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Présentation
Muséologie sociale : dialogues, réflexions et pratiques décoloniales1
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Version PDF originale1La revue Les Cahiers de Muséologie de l’Université de Liège, restructurée en 2021, paraît au rythme d’un numéro annuel, offrant aux jeunes chercheurs et chercheuses en Muséologie ainsi qu’aux divers profils professionnels du domaine muséal un espace pour la publication de leurs travaux. À l’occasion de sa récente restructuration, s’est manifesté dans sa ligne éditoriale un intérêt accru pour la circulation internationale des idées, avec des appels à contributions ouverts qui ont attiré des textes en provenance de divers continents, stimulant la publication en français d’auteur-e-s non francophones. Un autre aspect qui a gagné de l’importance est la place accordée aux muséologies dites insurgées (Duarte Cândido, Cornelis et Nzoyihera, 2019) à travers la parution, dès le premier numéro de la revue dans sa nouvelle version, de la Déclaration de Córdoba (XVIIIe Conférence du MINOM, Argentine 2017), un document fondamental pour la Muséologie sociale, commenté par des auteurs comme Yves Bergeron (2021) et Mario Chagas (2021).
2Dans ce présent numéro hors-série, nous approfondissons ces thématiques par la traduction et la publication en français d’une sélection d’articles parus initialement au Brésil en 2014, dans un volume des Cadernos do CEOM coordonné par Mario Chagas et Inês Gouveia.2 À l’époque, cette publication a présenté la particularité d’accueillir les contributions de nombreux protagonistes d’initiatives de Muséologie sociale, quand bien même ces derniers n’étaient pas tous issus des rangs du monde académique. En cohérence avec les principes de ce mouvement, les coordinateurs de ce recueil ont délibérément renoncé à exiger exclusivement des textes de caractère scientifique, valorisant la diversité des récits, des épistémologies et des lectures du monde. Qu’elles relatent des expériences réalisées par les acteurs de terrain ou qu’elles présentent des analyses produites par des chercheurs, chercheuses et professeur-e-s du domaine de la Muséologie, les diverses contributions ont été publiées sur un pied d’égalité.
3Le contenu de ce numéro des Cadernos do CEOM, de près de 500 pages, n’a pas été reproduit dans son intégralité ici. Il a été adapté à un volume de pages compatible avec la moyenne des publications des Cahiers de Muséologie. La traduction a conservé les textes dans leur état originel, sans altérations de la part de leurs auteur-e-s. Ces articles présentent ainsi, rétrospectivement, un moment précis de la trajectoire de la Muséologie sociale au Brésil. Pour la plupart, ils ont été écrits entre 2013 et 2014. Quelques-uns sont des rééditions de textes déjà publiés antérieurement, devenus à ce moment-là des références importantes dans la discipline.
4De fait, la publication originale de 2014 dialoguait avec un contexte d’accroissement des politiques culturelles publiques au Brésil, dont on pouvait observer les effets directs sur l’expansion du domaine du patrimoine culturel et des musées. S’ensuivit un déclin vertigineux, dont les pires conséquences n’ont pu être atténuées qu’en vertu de l’enracinement d’un certain nombre de processus, et de la résistance, de l’imagination créatrice et la résilience des musées et des mouvements sociaux comme le Réseau de Muséologie sociale de Rio de Janeiro.
5Le cadrage temporel adopté pour traiter de la notion de Muséologie sociale telle qu’elle apparaît dans les Cahiers du CEOM se situe entre les années 2000 et 2016.3 Une compréhension en profondeur de cette période exigerait de considérer la complexité de la société brésilienne (face à la colonialité4 et ses effets structurels) et les voies empruntées par les gouvernements successifs de droite depuis la fin de la dictature militaire (1964-1985), avec la redémocratisation (1985-1988), et plus particulièrement les politiques mises en œuvre sous les gouvernements de centre-gauche (2003-2016). Ce contexte, bien connu dans le domaine de la Muséologie et du patrimoine au Brésil, constituait par conséquent indirectement la toile de fond de l’introduction du recueil original.
6Depuis 2003, dans la foulée de l’élaboration de la Politique nationale des musées, les concepts et les pratiques de la Muséologie sociale avaient gagné du terrain et s’étaient largement diffusés. La fondation en 2006 du Museu da Maré5, l’un des premiers musées de favela du Brésil, dans la Zone Nord de Rio de Janeiro, marque en ce sens un point d’inflexion important. Lors de la création en 2009 de l’Institut brésilien des musées (Ibram), rappelons-le, a été considéré la nécessité de mettre en place un Département des processus muséaux (Dpmus), comprenant une Coordination de la muséologie sociale et de l’éducation (Comuse), incluant à son tour une Division de la muséologie sociale (Dimus). La première directrice de cette division fut l’historienne Cláudia Rose Ribeiro da Silva, co-fondatrice et coordinatrice du Museu da Maré. Une muséologie engagée dans les changements sociaux trouvait ainsi sa place dans l’organigramme de l’Ibram.
7Notre référence à ce musée, intentionnelle et significative, ne s'arrête pas là. Elle vise également à signaler la regrettable absence de celui-ci dans la présente publication. Une absence qui toutefois repose sur de bonnes raisons : à l’époque de la parution du recueil original du CEOM, les créateurs de ce musée, ceux qui lui donnaient vie et concrétude, affrontaient quotidiennement un processus d’expulsion qui s’est prolongé durant cinq ans et a culminé avec la victoire de ces derniers. Longue vie au Museu da Maré !
8En 2014, au Brésil, le terme de « Muséologie sociale » s’est imposé, et l’existence de musées communautaires, de musées sociaux, de musées de favelas, de musées indigènes, de musées quilombolas6, de musées de parcours ou de territoires, d’écomusées et de nombreux autres types de musées socialement engagés, rencontre un écho important. Face aux paradigmes dominants des processus de patrimonialisation et de muséalisation, leurs fondements, critères, concepts et notions suscitent certes encore de la méfiance. La publication du numéro des Cahiers du CEOM cherchait à amplifier la résonance de ces processus d’élaboration de la mémoire sociale. C’était l’occasion de rapprocher ces musées de celles et ceux qui peut-être ne les avaient jamais perçus comme tels, y compris du fait de leur manque d’ouverture épistémologique pour les comprendre en rapport à leur propre condition et identification en termes de constitution corporelle, de nom, de territoire, de genre et d’orientation sexuelle.
9L’un des points d’ancrage de la Muséologie sociale est la notion de muséodiversité qui, très littéralement, soutient l’idée que nous ne voulons pas et n’avons pas besoin d’un canon muséal. Au contraire : la diversité des musées renforce et rajeunit le champ muséal. Toujours est-il que nombre de ses acteurs, actrices et intellectuel-le-s aimeraient soumettre ce dernier à leurs normes personnelles, presque toujours colonialistes. Le principe de muséodiversité, à l’inverse, implique de fait la reconnaissance de l’importance de la diversité des musées, de la valorisation et de la préservation de celle-ci.
10Pour les individus et les groupes participant activement de la Muséologie sociale, la publication des Cahiers du CEOM présentait l’intérêt d’apporter une reconnaissance à l’importance de leur travail, et de stimuler son approfondissement. La réédition de ce contenu en 2022, à l’intention des lectrices et lecteurs francophones, vise à élargir la diffusion du contexte brésilien, dans les aspects génériques qu’il partage avec d’autres contextes, du fait des politiques culturelles internationales (hégémoniques et contre-hégémoniques), mais surtout à travers ses particularités, expression de la diversité culturelle et des dynamiques sociales qui animent ce pays. Qu’on ne s’y trompe pas cependant : il n’est pas ici question d’exceptionnalité. En quelque contexte que ce soit, c’est le particulier, la multitude des manières possibles de faire advenir des particularités, qui assume le rôle de médiateur dans les rapports dialectiques entre ce que l’on tient pour universel et ce que l’on tient pour singulier, et qui confère à ces deux notions une tangibilité (Bornheim 1980).
11C’est dans cette perspective que l’on observera que la Muséologie sociale brésilienne a été, et est toujours influencée par les expériences de musées contre-hégémoniques menées dans d’autres pays et continents, par la notion d’écomusée et par la pensée et le travail d’intellectuel-le-s de renommée internationale, comme Hugues de Varine, André Desvallées, Mathilde Bellaigue, John Kinard, Evelyne Lehalle, Jacques Hainard, Pierre Mayrand, Alpha Oumar Konaré, Stanislas Adotevi, Peter van Mensch, Mateo Andrés, Marta Arjona, Mário Vasquez Ruvalcaba, Alfredo Tinoco, Cláudio Torres, Mário Moutinho, Waldisa Rússio et Mario Chagas. Elle apporte des contributions et entretient des correspondances avec le Mouvement International pour une Nouvelle Muséologie (MINOM), ainsi qu’avec des musées dans d’autres régions d’Amérique latine. Elle partage aussi avec ces derniers une référence commune, celle de la Table ronde de Santiago du Chili de 1972, jalon au niveau international du débat sur le musée intégral, intégré à la société et à son contexte. Cinquante ans plus tard, cet événement et le document qui le synthétise, la Déclaration de Santiago, ont fait l’objet de nombreuses analyses quant à leurs avancées et leurs limites, entre les fulgurances d’une critique radicale des musées et la prise en compte de leur fonction sociale, quand bien même celle-ci serait formulée dans une perspective libérale et développementaliste. Ce numéro spécial des Cahiers de Muséologie s’inscrit ainsi également dans le cadre de la célébration du 50e anniversaire de cette Table ronde, qui continue d’inspirer des expérimentations dans le domaine de la Muséologie sociale.7
12La Muséologie brésilienne s'enorgueillit de rappeler à ce sujet que l’un des intellectuels envisagés pour contribuer aux débats de Santiago était Paulo Freire, l’un des penseurs brésiliens les plus renommés dans le domaine de l’éducation, qui a développé la théorie et la méthode d’une pédagogie de la libération, de l’autonomie et du questionnement, à l’encontre d’une vision « bancaire » de l’éducation.8 En 1972 cependant, Paulo Freire vivait exilé du Brésil, persécuté par les dictatures qui ont ravagé l’Amérique Latine dans la seconde moitié du XXe siècle, imposées, instruites et soutenues par des gouvernements militaires et des agents des intérêts économiques, notamment étasuniens. Quel que fut le lieu de résidence du grand pédagogue, l’intervention du gouvernement dictatorial brésilien a empêché l’officialisation de son invitation.9 Cet épisode de persécution s’ajoutent à d’autres éléments qui témoignent du caractère décolonial de la Mesa de Santiago. Quelques mois après cette rencontre, le gouvernement socialiste démocratiquement élu de Salvador Allende subira un coup d’État, amorçant la période de la dictature au Chili. Et si en 2021 a été commémoré le centenaire de la naissance de Paulo Freire, cela fut vécu, pour beaucoup d’entre nous au Brésil, sur un mode paradoxal : d’une part comme une reconnaissance nationale et internationale apportée à la pédagogie libératrice de Freire ; de l’autre en se heurtant aux restrictions internes imposées à cette pédagogie et aux attaques de plus en plus fréquentes menées contre les droits humains par l’extrême-droite gouvernant le pays.10
13Travailler à la réédition de ce contenu nous permet de réfléchir aux avancées, aux confrontations, aux résultats, aux malentendus et aux défis de cette histoire récente des musées et de la Muséologie brésilienne, dans le cadre de la Muséologie sociale et d’autres muséologies qui se veulent contre-hégémoniques. Des perspectives muséales qu’illustre assurément la note manuscrite laissée par Boaventura de Souza Santos dans le livre d’or du Museu da Maré le 7 novembre 2015, au plus fort des luttes menées pour éviter que celui-ci ne soit expulsé de ses locaux :
14« Ce musée ne peut pas partir d’ici. Qu’il reste. Je suis ému par la richesse humaine et culturelle que j’ai trouvée dans ce Museu da Maré. J’étais ici il y a quarante-cinq ans, [le quartier de] Maré était alors bien différent, et bien plus éloigné de la dignité. Dans les pires conditions politiques et sociales, confrontée au racisme et à la discrimination, cette merveilleuse communauté est parvenue à se construire une vie digne, dans une société qui n’a de cesse de la criminaliser. Ce musée est la preuve la plus éloquente de la vitalité et de la créativité de cette communauté. C’est un musée contre-hégémonique qui raconte la dignité des classes populaires. La technologie muséologique mobilisée ici est une merveilleuse démonstration de ce que j’appelle l’écologie des savoirs : le dialogue entre le savoir populaire et le savoir technique dans la construction de l’émancipation. »11
15Le passé ne passe pas. Jamais. Le passé nous habite. Et le passé récent de la Muséologie sociale, comme n’importe quel autre passé, peut et doit être interrogé pour que nous puissions créer dans le présent de nouvelles possibilités, des opportunités renouvelées d’élaborer des musées, des muséologies et des processus muséologiques décoloniaux. Il importe de souligner qu’historiquement, les musées d’Amérique latine ont été établis comme projet de colonisation. Cela n’a pas empêché, et n’empêche toujours pas, que soient simultanément développées et expérimentées de nouvelles manières de procéder, des manières créatives, en rupture, des manières décoloniales de penser et de faire des musées, en réponse aux conditions propres à la société brésilienne. Ainsi, les musées communautaires (mobilisant des processus muséologiques collectifs dans leurs activités de conservation, de systématisation et d’exposition des traces matérielles et symboliques de la mémoire et de la présence des groupes marginalisés dans la société) ne sont en rien des copies ou des imitations d’un grand musée européen. Ici ou là-bas – ou inversement, selon la perspective adoptée –, ce sont des expériences uniques, différentes les unes des autres, chacune correspondant à la société qui les habite et les formule, intègres dans leurs objectifs et leurs projets de mémoire. Si quelques-unes des problématiques soulevées ici peuvent sembler trop spécifiques au Brésil ou à l’Amérique latine, il convient de se souvenir que de telles questions s’appliquent de manière non moins spécifiques au « Nord », quand bien même ce dernier se pense « global » ; quand bien même il conçoit et affirme ses propres problématiques comme l’origine ou le paramètre de tout ce qui se trouve au-delà de ses frontières.12
16En guise de bilan de ce contexte de la Muséologie sociale au Brésil, parmi les apports que l’on peut mettre à son crédit et dont rendent compte les articles du présent numéro, on retiendra ici l’élargissement du débat sur la responsabilité des musées et des institutions de mémoire ; et cela de façon générale en ce qui concerne la lutte immédiate contre les graves problèmes d’extrême inégalité sociale résultant de l’intensification du néolibéralisme. Cette expansion s’observe dans l’engagement accru des institutions publiques, privées et communautaires vis-à-vis des mémoires et des collections représentant la trajectoire de personnes issues de la classe ouvrière, de la population noire, des communautés LGBTQIAP+, des personnes handicapées, des femmes, et de toute autre personne ou communauté historiquement persécutée et marginalisée. Cela se traduit également par l’accroissement des contenus liés aux muséologies insoumises dans les cours de formation (cours libres, premier cycle, master et doctorat). À cet égard, il faut aussi mentionner une plus ample diffusion de publications, d’événements, d’expositions et de projets ; une circulation intensifiée d’idées qui, plutôt que d’analyser le patrimoine culturel établi, problématisent les raisons, la légitimité – au nom de quoi, au nom de qui, en faveur ou contre qui –, et la façon dont s’opère l’institutionnalisation du patrimoine dans les territoires et dans les musées.
17La Muséologie sociale dont il est question dans ce volume fait également partie d’un mouvement plus vaste, mondial, de luttes acharnées autour de la mémoire et de la représentation publique des sujets. Comme on a pu l’observer dans plusieurs pays d’Amérique latine, ou encore en Belgique, les monuments qui consacrent les sujets blancs, représentants de la colonisation, ne font plus l’unanimité. Si l’on se plaît encore à voir dans l’héritage culturel de l’humanité l’ouvrage d’hommes de génie et de grands chercheurs, c’est toutefois autant au travail servile de nombre de leurs contemporains que nous en sommes redevables, comme l’a opportunément rappelé Walter Benjamin. Les monuments, documents de culture, se révèlent simultanément des témoignages de barbarie (Benjamin 1985 ; 1995). La dimension politique de la patrimonialisation et de la muséalisation s’élargit. Considérant que la partie la plus conservatrice des sociétés est celle qui détient la maîtrise de la mémoire, la dé-naturalisation de ce monopole indique que quelque chose bouge. Un mouvement qui n’est pas nouveau, mais qui connaît une accélération considérable en ce début de XXIe siècle. En cela, nous ne sommes pas seulement des résistances : nous sommes des avancées. Et selon cette perspective, c’est l’extrême-droite qui résiste à nos avancées.
18La puissance de la muséologie brésilienne et latino-américaine excède la capacité du présent recueil. Celui-ci n’en constitue qu’un apéritif, une offre réduite, une pilule muséale. Il nous faudrait prendre en compte le travail créatif et innovant du Museu do Sexo das Putas, à Belo Horizonte à l’intérieur du Brésil, du Museu da Beira da Linha do Coque, au Pernambouc dans le Nordeste, du Musée Mémorial Yá Davina à Rio de Janeiro, du Musée Mapuche au Chili et des Musées de la Mémoire en Argentine, au Paraguay, en Uruguay, et de bien d’autres encore. Des expériences extraordinaires de musées communautaires sont réalisées au Chili, au Mexique, en Colombie, au Pérou, en Bolivie, à Cuba, parmi tant d’initiatives qu’il nous reste à découvrir. Il existe un nouvel univers muséal, palpitant et puissant, à connaître et à étudier en Amérique latine. Pourquoi devrions-nous adopter la seule référence muséale européenne comme canon ? Ne pouvons-nous pas penser à partir d’autres critères, pratiquer d’autres modèles de musée ? De plus en plus nombreux sont les intellectuels et les expériences collectives qui affichent leur refus : non, nous n’avons pas besoin et ne voulons pas suivre les normes des musées européens ! Non, nous n’avons pas besoin et ne voulons pas nous embarquer dans des projets carriéristes ; ce que nous voulons, c’est vivre et affirmer notre existence de manière publique, poétique et politique !
19L’œuvre de Joaquín Torres García illustrant la couverture de cette publication apparaît pour beaucoup comme une carte inversée. Pour nous, c’est une réalité. Le sens des cartes, l’orientation de la mappa mundi, ce n’est pas nous qui l’avons décidée. Flottant dans l’espace, la planète peut cependant être contemplée et lue en toute liberté. L’œuvre de Torres García, au-delà de son sens esthétique et poétique, possède une contondance politique et philosophique, et nous interpelle : pourquoi admettez-vous de penser la carte du monde comme naturelle, et non comme une construction politique ? Pourquoi naturaliser la domination historique et géographique ? Pourquoi l’histoire et la géographie, la science et la religion, la philosophie et l’art devraient être racontés à partir d’une carte du monde dont la structure axiale, hiérarchique, est subordonnée à une logique Nord-Sud ? Voici des questions qui ont traversé la Muséologie Sociale brésilienne, et que nous souhaitons mettre en dialogue avec d’autres muséodiversités.
20Nous remercions les auteur-e-s qui ont autorisé la republication de leurs articles, et en particulier ceux qui nous ont fait parvenir leurs textes déjà traduits. Pour la majeure partie de la traduction et de la révision, nous avons pu compter sur un groupe de travail had hoc composé de bénévoles engagés dans la diffusion de la Muséologie sociale au-delà des barrières linguistiques. Nos sincères remerciements vont à Dominique Schoeni pour son partenariat dévoué, à Chloé de Sousa Veiga, investie dans cette tâche dès le début de ce projet, ainsi qu’à Leonor Hernández, Ana Swartz Paredes, Zélie Blampain, Mégane Fassin, Floriane Paquay, Vandi Makubikua et Elina Noris, toutes participantes du projet de recherche Les muséologies insurgées : échanges transnationaux de l’Université de Liège13.
21Sur le plan interne, Les Cahiers de Muséologie doivent beaucoup aux multiples talents et au travail systématique et rigoureux d’Alix Nyssen, ainsi qu’à l’aide toujours bienvenue d’Ana Swartz Paredes dans les étapes d’importation des textes sur notre plateforme en ligne.
22Avant de conclure, nous désirons encore formuler un souhait : que la traduction et la publication de ces textes en français signifie l’ouverture, sinon, comme en de nombreux cas, la confirmation d’un canal de communication entre des univers muséaux certes distincts, mais dont les possibilités de collaboration mutuelle sont grandes. Nous avons beaucoup à échanger, sans hiérarchies, affranchis de la perspective des projets coloniaux. Dans l’optique d’une production solidaire de connaissances, notre tâche est immense. Que de nouveaux projets surgissent ! Oxalá14 ! Que tout cela voit le jour !
Bibliographie
Benjamin Walter, 1985 : Magia e Técnica, Arte e Política. Sobre o conceito de História, São Paulo, Editora Brasiliense.
Benjamin Walter, 1995 : « Sur le concept d’histoire (1940) », Écrits français, Paris, NRF, Éditions Gallimard, pp. 333-356.
Bergeron Yves, 2021 : « "Le pouvoir de la muséologie sociale" ou le nouveau Décalogue de la muséologie. Essai sur la Déclaration de Córdoba », Les Cahiers de Muséologie [en ligne], n° 1, Dans la marge, 171-174 URL : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=886.
Bornheim, Gerd A., 1980 : « Filosofia e Realidade Nacional. », in O Idiota e o Espírito Objetivo. Porto Alegre, Globo, pp. 121-158.
Bruno Cristina, Chagas Mario & Moutinho Mário (eds), 2007 : Sociomuseology 1: New Focuses / New Challenges, Lisbon, Universidade Lusófona de Humanidades e Tecnologias. Disponible sur : http://revistas.ulusofona.pt/index.php/cadernosociomuseologia/issue/archive.
Chagas Mario & Gouveia Inês (org.), 2014 : Museologia Social, Cadernos do CEOM, Chapecó, Argos, vol. 27, n° 41. Disponible sur : https://bell.unochapeco.edu.br/revistas/index.php/rcc/ issue/view/168 (consulté le 10 mars 2022).
Chagas Mario, 2021 : « Le Mouvement International pour une nouvelle Muséologie et la Déclaration de Córdoba - Argentine », Les Cahiers de Muséologie [En ligne], n° 1, Dans la marge, p. 175-178. Disponible sur : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=888.
Duarte Cândido Manuelina Maria, Cornelis Mélanie & Nzoyihera Édouard, 2019 : « Les muséologies insurgées : un avenir possible pour une tradition épistémologique », The Future of Tradition in Museology : Materials for a discussion, Paris, ICOFOM, p. 50-54.
Duarte Cândido Manuelina Maria, 2021 : « La muséologie sociale : expériences brésiliennes », in Gob André & Drouguet Noémie, La muséologie : histoire, développements, enjeux actuels, Paris, Armand Colin, 5e édition, p. 316-319.
Quijano Aníbal, 2010 : « Colonialidade do poder e classificação social », in Santos Boaventura de Sousa & Menezes Maria Paula, Epistemologias do Sul, São Paulo, Cortez.
Santos Boaventura de Sousa, 2019 : O fim do império cognitivo: a afirmação das epistemologias do Sul, Belo Horizonte, Autêntica Editora.
Santos Boaventura de Sousa, 2011 : « Épistémologies du Sud », Études rurales, 187, Paris, Éditions de l'EHESS, p. 21-50.
unesco, 2015 : Recommandation concernant la protection et la promotion des musées et des collections, leur diversité et leur rôle dans la société, Paris, UNESCO, 2015.
Notes
1 Traduction Leonor Hernández et Dominique Schoeni.
2 Chagas Mario, gouveia Inês (org.) 2014 : Museologia Social, Cadernos do CEOM, Chapecó, vol. 27, n° 41. Disponible sur : https://bell.unochapeco.edu.br/revistas/index.php/rcc/issue/view/168 (consulté le 10 mars 2022). Nous tenons à remercier la revue Cadernos do CEOM pour l’autorisation de republier les textes en français.
3 Ou autrement dit, entre la création en 2000 du Programme National pour le Patrimoine Immatériel (PNPI), et le coup d’État parlementaire qui a évincé Dilma Rousseff de la présidence de la République en 2016. En ce qui concerne le PNPI, voir : Bresil, Décret n° 3.551, du 4 août 2000. Disponible sur : http://portal.iphan.gov.br/ uploads/ckfinder/arquivos/Decreto%20n%C2%BA%203_551%20de%2004%20de%20agosto%20de%202000. pdf (consulté le 10 février 2022).
4 Quijano Aníbal, 2010 : « Colonialidade do poder e classificação social », in Santos Boaventura de Sousa & Menezes Maria Paula, Epistemologias do Sul, São Paulo, Cortez.
5 Concernant le Museu da Maré, voir le dossier que lui consacre un numéro de la revue Musas (disponible sur : http://www.ibermuseos.org/wp-content/uploads/2020/05/musas3.pdf ; p. 129-160, en portugais) ; ainsi que le documentaire « Museu da Maré. Memórias e (re)existências » (disponible sur : https://www.you tube.com/watch?v=Ppp_w2SpVtw).
6 NdT : Au Brésil, le terme quilombola désigne à l’origine les membres des communautés formées par des femmes et des hommes esclavisés qui se sont enfuis et ont bâti en des lieux reculés leurs propres villages, ou ensembles de villages, appelés quilombos. Aujourd’hui le terme a gagné un sens beaucoup plus vaste, non seulement parce que des communautés autrefois rurales sont devenues urbaines, mais aussi du fait de la prégnance d’une identité quilombola dans la société brésilienne actuelle et de nouvelles revendications liées aux droits culturels et territoriaux. Voir à ce sujet : Boyer Véronique, 2010 : « Qu’est le quilombo aujourd’hui devenu ? De la catégorie coloniale au concept anthropologique », Journal de la Société des américanistes [en ligne], n° 96-2, p. 229-251. Disponible sur : https://doi.org/10.4000/jsa.11579 (consulté le 28 juin 2022).
7 À l'occasion de cet anniversaire, et à l'initiative de l'Université lusophone de sciences humaines et techno-logies de Lisbonne (ULHT) ainsi que de divers acteurs sud-américains, a été proposée à l'ICOM la création d'un Comité international de muséologie sociale.
8 Freire Paulo, 1998 [1968] : Pedagogia do Oprimido, 25e éd. Rio de Janeiro, Paz e Terra (dernière édition parue en français : La pédagogie des opprimés, Marseille, éditions Agone, 2021) ; Freire Paulo 1996 : Pedagogia da Autonomia : Saberes necessários a prática educativa, Rio de Janeiro, Paz e Terra ; Freire Paulo & Faundez Antonio, 1985 : Por uma pedagogia da pergunta, Rio de Janeiro, Paz e Terra.
9 Selon une communication orale de Hugues de Varine à Manuelina Duarte dans le cadre de ses recherches postdoctorales en 2014, une telle invitation n’a jamais été écrite. L’UNESCO, responsable de l’organisation de l’événement au Chili, travaille à un niveau de diplomatie internationale qui n’autorise aucune improvisation, et avant qu’une invitation ne soit officialisée, un processus de consultations est mené pour vérifier les possibilités d’acceptation et éviter tout inconvénient vis-à-vis des États. Le nom de Paulo Freire n’aurait pas passé cette étape préliminaire de sondage, les représentants de la diplomatie brésilienne ayant signalé qu’il n’obtiendrait pas l’approbation du gouvernement. La fameuse invitation s’est donc limitée à des contacts personnels entre Hugues de Varine et Paulo Freire, qui s’était montré disponible et intéressé à présenter une réflexion qui relierait ses propositions en matière d’éducation au domaine muséal. Cette rencontre entre Paulo Freire et les musées ne s’est donc pas réalisée à partir de sa propre production, mais du fait des nombreux professionnels de musées au Brésil qui ont depuis tissés des liens entre ces deux domaines.
10 Nous faisons référence au gouvernement de Jair Messias Bolsonaro, un politicien d’extrême-droite aux caractéristiques fascistes, élu président en 2018. Ce gouvernement a le soutien de l’extrême-droite internationale, au nom des intérêts financiers des agents dominants du capital.
11 Livre d’or du Museu da Maré. Museu da Maré, Rio de Janeiro, novembre 2015. - Santos Boaventura de Sousa, 2019 : « A desmonumentalização do conhecimento escrito e arquivístico », in Santos Boaventura de Sousa, O fim do império cognitivo: a afirmação das epistemologias do Sul, Belo Horizonte, Autêntica Editora, p. 263-292.
12 Santos Boaventura de Sousa, 2011 : « Épistémologies du Sud », Études rurales, n° 187, p. 21-50.
13 Sous la coordination de Manuelina Maria Duarte Cândido. Unité de recherche interfacultaire Art, Archéologie, Patrimoine (AAP). Ce projet a aussi un volet brésilien développé au sein du Programme de post-graduation en anthropologie sociale de l’Université fédérale de Goiás (PPGAS/UFG).
14 NdT : invocation de la divinité du Candomblé et de l’Umbanda Oxalá, signifiant « qu’il en soit ainsi ».