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Stéphanie BOST

Cartographies et balades urbaines : la mise en récit des quartiers populaires par leurs habitants - Retour d’expériences à partir d’un projet de valorisation touristique participative

(76 (2021/1) - Tourisme et patrimoine dans l'espace urbain : repenser les cohabitations)
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Résumé

Notre propos interroge le rôle des récits et des histoires individuelles pour écrire l’histoire collective d’un territoire. En partant d’initiatives françaises, et notamment lilloises, l’objectif de cet article et de mettre en valeur la dimension collective dans la construction d’un récit touristique. Si les habitants des quartiers populaires sont régulièrement mobilisés dans la production d’un récit sur leurs lieux et conditions de vie, il reste peu courant de les impliquer pour construire un propos touristique. Notre analyse souligne l’intérêt de mobiliser les différents modes de vivre un territoire en s’appuyant sur des dispositifs participatifs, dits de co-design, que sont les cartes et balades urbaines. Ces outils invitent ainsi à repenser la fonction du voyage, à envisager de nouvelles formes de tourisme de proximité. En construisant des communautés de valeurs fières de leurs territoires, la démarche ici proposée émet l’hypothèse qu’un tourisme engagé (construit grâce à des approches sensibles, participatives et résolument tournées vers l’altérité) puisse offrir de nouvelles stratégies touristiques en cette période si particulière de notre histoire.

Index de mots-clés : Lille, Marseille, récit territorial, mise en tourisme, quartiers populaires, cartographie participative, cartographie sensible, tourisme de proximité

Abstract

Our purpose is to question the role of individual stories & narratives in writting the collective history of a territory. Starting from French initiatives, and in particular from Lille, we are highlighting the collective dimension in the construction of a tourist history. If the inhabitants of lower-income neighborhoods are regularly mobilized in the production of a story about their places and living conditions, it is still unusual to involve them in constructing a tourist topic. Our analysis underlines the interest of mobilizing the different ways of living in a territory by relying on participatory devices, known as co-design, such as maps and urban walks. Those tools invite us to rethink the function of travel, to consider new forms of local tourism. By building up communities of values, proud of their territories, we can hypothesize that committed tourism (built through sensitive, participatory and resolutely turned towards intercultural approaches) can offer new touristic strategies at this very special era in our history.

Index by keyword : Lille, Marseilles, territorial narrative, strategy of tourism, deprived neighbourhood, participatory mapping, local tourism, sensitive mapping

Introduction

1Alors que les cartes sont régulièrement détournées et que la production de données se fait de plus en plus à l’insu des utilisateurs, nous cherchons à souligner combien ces mêmes outils pourraient favoriser l’implication citoyenne. La cartographie interroge en effet d’autres manières de penser la participation et l’implication citoyenne sur les territoires. L’habitant prend ainsi un rôle dans une action concrète qui était jusqu’alors réservée à une élite, composée de différents corps de métiers, incarnant un savoir pyramidal et patriarcal. Tantôt critiquée, tantôt saluée, cette cartographie dite participative contribue à de nouvelles formes d’appropriation du territoire par les habitants (Charles, 2012 ; Noucher, 2013) et appuie l’idée que les habitants usagers sont en passe de devenir des habitants experts dont le rôle, certes accepté, reste encore à définir. L’enjeu de ces cartes contribuerait donc à une montée en compétences des usagers habitants. Cependant, ces cartes de territoires ne peuvent pas être pensées uniquement à travers le spectre de « l’empowerment » des individus engagés dans le dispositif. Pourraient-elles jouer un rôle dans la construction même du territoire vécu et dans la transmission de celui-ci aux usagers extérieurs (visiteurs et touristes) mais aussi aux décideurs locaux ?

2Notre démarche s’appuie sur un retour d’expériences menées. À partir de ces réalisations, nous aborderons le processus même de construction de cartes : des compétences spécifiques peuvent-elles y être acquises ? Peut-on créer pour ou avec les habitants ? Constituent-elles des supports d’amélioration du cadre de vie ?

3À la lecture de l’exemple lillois, nous verrons comment ces cartes ont façonné la manière de voir et de vivre la ville. Puis nous analyserons comment ces cartes peuvent contribuer à faire émerger une pratique sensible de la ville, facilitant l’apparition d’un tourisme à la croisée entre culture, art de vivre et urbanisme. Enfin, nous verrons comment ces outils peuvent construire d’autres modes de déplacements, voire modeler les représentations des territoires. En cette période de pandémie, nous nous interrogerons plus largement sur la capacité de ces outils de participer à l’émergence d’un post-tourisme de masse ?

I. La construction de la carte : de l’engagement territorial à l’outil identitaire

A. Construire le pouvoir et le savoir local des cartes : le développement de compétences territoriales

4L’association Interphaz1, basée à Lille, a commencé à développer des cartes de territoire dès 2014. Elle s’est d’abord appuyée sur les cartes anglophones USE-IT2, portées par l’effervescence d’une réflexion européenne, permettant à des jeunes de 18 à 30 ans de valoriser leur territoire et de partager les bonnes adresses locales avec les étudiants étrangers et les backpackers en mal d’expériences locales. Initiant la démarche en France, cette carte USE-IT non-commerciale réalisée par des locaux et valorisant les adresses locales, loin des standards des guides touristiques, trouve rapidement son public. Peu soutenue par les pouvoirs publics au démarrage, elle s’est appuyée sur une vision collective portée par des financements participatifs fortement liés à l’idée de défendre une culture locale, une identité, un terroir. Largement plébiscitée en Belgique depuis ses démarrages, elle trouve ainsi en 2014 un premier public et a rapidement le vent en poupe. De nouveaux collectifs s’en emparent très vite dans d’autres cités (Nantes, Metz, Bordeaux), initiant même une première édition dans la capitale, en pleine pandémie sanitaire.

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Figure 1. Couverture de la USE-IT Lille 2019 ©www.interphaz.org

5Forte de cette expérience, l’association Interphaz profite d’un appel à projets initié par la Fondation de France (Démarches participatives) en 2015 pour proposer la mise en œuvre d’un dispositif similaire à l’échelle d’un quartier et non plus de la ville : Cart’ier. Dans la périphérie lilloise, le regard se porte sur le quartier populaire de Fives, marqué par de profondes transformations urbaines, interrogeant le risque de disparition de la mémoire industrielle du territoire, suite au démantèlement d’une friche symbole sur le quartier. La construction de la mise en récit territoriale ne s’appuie donc plus sur les mêmes publics et cherche à construire un rapport au territoire spécifié. Interphaz souhaite ainsi créer une carte touristique de quartier, qui réponde à trois objectifs : rapprocher les habitants de Fives et Hellemmes3 qui se tenaient dos à dos à la grande époque de l’usine Fives-Cail-Babcock4 ; inciter les habitants de la métropole à venir découvrir les richesses de ces quartiers si souvent mal perçus, et offrir un projet rassembleur entre nouveaux et anciens habitants, mettant aussi bien en avant la mémoire industrielle que l’effervescence associative.

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Figure 2. Carte Cart’ier ©www.interphaz.org

6Cette expérience a favorisé l’expression des habitants (Auclair et al., 2018). Renforcée par une démarche inscrite dans la durée (2014-2016), elle a mobilisé plusieurs catégories d’acteurs locaux, mettant en œuvre des cercles d’implication divers (Bost et Mahieu, 2017). Si d’aucuns peuvent critiquer que les compétences développées sont liées aux compétences civiques observables (Talpin, 2007), il n’en demeure pas moins que la carte devient rapidement un outil de satisfaction et de valorisation des habitants, des acteurs et des commerces locaux. Reconnue au niveau national, cette carte permet à Interphaz d’obtenir le Prix du Jury aux Trophées de la Participation et de la Concertation (2017) portés par la Gazette des Communes et l’association Décider ensemble5. Quatre ans après sa réalisation, elle reste mobilisée par le corps enseignant de Fives pour aborder la géographie, la cartographie, la compréhension du territoire et sert comme outil pédagogique dans de multiples ateliers, où l’expression des habitants n’est plus seulement vue au regard de l’implication citoyenne, mais aussi de la construction identitaire, voire touristique du territoire.

7Sur le registre des compétences développées, plusieurs analyses ont pu être menées dans les deux exemples présentés ci-dessus. Outre une meilleure compréhension du territoire, les personnes interrogées ont fait écho d’une meilleure prise de parole en public, de la capacité à prendre part à un projet collectif. Ces compétences font également écho à la création de compétences territoriales. Les personnes impliquées sont devenues des habitants relais de l’effervescence du territoire, porteurs de nouvelles initiatives qui ont pu former, accompagner et mobiliser de nouvelles personnes sur le territoire. L’exemple d’un bénévole impliqué dans Cart’ier et initiant des balades photographiques de son propre chef alors qu’il n’avait jamais osé porter un projet collectif est à ce titre révélateur et contribue à faire le lien entre l’histoire individuelle et l’histoire collective.

B. Le récit habitant dans la construction d’un territoire touristique : du « faire avec » au « faire ensemble »

8L’expérience Cart’ier n’a pas été une simple création cartographique. Elle a également permis de créer des balades urbaines sur Fives, invitant le néophyte à s’imprégner des ambiances de cette terre spécifique. Initiées dans le cadre du processus de construction de la carte, ces balades ont permis de toucher des publics cibles hétéroclites en fonction des thématiques envisagées : patrimoine industriel, l’engagement dans le quartier, les lieux de musique et de fête.

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Figure 3. Balade urbaine du 16 mars 2016, Fives, Projet Cart’ier ©www.interphaz.org

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Figure 4. Balade urbaine du 10 avril 2016 à Fives, Projet Cart’ier ©www.interphaz.org

9En proposant trois itinéraires différents, Interphaz a pu ouvrir des possibles et mettre en avant des histoires concourant ainsi à définir l’Histoire même du quartier. S’appuyant tantôt sur des associations de quartier, tantôt sur des personnalités ayant une histoire spécifique à valoriser, des dizaines de personnes se sont succédées pour écouter les récits de cette ville oubliée, où les bruits des machines de l’usine rythmaient le quartier, où les estaminets pullulaient. L’intérêt de mixer les itinéraires permettait ainsi de mélanger les publics, invitant plus facilement les seniors à replonger dans le passé et les nouveaux habitants à découvrir les lieux de socialisation en construction. Ces balades, gratuites et sur inscription, ont créé une communauté d’usagers sensibles aux spécificités du quartier. Elles ont aussi permis l’apparition d’une entité spécifique : l’habitant-porteur de paroles. Ancrées dans la valorisation du quartier, ces personnes ressources sont ainsi devenues des passeurs de cultures, construisant un rapport spécifique, voire charnel, à leur territoire et invitant le marcheur à la contemplation face à des détails du quotidien. Le marcheur peut ainsi s’approprier les paroles de Sylvain Tesson (2005) : « Grâce à la route, je me suis mis en marche, grâce à la marche, je me maintiens en mouvement et paradoxalement, c’est quand j’avance, devant moi, que tout s’arrête : le temps et l’obscure inquiétude de ne pas le maîtriser ». Comme le rappellent Danièle Laplace-Treyture et Hélène Douence (2020), le passage de la marche individuelle à la promenade collective s’appuie sur l’envie « d’apprentissages collectifs visés ici, et ce, précisément au travers d’un « être ensemble » et d’un « faire ensemble ».

10Cette volonté d’un « faire ensemble » est un préalable aux démarches initiées par Interphaz. Celles-ci se sont également appuyées sur d’autres initiatives portées par l’association, qui, dès 2015, proposait une balade autour des Communes Urbains dans Lille, invitant à développer des itinéraires locaux autour de thématiques de l’Économie Sociale et Solidaire. Cette initiative a rapidement intégré le catalogue des balades proposées par le Centre Régional de Ressources en Développement Durables, avec ses DD Tours6, questionnant ainsi l’idée de découvrir le territoire à travers le regard de nouvelles manières d’entreprendre, de faire, de vivre. S’appuyant sur l’idée que la conception de la balade résonne avec la transition sociétale, ces balades offrent une re-découverte du territoire, de ses usagers, de ses habitants et de ses possibles. « Faire ensemble » pour construire un récit commun et favoriser dès lors l’implication de tous et notamment des plus isolés.

11Forte de ses différentes initiatives, Interphaz a ainsi porté en 2017 une balade à la rencontre des Passeurs de Culture, visant à donner de la voix aux habitants d’origines étrangères installés dans le quartier. Ces passeurs de cultures devenaient alors des ambassadeurs de leur culture, de leur pays. Racontant comment ils étaient arrivés dans le quartier, ils interrogeaient l’hospitalité dont ils avaient bénéficié et pouvaient ainsi partager leurs inquiétudes et leurs souvenirs. Portés par l’initiative, des demandeurs d’asiles, des réfugiés et des personnes parlant à peine français avaient ainsi pu construire un récit sur leur quartier d’adoption, créant une passerelle entre leur histoire vécue et leur histoire à venir sur ce bout de terre. Mus par la rencontre avec l’autre, ils y ont acquis une envie de parler, de transmettre malgré leurs difficultés d’expression orale. Paradoxe de cette expérience réussie : initiée dans le cadre d’un temps fort spécifique dédié aux solidarités internationales, la balade n’a jamais pu être redéployée, faute de financements dédiés. Malgré de nombreux essais via des financements culturels ou en lien avec les dispositifs de la politique de la ville, la proposition n’a jamais été retenue, jugée déconnectée des besoins des populations. Ces balades étaient pourtant de formidables vecteurs de lien social et d’acquisition de compétences pour les publics ainsi positionnés en ambassadeurs de leurs territoires. Nous reprenons ici l’idée de Marc Bonnet (2006) selon laquelle « l’expertise d’usage des habitants serait vouée à une impossible reconnaissance ». Pourtant la parole habitante ne pourrait-elle pas servir un propos pédagogique ? La démarche participative, les approches sensibles, ne peuvent-elles pas favoriser les fondements d’un nouveau tourisme ?

II. L’apparition d’un tourisme sensible : entre parole habitante territorialisée et création pédagogique

A. L’arpentage, une construction identitaire et subjective 

12Partir en voyage reste quelque chose d’existentiel facilitant la prise de recul, permettant de mieux se (re)connaître. Comme le disait Pierre Morand, « le plus beau voyage d’ici-bas, c’est celui qu’on fait l’un vers l’autre ». La (dé)marche du voyageur est dès lors une plongée dans son intimité et dans sa perception du monde. Les projets portés par des structures comme Interphaz à Lille, Hôtel du Nord à Marseille ou Bastina7 en région parisienne proposent des itinéraires sensibles, facilitant la rencontre avec Autrui et invitant à créer entre l’habitant-ambassadeur et l’habitant-voyageur une rencontre, une découverte de pair à pair. L’idée est de construire une communauté, de faire vivre le sens commun et de partager les anecdotes, ressources et récits de ce qui fait l’essence même du lieu visité. La marche renforce ce sentiment d’appartenance et facilite l’acceptation du milieu. Elle contribue au processus de création d’un itinéraire commun dont les jalons sont personnalisés. La mise en récit s’appuie dès lors sur des artefacts qui peuvent faciliter la compréhension, comme les cartes.

13À partir du projet Cart’ier, d’autres cartographies de territoires ont pu voir le jour sur le territoire nordiste. Une carte sensible réalisée avec des jeunes de la Communauté de Communes de Flandre Intérieure (CCFI) a produit le récit de ce que représente l’image même de ces villages pour les jeunes (12-16 ans) qui y vivent. Arpentant les villages, ils ont ainsi construit leurs représentations, sans jamais mettre en avant la route, pourtant si centrale dans les déambulations d’un lieu à l’autre. Oubliant les contraintes prioritaires, ces jeunes participants aux ateliers ont ainsi créé le reflet de leurs vécus territoriaux, de leurs représentations de leurs territoires de vie.

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Figure 5. Carte sensible de la CCFI ©www.interphaz.org

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Figure 6. Présentation de la carte et de la maquette à la CCFI ©www.interphaz.org

14Les cartes participatives ainsi créées contribuent à porter l’idée que la ville puisse être une ressource commune à partager entre citoyens, habitants et touristes. L’arpentage appuie les récits de vie, les récits d’usage revenant sur les pratiques et les déplacements des publics mobilisés. Leurs paroles sont tantôt retranscrites dans la création graphique de la carte, tantôt mises en valeur par les marches exploratoires. L’outil a donc servi à l’expression libre. La carte a libéré la parole des habitants-usagers et la balade a donné voix aux paroles des habitants-ambassadeurs. Ces rendus offerts par la carte nous amènent dès lors à dépasser le rôle traditionnellement laissé à l’outil cartographique. Celle-ci n’est donc plus juste une représentation de la réalité mais tend à devenir un outil d’expression des émotions. Ces autres procédés, ainsi mobilisés, permettent de dépasser ce qu’Olmedo (2019) concède, « Dès le moment où les données sont autre chose que des statistiques ou des quantités, la cartographie contemporaine s’essouffle ». La marche apporte une vie, une réalité sensible à la carte.

15L’arpentage permet ainsi la construction collective de la carte et facilite la création d’un code commun, qui nourrit les habitants et leurs territoires. Ce code, s’il diffère des langages cartographiques traditionnels, n’en demeure pas moins lié par des symboles spécifiques. Elle conserve une légende, une échelle, une représentation qui permet au visiteur de s’approprier l’outil qu’il soit ou non du territoire. Le travail, mené sur la durée avec les publics cibles, diffère en ce sens des productions réalisées par Catherine Jourdan8 qui a l’habitude de venir en résidence sur des territoires dans lesquels elle n’a pas d’accroche, travaillant avec un graphiste sur une courte période et partant des représentations des personnes (conseils citoyens, centres sociaux…) qui vont être posées dans des ateliers très cadrés. La volonté d’Interphaz en ce sens est d’offrir un repère temporel à la construction de la carte, d’y ajouter une dimension plus linéaire, en s’appuyant sur des temps longs, laissant la place à la prise de recul des habitants-usagers. En écho à l’arpentage et à la marche utilisés pour construire la carte, l’outil créé devient dès lors un outil qui se construit dans la durée et permet l’analyse individuelle et des aller-retour personnels et collectifs sur ce qui fait l’identité du territoire.

16Comment pouvons-nous dès lors concilier approche sensible individuelle et portée collective du territoire ?

B. Définir l’approche sensitive et sensible de la ville comme un outil pédagogique ?

17Facilitant la rencontre avec Autrui et invitant à créer entre l’habitant-ambassadeur et l’habitant-voyageur une rencontre, ces itinéraires construisent un rapport sensible avec le territoire. L’idée corrélée est de construire une communauté, de faire vivre le sens commun et de partager les anecdotes, ressources et récits de ce qui fait l’essence même du lieu visité, afin de faciliter le changement d’échelle entre individu et collectif.

18Rapprocher le lointain, éloigner le proche sont des éléments qui contribuent à transformer la géographie réelle pour en faire une géographie émotive. La géographie des émotions tend à s’imposer comme démarche pédagogique, portée notamment par Guinard (2020 ; 2021).

19Se référant aux méthodes de recueil que nous avons largement pu décrire auparavant (marches urbaines, cartes sensibles…), elle met en avant l’idée que la géographie réflexive construit des émotions spécifiques dans la ville et peut conduire à des sentiments de topophilie (attachement au lieu) ou topophobie (dégoût du lieu). Certaines émotions semblent plus spécifiquement liées à l’expression même de leur présence en ville (peur, nostalgie) et contribuent ainsi à faire communauté entre les habitants, favorisant ce que nous avons précédemment abordé au travers du « faire ensemble ».

20Au-delà de cette manière de res-sentir au sens émotionnel du terme la ville, nous avons plutôt tendance à croire que la construction d’une parole commune d’habitants-usagers et d’habitants-ambassadeurs permet l’expression d’un ressenti sensible et sensoriel de la ville. Notre approche s’appuie plus sur les sens. L’idée est d’insister sur les manières de vivre la ville au contact de l’autre, sans pour autant vivre l’émotion de rencontrer l’autre, mais bien au travers du prisme de pres-sentir ce qui fait la ville. Nos émotions sont moins sollicitées que nos sens et il convient de leur redonner une disposition toute spécifique pour construire ce langage commun auquel nous faisions référence précédemment.

21À ce titre, les expériences menées pour Interphaz depuis 2015 au travers d’une formation civique et citoyenne pour les jeunes en Service Civique sur la fabrique de la ville sont riches d’enseignement.

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Figure 7. Formation civique et citoyenne, La Fabrique de la ville – 15 mai 2017, Lille ©www.interphaz.org

22Proposées sur deux journées, ces formations permettent à des jeunes en service civique, tant de s’interroger sur la construction de la ville, que de s’approprier l’approche sensible et participative de la ville. Organisés en groupes de 3 à 5, ils partent découvrir le territoire autour de la salle de formation et n’ont qu’une contrainte : ne mobiliser qu’un seul de leurs cinq sens qu’ils choisissent avant de partir. Les groupes ainsi formés, peuvent, en fonction du nombre de groupes, mobiliser jusqu’à 5 sens durant cette balade sans guide, qui les laisse arpenter sans préfiguration le territoire où ils sont en train d’intervenir. Munis de stylos, de carnets, de smartphones pour les enregistrements de sons, ils partent 2 heures et reviennent ensemble préparer les restitutions qu’ils souhaitent partager avec le reste du groupe. Certains jeunes vivent le territoire, d’autres le découvrent mais tous redécouvrent leurs approches sensorielles, surtout lorsqu’il s’agit de travailler l’odorat ou le goût, les deux sens qui paraissent les moins faciles à mobiliser. Les restitutions qui s’en suivent sont passionnantes et permettent aux groupes de se saisir de leur créativité pour rendre compte de ce qu’ils ont vécu, expérimenté et ressenti en se baladant ainsi sur ce bout de ville. Les restitutions sont l’occasion d’un travail collectif, d’une réelle participation et d’une envie de transmettre à leurs camarades. Il en ressort des moments de joie réelle, qui créent dès lors des émotions quant à leur perçu sur la ville. Ces restitutions construites en quelques heures, deviennent tantôt des maquettes tissées de fils, de bouchons, de pâtes à modeler ; tantôt des morceaux de matières glanées à même le sol ; ou encore des sons enregistrés et construisant un plateau de jeu où les autres groupes sont sollicités pour reconnaître tel ou tel bruit. La ville sensorielle s’exprime et crée alors un langage corporel qui constitue également une réelle matière pédagogique. À l’image des promenades sensorielles proposées par les professeurs de Paris et Bruxelles, nous pouvons donc admettre qu’ « En tant que dispositif pédagogique, la balade sensorielle est une invitation à la co-construction de la connaissance et à l’engagement participatif », (Gélard, Gosselain, Legrain, 2016).

23Cette création ainsi révélée offre dès lors une sensibilité ouverte à la construction du récit sur la ville. Les jeunes, venus d’horizons très divers et souvent néophytes des approches urbaines, découvrent dès lors qu’ils sont les véhicules d’un langage urbain et qu’ils peuvent s’exprimer sur la compréhension de leurs villes. Utiliser leur créativité et offrir ainsi un mode de pensée partagé sur la construction même de la ville les invite à se penser comme de futurs habitants-ambassadeurs et non plus seulement comme des utilisateurs de la ville. Convaincus qu’ils ont dès lors dépassé leurs craintes et appréhensions sur le récit urbain, ils en deviennent des constructeurs. Cette approche permet ainsi, dans une logique d’éducation populaire, d’ouvrir le regard sur le faire la ville et d’intégrer des populations éloignées de ces réflexions. Le je devient nous ; le jeu devient objet de connaissance et de reconnaissance collective. Il reste désormais à construire, à partir de ces représentations sensorielles, une analyse plus conséquente permettant d’offrir une visite spécifique à tous les curieux intéressés par l’idée de découvrir la ville par ses odeurs ou par son toucher. La démarche ouvre un regard sensoriel sur le tourisme urbain et contribue à nourrir ce tourisme annoncé comme étant celui du « monde d’après ». Alors que notre seul sens en mouvement reste la vue, il nous reste à regagner la confiance de nos psychés et à ré-écrire des symboles, porteurs de valeurs humaines. En cette période si étrange où la parole et le geste ne peuvent plus se rencontrer, ces nouveaux usages peuvent contribuer à offrir de nouveaux modes de déplacements, de nouveaux modes de penser le tourisme de proximité, face aux réalités post-covid19. Peut-on en prédire un nouveau modèle touristique ?

III. Les cartes et leurs usages : déplacements et évolution des rôles dans les transitions post-Covid 19

A. Parcours, sentiers et itinéraires : un modèle en phase de maturation ?

24L’exemple lillois de balades et autres dispositifs s’est développé de manière très localisée, sans lien à un réseau national. Les relations se sont essentiellement tissées dans des partenariats transfrontaliers, sans lien avec des acteurs nationaux. La spécificité de ces actions transdisciplinaires, au croisement entre action culturelle, éducation populaire et appropriation urbaine ne trouvait pas sa place dans des réseaux existants. L’action ne pouvait en effet par rentrer dans les cases des appels à projets et des financeurs traditionnels. La flexibilité de financements via des fondations ou des appels à projets européens ont permis l’émergence d’idées similaires dans plusieurs lieux de manière concomitante, sans pour autant générer de mise en réseaux de ces initiatives. Lille a développé une offre culturelle riche portée par la société civile, notamment suite à l’obtention du label de Capitale européenne de la culture en 2004, qui a inspiré et porté l’émergence de projets comme ceux décrits plus hauts. Dans la continuité, face à une nouvelle place dévolue aux projets collectifs et à l’envie de plus de démocratie participative, plusieurs projets similaires ont peu à peu vu le jour dans d’autres régions de France.

25L’analyse permet de rapprocher cette démarche d’un mouvement général, qui porte peu à peu ses fruits dans de multiples territoires urbains. Particulièrement bien décrit par Danièle Laplace-Treyture et Hélène Douence, ce mouvement a démarré dans les années 1950, alors porté par les acteurs de l’éducation populaire tels que les Maisons des Jeunes et de la Culture (MJC), les Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural (CIVAM) ou encore les Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE). Suit une deuxième étape, dans les années 2000, où de nouveaux acteurs se déploient autour de ces idées de balades, laissant les pionniers s’engager dans les thématiques environnementales. Le milieu des années 2010 voit l’émergence de collectifs qui mélangent formes artistiques et déambulations. Mis sur le devant de la scène par les développements autour des sentiers du Grand-Paris9, plusieurs autres territoires ont utilisé la marche et la carte pour accompagner déplacements et réflexions territoriales. La spécificité jacobine française peine à croire que les innovations sont pourtant parties des territoires décentralisés, entrainés par une volonté de voir plus de mouvements citoyens engagés dans des démarches touristiques de proximité.

26Marseille, investie à son tour de Capitale européenne de la culture en 2013, en est un exemple significatif. Profitant de cette opportunité, plusieurs mouvements collectifs se sont structurés sur la ville pour donner un autre regard à la programmation de la capitale européenne 2013. Le travail en réseau se structure : les initiatives s’organisent localement. La dynamique marseillaise s’appuie sur un fort engagement et un attachement aux spécificités de la ville, qui jouit d’une image souvent pernicieuse, comme le souligne Maisetti (2014).

27Les démarches initiées à Lille pourraient laisser espérer des développements similaires. Cependant, les démarches territoriales manquent de concertation. D’autres projets de balades existent, à l’image du projet porté par une dizaine de chercheurs avec la piste de Likoto10, prémices d’un itinéraire entre Lille, Tournai et Kortrijk dans l’Eurométropole, le long de la Lys. Créé sur 2017-2018, ce projet n’a pas eu écho des démarches associatives, ce qui a eu pour conséquence de limiter l’impact de ces deux actions. Divisées, ces propositions n’ont ainsi pas pu intégrer les priorités culturelles de la ville de Lille ou de la métropole.

28De son côté, l’initiative marseillaise favorise le lancement, par un collectif « d’artistes-marcheurs », d’un chemin de Grande Randonnée (GR) : le GR®2013. Un bureau des guides voit rapidement le jour autour de personnalités engagées pour Marseille : artistes, marcheurs, architectes, éditeurs. Tous ont en commun une volonté : construire « un récit commun (…) la création d’outils d’explorations collaboratifs et à l’émergence de nouvelles formes de coopération par la marche, avec la volonté de contribuer au devenir écologique de ce milieu et à sa meilleure perception comme un bien commun »11. Parmi les artistes marcheurs, Hendrik Sturm, artiste allemand installé à Marseille depuis les années 90, résume sa démarche en ces quelques mots : « Je ne marche pas comme le fou voyageur, je ne recherche pas l’épuisement, même si ça peut arriver. Parfois, on n’a plus envie de s’arrêter de marcher, alors c’est la nuit qui nous arrête. Mais il est aussi possible de faire une marche significative qui ne dure que cinq minutes. Dans mon cas, la marche est aussi une méthode d’étude. Je la pratique moins comme pratique spirituelle que comme outil de découverte, méthodologie d’enquête – lecture de traces »12.

29Cet itinéraire créé, offre un autre panorama sur cette ville immense, invitant les habitants et les visiteurs à mieux comprendre Marseille par ses banlieues, par ses zones commerciales, par ses alentours. Sur un circuit de 365 km, chacun peut (re)découvrir la cité phocéenne et apprendre à serpenter autour, se perdant ainsi dans l’une des 38 communes alentour ; un parcours pour mieux comprendre l’histoire, le présent et le futur de ce territoire si vaste. Les publics-cibles attendus sont à la croisée entre touristes et habitants en mal de découvrir l’envers du décor. En somme, l’idée est d’offrir une aventure différente, atypique au touriste ou à l’habitant, qui attendent de vivre quelque chose d’original et de se démarquer des autres voyageurs (Réau, 2016). Cet exemple marseillais permet de souligner combien ce tourisme de proximité propose une alternative, un autre regard, une parole critique sur l’injonction à vivre la ville produite par le consumérisme et l’action, aujourd’hui incarnée dans la ville des industries créatives sans rapport au territoire, sans rapport à l’humain. En proposant une action comme celle-ci sur la programmation de l’événement « Capitale européenne de la culture 2013 », l’idée était de mettre en avant le citoyen, l’habitant. Renforcé par la création en 2011 d’une coopérative touristique Hôtel du Nord13, permettant l’hébergement chez l’habitant dans les quartiers nord de Marseille, ce GR a donc marqué une profonde transformation dans la perception d’un Marseille touristiquement alternatif, en décalage des propositions municipales portées pour 2013. Plus largement, cette démarche autour des quartiers nord et Hôtel du Nord ouvre de nombreuses réflexions, en atteste le travail de recherche doctorale réalisé par Hascoët (2016). L’expérience vécue semble attirer de nombreux touristes en recherche d’une « frange » touristique méconnue, a priori et traditionnellement dans l’ombre de la géographie touristique (Lefort et Hascoët, 2018).

B. La révélation d’un tourisme de proximité : l’ouverture des métropoles vers leurs péri-urbanités ?

30Le tourisme n’est plus central, il ouvre ainsi les yeux vers la proximité, il s’insère dans un rapport rivé vers une péri-urbanité.

31D’une part ce non-urbain renvoie à un objectif de rapprocher nature et culture en développant des balades dans des espaces moins minéraux. Les itinéraires valorisent ainsi rives, chemins de halage ou autres circuits en bord d’eau. Misant sur l’expérience et l’authenticité, les balades urbaines renforcent également la place des mobilités douces dans les territoires urbains, tout en favorisant des loisirs orientés vers le bien-être des populations locales. En pariant sur la marche ou le vélo, ces balades contribuent à faire parler une ville plus proche des habitants et permettent de faire connaître des initiatives spécifiques, à l’instar de l’outil participatif de mesure du ressenti créé pour évaluer les modes de déplacements doux tel que le baromètre des villes cyclables ou celui des villes marchables14. Sensibles à ces enjeux de proximité, infléchies aux réflexions naturalistes, plusieurs communes s’engagent désormais aux côtés d’acteurs locaux pour soutenir des itinéraires valorisant des espaces naturels, propices à la balade, là où pendant longtemps elles appuyaient les hordes touristiques pour des raisons économiques. Comme l’évoque Miaux « la nature fait de la promenade un espace « à part » dans la ville ; offrant une pause aux citadins, elle leur donne l’occasion de s’éloigner du « rythme frénétique » de l’espace urbain » (2019).

32D’autre part, les balades urbaines ouvrent des champs inconnus à partir de lieux communs, sur des espaces connus en les transformant en lieux de découverte. En d’autres termes, « cette implication de la société civile et, plus largement, la mise en tourisme des lieux ordinaires et la diversification des enclaves touristiques participeraient à une dé-différenciation des sphères touristiques et non-touristiques, du quotidien et du hors-quotidien, caractéristique de la nouvelle ère post-touristique (…) Il s’agit de faire de l’extra-ordinaire à partir de l’ordinaire » (Condevaux et al., 2013). Les sentiers métropolitains constituent des initiatives intéressantes, qui tentent de changer d’échelle actuellement. La candidature des banlieues parisiennes à la future Capitale Européenne de la Culture française (2028) résumée sous l’intitulé « Banlieue, capitale européenne de la culture » corrobore cette idée que la culture et le tourisme vont de pair pour construire un nouvel objet de découverte urbaine, loin des formes de tourisme traditionnelles. Invitant à la (re)découverte de ces territoires, ces démarches concourent à dévoiler un territoire moins urbain, moins dense et valorisent l’oublier. Elles interrogent sur la coexistence entre les balades traditionnelles portées par les Offices de Tourisme, les produits spécifiques tournés vers des découvertes ciblées (des balades street-art, en passant par des balades gastronomiques, ou des balades sensibilisant à l’artisanat…) dans le centre-ville, et les balades urbaines développées avec les habitants dans les faubourgs. Elles apparaissent comme des alternatives pour lutter contre les orientations d’une métropole créative, ainsi que l’évoquent Cousin et al. (2015) en évoquant Plaine Commune. Insistant sur la mise en réseau entre acteurs associatifs, ils mettent en avant l’idée de construire des contre-produits à l’industrie créative, valorisant le « patrimoine de banlieue », comme la mise en avant des cités jardins de Stains portée par des acteurs de la société civile. Ces initiatives portées par les citoyens s’inscrivent dès lors « dans un brouillage des frontières entre le public et le militant. Elles relèvent de l’alter-marchand : l’hybridation entre politiques patrimoniales et touristiques d’une part, économie sociale et solidaire d’autre part ». Cet alter-marchand doit cependant trouver un équilibre financier et proposer des montages, souvent liés à des organisations portées par l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), à l’exemple de la Société Coopérative Ouvrière de Production (SCOP) ou encore de la Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). Plusieurs exemples commencent à se structurer, notamment au travers du réseau Les oiseaux de passage15. Ce tourisme de proximité met en valeur l’expérience humaine, tout en introduisant une idée de solidarité au territoire, d’implication citoyenne, que ne proposent évidemment pas les plates-formes touristiques des années 2000 qui recherchent avant tout le profit. L’idée n’est pas de créer un projet lucratif mais de proposer une solution territoriale qui soit rentable et permette d’apporter une réponse aux voyageurs, les reliant ainsi « à des communautés d’hôtes » (Wanner, 2019).

33Les conditions sanitaires actuelles apparaissent comme une opportunité pour découvrir et développer ce tourisme de proximité. Comme le revendique la revue Espaces&Tourisme (2020), cette crise peut espérer voir un « tourisme porteur d’humanité ». Elle peut aussi libérer nos imaginaires et ainsi ouvrir des perspectives pour porter des initiatives originales qui nous permettront de sortir des tendances actuelles, où 5 % des lieux de tourisme dans le monde sont fréquentés par 85 % du tourisme mondial (Urbain, 2020), et renforcer l’idée d’un voyage « au coin de la rue ». L’idée est dès lors d’accompagner l’habitant à devenir un habitant-ethnologue qui pose un regard neuf sur le monde dans lequel il vit, appréhendant ce qui l’entoure comme étrange, voire étranger, corroborant l’infusion de l’extraordinaire dans l’ordinaire et associant subséquemment extraordinaire et ordinaire comme deux catégories conjointes (Cominelli et al., 2018). La parole habitante, l’arpentage, les cartes construisent ainsi une nouvelle forme de tourisme. Ces outils deviennent alors des remparts contre la monotonie du tourisme de masse ou une ouverture culturelle en cette période où les frontières se sont tant refermées et contribuent à faire espérer une autre ère.

Conclusion

34La construction de cartes participatives sur un territoire est souvent vue comme un outil de participation des habitants pour « faire avec » eux la ville. Nous avons essayé de prouver combien ces démarches permettent de sortir du « faire avec » pour s’insérer dans le « faire ensemble ». Elles s’appuient sur des dispositifs de mobilisation de la parole et d’expression des ressentis individuels qui créent un discours commun. Cette histoire collective propre au territoire, quelle que soit son échelle, va ainsi produire des codes, des représentations et va trouver dans la carte une mise en récit propre au groupe mobilisé. Elle pourrait faciliter l’appropriation de tous pour devenir un outil de construction et de valorisation du territoire, facilitant l’autonomie, y compris économique grâce à l’invention de procédés alternatifs et innovants. Comme évoqué, nous assistons à une phase de maturation du processus, qui nécessitera cependant encore du temps pour changer d’échelle.

35En somme, notre propos souligne combien les récits façonnent une autre manière de penser le tourisme. Insistant sur l’idée que le voyage commence au bout de la rue, nous souhaitons rappeler à quel point la compréhension du monde commence par la compréhension de l’autre et la prise de recul sur soi. Arpenter pour mieux appréhender, décrire pour mieux ressentir. Le rapport à la langue, à l’expression sont des moyens qui renvoient à des signifiants aujourd’hui trop laissés de côté : l’image ayant véhiculé la plupart de nos attentes en termes de voyages, comme en termes de construction sociétale. Pourtant, face à la pandémie, nous avons besoin de retrouver, de reconstruire de l’altérité. Il nous reste à produire des récits collectifs pour sortir des excès dans lesquels le consumérisme nous a consommés. L’objectif n’est dès lors plus de « faire » un pays, une ville, mais d’y découvrir les autres visages qui font ce territoire, qui le façonnent, le modèlent et offrent ainsi le sentiment de faire partie d’un tout. En répondant à ces nouvelles manières de faire, nous serons alors en mesure de construire des modèles qui contribueront à penser le tourisme comme un outil au service du bien commun territorial.

Notes

361Stéphanie Bost a créé (2007) et dirigé l’association Interphaz (depuis 2015) basée à Lille, qui conçoit, stimule et valorise des initiatives collectives et citoyennes pour construire en commun les territoires. www.interphaz.org

37Interphaz développe de nombreux projets sur le territoire des Hauts-de-France à la jonction entre appropriation spatiale et enjeux européens, facilitant l’implication citoyenne (notamment dans les quartiers prioritaires ou avec les publics jeunes) et une démarche engagée. Plusieurs projets récurrents ont désormais un impact local : la Biennale de Cartographie (initié en 2018), le Festival des Voyageurs Alternatifs (initié en 2016), ou encore la coordination avec de multiples acteurs locaux de la Fête de l’Europe ou de Parking Day.

38Stéphanie Bost est désormais indépendante à Montpellier et développe des actions dans la même dynamique. Elle a rejoint, comme correspondante locale, Rue de l’Avenir (association qui contribue à transmettre aux générations futures une ville plus sûre, plus solidaire et plus agréable à vivre), https://www.ruedelavenir.com/

392Réseau européen de cartes touristiques gratuites et alternatives pour un public 18-35 ans, https://www.use-it.travel/home

40Interphaz a été la première structure en France à développer les cartes en France.

413Commune associée à Lille, constituant une spécificité du territoire et pouvant être comparée à un quartier contigu.

424Pour découvrir l’histoire exceptionnelle de ce site : https://fivescail-lille-hellemmes.fr/histoire/

435https://www.deciderensemble.com/page/122275-les-trophees-edition-2017

446http://www.cerdd.org/Les-services-du-Cerdd/DDTour-voyages-en-terre-de-transitions

457http://www.bastina.fr/

468http://www.geographiesubjective.org/

479https://www.societedugrandparis.fr/gpe/actualite/randonnees-urbaines-le-grand-paris-express-chemin-faisant-3047

4810https://la-piste-de-likoto.org/

4911Site internet du Bureau des Guides : https://www.gr2013.fr/

5012Ibid.

5113https://www.hoteldunord.coop/

5214Baromètre réalisé par le collectif Place aux Piétons (http://placeauxpietons.fr) regroupant la Fédération Française de Randonnée, Rue de l’Avenir et 60 millions de piétons et ayant reçu plus de 60 000 réponses.

5315www.lesoiseauxdepassage.coop

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Om dit artikel te citeren:

Stéphanie BOST, «Cartographies et balades urbaines : la mise en récit des quartiers populaires par leurs habitants - Retour d’expériences à partir d’un projet de valorisation touristique participative», Bulletin de la Société Géographique de Liège [En ligne], 76 (2021/1) - Tourisme et patrimoine dans l'espace urbain : repenser les cohabitations, 207-219 URL : https://popups.uliege.be/0770-7576/index.php?id=6404.

Over : Stéphanie BOST

Directrice et fondatrice de l’Association Interphaz, Indépendante, Correspondante locale bénévole Rue de l’Avenir – Montpellier, stephanie.bost@interphaz.org

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