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Les smartphones peuvent-ils aider à une meilleure remontée des données en cas de crue rapide pour améliorer les systèmes d’alerte ?
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Il est question d’explorer les conditions de mise en place d’un système d’alerte volontariste et innovant via les smartphones pour faire face aux risques liés aux crues rapides. La solution à proposer doit être pensée de telle sorte qu’elle soit capable de relever un défi majeur : réduire les écarts entre une approche étatique (TOP-DOWN), qui positionne et impose l'Etat comme principal lanceur officiel d'alerte et une action citoyenne (BOTTUM-UP) qui érige l'individu au rang de « citoyen capteur » (à la fois capable de remonter ou de diffuser une information) à travers l’usage de son smartphone. Répondre à ce défi s'avère incontournable si l'on veut minimiser efficacement les dommages matériels et surtout humains lors des phénomènes à forte acuité temporelle tels que les crues rapides. Cet article montre à travers les résultats d’une enquête dans le Var et le Vaucluse que cet objectif est réalisable.
Abstract
It’s about to explore the conditions of establishment of a proactive and innovative alert system via smartphones, to cope the risks associated with flash floods.The solution must be thought in way to achieve a major challenge: reducing the gap between a state approach (TOP-DOWN), which positions and imposed the state as the main official alert source, and the citizen action (Bottum-UP) which establishes the individual as "Citizen sensor" (both in go up or disseminate information) through the use of his smartphone. Meeting this challenge is indispensable if we hope effectively minimize material and human damages especially when high temporal acuity phenomena such as flash floods happen.This article shows through the results of a survey in the Var and Vaucluse that this goal is achievable.
Tabla de contenidos
I. INTRODUCTION
1Les inondations rapides constituent la forme la plus dangereuse des risques naturels observés en France métropolitaine. Elles se caractérisent par un écoulement violent soudain et entraînent des dégâts plus ou moins dramatiques selon l’importance des enjeux et la vulnérabilité des secteurs géographiques affectés (Gaume et al., 2009 ; Vinet et al., 2010). Le temps nécessaire à la mise en sécurité des personnes, incluant le délai de déclenchement de l'alerte et l'évacuation, est toujours supérieur au temps de réaction hydrologique (1 à 2 heures voire moins), ce qui soumet les autorités à des difficultés de prévision ou d’anticipation (Bontron et Obled, 2003).
2A l’heure actuelle, les services de l’Etat à travers le Service Central d’Hydrométéorologie d’Appui à la Prévision des Inondations (SCHAPI), ne surveillent que 21.100 kilomètres de linéaires de cours d’eau. De ce fait, 103.000 km de linéaires constitués pour une grande partie (45 %) de petits tronçons susceptibles de générer des crues rapides ne font toujours pas l’objet d’une prévision particulière.
Figure 1. Schéma de synthèse de la vigilance et de l’alerte pluie-inondation (source : Jules Kouadio)
3En outre, si en amont, les services dédiés à l’analyse de l’aléa fournissent une information objective et critique sur l’aléa, seuls les responsables de la gestion de crise que sont le préfet (et le maire) sont aptes à activer les secours en adéquation avec les plans d’urgence préalablement définis et à donner l’alerte (Figure 1) (DREAL Midi-Pyrénées, 2013). On comprend dès lors que des questions de responsabilité, de prise de décision, de recours à l’autorité compétente, d’usage ou même de remise en cause du pouvoir peuvent très vite se poser en cas de crise entraînant des pertes de temps ou des incompréhensions (Circulaire interministérielle N° IOC/E/11/23223/C relative à la procédure de vigilance) pouvant entraîner des conséquences parfois fatales.
4Suite aux inondations dramatiques de 2010 (53 victimes en Vendée le 28 février ; 27 décès en Dracénie les 15 et 16 juin), l’Etat a engagé des réflexions dans le cadre du PSR (Plan Submersions Rapides) (MEDD, 2011). L’objectif du PSR est d’inciter les différents territoires à bâtir des projets de prévention pour garantir en priorité la sécurité des personnes, pour ces aléas, par une démarche pragmatique, partant de projets ponctuels mais sur des zones cohérentes (bassins de risque).
5Il s’agit donc de voir comment réduire au niveau local l’exposition des personnes mobiles (toutes les personnes en déplacement et donc pas uniquement les automobilistes). En effet la mobilité est le premier facteur de décès en cas de crues rapides (Antoine et al., 2001).
6Compte tenu du nombre de plus en plus croissant d’utilisateurs (plus de 31 millions soit plus d’un français sur deux, au premier trimestre 2015) (MMA, 2015) et des possibilités offertes (mobilité, connectivité, géolocalisation, etc..), les smartphones s’avèrent être une piste intéressante à explorer en vue d’atteindre cet objectif. En effet, leur usage pourrait contribuer à améliorer les connaissances sur les espaces sensibles tout en répondant à des besoins d’alerte mal comblés, principalement liés à la mobilité des personnes (Thierion, 2011).
7Cet article 1) apporte un éclairage sur la notion de smartphone, 2) présente le dispositif d’alerte français face aux inondations en général, 3) présente les problèmes que soulève l’usage des technologies smartphones dans le domaine de l’alerte, à travers une étude d’applications existantes et 4) rend compte d’une enquête menée dans les départements du Var et du Vaucluse en vue d’évaluer la pertinence des technologies smartphones pour une mise en alerte face aux crues rapides.
II. DEFINITION ET HISTORIQUE DU SMARTPHONE
8Le terme smartphone étant issu du vocabulaire anglo-saxon, il parait plus logique d’en faire référence pour trouver une définition appropriée. Selon l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE), un smartphone peut être défini comme un téléphone mobile doté de fonctions similaires à celles que l’on retrouve sur un ordinateur personnel et qui est capable d’interagir avec d’autres systèmes informatiques. C’est la définition qui a été retenue dans ce travail.
9A ces caractéristiques s’ajoute le fait que comme tout téléphone, le smartphone dispose d’un certain nombre de technologies dites primaires (système d’exploitation, processeurs, mémoire, batterie) et de technologies secondaires, les capteurs (connectivité et sensorialité) permettant de se distinguer des autres téléphones. Mais plus spécifiquement, on peut noter quelques éléments clés qui permettent de positionner un téléphone dans la catégorie smartphone : les applications qu’il propose ou qu’il permet d’installer ou de supprimer, la connectique (Wifi, D2D, Bluetooth, NFC, 3G, Edge, etc.) un clavier complet (comme sur un ordinateur). Prises collectivement ou individuellement, ces caractéristiques sont déterminantes dans la désignation d’un smartphone comme tel.
10Aujourd’hui, bon nombre de personnes rattachent le smartphone à la fonctionnalité GPS, ou à la cartographie. Cependant, ces fonctions existaient sur certains téléphones bien avant que le terme smartphone n’ait été employé pour la première fois (c’est-à-dire en 2001 avec l’Ericsson R380) (Woyke, 2014). Mais qu’en était-il au début de cette ère ?
11Avant 2006, les constructeurs avaient le contrôle sur le contenant et le contenu. Les utilisateurs en étaient dépendants et devaient donc attendre la sortie d’une nouvelle version du téléphone pour avoir de nouvelles fonctionnalités ou attendre que ces fonctionnalités soient disponibles sur le site de la firme. C’est avec l’arrivée de Google et Apple en 2007 (Figue 2), que l’espace smartphone change totalement de configuration en permettant à tout individu de passer du statut de consommateur à celui de producteur de contenu (et même de contenant) ou de fonctionnalités. S’appuyant sur un modèle économique bien construit et grâce aux procédés de transferts de compétence et de savoir-faire qu’ils vont adopter, ces deux géants vont donner au monde de la téléphonie mobile un nouveau visage : les firmes permettent à toute personne potentiellement motivée de créer rapidement du contenu (une application) et de le mettre en l’espace de quelques minutes à la disposition du grand public sur une boutique en ligne. Le tout est facilité par l’introduction d’autres appareils de plus en plus ubiquitaires et interconnectables avec lesquels elles inondent le marché (tablettes, montres, télévisions numériques, appareils photo équipés de GPS, etc…), l’avènement de réseaux sociaux numériques, et la consumérisation accrue des entreprises (Forrester Consulting, 2015).
12La démocratisation de la technicité, l’ouverture des bibliothèques de codes et de fonctions, la mise à disposition d’interfaces et d’outils intégrés de développement, favorisent l’émergence et l’engouement de communautés de contributeurs volontaires ainsi que de passionnés, d’amateurs ou de professionnels animant la vie de cet univers, le faisant grandir chaque jour un peu plus.
13De ce fait, le smartphone symbolise un important bouleversement des habitudes sociales, et des relations interpersonnelles et familiales, rendant de plus en plus mince la frontière entre vie privée, vie publique et vie professionnelle (CNIL, 2014). Libération ou emprisonnement ? Les avis sont à la fois partagés et divergents (O’Reilly, 1996 ; Griffiths, 2000 ; Chak et Leung, 2004 ; Lemmens et al., 2009 ; Falaki et al., 2010 ; Lapointe et al. 2013). Compte tenu de leur usage assez répandu et de leur mode de fonctionnement, comment les technologies smartphones peuvent-elles s’inscrire dans le dispositif d’alerte en place ?
III. ETAT DES LIEUX DU SYSTEME D’ALERTE FACE AUX CRUES RAPIDES EN FRANCE
14En France, la protection de la population est à la charge du gouvernement et du maire (Loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile). Ce dernier en tant qu’autorité de droit commun est chargé, par l’application de ses pouvoirs de police, de déclencher l’alerte face aux crues rapides sur le territoire dont il a la responsabilité (article L-2212-2 du Code Général des Collectivités Territoriales) (Douvinet et al., 2010).
15Cependant, en cas de carence de sa part, ou bien lorsque l’aléa dépasse ses compétences territoriales, ou les capacités logistiques, techniques ou financières de la commune, c’est le Préfet du département qui tout en prenant en charge l’alerte (ou ordonnant au maire de la diffuser), prendra la direction des opérations de secours à travers l’activation du dispositif ORSEC (organisation de réponse de Sécurité civile (Figure 1).
16En ce qui concerne l’efficacité de ce dispositif en cas de crue rapide, plusieurs exemples mentionnés dans les retours d’expérience témoignent que l’application de cette procédure met parfois à rude épreuve les autorités et leurs services (MEDD, 2003 ; Izambart, 2011 ; CETEM, 2012 ; Vinet et al., 2012 ; Cerema, 2014). Pour les raisons mentionnées dans l’introduction, le temps de savoir quelle procédure appliquer, qui doit la valider et également quand la valider, il est parfois trop tard.
17En vue de palier aux limites du dispositif actuel, l’Etat, dans le cadre de l’axe 2 du PSR, intitulé « Amélioration des systèmes de surveillance, de prévision, de vigilance et d’alerte », a encouragé de nombreuses initiatives. On peut par exemple citer les projets RHYTMME (Risques HYdrométéorologiques en Territoires de Montagnes et MEditerranéens) (Lavabre et Gregoris, 2005 ; Javelle et al. 2010 ; Arnaud et Lavabre, 2000 ; Fouchier, 2010) (Figure 2), AIGA (Adaptation d’Information Géographique pour l’Alerte en crue) et APIC (Avertissement Pluies Intenses à l’échelle des Communes).
18Cependant, ces initiatives bien que très prometteuses, ne sont pour l’heure qu’à une étape expérimentale, manquent encore de précision et ont une couverture spatiale assez limitée. En outre, les données que fournissent ces dispositifs ne s’adressent pas directement aux populations mais à leurs autorités. Ainsi, force est de reconnaître qu’en l’état actuel de ce que l’état de l’art dans le domaine permet de faire, le système d’alerte français est limité pour faire face efficacement aux crues rapides. Enfin, le fait d’envisager l’implication citoyenne dans le processus d’alerte à travers le smartphone en mode top-down, pose un certain nombre de problèmes sur un plan purement organisationnel. En effet, le changement de paradigme introduit par l’arrivée des nouvelles technologies, implique tout d’abord une intégration et une appropriation de ces technologies par les politiques en place. En fait, la loi sur la sécurité et les modalités d’information de la population de 1987, régissant le dispositif actuel, n’avait au départ pas été pensée pour intégrer dans son fonctionnement, l’internet et les outils technologiques d’aujourd’hui. Pourtant, force est de constater l’existence d’un certain nombre d’applications smartphones se proposant d’ «alerter» les populations en cas de risque avéré ou de permettre à tout individu de signaler aux autorités un danger, une perturbation ou un dysfonctionnement. Comment fonctionnent-elles et quelles sont leurs limites ?
Figure 2. Le réseau de radars de Météo-France en métropole (situation au 31 décembre 2013). Les cercles des radars en bande X (Mont Colombis, Mont Maurel, Vars-Mayt) ont un rayon de 60 km. Les cercles des radars en bande S (Bordeaux, Bollène, Collobrières, Nîmes, Opoul) et C (autres cercles) ont un rayon de 100 km. Dpol : double polarisation
IV. APPLICATIONS FACE AUX CRUES RAPIDES : DES VERROUS D’ORDRE ORGANISATIONNEL ET JURIDIQUE A LEVER
A. Des différences notoires selon les applications
1930 applications dédiées aux risques en rapport aux inondations, sélectionnées (Tableau 2) pour leur disponibilité et leur facilité de prise en main ont été testées en vue de comprendre leur fonctionnement et de s’en inspirer. Cette étape a permis de les regrouper en deux groupes (Figure 3) :
201) des applications à caractère consultatif, permettant à l’utilisateur de visualiser des informations et d’avoir accès à des instructions relatives à un danger (mais sans être associées à la survenue d’un événement en temps réel) ; c’est le cas pour FloodWatch (développé sous iOS6) ou FloodMap (sous Symbian OS) ;
212) des applications à caractère participatif, automatiquement consultatives et offrant, en plus, la possibilité de localiser le danger ; l’utilisateur devient un véritable « citoyen-capteur » car il déclenche l’alerte ou peut en être averti (Figure 4) ; c’est le cas de l’application Risques (développée par la ville de Nice) ou de NOAH, promue par le gouvernement philippin (les deux sont disponibles sous Android et iOS).
22Ce second groupe d’applications permet à la fois la consultation et la transmission de données ; la décision (alerte, avertissement, etc.) est alors gérée par un centre de décision rattaché à une entité administrative forte (mairie ou Etat). Si l’on reprend l’exemple de l’application Risques de Nice, c’est la ville qui a directement conçu le système expert (avec l’aide d’un bureau d’études), ce qui permet le traitement des informations envoyées par les citoyens (évitant ainsi toute fausse alerte). La collecte des données (envoyées par les capteurs ou par la population) complète ainsi la base de données de référence et l’envoi de messages d’information sur les mesures à prendre (en faisant un lien avec le Document d’Information Communal sur les Risques Majeurs, le DICRIM, instauré en France depuis la loi de 1987 (Douvinet et al., 2013)).
Tableau 2. Comparatif de 18 applications étudiées (Source : Jules Kouadio)
Figure 3. Chaîne de traitement de l’information face à un risque et position des applications étudiées.
Source : Jules Kouadio.
23Ces applications peuvent être mono-risque (mono) ou multi-risque (multi) avec une interface unique de contribution ou de consultation, mais pour différents types de phénomènes. L’usage du GPS se fait souvent à travers des modes de cartographie intégrée (à condition que l’utilisateur ait accepté de transmettre ses coordonnées). Des photographies relatives aux phénomènes observés peuvent également être jointes dans le message émis. La taille de l’espace mémoire est suffisamment importante pour le stockage des données, tandis que la gratuité est dans la majorité des cas observée.Nous observons par ailleurs des différences de proactivité. Dans certains cas, l’utilisateur est obligé d’ouvrir l’application pour savoir s’il y a (ou non) une alerte ; on parle ici de proactivité manuelle. Dans d’autres cas, cette proactivité est automatique, c’est-à-dire que le système expert est capable de déclencher tout seul l’alerte à partir du moment où certains seuils sont franchis au niveau des capteurs. Cette alerte peut aussi dépendre du centre de gestion si ce dernier se base sur les avis, photographies, informations envoyées de la part de la population. En fonction de la zone couverte, la population participe alors elle-même à cette proactivité.
24Sur l’ensemble des applications étudiées, aucune finalement ne porte exclusivement sur les inondations rapides. En outre, si on s’intéresse à leur couverture spatiale, deux oppositions apparaissent : 1) des applications couvrant de vastes surfaces (Philippines, Etats-Unis ou Thaïlande) et dont la mise en œuvre répond à des demandes étatiques (en lien avec la récurrence et la sinistralité des inondations), 2) celles spécifiques à des entités communales (comme à Nice ou Athis-Mons en France par exemple) et les surfaces couvertes sont bien plus petites (d’étendue inférieure à 20 km²). Les enjeux sont différents et l’opérationnalité n’est pas du même ordre.
25Les applications locales dépendent, en réalité, des initiatives politiques émanant des communautés de communes ou des villes ayant décidé d’inclure ces outils dans une politique globale de prévention des risques. On peut par ailleurs trouver des modules permettant de déclarer un incident ou de connaître l’intensité des pluies (données fournies par Météo France). Cependant, dans la mesure où une commune ne fait pas face qu’à un seul risque, ces données concourent à une information assez générale sur les risques sans inciter à tel ou tel comportement face aux crues rapides. Ces outils sont, à l’heure actuelle, utilisés comme des canaux d'information et non pour alerter la population. En d’autres termes, l’administration n’a pas encore véritablement franchi le cap du numérique en ce qui concerne l'alerte aux populations sur la question des inondations.
26Grâce à une application participative dédiée et mieux construite, les populations pourraient être informées suffisamment tôt à propos des secteurs à risques et être plus conscientes des bons comportements à adopter en cas de crise, notamment ne pas rester dans sa voiture ou éviter d’aller chercher leurs enfants à l’école (Ruin, 2010).
27Au-delà de la surveillance partielle de certains cours d’eau sensibles à des inondations rapides en France, ainsi que du nombre relativement important de risques auxquels une commune peut être confrontée et donc de ses priorités en termes de politique de gestion des risques, l’usage des technologies smartphones soulève également des questions d’ordre juridique.
B. Contraintes juridiques justifiant l’absence d’applications dédiées aux crues rapides en France
28A l’heure où les technologies GPS et internet s’entrecroisent, le smartphone, quoique bien accueilli, est source de plusieurs problèmes de sécurité. Bien qu’alléchant, le développement d’applications basées sur la géolocalisation (via le système GPS) et sur les risques (naturel ou technologique) demeure limité en France à cause de certaines contraintes réglementaires et juridiques. En effet, le smartphone cristallise aujourd’hui la crainte qu’on a eu (et qui existe toujours) il y a quelques années avec la sécurité au niveau des PC (ordinateurs personnels) : sommes-nous vraiment les seuls à accéder à nos données ? Non, en tout cas pas pour tous les smartphones.
29Avec d’un côté la variété de plates-formes disponibles aujourd'hui, et de l’autre l’augmentation de la présence digitale des administrations tant publiques que privées, les utilisateurs sont en interaction constante avec leurs réseaux sociaux et chacune de ces interactions se traduisant par un nouveau point-source de données mesurables. Plusieurs études insistent en outre sur l’impossible anonymisation véritable des données collectées dans leur forme actuelle. La collecte massive de données sur l’individu constitue une véritable source de profilage psychologique et comportemental (WEF, 2011). Si au niveau des empreintes digitales, douze points sont nécessaires pour identifier sans équivoque une personne, de Montjoye (2013) nous apprend que seulement quatre données spatiotemporelles suffisent aujourd’hui pour nous distinguer dans une foule.
30Des données sont donc collectées. Où vont-elles exactement et dans quelle mesure ? La protection des personnes physiques à l’égard de l’utilisation et des traitements des données de géolocalisation demeure régie en France par les lois 2004-669 du 9 juillet 2004 et 2004-801/182 du 6 août 2004 (portant sur les protections individuelles au sens large). Afin d’éviter que des personnes non autorisées n’accèdent aux données, il est obligatoire de prendre des mesures de sécurité (accès à un site avec un identifiant et un mot de passe), selon la norme 51 de la CNIL. Cet usage est également protégé par un ensemble de lois associées au droit pénal (article 226-1 et suivants sur la protection de la vie privée ; article 226-16 relatif aux droits des personnes résultant de traitements informatiques ; loi du 6 janvier 1978).
31Devant l’ampleur de ce constat, il serait délicat sans mesures préalables d’inviter les citoyens à contribuer de façon volontaire au sens de Goodchild (2007), ou de Mericskay et Roche (2010) à la remontée de l’information à travers une application d’aide à l’alerte citoyenne. Impliquer et informer le citoyen dans la mise en œuvre du dispositif envisagé est une réponse idéale à ces barrières organisationnelles et juridiques. C’est à ce titre qu’une enquête a été réalisée dans les départements du Var et du Vaucluse.
V. DEMARCHE EXPERIMENTALE A L’ECHELLE LOCALE : PREMIERS RETOURS D’ENQUETE
32Une enquête dans plusieurs communes du Var et du Vaucluse a été réalisée en vue d’évaluer la pertinence de la mise en place d’un dispositif d’alerte citoyenne. On souhaitait également collecter les avis et conseils des futurs utilisateurs pour répondre au mieux à leurs attentes et les impliquer au départ dans la mise en œuvre du dispositif envisagé. Le choix des communes s’est fait en trois étapes. La première a consisté à déterminer parmi les bassins versants de taille inférieure ou égale à 50 km² ceux particulièrement sensibles aux crues rapides en croisant des critères hydro-morphométriques (identification des cours d’eau non surveillés et de leurs temps de concentration, pente et forme des bassins versants), phyto-géologiques (nature et humidité du sol, couverture végétale) et exposition directe ou indirecte du bâti.
33La seconde étape s’est appuyée sur les communes concernées par les bassins versants précédemment sélectionnés en s’intéressant cette fois-ci aux catégories socioprofessionnelles définies par l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques). Cela afin d’atteindre un ensemble à la fois large et diversifié de personnes et de mieux estimer le pourcentage d’utilisateurs de smartphone dans ces zones.
34Les communes définitivement retenues ont été connues à la suite de la dernière étape qui a consisté en une vérification par image satellite des zones situées à un kilomètre du cours d’eau en vue d’identifier les secteurs potentiellement exposés et de valider de façon définitive le choix. Lorsque l’image satellite ne permettait pas de prendre une décision, c’est l’arrivée sur le terrain qui permettait finalement de trancher et de retenir ou de procéder à un remplacement de la commune.
Figure 4. Captures d’écran de l’application Kobo (source : Jules Kouadio)
35Cette enquête semi-directive à caractère fortement qualitatif a été principalement réalisée à l’aide de l’application smartphone KoboForm1, et de son interface graphique de création de formulaire de collecte de données en mode hors ligne (Figure 4). Des données ont également été collectées toujours via smartphone avec les applications Office online qui a permis d’interroger les responsables rencontrés à partir du formulaire http://1drv.ms/1gnXHgh et Ushaïdi pour la remontée d’informations géolocalisées sur les traces ou marques d’inondation, les éléments évoquant la mémoire du risque et également les citoyens et les responsables rencontrés. Le lien https://ffhunter.crowdmap.com/ permet de consulter une carte interactive des données qui ont pu être collectées à partir de l’application Ushaïdi. Fortement tributaire de la disponibilité d’une connexion internet, les deux derniers procédés n’ont pas pu être employés durant toute l’enquête (Figure 5).
Figure 5. Captures d’écran Office on line et Ushaidi (source : Jules Kouadio)
Figure 6. Localisation des communes enquêtées dans le Vaucluse et dans le Var
36Ce sont 322 personnes issues de 15 communes sur le Vaucluse et 137 provenant de 10 communes du Var qui ont été interrogées (Figure 6). Cette différence s’explique tout d’abord par des contraintes de temps (plus de temps de disponible sur le Vaucluse) et des difficultés inhérentes aux enquêtes nécessitant au chercheur d’être en face de la personne enquêtée pour lui fournir le questionnaire.
37Dans l’ensemble, on a relevé une faible culture du risque des populations, un manque d’information de la part des autorités concernant les risques que connaissent les communes ainsi que des moyens d’alerte existants, des inquiétudes de certains citoyens vis-à-vis du risque d’inondation en particulier bien que considéré comme inexistant pour les autorités compétentes. Il est aussi important de relever que la perception du risque selon l’administration est différente de celle des riverains
38Pour certains, le fait d’habiter «en hauteur» leur confère un certain sentiment de sécurité vis-à-vis d’une inondation car la perception du risque ou le niveau d’appréhension vis-à-vis du danger lié aux crues rapides varie suivant le fait d’en avoir déjà vécu ou non.
39D’un autre côté, plus de 49 % de ces personnes sondées possèdent un smartphone et parmi ces dernières, 70 % sont favorables à l’usage des RSN (réseaux sociaux numériques) et plus de 80 % à l’usage des smartphones pour l’alerte (Figure 7), cela avec une volonté affirmée d’y participer en tant que contributeurs volontaires. Sur le cas particulier du Vaucluse, on a pu enregistrer 159 détenteurs de smartphones avec un taux de volontaires de plus de 90 %, et une présence majoritaire des personnes âgées de 20 à 59 ans (Figures 8).
Figure 7. Répartition par classes d’âge d’individus enquêtés favorables à une application pour l’alerte
Figure 8. Répartition par classes d’âge d’individus enquêtés détenteurs de smartphones et favorables à utiliser l’application
40Parallèlement, la majorité des élus locaux et responsables du risque que nous avons pu rencontrer (17 sur 25) sont abonnés au dispositif d'alerte mis en place par la préfecture, mais reconnaissent ne pas en être satisfaits car ils reçoivent parfois des alertes de pluies abondantes, alors que leur commune n’est pas concernée. Bien qu’étant dotée d'une sirène, d'un PCS et un DICRIM, un responsable déclare être souvent averti en retard par la préfecture, ce qui a souvent été source de difficulté pour la mise en place ou la coordination d’une réponse appropriée. Il y a donc une discréditation apparente mais non déclarée du dispositif en place.
41Enfin, si plus du tiers des responsables rencontrés possèdent un smartphone, ils sont en majorité favorables à l’idée que la population puisse remonter de l’information via une application. La question de l’alerte étant très sensible, beaucoup ont exprimé leur réticence car une telle application représenterait une probable perte de contrôle. Cette enquête fait apparaître l’existence de besoins et d’une attente réelle de la population vis-à-vis d’un système innovant, tenant compte des contraintes et des réalités locales. Cependant, la réussite et l’adoption de ce système passe par une implication des acteurs locaux dans sa conception.
VI. CONCLUSION
42Cet article a permis de mettre en évidence l’existence d’une opportunité réelle d’impliquer le citoyen dans le dispositif d’alerte en place en cas de crue rapide, à travers l’usage des technologies smartphones. Le succès d’applications comme La Croix Rouge (aider une personne démunie), Incident (informer d’un incident en temps réel) ou Quake-Up (alerte séisme) illustre parfaitement le fait que des applications mono-risque sont des initiatives qui peuvent s’avérer gagnantes. Face à des aléas à courte cinétique tels que les inondations rapides, plus la collecte et le traitement des données collectées se fait sur un pas de temps court (voire de manière instantanée), plus la prévision est opérationnelle et plus ces outils deviennent une aide à la décision. Ainsi, les opérationnels peuvent décider d’une mise en vigilance (minimum pour un avertissement), d’une mise en alerte (risque avéré) ou d’une évacuation (par crainte de connaître un niveau d’endommagement élevé). Il ne s’agira pas de mettre en place un outil révolutionnaire ou la solution miracle, mais il s’agit de voir dans quelle mesure l’application à proposer pourra s’insérer dans le dispositif existant.
Remerciements
43Les auteurs tiennent à remercier pour leur soutien financier la Région PACA, le bureau d’études Risques et Développement, la Structure Fédérative de Recherche Agor@ntic de l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse.
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Notes
1 http://www.kobotoolbox.org/products/koboform
Para citar este artículo
Acerca de: Jules Sekedoua Kouadio
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