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Léa Di Francesco

Place au public. « Super Marionnette », l’exposition temporaire du Musée de la Vie wallonne à Liège (Belgique)

(Numéro 2 — Carnets de visite)
Compte-rendu
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Mots-clés : exposition temporaire, médiation culturelle, marionnettes, public
Keywords : temporary exhibition, cultural mediation, marionette, public

1Les expositions temporaires prennent de plus en plus d’ampleur au Musée de la Vie wallonne. De Jouet Star à Leonardo Da Vinci, les Inventions d’un Génie en passant par l’Expo Moto, le musée ne cesse de se diversifier et de surprendre son public. Sous le prisme de la médiation culturelle, c’est l’exposition Super Marionnettes qui sera analysée dans ce carnet de visite.

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Le musée de société liégeois

3Le Musée de la Vie wallonne (MVW), en tant que musée de société, invite ses visiteurs depuis 1913 à découvrir « la vie des Wallons d’autrefois et d’aujourd’hui » (site officiel du MVW). L’édifice au style mosan abrite plusieurs salles d’expositions permanentes ainsi que des espaces dédiés aux expositions temporaires comme l’Espace Saint-Antoine, ancienne Église du même nom. L’institution possède également un Théâtre de marionnettes, conviant petits et grands à se divertir aux côtés du couple liégeois, Nanesse et Tchantchès.

4En outre, les visiteurs peuvent profiter de la boutique du musée proposant une large gamme de produits comme des livres sur la ville de Liège, des cartes postales, des produits dérivés et des jeux à l’ancienne. Le restaurant « Le Cloître » du musée accueille de même les visiteurs avec des spécialités liégeoises.

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6En 2003, le service de médiation est créé avec la volonté d’axer la médiation sur les échanges et les interactions avec le public. Le musée invite le public à « s’approprier progressivement un certain nombre de concepts, la plupart du temps de manière ludique, toujours de manière active » (Chaumier & Mairesse 2017, p. 11).

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Faire place au public

8Les expositions temporaires permettent au musée de s’ancrer dans le présent et ainsi d’être fidèle aux démarches du musée de société : ne pas exposer un « passé fossilisé » (Gellereau 2017, p. 35). Les dispositifs de médiation risquant de mal et rapidement vieillir dans le parcours permanent, s’épanouissent au sein d’une exposition temporaire (Icom 2014, p. 21).

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10Au MVW, les concepteurs des expositions temporaires envisagent une panoplie d’idées innovantes laissant le public participer pleinement.

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12En 2018, l’exposition temporaire Super Marionnettes, l’expo dont tu es le super héros propose une expo-jeu à destination des enfants, mais également des adultes. Cette exposition évoque en effet l’histoire de cet art tout en intriguant les visiteurs avec la disparition de Nanesse, l’épouse du célèbre Tchantchès.

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14Avant d’entrer dans l’espace dédié à cette exposition, les visiteurs constatent la présence d’un long mur peint sur le thème de l’exposition dans le cloître du musée. Cette initiative annonce et plonge déjà les visiteurs dans l’ambiance.

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Figure 1 – Cloître du musée, 2019. Photo : Léa Di Francesco.

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17Les visiteurs reçoivent en début de visite un dépliant de l’exposition en français, un livret plus complet disponible uniquement lors de la visite en plusieurs langues et un « Adventure book » pour les enfants.

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19Les visiteurs entrent dans un univers particulier mêlant le monde vidéoludique et celui de l’art des marionnettes. Ils s’évadent et s’immergent le temps d’une exposition.

20L’exposition propose d’organiser l’espace en créant ces deux fils conducteurs. Ces derniers permettent de réduire la distance installée habituellement par les vitrines entre les expôts et les visiteurs (Houtteman-Flabat 2018, p. 41).

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22La visite commence par une porte « start » faisant référence au lancement d’un jeu vidéo. Cette référence est renforcée par l’illusion d’être à l’étape du chargement d’un jeu allant de zéro à cent pourcent. Au fil des vitrines, ces références animent l’exposition avec notamment la description d’une marionnette présentant ses atouts et ses faiblesses comme lors du choix d’un avatar au début d’un jeu vidéo.

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Figures 2 – Univers vidéoludique, 2019. Photo : Léa Di Francesco.

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Figures 3 – Univers vidéoludique, 2019. Photo : Léa Di Francesco.

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26Ils sont ensuite invités à découvrir à la fois l’art de la marionnette liégeoise ainsi que des objets venant du Royaume-Uni, de Lyon, de Tournai, de Paris ou encore d’Anvers. Les concepteurs font voyager les visiteurs du XIXe siècle, en passant par les marionnettes de télévision, jusqu’à nos jours. Le musée propose des visites guidées de l’exposition, du Théâtre de marionnettes et en bonus, pour reprendre les termes de l’univers vidéoludique, un spectacle de marionnettes.

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28L’art de la marionnette occupe une place centrale au MVW. D’origine populaire et naïf, il se perfectionne avec des « traits plus personnels, liés au talent de grands sculpteurs » (Lempereur 2020-2021, p. 27). Tout comme le musée de société liégeois, le Théâtre de marionnettes évolue avec la société elle-même. Le sérieux des « chevaliers d’antan » (Impe 2018, p. 110) est rythmé par l’humour de Tchantchès. Le marionnettiste actuel de ce théâtre liégeois, Anthony Ficarrotta, conçoit des pièces contemporaines. En mai 2021, il envisage une histoire sur la « malbouffe » avec une marionnette hamburger aux pieds nuggets.

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30Le public (re)découvre cet art au sein de cette exposition interactive. Afin de retrouver Nanesse, des indices sont dissimulés tout au long de l’exposition. Les visiteurs sont engagés mentalement par le jeu de piste, mais également physiquement par la manipulation de dispositifs de médiation.

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La médiation culturelle ou la mise en relation

32Ce double engagement du corps et de l’esprit permet au visiteur de s’approprier le contenu de l’exposition. La médiation culturelle est comprise au sein de cette exposition comme une « mise en relation, avec soi, avec l’autre, avec le monde » (Chaumier & Mairesse 2017, p. 10). Les dispositifs sont mis à la hauteur des enfants et invitent tout un chacun à participer réellement. Cette exposition se situe donc loin d’une simple « transmission d’informations » d’un musée vers un public (Chaumier & Mairesse 2017, p. 10).

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34S’inspirant de livres mis à disposition, les visiteurs créent leur spectacle de marionnettes. En sous-pesant des marionnettes, ils se rendent compte de la difficulté d’être montreur. En manipulant des dispositifs, ils réfléchissent sur les matières composant la marionnette liégeoise.

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Figures 4 – Dispositif de médiation, 2019. Photo : Léa Di Francesco.

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Figures 5 – Dispositif de médiation, 2019. Photo : Léa Di Francesco.

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38En définitive, le musée invite le public à participer, à être actif dans un lieu qui pendant longtemps était composé de barrières et de conventions : « ne pas parler, [ne] pas bouger, ne pas être actif » (Gob & Drouguet 2003, p. 178).

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40La logique spatiale (Mairesse, 2011) de cette exposition est organisée autour de pièces qui se suivent avec un sens de visite imposé par une signalétique. Chaque nouvel espace possède une thématique. L’agencement, les couleurs et les manières de présenter les expôts sont différents selon chaque thématique. Les visiteurs découvrent, à chaque pièce, un « level » rappelant l’univers des jeux vidéo. Chaque espace répond à un thème, exposé via une mise en scène ainsi que des dispositifs de médiation qui lui sont propres.

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Figures 6 – Mise en scène du « Level 3 », 2019. Photo : Léa Di Francesco.

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Figures 7 – Mise en scène du « Level 3 », 2019. Photo : Léa Di Francesco.

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44Le parcours fléché dynamise la visite et s’accorde aux deux fils conducteurs : le jeu de piste nécessite des étapes consécutives et l’univers du jeu vidéo est toujours rythmé par des étapes à suivre.

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46Les indices pour retrouver Nanesse agrémentent l’exposition – l’histoire de l’exposition – et les visiteurs écrivent sur un papier ces indices trouvés au fur et à mesure. Ainsi, pour trouver l’un des indices, les visiteurs sont amenés à enfiler une marionnette à main afin d’ouvrir un tiroir. La forme est en cohérence avec le contenu de l’exposition.

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48L’agencement de l’exposition permet aux visiteurs de circuler à l’aise. Les espaces entre les expôts aèrent le propos et chaque élément est apprécié. Après tout : « L’espace autour d’un tableau c’est le silence autour de la musique » (Focillon 1921). Rien n’échappe aux visiteurs car chaque élément est visible, accessible directement au regard et n’est pas altéré pas d’autres éléments.

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50La thématique centrale de l’exposition est traitée de façon originale et s’adresse à un large public, comme annoncé sur le site internet du musée. Les visiteurs peuvent en effet visiter différemment l’exposition : un enfant peut manipuler tous les dispositifs de médiation pendant que ses parents lisent les panneaux explicatifs sur l’histoire de l’art des marionnettes. Peu importe leurs âges, ils découvrent avec curiosité l’histoire de Tchantchès et de ses amis (ou ennemis d’ailleurs).

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52Le graphisme de l’exposition rend celle-ci dynamique et ne prend pas le dessus sur l’exposition, il est au contraire au service de celle-ci. Ce graphisme permet à la médiation de s’épanouir et de proposer aux visiteurs une exposition colorée, esthétique et ludique. À titre d’exemple, l’apparence des murs en concordance avec les thématiques abordées.

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Figure 8 – Graphisme de l’exposition, 2019. Photo : Léa Di Francesco.

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Le savoir-faire derrière l’objet

55Au-delà des dispositifs de médiation créés pour l’exposition, la mise en relation (Chaumier & Mairesse 2017, p. 10) avec le public s’accomplit par la découverte de l’envers du décor de l’art des marionnettes. Les visiteurs découvrent autrement les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel du marionnettiste. L’exposition permet de « rendre les marionnettes exposées vivantes, en leur donnant des rôles à jouer au sein de l’intrigue » (Jadot 2018, p. 10). Les concepteurs évoquent non seulement l’objet, mais également le geste derrière l’objet. Cette valorisation du patrimoine culturel immatériel réduit à nouveau la distance instaurée entre les vitrines et les visiteurs.

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57Dans une démarche « de société », le musée n’expose pas des objets sacralisés ou des œuvres d’art, mais bien des objets « modestes, d’usage courant, parfois issus de productions en série » (Drouguet 2015, p. 185). Ce choix d’exposition permet aux visiteurs de s’identifier plus aisément aux expôts, spécialement les jeunes visiteurs. De plus, ces objets provoquent fréquemment un sentiment nostalgique et réminiscent auprès des visiteurs (Drouguet 2015, p. 181-182).

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59En participant à l’exposition, les visiteurs apprennent l’histoire de cet art tout en s’amusant. Au théâtre ou au sein de cette exposition, une histoire est racontée (Houtteman-Flabat 2018, p. 40). À la différence que le spectateur est « assis immobile » (Houtteman-Flabat 2018, p. 40) et que le visiteur vit « une expérience de visiteur actif et mobile dans l’espace qui va émoustiller sa réception cognitive et sensitive » (Houtteman-Flabat 2018, p. 40).

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61Super Marionnettes redonne vie aux marionnettes exposées. Que ce soit sur scène ou en vitrine une mise en relation émerge entre « le public et la matière artistique et culturelle » (Houtteman-Flabat 2018, p. 43). Dans cette optique, les visiteurs tiennent le rôle principal lorsqu’ « il[s] regarde[nt] les marionnettes, mêmes immobiles » (Drouguet 2018, p. 80). Ils entrent en dialogue avec l’objet en manipulant les dispositifs de médiation et également en s’immergeant dans ces deux univers, ces deux fils conducteurs, ces deux arts.

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63Le soclage, support essentiel pour exposer la collection, est assorti à la thématique de la pièce et un interrupteur est souvent présent sur le socle. Cet interrupteur enclenche des sons en lien avec l’objet exposé.

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Figure 9 – Soclage, 2019. Photo : Léa Di Francesco.

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66Dans la continuité, les dispositifs audiovisuels et ludiques sont mobilisés tout au long de l’exposition. Des extraits vidéo mettent en avant la fabrication des marionnettes. Des baffles diffusent des applaudissements ou des rires. La pièce « écran » expose les marionnettes originales d’émissions de télévision comme Bla-Bla et plusieurs écrans diffusent ces émissions.

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Figure 10 – Dispositif audiovisuel, 2019. Photo : Léa Di Francesco.

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69Léopold Leloup, considéré comme le créateur de Tchantchès, et bien d’autres donateurs du MVW seraient heureux d’apprendre que les objets d’hier parlent aux visiteurs d’aujourd’hui grâce aux expositions innovantes, comme Super Marionnettes, truffées de dispositifs de médiation culturelle.

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71Le MVW intègre la population dans ses démarches muséales en collectant et en valorisant les objets de la population. En cela, il conserve l’histoire « à plusieurs voix » (Drouguet 2015, p. 194) et y inclut les visiteurs en créant des expositions participatives, ludiques et pédagogiques. Être le super héros d’une exposition est une idée de médiation à garder en tête pour le futur. D’ici là jusqu’à torat !

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Bibliographie

Chaumier Serge & Mairesse François, 2017 : La médiation culturelle, Paris, Armand Colin, collection U, 2e édition.

 

Mairesse François (dir.), 2011 : Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin.

 

Document de référence ICOM International, 2014 : « Projet d’exposition, le guide des bonnes pratiques » de la Fédération des entreprises publiques locales, Association Scénographes.

 

Drouguet Noémie, 2015 : Le Musée de société : De l’exposition de folklore aux enjeux contemporains, Paris, Armand Colin.

 

Focillon Henri, 1921 : La Conception moderne des musées, Paris, Actes du 13e Congrès d’histoire de l’art, Tome 1.

 

Gellereau Michèle (dir.), 2017 : Témoignages & médiations des objets de guerre en musée, Presses Universitaires du Septentrion, Information et Communication.

 

Gob André & Drouguet Noémie, 2003 : La muséologie : histoire, développements, enjeux actuels, Paris, Armand Colin.

 

Lempereur Françoise, 2020-2021 : Introduction au Patrimoine culturel immatériel (syllabus du cours ANTH0038-1), Université de Liège.

 

Musée de la Vie wallonne, 2018 : « La marionnette, objet de musée et patrimoine vivant ». Actes du colloque, Liège, Les éditions de la Province de Liège.

 

Musée de la Vie wallonne [en ligne], disponible sur : https://www.provincedeliege.be/fr/node/833.

Pour citer cet article

Léa Di Francesco, «Place au public. « Super Marionnette », l’exposition temporaire du Musée de la Vie wallonne à Liège (Belgique)», Les Cahiers de Muséologie [En ligne], Numéro 2, Carnets de visite, p. 107-116 URL : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=1186.

A propos de : Léa Di Francesco

Léa Di Francesco est diplômée à l’Université de Liège. Son mémoire de fin d’études était une étude de cas des pratiques de médiation culturelle au sein du Musée de la Vie wallonne pendant la crise sanitaire du Covid-19.  Elle a étudié la Communication en Bachelier et s’est spécialisée en Médiation culturelle et relations aux publics. Léa est passionnée par l’univers muséal depuis son plus jeune âge. Elle réalise ses deux stages universitaires au Musée des Transports en Commun de Wallonie et au Musée de la Vie wallonne. Depuis octobre, elle travaille au sein du Little Museum of Dublin afin de découvrir de nouveaux horizons, d’entrer dans la vie professionnelle et de perfectionner son anglais.