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La pêche artisanale par canaux dans la plaine du Logone : une rentabilité source de conflits entre pêcheurs
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La pêche artisanale demeure le type de pêche le plus pratiqué dans les pays en développement d’Afrique à l’instar du Cameroun. Elle est l’activité phare pour bon nombre d’individus dans plusieurs régions du pays comme c’est le cas dans la plaine du Logone dans la région de l’Extrême-Nord. Ici les pêcheurs utilisent différentes techniques de pêche classique à l’aide de filets, nasses, hameçons ou épervier. Mais une autre catégorie de pêcheurs, en plus de ces techniques classiques, ont mis sur pied une technique de pêche à l’aide de canaux creusés le long des cours d’eau, pour maximiser leur production. Ceci a contribué à créer un rapport de force différent dans la quête des ressources halieutiques, au regard de la très forte productivité des canaux par rapport aux autres techniques de pêche. C’est donc cette rentabilité des canaux qui attise les convoitises et par là, des conflits d’intérêts entre les différentes catégories de pêcheurs qui ne disposent pas tous des mêmes moyens pour se procurer un canal. Les analyses spatiales et analyses des données d’entretien avec ces acteurs, en rapport avec la caractérisation des systèmes de pêche, ont permis de comprendre que les canaux de pêche prolifèrent dans la plaine parce qu’ils sont rentables et que c’est cette rentabilité qui est à la base des conflits. Cela aboutit à relever des concordances spatiales existantes entre les zones à forte densité de canaux, celles à forte rentabilité et celles à fréquence élevée de conflits.
Abstract
Artisanal fishery remains the most popular type of fishing in African developing countries like Cameroon. It is the flagship activity for many individuals in several regions of the country, as is the case in the Logone plain in the Far North region. Here fishers use different conventional fishing techniques using nets, traps, hooks or cast net. But another category of fishers, in addition to these traditional techniques, has set up a technique of fishing using canals dug along the rivers, to maximize their production. However, this has helped to create a different balance of power in the quest for fish resources, given the very high productivity of the canals compared to other fishing techniques. It is therefore this profitability of the canals that stirs up lusts and thereby conflicts of interest between the different categories of fishers who do not all have the same means to obtain a canal. Spatial analyzes and analyzes of maintenance data with these actors, in connection with the characterization of fishery systems, have made it possible to understand that fishing canals proliferate in the plain because they are profitable and that it is this profitability which is the basis of conflicts. This resulted in the identification of spatial concordances existing between the zones with high canal density, those with high profitability and those with high frequency of conflicts.
Table des matières
1
INTRODUCTION
2Les activités de pêche sont d’une grande importance pour la population de la planète dans un contexte de lutte contre la pauvreté et la faim, d’autant plus que 800 millions de personnes dans le monde continuent à souffrir de la faim. Or, la population totale de la planète devrait atteindre 9,6 milliards d’ici 2050 (FAO, 2015), ce qui suppose plus de besoins pour nourrir cette population nombreuse tout en préservant les ressources qui existent. Les pêcheries possèdent en effet une grande valeur pour l’économie des nations (Bamou, 1997). Tout en fournissant des denrées alimentaires, la production de la pêche de capture et de l’aquaculture contribue au produit intérieur brut (PIB) et procure des moyens d’existence aux pêcheurs et aux personnes qui traitent le poisson. En outre, elle est une source de devises forte (exportations de produits de la pêche) et augmente les recettes publiques par le biais des accords de pêche et des taxes (FAO, 2015).
3Au Cameroun, l’activité de pêche est organisée autour de quatre types : la pêche artisanale maritime, la pêche artisanale continentale, la pêche industrielle et la pisciculture. Malgré des atouts hydrographiques et biologiques importants, l’économie de la pêche ne semble pas être particulièrement développée, car dominée par le secteur informel, d’où la prédominance de la pêche vivrière de façon générale. La production halieutique nationale n’est que de 220 000 tonnes, avec moins de 1 000 tonnes par an provenant de l’aquaculture. Celle-ci reste faible pour une demande annuelle estimée à plus de 400 000 tonnes (MINEPIA, 2016). Le pays pourtant dispose d’une façade maritime d’environ 360 km, d'une superficie du plateau continental de 13 000 km2 et d’environ 40 000 km2 de surface d’eau continentale comprenant 55 % de plaines inondées, 30 % de lacs et 15 % de rivières (Bamou, 1997). Cette pêche artisanale au Cameroun se concentre surtout dans les grands plans d’eau formés artificiellement, tels que les barrages de Bamendjin dans la région de l’Ouest, de Mbakaou et Mape dans la région de l’Adamaoua, de Lagdo dans la région du Nord, ainsi que de Maga dans la région de l’Extrême-Nord. De même, cette pêche artisanale se concentre également le long de certains fleuves tels que le Nyong et la Sanaga dans la région du Centre, ou encore le fleuve Logone et sa plaine d’inondation dans la région de l’Extrême-Nord.
4Les habitants de la plaine du Logone, précisément, du fait des conditions du milieu liées à l’inondation périodique et aux ressources halieutiques qui l’accompagnent, possèdent de facto une tradition de pêcheurs (Moritz et al., 2013), pour lesquels la pratique est malgré tout restée dans le registre de la pêche artisanale et d’autoconsommation durant le cycle annuel du régime hydrologique et des campagnes de pêche qui s’y prêtent (Laborde et al., 2019). Dans ce registre, différentes techniques de pêche ont été développées au fil des années par les pêcheurs de la plaine du Logone, s’agissant aussi bien de la pêche individuelle, collective que communautaire. Dans la plaine du Logone en effet, on distingue une variété d’engins utilisés pour la pêche, notamment les filets maillants, les nasses, les barrages, les herbes, les sennes de plage, les éperviers, les hameçons. Cependant, au-devant de ces différentes techniques classiques, se trouve la technique des canaux de pêche, qui est en nette croissance au fil des années, au point où ils sont estimés à plus de 3 000 canaux (ACEEN, 2007).
5Cette technique des canaux de pêche a vu le jour dans cette partie du pays il y a de cela plus de 375 ans environs (ACEEN, 2007). Son essor est parti d’une invention du peuple Kotoko, premiers habitants de cette plaine, et par la suite, les Mousgoums se sont également approprié cette technique de pêche (Aboukar et al., 1998). Toutefois, si au départ elle fût essentiellement une pratique collective et communautaire, au fil des années la technique des canaux est devenue familiale, puis individuelle (Atangana, 2013). Les mutations opérées dans l’usage de cette technique de pêche avec canaux semblent témoigner de son importance aux yeux des pêcheurs, d’où une évolution continue dans l’espace et dans le temps au sein de la zone étudiée (Figure 1).
6S’agissant de cette zone d’étude précisément, elle correspond ici à la partie de la plaine du Logone où l’on pratique à la fois la technique des canaux et les autres techniques de pêche. Cette zone qui appartient à la région de l’Extrême-Nord Cameroun, couvre une partie du département du Logone et Chari au niveau de l’arrondissement de Zina avec ses cantons de Zina, Lahay, Mazera et Ngoudéni, ainsi qu’une partie du département du Mayo-Danay au niveau de l’arrondissement de Maga avec son canton de Pouss (Figure 1).
Figure 1. Localisation de la plaine du Logone. Source de données : Relevés GPS, Images Google Earth 2019 Réalisation : Bruno K. Labara, 2020
7Le canal comme technique de pêche correspond à une tranchée à ciel ouvert, de forme curviligne, de profondeur et de longueur variables, creusée manuellement par des hommes, et qui relie une mare ou une partie de la plaine à un cours d’eau (Belal, 2003). Ils ont été conçus et aménagés avec pour objectif de départ, une gestion communautaire au bénéfice de l’ensemble de la population. À la suite des années de grandes sécheresses qui ont sévi dans l’ensemble de la région sahélienne (Liénou, 2011), les familles ont commencé à construire leurs propres canaux afin de maximiser leurs gains. Par la suite, les pêcheurs se sont lancés peu à peu dans le creusage de canaux à titre individuel (ACEEN, 2007), d’où la tendance à une prolifération rapide dans cette zone.
8Par ailleurs, la volonté de recherche du rendement optimal et du prestige social a poussé les pêcheurs à privilégier les canaux de pêche aux autres techniques. Son expansion s’accompagne d’innovations dans les modes de capture, de l’implication de toujours plus de pêcheurs, ainsi que de l’avancée du front halieutique dans l’espace rural (Khari, 2014). C’est pour cette raison que la pêche qui était restée jusque-là une pratique essentiellement ponctuelle dans la plaine, est devenue avec l’émergence des canaux, une pratique extensive et étendue dans l’espace. Elle reflète une dynamique spatiale associée à une dynamique temporelle, qui pousse à s’interroger sur les différents facteurs pouvant expliquer l’ascension rapide de cette technique, ainsi que l’ampleur véritable de sa productivité et de sa rentabilité, au détriment des autres techniques de pêche classique.
9Toutefois, les préférences accordées par les pêcheurs de la plaine du Logone aux canaux de pêche semblent instaurer un climat de compétition spatiale et de tension sociale entre les pêcheurs propriétaires de canaux et les pêcheurs non propriétaires (Khari, 2011). Ces derniers mettent en cause la pression exercée par les canaux sur les ressources, qui s’accapareraient l’essentiel des captures (Loth, 2004), laissant une part minime pour les autres engins de pêche. Cette situation incite une recherche pour une meilleure connaissance des écarts de production et de revenus pouvant exister entre la technique de pêche avec canaux et les techniques classiques, d’où la question de savoir : comment les canaux de pêche parviendraient-ils à créer un profond déséquilibre dans le partage et la dynamique des stocks halieutiques ? En outre, quels effets cette exploitation porterait-elle sur la durabilité, la productivité et la rentabilité de l’économie de pêche dans la plaine du Logone ?
10Cette réflexion questionne également les logiques qui peuvent entourer l’expansion d’une technique pourtant susceptible de favoriser une pression sur les ressources disponibles, tout en faisant émerger des tensions communautaires et des rivalités entre producteurs. Quelles conséquences ces conflits peuvent-ils avoir pour le maintien de la cohésion sociale et la cohabitation pacifique entre les producteurs ? Comment ces derniers parviennent-ils à régler leurs différends et quelle perception ont-ils de l’évolution des conflits face à la multiplication des canaux de pêche ? Les modes de gestion des conflits adoptés par les protagonistes s’avèrent-ils efficaces pour le renforcement de la cohésion sociale et la gestion intégrée des ressources communes ?
11Au regard de ces questionnements, l’objectif de cette contribution est de tenter d’apporter des éléments de compréhension du lien qui existe entre la rentabilité halieutique et les conflits d’intérêts entre pêcheurs. Plus précisément l’étude cherche à montrer comment la rentabilité élevée de la technique de pêche avec canaux entraine un partage inéquitable de la ressource halieutique, attise des convoitises et est source de conflits entre pêcheurs dans la plaine du Logone. Pour y parvenir, l’étude se propose tout d’abord de caractériser le fonctionnement de ces différentes techniques de pêche, par la suite d’évaluer et comparer leurs niveaux de production et de rentabilité, afin de déterminer, pour finir, les implications conflictuelles qui les accompagnent.
I. MÉTHODOLOGIE
12La présente contribution a obéi à une méthode de recherche à la fois empirique et comparative, prenant en compte la documentation existante, les enquêtes auprès des acteurs, mais aussi des relevés sur le terrain.
13En effet, les données annuelles de l’Institut National de la Statistique sur les secteurs d’activités de pêche au Cameroun et dans la région de l’Extrême-Nord durant les années 2014 à 2017 (INS, 2017) ont été exploitées pour la description des systèmes de pêche dans la zone étudiée. En outre, des données du projet MORSL (Modélisation des systèmes couplés écologiques et humains dans la Plaine du Logone), mis en œuvre par le Laboratoire d’Anthropologie de l’Ohio State University concernant la caractérisation des canaux de pêche dans la plaine du Logone (Moritz, 2016 ; Laborde, 2016), ont également été exploitées afin d’effectuer à l’aide de systèmes d’informations géographiques (programme QGIS v.3.8.3), les analyses spatiales de la diffusion des canaux dans la plaine en rapport avec leur production, leur rentabilité, ainsi que la fréquence des conflits entre pêcheurs.
14En plus, l’inventaire de 1 175 canaux de pêche a été fait sur le terrain par les auteurs, sur chacune des rives du fleuve Logone, et des rivières Logomatya, Loromé, Vrick et Petit Goroma, en relevant à chaque fois les coordonnées GPS sur l’ouverture du canal sur la rivière et sa fermeture sur une dépression ou dans la plaine étendue. Par la même occasion, les mesures de longueur, largeur et profondeur de chaque canal ont été effectuées au niveau de chaque point géoréférencé. Les canaux étant recensés, géoréférencés et mesurés, un échantillonnage aléatoire systématique a été opéré pour obtenir un échantillon de 208 canaux. Les canaux étant classés par numéros d’ordre de 1 à 1 175, les individus étaient tirés de la liste à chaque intervalle prédéterminé à pas de cinq. La représentation variait ainsi d’un canton à un autre, compte tenu du nombre de canaux qui variait lui-aussi d’un site d’étude à un autre. Ainsi, pour chaque canal sélectionné, correspondait un propriétaire interrogé, soit au total 208 propriétaires de canaux enquêtés sous forme semi-directive. En outre, dans la perspective d’une approche comparative des techniques de pêche, la même procédure a été faite pour le choix des participants correspondant aux pêcheurs non propriétaires de canaux. À cet effet, pour chaque propriétaire de canal tiré dans une localité, un non-propriétaire lui était associé, comme cela est indiqué dans le tableau ci-dessous.
15Les entretiens ont été effectués avec tous les 416 acteurs et visaient à obtenir des informations portant sur les pratiques et efforts de pêche pour analyser le fonctionnement de chaque système de pêche, sur les coûts et revenus liés aux campagnes de pêche dans le but d’analyser et comparer les niveaux de productivité et de rentabilité de chaque technique de pêche, tout comme sur les perceptions des conflits entre pêcheurs pour en connaitre la dynamique. C’est ainsi que ces informations ont été collectées suivant différentes rubriques comme relevées dans le tableau qui suit (Tableau 1).
Cantons |
Effectifs des canaux |
Pêcheurs avec canaux |
Pêcheurs sans canaux |
Total échantillon |
Proportion de l’échantillon (en %) |
Lahay |
226 |
40 |
40 |
80 |
19,2 |
Mazera |
282 |
50 |
50 |
100 |
24 |
Zina |
401 |
71 |
71 |
142 |
34,1 |
Ngoudéni |
249 |
44 |
44 |
88 |
21,2 |
Pouss |
17 |
3 |
3 |
6 |
1,5 |
Total |
1 175 |
208 |
208 |
416 |
100 |
Tableau 1. Répartition des sites, effectifs et échantillons d’enquête
Rubriques |
Répondants |
Informations recueillies |
Détails de l’activité de pêche |
Propriétaires de canaux |
- Mode d’acquisition du canal (création, achat ou héritage, location ou don) et coûts investis dans chaque type d’acquisition ; - Types de travaux effectués pour l’entretien et la maintenance du canal ainsi que leurs coûts (curage, allongement, approfondissement ou élargissement) ; - Gestion fiscale des canaux (types de taxes, montants et fréquences de paiement des taxes) ; - Déroulement de la pêche avec canaux (personnes impliquées dans la pêche, horaires et fréquences de travail). |
Détails de l’activité de pêche |
Non propriétaires de canaux |
- Engins de pêche utilisés (filets, nasses, épervier, seines de plage, barrages ou hameçons) ; - Coûts investis dans l’acquisition de chaque engin de pêche ; - Déroulement de l’activité de pêche (personnes impliquées dans la pêche, horaires et fréquences de travail). |
Détails sur la production et la rentabilité |
Propriétaires et non propriétaires de canaux |
- Quantités de poisson récoltées et devenir du poisson ; - Revenus des ventes de poisson ; - Bénéfices tirés de l’exploitation. |
Conflits entre pêcheurs et perceptions sur leur évolution |
Propriétaires et non propriétaires de canaux |
- Connaissance ou non de l’existence de conflits ; - Cas de conflits connus ; - Formes de conflits observés et acteurs engagés ; - Implication personnelle dans un conflit ; - Tendances d’évolution sur une décennie ; - Modes de résolution utilisés et issues. |
Tableau 2. Grille de présentation des répondants et informations recueillies lors des enquêtes
16Les 416 répondants ont été favorables à l’ensemble des questions posées, et les informations collectées ont ensuite été traitées et analysées à l’aide de programmes statistiques (SPSS, XLSTAT). S’agissant du calcul de la production de chaque pêcheur, cela a été fait en additionnant les quantités de ventes de poissons à l’état sec, fumé et frais. En ce qui concerne l’évaluation de la rentabilité économique, elle s’est faite à travers le calcul du taux de rentabilité qui correspond au rapport entre la somme des recettes et la somme des dépenses (Taux de rentabilité (%) = Somme des recettes / Somme des dépenses). En outre ont également été utilisés les indicateurs d’Excédent Brut d’Exploitation (EBE) et d’Efficacité Economique (EE). L’Excédent Brut d’Exploitation correspond à la valeur produite au cours d’un cycle de production après déduction des approvisionnements et charges effectuées (EBE = Produit – Total des charges (hors amortissements). La mesure de la rentabilité basée sur l’EBE s’est faite à travers l’Efficacité Economique (EE = Excédent brute d’exploitation / Total Produit), permettant de déterminer si l’efficacité productive est mauvaise (inférieure à 20 %), insuffisante (comprise entre 20 % et 30 %) ou excellente (supérieure à 30 %) selon la grille d’ACEFA (2009).
17À l’issue de ces traitements et analyses de données, des résultats ont été obtenus en rapport avec le fonctionnement des différents systèmes de pêche, leurs niveaux de productivité et de rentabilité économique, ainsi que la dynamique des conflits qui opposent les producteurs, à savoir les pêcheurs qui possèdent des canaux de pêche et leurs homologues n’en possédant pas, mais utilisant simultanément les autres techniques.
II. LA PLAINE DU LOGONE : UN FOISONNEMENT DE PLUSIEURS SYSTÈMES DE PÊCHE
18La plaine du Logone dans la région de l’Extrême-Nord Cameroun représente une unité géographique dont la spécificité du point de vue écosystémique favorise la pratique intense des activités de pêche. Il s’agit en effet d’une zone inondable appartenant au patrimoine mondial des zones humides, qui est inondée durant 3 à 4 mois de l’année suivant une lame d’eau de 0,7 à 1,2 m, du fait respectivement des apports des eaux de pluies, de ceux des cours d’eau en provenance des Monts-Mandaras, ainsi que des débordements du fleuve Logone (Sighomnou, 2003). Ce niveau d’eau et la durée des inondations représentent un atout pour le développement des ressources halieutiques, et corrélativement pour la pratique de différents systèmes et techniques de pêche dans cette zone.
19La plaine du Logone, grâce à son inondation périodique, offre un important potentiel pour les activités de pêche. La pêche s’est développée en fonction de la dynamique des ressources, et s’est adaptée aux différentes contraintes survenues au fil des années (Scholte, 2005). Ce fut le cas par exemple avec la construction du barrage de Maga à des fins hydro-agricoles en 1979, qui a fortement influencé le déroulement des activités de pêche, au même titre que les opérations de réinondation de la plaine du Logone (Kouokam et Ngantou, 1999 ; Niasse et al., 2004). Ces actions avaient été initiées par le gouvernement camerounais durant la décennie 1990 dans l’objectif de pallier les impacts de la péjoration du régime des précipitations observée dans toute la sous-région de l’Afrique tropicale à partir de la décennie 1970 (Sighomnou et al., 2002). Cette vague de sécheresse avait fait subir une réduction de l’ordre de 60 % aux surfaces inondées (Drijver et Van Wetten, 1992).
20En fonction des engins de pêche utilisés dans la plaine du Logone, on peut distinguer dès lors, un système de pêche sans canaux et un système de pêche avec canaux.
A. La pêche sans canaux ou pêche artisanale classique
21Dans le système de pêche sans canaux, les pêcheurs utilisent différents engins semi-modernes. Il s’agit des filets maillants, nasses dites maliennes, épervier, barrages, senne de plage, hameçons, vidange des mares avec pompe, ou herbes. Ce système de pêche est pratiqué par des pêcheurs individuels et aussi des communautés de pêcheurs (Photo 1). Les pêcheurs individuels utilisent les filets, les éperviers, les hameçons, les nasses, tandis que les pêcheurs communautaires utilisent les sennes de plage, les herbes, les barrages, les pompes à vidange de mares. Ces pêches communautaires sont beaucoup plus pratiquées dans les localités telles que Lahai, Sifna, Guidiba et Kazéré, qui disposent de plusieurs mares communautaires et où les pêcheurs s’organisent en comités pour la pratique des pêches collectives à l’exemple de la pêche communautaire du mois de mars de chaque année.
Photo 1. Images de pêcheurs utilisant l’épervier (A) et les nasses (B). A (Kolaouna, Décembre 2015) B (Kolaouna, Avril 2015)
22La pêche sans canaux se déroule donc dans des localités où il y’a de l’eau en permanence, c’est-à-dire aux abords du fleuve Logone, des rivières Loromé et Logomatya, ainsi que des mares.
23Les produits de la pêche sont surtout vendus à l’état séché et fumé, et beaucoup moins à l’état frais, compte tenu des difficultés liées à la conservation. Les marchés périodiques locaux de la plaine sont ravitaillés, mais l’essentiel de la production est généralement acheminée vers les grands marchés de la zone, notamment ceux de Pouss, Maga, Guirvidig, et surtout Maroua la capitale régionale de l’Extrême-Nord Cameroun. Une partie est également vendue au Nigéria.
B. La pêche avec canaux, innovation communautaire en expansion individuelle
24La technique de pêche avec canaux continue de s’étendre dans la plaine du Logone. Cependant c’est surtout ces trois dernières décennies, depuis la décennie 1990 après les opérations de réinondation de la plaine, qu’une croissance fulgurante de cette technique s’est le plus manifestée. Posséder un ou plusieurs canaux est alors devenu pour un pêcheur plus qu’une simple technique, il représente toute une entreprise. C’est aussi le signe d’un prestige auprès des congénères.
25Les canaux sont le fruit soit d’un héritage, d’un don, d’une création, ou d’un achat. Les canaux de pêche sont construits le long des rives du fleuve Logone, ainsi que le long des rives des rivières Logomatya, Loromé, Petit Goroma et Vrick. Ces canaux mesurent une longueur allant de centaines de mètres à plus de 8 km pour certains, pour une largeur moyenne de 1,5 m, ainsi qu’une profondeur moyenne de 1 à 2 m. Les travaux de terrain ont permis de dénombrer, de localiser et de caractériser un nombre de 1 175 canaux répartis le long de ces différents cours d’eau.
26Les canaux de pêche ont un fonctionnement précis. Pendant la saison sèche durant les mois de janvier et février où les niveaux de températures sont les plus basses au cours de cette saison (23-24°), avec des sols restés humides après le retrait des eaux d’inondation ; ou alors pendant le début de la saison des pluies durant les mois de juin et juillet, les nouveaux canaux sont creusés et les anciens sont entretenus soit par leurs propriétaires, soit par une main d’œuvre familiale, ou soit par une main d’œuvre recrutée et payée à raison de 7 000 à 10 000 FCFA pour chaque 100 m de travail (Photo 2). Ces entretiens consistent en différentes opérations de curage, d’allongement, d’élargissement, ou encore d’approfondissement.
Photo 2. Vues partielles d’un canal de pêche en saison sèche (A) et en saison inondée (B). A (Kolaouna, avril 2015) B (Novembre Kolaouna, 2015)
27La plupart des canaux relient le fleuve Logone et les rivières aux mares dans la plaine, dans le but de conduire les poissons jusqu’à ces dépressions pour favoriser une reproduction massive durant la période d’inondation. Lorsque survient le moment de décrue du fleuve Logone et des rivières, ces mêmes canaux drainent à nouveau les eaux, mais cette fois-ci dans le sens inverse, allant des dépressions vers les cours d’eau. Des pièges à filet sont alors installés au niveau de l’entrée du canal sur le cours d’eau et servent à emprisonner les poissons qui se retirent au même moment que les eaux depuis les dépressions et la plaine inondée, en direction du fleuve Logone et des rivières, suivant la force du courant imposée par les canaux.
28La pêche dans le canal se pratique alors essentiellement durant cette période de retrait des eaux, qui correspond à la période allant du mois de novembre à celui de décembre de chaque année. C’est lorsque la décrue s’amorce véritablement que les pêcheurs installent leurs pièges à l’embouchure du canal sur les cours d’eau. Pendant la période de 3 à 5 semaines en moyenne que dure la pêche dans les canaux, un important nombre de pêcheurs sont mobilisés. Autour du propriétaire du canal, on retrouve les membres de sa famille ou encore une main d’œuvre recrutée et rémunérée. Le filet constituant le piège est à chaque fois retiré lorsqu’il est rempli de poissons, ensuite vidé et remis en place. Pour les canaux les moins productifs, le filet est retiré une seule fois par jour, et ceci tous les matins. Or, pour les plus productifs, on peut aller à cinq retraits des filets par jour, ce qui offre ainsi une abondante production.
III. PRODUCTIVITÉ ET RENTABILITÉ DES CANAUX DE PÊCHE : DES ÉCARTS IMPORTANTS AVEC LES AUTRES TECHNIQUES
29Le canal de pêche représente une entreprise, au sein de laquelle le propriétaire, pour obtenir des bénéfices, doit opérer des investissements à la hauteur des attentes de la production.
A. Des investissements importants entrepris par les propriétaires de canaux
30L’exploitation d’un canal nécessite d’importants investissements à opérer par le pêcheur. Ces investissements se rapportent aux opérations de création, d’achat ou d’entretien du canal. Les coûts de ces investissements varient en fonction des caractéristiques du canal à l’instar de sa longueur, sa largeur et sa profondeur, et diffèrent considérablement d’avec les autres équipements de pêche (Tableau 3).
Catégories de pêcheurs |
Opérations |
Coûts d’acquisition |
Entretien |
Taxes |
Charges moyennes |
Ecarts catégories de pêcheurs |
||
Coût minimal |
Coût maximal |
Coût moyen |
||||||
Propriétaires de canaux |
Création du canal |
10 000 |
5 000 000 |
1 372 915 |
163 695 |
12 367 |
1 536 610 |
+ 1 491 610 |
Achat du canal |
100 000 |
10 000 000 |
3 385 385 |
163 695 |
12 367 |
3 561 447 |
+ 3 516 447 |
|
Héritage |
0 |
0 |
0 |
163 695 |
12 367 |
176 062 |
+ 131 062 |
|
Don |
0 |
0 |
0 |
163 695 |
12 367 |
176 062 |
+ 131 062 |
|
Non propriétaires de canaux |
Achats équipements de pêche |
10 000 |
95 000 |
45 000 |
- |
- |
45 000 |
- 1 491 610 - 3 516 447 - 131 062 |
Tableau 3. Différences des investissements moyens opérés par les propriétaires de canaux face aux autres pêcheurs (en FCFA)
31Le tableau 3 montre que l’investissement pour l’activité de pêche varie considérablement pour le système de pêche avec canaux par rapport au système sans canaux. En effet l’investissement du pêcheur propriétaire de canal fait plus de 34 fois celui du non propriétaire dans le cadre d’une opération de création du canal, 79 fois en cas d’achat du canal, et 4 fois en cas d’héritage ou de don du canal. Ces écarts dans l’investissement sont également le reflet d’écarts dans la productivité.
B. Une productivité élevée des canaux de pêche à la hauteur des investissements
32Les canaux de pêche, lorsqu’ils sont régulièrement entretenus, offrent des captures élevées de poissons.
33En effet, les enquêtes auprès des pêcheurs ont révélé que la plus petite récolte enregistrée pour un canal est de 1 200 kg par an, tandis que la plus grande récolte est de 105 400 kg en un an ; la moyenne des captures se situe autour de 6 011 kg. Cependant, chez les non-propriétaires de canaux, ces productions varient de 900 kg à 20 400 kg avec une valeur moyenne de 2 785 kg. On peut alors observer que les productions des propriétaires de canaux est supérieure à celle des non-propriétaires de canaux (Photo 3).
Photo 3. Différences entre les captures prises par un canal (A) et un épervier (B). A (Kolaouna, Décembre 2015) B (Kolaouna, Décembre 2015)
34Ces poissons capturés sont vendus à l’état frais, fumé, ou séché. Pour l’ensemble des pêcheurs propriétaires de canaux de pêche enquêtés, la somme des différents états de vente a permis de déterminer que le plus petit revenu annuel est de 10 000 FCFA et le revenu le plus élevé est de 40 500 000 FCFA. Le revenu moyen annuel se situe autour de 2 173 287 FCFA et le total annuel des revenus de tous ces 208 pêcheurs interrogés s’élève à 372 202 500 FCFA.
35Ces revenus chez les non-propriétaires sont compris entre 3 000 et 1 400 000 FCFA avec une moyenne de 272 502 FCFA. Or, ceux-ci utilisent conjointement plusieurs techniques de pêche classique. Ces techniques classiques possèdent elles aussi des niveaux de productivité qui varient d’une technique à une autre (Figure 2).
Figure 2. Fréquences d’utilisation et revenus moyens annuels des techniques de pêche avec et sans canaux
36La Figure 2 traduit le fait que la fréquence d’utilisation élevée d’une technique de pêche n’engendre pas automatiquement une meilleure rentabilité. On observe par exemple que les techniques de pêche avec barrages, sennes de plages et herbes sont les moins courantes, or, elles offrent des rendements bien meilleurs par rapport au reste des techniques classiques. Cependant il convient de signifier que ces trois techniques sont essentiellement utilisées lors de pêches communautaires, donc pas à titre individuel. Ce qui laisse entendre que les autres techniques de pêche individuelle à l’aide d’éperviers, nasses, hameçons et filets maillants sont les plus courantes mais pas nécessairement les plus productives, malgré leur fréquence élevée d’utilisation.
37Ces chiffres témoignent également du grand écart qui existe entre les revenus des différentes techniques de pêche classique et ceux des canaux de pêche, en montrant que les canaux sont plus productifs que toutes ces techniques classiques réunies. En d’autres termes, le pêcheur utilisant uniquement son canal de pêche a une productivité plus élevée que celui utilisant l’ensemble des techniques de pêche classique hors canal. Et d’après la Figure 2, on peut constater également que les revenus annuels moyens générés par un canal font près de 8 fois celui des autres techniques classiques réunies. Cette productivité met en lumière les taux de de rentabilité que peuvent atteindre les canaux de pêche dans la plaine du Logone.
C. Une forte rentabilité économique des canaux de pêche dans la plaine du Logone
38Les analyses des charges et produits des canaux de pêche ont permis d’évaluer leur rentabilité. Cette évaluation s’est appuyée sur les calculs de différents paramètres à savoir : les produits, les charges variables, les charges fixes, la marge brute, la marge nette, l’excédent brut d’exploitation (EBE), l’efficacité économique (EE), le ratio de productivité des charges variables (RPCV), le ratio de productivité des charges fixes (RPCF) et le ratio de productivité brute (RPB). Ces paramètres d’évaluation de la rentabilité sont représentés dans le tableau ci-dessous (Tableau 4).
Différentes grandeurs d'évaluation de la rentabilité |
Pêche avec canaux |
Pêche sans canaux |
Ecart |
Produit |
2 173 287 |
272 502 |
1 900 785 |
Charges variables |
129 514 |
44 825 |
84 689 |
Charges fixes |
60 570 |
17 930 |
42 640 |
Marge brute |
2 043 773 |
227 677 |
1 816 096 |
Marges nette |
2 112 717 |
254 529 |
1 858 188 |
Excédent Brut d'Exploitation (EBE) |
1 983 203 |
209 747 |
1 773 456 |
Efficacité économique (EE) |
91,3% |
76,9% |
14,4% |
Ratio de productivité des charges variables (RPCV) |
0,06 |
0,19 |
0,13 |
Ratio de productivité des charges fixes (RPCF) |
0,03 |
0,07 |
0,04 |
Ratio de productivité brute (RPB) |
0,09 |
0,23 |
0,14 |
Tableau 4. Valeurs moyennes d’évaluation de la rentabilité des canaux de pêche (en FCFA)
39Ce tableau 4 révèle des écarts importants des valeurs moyennes de rentabilité en faveur du système de pêche avec canaux, à travers notamment une différence de 1 816 096 FCFA pour la marge brute et de 1 858 188 FCFA pour la une marge nette, qui sont très élevées, au même titre que l’écart de l’EBE qui s’élève à 1 773 456 FCFA. Ces paramètres pour la pêche avec canaux correspondent alors respectivement à 8,9 fois la marge brute, 8,3 fois la marge nette et 9,5 fois l’EBE pour les paramètres du système de pêche sans canaux. L’écart de l’efficacité économique pour sa part, est tout aussi élevé à travers une différence de 14,4 % entre les deux systèmes de pêche, à la faveur du système de pêche avec canaux.
40Par ailleurs, les trois ratios de productivité calculés par unité de production font apparaître respectivement une consommation de 6 FCFA de charges variables par pêcheurs propriétaires de canaux de pêche contre 19 FCFA chez les non propriétaires dans la gestion de l’activité de pêche pour produire 100 F CFA de marge brute ; une mobilisation de charges fixes de 3 FCFA par pêcheurs propriétaires de canaux de pêche contre 7 FCFA chez les non propriétaires pour produire 100 FCFA de marge brute ; des dépenses globales de 9 FCFA chez les propriétaires de canaux contre 23 FCFA chez les non propriétaires pour produire 100 FCFA de marge brute.
41Ces chiffres qui mettent en évidence des valeurs très élevées de la rentabilité économique des canaux de pêche par rapport aux autres techniques de pêche réunies, traduisent aussi le fait que c’est cette rentabilité qui motiverait les pêcheurs de la plaine du Logone à continuer dans la logique d’acquisition des canaux à titre individuel dans le but de se faire de plus en plus de gains possibles. En outre, la productivité progresse au fil des années lorsque les canaux sont régulièrement entretenus avec des dimensions (longueur, largeur, profondeur) qui sont régulièrement agrandies.
42En effet, les pêcheurs enquêtés ont indiqué à 88,3 % avoir effectivement rentabilisé leur canal. Cependant, le temps mis pour cette rentabilisation varie d’un pêcheur à un autre. Ainsi, 58,7 % des pêcheurs ont affirmé avoir rentabilisé leur canal après 1 à 2 ans, tandis que 33 % ont eu besoin de 3 à 5 ans, et 7,5 % entre 6 et 10 ans ; pendant ce temps, pour 0,9 % de pêcheurs cette même rentabilisation a pris entre 11 et 15 ans. Cette variation du temps mis pour la rentabilisation du canal s’explique par le fait que les canaux sont également de dimensions variables. En outre, les pêcheurs ne possèdent pas les mêmes moyens d’investissement pour optimiser l’exploitation des canaux, or le niveau de productivité est étroitement lié au niveau d’investissement.
43Au regard de cette évaluation de la rentabilité des canaux, il faut constater que dans un système d’exploitation des ressources naturelles partagées, comme c’est le cas pour les systèmes d’exploitation halieutique dans la plaine du Logone, une réelle inégalité existe dans les possibilités qui s’offrent aux différentes catégories de pêcheurs. Les pêcheurs ne disposant pas de moyens et d’opportunités similaires d’acquisition et d’exploitation d’un canal, expriment des frustrations vis-à-vis de leurs semblables qui en possèdent et qui en tirent d’énormes profits. Cette frustration est à la source de tensions entre ces deux catégories de pêcheurs.
IV. LES CONFLITS LIÉS AUX CANAUX DE PÊCHE : CONSÉQUENCES DES ÉCARTS DES PROFITS GÉNÉRÉS PAR LES SYSTÈMES DE PÊCHE
44Les conflits naissent des divergences d’intérêts entre acteurs, lorsque les uns voient leurs intérêts menacés par ceux des autres. C’est le cas dans la plaine du Logone où on note des conflits entre pêcheurs, liés à la très forte utilisation de canaux de pêche.
A. Les écarts de rentabilité : principales raisons des conflits d’intérêts entre pêcheurs
45Avec l’émergence de la technique des canaux de pêche, les pêcheurs n’ont plus les mêmes gages d’accès aux ressources dans la plaine du Logone. En effet, les canaux accaparent l’essentiel des ressources halieutiques, car le régime hydrologique de la plaine oblige les poissons à suivre les courants imposés par ceux-ci pour rejoindre les cours d’eau ; ce qui est contraignant pour les utilisateurs des autres techniques de pêche, sevrés de captures.
46Or, on note une dynamique continue de la prolifération des canaux, traduisant l’idée selon laquelle : plus le nombre de canaux continuera d’augmenter, plus la production des pêcheurs non propriétaires de canaux continuera de baisser, d’où cette divergence d’intérêts et l’émergence de conflits qui s’en suivent.
B. Les conflits liés aux canaux de pêche : une implication de différents acteurs à différents niveaux
47Les enquêtes de terrain des 416 pêcheurs réunies ont permis de déterminer que 58,2 % d’entre eux ont été témoins des conflits liés aux canaux de pêche, contre 41,8 % qui ne l’ont pas été. Parmi les pêcheurs témoins, 81 % ont été eux-mêmes impliqués dans ces conflits, contre 19 % qui furent de simples observateurs.
48Les conflits liés aux canaux impliquent différentes formes d’opposition. On note à la fois l’opposition entre les pêcheurs propriétaires de canaux entre eux, l’opposition entre les pêcheurs héritiers de canaux entre-eux, ainsi que l’opposition entre pêcheurs propriétaires et pêcheurs non propriétaires de canaux. Ces différentes formes de conflits engagent les protagonistes à différentes échelles et montrent des tendances d’évolution également différentes, d’après les perceptions des différentes catégories de pêcheurs (Tableau 5).
Types d’opposition |
Engagement dans les conflits |
Tendances d’évolution des conflits |
|||
Pêcheurs engagés |
Pêcheurs pas engagés |
Augmentation |
Sans changement |
Diminution |
|
Perceptions des Propriétaires |
|||||
Entre héritiers de canaux |
47 |
53 |
68,8 |
8,8 |
22,4 |
Entre Propriétaires de canaux |
77,1 |
22,9 |
63,6 |
6 |
30,4 |
Entre Propriétaires et Non Propriétaires de canaux |
51 |
49 |
71,7 |
2,6 |
25,7 |
Perceptions des Non Propriétaires |
|||||
Entre héritiers de canaux |
53,5 |
46,5 |
73,5 |
7,3 |
19,2 |
Entre Propriétaires de canaux |
80,3 |
19,7 |
69,3 |
4 |
26,7 |
Entre Propriétaires et Non Propriétaires de canaux |
50,8 |
49,2 |
82,8 |
3,1 |
14,1 |
Perceptions des Propriétaires + Non Propriétaires |
|||||
Entre héritiers de canaux |
53 |
47 |
71 |
8,1 |
20,9 |
Entre Propriétaires de canaux |
79 |
21 |
66 |
5 |
29 |
Entre Propriétaires et Non Propriétaires de canaux |
51 |
49 |
77 |
3 |
20 |
Tableau 5. Perceptions des fréquences d’engagements et des tendances d’évolution des conflits liés aux canaux de pêche (en %)
49Le Tableau 5 révèle que les pêcheurs propriétaires de canaux sont fréquemment opposés les uns aux autres, plus que les héritiers de canaux entre eux et les non propriétaires opposés aux propriétaires. Cet avis est partagé à la fois par les propriétaires et les non propriétaires de canaux. Cela s’expliquerait par la prédominance de l’exploitation individuelle des canaux qui amène les propriétaires à préférer les exploiter tous seuls, en lieu et place d’un partage avec d’autres membres de la communauté ou même d’autres membres de la famille. Les propriétaires des canaux font également montre d’une forme de compétition entre eux pour avoir la meilleure productivité, signe d’un plus grand prestige et respect social.
50Tout compte fait, c’est l’opposition entre les pêcheurs propriétaires face aux pêcheurs non propriétaires qui connait une tendance d’évolution plus élevée que celle des autres. Cette tendance d’évolution est également perçue de la même manière par les deux catégories de pêcheurs, car, du fait de la prolifération des canaux, les écarts dans la production et les revenus sont de plus en plus prononcés au fil des années.
C. Prolifération des canaux, rentabilité et conflits d’intérêts : un lien inéluctable
51Les pêcheurs dans le but d’améliorer leurs revenus de pêche, optent pour la création de toujours plus de nouveaux canaux. L’abondance de ces canaux dans une zone donnée implique également la recrudescence de conflits dans cette zone (Figure 3).
Figure 3. Proportions des cas de conflits par cantons face à la diffusion spatiale des canaux de pêche. Source de données : Relevés GPS, Images Google Earth 2019. Réalisation : Bruno K. Labara, 2020
52Comme l’illustre la précédente carte, on enregistre 297 cas de conflits répartis le plus dans les sites de Zina avec 81 cas (soit 27 %) et Ngoudeni avec 73 (soit 24 %), par rapport aux sites de Mazéra avec 63 cas (soit 21 %), Lahay avec 55 cas (soit 20 %), et Pouss avec 25 cas (soit 8 %). En effet, sur les 1 175 canaux dénombrés dans la plaine, on rencontre les plus grands nombres à Zina (383) et à Ngoudéni (298), suivis de Mazéra (274) et Lahay (204) ; Pouss (16) arrivant bien loin derrière en dernière position. Ceci tend précisément à montrer que dans les sites où les canaux sont plus nombreux, les conflits sont également plus fréquents. Or, les niveaux de prolifération des canaux dans ces zones reflètent également les niveaux de productivité de ceux-ci. Les pêcheurs choisissent en effet, de créer des canaux en tenant compte des mouvements des poissons, par conséquent en fonction de l’abondance des ressources disponibles par endroits. Ceci laisse également envisager une corrélation spatiale entre la prolifération des canaux, leur rentabilité et les conflits qu’ils entrainent (Figure 4).
Figure 4. Corrélation spatiale entre la densité des canaux de pêche, leur rentabilité et les cas de conflits entre pêcheurs. Source de données : Relevés GPS, Images Google Earth 2019. Réalisation : Bruno K. Labara, 2020
53Comme l’indique la carte qui précède, les zones où prolifèrent les canaux sont également celles où ceux-ci possèdent les plus grands niveaux de productivité, ainsi que celles où on retrouve en même temps les plus grandes manifestations de conflits entre pêcheurs. Il s’agit respectivement des cantons de Zina et Ngoudéni d’abord, de Mazéra et Lahay ensuite, et de Pouss enfin.
54Par ailleurs, cette situation laisse percevoir une dynamique progressive des conflits liés aux canaux, d’autant plus que les résultats des analyses des perceptions des pêcheurs sur l’évolution des conflits dans les 10 prochaines années ont indiqué, d’après l’ensemble des 416 pêcheurs enquêtés, une tendance à l’augmentation selon 58,6 % de pêcheurs, une tendance à la stagnation selon 7,7 % de pêcheurs, contre une tendance à la diminution d’après 33,7 % de pêcheurs. On peut donc y percevoir le fait que la rentabilité serait le principal facteur explicatif à la fois de la prolifération des canaux de pêche et des conflits entre pêcheurs qui s’en suivent.
55Cependant, ces mêmes chiffres laissent entrevoir le fait que les tendances d’évolution des conflits ne sont pas toujours perçus avec une vision pessimiste ou alarmiste de la part des pêcheurs, au vu de l’écart relativement faible entre ceux qui pensent que les conflits évolueront de manière croissante, ceux qui pensent qu’ils évolueront de manière décroissante, et ceux pour qui ils resteront sans changement. Cette perspective est soutenue par les résultats des enquêtes sur les fréquences de résolution des conflits liés aux canaux de pêche qui indiquent précisément qu’à 79,6 % les cas de conflits ont été résolus, contre 20,4 % de cas de non résolution. Ceci témoigne du fait que même si les conflits sont fréquents autour des canaux, des stratégies pour leur gestion sont néanmoins entreprises, et ce, par plusieurs voies et à plusieurs niveaux (Figure 5).
56Ceci peut être illustré en relevant les fréquences des modes de résolution entrepris en cas de conflit (Figure 5).
Figure 5. Modes et fréquences de résolution des conflits liés aux canaux
57Il ressort de la Figure 5, en effet, que les pêcheurs utilisent plusieurs voies de recours pour la résolution de leurs litiges, notamment des voies communautaires, administratives, sécuritaires et judiciaires. Cependant, les modes de résolution communautaires des conflits sont celles qui sont privilégiées, avec les règlements à l’amiable entre les pêcheurs eux-mêmes, tout comme les négociations et arbitrages opérées devant les chefs traditionnels. La raison étant que ces derniers représentent des garants de la tradition et ont le pouvoir de gérer les différends qui opposent leurs sujets. En plus, dans cette partie septentrionale du Cameroun, les sociétés traditionnelles sont du type autoritaire et non acéphale ; donc, les chefs traditionnels sont des autorités à part entière et exercent pleinement leur pouvoir. Par contre, les voies de recours vers les services publics à l’instar des autorités administratives (sous-préfecture, commune), des forces de sécurité (police et gendarmerie) ou des tribunaux de justice, ne sont pas très sollicitées par les pêcheurs en conflits. Les raisons étant qu’on note, d’une part, des difficultés d’accès aux services publics qui sont très centralisés et pas toujours proches des populations, et, d’autre part, que les coûts de traitement des dossiers de conflits peuvent être très onéreux pour certains pêcheurs, notamment les non propriétaires de canaux qui ne disposent pas des mêmes niveaux de revenus que les propriétaires.
58En outre, cet aspect lié aux coûts financiers de gestion des conflits, démotivent également les pêcheurs les moins nantis, qui accusent leurs vis-à-vis fortunés d’user de leurs atouts financiers pour faire basculer les décisions en leur faveur. On comprend alors mieux pourquoi les approches amicales et communautaires de résolution sont privilégiées, afin d’optimiser la préservation des intérêts de chaque protagoniste.
CONCLUSION
59La pêche dans la plaine du Logone est l’activité principale qui fait vivre la majorité des ménages de cette partie du Cameroun. C’est ce que Diouf et Quensière (1993) ont également soutenu en affirmant que dans les régions sahéliennes, rares sont les personnes qui, résidant à proximité des fleuves et de leurs plaines d’inondation, ne pêchent jamais. Les travaux de Noray (2003) montrent qu’en fonction des caractéristiques des zones inondables, les plaines d’inondations voient se développer des activités humaines calées sur le rythme des crues. C’est pourquoi les habitants de la plaine du Logone ont développé au fil des décennies des techniques de pêche pour faire croitre toujours plus leurs revenus. Dans ces innovations la technique des canaux de pêche représente aujourd’hui la technique la plus rentable devant les usages classiques qui ont toujours existé, à l’exemple des filets maillants, nasses, hameçons, éperviers, vidange des mares, barrages, ou encore sennes de plage, qui se montraient déjà moins productifs pour leurs utilisateurs. C’est dans cette optique que cette étude se proposait de mesurer la productivité des canaux de pêche par rapport à celle des autres techniques afin d’en déterminer les écarts, pour ainsi montrer comment la rentabilité élevée de la technique de pêche par canaux attise les convoitises et est source de conflits entre pêcheurs dans la plaine du Logone. Il était donc question au départ de rechercher le lien entre la rentabilité halieutique et l’émergence de conflits d’intérêts entre pêcheurs.
60Les caractérisations des différents systèmes de pêche qui ont été menées ont révélé que la technique avec canaux est en nette progression, au point où on aboutit à une prolifération anarchique avec un nombre atteignant plus de 1 175 canaux dénombrés dans cette zone. Ce résultat est certes contraire au nombre de 3 000 canaux, indiqué par ACEEN (2007), mais est néanmoins conforté par la même thèse de la prolifération continue de ceux-ci. Cette prolifération trouve son explication dans le fait que chaque pêcheur souhaite acquérir son propre canal et l’exploiter à titre individuel et non plus de manière familiale, collective ou communautaire comme par le passé, pour ainsi ne pas avoir à partager ses produits et revenus de pêche. Cette observation a également été faite par Belal (2003) qui a souligné le fait que la gestion des canaux dans la plaine d’inondation du Logone est essentiellement individuelle, contrairement aux mares ou aux réserves où la gestion est communautaire. Cet auteur précise aussi que la gestion familiale des canaux de pêche concerne majoritairement les canaux acquis par héritage, et qui représentent donc de véritables biens familiaux. C’est pour cette raison que les pêcheurs non partisans de l’exploitation collective, sont prêts à investir d’importants moyens financiers, pouvant aller jusqu’à 1 536 610 FCFA ou 3 561 447 FCFA selon les cas, pour créer un nouveau canal ou acheter un canal déjà construit. Cela a été également soutenu par Liénou et al. (2011) qui ont révélé que les propriétaires de canaux de pêche dans la plaine d’inondation appartiennent à la classe de personnes nanties contrairement aux non propriétaires de canaux.
61Avec cette technique de canaux de pêche, la productivité s’avère donc très élevée au point où un pêcheur peut récolter à lui tout seul 6 011 kg de poissons en moyenne durant les 3 à 5 semaines que peut durer une campagne de pêche. Contrairement à lui, le pêcheur non propriétaire qui utilise simultanément toutes les techniques classiques se contentera, pour sa part, d’une récolte d’environ 2 785 kg en moyenne, et ce, durant toute l’année. Ce qui a révélé que le pêcheur qui utilise conjointement toutes les techniques classiques se voit devancé de loin par le pêcheur utilisant uniquement son canal de pêche durant sa courte période de pêche. Cet écart a permis de montrer que la technique du canal de pêche, de par les paramètres évalués, possède une excellente efficacité économique à hauteur de 91,3 % qui témoigne du caractère très élevé de sa rentabilité économique. ACEFA (2009) précise cela en relevant que pour une efficacité économique supérieure à 30 %, l’on note une excellente efficacité productive de l’unité économique. Et dans le même sens, Gaudin et al. (2011) soulignent que l’efficacité économique doit être supérieure à 33 % pour être satisfaisante.
62Eu égard à cette exploitation inégale des ressources par les catégories de pêcheurs propriétaires et non propriétaires de canaux, surviennent des divergences d’intérêts qui font émerger des conflits. Ces conflits n’opposent pas seulement les propriétaires aux non propriétaires, mais oppose également les propriétaires de différents canaux entre eux et les héritiers d’un même canal entre eux. Ces conflits sont plus fréquents dans les zones où les canaux sont plus denses et également plus productifs comme c’est le cas respectivement dans les sites étudiés de Zina et Ngoudéni en premier, de Mazéra et Lahay en deuxième, et de Pouss en dernier. Malgré cela, des stratégies de résolutions desdits conflits sont entreprises pour chaque cas avéré. Elles concernent les modes de résolution communautaires à l’amiable et devant les chefferies traditionnelles, qui sont les plus privilégiées. Elles devancent les modes de résolution publics faits devant les services administratifs, les services de sécurité publique et les services judiciaires, au vu de la volonté d’un aboutissement plus rapide et plus équitable entre les parties engagées, ce qui n’est pas toujours le cas auprès de ces services publics.
63Ces résultats sont corroborés par les travaux de Kossoumna (2016) qui indique que les conflits liés aux ressources naturelles évoluent d’un point de vue de la typologie en se diversifiant dans la nature des oppositions, et d’un point de vue des modes de résolution en s’écartant de plus en plus de l’aspect institutionnel et formel pour embrasser le côté amical et informel, qui est plus satisfaisant pour les parties. Cela met en valeur les aspects communautaires de la gestion des conflits liés aux ressources naturelles, à travers l’existence au sein des sociétés traditionnelles, de mécanismes endogènes de cogestion des ressources. C’est dans ce sens que Belal (2006) a également précisé que dans beaucoup de pêcheries africaines, dont le Cameroun, des pratiques de gestion traditionnelles des ressources halieutiques ont de tout temps existé, à travers des mesures de restrictions d’engins de pêche, repos biologique, ou modification de l’habitat. Des règles et directives relatives à l’exploitation pour le bien-être de tous étaient toujours formulées. Cependant, ces approches sont restées pour la plupart inappliquées ou mal appliquées, en particulier pour ce qui est de la pêche artisanale, car très largement dominée par l’accès libre, comme on peut également l’observer avec les systèmes de pêche pratiqués dans la plaine du Logone.
64En observant cette dynamique justement, on peut entrevoir le fait que l’espace apparait comme une ressource commune, partagée et même disputée, pour laquelle chaque acteur veut préserver ses intérêts, comme c’est le cas lorsqu’il s’agit de l’exploitation des ressources naturelles au sein du même espace. Ceci laisse également entrevoir les possibilités d’une dynamique semblable pouvant exister pour les cas de préservation d’intérêts, cette fois entre des acteurs appartenant à des secteurs d’activités différents, à l’instar des agriculteurs, des éleveurs ou des commerçants, qui peuvent eux-aussi partager les mêmes espaces que les pêcheurs et avoir les mêmes désirs de rentabilité et de prospérité pour leurs activités. C’est pourquoi l’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent généralement être perçues sous des angles à la fois participatifs, intégrés et durables.
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90Sighomnou, D., Nkamdjou, L.S., & Liénou, G. (2002). La plaine du Yaéré dans le Nord-Cameroun : une expérience de restauration des inondations. In Orange Didier (ed.), Arfi Robert (ed.), Kuper M. (ed.), Morand Pierre (ed.), Poncet Yveline (ed.), Témé B. (préf.) Gestion intégrée des ressources naturelles en zones inondables tropicales. Paris (FRA) ; Bamako : IRD ; CNRST, 375-384. (Colloques et Séminaires). GIRN-ZIT : Gestion Intégrée des Ressources Naturelles en Zones Inondables Tropicales : Séminaire International, Bamako (MLI), 2000/06/20-23.
91Sighomnou, D. (2003). Gestion intégrée des eaux de crues : cas de la plaine d’inondation du fleuve Logone. WMO/GWP Associated Programme on Food Management, Case study, 9p.
Pour citer cet article
A propos de : Bruno KOLAOUNA LABARA
Attaché de recherche, Institut de Recherche Agricole pour le Développement
Doctorant, Département de Géographie
Ingénieur environnementaliste, Département des Sciences environnementales
Institut Supérieur du Sahel, Université de Maroua
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brunolabara@gmail.com
A propos de : Antoine DJAOWE
Attaché de recherche, Institut de Recherche Agricole pour le Développement
Doctorant, Sciences agronomiques, École Nationale Supérieure Polytechnique, Université de Maroua
Cameroun
djaoweantoine@yahoo.fr
A propos de : Désiré TAJO
Ingénieur agronome, Département d’Agriculture, Élevage et Produits dérivés
Institut Supérieur du Sahel, Université de Maroua
Ministère de l’Élevage, des Pêches et Industries animales
Cameroun
tajodesire80@yahoo.fr
A propos de : Steven CHOUTO
Chargé de recherche, Institut National de Cartographie
Doctorant, Département de Géographie
Ingénieur environnementaliste, Département des Sciences environnementales
Institut Supérieur du Sahel, Université de Maroua
Cameroun
stevenchouto@gmail.com
A propos de : François Xavier CHENDJOU
Ingénieur agronome, Département d’Agriculture, Élevage et Produits dérivés
Institut Supérieur du Sahel, Université de Maroua
Cameroun
A propos de : Roméo TAGNE
Ingénieur agronome, Département d’Agriculture, Élevage et Produits dérivés
Institut Supérieur du Sahel, Université de Maroua
Cameroun
tagne.romeo@yahoo.fr