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Paul CLAVAL

Le déclin de l’Europe. Un problème et sa perception par les géographies

(62 (2014/1) - Questions et débats en géographie)
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Résumé

Pour les géographes, dont les positions reflètent et modèlent l’opinion publique, l’idée du déclin de l’Europe, apparue aux alentours de 1900, devient un thème de réflexion majeur à la fin de la Première Guerre mondiale. Il disparaît de la Seconde Guerre mondiale à la fin des Trente Glo­rieuses. Réapparu au moment des chocs pétroliers, la montée des pays émergents et la crise de 2007 lui donnent une actualité brûlante. Pourquoi cette évolution ? La perception des problèmes de l’Europe ne cesse de changer : au début du XXe siècle, on s’interroge sur sa prééminence mi­litaire et politique ; des années 1920 aux années 1980, c’est de sa prospérité matérielle que l’on se préoccupe. Depuis 2000, c’est son existence même que l’on sait en cause.

Index de mots-clés : compétition internationale, démographie, économique et politique, impérialisme, indépendance énergétique, niveau de vie, produit national, puissance militaire

Abstract

For geographers, whose positions both reflect and shape those of public opinion, the idea of an European decline appeared around 1900, became a dominant theme of geographical reflexion at the end of World War I. It disappeared from World War II to the end of the Thirty Glorious Years of high growth. Reappeared with the oil shocks, it gained a tremendous actuality with the rise of emergent economies and the 2007 crisis. Why such an evolution? Because the perception of the problems of Europe kept changing : at the beginning of the twentieth century, it was its military and political prominence which was at stake ; from the 1920s to the 1980s, the main concern was with its material prosperity. Since 2000, its very existence appears increasingly threatened.

Index by keyword : demography, economic and political power, economic production, energetic indepen­dance, imperialism, international competition, level of income, military

I. Introduction

1L’Europe en déclin ? Question essentielle ! Formu­lée à demi-mot à la fin du XIXe siècle, Albert De­mangeon la pose clairement à la suite de la Première Guerre mondiale, en 1920. Malgré les difficultés économiques de l’entre-deux-guerres et les ruines de la Seconde Guerre mondiale, elle disparaît de l’agenda des géographes pour ne ressurgir qu’aux alentours de 1980. Elle s’impose vraiment depuis quelques années. Une bien curieuse évolution pour un problème aussi sérieux !

2La question est, en réalité, double : 1- comment la place de l’Europe dans le monde a-t-elle évolué ? 2- comment les géographes l’ont-ils perçue ?

II. Pourquoi la question du déclin de l’Europe se pose-t-elle dès la première guerre mondiale ?

A. Première alarme

3La domination de l’Europe est liée à sa puissance navale, à ses industries, à sa capacité d’investisse­ment et à son expansion coloniale. L’Europe n’a jamais été aussi puissante qu’à la fin du XIXe ou au début du XXe, mais certains géographes s’inquiètent déjà de son déclin possible (de celui de la Grande-Bretagne en particulier : Vidal de la Blache, 1889). Leur attitude reflète l’atmosphère fin de siècle et le pessimisme qu’elle engendre. Elle résulte de la montée en puissance de nouveaux pays : Russie, États-Unis et Japon.

4L’expansion coloniale se poursuit. Démogra­phiquement, l’Europe est à son maximum : elle compte plus de 25% de la population mondiale. Et pourtant ! La destruction de la flotte russe par le Japon, à Tsushima, en 1902, n’annonce-t-elle pas la fin de sa prépondérance ? Le péril jaune menace la suprématie de notre continent.

B. L’idée de déclin s’affirme avec la Première Guerre mondiale

5La Première Guerre mondiale ruine les avantages que l’Europe avait acquis. Le conflit affecte surtout l’Europe. Son bilan est écrasant. Pour l’Allemagne d’abord : son Empire colonial est liquidé. Son expansion industrielle et commerciale se trouve momentanément stoppée. Mais au-delà, c’est toute l’Europe qui est touchée : le conflit fait 10 millions de morts. La grippe espagnole en fauche autant. En France, en Belgique et en Italie, des régions entières sont détruites. Dans le même temps, l’économie des états-Unis et du Japon est stimulée par les hostilités. La guerre prive l’Europe de sa suprématie navale : il faut désormais compter avec la flotte américaine et la flotte japonaise. L’Europe servait de banquier au monde. Elle s’est lourdement endettée.

6Pour Albert Demangeon (1920), la guerre se ter­mine sur un constat amer : en Europe, il n’y a ni vaincus, ni vainqueurs. Tous les pays ont été lour­dement atteints. Le déclin du continent est amorcé. Il se poursuivra si les peuples européens n’arrivent pas à s’entendre.

III. Pourquoi la question du déclin de l’Europe cesse-t-elle d’être posée des années 20 aux années 80 ?

A. L’Entre-deux-Guerres

7Les séquelles de la Grande Guerre sont immenses. Les années 1920 sont marquées par une reprise réelle, mais limitée, de l’économie ; elle bénéficie surtout aux états-Unis, au Japon et dans les années 1930, à l’URSS. L’Europe se remet mal.

8La crise éclate aux états-Unis en 1929. En rom­pant l’unité économique du globe, l’abandon de l’étalon de change-or l’aggrave. Pour atténuer ses effets, les grandes démocraties industrielles tirent parti de leurs aires d’influence et de leurs empires coloniaux pour créer des zones monétaires. En sont exclus l’Amérique latine et trois puissances industrielles, l’Allemagne, le Japon et l’Italie ; celles-ci s’allient et constituent ‘l’Axe’ ; le désordre économique ouvre la voie à un nouvel embrasement mondial.

9L’idée d’une Europe collectivement responsable de son déclin s’efface. La majorité des géographes se soucient d’abord de leur pays. Pour une minorité, il faudrait revoir l’organisation du monde : ils font confiance à la Société des Nations. Les géopoliti­ques de la paix conçoivent la Terre comme un tout solidaire (Claval, 1996 ; Parker, 1998).

10La menace fasciste et communiste se précise. Une solution s’esquisse : l’atlantisme, front commun des démocraties de l’Atlantique Nord face aux totali­tarismes de l’Allemagne, du Japon et de l’URSS. Ce mouvement reçoit davantage le soutien de géo­graphes américains, comme Isiaiah Bowman, que de géographes européens, et ne s’affirme vraiment que durant la guerre et après (Henrikson, 1988 ; 1983 ; Martin, 1980).

B. La Seconde Guerre Mondiale et la recons­truction du monde

11La Deuxième Guerre Mondiale embrase toute la planète. Elle débute en Mandchourie en 1932 et se termine 13 ans plus tard à Hiroshima, après avoir dévasté l’Europe, l’Asie orientale et le Pacifique occidental. Elle est suivie par une décolonisation rapide. Dans la course à la puissance, l’Europe est supplantée par les états-Unis et l’URSS. Le monde est devenu bipolaire.

12Plus encore qu’après la Première Guerre Mondiale, ces évolutions auraient dû conduire les géographes à parler du déclin de l’Europe. Il n’en est rien. Pourquoi ? C’est que la catastrophe annoncée ne se produit pas.

C. Le second après-guerre : la catastrophe an­noncée ne se produit pas

13La guerre froide conduit les états-Unis à relever l’économie de l’Europe à l’Ouest du Rideau de Fer et celle du Japon. Basé sur le dollar, le nouveau sys­tème monétaire international recrée un espace éco­nomique d’échelle mondiale. Intégrée à l’OTAN, l’Europe occidentale est protégée par le bouclier militaire et nucléaire américain. Elle bénéficie de transferts massifs des technologies mises au point outre-Atlantique. L’abondance et le bon marché du pétrole facilitent la modernisation d’un appareil industriel qui écoule sans mal ses productions vers les états-Unis et vers les pays en voie de dévelop­pement. La Communauté Européenne crée un grand marché, qui dope l’agriculture et les fabrications les plus diverses. L’Europe occidentale ne domine plus le monde, mais elle a pansé ses plaies. Ses populations n’ont jamais été aussi prospères.

14Le moment n’est plus de parler du déclin de l’Eu­rope. Celui-ci est conjuré ! Les géographes des pays de l’Ouest refusent de s’inquiéter de la dépendance croissante d’une économie fondée sur des énergies importées ; ils acceptent sans broncher le déficit chronique de la balance des paiements des états-Unis. Ce dont ils parlent volontiers, c’est de l’inégal développement : il convient de stimuler l’économie des espaces à la traîne au sein du monde développé et de remédier au retard du Tiers-Monde.

15Beaucoup de chercheurs s’interrogent personnel­lement sur une sécurité militaire qui dépend des armements américains plus que des politiques euro­péennes, mais ils ne savent pas comment aborder les équilibres de dissuasion – la géographie politique et la géopolitique, compromises à l’époque nazie, ont presque disparu (Claval, 1996).

IV. Après les trente glorieuses, les inquiétudes ressurgissent, mais on ne parle pas encore de déclin de l’Europe

A. Les chocs des années 1970

16La dépendance énergétique est de plus en plus marquée. L’Europe qui se construit n’a pas de po­litique énergétique. La guerre du Kippour révèle cette faiblesse : les puissances de l’OPEP bloquent l’approvisionnement du monde industrialisé. Les prix du pétrole explosent. Pour l’Europe, c’est la fin de l’énergie à bon marché.

17La crise pétrolière conduit le Président Nixon à renoncer à la parité du dollar et à opter pour les changes flottants. Les bases sur lesquelles s’était faite la reconstruction de l’Europe et du monde disparaissent. Une part importante de l’épargne occidentale est transférée vers les pays producteurs de pétrole. Dans l’immédiat, les conséquences sont moins dramatiques qu’on ne le craignait : ces pays placent leurs fonds en Europe ou aux états-Unis et y font leurs achats ! Mais à long terme ?

18Géographie politique et géopolitique connaissent un regain de faveur, mais traitent davantage du Tiers-Monde et des zones à risque, comme le Moyen-Orient, que du destin de l’Europe. Personne ne s’étonne vraiment de la prospérité d’un continent qui a perdu en l’espace d’une génération les bases de sa puissance militaire et politique.

B. La globalisation et la mise en place d’un autre modèle d’économie internationale

19La prospérité maintenue décourage la réflexion. Le monde change pourtant de plus en plus vite : la globalisation progresse à pas de géants.

20Le nationalisme économique - et le protection­nisme qui l’accompagnait - sont condamnés. Les échanges économiques se libéralisent grâce aux efforts du GATT puis de l’Organisation Mondiale du Commerce. La dérégulation que pratiquent à la fois l’Amérique de Ronald Reagan et la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher sape les aspects institutionnels du protectionnisme. L’Europe perd le contrôle de ses importations.

21Les mutations techniques - révolutions des trans­ports lourds, du conteneur, des transports rapides de voyageurs, des télécommunications, de l’informa­tique et du numérique – accélèrent la globalisation. La concurrence industrielle devient plus rude : elle conduit à la désindustrialisation des pays occiden­taux où le chômage s’étend.

22La conversion au marché du communisme chinois que provoque Deng Xiaoping en 1978 donne un prodigieux coup d’accélérateur à l’industrialisation du pays. Sur les marchés internationaux, sa produc­tion s’ajoute à celle des dragons de l’Asie orientale, Corée du Sud, Hong Kong, Singapour, Taiwan, dès le début des années 1980.

23Les géographes, qui découvrent alors la globali­sation, étudient assez peu ses mécanismes et se penchent plutôt sur ses conséquences : friches industrielles et désindustrialisation, migrations accrues, métropolisation et essor du tourisme in­ternational.

C. La chute des murs

24Le Bloc soviétique n’arrive pas à combler son retard. L’arsenal nucléaire que l’URSS développe bloque sa croissance. Le modèle socialiste perd son aura. La perestroïka échoue. à l’étonnement général, la chute du mur de Berlin, en octobre 1989, entraîne l’effondrement du monde soviétique : le COMECON disparaît, les pays de l’Est abandon­nent le socialisme, l’URSS et la Yougoslavie se fragmentent. Le modèle libéral reste seul en lice : les économies d’Europe de l’Est se libéralisent.

25Les géographes se passionnent enfin pour la scène internationale : la géopolitique n’a jamais connu un tel succès. Mais c’est sur les mutations et la fragmentation que connaissent les sociétés de l’Est, et sur la montée du terrorisme international, que se focalise cette discipline.

D. L’Europe résiste

26L’Europe de l’après-guerre a retrouvé son dyna­misme : la construction de l’Union européenne en témoigne. Le Marché commun, d’abord limité à un noyau «carolingien», des Flandres à l’Italie, de l’Elbe à l’Atlantique, s’étend aux îles Britanniques et à la Scandinavie avant d’absorber l’essentiel de l’Europe méditerranéenne puis des démocraties po­pulaires. L’intégration économique s’approfondit : démantèlement des barrières douanières, serpent monétaire, zone Euro et accords de Schengen.

27L’avance technologique des industries européennes demeure importante dans la mécanique, le nu­cléaire, la chimie et les biens d’équipement, mais le continent prend avec quelque retard le tournant du numérique et celui des biotechnologies. C’est dans le domaine des services qu’il se défend le mieux : la finance fait de Londres, Paris, Amsterdam, Franc­fort et Zurich des pôles internationaux ; la mode se crée à Paris, Milan, Florence ou Londres ; l’activité touristique se développe en France, en Espagne, en Italie et un peu partout en Europe.

28Après-guerre, la géographie souffre d’un biais rural et régional. Elle met trente ans à dominer les réalités du monde moderne.

E. L’envers du décor

29La globalisation bouleverse l’organisation écono­mique et sociale du monde (Claval, 2003) : les en­treprises, plus mobiles, s’affranchissent du contrôle des états. Certaines mettent à profit l’existence de paradis fiscaux pour échapper à l’impôt.

30La globalisation permet aux organisations sociales de travailler à cheval sur plusieurs états : les ONG apportent partout leur soutien aux démunis, aux malades, aux exploités et dénoncent les pratiques politiques des états autoritaires. Les mafias s’in­ternationalisent et organisent à l’échelle mondiale le trafic des drogues, des êtres humains et des or­ganes. Les réseaux terroristes prospèrent sur le même terreau.

31Les géographes sont souvent les premiers à s’atta­cher à ces antimondes, mais il leur reste beaucoup à faire pour comprendre les dynamiques de l’éco­nomie contemporaine, et le rôle qu’y tiennent les espaces et les acteurs européens.

V. L’idée du déclin de l’Europe s’impose dans les années 2000

32Les problèmes auxquels se heurte l’Europe sont économiques. Ils concernent également l’idée que les Européens se font d’eux-mêmes et de leur rôle dans le monde : la civilisation européenne est-elle supérieure aux autres ? On se met à en douter.

33C’est sur ce fond de remises en cause intellectuelle que survient la plus grave crise économique qu’ait connu le monde depuis 1929. Elle frappe plus durement l’Europe que les états-Unis et les pays émergents : l’idée que le continent est sur son déclin s’impose à nouveau.

A. Mutations culturelles et déclin démographi­que

34La culture occidentale perd de sa superbe. Les va­leurs sur lesquelles elle reposait étaient religieuses et philosophiques ; aux XVIIIe et XIXe siècles, elles avaient été en partie relayées par les philosophies de l’histoire. Et voici que le progrès n’est plus l’idéal suprême ! La modernité passe de mode. Un problème et sa perception par les géographes modernisme lui succède. La civilisation européenne n’apparaît plus comme supérieure aux autres. Le temps est venu du multiculturalisme.

35L’idée d’un ralliement progressif des civilisations au modèle occidental disparaît. Les conséquences du vieillissement de la population européenne ap­paraissent, du coup, sous un autre jour. Le recours à l’immigration devait suffire, pensait-on, à résoudre le problème. Cet optimisme n’est plus de mise : l’intégration des nouveaux arrivés devient difficile. Des mouvements de rejet se développent.

36Le succès de l’Union européenne était lié à ce qu’elle n’avait pas de frontière et était ouverte à tous les pays qui souhaitaient y adhérer. Les attitu­des changent comme en témoignent les réticences qu’une partie de l’opinion publique et des gouver­nements européens manifeste à l’égard de l’entrée de la Turquie dans l’Europe.

B. La crise de 2007-2008 : une aggravation bru­tale des conditions économiques

37L’Europe a traversé les chocs pétroliers des années 1970 et 1980 sans que son dynamisme économique paraisse menacé à long terme. La crise qui éclate aux états-Unis en 2007 et qui affecte l’ensemble du système bancaire mondial au début de 2008, pré­sente un caractère différent. Le tournant de l’élec­tronique et du numérique est intervenu précocement dans les pays émergents. Leur essor industriel a stimulé la demande mondiale d’énergie et de matiè­res premières et provoqué une hausse soutenue de leur cours. Dans un tel contexte, il faut innover sans relâche pour résister à la concurrence. Les États-Unis, qui, en ce domaine, investissent davantage que l’Europe, se montrent plus performants.

C. Une Europe plus inégale et plus divisée

38La construction européenne avait pour but de promouvoir l’intégration des économies : la crois­sance et l’égalisation des niveaux de vie devaient en résulter. Ce programme a réussi : les conditions d’existence se sont améliorées ; les pays les plus pauvres ont en partie rattrapé leur retard. Des sys­tèmes performants de protection sociale se sont mis en place.

39Des écarts subsistaient, la crise les accentue. Ils résultent à la fois de l’étalement dans le temps de la construction européenne et de la spécialisation ter­ritoriale qu’elle a amenée : la vocation présentielle de l’économie méditerranéenne s’est par exemple accentuée ; elle constitue un handicap face à la crise financière. L’Europe fonctionne à deux vitesses, ce qui mine les solidarités qui s’y développaient.

D. Les géographes parlent du déclin de l’Europe, mais ne voient pas comment y remédier

40Les géographes s’inquiètent enfin du déclin de l’Eu­rope. Ils s’accordent sur le diagnostic : dépendance énergétique, affaiblissement démographique, perte de compétitivité industrielle, politiques sociales trop coûteuses. Mais quelles solutions proposer ? Favoriser l’immigration pour faire face au déclin démographique ? Oui, mais les problèmes d’inté­gration se multiplient. Développer une politique énergétique commune ? Oui, mais les solutions envisagées diffèrent selon les sensibilités écolo­giques. Développer l’innovation et la créativité ? Oui, mais la diversité des systèmes universitaires et des traditions intellectuelles incite à la prudence. Ce remède sera-t-il aussi décisif qu’on ne l’espère ? Les pays émergents négocient aussi le tournant des hautes technologies !

VI. Perspectives et conclusions

41Plus question de nier l’affaiblissement de l’Eu­rope.

42Le paradoxe d’une inquiétude précoce, d’une longue période où le thème disparaît, puis de sa résurgence contemporaine, vient de ce que la perception des problèmes de l’Europe ne cesse d’évoluer : au début du XXe siècle, on s’interrogeait sur sa prééminence militaire et politique ; des années 1920 aux années 1980, c’était de sa prospérité matérielle que l’on se préoccupait. Depuis 2000, c’est son existence même que l’on met en cause.

43Comment réagir ?

441. La construction de l’Europe doit être repensée en clarifiant ses objectifs (simple marché commun ou construction politique intégrée ?) et en prenant mieux en compte la complexité de l’espace euro­péen.

452. L’idée était de faire de l’Union européenne une super-nation semblable, en plus grand, aux écono­mies nationales existantes. Les forces économiques et politiques que la globalisation a mises en branle dessinent une autre configuration : le retour en force de cités-états (l’Angleterre autour de Londres, les Pays-Bas autour d’Amsterdam et de la Randstad, la Suisse autour de Zurich, Bâle et Genève, etc.), le renforcement de certains districts industriels, la mise en place d’économies présentielles – sans parler des paradis fiscaux. Ce n’est plus sur un tissu économique classique qu’il faut intervenir.

463. Les spécificités intellectuelles de l’Europe doi­vent être préservées, mais celles-ci apparaissent désormais comme des différences et non comme un facteur de supériorité.

47Que dire du rôle des géographes dans cette prise de conscience ? La plupart ont suivi l’opinion publique plus qu’ils ne l’ont devancée. Ils n’ont pas su placer les promesses de l’Europe au-dessus des intérêts nationaux ou locaux. La crise va-t-elle enfin faire entrer notre continent dans l’agenda de la discipline ?

Bibliographie

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Claval, P. (1996). Géopolitique et géostratégie, La pensée politique, l’espace et le territoire au XXe siècle. Paris : Nathan, 2e éd. augmentée.

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Demangeon, A. (1920). Le Déclin de l’Europe. Paris: Payot.

Henrikson, A.K. (1988). The creation of the North Atlantic Alliance. In J. Reichert & S. Sturm (eds.), American Defense Policy. Baltimore: Johns Hopkins University Press, 5e ed., 296-320.

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Martin, G. (1980). The Life and Thought of Isaiah Bowman. Amden : Anchor Books.

Parker, G. (1998). Geopolitics. Past, Present and Future. London : Pinter.

Vidal de la Blache, P. (1889). états et nations de l’Europe. Autour de la France. Paris : Delagrave.

Pour citer cet article

Paul CLAVAL, «Le déclin de l’Europe. Un problème et sa perception par les géographies», Bulletin de la Société Géographique de Liège [En ligne], 62 (2014/1) - Questions et débats en géographie, URL : https://popups.uliege.be/0770-7576/index.php?id=269.

A propos de : Paul CLAVAL

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