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Ressources naturelles, matières premières et géographie. L’exemple des ressources énergétiques et minières.
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Les ressources naturelles, notamment les ressources minières et énergétiques, sont de plus en plus l’objet de travaux géographiques. Pour comprendre ce renouveau, les auteurs cherchent d’abord à montrer comment la géographie des ressources a évolué au cours du temps, puis ils analysent les nouvelles problématiques de recherche qui émergent depuis une dizaine d’années. À travers cette courte analyse, tout indique un réel élargissement des champs d’investigations, lié sans aucun doute aux nouveaux défis et enjeux que présentent les ressources et qui dépassent largement le champ traditionnel de la géographie économique.
Abstract
Natural resources, including mineral and energy resources are increasingly the subject of geographical works. To understand this renewal, the authors first seek to show how the geography of resources has evolved over time and then analyze new research issues that emerge from a decade. Through this brief analysis, everything indicates a real expansion of fields of investigation, undoubtedly related to the new challenges and opportunities posed by resources that go far beyond the traditional field of economic geography.
Table des matières
1La géographie s’est toujours intéressée aux ressources naturelles et aux matières premières. Mais, depuis quelques années, les travaux en ce domaine se sont multipliés. Quelles sont les thématiques de ces nouvelles recherches et en quoi se distinguent-elles des travaux précédents ? Ces recherches contribuent-elles au renouvellement de la géographie ?
2Avant de chercher à répondre à ces questions, il est utile de préciser ce que recouvrent les termes de ressources naturelles et de matières premières et de s’interroger sur l’évolution des orientations de ces travaux au cours du temps.
I. Ressources naturelles et matières premières : des concepts à clarifier
3Les ressources naturelles sont les ressources minérales ou biologiques nécessaires à la vie de l’homme et à ses activités économiques. Il existe plusieurs principes de classification des ressources : par exemple, en fonction de leur situation dans la géosphère (atmosphère, hydrosphère, lithosphère), suivant leur appartenance à la nature vivante ou à la nature inanimée, ou encore en distinguant les ressources matérielles des formes d’énergie (Barsch & Bürger, 1996). Mais, le plus souvent, on distingue les ressources suivant qu’elles sont non renouvelables (matières premières minérales et combustibles fossiles), du moins à l’échelle des temps des sociétés humaines, ou renouvelables (eau, sols, ressources biologiques comme les forêts, les pêcheries maritimes, les espèces animales et végétales) ; l’air y est parfois inclus. L’Organisation mondiale du Commerce (OMC) a toutefois une vision un peu différente : « ce sont les stocks de matières présentes dans le milieu naturel qui sont à la fois rares et économiquement utiles pour la production ou la consommation, soit à l’état brut, soit après un minimum de transformations » (OMC, 2010) ; les produits agricoles étant cultivés sont exclus mais les produits forestiers (y compris ceux issus de la culture) et les produits de la pêche (y compris ceux issus de l’aquaculture) sont retenus.
4Les matières premières correspondent aux produits tirés du sol, du sous-sol ou de la mer, avant toute transformation (sauf celle exigée pour la vente en grande quantité) et qui sont donc issus des ressources naturelles au sens originel du terme.
5Le terme ressources naturelles est utilisé très tôt par les géographes, dès la fin du XIXe siècle, dans l’école géographique française inspirée par Paul Vidal de La Blache qui s’intéresse plus particulièrement aux rapports entre les populations et les ressources en mettant l’accent sur les modalités d’adaptation de l’homme aux « contraintes » du milieu dans lequel il vit et ce à différents niveaux spatiaux. Le terme matières premières apparaît également rapidement mais principalement dans des ouvrages de géographie économique (voir ci-après IIa).
6Par contre, les termes produits de base ou commodités ne se retrouvent que dans les travaux des économistes et politologues. Les produits de base renvoient à l’article 56 de la Charte de La Havane de 1948 de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) qui définit comme produit de base : « tout produit de l’agriculture, des forêts ou de la pêche, et de tout minéral, que ce produit soit sous sa forme naturelle ou qu’il ait subi la transformation qu’exige communément la vente en quantités importantes sur le marché international ». Le terme regroupe donc les ressources naturelles au sens de l’OMC et les produits agricoles. Le terme commodités (de l’anglais Commodities) désigne quant à lui des produits (ou services) « sur lesquels ne joue aucune différenciation majeure, technologique ou commerciale, dont le prix se forme sur un marché soumis à la stricte logique de l’ajustement instantané de l’offre et de la demande à laquelle se trouvent aussi soumis producteurs et consommateurs » (Chalmin & El Alaoui, 1990). Le terme est à la fois plus large et plus étroit que produits de base, voire que matières premières.
7Mais, au-delà de ces définitions, il convient de replacer le concept de ressources dans un contexte social et historique. Comme l’ont souligné de nombreux auteurs dont C. Raffestin (1980) ou T.R. De Gregori (1987), il n’y a pas de ressources en soi, mais c’est le sens qu’une société va donner à la matière qui va la créer. Ce sont donc les pratiques et les stratégies exercées sur la matière dans un contexte économique, social et culturel donné qui vont en faire une ressource. La notion de ressource est ainsi évolutive dans le temps et selon la société considérée. L’exploitation de beaucoup de matières utilisées ne s’est développée qu’avec l’essor de nouveaux usages rendus possibles par des innovations techniques. C’est le cas par exemple, à différents moments de l’histoire, de l’aluminium, du caoutchouc naturel, de l’uranium ou des nombreux métaux rares (lithium, tantale, indium, niobium) incorporés dans les appareils électroniques qui ont envahi récemment notre vie quotidienne.
8Par ailleurs, l’intensité et surtout les modalités de l’exploitation d’une ressource naturelle conduisent à relativiser la notion de ressources renouvelables. Celles-ci peuvent s’épuiser comme des ressources minérales si, à l’image de certaines forêts, elles sont exploitées en quantités supérieures à leur capacité de renouvellement. C’est pourquoi d’ailleurs, il convient de distinguer au sein des ressources renouvelables, celles qui comme le vent ou le soleil sont inépuisables, de celles qui comme les animaux, les plantes naturelles ou les cultures, sont renouvelables par reproduction (Reller et al., 2013).
9Dans ce court article, nous focaliserons principalement nos investigations sur les ressources énergétiques et minières. Par ailleurs, nous serons contraints de limiter nos propos à quelques points majeurs et en termes de bibliographie.
II. Un champ d’intérêt déjà ancien
10L’intérêt des géographes pour les ressources énergétiques et minières est ancien : il remonte à la formation de la géographie économique au XIXe siècle. Et assez logiquement, cet intérêt a évolué avec le temps. En général, les travaux relatifs à l’énergie ont été plus nombreux que ceux relatifs aux ressources minières.
A. Avant 1950
11Comme l’a bien montré P. Claval (1984), la géographie économique ne se constitue vraiment que dans le dernier quart du XIXe siècle avec l’essor de manuels de géographie commerciale. Ceux-ci offrent des inventaires très précis des ressources par pays et par produit. Il s’agit donc d‘ouvrages assez descriptifs où l’on tente d’expliquer les répartitions même si certains vont plus loin comme F. Maurette (1921) qui s’intéresse au fonctionnement des marchés. Les travaux les plus intéressants concernent généralement les productions agricoles. L’école américaine du Middle West, qui se développe entre 1920 et 1950 (Ibidem), poursuit dans le même sens, son objectif principal étant d’expliquer la répartition des cultures dans les régions rurales, celles des activités industrielles et commerciales dans les villes et, au final, la spécialisation des usages productifs, invoquant, pour interpréter le paysage économique, la diversité des conditions naturelles et des ressources.
B. Depuis 1950
12Les intérêts des géographes vont largement s’ouvrir dans les années 1950 et 1960 ainsi qu’en témoignent les trois premiers traités de géographie économique de l’énergie : P. George (1950), J. Chardonnet (1962) et G. Manners (1964) ainsi que le livre de J. Gottmann (1957), focalisé sur les seuls marchés des matières premières. Les ouvrages sur l’énergie se multiplient au début des années 1970, en anglais principalement. En langue française, un ouvrage renouvelle sans doute le domaine : celui de D.W. Curran (1973) dans lequel la demande pour la première fois précède la fourniture de l’énergie. Cet élargissement des intérêts se retrouve un peu moins dans le domaine minier à l’exception de l’ouvrage de S. Lerat, « Géographie des mines » (1971), qui propose une sorte d’inventaire des ressources minières avec un historique de leur exploitation et examine les conditions géologiques, économiques, technologiques et politiques qui permettent la mise en valeur des gisements. S. Lerat consacrera ensuite un livre aux seuls métaux (1975). Les travaux de l’époque reflètent bien les évolutions en cours, marquées par le déclin des activités minières dans les pays d’Europe occidentale et au contraire leur essor rapide dans les pays en voie de développement et dans certains États neufs comme l’Australie.
13Les tensions sur les marchés, le poids croissant des acteurs économiques et politiques, manifestes à partir de 1973, créent ensuite de nouveaux intérêts. Les géographes s’attachent ainsi au rôle des entreprises, à l’analyse des politiques énergétiques et au fonctionnement des marchés. L’optique économique se double réellement d‘une optique géopolitique. Le deuxième livre de D.W. Curran publié en 1981 « La nouvelle donne énergétique », entièrement consacré aux changements intervenus durant la décennie 1970, s’inscrit bien dans cette perspective. Les écrits sur l’énergie sont assez nombreux au début des années 1980 mais beaucoup, surtout en langue française, restent essentiellement descriptifs. C’est moins le cas en langue anglaise où plusieurs auteurs sont très préoccupés par les dimensions géographiques de l’énergie et l’apport spécifique des géographes. Citons en ce domaine deux contributions majeures : celle de F.J Calzonetti et B.D. Solomon (1985) où les auteurs ont tenté de dresser un bilan sur les travaux géographiques et de J.D. Chapman (1989) qui propose une géographie de l’énergie totalement réorganisée autour de la notion de système énergétique. Dans le secteur minier, par contre, le renouvellement n’est pas aussi manifeste. Ainsi l’ouvrage de J.-O. Simonetti publié en 1981 reste très encyclopédique.
14En 1979 d’abord puis en 1987, deux livres vont pour leur part ouvrir largement de nouveaux horizons : ce sont ceux de B. Mitchell consacré à « Geography and Resource Analysis », puis de J. Bethemont « Les richesses naturelles du globe » car non seulement ils élargissent le champ à toutes les ressources naturelles mais situent leurs propos en termes d’interactions spatiales et sous l’angle de l’impact sur l’environnement qui constitue une thématique de plus en plus importante à partir des années 1980. Certes, la préoccupation de l’environnement était déjà ancienne, si l’on se réfère au célèbre ouvrage de G. P. Marsh (1864) « Man and Nature : or Physical Geography as Modified by Human Action », à celui d’E. Friedrich (1904) qui a qualifié cette exploitation des ressources de prédatrice (Raubwirtschaft) ou encore au travail de C. Sauer (1938), le principal représentant de l’école de Berkeley. Mais, à partir de la fin des années soixante-dix et surtout au cours des années quatre-vingt, les préoccupations liées à l’épuisement des ressources passent au second plan derrière l’étude de l’impact des activités d’exploitation des ressources naturelles sur l’environnement, traduisant la montée en puissance de la prise de conscience écologiste. De nombreux ouvrages et articles sont ainsi consacrés à ces impacts comme l’ouvrage classique de A. Goudie (1981) « The human impact on the natural environment » réédité à sept reprises depuis 1981, dont la dernière fois en 2013.
15Ainsi, la géographie des ressources a-t-elle été marquée par trois grandes optiques : économique, économique et géopolitique ainsi que naturaliste et environnementale. Mais au total, elle est restée longtemps très liée à la géographie économique.
III. Quels domaines d’investigation aujourd’hui ?
16Il n’est pas facile de détecter dans la production récente les travaux géographiques les plus innovants dans le domaine de l’exploitation des ressources et où, de manière générale, la géographie occupe une place modeste par rapport à l’histoire de l’environnement ou l’économie - et les nombreux travaux concernant la théorie de la « malédiction des ressources » (Auty, 1993 et 2001 ; Sachs & Warner, 2001) (pour une revue bibliographique assez complète voir : Rossers, 2006) - et à l’écologie (Barsch & Bürger, 1996 ; Diamond , 1997 et 2005).
17À notre sens, les travaux peuvent être regroupés en cinq thématiques. Dans chacune d‘elles, nous retiendrons quelques publications, l’objectif n’étant pas de dresser un bilan exhaustif mais bien de mettre en évidence leurs spécificités.
A. Les enjeux économiques et géopolitiques de l’exploitation des ressources
18Les liens entre ressources et pouvoir constituent sans conteste une thématique importante, les ressources étant avec la population et le territoire, comme le dit C. Raffestin (1980), un des trois enjeux du pouvoir car elles déterminent ce qui est de l’ordre du possible en termes d’action. Il en est de même de la relation entre ressources et développement, problématique assez proche, qui intéresse autant les chercheurs du Nord que du Sud, et qui rapproche leurs travaux de ceux des économistes sur la malédiction des ressources mais elle s’en distingue notamment par la multiplication par les géographes d’études de cas, où l’accent est davantage mis sur le jeu des acteurs.
19L’ouvrage de R. Brunet (2003) sur le diamant s’inscrit bien dans cette problématique au même titre que les deux dossiers d’EchoGéo : « Mines d’or et alchimie territoriale en Afrique de l’Ouest » (n°8) et « Nouvelles géographies des activités extractives » (n°17). Ces dossiers ont été coordonnés par G. Magrin (2010) qui s’intéresse particulièrement à l’étude géographique des rentes issues des activités extractives en Afrique de l’Ouest et tente de questionner la déconnexion entre ressources et territoires comme clé d’interprétation des blocages du développement. Les travaux de F. Lasserre (2010) abordent des problématiques voisines au niveau de l’Arctique mais dans ce cas en étudiant les stratégies des grandes puissances.
20Par ailleurs, certains géographes comme J. Mistry, R.F. Dasman ou B.Q. Nietschmann s’intéressent plus spécifiquement au rôle des populations indigènes et étudient les principes et les modalités de gestion des ressources naturelles par ces populations.
21Le rôle des ressources dans les conflits et les guerres est également beaucoup étudié, d’abord par Y. Lacoste dès la fin des années 1960 et les chercheurs publiant dans la Revue Hérodote qu’il a créée en 1976, puis plus récemment par J. Vandeburie (2007), P. Le Billon (2008), R. Pourtier (2011) ou encore par B. Korf (2011) qui se veut une analyse critique de ces travaux en langue anglaise. D’une manière plus générale, G. Bridge (2013) présente le regain d’intérêt des géographes pour les ressources considérées non pas comme « naturellement des ressources », mais plutôt comme « les produits d’un travail culturel, économique et politique ». Il explore ainsi la nouvelle place des États dans un contexte de tension, voire de raréfaction de la disponibilité de certaines ressources. Outre la traditionnelle question de la gestion des ressources par l’État, il montre la variété des approches concernant le rôle des ressources dans la construction de 57 Ressources naturelles, matières premières et géographie certains États, les territorialités forgées par l’exploitation de nouvelles frontières ou la compétition pour les ressources et l’accaparement des terres (land grabbing).
B. Les impacts environnementaux et sociaux de l’exploitation des ressources énergétiques et minérales
22Ce sont sans doute les géographes allemands les plus intéressés par l’optique environnementaliste comme en témoignent les nombreux articles dans le Geographische Rundschau. L’ampleur des activités minières à ciel ouvert dans les régions d’extraction du lignite ont précocement sensibilisé ces géographes à l’impact de l’exploitation des ressources sur les paysages et l’environnement. La réhabilitation et la remise en culture des anciennes exploitations minières ont donné lieu à de nombreuses publications. Plusieurs numéros thématiques récents du Geographische Rundschau (octobre 2006, janvier 2008, novembre 2009, avril 2010…) témoignent d’un élargissement géographique avec des travaux qui concernent surtout des pays non européens et traitent non seulement de l’utilisation durable des ressources, mais encore de l’impact du commerce international de ces ressources sur l’environnement (Braun, 2010). L’impact de l’exploitation des ressources énergétiques constitue un champ particulier avec une double dimension locale (impact de la construction des barrages et des exploitations minières) et globale (émissions de dioxyde de carbone). Mais des géographes francophones comme M. Deshaies (2007, 2011) ont aussi travaillé cette question en analysant parallèlement l’impact des activités minières sur les paysages et les stratégies des firmes pour se rendre environnementalement acceptables.
C. Exploitation des ressources et organisation de l’espace
23Si les entreprises charbonnières et minières ont joué un rôle déterminant sur le peuplement et l’organisation spatiale de nombreuses régions, les liens entre systèmes énergétiques ou miniers et organisations régionales n’ont été que peu explorés. Toutefois, depuis une dizaine d’années, quelques géographes ont tenté de s’interroger sur ces liens tant en Amérique du Sud (S. Carrizo, 2003 et 2011) qu’en Sibérie (Marchand-Vaguet, 2005) ou en France (S. Leroux, 2008). L’objectif de ces travaux est de tenter de comprendre le rôle joué par les infrastructures de production et des réseaux dans l’organisation des territoires à l’échelle d’un pays ou d’une région ou plus spécifiquement à l’échelle d’une région urbaine. La thématique des paysages retient aussi l’attention comme le montre le numéro spécial des Annals of the Association of American Geographers coordonné par Karl S. Zimmerer en 2011. Dans le domaine de l’énergie, les travaux s’interrogent encore sur l’impact des mutations des politiques énergétiques dans les villes et les territoires urbains partant de l’hypothèse que l’on assiste, pour les chercheurs de plusieurs équipes réunis sur la plateforme ENVIT (Énergie, Villes et territoires), à une territorialisation croissante des systèmes énergétiques et à une montée en puissance des acteurs locaux, à la faveur d’un triple mouvement de décentralisation économique (libéralisation), politique (décentralisation proprement dite) et technologique. Par ailleurs, les chercheurs de la CPDT (Conférence Permanente du Développement Territorial) en Wallonie mènent depuis 2002 des recherches sur l’impact de l’aménagement du territoire sur la consommation d’énergie et les émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre liées aux déplacements et au logement.
D. Les enjeux autour du développement des ressources énergétiques renouvelables et de la transition énergétique
24Le développement récent des énergies renouvelables a sans conteste ouvert de nouvelles opportunités de recherche et le secteur semble prometteur en raison des liens étroits de ces énergies avec les composantes des milieux : climats, hydrographie, sols, ressources forestières… Jusqu’à présent, l’éolien semble être la thématique la plus étudiée et un thème émerge : l’acceptabilité sociale et l’intégration dans le paysage (voir par exemple les travaux de Van Rompaey et al, 2010 et de Pasqualetti, 2011).
25Par ailleurs, la transition énergétique retient de plus en plus l’attention. En ce domaine, une réflexion de base : celle de Bridge et al. (2013) où les auteurs examinent la transition comme un processus géographique et fournissent des concepts permettant d’évaluer les implications géographiques de la transition vers une économie à faible émission de carbone, notamment la localisation, le paysage, la territorialité, le développement inégal, l’échelle et l’encastrement (embeddedness). Dans une ample revue des travaux anglo-saxons, G. Bridge (2011) montre les enjeux économiques et politiques autour de l’ancienne et de la nouvelle économie du carbone ainsi que leurs liens mutuels. Ainsi se constitue un champ d’étude qui se décline à travers différentes approches sur les enclaves extractives, les plantations dévolues à la séquestration du carbone ou les tentatives locales de management du carbone.
E. Développement durable et gestion des ressources
26L’essor récent particulièrement important de la consommation de ressources a relancé l’intérêt pour les recherches sur la gestion durable des ressources et les perspectives futures de leur utilisation. Cette thématique a été appréhendée depuis les années 1980 dans le cadre d’un champ de recherche nouveau, l’économie écologique (Daly & Farley, 2010). Ce champ transdisciplinaire décrit les activités économiques comme des processus naturels à travers des flux d’énergie et de matière, afin de montrer que les dimensions actuelles de la consommation de ressources dépassent la capacité de la nature à les fournir durablement (Krausmann et al., 2009). Suivant cette approche, le capital naturel est ainsi devenu un facteur limitant du développement futur de l’économie. Pour matérialiser l’impact écologique de la consommation de ressources, différents indicateurs ont été mis au point, comme l’empreinte écologique (Wackernagel & Rees, 1995) et le sac à dos écologique (Bringezu & Schütz, 2010) élaboré par le Wuppertal Institut. Si ces études ont l’avantage d’offrir une quantification de l’importance du prélèvement des ressources et de sa progression au cours des dernières décennies, elles souffrent de leur caractère simplificateur et ne tiennent pas suffisamment compte de différences qualitatives fondamentales entre les ressources (Smil, 2013 et 2014).
27Celles-ci peuvent être précisées par une approche de géographie économique orientée vers l’environnement (Braun & Schulz, 2012). Ce champ de recherche, très récent et encore en développement, rassemble à la fois des travaux empiriques sur les impacts environnementaux locaux de l’exploitation des ressources par les entreprises (Braun, 2010) et des études sur les bilans écologiques entre les différents groupes de pays développés et en développement (Dittrich, 2010). Cette approche se fait également par l’analyse des chaînes de valeur et de l’économie du recyclage, afin d’en évaluer l’impact environnemental et spatial. La géographie a beaucoup à apporter à l’étude de ces problèmes dans la mesure où, par sa démarche, elle est en mesure de différencier plus précisément les impacts multiples et souvent contrastés de l’exploitation et de la consommation des ressources et donc de contribuer à une meilleure gestion (Reller et al., 2013 ; Smil, 2014).
IV. Un renouveau ou un renouvellement de la géographie ?
28La géographie de l’énergie, voire celle des ressources minières, ou encore des matières premières, tout en restant le champ de grands ouvrages de synthèse à destination principalement de l’enseignement (Mérenne-Schoumaker, 2007 et 2011 ; Brücher, 2009 ; Barré & Mérenne-Schoumaker, 2011 ; Ardillier-Carras et al., 2012 ; Deshaies & Baudelle, 2013 ; Mérenne-Schoumaker, 2013 ; Mérenne-Schoumaker, 2014) devient sans nul doute de plus en plus un champ de recherche à part entière avec des thèses de doctorat et des recherches spécifiques.
29Ce renouveau semble dû à l’émergence de nouvelles problématiques liées aux défis posés par les matières premières : enjeux géopolitiques, impacts environnementaux, épuisement des ressources et, dans le cadre de l’énergie, de la nécessaire transition énergétique. K. Bakker et G. Bridge (2006) y voient l’expression d’une redécouverte par la géographie humaine de la matérialité qui se diffuse dans différents champs d’étude et renouvelle la géographie des ressources, en associant étroitement l’analyse de la production et de la consommation. Dans cette approche, la prise en compte de l’évolution des valeurs culturelles est essentielle à la compréhension de l’essor de la consommation et donc de l’exploitation de certaines ressources. Par exemple, la croissance de la consommation de nickel tout au long du XXe siècle est largement la conséquence de l’utilisation de plus en plus importante de l’acier inoxydable, en lien avec les progrès des valeurs de stérilité et de propreté que les objets fabriqués avec ce matériau permettent de garantir.
30Ces nouvelles problématiques ont amené de nouveaux chercheurs dans le champ d’investigation de la géographie des ressources qui se rattachait 59 Ressources naturelles, matières premières et géographie
31classiquement à la géographie économique. Elles favorisent des échanges de plus en plus intenses entre la géographie et les disciplines qui, comme l’histoire et l’économie de l’environnement, l’anthropologie, l’écologie ou les sciences de la Terre, se sont de longue date investies dans ce champ d’étude. Ces nouvelles recherches contribuent-elles au renouveau de la géographie ? Il est un peu tôt pour répondre à cette question dans la mesure où la géographie des ressources doit d’abord plus clairement définir son périmètre et son champ de recherche entre ceux occupés, d’une part, par l’histoire et l’économie écologique et de l’environnement et, d’autre part, par les géosciences. Ces recherches qui mettent bien en évidence l’intérêt renouvelé des géographes pour les problèmes de société, sont en tout cas susceptibles de replacer la géographie dans sa position traditionnelle de carrefour entre sciences de la société et géosciences.
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