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Jacques Pouyaud

Le monde en résonances : récit d’une exploration

(Numéro 4 — Dossier)
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Résumé

Entre 2023 et 2025, le musée d’ethnographie de Bordeaux (MEB) a exposé un dispositif participatif intitulé Le monde en résonances : voyage au cœur de soi en compagnie de Victor Segalen. Ce dispositif, conçu comme un lieu de vulgarisation à la psychologie de l’orientation, est aussi un espace de voyage, de découverte et de consultation pour accompagner les parcours de vie. Le dispositif est basé sur une triple rencontre entre les théories du life design, celles de la résonance, et la notion de Divers à travers le personnage de Victor Segalen. L’article présente la démarche de recherche-création mobilisée pour concevoir, mettre en œuvre et faire vivre le dispositif, de l’idée de départ à la construction d’un nouveau modèle d’intervention.

Mots-clés : Life Design, narration, divers, psychologie de l’orientation, résonance

Abstract

From 2023 to 2025, the Bordeaux’s Museum of Ethnography (MEB) exhibited a participatory installation entitled Le monde en résonances : voyage au cœur de soi en compagnie de Victor Segalen. Designed as a space for travel, discovery and psychological counselling to support life’s pathways, this exhibit was conceived as a place for the dissemination of career counselling psychology. It is based on three encounters: between life design theories, resonance theories, and the notion of "the diverse" (or Otherness), as represented by Victor Segalen. This article presents the creative research approach that was used to design, implement, and sustain the project, from the initial idea to the construction a new intervention model.

Keywords : Life Design, narratives, otherness, career counseling psychology, resonance

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2Le monde en résonances1 est une exposition et un dispositif de médiation proposés au musée d’Ethnographie de Bordeaux (MEB) sur deux ans entre septembre 2023 et mai 2025.

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4Ce travail est l’aboutissement d’une démarche progressive de recherche-création qui a mobilisé d’abord une idée, puis un voyage, une structuration autour d’un comité scientifique, un engagement d’équipe, celle du musée d’ethnographie, une scénographe, des artistes un calligraphe, un poète, un musicien un environnement universitaire, des étudiants et des ressources financières associées. La démarche globale d’élaboration a été celle du vagabondage orienté. Cest cette errance constructive et collective que nous voulons relater ici.

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6En tant qu’enseignant-chercheur en psychologie de l’orientation à l’université de Bordeaux, l’idée de départ a été de proposer au musée d’ethnographie d’élaborer un dispositif permettant à la fois une vulgarisation de cette discipline auprès des visiteurs, et aussi de leur permettre d’utiliser l’espace comme un moment de rencontre, à la manière d’une rencontre avec un psychologue offrant un espace réflexif d’élaboration sur soi-même. L’exposition est donc pensée comme un dispositif de psychologie appliquée, une forme de médiation qui engage les visiteurs dans une expérience transformative.

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8La proposition était possible car le musée d’ethnographie est un musée universitaire dont la vocation est de soutenir les initiatives permettant une ouverture de la science au public. Le financement est celui alloué au musée par l’université pour le montage annuel des expositions2. À partir de là s’est construite une démarche d’élaboration mêlant ce que nous appelons ici des « erres »3 créatives de recherche qui consistent, sur la base d’un questionnement de recherche, à mobiliser un processus créatif basé sur le vagabondage, dont le tracé va servir à repenser sous une autre forme le questionnement initial.

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10Sur le plan du questionnement de recherche, la psychologie de l’orientation actuelle est en lien avec la construction de soi tout au long de la vie, que l’on regroupe parfois sous le terme Life Design4. Il s’agit de comprendre et d’accompagner les processus psychologiques de mobilisation des ressources permettant de faire face aux transitions de vie. Ces processus peuvent s’apparenter à des processus de création dans le sens où ils mobilisent une activité de re-signification de soi et du monde, en transformant le vécu expérientiel par le langage5. Les propositions récentes de Hartmut Rosa sur la notion de « résonance »6 sont particulièrement utiles pour penser ces processus dans notre environnement contemporain puisqu’il s’agit de redéfinir dans quelles conditions notre relation au monde pourrait permettre un co-développement juste et durable. C’est sur ce double ancrage dans les approches du Life Design en orientation et de la résonance que le travail de construction du dispositif s’est engagé, pour aboutir à cette proposition d’action, Le monde en résonance : voyage au cœur de soi en compagnie de Victor Segalen.

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La mise en expérience d’une idée

12L’idée de solliciter le musée pour ce projet a émergé courant 2018 au moment où se préparait le centenaire de la mort de Victor Segalen (1878-1919). Le lieu où se trouve le musée, sur le campus dit de la Victoire à Bordeaux, était aussi jusqu’en 2014 le campus de l’université Bordeaux II Victor Segalen. Beau symbole pour une université, Victor Segalen est un poète, médecin, voyageur, aventurier, musicien, collectionneur, sinophile, archéologue et ethnologue, touche à tout multiple et insaisissable. Étudiant la médecine à Bordeaux, c’est là qu’il a vécu une jeunesse étudiante qui le préparait au voyage. Un des apports importants de Segalen est sa conception de l’autre et du monde résumé dans la notion de « Divers ». Le monde est à rencontrer dans sa différence. « Le Divers, c’est ce qui n’est pas soi. Ce n’est pas seulement le contraire, c’est l’autre. Non pas ce qui s’oppose, mais ce qui diffère »7. La rencontre avec le Divers est donc en retour ce qui nous permet de nous connaître et de nous développer. Elle se fait par le réel et par l’accès à une expérience sensible, esthétique qui mobilise l’émerveillement et l’inconnu, source de dépassement créatif du réel. On voit là toute la proximité de cette rencontre créative à l’altérité avec celle de la rencontre avec soi-même dans le cas d’un espace de consultation en psychologie de l’orientation. C’est cette proximité résonante que le dispositif du musée va chercher à faire vivre au visiteur.

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14Le déclencheur de cette proposition faite au musée est plus précisément une double disparition. Victor Segalen, en donnant son nom, a personnifié les enjeux d’une université créative et rigoureuse, ouverte sur le monde. Mais l’histoire récente de l’institution en a pourtant organisé sa disparition puisque par une fusion des universités bordelaises, les numéros et les patronymes ont disparus au profit d’une seule entité mieux visible mondialement : l’Université de Bordeaux, tout court. Par ce petit télescopage historique, Victor Segalen disparaissait ainsi symboliquement en 2014 de l’identité de la Victoire, à cinq ans de l’anniversaire de sa vraie disparition. En 2018 est donc revenue pour nous cette blessure d’un abandon involontaire qui nous a poussé à contacter le musée d’ethnographie avec comme projet, autour du centenaire de 2019, de rendre hommage à Segalen, tout en célébrant la résonance entre son œuvre, sa pensée, le personnage, et les approches actuelles de la psychologie de l’orientation.

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16Il s’agissait alors d’assoir ce projet sur une démarche de recherche-création avec pour point de départ l’expérience vivante du monde contemporain, abordée en compagnie de Victor Segalen. Il nous semblait qu’il fallait pour cela commencer par éprouver pour soi-même, à la manière de Segalen, le voyage, la rencontre avec l’inconnu, le Divers, le développement et la construction de soi qui en découlent, puis garder des traces sensibles de ces processus et les utiliser comme moyens d’élaboration du dispositif expérientiel. Nous pouvions le faire comme un scientifique pour lequel « cinq-cents pages d’études minutieuses et référencées sur un phénomène précis offrent infiniment plus de matériaux factuels et de mises en perspective structurantes que ne le peut une œuvre dramatique »8, ou comme un artiste pensant que « pour connaître de l’intérieur les Ardennes, mieux vaut lire Un balcon en forêt de Julien Gracq que regarder une carte d’état-major »9. Cependant, aucune de ces deux alternatives ne nous semblaient convenir pour ce projet dont les lignes de force devaient être la résonance et le développement de soi en partant de l’expérience du Divers. Il s’agissait alors de trouver, par le biais d’une « expérience tracée », une forme hybride de recherche-création à mi-chemin entre ces deux alternatives. Reprenant les idées de Bruner, il s’agissait donc de faire fonctionner ensemble, en inter-opérationnalité, les modes de pensée paradigmatique et narratif, pour produire une expérience et une connaissance complexe du réel10.

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18À partir de cette idée, la « ligne d’erre » nous est apparue comme une ressource d’action centrale. Issue des travaux de Fernand Deligny auprès d’enfants autistes, il entend par là « les déplacements et gestes des enfants, ainsi que leur transcription »11, réalisée sur des calques par les adultes qui les encadrent. « Les cartes sont tracées tantôt sur le vif, tantôt le soir, tantôt quelques jours plus tard. La superposition des calques révèle des données invisibles à l’œil nu […] Des cartes se dégagent une forme de vie, la sensation d’un espace/temps traversés d’émois singuliers ».12 C’est ce vagabondage créatif qui est notre méthode de recherche-création. Erre consonne aussi avec « aire », c’est-à-dire avec terrain de jeu, d’enquête, de voyage, etc.

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20Il fallait donc, pour commencer à travailler sur le sujet, construire des « aires de séjour » pour y vivre des expériences et les tracer en lignes de signification. Ces errances créatives combinent des temps d’exploration et de construction de traces (proches d’un recueil sensible de données scientifiques et d’une pensée paradigmatique) et des temps d’élaborations (proches d’une mise en récit créative des expériences vécues et donc d’une pensée narrative). Avec l’idée centrale de l’expérience résonante comme matrice de la construction de soi, trois espaces expérientiels ont ainsi été investis successivement pour tracer ces mi-chemins, remobilisables ensuite dans le dispositif du musée. Ces aires de séjour sont : l’expérience du Divers, l’expérience de résonance, et l’expérience de la construction narrative de soi. Chacune de ces erres sert de substrat à l’élaboration du dispositif présenté plus précisément par la suite.

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L’expérience du Divers et la rencontre sensible avec le réel (aire-erre 1 : 2019-2020)

22La première aire de séjour a constitué à faire l’expérience de ce que Segalen appelle la rencontre sensible avec le Divers. Cette rencontre a pris pour nous la forme d’un voyage « dans les pas de Segalen », un voyage à Shanghai et à Hong Kong dans le cadre d’un congé de recherche C.R.C.T. de huit mois. La consigne de ce voyage était d’éprouver un univers inconnu et de tracer (enregistrer) dans l’expérience vécue l’émergence d’espaces de résonances comme des processus de développement de soi. De cette expérience inaugurale devait ensuite pouvoir se co-construire un dispositif expérientiel hybride entre présentation scientifique et création artistique. De ce voyage sont sorties des rencontres (notamment avec Paul Devautour13, artiste et futur membre du comité scientifique de l’exposition), un corpus photographique, des enregistrements sonores, des objets trouvés au bord du chemin (figure 1), le tout réutilisé dans le dispositif du musée14.

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Figure 1. Résonance et Hasard, moules à bijoux trouvés sur un trottoir de Hong Kong à l’angle de Ferry Street et de Jordan Road comme traces d’une rencontre hasardeuse, 2019 © Jacques Pouyaud.

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La rencontre hasardeuse arrive quand on est sensible aux traces. Chaque trace, chaque rencontre est un bijou en puissance. La résonance s’associe au hasard pour configurer des potentialités à saisir. La résonance utilise les traces de l’existence comme des moyens de la transformer.

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Figure 2. Résonnance et Milieux de vie, montage photographique, à gauche quartier ancien de Laoximen (Shanghai), à droite arbre de la forêt à Coimères (Sud Gironde), 2020 © Jacques Pouyaud.

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Au-delà des frontières existent des résonances de milieux de vie pourtant très éloignés. D’un côté le quartier ancien de Laoximen à Shanghai. Les habitants y sont expropriés depuis 2017 pour faire place à un nouveau quartier plus moderne. Les murs délabrés avant destruction gardent les traces des habitants. De l’autre il y a une forêt à Coimères en Sud Gironde. Ici les arbres peuplent la forêt comme des habitants d’une ville. Ils sont aussi menacés de découpe pour des raisons économiques. Si loin si proche.

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L’expérience de résonances et son montage (aire-erre 2 : 2020-2022)

28Après cette première phase, il s’agissait de faire l’expérience de différents axes de résonance et de les formaliser pour les rendre visibles dans le dispositif final d’exposition. Rosa souligne que la résonance « ne désigne pas seulement un état de "concordance" et d’absence de contradiction, mais un élément plus actif et dynamique de rencontre et d’interpellation réciproque : le corps et l’esprit, le moi et le monde entrent dans une forme de contacts chargée d’énergie »15. La résonance est définie comme « un rapport cognitif, affectif et corporel au monde dans lequel le sujet, d’une part, est touché […] par un fragment de monde, et où, d’autre part, il "répond" au monde en agissant concrètement sur lui, éprouvant ainsi son efficacité »16. Selon Rosa, cette co-réponse peut s’exprimer dans un espace à trois dimensions (axes de résonances) mobilisant des rapports au monde horizontaux et intersubjectifs (dans la famille, l’amitié, la politique par exemple) ; diagonaux dans le rapport aux objets (au travail, à l’école, au sport par exemple) ; et verticaux dans un rapport transcendant au monde (dans la religion, la nature, l’art par exemple). Reprenant ces espaces mobilisateurs, nous nous sommes construits des aires de séjours (à la manière de terrains de jeu) sous forme de plusieurs projets photographiques17. Ces terrains de jeu consistent à se donner des règles d’exploration et de rencontre d’un milieu de vie (une forêt, les voyageurs du tram, un quartier en démolition, le campus universitaire…) pour tracer l’expérience de rencontre avec ce milieu grâce à la photographie. Le produit de ce traçage est ensuite monté et organisé pour illustrer de manière sensible le processus de résonance. À travers ces montages photographiques (figure 2, par exemple), il s’agit donc de toucher et d’être touché, sur une thématique, sur un axe de l’existence singulier (l’être manquant, la trajectoire, les milieux de vie, le mouvement, la nature, l’exclusion…).

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L’expérience de la construction narrative de soi (aire-erre 3 : 2023)

30La troisième aire de séjour à tracer était celle de l’expérience de la construction de soi qu’il fallait formaliser pour l’intégrer dans le dispositif final de l’exposition. Ici le vagabondage et la ligne tracée a pris la forme d’un jeu de correspondance entre les approches théoriques du Life Design et les travaux de Segalen sous l’angle d’une métaphore. La construction de soi dans la perspective du Life Design peut se modéliser de manière métaphorique comme une activité de mise en mouvement de soi comme on ferait du vélo, activité menant à un modelage ou une sculpturation de soi18. La métaphore de l’identité narrative comme une bicyclette est fréquente autant dans le monde scientifique qu’artistique19. Elle est reprise ici (figure 3) car elle permet d’articuler différents modèles socio-constructivistes pour une approche actualisée du sujet. Se modeler, se construire revient à mobiliser les « processus narratifs »20, impliquant des « formes identitaires narratives »21, « historiquement et socialement situés »22 visant un « dépassement des conflits vécus »23 par le biais de « l’activité »24.

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32C’est cette expérience de mobilisation par l’activité dans un modelage de soi narratif que nous cherchons à faire vivre au visiteur. Autrement dit, pour pouvoir « faire du vélo dans le musée », il fallait y construire des règles du jeu et une aire de séjour à explorer. C’est ici que le rapprochement résonant entre Segalen et le Life Design prend tout son sens et s’actualise concrètement. L’espace du musée va constituer un terrain de jeu expérientiel dans lequel le visiteur pourra mobiliser une activité narrative de reconstruction de soi, par une rencontre avec le Divers, organisé comme un nouveau monde à explorer.

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Figure 3. Métaphore du Vélo, extrait du catalogue d’exposition, p. 94, 2024 © Jacques Pouyaud.

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35Dans son recueil de poèmes Stèles paru en 191225, Victor Segalen structure son ouvrage en reprenant les six directions traditionnelles de la pensée chinoise de représentation du monde : le nord, le sud, l’est, l’ouest, le ciel et la terre. Ces six directions structurent l’espace géographique mais elles sont aussi des repères symboliques, cosmologiques et spirituels. Ainsi, dans l’ouvrage de Segalen le nord renvoie à l’amitié, le sud à la loi, l’est à l’amour, l’ouest au conflit, les stèles du milieu au soi, et les stèles du bord du chemin au hasard.  Ces deux dernières « directions » sont centrales pour nous dans l’expérience visée puisqu’elles ajoutent aux quatre directions un « point de finalisation » du parcours (le soi) et un « processus de dynamisation » du parcours (le hasard et tout ce que l’on trouve de signifiant sur le bord du chemin). On peut aisément rapprocher ces espaces symboliques d’orientation des axes de résonance dans l’approche de Rosa. En compagnie de Segalen, tout comme pour un voyage en Chine, l’expérience de voyage proposé au visiteur sera donc celle d’une rencontre avec un Divers organisé selon cette cosmologie pour parcourir l’espace thématique de l’existence, vers un soi dynamisé par les trouvailles du bord du chemin, en quête de résonances.

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L’élaboration collective du dispositif

37Partant de ces propositions, l’année 2022 a été celle, avec l’équipe du musée26, de la réalisation concrète de l’exposition. Comment mettre en scène le Divers et la rencontre ? Comment organiser l’espace pour que des lignes d’erre de visiteur soient possibles ? Comment permettre aux voyageurs de tracer leurs expériences de visite ? À l’image des trois fils expérientiels précédents, le visiteur devait aussi pouvoir faire conjointement : une « expérience de voyage et de rencontre », une « expérience de montage signifiant » et une « expérience réflexive » de retour sur soi. Cette phase de concrétisation autour du matériel conceptuel ne peut évidemment pas se réaliser sans un travail collectif et partenarial.

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39Sur le plan partenarial, il fallait pouvoir faire des démarches de recherche de financements complémentaires. Ainsi s’est constitué un comité scientifique27 dont l’objectif était d’être à la fois garant d’une démarche de recherche-création et soutien dans la réalisation du projet. Le comité a regroupé des représentants artistes, universitaires, et des soutiens institutionnels (Unesco). Sur le plan du collectif, il a très rapidement été évident qu’il fallait collaborer avec un·e scénographe28 et des artistes pour « transformer » l’espace et permettre de stimuler une rencontre sensible avec le dispositif29. Il a aussi paru évident que le dispositif devait pouvoir être évolutif en fonction de ce qui allait s’y dérouler pendant les deux ans. Une équipe de médiateurs au musée y animera des ateliers tout public, le lieu accueillera des classes, des étudiants, des associations, etc. Toutes ces collaborations devaient pouvoir être l’objet d’usages nouveaux et différenciés, pour un dispositif vivant de « médiation » mais aussi de « déviation ».

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41Comme souligné précédemment, l’enjeu était une recherche-création d’un dispositif où les visiteurs pourraient prendre une part active. Il fallait donc imaginer comment les visiteurs allaient pouvoir laisser une trace de leur passage et de leur activité créative et narrative personnelle. Dans la perspective d’un usage du lieu comme un espace de consultation psychologique (nous y reviendrons), il fallait aussi penser la possibilité de prolongement des visites par d’autres rencontres individuelles. Au niveau du musée d’ethnographie enfin, une autre problématique s’est imposée rapidement avec la question de : comment représenter le Divers ? Cette question a été vite résolue, le musée abrite dans sa collection un grand nombre d’objets jamais exposés. C’était l’occasion d’aller piocher dans les réserves pour mettre en lumière une partie de cette collection et venir peupler un monde Divers à rencontrer. Comment ce travail collectif a-t-il abouti ? Quelle forme a-t-il permis de faire émerger ?

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L’expérience visiteur

43L’objectif qui a guidé tout le travail de co-construction a toujours été celui d’une expérience visiteur singulière. On peut la résumer comme suit : en entrant dans l’espace, le visiteur se sent désorienté, avec une impression de perte de repères sans que cela soit négatif. L’expérience recherchée est l’émergence simultanée d’un sentiment de curiosité et d’étrangeté, avec la sensation d’être tout de même accompagné, en sécurité dans un temps suspendu. Le visiteur est ainsi amené à explorer des espaces éclairés et d’autres dans la pénombre, tout en découvrant une structure orientée par le biais de récits mystérieux à construire. Une expérience finalement pas si différente de celle éprouvé lors d’un voyage dans un environnement inconnu que l’on a envie de découvrir.

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La scénographie : un espace avec un potentiel résonant

45La scénographie combine deux formes d’espaces imbriquées à parcourir, régies par des règles de visite participatives différentes (figure 4). La première forme est constituée de « salles de promenade » évoquant le monde et le Divers. Dans ces espaces sont présentés des objets des collections du MEB mélangés à des œuvres photographiques ou encore à des objets contemporains dont la collecte progressive est laissée à la spontanéité du public30, dans une logique de mise en résonance narrative. La deuxième forme est une succession de « bulles réflexives » reprenant les six thèmes en lien avec la structure du recueil de poèmes Stèles. Le visiteur explore ainsi l’amour, l’amitié, l’adversité, la loi, le hasard et le soi, à partir de questions qui lui sont posées. Chaque bulle, chaque stèle, invite le visiteur à l’introspection, proposant des stimulations sensorielles et poétiques l’incitant à se recentrer sur les six dimensions organisatrices de nos vies sociales et affectives.

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Figure 4. Organisation du dispositif, composé de salles de promenade (en blanc sur le plan, en noir dans la réalité) et de bulles réflexives (ocre), 2023 © Marie Corbin (illustration) et Jacques Pouyaud (photographie).

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48Ces espaces sont conçus comme des lieux de réflexion, d’élaboration, de retour sur soi où le visiteur est guidé pour construire du sens à partir de son propre parcours. Un carnet de voyage individuel (donné à l’accueil) accompagne cette proposition. Grâce à des pages détachables, le visiteur peut laisser dans chaque bulle une trace de sa réflexion sous forme d’écrits déposés dans des stèles thématiques qui sont ensuite une base de création artistique et de recherche (figure 6).

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La rencontre du Divers et l’ouverture narrative des objets

50Dans les salles de promenade, l’enjeu pour le visiteur est d’aller à la rencontre des objets peuplant ce monde singulier et mystérieux pour se le signifier à soi-même. Un système de jeu de piste permet aux objets de « parler » et d’ouvrir des narrations personnelles pour résonner avec l’histoire de chacun. C’est dans cette activité de « montage de sens » face aux objets qu’est mobilisée l’identité narrative et qu’une activité créatrice est sollicitée chez les visiteurs. Le dispositif de présentation des objets est un élément central de mobilisation de l’activité. Le choix des objets présentés a été fait en amont par la même démarche d’errance créative qui court tout au long de ce projet. Tout d’abord, aucun objet ne devait être présenté pour sa qualité ethnographique (son histoire, ce qu’il représente d’une culture, sa singularité esthétique ou sa fonction). Les objets devaient être choisis pour ce qu’ils font quand on les rencontre, comme n’importe quel objet du monde peut susciter une émotion, une sensation spontanée née sur le bord du chemin.

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Figure 5. Triptyque d’ouverture narrative, 2025 © Jacques Pouyaud.

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53La première étape a donc consisté à sélectionner les objets sur ce critère uniquement. Dans le sous-sol du musée, nous31 sommes partis à la rencontre sensible des fonds et réserves, rangées et étiquetés, à la recherche d’émotions et de sensations. Un choix spontané d’une centaine d’objets s’est effectué très rapidement. À partir de ce choix, il fallait alors « monter » les objets, c’est-à-dire les assembler pour une ouverture narrative inspirée de la logique sémiotique de Peirce distinguant l’icône, l’indice et le symbole32. Le dispositif devait permettre de saisir les objets d’abord comme des icônes (dans leur proximité sensible au réel), puis d’en faire des indices de sa propre histoire, et de les utiliser ensuite comme symbole d’une nouvelle signification pour soi. Pour faciliter ce travail, les objets sont présentés par couple, et associé à un « mot inducteur » (figure 5)33. Ainsi, toujours avec la logique de l’errance, la centaine d’objets choisis a été réorganisée en couple, puis chaque couple a été associé à un mot spontanément venu à l’esprit, comme un trait d’union entre ces deux objets34. Dans ce triptyque, les objets mis à nu, débarrassés de leurs histoires, reprennent du sens dans leur proximité physique et leur association à un mot parfois inattendu ou mystérieux. Il était essentiel que chaque objet soit présent ici « en dehors » de son histoire. Ainsi, aucune explication, aucun cartel n’accompagne ou ne donne d’informations sur eux dans le cadre de l’exposition. Leur histoire est à reconstruire en résonance avec celle du visiteur par le biais du dispositif narratif. De plus, pour suggérer cette rencontre, les objets sont le plus possible exposés tels qu’ils « vivent » dans les fonds et réserves du musée, tels qu’ils étaient dans leur environnement quand nous les avons rencontrés. Ainsi certains gardent leur papier bulle protecteur, d’autres leur étiquette, ou encore leur positionnement dans leur tiroir de rangement. Face à ces triptyques et ces espaces narratifs ouverts, pas d’autre solution pour le visiteur que de reconstruire du sens en mobilisant sa propre histoire et sa subjectivité35.

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Les espaces réflexifs

55En parallèle de cette activité de découverte du monde par la rencontre active des objets, le visiteur est invité à s’assoir sur les bancs molletonnés des bulles réflexives. Chacune de ces bulles fonctionne sur le même principe visuel. Au milieu de drapés ocre qui forment une sorte de cocon, un banc mauve permet de s’assoir à côté d’une urne où l’on peut déposer son écrit réflexif. Le banc en lui-même abrite des casques audio où l’on peut entendre un environnement sonore créé pour l’occasion36. Le banc apporte aussi la lumière dans la bulle, plongée dans une pénombre douce et bienveillante. À chaque entrée dans les bulles, un cartel explique le thème associé à l’espace et une calligraphie japonaise37 habite le lieu pour l’inspirer. Ici, aucun objet de collection n’est présent, juste une ambiance et une question pour soi dans chaque bulle (figure 4).

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57Les six questions font le lien entre la structure orientée de Stèles, et la pratique de l’accompagnement en orientation en Life Design. Dans cette pratique d’accompagnement38 six questions permettent une exploration des problématiques et de l’identité narrative des personnes dans une perspective de soutien. La première questionne la transition ou la problématique d’orientation à laquelle la personne fait face (dans la bulle « adversité ») ; la seconde questionne les héros de l’enfance (dans la bulle amour) ; la troisième questionne les journaux, loisirs et activités préférées (dans la bulle « amitié ») ; la quatrième questionne un livre ou un film de chevet (dans la bulle « hasard ») ; la cinquième questionne les expressions, devises ou phrases préférées (dans la bulle « loi ») ; et la sixième questionne les souvenirs anciens (dans la bulle « soi »). Le visiteur est invité ici à remplir les feuilles détachables de son carnet de voyage et à les déposer dans chaque stèle (figure 6). Dans la pratique d’accompagnement psychologique, les narrations associées à ces diverses questions sont reprises dans un dialogue avec le psychologue (lors de consultations ultérieures) pour élaborer des scénarii de compréhension de la situation et de remobilisation de soi.

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L’accompagnement de Victor Segalen et le rôle des médiateurs

59Quelques extraits choisis du livre d’or permettent de se rendre compte de l’appropriation du dispositif par les visiteurs. Ainsi, Yves note ceci, « très intéressant, espiègle et inspirant d’être, de se trouver (!) dans une exposition conçue pour se perdre. Les objets surgissent dans nos souvenirs de la planète ». Stéphane écrit le 10 mars 2024, « musée que je ne connaissais pas. Expo originale et utilisation audacieuse des fonds. Une déstabilisation qui pousse à l’introspection ». Un anonyme avec humour le 27 mars 2024 témoigne en jouant sur les mots inducteurs, « fascinante introspection, cependant, j’ai remarqué une erreur au niveau de la pierre labellisée "poudrière". En effet, j’ai ressenti avec clarté qu’il s’agissait d’un "sortilège" » [souligné par l’auteur]. Le 19 février 2025, un autre message signé les aventures de Isabelle, Stella et Véronique : « Nous découvrons Victor Segalen, la richesse et la complexité de ce personnage. Cette visite faite à plusieurs, entre amies, nous a délié la langue et l’imagination. C’est une sorte de voyage intérieur, dépaysant et mystérieux ». Catherine évoque le 12 mars 2024 une « très intéressante visite et parcours, difficile aussi de répondre spontanément. On en sait plus grâce à la médiatrice ». Certains commentaires renvoient à la difficulté et à la déstabilisation de l’expérience, mais souvent aussi, il est fait référence à l’importance de s’être senti accompagné.

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Figure 6. Traces sensibles, exemples de documents laissés par les visiteurs dans les stèles des bulles réflexives thématiques, entre le 16 septembre 2023 et 30 mai 2025.

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62Peut-être en effet ces aires de séjour peuvent-elles paraître parfois incompréhensibles pour le visiteur. Victor Segalen et les médiateurs ont alors une place centrale de soutien spécifique pour les accompagner et faciliter la découverte. Comme le titre de l’exposition l’indique, Victor Segalen est convoqué ici comme un compagnon de voyage, comme quelqu’un que l’on rencontre fortuitement sur le bord du chemin. À l’étonnement de certains visiteurs qui s’attendent à découvrir en détail le personnage et son œuvre, ils ne trouvent de Segalen ici que des bribes de textes parsemés sur les murs, dans des tailles de polices diversifiées39. Le choix a été fait de ne rien exposer de l’œuvre écrite de Segalen, mais de donner à voir le personnage à travers des citations d’auteurs qui parlent de lui, ou bien d’extraits de ses correspondances de voyages adressés à ces proches. En voici quelques exemples :

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François Cheng écrit de lui par exemple « Ici commence déjà le mystère. Mystère du temps, mystère de l’espace, mystère du voyage. Est-il réellement possible de voyager dans le temps et dans l’espace, à travers soi-même et à travers l’autre ? Certes, il nous est loisible de tracer une carte, d’établir une chronologie, voire de suivre le tracé laissé par un autre voyageur. Mais je parle du vrai Temps vécu, je parle du vrai Espace vivant. »40

 

Jean-Luc Coatalem, « vous sentez bien que vous marchez au-devant du Mystérieux, ayant aux "confins du monde ce goût d’un autre monde". Jusqu’à ce Divers "qui ne divertit point". Mais au contraire, aiguise, irradie. Recentre. »41

 

Yann Queffélec, « On a l’impression que Segalen est constamment sur le point d’entreprendre une œuvre immense. On finit par le créditer de cette immensité… »42

 

Segalen lui-même écrit à sa femme Yvonne, « Je t’ai dit avoir été heureux sous les tropiques. C’est violemment vrai. Pendant deux ans en Polynésie, j’ai mal dormi de joie. J’ai eu des réveils à pleurer d’ivresse du jour qui montait. Les dieux-du-jouir savent seuls combien ce réveil est annonciateur du jour et révélateur du bonheur continu que ne dose pas le jour. J’ai senti de l’allégresse couler dans mes muscles. J’ai pensé avec jouissance. »43

Dans une autre lettre, « je reprends avec joie l’hypothèse justifiée autrefois, la seule phrase qui ait été utile dans la bouche de mes parents : que je ne suis pas "comme les autres" »44.

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65Par ces morceaux de vie, Segalen est présent comme quelqu’un à qui l’on s’adresse, avec qui on correspond, qui questionne et discute, qui donne des clefs de compréhension du monde par bribes d’existences partagées.

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67L’équipe de médiation joue un rôle similaire de compagnonnage très important. Elle est constituée d’étudiants recrutés à l’année45. Après une formation initiale à la logique du projet, ils ont comme consignes de devenir des « habitants » du musée. Il s’agit pour eux de s’approprier, chacun à leur manière, le contenu de l’exposition (à la fois le contenu théorique, mais aussi un usage singulier du lieu, une relation sensible et affectée avec les objets et les espaces). Comme lieu de travail, c’est aussi pour eux un lieu de vie46, et c’est sous cette forme que les médiateurs ont pour consigne de rencontrer les visiteurs. À la manière d’habitants d’un pays lointain que l’on visite, ils sont là pour des rencontres au besoin ou au hasard. Comme nous pouvons aider spontanément un étranger perdu dans le métro, ils peuvent aller « prendre la main » des visiteurs pour les accompagner sur une petite distance, partager leur connaissance habitée du lieu pour un court instant. Ils peuplent donc ce petit monde et y vivent, acceptant et accueillant au mieux les visiteurs.

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Un espace de consultation psychologique

69Nous l’avons évoqué, ce dispositif a été conçu comme un espace de consultation. Les visiteurs y laissent des traces de leur réflexion47, ils y parlent d’eux, de leur histoire, ils s’y questionnent, échangent avec d’autres, ils peuvent s’y sentir déstabilisés, déboussolés, voire bouleversés. Plusieurs personnes ont utilisé l’expression « c’est émouvant » pour décrire leur sentiment de visite. Au-delà du beau compliment que cela peut représenter, cette expression oblige à ne pas laisser seul et sans suite face aux questionnements soulevés. Il est de notre responsabilité de laisser au visiteur la possibilité d’une reprise de ces interrogations sous des formes diverses pour qui le souhaite. Ainsi, l’ensemble des traces laissées dans les stèles sont anonymes mais sont codées avec un mot de passe permettant de retrouver ses réponses en ligne48. Mais surtout le carnet de voyage distribué comprend les contacts permettant de prendre des rendez-vous complémentaires avec un psychologue. Dix personnes ont ainsi participé à des entretiens complémentaires, conçus à la fois comme des extensions de leur visite, des espaces de soutien psychologique, et une possibilité d’implication dans une recherche participative. Le protocole est le suivant.

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71Quand la personne signale par mail qu’elle aimerait poursuivre par des entretiens et participer à la recherche, elle est recontactée (mail et/ou téléphone) pour un premier contact où on explique la démarche et on recueille un consentement éclairé. Il est alors proposé deux entretiens (minimum) à chaque personne qui le souhaite. Ces deux entretiens sont réalisés dans l’espace du musée quand ce dernier est fermé49. L’objectif est de comprendre de manière fine et singulière l’expérience vécue au musée par chaque personne. Il s’agit aussi d’expérimenter l’espace du musée comme un espace de consultation et comprendre comment un accompagnement psychologique peut se faire autre part que dans un bureau, dans une modalité active de parcours par une déambulation à deux. Le psychologue et le demandeur se retrouvent donc ensemble tous les deux seuls dans le musée pour un premier rendez-vous centré d’abord sur un retour d’expérience de visite. Il s’agit de ré-explorer cette expérience en situation. Le psychologue s’attache à faire revivre les actions, les sensations, les sentiments, et les réflexions vécues. Ce « parcours commenté »50 est enregistré. Il commence par la consigne suivante : « durant votre visite au musée, vous souvenez-vous d’un endroit, un objet, une phrase, une ambiance particulière d’où nous pourrions partir ? ». Le psychologue et la personne se dirigent alors vers cet espace du musée comme point de départ. Le psychologue propose de prendre un portrait avec un polaroid comme un « top départ » qu’il donne à la personne comme trace de leur première rencontre. L’entretien dure environ 1h30 et se termine en allant s’assoir dans la bulle « adversité » qui questionne la problématique d’orientation ou de transition de la personne. Dans cette bulle, psychologue et demandeur explorent la problématique et s’entendent sur une « alliance de travail » pour le second entretien dont l’objectif sera un accompagnement psychologique. Dans la semaine ou les quinze jours qui suivent, le second entretien est organisé dans les mêmes conditions (un matin seuls à deux dans l’espace du musée vide). Ce dernier dure environ deux heures. C’est un entretien constructiviste classique d’accompagnement51 mais dans lequel le binôme se déplace d’une bulle réflexive à l’autre pour aborder les différents thèmes. À l’issue de l’entretien, psychologue et demandeur évaluent le fruit de leur travail ensemble et décident si d’autres rendez-vous sont nécessaires. Quand l’accompagnement se termine, un autre portrait au polaroid est proposé par le psychologue comme « top de fin », donné à la personne.

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Une reconfiguration du processus de construction de soi par le Divers et la résonance

73Dans l’ensemble de cette démarche, un premier constat et résultat s’est consolidé progressivement. Par la mise en relation du processus d’orientation de Life Design et la conception de la rencontre du Divers, nous avons pu théoriser une proposition concrète de facilitation du processus psychologique de résonance, comme un processus créatif de construction de soi. Ce modèle de l’orientation reconstitué par l’expérience du Divers dans la perspective de la résonance part de la description de ce qui se joue lors d’un accompagnement constructiviste, que l’on peut résumer ainsi :

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«En sollicitant le conseiller et en s’engageant dans la relation d’aide, la personne a amené quelque chose à prendre en charge qui est de l’ordre d’une tension. Ensemble, ils [conseiller et demandeur] y ont porté attention en travaillant l’histoire du parcours professionnel et le récit identitaire. Ils ont ensuite reconstruit cette tension dans une intention. À la suite de cette démarche, la personne peut étendre son soi dans une action (extension) visant à réaliser cette intention, et finalement résoudre la tension initiale.»52

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76Ce que nous apprend notre dispositif de recherche-création ici, c’est que pour mobiliser et soutenir ce mouvement constructiviste en entretien, nous pouvons nous appuyer sur la mobilisation de « clefs d’ouverture au Divers », qui apparaissent comme des « potentialités de résonance à l’environnement ». Nous en distinguons six qui associent une action et un objet : Se confronter à la réalité, Vivre des expériences sincères, Rencontrer le mystère, Ouvrir l’imagination, Aller vers l’inconnu, Danser dans le temps vécu. Cette mobilisation d’un va et vient entre le réel, la narration et l’imaginaire, apparaît possible et soutenante parce qu’elle est sous-tendue par des actions conjointes53 dans un environnement que le psychologue et la personne construisent à deux. C’est la dimension malléable et projective de l’environnement et de l’action qui semble ouvrir les clefs du Divers, de la résonance et de la construction de soi.

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Conclusion

78L’ensemble du dispositif présenté est une démarche hybride qui élabore à partir d’inductions créatives des rapprochements expérientiels et théoriques pour les mettre à l’épreuve du réel dans un espace de jeu ouvert. Le « produit » de ce dispositif, à la fois sur un plan artistique et sur un plan de la recherche reste largement à construire à partir des nombreuses traces enregistrées tout au long de ces deux années de mise en œuvre. C’est maintenant l’analyse de l’ensemble des traces recueillies durant ces deux années qui permettra de poursuivre ce travail d’élaboration en le précisant, et en cherchant à en valider les fondements.

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Date de réception : 28 avril 2025.

Date de publication : 10 décembre 2025.

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Notes

1 Titre complet de l’exposition : Le monde en résonances : voyage au cœur de soi en compagnie de Victor Segalen.

2 Avec le soutien également du programme Science avec et pour la société SUNSET et de la CVEC, Université de Bordeaux.

3 Le mot ­erre est tiré des travaux de Fernand Deligny qui en 1968 a fondé un réseau de prise en charge d’enfants autistes dans les Cévennes. Les enfants vivent dans des aires de séjours, espaces de vie ouverts dans lesquels ils vivent avec des personnes proches, adultes qui font office d’éducateurs et à qui Deligny propose de tracer chaque jour sur des cartes du territoire, leurs activités, mouvements et ceux des enfants. Ainsi naissent des lignes d’erres qui, par répétition et superposition, permettent de rendre visibles les expériences de vie, au-delà du langage, pour en faire des moyens d’actions, de transformation et de développement (voir ALVARES DE TOLEDO Sandra (éd.), Cartes et lignes d’erre : Traces du réseau de Fernand Deligny, 1969-1979, Paris, L’arachnéen, 2013).

4 GUICHARD Jean, « Se faire soi », L’Orientation Scolaire et Professionnelle, n° 33 (4), 2004, p. 499-533 ; SAVICKAS Mark L. et al., « Construire sa vie (life designing) : Un paradigme pour l’orientation au XXIe siècle », L’Orientation Scolaire et Professionnelle, n° 39 (1), 2010, p. 5-39.

5 POUYAUD Jacques, « Vocational Trajectories and People’s Multiple Identities: A Life Design », dans NOTA Laura et ROSSIER Jérôme (éd.), Handbook of Life Design: from Practice to Theory and From Theory to Practice, Boston, Mass. Göttigen, Hogrefe, 2015 ; POUYAUD Jacques, « Francis Bacon et le Life Design », L’Orientation Scolaire et Professionnelle, n° 45 (3), 2016, p. 1-17 ; SAVICKAS Mark L. et POUYAUD Jacques, « Concevoir et construire sa vie : un modèle général pour l’accompagnement en orientation au XXIe siècle », Psychologie Française, n° 61 (1), 2016, p. 5-14.

6 ROSA Hartmut, Résonances. Une sociologie de la relation au monde, Paris, La Découverte, 2019.

7 SEGALEN Victor, Essai sur l’exotisme : Une esthétique du divers, Paris, Gallimard, 1999, p. 32.

8 TALON-HUGON Carole, L’artiste en habits de chercheur, Paris, Presses universitaires de France, 2021, p. 98.

9 Ibid., p. 186.

10 BRUNER Jérôme Seymour, Culture et modes de pensée, Paris, Retz, 2008 [1986].

11 ALVARES DE TOLEDO Sandra (dir.), Cartes et lignes d’erre : Traces du réseau de Fernand Deligny, 1969-1979, Paris, L’arachnéen, 2013, p. 10.

12 Ibid., p. 3-4.

13 Paul Devautour est artiste et ancien enseignant à l’École Nationale Supérieure de Design de Nancy, coordinateur de l’École Offshore (Chine).

14 Pour une présentation vidéo de cette démarche, voir POUYAUD Jacques, « Conférence décalée », Shanghai Papers, n° 9, 2020, n. p. Le catalogue de l’exposition archive ces matériaux, il sera disponible en ligne sur le site du MEB fin 2025.

15 ROSA Hartmut, op. cit., p. 156.

16 Ibid., p. 187.

17 Les quatre projets sont présentés plus en détail sur les espaces Tumblr suivants : https://place-libre.tumblr.com/ ; https://legoquartiersaintmichel.tumblr.com/ ; https://traces-resonance.tumblr.com/ ; https://trambpessac.tumblr.com/ (consultés le 17 juillet 2025).

18 POUYAUD Jacques, L’entretien sculptural d’orientation, habilitation à diriger des recherches, Université de Bordeaux, 2022.

19 POUYAUD Jacques, op. cit., 2015 et 2016.

20 RICŒUR Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1992.

21 GUICHARD Jean, op. cit.

22 SAVICKAS Mark L., Career counseling, Washington DC, American Psychological Association, 2011.

23 MALRIEU Philippe, MALRIEU Suzanne et WIDLOCHER Daniel, « La socialisation », dans GRATIOT-ALPHANDERY Hélène et ZAZZO René (éd.), Traité de psychologie de l’enfant, tome 5, La formation de la personnalité, Paris, Presses Universitaires de France, 1973, p. 5-24.

24 YOUNG Richard et VALACH Ladislav, « The Construction of Career Through Goal-Directed Action », Journal of Vocational Behavior, n° 64 (3), 2004, p. 499-514.

25 SEGALEN Victor, Stèles, Paris, Mercure de France, 1912.

26 Sophie Chave-Dartoen (direction) ; Lucia Bienvenu (cheffe de projet d’exposition et de médiation ; Solenn Nieto, Gaëlle Cartault (régie d’œuvres et documentation, collections et prêts privés) ; Marie-José Juvé (gestion des partenariats).

27 Comité scientifique : Émilie Carosin, assistante de recherche à l’Université de Mons (Belgique) ; Valérie Cohen-Scali, professeure de psychologie au Conservatoire National des Arts et Métiers (CRTD-EA4132), directrice de la Chaire Unesco Orientation tout au long de la vie ; Paul Devautour, artiste et enseignant à l’École Nationale Supérieure de Design de Nancy, coordinateur de l’École Offshore (Chine) ; Véronique Rouyer, professeure de psychologie du développement à l’université de Bordeaux (LAPSY-UR 4139).

28 Marie Corbin – Scénographe, artiste et plasticienne.

29 Trois artistes ont participé à cette mise en scène : Denis Dedieu (musique) ; Gabriel Okoundji (poésie) ; Maaya Wakasuki (calligraphie).

30 Des vitrines laissées vides accueillent des dons des visiteurs. Objets divers que l’on peut laisser à l’accueil accompagnés d’une petite histoire associée.

31 Le commissaire d’exposition pour le choix des objets, accompagné de la scénographe et de la responsable des collections. 105 objets ont été ainsi sélectionnés dans une première étape, puis 24 supplémentaires afin de permettre une visite à destination des petits enfants, où les objets sont présentés dans des vitrines à leur hauteur (moins de 1 mètre).

32 PEIRCE Charles Sanders, Écrits sur le signe, Paris, Seuil, 1978.

33 La présentation se fait parfois côte à côte (comme c’est le cas figure 5 pour désemmêleur ou pour enfin réunies qui forme un triptyque avec les deux paires de boucles d’oreilles), ou parfois de manière dispersée, comme c’est le cas pour Fortune qui ici concerne l’objet rouge. Un autre objet dans le musée est alors associé à fortune, un peu comme dans un jeu de memory.

34 Liste des 49 mots inducteurs : Antennes ; Boucliers ; Brin d’histoire ; Calculette ; Calques ; Carabosse ; Chausse-pied ; Chirurgie esthétique ; Collage ; Coupe au bol ; Cursives ; Désemmêleur ; Douilletterie ; Enfin réunies ; Fortune ; Gants de poupée ; Interdits ; Inter stellar ; Le complot ; Les clowns ; Les enfants ; Les fêlures ; Les frangins ; Les sorcières ; Lunaire ; Mouvement d’humeur ; Munitions ; Oiseaux de feux ; Omelette ; Ornements de soi ; Patinoire ; Piège solitaire ; Platane ; Porte close ; Poudrière ; Rappel ; Relai de poste ; Rencontre ; Réparation ; Sacrifice ; Self popotte à rouler ; Serre tête ; Signalisation ; Transplantation ; Un briquet. Pour les vitrines enfants : Iris ; Dou-Dou ; Cro-Co-Dile ; Plat.

35 Toute la démarche d’élaboration et de choix est réalisée par le commissaire d’exposition. Les objets et les mots inducteurs sont donc les reflets sensibles de sa subjectivité. Cependant ce n’est pas cela qui est mis en avant puisque rien n’est jamais indiqué nulle part dans ce sens. Les objets et les mots inducteurs sont proposés et mis en forme pour leur dimension projective et narrative générique, pas comme l’expression d’un choix à travers lequel le visiteur pourrait essayer de découvrir une personne. Dans ce sens, les objets et les mots inducteurs sont au service de l’imagination et de la subjectivité des visiteurs et de leur propre histoire.

36 L’environnement sonore est le fruit d’un travail artistique collaboratif entre deux personnes : le poète Gabriel Okoundji qui récite ses textes, et le musicien Denis Dedieu qui en a fait un arrangement sonore. Les 6 compositions sont écoutables à partir de fin 2025 sur le site du MEB.

37 Les calligraphies sont le fruit du travail de l’artiste Maaya Wakasuki :

38 SAVICKAS Mark L. op. cit. ; SAVICKAS Mark L. et POUYAUD Jacques, op. cit.

39 À cela s’ajoute une biographie très sommaire, au milieu de l’exposition, accompagnée d’une carte du monde stylisée avec le trajet de ses voyages en Chine.

40 CHENG François, L’un vers l’autre, Paris, Albin Michel, 2019, p. 24.

41 COATELEM Jean-Luc, Mes pas vont ailleurs, Paris, Stock, 2017, p. 118.

42 QUEFFÉLEC Yann, Dictionnaire amoureux illustré de la Bretagne, Paris, Éditions Plon, Gründ et Fayard, 2015, p. 181.

43 SEGALEN Victor, Lettres d’une vie, Paris, Gallimard, 2019, p. 267.

44 Ibid., p. 316.

45 Ont participé à la médiation sur les deux ans : Charis Becker, Audrey Bichel, Juliette Gastaud, Adam Lepetit, Lila Philippon, Morgan Séchet, Rosanna Brehm, Clémentine Fizet, Ana Valera-Mujica et Mara Yanes, encadrés par Lucia Bienvenu (Chargée des expositions et de la médiation scientifique).

46 337 heures de présence par médiateur.

47 Au-delà des témoignages laissés dans les stèles, les vitrines de dons ont accueilli 37 objets laissés au musée et accompagnés d’une histoire personnelle (intégrée dans le catalogue).

48 Sur les deux ans, l’exposition a accueilli 7 273 visiteurs dont 27 % ont participé à l’un des 68 ateliers réalisés. Les contenus des stèles ont été archivés au fur et à mesure mais le projet de les mettre en ligne en temps réel, n’a pas pu voir le jour faute de moyens. Cependant, l’ensemble des réponses est prévu d’être archivé et accessible sur le site du musée en 2025-26.

49 Le musée est ouvert du lundi au jeudi de 12h à 18h et le vendredi de 10h à 14h. Cette contrainte permet de prendre des rendez-vous dans un espace libéré et vide tous les matins.

50 La méthode des parcours commentés (go-alongs en anglais) consiste à accompagner une personne dans un lieu qu’elle fréquente habituellement, afin de recueillir en situation ses commentaires spontanés, réflexifs ou affectifs sur son environnement. Il s’agit d’une approche qualitative, située et sensible, qui met en lien espace, activité, et vécu. Voir THIBAUD Jean-Paul, « La méthode des parcours commentés », dans GROSJEAN Michèle et THIBAUD Jean-Paul (éd.), L’espace urbain en méthodes, Marseille, Éditions Parenthèses, 2015, p. 79-100 ; KUSENBACH Margarethe, « Street phenomenology: The go-along as ethnographic research tool », Ethnography, n° 4 (3), 2003, p. 455-485.

51 SAVICKAS Mark L., op. cit.

52 SAVICKAS Mark L. et POUYAUD Jacques, op. cit., p. 12.

53 YOUNG Richard et VALACH Ladislav, op. cit.

To cite this article

Jacques Pouyaud, «Le monde en résonances : récit d’une exploration», Les Cahiers de muséologie [En ligne], Dossier, Numéro 4, p. 90-110. URL : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=1858.

About: Jacques Pouyaud

Jacques Pouyaud est professeur en psychologie de l’orientation à l’université de Bordeaux. Il dirige l’équipe de recherche Transformations, innovation et inclusion au travail au laboratoire de psychologie (UR4139). Ses travaux portent sur la construction des personnes en situation de transition, et sur les pratiques d’accompagnement en Life Design qui favorisent l’accès à un travail décent pour tous et un développement humain durable. Il est commissaire de l’exposition Le monde en résonances sur ces thématiques. Contact : jacques.pouyaud@u-bordeaux.fr