur tour. C’était le moment que je redoutais le plus mais à ma grande surprise, même les plus sceptiques d’entre eux n’avaient pas de remarques négatives à me faire. Tous ont souligné le travail que j’avais effectué. Un intervenant m'a taquiné en m’avouant qu’il ne pensait pas que j’irais jusqu’au bout. Certains m’ont demandé des précisions mais les explications ont à chaque fois été assez brèves. D’autres ont émis le fait que mon travail avait permis une prise de conscience à plusieurs niveaux. Les clivages séparant l’équipe étaient, semble-t-il, mieux identifiés, permettant ainsi de les nommer plus facilement et, en définitive, de tenter de les résoudre. Un autre exemple frappant de cette prise de conscience est celui d’une intervenante, qui avait placé beaucoup d’espoir dans le fait que ma venue fasse changer les choses, et qui m’annonça qu’effectivement, depuis la lecture de mon analyse par les différents membres du RF, c’était le cas. En effet, M. Gérard se montrait maintenant beaucoup moins réticent face à la volonté des intervenants à avoir accès à des formations. Bien qu’elle ne m’ait pas dit si ce changement avait été impulsé par un certain nombre de membres du RF ou s’il s’agissait d’une initiative du directeur, le constat est le même : l’analyse produite ainsi que le premier temps de mon récit ethnographique avaient été bénéfiques pour l’institution et c’est précisément ce second temps de mon récit d’enquête final qui m’a permis de le constater.
33Concernant les affiches, M. Gérard ainsi qu’une majorité de l’équipe y étaient favorables, rejoignant mon idée selon laquelle cela permettrait une meilleure pérennité à mon analyse. Certains, à l’inverse, se sont montrés sceptiques, invoquant la brièveté des « bonnes résolutions », ou encore le fait que les intervenants avaient déjà une charge de travail suffisante que pour avoir recours à de nouveaux outils. M. Gérard était à ce propos d’accord sur ce point. Est-ce là un signe que le directeur entretient toujours son paradoxe face au changement ? Je n’ai pu répondre à cette question avant de quitter définitivement le RF. Et malgré cet avis mitigé à propos des affiches complétant mon récit ethnographique final, je maintiens que présenter le récit d’enquête final sous d’autres formes peut être un point positif pour les acteurs concernés même de loin par cette enquête ethnographique. Je pense ici aux enfants, aux jeunes et aux parents qui passent dans les bâtiments du RF. Pour peu que ces dernières soient affichées, cela participerait au récit d’enquête à destination des bénéficiaires du RF. M. Gérard m’avait affirmé que les affiches seraient accrochées aux murs, à l’exception de celles représentant un nouvel outil. Selon le directeur, cela n’avait pas sa place au vu du public.
Les apports des différents types de récit ethnographique
34Avant de conclure, j’aimerai réfléchir aux apports de ces différents types de récits d’enquête pour mon terrain.
35Le premier point à souligner à ce propos est que l’ensemble des récits ethnographiques survenus avant le récit d’enquête final de vive voix m’ont permis de construire ce dernier. En effet, les récit ethnographiques intermédiaires m’ont permis de mettre en lumière différentes difficultés auxquelles j’allais devoir faire face telles que le paradoxe face au changement entretenu par M. Gérard ou encore les différentes attitudes face à ma venue, et dans le même ordre d’idée, certains clivages présents au sein du RF. En effet, les moments de récits d’enquête « peuvent s’avérer un moment d’échange et être très riche » (Kobelinski 2008 : 196). De plus pour le second temps de mon récit ethnographique final, j’ai pris comme base pour la construction de mon exposé, le texte produit pour le premier temps de mon récit d’enquête final.
36Deuxièmement, cette démarche m’a permis d’avoir un retour spontané quant à leur vision de mon travail. Bien que neuf mois aient séparé ces deux étapes de mon récit ethnographique final, je pense que le fait que les intervenants aient pu réagir de vive voix a été bénéfique pour la transmission de leurs considérations quant à mon analyse. J’émets l’hypothèse selon laquelle très peu d’intervenants du RF, peut-être même aucun, n’aurait pris la peine de me transmettre son ressenti ou ses questions par e-mail s’ils n’avaient pu le faire oralement. Pourtant, « lorsqu’on restitue on risque toujours de froisser les sensibilités » (Kobelinski 2008 :191) et il me semble important, en tant que chercheur, de minimiser ce risque autant que possible. À mon sens, le fait de rencontrer l’ensemble de l’équipe pour effectuer mon récit d’enquête final de vive voix a été l’occasion parfaite de les inviter à me confier leur ressentis par rapport à mon analyse, aussi négatifs soient-ils, mais aussi leurs questions afin que je puisse y apporter une éventuelle explication et ainsi apaiser la situation si nécessaire.
37Le dernier élément que j’aimerais mettre en lumière concerne les nouveaux matériaux ethnographiques qui ont émergé ou ont été produits suite à ce second temps de mon récit d’enquête (Bizeuil 1998). Les différentes réactions et réflexions que m’ont partagées les membres de l’institution auraient été de bonnes bases pour poursuivre la recherche. Malheureusement cela n’a pas pu se mettre en place. Mais cela m’a tout de même permis d’enclencher une réflexion plus générale à propos des récits d’enquête. Bien que j’aie effectué une multitude de récits ethnographiques intermédiaires, destinés tantôt à M. Gérard tantôt à certains membres du RF et puis à d’autres, je n’ai jamais mis en place une rencontre rassemblant l’ensemble des membres du RF à qui j’aurais au préalable transmis un document reprenant l’avancée de ma recherche (Flamand 2005). Je pense en effet que cette démarche aurait pu être bénéfique pour la réalisation de mon terrain en faisant émerger plus rapidement certains questionnements ou constats mais aussi peut-être en mettant en exergue des comportements, des pratiques ou des discours auxquels je n’ai pas eu accès (Flamant 2005 ; Kobelinski 2008 ; Vidal 2011).
Conclusion
38Cette expérience de terrain au sein du RF a été l’occasion pour moi d’alimenter ma propre réflexion à propos du récit ethnographique en tant que processus. Il me semble primordial de parler de processus, car comme je l’ai exposé, le récit d’enquête se prépare, se réfléchit, s’ajuste en fonction des acteurs auxquels il sera présenté : « La restitution n’est donc pas à considérer seulement comme une étape qui interviendrait après l’enquête. L’enjeu consiste bien plus dans la perspective de la restitution future, qui, dès le début et tout au long de l’enquête structure la relation entre l’ethnologue et ses interlocuteurs » (Flamant 2005 :142). Bien que Flamant use du terme restitution que je trouve peu adéquat, je rejoins son propos. Le récit d’enquête n’est pas le point final de l’enquête ethnographique mais au contraire une des nombreuses étapes survenant lors d’un terrain en anthropologie.
39« Le récit d’enquête contribue, en premier lieu, à rendre crédible le compte rendu de recherche. Il donne au lecteur le moyen de se faire un jugement sur le travail d’enquête et d'analyse » (Bizeuil 1998 : 777). C’est dans cette perspective que j’ai fait le choix de réaliser des récits d’enquêtes intermédiaires. Je voulais pouvoir échanger avec les acteurs concernés à propos de l’analyse que je menais afin qu’ils ne soient pas en quelque sorte exclus du processus réflexif que je menais. Cela a été bénéfique car cela m’a permis de mettre en lumière différents comportements, différentes visions face à mon travail mais aussi face au RF.
40De plus, ces différents récits ethnographiques intermédiaires m’ont permis de préparer mon récit d’enquête final avec plus de minutie et d’attention sur certains détails. Celui-ci, réalisé sous deux formes (écrite et orale) à deux moments différents, a été une expérience nouvelle me concernant mais également très enrichissante. En effet, le fait de préparer mon rapport de stage et de le transformer en un document compréhensible et utile pour les différents acteurs du RF, a été un exercice quelque peu ardu mais m’a permis de questionner la forme que devait prendre mon écrit en fonction de l’auditoire auquel il s’adresse (Kobelinski 2008). Ce premier temps de récit ethnographique final a également été le socle de mon récit ethnographique final de vive voix. Ce second temps de récit d’enquête final a été une expérience très enrichissante. Il m'a permis d’avoir un retour direct sur mon analyse, mais aussi une discussion avec les différents intervenants ainsi qu’avec le directeur.
41Tant les récits d’enquêtes intermédiaires que finaux m’ont permis d’entretenir une bonne relation avec les différents membres du RF. De cette façon, ils n’ont pas eu l’impression que je leur « cachais » quelque chose et cela a réduit une des difficultés du terrain à savoir d’établir une bonne relation ethnographique, même si, comme je l’ai exposé, tous n’étaient pas favorable à ma venue. Cela m’a permis aussi, en tant qu’anthropologue, de faire émerger et de produire différents types de matériaux ethnographiques. Et finalement, cela m’a permis de quitter le terrain de façon sereine en laissant au RF une analyse utile pour réfléchir au fonctionnement de l’institution.
Bibliographie
42Bateson G. 1995 Vers une écologie de l’esprit 1. Paris : Éditions Points.
43Bizeuil D. 1998 « Le récit des conditions d’enquête : exploiter l’information en connaissance de cause », Persée, http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1998_num_39_4_4840
44Flamant N. 2005 « Observer, analyser, restituer. Conditions et contradiction d’une enquête ethnologique en entreprise », Terrain 44 : 137-152.
45Kobelinsky C. 2008 « Les situations de retour. Restituer sa recherche à ses enquêtés » (185-204), In D. Fassin & A. Bensa (eds.) Les politiques de l'enquête. Paris : La Découverte.
46Lambert A. 2003 « Un ethnologue en entreprise : entre séduction et révélation », ethnographiques.org, http://www.ethnographiques.org/2003/Lambelet.html
47Vidal L. 2011 « Rendre compte. La restitution comme lieux de refondation des sciences sociales en contexte de développement », Cahiers d’études africaines 202-203 : 591-607.
Notes
1 Institution de Réinsertion Familiale (RF) dont le but est d’intervenir au sein des familles afin d’éviter le placement des enfants par le juge.
2 Je me base ici sur la définition du terme « retour » proposée par le dictionnaire Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/retour/68905?q=retour#68150. Je ne présente ici uniquement les définitions en lien avec le contexte qui nous occupe.
3 Je me base ici sur la définition du terme « paradoxe » proposée par le dictionnaire Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/paradoxe/57878?q=paradoxe#57539.
4 Mon rapport de stage était en fait composé de quatre partie détaillant les différentes tâches effectuées au sein du RF. Les trois premières étaient dédiées à la récolte et à la production de matériaux ethnographiques tandis que la dernière constituait l’analyse à proprement dite.