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Solène GAUDIN & Benoit MONTABONE

Patrimonialisation et/ou gentrification ? De la stratégie de reconquête du centre ancien de Rennes à la production d’une destination touristique

(76 (2021/1) - Tourisme et patrimoine dans l'espace urbain : repenser les cohabitations)
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Résumé

Cet article interroge les liens entre patrimonialisation et gentrification touristique à partir du cas du centre ancien de Rennes, en analysant particulièrement les stratégies de marketing territorial qui s’y rapportent. Il discute l’articulation entre un dispositif de réhabilitation d’un centre ancien dégradé et un processus de mise en tourisme guidé par l’attractivité métropolitaine. La notion de gentrification touristique est déconstruite à partir d’un cas spécifique où la ressource patrimoniale connait une intervention publique forte et contraignante. La patrimonialisation apparait alors comme un facteur essentiel de la construction d’une destination touristique, et les transformations socio-spatiales du centre-ville patrimonial relèvent autant des dynamiques métropolitaines que des fréquentations touristiques. L’article montre que la réhabilitation du patrimoine n’entraîne pas directement de processus de gentrification, mais que les modalités de la mise en tourisme entraînent une forme de gentrification touristique par la mise en ordre marchand du quartier historique.

Index de mots-clés : patrimonialisation, gentrification touristique, tourisme urbain, réhabilitation, attractivité, marchandisation, métropole régionale

Abstract

This article examines the links between heritage development and tourism gentrification, based on the case of the historical city-center of Rennes, a medium-size city in France, and focus on territorial marketing strategy. It discusses the relationship between a rehabilitation system of a degraded historical area and a tourism development process guided by the attractiveness of the city. The concept of tourism gentrification is deconstructed from a specific case where the heritage resource is undergone a strong and restrictive public intervention of urban renewal. Hence, heritage development appears to be an essential factor in the construction of a touristic destination; in the same time, the socio-spatial transformations of the heritage city-center rely as much on metropolisation process as on touristic frequentation. Furthermore, the article demonstrates that the rehabilitation of urban heritage does not directly lead to a gentrification process, but that the modalities of tourism development lead to a form of tourism gentrification through the commodification of the historical district.

Index by keyword : heritage, rehabilitation, tourism gentrification, urban tourism, urban regeneration, commodification, medium-size city

Introduction

1Le centre ancien de Rennes, et notamment les rues adjacentes à la place Sainte-Anne, a longtemps été associé dans l’imaginaire collectif aux soirées étudiantes de la « rue de la soif » et aux concerts de rock alternatifs du festival des Transmusicales. Tout au long des années 2000, cet espace hypercentral de la métropole bretonne a été l’objet de luttes physiques et symboliques autour des usages festifs de l’espace public. Il est même devenu un cas d’étude privilégié des mobilisations collectives dans l’espace et des manières de gérer la sécurisation des espaces urbains par la normalisation de leurs espaces publics (Bonny, 2012). En parallèle, ce quartier de la place Sainte-Anne constitue un haut lieu patrimonial de la ville, parce qu’il présente un bel ensemble de maisons à pans de bois et une trame viaire médiévale préservés de l’incendie de 1720 et des opérations de rénovation urbaines du XIXe et XXe siècle (Aubert, Provost, 2020). Il est au cœur du secteur concerné par le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) de Rennes institué en 1985, et fait ainsi l’objet d’interventions urbanistiques de la collectivité. Il incarne donc un type assez courant de quartier patrimonial dédié aux fonctions matérielles et symboliques de la centralité, où les usages récréatifs, commerciaux et résidentiels s’entremêlent jusqu’à devenir concurrents, voire conflictuels (Melé, 2004 ; Monnet, 2000 ; Gravari-Barbas, 2013).

2Depuis une vingtaine d’années, ce quartier est l’objet de transformations architecturales et fonctionnelles importantes. Ces dernières sont liées à la volonté de la municipalité de transférer les fonctions de centralité principale vers la gare TGV et le quartier Eurorennes, et de conférer à la haute-ville patrimoniale un statut de centralité commerciale et culturelle. Un collectif d’habitants et de militants, intitulé « Place à défendre », s’est par ailleurs constitué pour préserver les fonctions dites « populaires » du centre ancien, et s’opposer aux transformations fonctionnelles voulues par la municipalité. D’après ce collectif, l’ouverture du Centre des Congrès dans l’ancien Couvent des Jacobins, conjugué à un projet d’hôtel de luxe dans le palais Saint-Georges à quelques minutes de la place Sainte-Anne, serait une preuve de la « gentrification » du centre ancien et de sa transformation en un quartier « chic et cher tourné vers le tourisme d’affaire »1. Ainsi, l’embourgeoisement physique et symbolique du centre historique serait la conséquence directe d’une mise en tourisme spécifique liée aux fonctions métropolitaines supérieures de type « MICE (Meetings, Incentives, Congress, Events) ».

3« Attractivité métropolitaine » et « gentrification touristique » du centre ancien, les termes du débat public posés notamment lors des élections municipales de 2014 et de 2020 rejoignent de manière assez explicite les questions soulevées en sciences sociales sur les cohabitations entre tourisme et patrimoine dans les espaces urbains centraux (Bonard et Guinand, 2010 ; Gravari-Barbas et Guinand, 2017). Surtout, ils mettent en avant les remises en causes de plus en plus manifestes des effets de la gentrification, qu’elle soit sociale, commerciale ou fonctionnelle, dans les quartiers les plus fréquentés par les flux touristiques des métropoles européennes (Ter Minassian, 2012 ; Violier, 2016 ; Milano et al., 2019 ; Novy et Colomb, 2019).

4Une grande partie des recherches menées en géographie sur ces questions analyse les transformations sociales et commerciales comme témoins et facteurs concomitants de la gentrification et de la mise en tourisme (Donaldson, 2009 ; Lemarchand, 2013 ; Young et Markham, 2020 ; Mermet et Gravari-Barbas, 2013 ; Gravari-Barbas, 2014). D’autres insistent par ailleurs sur le rôle des acteurs et pouvoirs publics dans la régulation de ces dynamiques socio-spatiales (Fernandez-Barrera et al., 2016 ; Aguilera et al., 2019) et sur des cas où la promotion par les habitants d’une autre conception de la patrimonialisation constitue au contraire un mode de résistance à la gentrification (Ter Minassian, 2012 ; Djament, 2020). La littérature met ainsi en évidence l’ambivalence de la patrimonialisation, qui apparaît dans les projets urbains « entre gentrification et revendications » (Rautenberg et Dris, 2011). Le croisement entre géographie ou sociologie urbaine et géographie ou sociologie du patrimoine conduit à aborder la question du rôle du patrimoine et de la patrimonialisation dans le processus de gentrification touristique (Semmoud, 2004 ; Veschambre, 2008 ; Skoll et Korstanje, 2014 ; Cousin et al. 2015 ; Gravari-Barbas et Guinand, op. 2017).

5L’objectif de cet article est donc d’interroger les liens entre patrimonialisation et gentrification touristique à partir du cas de la Place Sainte-Anne et ses alentours à Rennes, quartier de centre ancien d’une métropole intermédiaire en cours de réhabilitation. Nous analyserons plus particulièrement les discours des acteurs et des politiques publiques dans ces dynamiques, en faisant le lien entre politique de « rayonnement métropolitain », politique de mise en tourisme d’un centre ancien, politique de réhabilitation d’un patrimoine dégradé, et politique de transformation des espaces publics et des usages des centralités. La première partie reviendra sur les débats théoriques autour de ces notions et sur les positions de recherche. La deuxième partie interrogera la place de la patrimonialisation dans la construction d’une destination touristique, et notamment le rôle des centralités urbaines dans le cas de Rennes. Enfin, la troisième partie montrera que les dispositifs de patrimonialisation mobilisés dans la mise en tourisme du centre ancien peuvent être autant un levier d’activation qu’un outil de régulation de la gentrification.

I. L’activation de la ressource patrimoniale dans la mise en tourisme de Rennes

A. Mise en tourisme, mise en patrimoine, des imbrications à questionner

6La relation entre mise en tourisme et mise en patrimoine peut être appréhendée de différentes manières (Lazzarotti, 2003 ; Ferréol, 2010). Dans certains cas, la mise en patrimoine dictée par des principes de sauvegarde ou des enjeux de salubrité publique précède la mise en tourisme, et participe à créer des ressources qui seront ensuite consommées par les touristes. Le patrimoine est à la fois un cadre général aux pratiques touristiques, un cadre bâti qui participe à la construction des paysages urbains et aux ambiances de ville (Jansen-Verbeke, 2010), et un objet direct de visites culturelles et de fréquentation touristique (Violier, 2013). Dans d’autres cas, la mise en tourisme précède la mise en patrimoine. Gravari-Barbas (2012) pose ainsi l’hypothèse d’une « fabrique touristique du patrimoine ». Dans ce cas, la patrimonialisation est une conséquence directe du tourisme, que ce soit pour répondre à l’imaginaire touristique, pour pour renforcer l’attractivité touristique en participant à l’activation de la ressource patrimoniale, ou pour (re)créer ou achever la construction d’une ressource patrimoniale. Les études sur ce point ont bien montré que ces deux phénomènes sont souvent complémentaires (Lazzarotti, 2003 ; Gravari-Barbas, 2018).

7Par ailleurs, les recherches sur les relations entre tourisme et patrimoine urbain ont mis l’accent sur les formes de cohabitation, de coprésence ou de conflictualité autour de ces processus (Delaplace et al., 2020). Les auteurs s’interrogent principalement sur les relations entre touristes et habitants, c’est-à-dire entre les visiteurs et les « visités » du patrimoine. Cette approche prend place dans la démarche initiée par Maria Gravari-Barbas dans l’ouvrage collectif Habiter le Patrimoine (Gravari-Barbas, 2005) dans le but d’appréhender le patrimoine dans ses pratiques quotidiennes par le concept de l’habiter. Des études mettent ainsi en avant les différences de représentations du patrimoine entre les habitants et les touristes (Ouellet, 2019a), ou les différentes manières dont les habitants peuvent se saisir de la ressource touristique dans une « porosité » avec l’action des institutions patrimoniales (Jacquot, 2015). Une différence notable existe entre les quartiers hyper-patrimonialisés qui accueillent peu d’habitants permanents mais beaucoup de résidents secondaires et dont l’ensemble du fonctionnement socio-économique est tourné vers le tourisme, comme le Marais à Paris (Gravari-Barbas, 2017), et les quartiers patrimonialisés qui conservent une structure sociale diversifiée et indépendante des fréquentations touristiques, comme le Reuterkiez à Berlin (Jeanmougin, 2020).

8Enfin, il apparait nécessaire de souligner le lien fort entre métropolisation et fréquentation touristique dans la « deuxième révolution urbaine du tourisme » (Stock et Lucas, 2012). Loin d’être déconnectée des nouvelles formes de création de richesse des territoires urbains, la sphère ludo-touristique constitue aujourd’hui un élément incontournable de l’économie métropolitaine, tant dans la captation de revenus extérieurs qu’elle induit que dans la construction de l’attractivité d’une destination (Gravari-Barbas, 2013 ; Gravari-Barbas et Fagnoni, 2013 ; Kadri, 2014). La spécificité du tourisme dans les villes-centres est accentuée par la modalité du city-breaking, qui associe des séjours de courte durée avec une consommation touristique concentrée et importante, tant dans la visite patrimoniale que dans le divertissement (Stock, 2007 ; Guérin, 2015). Le tourisme urbain repose donc sur deux types de pratiques assez différentes, les déplacements d’affaire regroupés au sein des fonctions « MICE » et les déplacements de « consommation » de culture urbaine, mais qui se retrouvent et se complètent souvent dans les quartiers hyper-centraux. Cette concentration oriente très fortement l’offre immobilière vers l’hébergement touristique de court séjour, y compris dans le cadre privé (Wachsmuth et Weisler, 2018), et l’offre commerciale vers des modes de consommation spécifique, notamment sur le plan alimentaire (Cocola-Gant et al., 2020). Ces transformations sont des éléments constitutifs du processus de gentrification touristique, développé par Kevin Fox Gotham à partir du cas de la Nouvelle Orléans et étendu depuis aux espaces urbains dans leur diversité (Gotham, 2005 ; 2007 ; 2018 ; Gravari-Barbas et Guinand, 2017).

B. Déconstruire la patrimonialisation pour interroger la gentrification

9Le cas des secteurs sauvegardés des villes françaises est particulièrement intéressant. Mis en place à partir de 1962 dans le cadre de la politique patrimoniale menée par André Malraux, ces secteurs sauvegardés ont la particularité de traiter la morphologie urbaine comme un tout et non comme une juxtaposition de monuments indépendants les uns des autres, permettant ainsi d’aborder la dimension paysagère du tissu urbain. On passe ainsi d’une logique patrimoniale monumentale à une territorialisation du patrimoine, soulignant la contribution du patrimoine à la constitution de la ressource touristique (Tomas, 2004). De nombreux travaux ont posé la question du lien entre secteur sauvegardé, patrimonialisation et mise en tourisme dans les villes françaises, à Lyon (Authier, 2003), Strasbourg (Gerber, 1999), Tours (Melé, 2005) ou encore à Troyes (Geppert et Lorenzi, 2013). Dans le cas de Rouen, Pickel-Chevalier avance la notion de co-développement touristique et patrimonial pour décrire l’inscription historique profonde du tourisme dans la ville patrimoniale, et montre que les dispositifs réglementaires de patrimonialisation n’ont pas joué un rôle essentiel dans ce co-développement (Pickel-Chevalier, 2012). À l’inverse, dans le cas de Bayonne, Ferréol insiste sur le fait que le secteur sauvegardé est un outil efficace pour penser une mise en tourisme globale d’un centre ancien dans le cas d’une mise en tourisme tardive, et qu’il a permis d’éviter jusqu’à présent une trop grande standardisation du centre-ville (Ferréol, 2019).

10Comment considérer la place de la patrimonialisation dans le processus de gentrification touristique ? Nous posons ici trois hypothèses. Premièrement, la patrimonialisation permettrait de construire un cadre favorable à la gentrification touristique. Dans ce cas, le processus de patrimonialisation répond à d’autres logiques propres au territoire et permet de mettre en valeur un patrimoine bâti qui sert de décor de destination aux pratiques touristiques (Navarro, 2015), tout en renforçant l’attractivité de la destination. Deuxièmement, la patrimonialisation est aussi une conséquence de la gentrification touristique. Les pratiques touristiques et les investissements économiques se concentrent dans certains quartiers et en révèlent la valeur patrimoniale. Dans un souci de protection et de renforcement de la ressource, les pouvoirs publics mettent alors en place des politiques de patrimonialisation pour répondre à la demande touristique. Une troisième hypothèse consiste à considérer que certaines formes de patrimonialisation puissent prémunir de la gentrification sans forcément s’opposer à la mise en tourisme (Ter Minassian, 2012).

11Pour tester ces trois hypothèses, la recherche s’est déroulée en plusieurs temps. Le premier temps a été consacré à l’étude des politiques publiques des différents acteurs institutionnels impliqués dans les recompositions de la place Sainte-Anne. Les sources sont le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur de Rennes, approuvé en 2013 et modifié en 2019, l’Opération Programmée de Renouvellement de l’Habitat et de Renouvellement Urbain modifiée en 2016, le Schéma de Cohérence Territoriale du Pays de Rennes, le Plan Local d’Urbanisme Intercommunal de Rennes Métropole adopté en 2019. Le deuxième temps s’est déroulé sous la forme d’entretiens avec des acteurs de l’aménagement, du patrimoine et du logement de la ville de Rennes, essentiellement au sein de la structure « Rennes centre ancien » dépendant de la Société Publique Locale d’Aménagement (SPLA) « Territoires publics » de Rennes Métropole, et avec des acteurs de la mise en tourisme de la métropole, essentiellement au sein de la Société Publique Locale (SPL) « Destination Rennes » de Rennes Métropole également. Enfin, un troisième temps a mobilisé les démarches de l’observation participante, appliquées dans le cadre du processus de concertation « Cœur de ville - Rennes 2030 » au cours de l’automne 2018.

C. La ressource patrimoniale à Rennes : quand la ville tourne le dos à son patrimoine

12Au-delà de la carte postale touristique incarnée par les maisons à pans de bois, les rues pavées, le Parlement de Bretagne et de nombreux bâtiments remarquables de différentes époques et styles architecturaux, la prise de conscience patrimoniale et la mise en valeur de l’espace du centre ancien sont assez récents. Dans sa communication territoriale, la ville de Rennes a souvent fait prévaloir la modernité plutôt que la valorisation d’une identité historique remarquable, comme si le riche patrimoine dont elle bénéficiait comportait un revers plus encombrant. De fait, le centre ancien jusqu’à une période assez récente a bénéficié d’une assez faible captation touristique par rapport à d’autres villes historiques bretonnes à proximité, comme Saint-Malo, Fougères, Dinan ou encore l’emblématique site du Mont-Saint-Michel. Les commerces présents dans le centre ancien sont ainsi plutôt orientés vers une clientèle locale ou régionale, et on retrouve peu de commerces à vocation touristique, et aucune boutique de souvenirs. Récemment, la campagne de communication proposée par le collectif de designers Crab Cake Corporation est représentative de cet état d’esprit (Figure 1). Elle mettait en relief les symboles de l’architecture contemporaine de la ville, comme la tour des Horizons construite en 1970 par Georges Maillols (labellisée Patrimoine du XXe siècle) et les Champs Libres réalisés par Christian de Portzamparc en 2006, mais aucune maison à pans de bois ni de rue pavée, portant un regard pourtant nostalgique sur un passé plus proche.

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Figure 1. Une communication territoriale qui relègue les dimensions historiques. Affiche de l’exposition aux Champs libres par Crab Cake Corporation en 2015. Source : http://www.rennes-infos-autrement.fr/rennes-en-tete-daffiche/

13Pourtant le centre ancien de Rennes bénéficie de réels atouts et de bâtiments historiques pouvant faire l’objet d’une reconnaissance patrimoniale. Devenue capitale administrative et ville parlementaire à l’époque moderne, Rennes a abrité une puissante élite bourgeoise et aristocratique qui est à l’origine de nombreux hôtels particuliers édifiés notamment dans la partie haute de la ville (Aubert et al., 2010). Aujourd’hui, le secteur sauvegardé approuvé en 1985 s’étend sur 35 hectares et regroupe de nombreux monuments emblématiques : Parlement de Bretagne, Portes Mordelaises, Palais Saint-Georges, Théâtre du Vieux Saint-Etienne, etc., dont 90 font l’objet d’un classement ou d’une inscription. Si le centre ancien de Rennes reflète un passé riche et puissant, il porte également la trace d’une histoire perturbée par une série d’incendies, dont celui particulièrement marquant de 1720, qui a détruit un tiers de sa superficie (Aubert et Provost, 2020). Aujourd’hui le secteur se compose de deux tissus urbains bien identifiables : la partie centrale, issue du Plan Robelin de reconstruction du XVIIIe siècle et composée d’immeubles classiques avec de hautes façades en pierre, et la périphérie de ce secteur, qui conserve des habitations médiévales à pans de bois disséminées en poches de plus ou moins grande importance (Brohan, 2016).

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Figure 1bis. Plan général de Rennes et découpage des 12 quartiers dont celui du centre étudié. Source : Rapport de présentation de « Rennes 2030 » dans le cadre de la révision du PLU de 2019

14Cependant, le tourisme urbain à Rennes utilise peu cette « ressource ». De manière plus globale, la métropole s’est positionnée dans les années 1970 sur un modèle technopolitain, associant recherche universitaire dans ses campus et innovation technologique dans ses technopôles, dans des secteurs porteurs d’innovation comme les télécommunications ou l’informatique. Ce n’est que récemment, portée par la transformation productive des espaces métropolitains par l’économie de la culture et la consommation de loisirs, que l’économie du territoire s’est orientée vers les activités du tourisme dit d’affaire et de l’événementiel. Étonnamment, le centre ancien et le secteur sauvegardé n’ont pas été au cœur de la stratégie d’attractivité de la ville, qui a préféré miser sur l’image des hautes technologies et sur sa scène musicale pour se démarquer des autres métropoles régionales, et tout particulièrement d’une ville voisine comme Nantes (Houiller-Guibert, 2010). Emblème de cette conversion tardive, la ville a porté entre 2015 et 2018 la rénovation d’un ancien couvent de la haute-ville, le Couvent des Jacobins, pour le transformer en un centre des congrès nouvelle génération alliant architecture audacieuse et ancrage patrimonial. Avec cet investissement de 108 millions d’euros, la collectivité s’est ainsi dotée d’un outil puissant pour développer son économie touristique. En ce sens, l’activation de la ressource patrimoniale est ici mise au service de la stratégie économique métropolitaine.

II. De la « reconquÊte » du centre ancien À la production d’une destination touristique

15La métamorphose de l’image du centre ancien à Rennes est donc assez récente, et s’inscrit dans un rapport ambivalent des acteurs locaux au patrimoine historique orienté par une stratégie métropolitaine de renforcement de son attractivité.

A. L’irruption de la question du centre ancien : une prise de conscience hygiéniste et sécuritaire

16Derrière les vitrines de la vitalité commerçante, le centre ancien de Rennes présente un ensemble de fragilités liées au bâti ancien. Avec la prédominance du bois comme matériau de construction, de nombreux bâtiments connaissent de lourdes pathologies (rétention d’humidité, insectes xylophages, pourrissements, fissures, déformations, etc.), les arrières cours sont souvent encombrées et peu d’immeubles disposent de dispositifs de sécurité. En 2009, le rapport Tattier commandité par la municipalité2 fait état d’une situation inquiétante et alerte sur la recrudescence de situations dangereuses. Sur 1 600 immeubles, 660 copropriétés sont dégradées, dont 300 à la limite de l’insalubrité. Parmi les problématiques particulièrement inquiétantes, le risque d’incendie demeure pour les acteurs locaux une préoccupation importante, qui a justifié la participation du Service Départemental d’Incendies et Secours (SDIS) dans la révision du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV). Cette situation difficile est le résultat d’un triple processus : la spéculation immobilière accentuée par la forte demande locative du secteur central et la part importante du logement étudiant ; un bâti structurellement fragile et fragilisé par le morcellement des immeubles en nombreux petits logements ; un manque d’entretien et d’investissement du fait de la forte représentation de petits propriétaires et/ou bailleurs fragiles ou défaillants. De manière paradoxale, le centre ancien est donc marqué à la fois par une assez forte tension immobilière et par une insalubrité assez largement installée (Figure 2). De ce fait, 166 arrêtés de péril ont été pris entre 1996 et 2012.

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Figure 2. Dégradation et insalubrité d’une partie des logements du centre historique. Façades qui flanchent et déshérence des parties communes. Source : Clichés personnels (2017-2019)

17Avec 88 % de logements en copropriété, le centre ancien de Rennes présente un véritable morcellement des structures d’habitations. Il s’agit concrètement de logements qui ont été découpés afin d’être loués sous la forme de studios ou de petits appartements meublés pour répondre à la demande spécifique en centre-ville. Les bâtiments, le plus souvent mal connectés aux réseaux d’origine, se trouvent fragilisés par ces opérations de division de logements, réalisées souvent de manière artisanale, autant d’éléments qui accentuent les risques structurels. Les travaux d’aménagement et l’occupation qui en résulte conduisent notamment à alourdir la pression sur les dalles et planchers : double dalles, planchers en béton coulés sur des planchers en bois et aménagement des greniers venant créer des surcharges sur les structures, suppression de cheminées dans certains étages créant des désordres de stabilité de l’immeuble, circuits électriques non homologués, canapés et électroménagers dont le poids se répercute sur l’infrastructure générale du bâtiment.

18Surtout, certains logements souffrent d’une difficulté d’accès en fond de cours, sans issue, empêchant les interventions des services de secours. Avec en moyenne cinq départs de feu par semaine, le risque incendie est très présent, dont certaines conséquences peuvent être dramatiques. C’est d’ailleurs la mort de trois étudiants dans un incendie en 2007 qui a marqué une prise de conscience de la population et des élus sur cette question. Cette dernière a débouché sur le premier rapport sur l’état général du patrimoine du centre ancien en 2009, qui attestait d’un problème structurel et soulignait la nécessité d’intervenir rapidement dans ce tissu urbain. Ces opérations prennent du temps et en 2010, un îlot en plein cœur du secteur est entièrement détruit par un feu de poubelle en marge de la Fête de la musique, poussant les acteurs publics à renforcer leurs actions de sécurisation du centre ancien. Pourtant, ce quartier fait l’objet de plusieurs Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat (OPAH) depuis 1979, et a été classé secteur sauvegardé en 1966. Mais c’est à partir de l’OPAH de 2011 (OPAH RU 1) que l’intervention devient systématique et structurelle (Figure 3).

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Figure 3. Une intervention publique de longue date. Source : SPLA Centre Ancien Rennes (2017)

19En 2011, le lancement de l’OPAH Rénovation urbaine (RU) Centre-ancien conduit à confier le suivi de la requalification du centre historique à une société publique locale d’aménagement, la SPLA « Territoires publics », par le biais d’une convention d’aménagement. Le premier objectif est d’aider les propriétaires et copropriétaires à résoudre les problèmes d’insalubrité, de sécurité et de dégradation avancée de l’habitat. Le dispositif permet à la fois d’aider les copropriétaires à engager les travaux qui s’imposent par le biais de subventions importantes, mais il comporte aussi un volet coercitif pouvant conduire à la mise en demeure et l’expropriation dans certains cas. La politique très volontariste de la ville de Rennes, par le biais de la SPLA, entraîne alors une transformation en profondeur du centre ancien. Entre 2011 et 2019, 223 bâtiments ont fait l’objet de travaux, avec un montant total dépassant les 100 millions d’euros d’investissement, dont 60 % par les copropriétaires et 40 % via des subventions publiques. Toutes les procédures légales sont mobilisées (Opérations de Restauration Immobilière (ORI), Opérations de Résorption de l’Habitat Insalubre (ORHI), Délégations d’Utilité Publique (DUP), etc.) au secours de ce territoire resté longtemps un angle mort de l’intervention publique. Depuis la mise en place de ces dispositifs, la collectivité octroie chaque année huit millions d’euros d’aide aux propriétaires du centre ancien. Potentiellement, au terme des deux dernières OPAH programmées sur le secteur, près de 1 000 logements du centre ancien devraient être concernés par des travaux de réhabilitation.

B. Renouer avec le patrimoine et « déplier » la centralité

20Au cumul de dispositifs et d’actions de revalorisation du centre ancien s’ajoute une réflexion plus globale et intégratrice de l’aménagement du centre ancien au territoire environnant. Après la première phase de relégation, la communication territoriale parle de la « mue du centre ancien » et le promeut en « cœur de ville » à partir de 2016. La ville assume alors un renversement de stratégie. À partir de l’idée du repli du centre ancien sur lui-même, elle cherche à l’ouvrir sur l’extérieur et à le déployer vers ses franges péricentrales. Par ailleurs, dans son grand projet urbain de « Rennes 2030 », la ville organise un échange participatif concernant tous les grands aménagements de la ville et de la métropole envisagés pour les dix ans à venir. Deux axes majeurs y sont identifiés : la révision du Plan Local d’Urbanisme (PLU) et la réappropriation du « cœur de ville ». C’est dans ce cadre que la campagne « Cœur de Rennes – Rennes 2030 » voit le jour.

21Cette campagne vise tout d’abord à favoriser l’accès et l’appropriation du centre ancien par la population rennaise, par le biais de promenades urbaines et de valorisations ponctuelles de sites ou de bâtiments emblématiques. La municipalité a mis en place différents dispositifs comme la passerelle sur la place centrale et très passante de la République afin de permettre aux habitants qui le souhaitaient de prendre de la hauteur et de « changer de regard sur le centre-ville », accompagnés de différents travaux présentant les futurs aménagements mais aussi interpellant les habitants sur leurs souhaits et leurs attentes quant aux changements envisagés. Une multitude d’actions et de médiations concernant le centre ancien, avec des conférences, des visites guidées des cœurs d’îlots et cours insolites, des actions pédagogiques en direction du jeune public, des cafés urbains et des publications en lien avec les politiques de réhabilitation, sont ainsi régulièrement organisées. Ces campagnes de communication associées aux dispositifs participatifs nourrissent l’idée d’une reconquête d’un centre ancien qui aurait été jusque-là abandonné ou faiblement investi (Figure 4), y compris par les Rennais eux-mêmes. La rhétorique d’une renaissance urbaine est ainsi largement mobilisée dans les discours : « Rennes, reconquérir les places [du centre-ville] »3, « Le centre-ville de Rennes fait sa mue »4.

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Figure 4. « Déplier » le centre-ville : une stratégie de reconquête du centre ancien. Source : Les Rennais - prospectus municipal n°35 - nov. déc 2017 et clichés personnels, 11 septembre 2018

22Dans un second temps, cette campagne vise une population extérieure, notamment des visiteurs du patrimoine et des touristes urbains incarnant la « classe visiteuse » (Eisinger, 2000), en mettant en valeur l’historicité du bâti médiéval et en favorisant la redécouverte des remparts de la ville. Les élus axent leur discours autour d’un renouveau du centre historique en invitant à « déplier le centre-ville », c’est-à-dire à mettre en place son extension spatiale, notamment vers le Nord et les rives du canal Saint-Martin, un des hauts lieux de la spéculation immobilière. C’est ce qu’affirme en 2017 l’adjoint à l’urbanisme en expliquant que « le périmètre du centre-ville n’a pas beaucoup évolué depuis des siècles […] alors que la ville se transforme et a gagné plus de 20 000 habitants en 20 ans »5. Pour autant ce déploiement ne s’accompagne pas réellement d’une patrimonialisation des espaces péricentraux comme cela a été observé dans certaines métropoles françaises comme Strasbourg (Blanc-Reibel, 2017). L’objectif est ainsi d’étirer le centre-ville en réalisant des chantiers importants aux quatre points cardinaux du périmètre. À l’Est, un nouveau quartier est programmé dans le cadre de la ZAC Baud-Chardonnet sur le site d’une ancienne friche industrielle totalement reconstruite. À l’Ouest, une vaste piétonisation du secteur du Mail Mitterrand et de l’Octroi est opérée depuis 2015, associée à de nouveaux projets immobiliers dont certains de très grand standing. Au Nord, le site des prairies Saint-Martin est réaménagé et conçu comme un grand parc urbain de centre-ville, et un nouveau lieu de convivialité est proposé sur le site de l’Hôtel Dieu. Au Sud, l’attention se porte sur la restructuration des espaces publics autour de la nouvelle gare d’EuroRennes qui accueille l’arrivée de la LGV depuis 2018 (Figure 8).

23C’est toute la centralité rennaise qui est repensée, et qui se déplie vers les quartiers péricentraux appelés à devenir les nouveaux pôles de développement et à incarner la nouvelle économie métropolitaine.

C. « Destination Rennes » : Une nouvelle territorialisation de l’attractivité métropolitaine

24La création de « Destination Rennes » en 2013, une deuxième SPL qui intègre l’office de tourisme et un business club pour commercialiser et exploiter le centre des congrès du Couvent des Jacobins, vient renforcer et institutionnaliser cette stratégie. En mobilisant la notion de « destination », il s’agit d’élargir le spectre de l’analyse des aménagements à visée touristique et entrepreneuriale en insistant sur la notion de projet global et multipartenarial (Tomas, 2004). La production, l’invention d’une destination dépasse ainsi la simple mise en spectacle ou même la publicisation des lieux pour constituer « un ensemble de « projets » différenciés, mais intégrés à un « projet » global » (Kadri et al, 2012). Dans le cas du centre ancien de Rennes, la nouvelle reconnaissance du patrimoine et le développement du tourisme s’intègrent pleinement dans les stratégies d’aménagement visant à « renforcer l’attractivité du cœur métropolitain »6. La construction de la destination, présentée ici comme une véritable « marque de territoire », se traduit par l’activation de la ressource patrimoniale en l’intégrant à une redéfinition de l’identité rennaise. Le patrimoine est mobilisé de manière discrète, suggérant une ambiance volontairement « vintage » et « authentique », et valorisant davantage la petite architecture locale (maison de schiste rouge, rues pavées) que les circuits et monuments historiques conventionnels. La SPL « Destination Rennes » contribue ainsi à territorialiser la stratégie de développement touristique, en utilisant les emblèmes patrimoniaux de la ville et en les diffusant via différents canaux axés sur le digital, les médias sociaux, les applications pour smartphone. À terme, il s’agit explicitement d’intégrer l’offre et les réseaux (fortement concurrentiels) de grands sites d’organisation d’évènements comme GL-events (anciennement Générale Location) dont Rennes est encore absente quand d’autres villes de moindre envergure y figurent comme Valenciennes, Clermont-Ferrand, Vannes ou Roanne.

25La volonté d’inscrire Rennes, et plus spécifiquement le centre historique, comme une nouvelle destination contribue également au projet régional de rééquilibrage spatial et saisonnier du tourisme prôné par le Conseil Régional. Avec 6 % des hébergements touristiques, le grand bassin rennais est loin derrière le Golfe du Morbihan (26 %) et le secteur de Saint-Malo (15 %). L’objectif affiché est « de passer d’un tourisme de cueillette à un tourisme de conquête »7, ancrant ici clairement la dynamique métropolitaine de Rennes dans cette optique de « compétitivité » et de captation du tourisme. Pour se positionner au sein de cette offre touristique régionale, la SPL a monté des partenariats avec des artistes et des acteurs locaux dans le domaine de la mode, du tatouage (Miss Atomik) et de la culture urbaine afin de créer une image spécifique à la destination : « Rennes l’alternative » (Figure 5).

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Figure 5. « Rennes l’alternative ». Source : Site Destination Rennes – « Un week-end avec Miss Atomik », 26 octobre 2016

26Rennes mise ainsi sur l’essor des pratiques de l’excursionnisme en ciblant une clientèle de primo-visiteurs issus de la région parisienne, « marché » facilité par l’ouverture de la Ligne à grande vitesse et l’arrivée du TGV qui positionne Rennes à 1h30 de Paris. De nouveaux produits sont proposés pour répondre à ces attentes comme le City pass XXL ou la programmation culturelle des Champs Libres qui cherche à se caler sur le calendrier des vacances scolaires de la zone francilienne. En mobilisant les différents leviers de l’offre récréative, le projet de « Destination Rennes » contribue à positionner la ville et son centre dans le « marché » national des courts séjours. Surtout, la destination s’ancre particulièrement dans le centre historique et ses redéploiements, et cherche à correspondre aux attentes supposées de ce nouveau public. D’une part, le centre ancien présente un fort potentiel d’hébergements susceptibles d’attirer des citybreakers, du fait de la composition du parc de logements en petits appartements facilement mis en sous-location sur des plateformes collaboratives de type Airbnb – cette offre d’hébergement est assez attractive au niveau quantitatif, autour de 1 000 chambres disponibles (à rapporter au plus de 4 000 de l’offre hôtelière traditionnelle, dont plus de 2 000 dans le cœur historique) avec un prix moyen par nuit pour les logements en centre-ancien de 43 euros/nuit (consulté en 2019). D’autre part, les différents projets entourant le centre-ville viennent renforcer l’offre touristique sur le plan culturel, et permettent de créer de toute pièce un tourisme d’affaire appelé à renforcer les visites récréatives et culturelles. Une multitude de manifestations viennent diversifier et étoffer l’offre récréative comme l’opération Dimanche à Rennes, le Marché à manger, mais aussi la gratuité des musées tous les premiers dimanches de chaque mois, des événements sportifs au cœur du centre historique et parfois même traversant les monuments classés comme l’Urban Trail. Lors de ces événements, le patrimoine est considéré comme un décor urbain pour donner du cachet à la destination et une image iconique porteuse de communication territoriale.

III. La patrimonialisation du centre ancien comme catalyseur de la gentrification ?

27Le renversement des valeurs est à l’origine des processus de gentrification étudiés dans le cadre du développement du tourisme urbain, qui serait un accélérateur du phénomène dans des quartiers centraux ou péricentraux en proie à des changements socio-démographiques structurels, sous l’effet des dynamiques économiques du marché immobilier et des transformations culturelles des espaces urbains (documentées d’abord par Glass en 1964, Smith en 1996, suivi de nombreuses publications en France dont Clerval sur Paris en 2013, Brown-Saracino, 2010 ; Colomb, 2012 ; Devine, 2017). Ainsi, la gentrification touristique n’est pas seulement pensée comme un changement social du peuplement des quartiers mis en tourisme mais comme une transformation globale de ces derniers, associant cadre paysager, offre commerciale (Mermet, 2013) et type d’activité dans l’espace public et dans l’espace privé (Gotham, 2005 ; 2007 ; 2018 ; Young et Markham, 2020). De ce fait, que les pratiques touristiques relèvent du récréatif culturel (visite patrimoniale, divertissement, etc.) ou du secteur professionnel (tourisme d’affaire, congrès, événementiel) ne constitue pas une distinction fondamentale, car les effets sur l’offre immobilière et commerciale restent les mêmes pour ces deux types de tourisme (Gravari-Barbas et Guinand, 2017).

28Plus encore, l’injonction néolibérale à « l’attractivité territoriale » par le tourisme (Kadri, 2014 ; Gravari-Barbas et Guinand, 2017 ; Young et Markham, 2020) pousse les acteurs locaux à proposer une image standardisée des espaces publics et à favoriser leur mise en consommation pour des types de touristes bien spécifiques. Cette interprétation du « goût du consommateur » conduit à une standardisation et à une marchandisation des espaces patrimonialisés (Clark, 2005 ; Brown-Saracino, 2010 ; Lees et al., 2013) que l’on retrouve dans les projets métropolitains. Cette évolution nourrit aussi des contestations locales et politiques quant aux choix patrimoniaux.

A. Le Couvent des Jacobins, une mise en produit du centre ancien ?

29L’opération la plus emblématique des transformations que le centre historique de Rennes ait connu en ce sens est la transformation initiée en 2014 du Couvent des Jacobins, un ancien cloître transformé en centre des congrès. Il s’agit d’un projet phare pour la municipalité qui a été médiatisé dès le lancement du chantier, pensé lui-même comme un événement métropolitain à part entière. Il nécessite des aménagements de grande envergure, dont le creusement et l’excavation d’une partie de la structure nécessitant un relèvement à 14 mètres du sous-sol. Les prouesses techniques de ce chantier hors norme, confié au cabinet d’architecte mandataire Jean Guervilly associé à l’agence d’architectes d’envergure internationale Perrot-Richard, ont permis de mettre en récit la reconversion du centre ancien avec un cahier des charges de l’Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine (UDAP) et de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) très précis. Le chantier est présenté comme la restauration d’un patrimoine majeur de la ville, mais les choix de la réhabilitation vont au-delà et servent directement le projet de transformation des activités économiques et de l’image du centre-ville. Ils permettent à la fois de renouer avec la dimension historique de la ville, puisque le couvent a hébergé les fiançailles d’Anne de Bretagne avec Charles VIII en 1491 et a été classé aux Monuments Historiques en 1991, et de doter le centre ancien d’un équipement métropolitain résolument tourné vers la modernité, mis en avant par les prouesses techniques du chantier et l’architecture futuriste du bâtiment en plein cœur du secteur sauvegardé.

30Avec ce projet, Rennes mise sur le tourisme d’affaires. Le nouveau centre des Congrès se situe en plein cœur du centre ancien, sur l’emblématique place Sainte-Anne. À l’image d’autres réalisations comme l’Ara Pacis à Rome8, il est lui-même intégré dans un monument historique et participe ainsi à l’affirmation de la conversion touristique et marchande du centre historique. Il possède tous les attributs d’un Grand Équipement Culturel (GEC) de cette catégorie : un auditorium de 1 000 places, ainsi qu’une salle de congrès de 500 places. Au niveau de la rue, un auditorium de 300 places est aménagé dans l’ancienne chapelle ainsi qu’un hall d’exposition de 3000 m², le tout dans un cadre historique remarquable constitué d’une abbatiale, d’un cloître et des bâtiments conventuels, réaménagés en galeries d’exposition. Le Couvent dispose également d’une excellente accessibilité, les deux lignes de métro se rejoignent directement sur le parvis. Les retombées attendues pour l’économie locale sont importantes, les études réalisées démontrant que ses activités mobiliseraient jusqu’à 4 000 chambres d’hôtels dans le secteur et dynamiseraient les autres branches commerciales. L’exploitation des Jacobins est confiée à la SPL « Destination Rennes » qui ambitionne d’accueillir 120 événements professionnels par an, dont 10 % venus de l’étranger, permettant d’ancrer Rennes dans le créneau « concurrentiel » des villes accueillant des congrès internationaux.

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Figure 6. Le Couvent des Jacobins, un marqueur patrimonial comme équipement métropolitain. Source : http://www.haute-bretagne-evenements.com/congres-et-salons/B2912BRE035V50I9ZT/detail/rennes/couvent-des-jacobins-centre-des-congres-de-rennes-metropole

31En 2002, quand le couvent devient la propriété de Rennes Métropole, il est ainsi rapidement décidé d’en faire un grand équipement culturel et de repenser en même temps l’ensemble de l’aménagement de la place Sainte-Anne et des alentours, en lien avec l’arrivée de la seconde ligne du métro. Le cabinet « Ilex - paysages + urbanisme » est retenu pour la mise en œuvre de ce projet, qui se veut sobre au regard de l’imposante silhouette du couvent. Celui-ci est surmonté d’une « tour signal », censée rappeler le clocher initial, intégrant un panneau lumineux de 60 m2 et culminant à 26m de hauteur en plein cœur du secteur sauvegardé. Ce projet de près de 108 millions d’euros cristallise un certain nombre d’oppositions, de la part d’élus de la municipalité, le qualifiant « d’erreur historique », et d’associations pointant le coût pharaonique des opérations ainsi que les choix opérés. La contestation forgée à partir de ce projet dépasse le cadre du couvent et dénonce une sélection du patrimoine dans la ville, car le chantier des Jacobins est lancé en parallèle de la démolition du mur de publicité Ripolin et Dubonnet qui marquait le paysage populaire de la place Sainte-Anne, ou encore de la démolition de maisons de caractères avenue Sergent-Maginot, Quai Aristide Briand et rue de Vern. Une critique également formulée par les associations patrimoniales qui pointent un choix privilégiant une vision tronquée de la « grande histoire » au détriment de l’histoire populaire du tissu urbain de la ville9, mais aussi une absence de valorisation de la morphologie d’ensemble du centre-ancien. Cette contestation classique et bien documentée par ailleurs (Melé, 2005 ; Veschambre, 2004) se double ici d’une contestation sur le choix du type de tourisme privilégié par la municipalité. En effet, ces mobilisations parfois aux origines diverses trouvent des échos sur la scène politique et font l’objet de débats au conseil municipal de la part notamment des élus LFI qui dénoncent « un choix clair [du] tourisme d’affaire privilégié [par rapport au] tourisme populaire » (séance du 15 novembre 2018), quand l’opposition métropolitaine de la droite et du centre dénonce des transformations accélérées du paysage urbain peu respectueuses de la qualité architecturale et des cadres de vie.

B. La réhabilitation du patrimoine, un frein à la gentrification ?

32À l’image de l’opération du Couvent des Jacobins, « l’attractivité » métropolitaine devient non seulement un enjeu économique de premier ordre mais aussi une véritable doctrine d’aménagement. Localement, de nombreuses opérations visent à accompagner la transformation en profondeur du centre ancien et participent à la volonté « d’attractivité » et de « reconquête » défendue par la municipalité du secteur en alimentant un système touristico-patrimonial. Ce dernier se manifeste par une montée en gamme de l’offre d’hébergements, avec l’ouverture du premier hôtel 5 étoiles de la ville en 2014, qui sera suivie d’un second en plein centre historique en 2021, et de 8 nouveaux hôtels 4 étoiles programmés depuis 2008. À travers ces choix d’aménagement, des comités de citoyens structurés autour du collectif d’usagers et de riverains « Place à défendre » (PAD) dénoncent une gentrification accélérée du centre-ville (disparition de bars alternatifs et de lieux populaires militants et festifs, contrôle par vidéosurveillance des espaces publics, etc.), principalement autour de la place Sainte-Anne.

33Pourtant, sur le plan démographique, différents indicateurs invitent à nuancer les mécanismes à l’œuvre. En effet, dans un processus assez classique, le centre ancien de la Ville de Rennes a connu une décroissance relativement importante entre 1999 et 2019. Ce phénomène correspond à une forme de délaissement du secteur plutôt qu’à une véritable recomposition socio-démographique. La vacance des logements est estimée par l’Agence d’urbanisme de la métropole à 15 %10, et la vacance des commerces situés dans des immeubles très dégradés demeure, malgré les opérations engagées, une des problématiques importantes du secteur.

34Les effets d’une gentrification sociale au niveau de l’habitat ne sont pour l’heure pas confirmés, d’autant que le centre ancien a une configuration démographique assez particulière. Un regard plus précis sur les statistiques issues des données DVF (Demandes de Valeurs Foncières) fournies par les impôts, indique que le marché immobilier du centre ancien se situe autour d’un prix de vente de 2 800 €/m² (prix médian des types 3), soit 20 à 30 % plus cher que la moyenne observée dans les autres secteurs de la ville. Cela s’explique essentiellement par la structure du parc lui-même, avec une proportion beaucoup plus importante de petits logements (37 % des logements en copropriétés sont inférieurs à 35 m² contre 24 % à l’échelle de la ville de Rennes), soumis à une forte rotation, plus qu’à un effet de surcote immobilière liée à une nouvelle « attractivité ». Les opérations de réhabilitation conduites depuis quinze ans ne semblent pas pour l’instant engendrer une redistribution de la population du secteur. En effet plus du tiers des habitants du centre-ancien appartiennent à la catégorie « cadres et CSP supérieur » alors qu’ils sont seulement 21,7 % à l’échelle de la ville. On note aussi une part un peu plus importante des artisans, commerçants et chefs d’entreprise. Les catégories « employés » et surtout « ouvriers » sont plus faiblement représentées avec seulement 8,6 % d’ouvriers contre 18,8 % à l’échelle de la ville et 20 % d’employés contre 28,9 %. Cette structure sociologique évolue peu du fait notamment de la très forte composante étudiante du centre ancien. En tant que ville universitaire Rennes attire chaque année environ 60 000 étudiants. Ils représentent des locataires accommodants au regard des niveaux de confort très inégaux des logements. Le maintien d’un taux de rotation particulièrement élevé (72 %) traduit le rôle d’accueil très important que le centre ancien continue d’assurer dans le fonctionnement du marché de l’habitat, notamment par la vocation d’accueil des étudiants, une situation qui est d’ailleurs confirmée dans le schéma de développement universitaire. Actuellement, l’importance de la part des jeunes de moins de 30 ans demeure la plus élevée de la ville (54 %)11.

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Figure 7. « Les taches jaunes », un frein à l’acquisition en centre ancien. Sources : Extrait du PSMV et cliché personnel – rue St Michel 18 octobre 2019

35De plus, la mise en œuvre de l’OPAH et la mission Centre Ancien qui l’anime expose que les aides aux propriétaires bailleurs notamment sont assorties d’une exigence de maîtrise des loyers. Le cadre règlementaire du PSMV impose aussi aux nouveaux acheteurs un ensemble de contraintes coûteuses qui s’avèrent être un frein à la vente, comme par exemple l’obligation pour l’acquéreur de prendre à sa charge la démolition de « taches jaunes », ces constructions hétéroclites de fonds de cours qui empêchent les curetages d’îlots et entravent la secourabilité des immeubles (Figure 7). Des surcoûts et des contraintes spécifiques au centre historique limitent ainsi l’attractivité du secteur. De plus, la majeure partie des aides financières accordées dans le cadre des réhabilitations concerne le financement de travaux dans les parties communes et ont donc eu une faible incidence sur la qualité et la valeur intrinsèque des logements. Malgré des niveaux de subvention parfois très conséquents (jusqu’à 75 % pour les propriétaires les plus fragiles), le surcoût entraîné par les réhabilitations et la mise aux normes des immeubles ont conduit certains habitants à considérer qu’ils payaient une deuxième fois leur logement. Ce discours récurrent dans les assemblées générales des copropriétés contribue à dissuader les nouveaux acheteurs potentiels.

36Autre aspect déterminant, le portage politique fort de ces opérations de réhabilitation par la municipalité initie également des opérations plus diffuses de conventionnement avec les bailleurs sociaux, dont l’Office publique de l’Habitat de Rennes, qui s’investit en créant des logements dans les immeubles dont la ville a fait l’acquisition dans le cadre de la Délégation d’Utilité Publique (DUP). Ce partenariat ancien avec le bailleur Archipel Habitat remonte aux années 1970 dans le cadre de l’opération « 1 000 logements sociaux en centre-ville » lancée par l’ancien maire socialiste Edmond Hervé, qui misait sur l’intervention du bailleur dans la réhabilitation du parc ancien du centre historique, notamment dans les rues de Saint-Malo, rue Vasselot et trouvant aujourd’hui sont prolongement dans le cadre d’opérations mixtes comme l’Hôtel Dieu. Le centre-ville comporte donc une part de logement social, dont le peuplement fait l’objet d’un traitement particulier par les bailleurs, et qui assure un socle assez stable de populations bénéficiant de logements conventionnés. La politique de réhabilitation du patrimoine n’entraîne donc pas directement une gentrification sociale du quartier, d’autant que l’attrait pour la demande pavillonnaire, notamment périphérique, demeure fort.

C. Une gentrification péricentrale et une marchandisation du centre ancien

37En somme, si le centre ancien connait des transformations profondes et visibles, la gentrification sociale se reporte pour le moment davantage sur les marges du centre historique, du fait des lourdes contraintes d’aménagement qui s’y déploient. C’est d’ailleurs ce que confirme l’étude POPSU2 conduite à Rennes en 2013, notant « l’évolution fortement différenciée des secteurs, ainsi qu’entre les secteurs Nord et Sud de la gare, le reflux confirmé des catégories sociales populaires se doublant d’un léger retrait des cadres supérieurs dans la partie Nord » (POPSU 2, 2013). Pourtant, au-delà de la permanence de la structure sociale de la population, la physionomie globale du secteur protégé a profondément changé sous l’effet des politiques de réhabilitation du patrimoine et d’élargissement de la centralité (Figure 8). Les fonctions symboliques du régime métropolitain entourent progressivement ce secteur, les projets urbains en cours visent à renforcer son attractivité et l’évolution de ses fonctions commerciales et de consommation culturelle. C’est bien sous l’effet de cette mise en tourisme que la transformation de l’espace s’opère, et par conséquent que se développent les nouvelles pratiques de la gentrification touristique (Bonard et Guinand, 2010).

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Figure 8. Dynamiques patrimoniales et revalorisation du centre ancien : une gentrification des pourtours. Réalisation des auteurs

38Cette dernière se lit donc plus dans le paysage et les usages du centre ancien que dans sa composition sociale. Il s’apparente ici à une esthétisation patrimoniale du quartier, pensé comme un support architectural à l’attractivité touristique et économique de la métropole. Les réhabilitations patrimoniales des façades sont une première étape de cette transformation. Elles permettent de doter le centre-ville d’une nouvelle ressource touristique de découverte et de contemplation esthétique, dans une stratégie d’embellissement du centre ancien. D’autres actions sont conduites afin de construire un cheminement patrimonial et de retrouver une cohérence circulatoire et historique au cœur de la ville. La municipalité envisage par exemple d’aménager une promenade le long des remparts et des douves pour faire la jonction entre la place des Lices et la place de Bretagne. Des terrasses de cafés et de restaurants borderont cette allée de 30 mètres de largeur, qui conduira le promeneur au pied des portes Mordelaises. Ces aménagements visent ainsi à favoriser l’émergence d’espaces de consommation standardisés, à travers une marchandisation ou « mise en ordre marchand » de l’espace patrimonialisé (Devine, 2017 ; Young et Markham, 2020).

39Cette mise en ordre marchand instrumentalisant la réhabilitation du patrimoine se complète par différentes opérations qui prennent place de manière concomitante autour de la place Sainte-Anne. Outre l’ouverture du Couvent des Jacobins, les aménagements successifs transforment l’espace public et les habitudes de consommation de ce quartier. La volonté de la ville de Rennes de sécuriser les occupations commerciales des immeubles anciens et de déconcentrer l’offre en bars et restaurants de la rue Saint-Michel a abouti à la fermeture d’établissements nocturnes emblématiques, et à l’apparition d’établissements de standing plus élevé. La restructuration de l’ancienne maternité de l’Hôtel Dieu, située à proximité du centre ancien, est caractéristique de ces transformations. La municipalité a prévu d’y installer un pôle récréatif et de bien-être, comprenant un hammam, une salle de sport, un food court et une hostellerie composée de plus de 200 chambres à petits prix visant à attirer les « voyageurs urbains » et les citybreakers. Ce dernier projet illustre ainsi parfaitement la volonté d’« activation du tourisme et du patrimoine comme outil d’aménagement de l’espace et de promotion du lieu » dans une « logique de co-constitution du tourisme et du patrimoine » (Lazzaroti, 2003) et d’accélération de l’économie métropolitaine.

Conclusion

40À Rennes, la mise en valeur du patrimoine dépasse un projet de ville lié au tourisme et intègre différents volets tels que la rénovation de l’habitat, la redynamisation commerciale, un élargissement et un rééquilibrage des centralités ainsi qu’une ambition et une visibilité métropolitaine nationale. La question de la gentrification de cet espace est posée par les acteurs mobilisés et légitimement questionnée dans le débat public, sans pour autant se traduire pour l’heure par un renouvellement sociodémographique du centre ancien.  À l’origine, la volonté de préserver le centre ancien découle d’une prise de conscience hygiéniste et sécuritaire indépendante des fréquentations et des projets touristiques. Un basculement s’opère au milieu des années 2000 avec la construction de « Destination Rennes » dans la volonté de renforcer les fonctions métropolitaines supérieures de la ville et d’œuvrer à faire du patrimoine un levier économique pour la ville.

41Ce faisant, dans le contexte de métropoles intermédiaires, le tryptique patrimonialisation / mise en tourisme / gentrification revêt des formes spécifiques. La patrimonialisation alimente ici deux processus qui apparaissent a priori contradictoires. D’une part, la valorisation récente des qualités patrimoniales du centre ancien crée les conditions d’une gentrification du quartier par les pratiques touristiques que les aménagements et l’offre en grands équipements accompagnent, dans le cadre d’une politique de mise en consommation des espaces publics du centre-ville. Cette mise en tourisme du centre ancien s’articule avec la volonté de construire une attractivité sur un temps continu (Ouellet, 2019b) et complémentaire aux usages et usagers habituels - dont les populations étudiantes particulièrement présentes sur le secteur. D’autre part, les configurations spécifiques du secteur sauvegardé et la règlementation qui s’y applique constituent des freins à une recomposition sociale du centre ancien. De ce fait, portée par de nouveaux projets immobiliers, la gentrification se reporte davantage sur les pourtours du centre historique qu’elle ne s’effectue en son cœur. Ainsi, les dispositifs de patrimonialisation mobilisés dans la mise en tourisme du secteur sont autant un levier d’activation qu’un outil de régulation de la gentrification en cours.

NOTES

421Comité Place à Défendre, source : http://place-a-defendre.blogspot.com/p/place-defendre.html

432Tattier P. (2009). Étude sur l’amélioration du bâti du centre ancien de Rennes. Rapport commandé par la Ville de Rennes en 2008.

443Site de la ville de Rennes 08/03/2019 : https://metropole.rennes.fr/rennes-veut-reconquerir-ses-places

454Site de la ville de Rennes, 20/10/2020 : https://metropole.rennes.fr/le-centre-ville-de-rennes-fait-sa-mue

465Extrait de l’entretien retranscrit dans Les Rennais, le magazine de l’information municipale, n° 35, nov-décembre 2017, p.17.

476Projet de révision du PSMV, 2017.

487Comité régional du tourisme de Bretagne, juillet 2017.

498Le musée de l’Ara Pacis à Rome a donné lieu à une valorisation patrimoniale originale en présentant une architecture de type moderniste recouvrant un monument antique en plein centre historique de Rome. Présentée comme une œuvre architecturale remarquable contemporaine, la réalisation conçue par le célèbre architecte Richard Meier a donné lieu à de nombreuses oppositions dénonçant un urbanisme générique et décalé au regard du tissu historique dans lequel il s’insère. Après plus de dix ans de travaux, ce complexe muséal est inauguré en 2006 et est devenu aujourd’hui un des emblèmes des problématiques et enjeux de l’insertion et de la reconnaissance d’une architecture contemporaine dans un paysage urbain historique.

509Pétition de l’association « Les amis du patrimoine rennais » : http://www.amispatrimoinerennais.org/

5110AUDIAR, 2016.

5211Un chiffre à mettre en regard des 22 % de population âgée de 15 à 29 ans au niveau de l’aire urbaine rennaise et des 18 % au niveau de la France métropolitaine. Convention OPAH Renouvellement urbain Rennes Centre Ancien (2016-2021), 2015.

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Pour citer cet article

Solène GAUDIN & Benoit MONTABONE, «Patrimonialisation et/ou gentrification ? De la stratégie de reconquête du centre ancien de Rennes à la production d’une destination touristique», Bulletin de la Société Géographique de Liège [En ligne], 76 (2021/1) - Tourisme et patrimoine dans l'espace urbain : repenser les cohabitations, 69-87 URL : https://popups.uliege.be/0770-7576/index.php?id=6271.

A propos de : Solène GAUDIN

Maîtresse de Conférences en Géographie, Université Rennes 2, CNRS, UMR 6590, solene.gaudin@univ-rennes2.fr

A propos de : Benoit MONTABONE

Maître de Conférences en Géographie, Université Rennes 2, CNRS, UMR 6590, benoit.montabone@univ-rennes2.fr

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