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La teneur en CO2 de l’air des grottes de Wallonie augmente plus vite que celle de l’atmosphère libre - Variations saisonnières, évolution semi-séculaire et flux de CO2
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Version PDF originaleRésumé
La teneur en dioxyde de carbone de l’air des grottes est généralement très supérieure à celle de l’air libre. Alors qu’à l’extérieur, la concentration en CO2 est actuellement un peu supérieure à 400 ppm, dans les grottes de Wallonie, par exemple, elle varie entre 1 000 et 30 000, et parfois plus. Les variations saisonnières sont très fortes. Les valeurs observées en été sont quatre à dix fois plus importantes que les données hivernales.
À la grotte de Comblain, que nous avons étudiée plus que les autres, les pCO2 de l’air du sol présentent généralement un maximum net un mois ou deux avant le maximum dans la cavité. Des analyses des isotopes stables du carbone confirment que la grotte et le sol sus-jacent ont la même signature isotopique, une signature très différente de celle de l’air libre. L’influence des visiteurs est négligeable dans les grottes étudiées. Il n’en est pas de même dans certaines grottes beaucoup plus fréquentées par les touristes.
Au fil des ans, la teneur de l’air en dioxyde de carbone augmente dans les cavités, comme à l’air libre. Mais sous terre, la hausse est beaucoup plus forte. L’importance de l’augmentation ne peut toutefois pas être fixée uniformément : les grottes présentent des caractères très divers (nombre d’entrées, courants d’air, présence ou non d’un cours d’eau, affectation du sol sus-jacent…).
Nos analyses d’air ont commencé en 1966. En un demi-siècle, l’augmentation a été très importante dans certaines cavités, moins dans d’autres ; mais dans toutes, la pCO2 croît, et dans toutes plus vite qu’à l’air libre. L’augmentation bien connue de la teneur de l’air libre en dioxyde de carbone est un élément favorable à la végétation. Il en est de même de la hausse des températures. Ces deux facteurs propices à la végétation entraînent une augmentation de la pCO2 du sol. En effet, dans le sol et le sous-sol il n’y a pas de photosynthèse, mais avec une vitalité accrue de la flore les racines des arbres et autres plantes et la microfaune du sol et du sous-sol respirent davantage et émettent davantage de CO2.
Plusieurs chercheurs, à l’échelle européenne, voire mondiale, s’accordent sur l’idée que les sols sont des sources (ou des puits) de carbone bien plus importants que l’atmosphère et que le réchauffement a déjà produit une avance de plusieurs jours dans la feuillaison. S’il se confirme que le sol et le sous-sol contiennent trois fois plus de carbone que l’atmosphère libre, l’évolution rapide que nous observons sous terre pourrait avoir un impact climatique.
Abstract
Carbon dioxide level is generally higher in caves than in the air. Whereas concentrations of CO2 in the atmosphere is today just above 400 ppm, it varies between 1,000 and 30,000 ppm or even higher, in walloon caves. Seasonal variations are very high. Summer readings are between four and ten times those of winter readings.
At Comblain cave, which we have studied more than others, soil CO2 level is usually at it’s highest one or two months before the cave maximum. Analyses of stable carbon isotopes confirm that the cave and the soil above it have the same isotope characteristics, which are very different from the ones of atmospheric air. The influence of tourists is negligible in the caves studied, which is not always the case in some caves more frequented by tourists.
Over the years the concentration of CO2 is rising both in caves and in the free atmosphere. But underground the increase is much higher and the rate of the increase is not uniform: caves have very diverse characteristics (number of entry points, draughts, the presence or not of underground streams, the land use, etc.).
Our first air analyses were performed in 1966. In half a century the increase has been very strong in some caves, less so in others; but in all the level of CO2 concentration has risen, and always at a faster rate than in the free atmosphere. The well-known increase in CO2 levels in the free atmosphere is favorable to vegetation; it is the same for the increase in temperatures. At our latitudes, these two factors favour vegetation growth, leading to an increase in CO2 soil concentrations. There is no photosynthesis underground, and the vitality of the flora, tree roots and other plants, and of the microfauna, which respire more, is emitting higher levels of CO2.
Many researchers, both European and further afield, agree that the soil is both a source and a sink for carbon which are greater than the atmosphere and that climate warming has resulted in plants producing leaves a few days earlier. If it is confirmed that the soil and sub-soil contain three times more carbon than the atmosphere, the change we observe underground could have significant effects on the climate.
Table des matières
Introduction
1Le dioxyde de carbone dissout dans l’eau est un agent important de la dissolution du calcaire, non le seul, mais très généralement de loin le principal (Ek, 1973). En fonction de la loi de Henry, la teneur en CO2 de l’eau s’équilibre avec celle de l’air ambiant (Atkinson, 1977). C’est un fait d’observation que la concentration du CO2 dans l’air souterrain est beaucoup plus forte que dans l’air atmosphérique extérieur (Lismonde, 2002).
2Nous avons mesuré la teneur en CO2 de l’air souterrain dans plusieurs cavités de Wallonie (Belgique). La Figure 1 présente la localisation des grottes citées dans le présent travail. Nos premières analyses de CO2 remontent à 1966. Nous avons alors mesuré la teneur en dioxyde de carbone de l’air de cinq cavités : grotte-abîme de Comblain-au-Pont (1), trou Joney à Comblain (2), grotte de Remouchamps (3), grotte de Rochefort (4), grotte de Floreffe (5). Nous avons mené cette année-là dans ces cavités 75 analyses d’air (Ek et al., 1968 ; Delecour et al., 1968). Depuis lors, nous avons poursuivi nos mesures dans ces grottes et nous avons également effectué des analyses dans les grottes Sainte-Anne (6) et Brialmont (7) à Tilff (Esneux), dans la grotte Merveilleuse à Dinant (8), la grotte de Fontaine de Rivîre à Hamoir (9), la grotte de Ramioul (10) et la grotte du Noû Bleû (11) à Chanxhe (Sprimont).
Figure 1. Localisation des grottes citées. Points rouges : 1- Grotte-abîme de Comblain-au-Pont. 2- Trou Joney à Comblain-au-Pont. 3- Grotte de Remouchamps à Aywaille. 4- Grotte de Rochefort à Rochefort. 5- Grotte de Floreffe à Floreffe. 6- Grotte Sainte-Anne à Tilff. 7- Grotte de Brialmont à Tilff. 8- Grotte Merveilleuse à Dinant. 9- Grotte de Fontaine de Rivîre à Hamoir. 10- Grotte de Ramioul à Ramioul. 11- Grotte du Noû bleû à Chanxhe. Point bleu : Station météo de Bierset.
3On sait que le CO2 de l’air atmosphérique a augmenté de 33 % au cours du XXe siècle (Figure 2). On pouvait dès lors se demander ce qu’il en était du CO2 souterrain. Vers 2000, nous avons remarqué qu’il devenait de plus en plus abondant. En 2009, nous avons publié en anglais et en français cette constatation (Ek & Godissart, 2009 ; Godissart & Ek, 2009). Et depuis lors, nous continuons nos mesures.
Figure 2. Évolution de la teneur en CO2 de l’atmosphère depuis 1700. D’après des carottes de sondages dans la glace jusqu’en 1958. D’après la station de Mauna Loa après 1958. L’augmentation de la teneur de l’air en CO2 a fortement accéléré depuis 1950.
I. Matériel et techniques
4En un demi-siècle, depuis nos premières mesures en 1966, les techniques de mesure du CO2 ont évidemment évolué et nous avons utilisé successivement plusieurs types d’appareillage.
A. Appareillage d’électrolyse
5Nos premières mesures, en 1966, étaient basées sur l’électrolyse d’une solution de chlorure de sodium, absorbant le CO2 d’une quantité d’air connue en présence de phénolphtaléine (Ek et al., 1968 ; Delecour et al., 1968). La concentration en CO2 était calculée à partir du courant (mA), du temps (sec) et du volume (cm³) de l’échantillon. Le matériel pesait quinze kilos et comportait des électrodes de platine dans des cellules de verre de fabrication délicate (Figure 3). Le transport du matériel en grotte était donc assez peu pratique. C’est néanmoins avec lui que nous avons fait nos 75 premières mesures. L’appareil était étalonné à l’air libre au début de chaque séance.
Figure 3. L’appareillage électrolytique de Koepf. Dans le bas à gauche, l’ampèremètre ; dans le haut à droite, la cellule électrolytique avec à sa base les deux électrodes.
B. Pompe colorimétrique Gastec
6Nous avons ensuite utilisé la pompe Gastec, une pompe de cylindrée étalonnée (100 ml). Dans une cellule en verre branchée sur la pompe, lorsqu’on aspire par pompage une quantité connue d’air, l’hydrazine se colore le long d’une échelle graduée suivant la concentration en CO2 de l’air aspiré (Figure 4). La précision minimale garantie par le fabricant est de l’ordre de 25 % mais en fait, dans les situations dans lesquelles nous l’avons employée, la précision est très supérieure et la reproductibilité est meilleure que 10 %, ce qui s’est confirmé quand nous avons comparé les mesures à celles du CO2 mètre Draeger que nous avons acquis plus tard. Cette méthode, un peu moins précise que l’électrolyse, est beaucoup plus rapide et pratique, le matériel pesant moins d’un kilo (Ek & Godissart, 2009).
Figure 4. La pompe colorimétrique Gastec. Le tube gradué fixé à l’extrémité de la pompe donne en lecture directe la mesure de la teneur de l’air absorbé en dioxyde de carbone.
C. CO2 mètre Draeger
7Depuis 2008, nous employons le Draeger X-am 7 000, un appareil de mesure multigaz qui dose le gaz par infra-rouge dans la gamme de 0 à 50 000 ppm (5 %). Cet appareil est beaucoup plus pratique, permettant une mesure quasi-instantanée (3 minutes) par lecture sur un moniteur LCD (Figure 5). La précision annoncée par le fabricant et vérifiée par nous est de ± 100 ppm sur toute l’échelle. Il n’y a plus de cellules à usage unique à acquérir, comme sur la pompe Gastec. Le Draeger, qui ne pèse que 1,6 kg, peut être programmé pour doser O2, CO, CO2, NOX, etc. Par ailleurs, il peut enregistrer un grand nombre de données. L’appareil est muni d’une pompe qui permet aussi, en cas de besoin, d’extraire d’une enceinte l’air à analyser (Ek & Godissart, 2014). Grâce à sa fonction pompe et à l’usage d’un long tube de polyéthylène, il est aussi capable de mesures à distance, évitant ainsi les erreurs dues à la présence humaine.
Figure 5. Le CO2 mètre Draeger. La teneur en CO2 de l’air analysé (jusque 6 %) se lit sur un moniteur à cristaux liquides.
D. Enregistreur Vaisala
8Nos dernières acquisitions (2012) sont des analyseurs de gaz Vaisala MI 70. Ces analyseurs infra-rouge enregistrent facilement des données pendant plus d’un mois à la cadence de huit mesures par jour. En outre, ils sortent sans aucune manipulation les rapports sous forme de tableaux de données et sous forme graphique (Ek & Godissart, 2013). La précision annoncée par le fabricant est de 2 % ; la précision réelle est moins bonne, de l’ordre de 5 %. Nous les utilisons surtout pour enregistrer dans les grottes les variations de courtes périodes (toutes les 3 heures) pendant un mois (Figure 6).
Figure 6. Le data-logger Vaisala. Enregistrant facilement des mesures toutes les heures ou toutes les trois heures pendant un mois, cet appareil fonctionne en l’absence d’opérateur et donc en l’absence de perturbation anthropique.
E. Dataloggers do-it-yourself
9Un de nous (J.G.) a aussi bricolé des enregistreurs beaucoup moins dispendieux avec des capteurs de CO2 à infra-rouge de marque TH Industrie et des data loggers Omega (Ek & Godissart, 2013). Ces appareils sont restés plusieurs semaines dans le sol forestier surmontant la grotte de Comblain-au-Pont (Figures 7 et 8).
Figure 7. Data-logger en circuit fermé Do it yourself Omega. Capacité du data logger : près d’un million de données (reproduit avec autorisation de Ek & Godissart, 2013).
Figure 8. Schéma d’installation dans le sol du data-logger en circuit fermé Do it yourself Omega. 1. Récipient perforé à la base et relié à l’enregistreur par des tuyaux souples. 2. Cartouche de silicagel. 3. Turbine à air. 4. Module électronique : régulateur de tension, temporisateur, chambre de mesure, capteur IR. 5. Data logger. 6. Batterie 12 V, 7 A/h. (reproduit avec autorisation de Ek & Godissart, 2013).
F. Autres appareillages
10Nous avons pris des mesures de température avec deux types de thermomètres enregistreurs : le Thermochron et le Niphargus (Burlet et al., 2015). L’humidité relative a été mesurée avec un psychromètre électronique et la vitesse de l’air avec un anémomètre Brannan. La précision du psychromètre est de l’ordre de 2 %, celle du Brannan est de l’ordre de 5 %.
G. Quelques techniques originales
11Dans la partie antérieure de la grotte de Comblain-au-Pont, soumise aux effets du tube à vent, nous mesurons avec un psychromètre électronique les températures sèche et humide ce qui nous permet de calculer l’humidité relative, la température du point de rosée et l’enthalpie. Dans les sols de la forêt, nous avons placé au contact avec le bedrock un récipient en pvc perforé à la base relié à la surface par un tube en nylon. Avec l’appareil Draeger, nous mesurons mensuellement le CO2 produit par l’activité biologique du sol ; nous mesurons en même temps la température de l’air et celle du sol à 10 cm de profondeur. Nous avons également effectué quelques enregistrements de CO2 dans les sols qui montrent la variation circadienne de la respiration du sol. Toutes les données sont comparées aux paramètres climatiques fournis par le site météo Infoclimat de Bierset. Le site de Bierset (près de Liège) est indiqué sur la carte (Figure 1).
II. Les mesures
12Nos analyses de la teneur de l’air en CO2, échelonnées depuis 1966 jusqu’aujourd’hui, ont été conduites dans une dizaine de cavités de Belgique. Elles montrent une grande variabilité de la teneur en dioxyde de carbone. Variabilité en fonction du moment de la journée parfois, variabilité en fonction de facteurs météorologiques, variabilité saisonnière, évolution séculaire aussi. Outre ces variations dans le temps s’observent aussi des teneurs très diverses en fonction du lieu et de la topographie. Nos mesures varient donc entre 300 et plus de 30 000 ppm. Nous évoquerons aussi les influences humaines.
A. De fortes variations saisonnières
13La variation la plus marquée, la plus régulière aussi, dans nos campagnes de mesures, est l’alternance saisonnière été-hiver. Nous l’avons étudiée dans la grotte-abîme de Comblain-au-Pont (Ek & Godissart, 2007 ; Godissart & Ek, 2013).
14La grotte a deux entrées. La seule entrée naturelle est l’abîme de 22 mètres de profondeur qui s’ouvre dans le versant du vallon. Pour permettre l’accès de la cavité aux visiteurs, le premier propriétaire, Monsieur Bry, a fait creuser un tunnel en pente d’une cinquantaine de mètres de long, par lequel on accède sans difficulté à la grotte. Entre les deux entrées peut parfois s’établir un courant d’air, un tube à vent. Il y a donc une zone assez aérée, qui s’oppose à la zone confinée située plus loin (Figure 9). La Figure 10 montre les teneurs de l’air en CO2 en septembre 2011. On voit qu’en cette fin d’été, la teneur en CO2 près de l’extrémité distale de la cavité était de 17 400 ppm, plus de quarante fois celle de l’air libre (400 ppm). En hiver, la quantité de CO2 est beaucoup moindre. Les valeurs minimales et maximales annuelles de 2012 à 2018 sont présentées sur les Figures 11 à 14.
Figure 9. La grotte de Comblain-au-Pont. Entre l’orifice de l’abîme et l’entrée du tunnel, l’air peut circuler (tube à vent). Dans la partie distale de la cavité, au contraire, il n’y a guère de circulation et ce secteur est pratiquement statique. La zone intermédiaire est très restreinte.
Figure 10. Teneur de l’air en CO2 dans la grotte de Comblain-au-Pont à la fin de l’été 2011. La concentration du CO2 dépasse 10 000 ppm dans une grande partie de la grotte. À l’extrémité distale de la grotte, la teneur atteint 17 000 ppm.
15Nous avons cartographié le CO2 à travers la grotte presque tous les mois, de juillet 2011 à septembre 2012, puis tous les mois de janvier 2013 à actuellement. Nous ne pouvons imprimer ces 95 cartes et nous nous sommes contentés de montrer ici les valeurs maximum et minimum de 2012, 2014, 2016 et 2018 (Figures 11 à 14). Le minimum se présente toujours en février, le maximum en août ou en septembre. Les Figures 11 à 14 montrent qu’en février, au plus fort de l’hiver, la teneur à l’extrémité distale de la cavité varie entre 1 600 et 4 200 ppm, soit entre quatre fois et dix fois celle de l’air libre. Les maximums estivaux dans cette zone vont de 21 000 à 31 500 ppm et peuvent donc atteindre près de quatre-vingt fois la teneur de l’atmosphère extérieure. La production et l’accumulation de dioxyde de carbone présentent donc une saisonnalité extrêmement marquée.
Figure 11. Teneur de l’air en CO2 en 2012. À une teneur faible en hiver (moins de 2 000 ppm partout) s’oppose une teneur forte à la fin de l’été (jusque 21 000 ppm dans la partie distale de la cavité).
Figure 12. Teneur de l’air en CO2 en 2014. La teneur estivale à la sortie du puits P2 (marqué pit), à l’extrémité ouest de la cavité, dépasse 25 000 ppm. Même dans la zone du tube à vent, à moins de 40 m de l’entrée, la teneur en CO2 est de 10 000 ppm.
Figure 13. Teneur de l’air en CO2 en 2016. La concentration hivernale dépasse pour la première fois 4 000 ppm au Petit Lac. La teneur estivale en CO2 dépasse pour la première fois 30 000 ppm. L’air soufflé par le puits P2 (marqué pit) est très riche en CO2.
Figure 14. Teneur de l’air en CO2 en 2018. Le P2 souffle toujours un air très riche en CO2 en septembre. La plus grande partie de la grotte, en ce mois-là, contient plus de 2 % de CO2.
16Après le repos hivernal, c’est un peu en avril mais davantage en mai que remonte la teneur en CO2. Et, après le paroxysme estival du mois d’août, la diminution, qui s’amorce généralement en octobre, est surtout nette en décembre. Cependant, en été, la zone d’entrée montre elle-même un gradient très abrupt, évident dans le tunnel d’accès : en août 2012 on voit que la teneur en CO2 dans ce tunnel passe de 400 à l’air libre à 3 000 ppm en moins de quinze mètres (Figure 11) ; en août 2014, dans ce même tunnel, on passe de 400 ppm à l’air libre à 2 600 en 11 mètres et à 10 000 (25 fois la teneur à l’air libre) en 30 mètres (Figure 12). La pCO2 peut donc varier très fort en quelques mètres.
17De même, le passage de la zone d’entrée, dynamique, à la zone profonde est parfois, lui aussi, très rapide : il y a un point bas entre la Crèche et la salle des Échos ; ce point est à 6 mètres d’un de nos points de mesure dans ladite salle des Échos. Le 6 avril 2017, nous avons mesuré 700 ppm au point bas et 3 000 à 6 mètres de là dans la salle des Échos (Figure 15). Au même endroit, le 14 avril 2019, nous mesurions respectivement 500 et 2 600 ppm : un gradient de pCO2 de plus de 2 000 ppm en 6 mètres.
Figure 15. Fort gradient des pCO2 entre la zone aérée et la zone statique le 6 avril 2017 : de 700 à 3 000 ppm en six mètres.
18La grotte ayant deux entrées d’altitude différente, la zone proche de ces entrées connaît des mouvements d’air variés. Dans cette zone, qu’on peut qualifier de dynamique, la teneur en CO2 n’est jamais aussi forte que dans la zone distale, où se manifestent les maximums. De même, dans la zone d’entrée, la température varie beaucoup plus que dans la zone distale. Nous avons pris des mesures précises de température en 2004 et 2005, et la différence entre les deux zones saute aux yeux (Figure 16). Dans la zone distale de la grotte, la température est très stable et représente la température moyenne de l’endroit. Dans la région des entrées, la température est fonction de la saison, mais toujours basse : les deux entrées de la grotte sont situées plus haut que l’ensemble de la cavité et celle-ci est donc un piège à air froid ; l’air froid de l’hiver envahit la zone d’entrée et, en été, l’air froid ne remonte évidemment pas pour sortir.
Figure 16. Température de l’air de la grotte en 2004-2005. En abscisse, la distance à l’entrée de la cavité. En ordonnée, la température. Celle-ci est très stable dans le fond de la cavité, et très variable dans la zone d’entrée. Toute cette zone, située plus bas que les deux orifices de la cavité, est donc un piège à air froid.
19Nous avons observé le rythme saisonnier dans d’autres grottes. Par exemple, dès 1978, nous avons mesuré des différences nettes entre l’été et l’hiver au trou Joney, voisin de la grotte de Comblain : les valeurs estivales étaient alors de l’ordre du double des valeurs hivernales (Ek, 1979). En 1982, nous avons observé des variations importantes de pCO2 au fil des saisons dans la grotte Sainte-Anne à Tilff (Esneux) (Ek & Gewelt, 1985). Là, dans la galerie principale de l’étage moyen et aussi au bord de la rivière souterraine, nous avons mesuré plus de 7 000 ppm en septembre et moins de 3 000 ppm en janvier (Figure 17).
Figure 17. Grotte Sainte-Anne à Tilff (Esneux). Coupe transversale S-N dans la grotte. Teneur de l’air en CO2 en 1982. À gauche en hiver, à droite en été. La différence est du simple au triple.
20À la grotte Merveilleuse à Dinant également, la teneur estivale est plus élevée que la teneur en hiver. En 2008, par exemple, dans la grande salle de la grotte, il y avait 400 ppm de CO2 en février (la même teneur qu’à l’air libre), et 1500 en août (Figure 18). Ce rythme saisonnier caractéristique et très important que nous venons de décrire à la grotte de Comblain, à la grotte Sainte-Anne à Tilff et à la Merveilleuse de Dinant, nous l’avons observé dans toutes les grottes de Belgique dans lesquelles nous avons pu faire des observations en été et en hiver. Ainsi, sous terre, l’été est la saison des maximums très nets de la teneur de l’air en CO2.
Figure 18. La grotte Merveilleuse à Dinant. Comparaison hiver-été en 2008. D’après Ek & Godissart, 2014 (traduit), avec permission de l’éditeur.
B. La pCO2 dans le sol surmontant la grotte est très variable
21À Comblain-au-Pont, nous avions entrepris de mesurer mensuellement le CO2 dans trois types de sols. Certains sols, au-dessus de la cavité, sont cultivés (surtout des sols (x)Aba de la carte des sols), d’autres sont en herbages (GbBK2), d’autres encore sont boisés (Gbbk4 surtout). Mais dans les sols cultivés comme dans les herbages, nos appareils enregistreurs ont à plusieurs reprises été abîmés ou détruits (bétail, sangliers, pratiques culturales ?). Nous nous sommes donc résignés à prendre nos mesures dans le bois, où nos dispositifs sont toujours restés intacts. Nos mesures ont été prises à diverses profondeurs, mais toutes celles que nous citerons ici ont été prises systématiquement à 30 cm de profondeur (près du bedrock).
22La Figure 19 montre les variations de la teneur en CO2 du sol sous forêt (courbe rouge). On voit que les valeurs sont très variables et très irrégulières. Les maximums estivaux varient entre 10 000 et 32 000 ppm. Si on compare ces mesures aux pCO2 mesurées dans l’air de la salle du Petit Lac (courbe bleue), on voit que le sol présente très généralement un maximum annuel qui précède de peu (un mois ou deux) le maximum annuel de l’air du fond de la grotte. La courbe de la grotte (en bleu) est beaucoup plus régulière que celle du sol. C’est que le sol est influencé par toutes les conditions météorologiques (pluie ou sécheresse, chaleur excessive ou favorable, gel…) et la production de CO2 dans le sol est donc hautement versatile, tandis que l’air qui arrive dans la grotte venant du sol met généralement plusieurs semaines pour faire le trajet et les teneurs doivent évidemment s’homogénéiser au fil du temps au cours de cette descente.
Figure 19. Variations de la concentration en CO2 de l’air du sol sous forêt à 30 cm de profondeur (courbe rouge) et de l’air de la salle du Petit Lac de la grotte de Comblain-au-Pont (courbe bleue).
23La grotte Sainte-Anne à Tilff (Esneux) nous donne un exemple de la descente progressive du CO2 du sol vers les profondeurs. Elle comporte plusieurs étages dont l’un est situé à quelque 80 mètres sous le plateau tandis que la grotte de Brialmont, étage supérieur de cette cavité complexe n’est qu’à une vingtaine de mètres sous le sol du plateau (Ek & Gewelt, 1985). Nos mesures, en 1982, ont montré que le maximum estival de la teneur en CO2 est en juillet à la grotte de Brialmont et en septembre, soit deux mois plus tard, dans l’étage principal de la cavité, une soixantaine de mètres plus bas (Figure 20).
Figure 20. Teneur en CO2 de deux étages de la grotte Sainte-Anne à Tilff. Courbe inférieure : la grotte de Brialmont, étage supérieur de la grotte Sainte-Anne montre un maximum en juillet. Courbe supérieure : l’étage de la rivière souterraine, environ 70 m plus bas que l’autre, a une concentration maximum en CO2 en septembre, deux mois plus tard que l’étage supérieur.
24Nous déduisons de ce qui précède qu’une partie très importante du CO2 de l’air des grottes étudiées provient du sol et descend progressivement dans les profondeurs (Ek & Godissart, 2009). Cette opinion est confortée par plusieurs auteurs (Bourges et al., 2001 ; Baldini et al., 2006). Cette explication de l’origine pédologique du CO2 avait déjà été esquissée par Ek et al. (1968, p.253) et confirmée par Gewelt et Ek (1986, p. 74).
25En outre, et surtout, des recherches récentes de Sophie Verheyden confirment, par la voie de l’étude des isotopes du carbone, l’origine pédologique de la plus grande partie du CO2 des grottes.
C. Les isotopes du carbone montrent l'origine biologique du CO2 des grottes
26La composition isotopique du carbone, notée ‘deltaC13’ (δ13C) est une mesure de la proportion des différents ‘isotopes’ du carbone (13C/12C) par rapport à une référence internationale. Le 12C et le 13C sont stables, contrairement au 14C, qui est radioactif. Actuellement l’atmosphère a un δ13C de -8.5 ‰ d’après les mesures à Mauna Loa (National Oceanic and Atmospheric Administration, NOAA, 2020). La végétation utilise préférentiellement le 12C pour se développer et le CO2 issu de la respiration et de la dégradation de la matière organique aura un delta plus négatif (entre -21‰ et -27‰ dans nos régions). Chaque source de CO2 a ainsi sa signature ‘delta’.
27L’étude des isotopes du carbone dans l’atmosphère de la grotte de Comblain et de l’air prélevé dans le sol au-dessus de la grotte, effectuée entre octobre 2012 et décembre 2013 donne des indications quant aux sources possibles du CO2. Le δ13C du CO2 dans l’air de la grotte se situe entre 23.6‰ et 26.7‰, et le δ13C de l’air du sol au-dessus de la grotte se situe entre 22.6‰ et 26.5‰. Ces mesures démontrent que le CO2 de la grotte a quasiment la même valeur et donc la même origine que le CO2 de l’air du sol au-dessus de la grotte : il provient dans les deux cas de la respiration des plantes et de celle des bactéries et de la décomposition de la matière organique (feuilles, branches, plantes…). Les concentrations du CO2 dans l’air de la grotte et du sol suivent la même dynamique saisonnière et suggèrent donc que le CO2 du sol descend lentement (par diffusion et/ou par dégazage de l’eau de percolation) pour arriver environ un à deux mois plus tard dans la grotte, suivant l’épaisseur des terrains à traverser.
28Par contre, le δ13C du CO2 dans le sol montre un changement saisonnier nettement plus prononcé que celui du CO2 de la grotte (Figure 21). En effet, en hiver, la proportion de CO2 atmosphérique (δ13C = 8.5‰) est plus grande qu’en été, augmentant le signal isotopique. Nous formulons l’hypothèse suivante : le CO2 descendant ‘pousse’ le CO2 des microfissures dans la grotte, tout en se mélangeant, ce qui « lisse » le signal saisonnier. Sa composition isotopique est homogénéisée par « l’effet piston ».
Figure 21. δ13C du CO2 dans la grotte de Comblain et dans l’air du sol qui la surmonte. En abscisse, l’échelonnement des mesures dans le temps, de l’automne 2012 au printemps 2014.
29Mais une autre source organique vient très probablement se mélanger à celle du sol dans la grotte. L’épikarst (partie supérieure du karst, juste sous le sol) peut renfermer une quantité importante de matière organique, qui en se dégradant libère du CO2 bien plus tard que le CO2 du sol. Ceci expliquerait les âges parfois élevés du CO2 des grottes, les retards de réponse observés dans les courbes paléoclimatiques des spéléothèmes (Wong et Breecker, 2015), ou encore les ‘trous’ dans les estimations du stock mondial de carbone. Il est primordial d’avoir une idée de l’importance de ce ‘stock’ et de pouvoir estimer son influence dans le changement climatique. La rivière ou nappe d'eau présente sous les galeries peut également charrier d'importantes quantités de matière organique et être responsable d'arrivées de CO2 dans la grotte. Ce CO2 a un signal isotopique similaire puisque la source du CO2 est à chaque fois la matière organique, mais ces arrivées contribueront au lissage du signal isotopique sur l'année.
30Nos conclusions sont corroborées par une étude de Benavente et al. (2010) concernant l’origine biologique du dioxyde de carbone souterrain autour d’une grotte à Nerja (Espagne).
D. Le tube à vent et les variations météorologiques à la grotte de Comblain-au-Pont
31L’entrée artificielle créée pour les visiteurs est 10 mètres plus bas que l’orifice de l’abîme. Ceci donne lieu parfois à une circulation d’air, par exemple lorsque l’air froid de l’hiver pénètre dans la cavité par l’entrée inférieure, provoquant un courant d’air qui chasse l’air plus chaud et moins dense de la grotte par l’entrée du puits (Figure 22). C’est un phénomène de « tube à vent », qui fonctionne ainsi lorsque la température extérieure est nettement inférieure à celle de la cavité (10,2 °C, à peu près la température moyenne annuelle du lieu en surface).
Figure 22. Le tube à vent. Coupe. En hiver, l’air extérieur (en bleu sur le schéma) est plus froid (et donc plus dense) que l’air de la grotte (en rouge). L’air extérieur s’enfonce donc dans la cavité par l’entrée inférieure pendant que l’air plus chaud s’échappe par l’orifice de l’abîme.
32L’intensité du fonctionnement du tube à vent est fonction de la différence de température entre la grotte et l’air extérieur. La Figure 23 montre la relation entre les températures extérieures et le flux d’air absorbé à l’entrée inférieure de la grotte. En hiver, le CO₂ est balayé par le fonctionnement du tube à vent et les pressions partielles dans la zone des entrées sont proches de celles de l’atmosphère libre tandis qu’en été, elles atteignent des valeurs beaucoup plus élevées. En été, le phénomène inverse ne se marque pas. L’ensemble de la grotte est en effet situé à des altitudes plus basses que les deux entrées et l’air froid entré en hiver est piégé dans la cavité.
Figure 23. Le débit du tube à vent. Diagramme. En abscisse, la température. En ordonnée, le débit d’air mesuré à l’entrée du tunnel, en litres par seconde. Plus la température extérieure est différente de celle de la grotte, plus le débit est important.
33Ce type de fonctionnement asymétrique se traduit par un déficit de température comme le montre la Figure 16, où on voit que les températures estivales dans le tube à vent sont plus faibles que dans le reste de la grotte : la grotte est un piège à air froid. Comme le montre la Figure 23, lorsque la température est de l’ordre de -5°C, le courant d’air (froid) entrant peut dépasser 3 m³ par seconde. La météorologie peut donc avoir de l’influence sur l’air souterrain dans la zone des entrées.
34Les variations barométriques peuvent influencer la concentration du CO₂ dans l’air des grottes. Ainsi, à la grotte de Comblain, nous avons observé, le 23 décembre 2012, une hausse soudaine de la pCO₂ à l’orifice d’un petit puits (le P2) à l’extrémité de la grotte. La teneur en CO₂ a monté subitement de quelque 3 000 ppm à près de 8 000 (Figure 24). La cause en était une chute brutale de la pression atmosphérique générale. L’air de la grotte fut alors littéralement aspiré (par les deux entrées) vers l’atmosphère extérieure et cette dépression, transmise dans la grotte, a causé un appel d’air des profondeurs. Sous la partie explorée de la grotte, il y a en effet un cours d’eau souterrain et des creux confinés très peu aérés. Ce réservoir caché a fourni à la grotte un air riche en dioxyde de carbone et la pCO₂ de la cavité a mis quatorze jours à retrouver sa valeur de 3 000 ppm. C’est donc clairement ici, en mécanique des fluides, un phénomène d’advection.
Figure 24. Hausse soudaine de la pCO2 à la sortie d’un petit puits impénétrable (le P2). En abscisse, le temps en jours. En ordonnée, la pCO2 en %.
E. Les variations circadiennes
35Parfois la température extérieure oscille, entre le jour et la nuit, autour de 10 °C, donc au-dessus et en dessous de la température de la grotte (10,2 °C). Dès lors, jusque dans la partie la plus éloignée des entrées, l’air entre et sort alternativement de la grotte et la teneur en CO2 oscille également. C’est ce que montre la Figure 25. Nous avons superposé sur cette figure nos mesures Vaisala au P2, le petit puits situé non loin de la salle terminale, et les températures extérieures, prises ici à Bierset. Dans ce graphique, les températures à Bierset ont été décalées de deux heures par rapport aux mesures de CO2. L’air extérieur met donc deux heures à passer jusqu’à la grotte par les passages impraticables situés entre les pertes de l’amont et la grotte de Comblain.
Figure 25. Relation entre la température extérieure et la pCO2 de l’air de la grotte de Comblain à l’orifice d’un petit puits impénétrable, le P2. En abscisse, le temps en jours. En ordonnée, la pCO2. En bleu, la pCO2 mesurée en pour mille. En rouge, l’estimation de la pCO2 en fonction de la température. Cette courbe a été avancée de deux heures par rapport à la pCO2 mesurée. Communication aimable de Jacques Hébert.
F. L’augmentation séculaire et décennale
36Nos premières mesures étaient exprimées en mg CO2/L, suivant l’usage de l’époque en cette matière. À partir de 1985, nous avons employé du matériel gradué en ppm (en volume). L’augmentation des valeurs mesurées ne nous apparut que dans les années 2000. À la grotte Merveilleuse de Dinant, il y avait 800 ppm de CO₂ dans la grande salle le 4 août 1990 (Ek, 1990). Le 16 août 2003, il y en avait 1 100 et le 7 août 2008, 1 500 (Godissart & Ek, 2009). Et la hausse a continué en 2013, 2016 et 2019 (Figure 26). Dans la grotte de Fontaine de Rivîre, à Sy (Hamoir), la pCO2 était de 5 000 ppm en août 1972, 6 700 en août 1992, 7 500 en août 2000 et 9 400 en octobre 2008. Les mesures étaient évidemment faites toujours à la même place, dans la galerie des Vignobles (Godissart & Delvenne, 1975 ; Godissart, 1994). À la grotte Sainte-Anne à Tilff (Esneux), nous avons trouvé, en septembre 1982, 7 000 ppm de CO2 au-dessus de la rivière souterraine et en septembre 2019, notre collègue Olivier Stassart a mesuré 10 200 ppm (Figure 27).
Figure 26. L’augmentation de la pCO2 estivale à la grotte Merveilleuse (Dinant) au fil des années. Mesures figurées ici en cinq points.
Figure 27. Coupe transversale (Sud-Nord) dans l’étage de la rivière de la grotte Sainte-Anne à Tilff (Esneux). Évolution de la teneur de l’air en CO2 entre septembre 1982 (chiffres en bleu) et septembre 2019 (chiffres en rouge). Mesures de C. Ek et M. Gewelt en 1982 et d’O. Stassart en 2019.
37La tendance est la même à la grotte-abîme de Comblain-au-Pont. Le 14 juillet 1966, il y avait environ 1 000 ppm au pied de l’abîme de Comblain-au-Pont, exactement à l’entrée de la salle du Lait de Lune (Ek et al., 1968 ; Delecour et al., 1968). Le 14 juillet 2008, il y en avait 5 200 (Godissart & Ek, 2009). Depuis 2011, nos mesures sont plus fréquentes, et à partir de 2013, nous avons levé la pCO2 de la grotte tous les mois jusqu’ici. Les Figures 8 à 12 montrent clairement l’augmentation progressive de la teneur maximum de l’air en CO2 au cours des années 2011 à 2019. Les relevés mensuels nous permettent de donner les chiffres du mois le plus riche en CO2 chaque année (août ou septembre, suivant les années). Ainsi, dans la salle du Petit Lac, à l’extrémité distale de la cavité, on relève :
38en été 2011 : 17 000 ppm
39en été 2012 : 21 000 ppm
40en été 2013 : 26 000 ppm
41en été 2014 : 21 500 ppm
42en été 2015 : 19 000 ppm
43en été 2016 : 31 000 ppm
44en été 2017 : 31 500 ppm
45en été 2018 : 31 500 ppm
46en été 2019 : 29 500 ppm
47Depuis 2012, à l’extrémité de la grotte-abîme de Comblain-au-Pont, on dépasse donc 20 000 ppm au plus fort de l’été.
48Les trois grottes de Wallonie où nous faisons des mesures montrent donc toutes trois une augmentation des teneurs estivales maximales très forte, pour ne pas dire dramatique. Contrairement à ce qui se passe en été, la pCO2 de l’air n’augmente pas ou guère d’un hiver à l’autre. Le mécanisme qui fait augmenter la concentration du CO2 dans les grottes ne fonctionne donc qu’en été.
III. Discussion
A. Grande variabilité des teneurs en CO2 observées
49Dans l’air atmosphérique, la teneur en dioxyde de carbone est très uniforme. Au cours de cinquante années de mesures, nous avons certes lu quelques fois sur nos appareils des valeurs inférieures à 300 ppm, soit par temps très froid, comme dans les Tatra polonaises en avril 1967 au-dessus de 1 000 mètres, soit, même en été, sous des climats très froids et hostiles à la végétation, comme en Laponie suédoise en juillet 1982 et au Labrador en juillet 1980 (Ek et al., 1969 ; Ek, 1987). Nous nous demandons si les basses températures entraîneraient des erreurs d’appareils. Mais dans les régions tempérées nous ne rencontrons pas ce problème.
50Comparée à cela, la concentration en CO2 sous terre est extraordinairement variable. Ceci avait déjà été noté, entre autres, par Renault (1985).
51Variabilité dans l’espace : dans la grotte Merveilleuse à Dinant, la teneur de l’air passait en août 2016 de 1 500 à 18 800 ppm (au Temple de Diane) en moins de 20 mètres. Certes, il y avait dans le Temple de Diane une source de CO2. Mais en bien des endroits un gradient très rapide s’observe là où il n’y a pas une fourniture de gaz à fort débit : à la grotte de Comblain, à la limite entre la zone dynamique et la zone profonde, au bas de la salle des Échos, on mesurait, le 2 mai 2019, 900 ppm dans un couloir et 3 000 ppm à 6 mètres de là dans la salle. Cette salle des Échos même est le théâtre d’un gradient souvent important entre le haut et le bas de la salle : 2 300 ppm dans le bas de la salle, et 4 900 dans le haut le 11 mai 2017.
52Variabilité dans le temps : en janvier 1982, dans la galerie souterraine où coule la rivière de la grotte Sainte-Anne à Tilff, la teneur est de 2 900 ppm ; en septembre de la même année, elle est de 7 000 (Figure 17). À la grotte de Comblain, la teneur en février, dans la salle du Petit Lac est, ces dernières années, de l’ordre de 2 000 ppm ; en août, elle est de l’ordre de 25 000 (Figures 10 à 14). La très grande variabilité des teneurs observées réclame évidemment une explication.
B. L’advection, facteur important des transferts de CO₂ dans le karst
53Non loin de l’extrémité distale de la grotte de Comblain, entre la salle de la Cascade et la salle (terminale) du Petit Lac, il y a un petit puits P2 (marqué pit sur les cartes) qui devient impénétrable après 2 mètres. La carte d’août 2016 (Figure 14) montre que l’air à la sortie du puits est plus riche en CO2 (32 500 ppm) que la salle de la Cascade (30 000 ppm) et la salle du Petit Lac (30 000 ppm). Il émane alors du puits un air riche en dioxyde de carbone.
54En février de la même année, c’est l’inverse. Les pCO2 au puits sont inférieures aux teneurs dans les salles voisines (Figure 14). Cette inversion s’est présentée à plusieurs reprises les années suivantes. Un réseau souterrain, venant de plusieurs kilomètres à l’ouest de la grotte, existe sous celle-ci. Il est alimenté par des pertes karstiques. L’air de ces conduits est très susceptible de véhiculer du CO2 provenant des sols situés en amont des pertes. Nous pensons que le puits P2 connecte la grotte à une zone confinée parcourue par un flux d’air chargé de CO2 provenant de l’activité biologique des sols. Ce flux envoie en été un air riche en CO2 ; mais en hiver, au contraire, le gaz carbonique de la cavité s’évacue par le puits.
55La partie confinée de la grotte est en permanence à 10,2 °C. Selon que la température extérieure est supérieure ou inférieure à cette valeur, l’air circule dans un sens ou l’autre. L’influence de la température s’observe aussi très bien, par exemple, sur l’enregistrement Vaisala au P2 du 8 au 16 avril 2014 (Figure 28). On y voit que la teneur en CO2 présente chaque jour, du 8 au 16, un pic en journée et un minimum nocturne. L’explication de ce rythme réside dans le graphique des températures journalières à l’extérieur (Figure 29). Il montre que, du 8 au 16, la température a oscillé chaque jour autour de 10 °C, donc autour de la température de la cavité (10,2 °C). Chaque jour, la grotte a été successivement plus chaude puis plus froide que l’air extérieur.
Figure 28. La pression partielle du CO2 au puits P2 entre le 8 et le 16 avril 2017. En ordonnée, la pCO2 en ppm. En abscisse, les jours. Un pic se manifeste chaque jour vers 15 heures. L’explication en est sur la figure suivante.
56On notera la similitude remarquable entre la courbe des pCO2 au puits (Figure 28) et la courbe des températures extérieures (Figure 29). Le pic le plus fort de CO2 correspond à un maximum de température de 17 °C, alors que le minimum correspond à des températures inférieures à 10 °C. Le calcul montre que la pression motrice à l’intérieur du karst pour des températures extérieures de 35 °C, des pCO2 de 3,5 % et une dénivelée de 100 mètres est de l’ordre de 1,1 kg/m². L’advection nous semble être un facteur important dans le transfert du CO2 à travers le karst.
Figure 29. Diagramme météorologique du mois d’avril 2014 à Bierset (province de Liège). En rouge, température journalière maximum. En bleu, température journalière minimum. En vert, les précipitations. En jaune, on a sélectionné les températures maximums de 8 au 16 avril. La courbe des températures maximums est parallèle à la courbe des pCO2 maximums de la figure précédente. Il y a entre les deux une corrélation parfaite.
C. La possible influence des visiteurs
57On peut évidemment penser à l’influence des touristes, beaucoup plus nombreux en été. En 1975, B. Mérenne-Schoumaker avait mesuré l’influence des touristes dans la grotte de Remouchamps. C’est une cavité beaucoup plus touristique que celles que nous étudions : elle recevait alors quelque 150 000 visiteurs par an. Les mesures de la même chercheuse montrent une augmentation instantanée de 0,2 à 0,3 mg/L, soit de l’ordre de 150 à 250 ppm (Mérenne-Schoumaker, 1975). Cette augmentation retombe en 3 à 5 minutes, et l’augmentation progressive au fil de la journée retombe totalement durant la nuit. Ces chiffres, non négligeables à la grotte de Remouchamps, sont toutefois peu élevés quand on considère des pCO2 de 3 000 ou 4 000 ppm dans les salles en été à Remouchamps. À Comblain, on comptait en 2018 environ 5 200 touristes et 5 900 élèves sur l’année et à Dinant environ 20 000 visiteurs au total. Ce sont donc deux cavités dont la fréquentation est beaucoup moindre, et l’influence humaine y est absolument négligeable.
58Dans la grotte de Comblain, Q. Pletsers a mesuré à deux reprises l’influence des visiteurs au cours de son travail de fin d’études. Le 12 mars 2015, il a analysé les passages de 66 enfants de 8 à 10 ans et de 11 enseignants. Il a enregistré des hausses de 100 à 200 ppm qui n’ont duré chaque fois que 3 à 5 minutes. Le 31 mars de la même année, il a fait le monitoring du passage de 142 élèves et 21 accompagnants, et les hausses ont été de 100 à 150 ppm chaque fois et ne durant que 3 à 5 minutes (Pletsers, 2015). Nos mesures dans la grotte ont toujours été faites entre 10 heures du matin et midi, donc très généralement avant tout passage de visiteurs. La respiration des humains dans les grottes que nous étudions, sans être nulle, n’obère en rien les résultats et les significations de nos mesures.
59À la grotte Merveilleuse à Dinant, nous avons enregistré (de minute en minute) le passage de trois groupes successifs de touristes dans la grande salle. Nous avons placé le datalogger Vaisala à proximité immédiate des visiteurs. L’enregistrement (Figure 30) montre que l’influence des touristes sur la teneur en CO2 est forte, mais très éphémère. Quelques minutes après le passage, l’air a repris sa composition initiale.
Figure 30. Grotte Merveilleuse à Dinant. Teneur de l’air en CO2 entre 10:40 et 13:20 dans la grande salle, au moment de la fréquentation par des gros groupes de touristes. La pression partielle passe de 1 000 ppm à près de 4 000 ppm au passage des visiteurs, mais redescend aussitôt à sa valeur originelle dès leur départ. L’appareil était placé à proximité immédiate des visiteurs (à moins d’un mètre).
60Nous avons déjà observé et mesuré une influence importante des touristes dans une petite grotte de République tchèque, la grotte de Balcarka (Lang et al., 2015a ; Lang et al., 2015b) L’influence a été mesurée dans des passages très étroits et parcourus par un flux important de touristes. Les grottes que nous étudions en Belgique sont plus spacieuses et beaucoup moins touristiques.
61Un autre problème est toutefois possible dans les lieux confinés, et par exemple lorsqu’on prend des mesures dans des étroitures ou des fissures. Il faut alors prendre des précautions particulières pour éviter de mesurer… l’air expiré par l’opérateur. Nous avons utilisé un système absorbant le CO2 exhalé par celui-ci (Figure 31). L’appareil est formé d’un embout buccal (type plongée) à travers lequel l’opérateur aspire et expire tandis qu’un pince-nez l’empêche de respirer par le nez. L’embout comporte deux soupapes, l’une reliée à l’air extérieur (pour inspirer), l’autre conduisant l’air expiré dans un réservoir rempli de chaux sodée qui absorbe l’air sortant. Mais nous n’avons pas inclus dans le présent travail nos mesures en milieu fissural, que nous avons traité par ailleurs (Ek & Gewelt, 1985 ; Gewelt & Ek, 1986).
Figure 31. Dispositif pour empêcher l’arrivée d’air expiré par l’opérateur lors de mesures en milieu très confiné. L’opérateur aspire l’air de la grotte mais une soupape l’empêche de l’expirer vers l’extérieur ; une autre soupape, fonctionnant à l’expiration, envoie l’air expiré dans un réservoir à chaux sodée qui absorbe le CO2 anthropique. Pour obliger l’opérateur à respirer par la bouche, un pince-nez de natation lui bouche le nez.
D. Autres influences anthropiques
62La grotte de Ramioul, sur la commune de Flémalle, nous a donné l’occasion de voir une autre influence anthropique : celle des tirs d’explosifs en carrière. La grotte est encerclée, à l’est comme à l’ouest, par une gigantesque carrière qui exploite le Calcaire carbonifère. Nous - et Julie Piron - y avons mesuré des teneurs en CO2 qui varient fortement, non pas en fonction des saisons, mais en fonction des tirs de carrière (Piron et al., 2007). L’effet des explosions est confirmé par la présence, constatée à plusieurs reprises, de CO à côté du CO2. Nous avons étudié en détail ces occurrences (Godissart & Ek, 2010). Nous nous contenterons de montrer ici un graphique du 20 novembre 2008 (Figure 32). On y voit que la teneur en CO2 de la grotte est durant toute la journée supérieure à 2 %, qu’elle dépasse 4 % pendant une demi-heure et atteint temporairement 7,9 % (Godissart & Ek, op. cit.). Des pointes de fortes teneurs en CO ont été observées à de nombreuses reprises et la corrélation avec des tirs a été vérifiée (Godissart & Ek, op. cit., p. 62). Des teneurs de 108 ppm et 485 ppm en CO ont été mesurées, ce qui dépasse de loin les normes admises en matière de santé des travailleurs. Les modalités des tirs ont été beaucoup améliorées et de tels cas ne se sont plus reproduits depuis 2008.
Figure 32. La pCO2 de l’air dans la grotte de Ramioul (Flémalle) le 20 novembre 2008. À 8 heures, la pCO2 bondit jusqu’à 7,8 %. Un chiffre que nous n’avons jamais observé dans aucune autre cavité naturelle en Belgique. C’est très probablement l’effet d’un tir de mine dans la carrière toute voisine de la grotte.
E. L’évolution actuelle du climat
63Depuis le début du XXe siècle, la teneur de l’air atmosphérique en dioxyde de carbone est passée de 300 à 400 ppm. Ceci représente une augmentation de 33 % (Figure 2). Et cette hausse continue. La température moyenne de la Belgique est passée d’environ 9 °C en 1900 à environ 11 °C en 2010, soit une hausse de 2 °C, et qui s’accélère (Figure 33).
Figure 33. L’évolution de la température à Uccle, telle qu’enregistrée par l’Institut royal météorologique. La hausse est pratiquement constante, mais surtout elle est accélérée depuis quelques décennies.
64Ces deux augmentations sont très favorables à la végétation. Aussi les arbres en profitent-ils. Il n’est que de comparer, dans la région étudiée, l’état du boisement au début du XXe siècle et son état actuel pour voir que la canopée a pris une grande envergure dans cet intervalle de temps. Nous avons pour ce faire demandé au photographe Vincent de Waleffe de rephotographier des paysages de carte postale du début du XXe siècle. Les comparaisons sont parlantes (Figures 34 à 37). Nous ne présentons ici que quatre cas, mais le photographe a pris 25 couples de photos qui tous montrent sans exception, dans le Condroz oriental, le développement de la canopée, la prolifération de la frondaison. On ne peut dater avec précision toutes les cartes-vues anciennes, mais elles ne peuvent guère dater que de l’extrême fin du XIXe siècle ou du premier quart du XXe. Les photos de Vincent de Waleffe datent de 2015 à 2017.
Figure 34. Paysage de la Belle Roche, à Comblain-au-Pont (actuellement à Sprimont), sur une carte-vue des environs de 1900 et sur une photo prise par Vincent de Waleffe en 2017.
Figure 35. Les « Tartines » de Comblain-au-Pont vers 1900 et photographiées par Vincent de Waleffe en 2017.
Figure 36. Les Roches grises de Comblain-au-Pont vers 1900, d’après une carte-vue, et en 2017, par Vincent de Waleffe.
Figure 37. Esneux. La gare et le paysage jusqu’au château du Fy vers 1900 et photographiés par Vincent de Waleffe en 2017.
65Les photos ne représentent certes pas toute la forêt wallonne. Loin de là. Nous nous sommes cantonnés aux communes d’Esneux, de Sprimont et de Comblain-au-Pont. Mais les nombreuses études publiées en Belgique sur l’évolution récente de la forêt wallonne concordent à montrer un accroissement (au moins temporaire) de la surface boisée aussi bien que du volume de bois (Rondeux et al., 2005; Laurent & Lecomte, 2006 ; Laurent et al., 2009 ; Heyninck & Jonard, 2009 ; Claessens et al., 2017). Le volume sur pied par ha a considérablement crû. Latte (2010) a montré d’autre part que plus de la moitié du stock forestier de carbone de la Wallonie se trouve dans le sol (voir aussi Latte et al., 2013).
66Comme, dans le cadre de notre travail, le maximum de teneur en CO2 dans les grottes est postérieur d’un mois ou deux à celui du sol, on peut penser que l’augmentation actuelle des concentrations du CO2 des cavités n’est pas sans rapport avec celle du gaz carbonique du sol. Cette conclusion, que nous avions présentée en 2014, est approuvée par Sherwood et Idso (2014).
67Nous ne pouvons déterminer quelle est la part du réchauffement climatique et celle de la gestion forestière dans l’enrichissement en carbone des sols forestiers. Cela est en dehors de notre propos. Mais la corrélation est là. D’autre part, bien des grottes ou des parties de grottes sont sous-jacentes à des sols exploités en culture ou en herbage. Là encore, sans savoir la part du changement climatique et celle du traitement des sols, nous devons constater l’augmentation.
F. Et ailleurs, en dehors de la Wallonie ?
68En dehors de la Wallonie, nous n’avons connaissance d’aucune étude portant sur l’évolution du CO2 souterrain depuis plusieurs décennies. Cependant, à l’échelle européenne, Chmielewski et Rötzer (2001) concluent de leur travail portant sur beaucoup de pays d’Europe que le réchauffement printanier a provoqué une avance de huit jours dans la feuillaison des feuillus. Ceci est confirmé par une observation de Jacques Hébert, qui nous fait savoir que le nombre annuel d’heures favorables à la photosynthèse augmente plus vite que la température moyenne, avec pour conséquence une production accrue de CO2 dans le sol (communication verbale, novembre 2019).
69Débordant de l’échelle de la Wallonie, il a été établi que la zone non saturée des aquifères est dans le monde un énorme réservoir de CO2. Une montée du niveau marin chasserait ce gaz vers l’atmosphère (Baldini et al., 2018). Les sols peuvent donc être d’importants puits ou sources de carbone en réponse aux changements de température (Trumbore et al., 1996). La même équipe de Suzan Trumbore a élargi ses conclusions en établissant que la matière organique du sol contient trois fois plus de carbone que l’atmosphère, et trois fois plus de carbone que la végétation terrestre (Schmidt et al., 2011).
70Si cela se confirme, la rétroaction positive entre la hausse de la température et celle du dioxyde de carbone que nous relevons depuis 2009 dans quelques grottes de Wallonie pourrait prendre de l’importance à l’échelle du globe.
Conclusions
71La teneur en dioxyde de carbone de l’air des grottes étudiées en Wallonie augmente avec le temps depuis 1966 au moins (Figure 38). Cette hausse est très variable, ce qui est normal puisque les grottes sont des milieux confinés et présentant des situations très diverses : nombre d’entrées, tube à vent éventuel, altitude des entrées par rapport aux salles souterraines, affectation du sol au-dessus de la cavité… Raich et Schlesinger (1992) avaient déjà écrit que la respiration des sols est corrélée positivement à la température et que l’accroissement de la respiration des sols fournit une rétroaction positive à l’effet de serre. C’est aussi ce que nous avions considéré en 2009 à l’échelle des grottes de Wallonie que nous avions étudiées (Godissart & Ek, 2009). Nos observations concordent avec le fait qu’une hausse de température provoque une augmentation de la respiration, et donc du CO2, et qu’une hausse de la teneur du CO2 provoque par effet de serre un réchauffement (Chen et al., 2014). Nous nous trouvons devant un phénomène de rétroaction positive que nous avons déjà décrit (Ek & Godissart, 2009).
Figure 38. Évolution de la teneur en CO2 estivale de l’air de quelques grottes de Belgique entre 1966 et 2019. G. de CAP = grotte de Comblain-au-Pont. Trou Joney à Comblain-au-Pont. Grotte Merveilleuse à Dinant. Grotte de Fontaine de Rivîre à Hamoir. Grotte Sainte-Anne à Tilff. Grotte de Remouchamps. Grotte de Floreffe. Grotte de Brialmont à Tilff. La première donnée pour la grotte de Comblain est issue d’un calcul de la pCO2 équilibrante de l’eau du Petit Lac en 1963, et non d’une analyse d’air. Les mesures à la grotte de la Fontaine de Rivîre ont été prises en diverses saisons (en fonction des possibilités d’un parcours difficile). Toutes les autres données proviennent d’analyses d’air estivales (juillet, août, septembre).
72L’importance du contenu des sols en carbone d’une part et en dioxyde de carbone d’autre part commence à être de plus en plus généralement reconnue (Trumbore et al., 1996 ; Schmidt et al., 2011 ; Baldini et al., 2018). Si cela se confirme, la rétroaction positive entre la hausse de la température et celle du dioxyde de carbone que nous relevons depuis 2009 dans quelques grottes de Wallonie pourrait prendre de l’importance à l’échelle du globe.
Remerciements
73Les auteurs sont très reconnaissants au SPW du subside qui, en 2012, leur a permis d’acquérir deux enregistreurs performants et ainsi d’amplifier leur recherche. Ils expriment aussi leur très vive gratitude
74- à la Commune de Comblain-au-Pont qui a toujours fermement soutenu leur travail,
75- à l’Administration du Développement local de la même commune, appui efficace et indéfectible,
76- à l’ASBL « Les Découvertes de Comblain », dont le Directeur, les animateurs et tout le personnel ont réellement participé à la gestion et au travail de terrain de la recherche,
77- aux directeurs, aux responsables ou aux propriétaires de toutes les grottes étudiées,
78- à MM. Vincent Brahy, Patrick Engels et Dominique Perrin, qui nous ont toujours aidés, et avec beaucoup de compétence, dans nos démarches administratives.
79Dans notre recherche, nous avons aussi été conseillés et nous avons eu de très fructueuses discussions, particulièrement avec MM. René Cahay, Jean-Michel Darcis, Jacques Hébert, Benoît Losson et Luc Willems. Ces personnes ont été la source d’importantes améliorations à notre texte.
80Nous devons la traduction du résumé à M. Peter Blackie, un appui logistique efficace et généreux à M. Jean-Marie Dieu, des photographies très parlantes à M. Vincent Waleffe, une très précieuse aide en informatique et en infographie à M. Philippe Labarbe et Mme Meriem Lina Moulana. Et nous avons été aidés sur le terrain à diverses reprises par les membres de l’ASBL « Les Découvertes de Comblain », par MM. Michel Philippe et Olivier Stassart, et par des étudiants stagiaires : Mmes Hélène Bartholomé et Noëlle Azaouzi, et M. Quentin Pletsers.
81Nous remercions Geologica Belgica et Ecokarst de l’autorisation de reproduire des figures publiées antérieurement dans leurs publications.
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