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Dynamique d'urbanisation et thermographies satellitaires en milieu méditerranéen : le cas du grand Casablanca (Maroc)
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L’étude diachronique des températures de surface (Ts) prises pendant la saison chaude par situation anticyclonique radiative (temps clair et calme) est réalisée dans l’aire métropolitaine de Casablanca à l’aide d’une série d’images infrarouges thermiques Landsat multi-dates sur la période 1984-2019. Les thermographies obtenues sont alors analysées pour évaluer les gradients thermiques de jour comme de nuit au sein de ce territoire côtier densément peuplé. Les résultats obtenus montrent l’existence en fin de matinée, d’îlots de fraîcheur urbains au niveau du sol (IFUs) couvrant les villes de Casablanca et de Mohammedia. La nuit, ces IFUs se muent en îlots de chaleur urbains au niveau du sol (ICUs), les Ts étant alors plus faibles dans l’intérieur des terres par rapport à celles de la conurbation littorale. Par ailleurs, sur la période 1984-2019, une bonne concordance entre l’évolution spatio-temporelle des surfaces chaudes et celle des espaces urbanisés est établie en journée.
Abstract
The diachronic study of the surface temperatures (Ts) taken during the warm season in anticyclonic radiative weather is carried out in the Casablanca metropolitan area using a series of infrared thermal multi-dates Landsat images over the 1984-2019 period. The thermographs obtained are then analyzed to assess the day and night thermal gradients within this coastal and densely populated area. The results obtained show the existence, at the end of the morning, of surface urban cool islands (UCIs) covering the cities of Casablanca and Mohammedia. At night, this UCIs turns into surface urban heat island (UHIs), the Ts being lower inland than those in the coastal conurbation. Moreover, over the 1984-2019 period, a good concordance between the spatio-temporal evolution of warm surfaces and that of urbanized spaces is established during the day.
Inhoudstafel
Introduction
1Le processus d’urbanisation, qui se traduit par la conversion d’espaces naturels en parois horizontales et verticales ainsi qu’en surfaces rugueuses et imperméables, est à l’origine d’une mosaïque de micro-climats. Cette diversité climatique du milieu urbain se manifeste surtout par temps calme et fortement radiatif. Du point de vue de la température de surface (Ts), l’aire urbaine se présente alors comme un territoire archipel où se côtoient îlots de chaleur et îlots de fraîcheur (au niveau du sol, de la couche de canopée urbaine et de la couche-limite atmosphérique) selon le moment de la journée ou de la nuit, la répartition des zones ombrées et ensoleillées, la présence ou non de végétation ou encore selon les écoulements d’air liés aux gradients thermiques (Briche et al., 2017). Outre les contrastes de température existant dans le tissu urbain, des écarts de température importants s’observent également entre les centres urbains et leur environnement rural, les plus grands écarts étant généralement observés, pour la température de l’air, après le coucher du soleil et pendant la nuit (Roth et al., 1989).
2Dans de nombreuses régions de la rive sud du bassin méditerranéen, une influence plus ou moins marquée du Sahara et de l’aridité se font sentir. Or, dans les environnements semi-arides, les conditions climatiques et les modifications de l’occupation du sol causées par les activités humaines (présence de sols nus et asséchés) peuvent paradoxalement rendre l’espace urbain globalement plus frais que le milieu rural à la surface du sol, en particulier pendant la saison chaude et sèche. Les auteurs ayant travaillé sur le sujet qualifient ce phénomène d’Îlot de Fraîcheur Urbain (IFU) ou Urban Cool Island (voir par exemple Lazzarini et al., 2013) et le caractérise généralement en températures de surface terrestre (Land Surface Temperature ou LST en anglais).
3Notre étude, centrée sur le Grand Casablanca au Maroc, cherche précisément à étudier les interactions pouvant exister entre la variabilité des températures de surface (Ts) prises pendant la saison chaude et sèche et la dynamique d’urbanisation de cette aire métropolitaine depuis le début des années 1980. Notre objectif est de télédétecter l’impact des mutations urbaines (étalement urbain, types d’habitat, projet de réaménagement) sur les îlots de chaleur au niveau du sol, par situation anticyclonique radiative (temps clair et calme), de manière à évaluer la progression des espaces à forte contrainte thermique et leur dynamique spatiale sur un cycle journalier. Nous nous appuyons pour cela sur les données thermiques infrarouges issues des images Landsat 5 TM et 8 OLI/TIRS disponibles entre 1984 et 2019.
I. Présentation de la zone d’étude
A. Principaux traits géographiques et climatiques
4La métropole du Grand Casablanca est située dans le centre-ouest du Maroc sur la côte atlantique (latitude 33° 35’ 17’’ N, longitude -7° 36’ 40’’ O). Formée par les villes de Casablanca et Mohammedia et les deux provinces de Nouaceur et Médiouna, elle constitue la plus grande métropole du territoire marocain et s’étend sur environ 50 km de littoral au sein d’une conurbation atlantique allant de El Jadida au sud à Kenitra au nord (Troin, 2011). La métropole du Grand Casablanca est la capitale économique du Maroc, avec une population estimée à 4,27 millions d’habitants (HCP, 2014) pour une superficie de 1 227 km² (Figure 1). Elle est l’un des principaux pôles d’activité agricole du pays du fait de sa situation dans la plaine de la Chaouia, véritable « grenier à blé » du Maroc (Asslouj et al., 2007). Le Conseil Général du Développement Agricole (2009) classe le territoire du Grand Casablanca dans l’agro-système de type bour favorable des plaines et plateaux.
Figure 1. Cartes du Grand Casablanca à l’échelle nationale et à l’échelle régionale (découpage en provinces)
5Sur le plan climatique, le territoire du Grand Casablanca se caractérise par un climat de type méditerranéen de façade océanique, de notation Csa selon la classification de Köppen-Geiger (Peel et al., 2007). À l’échelle régionale, son climat est contrasté (Figure 2) : dans sa partie nord, il est influencé par les courants marins, les étés sont chauds et secs, les hivers doux et humides. La brise terre-mer, phénomène de beau temps, est fréquente l’été. Dans la partie sud du territoire, le climat est de type semi-aride inférieur avec une influence saharienne (Sebbar et al., 2012). Ainsi, la pluviométrie est décroissante du nord au sud, à mesure que l’aridité augmente (Figure 2).
6La température annuelle moyenne s’élève à 17,8°C et le total pluviométrique annuel moyen est de l’ordre de 430 mm. Au mois d’août, la température moyenne est de 23,3°C, ce qui en fait le mois le plus chaud de l’année. À l’opposé, le mois de janvier présente une température moyenne de 12,4°C, ce qui en fait le mois le plus frais de l’année.
Figure 2. Climats de la partie centrale du Maroc (d’après Sebbar et al., 2012) et délimitation du Grand Casablanca (trait noir épais)
B. Dynamique d’urbanisation depuis un siècle
7Historiquement, le noyau urbain du Grand Casablanca se situe dans l’enceinte de la Médina. À partir de la période du protectorat français (1912-1956), la Médina côtoie des quartiers européens créés durant cette période. Au-delà de leurs différences architecturales avec la Médina, ceux-ci traduisent une rupture brutale, à la fois géographique et spatiale (Gadal, 2005). Dans ce contexte, Casablanca a été un foyer d’immigration intense composée de bourgeois marocains, d’hommes d’affaires, de colons européens et de paysans. En plus de créer une dichotomie entre ville ancienne et quartiers européens, l’immigration a induit une explosion démographique qui s’est accompagnée d’une pénurie de logements. Cette pénurie a provoqué l’extension anarchique des terrains bâtis au détriment des espaces périphériques agricoles et l’apparition de nouveaux quartiers d'habitat informel et de bidonvilles. Après l’indépendance, les bidonvilles ont pris l’ascendant dans les parties est et sud de la ville (lieu de concentration de la population rurale) et n’ont fait que multiplier les processus de fragmentation et de ségrégation socio-spatiale (Gadal, 2005 ; Hassani, 2017).
8Pendant les années 1980, afin de résoudre le problème des bidonvilles à Casablanca, les collectivités territoriales ont mis en place les premiers grands projets destinés à lutter contre l’habitat informel et à résoudre la crise du logement. Ceux-ci ont cependant échoué à enrayer le développement urbain anarchique vers le nord-est, le sud et le sud-ouest. Grâce à une classification supervisée des images Landsat 5 TM et 8 OLI disponibles en 1984, 1995, 2011 et 2019, nous avons réussi à produire une cartographie diachronique du tissu urbain du Grand Casablanca (Figure 3). Cette cartographie a été validée d’une part, par comparaison aux images aériennes de Google satellite, et d’autre part, par comparaison et vérification des pixels des cartes de classification avec les pixels des images brutes (Hassani, 2017).
Figure 3. Évolution des espaces urbanisés du Grand Casablanca entre 1984 et 2019 et liste des communes
9La Figure 3 montre qu’en 1984, les zones bâties étaient principalement concentrées dans les provinces de Casablanca et de Mohammedia (voir la Figure 1 pour leur localisation). Un peu plus de dix ans après, en 1995, on constate que les zones urbaines périphériques poursuivent leur étalement. Celui-ci est fortement lié à l’exode rural, à la croissance démographique, et à l’arrivée de réfugiés (Bahi et al., 2016 ; Nassori, 2017). En outre, l’extension du port de Casablanca a eu lieu pendant cette période. De nouveaux pôles urbains secondaires tels que Tit Mellil, Lahraouiyine, Tamris et Nouvelle Arrhma (commune de Dar Bouazza) sont également apparus. Ce sont des moteurs de l’expansion urbaine de la métropole. Ces pôles résultent du processus de déconcentration de l’habitat et des populations de la ville de Casablanca qui se manifeste par une dynamique de relocalisation des populations du centre de l’agglomération vers sa périphérie immédiate. Ensuite, entre 1995 et 2011, on constate un réaménagement au niveau de certains espaces occupés par un habitat insalubre après le lancement en 1994 par le Roi Hassan II du programme national des 200 000 logements sociaux construits pour favoriser l’accès des ménages à faibles revenus à la propriété privée. Ce programme est complété en 2004 par le programme « ville sans bidonvilles » destiné à réguler ces espaces urbains et à les intégrer dans une société urbaine moderne. Ainsi, les grands bidonvilles comme ceux de Hay Mohammadi, Hay Hassani, Ben M’sik sont rasés et remplacés par des cités et des lotissements. Enfin, en 2019, les zones et les pôles urbains périphériques poursuivent toujours leur étalement et leur densification (Figure 3).
10À partir des images satellitales classifiées, nous avons déterminé l’évolution du taux d’urbanisation du Grand Casablanca au cours des trois dernières décennies (Figure 4). Il s’élevait à moins de 15 % (177 km²) au début des années 1980 pour atteindre aujourd’hui près de 24 % (295 km²). Cela confirme l’analyse visuelle effectuée à partir de la carte de la Figure 3. Compte-tenu des effets de l’urbanisation sur les états de surface et leur géométrie (imperméabilisation, artificialisation, érection d’un relief, etc.), on peut s’attendre à ce que les mutations urbaines du territoire du Grand Casablanca depuis le début des années 1980 aient eu un impact fort sur la réponse en températures de surface pendant la saison chaude, a fortiori par type de temps radiatif, lorsque le bilan radiatif est très excédentaire en journée.
Figure 4. Évolution du taux d’urbanisation du Grand Casablanca de 1984 à 2019 (données Landsat)
II. Détection et cartographie des températures de surface
A. Les données Landsat
11Notre choix s’est porté sur les données infrarouges thermiques (IRT) Landsat multi-dates acquises par les satellites Landsat TM 5 et OLI/TIRS 8 de la NASA. Celles-ci offrent une opportunité unique de suivre les Ts à une large échelle, avec une fréquence temporelle relativement faible (tous les 16 jours pour le satellite Landsat) mais suffisante pour caractériser une évolution interannuelle. Elles disposent d'une résolution spatiale relativement précise (120 m et 100 m respectivement).
12Ces images nous ont permis d’estimer l’émissivité, les Ts en journée et de nuit, ainsi que l’indice de végétation par différence normalisée (Normalized Difference Vegetation Index ou NDVI). Les images satellitales ont été téléchargées sur le site de l’USGS (United States Geological Survey) à partir du portail internet http://earthexplorer.usgs.gov. Seules les images ayant une couverture nuageuse inférieure à 10 % ont été retenues, soit celles correspondant aux étés 1984, 1995, 2011, 2015 et 2019 (Tableau 1). En journée, l’échantillon d’images est composé d’images enregistrées dans des conditions météorologiques similaires (Tableau 2).
Capteur |
Date d’acquisition |
Heure d’acquisition (UTC) |
Résolution spatiale de la bande IRT (m) |
Séquence |
Landsat TM |
25/08/1984 |
10h40 |
120 |
jour |
Landsat TM |
21/06/1995 |
10h40 |
120 |
jour |
Landsat TM |
04/08/2011 |
10h40 |
120 |
jour |
Landsat OLI/TIRS |
17/06/2015 |
22h22 |
100 |
nuit |
Landsat OLI/TIRS |
07/06/2019 |
11h03 |
100 |
jour |
Tableau 1. Caractéristiques des images Landsat multi-dates utilisées dans cette étude
Jour |
Température de l’air (°C) |
HR (%) |
Vent moyen (km/h) |
Direction du vent |
Pression (hPa) |
25/08/1984 |
23,2 |
89 |
10 |
360 |
1015,6 |
21/06/1995 |
22,5 |
81 |
9 |
360 |
1016,5 |
04/08/2011 |
23,0 |
74 |
11 |
360 |
1018,0 |
17/06/2015 |
21,0 |
85 |
6 |
360 |
1014,0 |
07/06/2019 |
22,5 |
50 |
26 |
20 |
1018,0 |
Tableau 2. Données météorologiques (moyennes horaires) au moment du passage des satellites (source : Direction Nationale de la Météorologie de Casablanca)
B. Les données météorologiques
13L’algorithme permettant d’estimer les Ts requiert la connaissance des valeurs de température de l’air, d’humidité relative et de pression atmosphérique à l’heure de passage des satellites. Dans cette optique, les données horaires de la station météorologique de la Direction Nationale de la Météorologie de Casablanca (DNMC) située au sein de l’ancien aéroport Casa-Anfa (coordonnées : 33,57°N ; -7,67°O) ont été utilisées (Tableau 2). Outre les paramètres précités, la prise en compte de données anémométriques permet de s’assurer que les journées comparées sont similaires du point de vue météorologique.
C. Méthodologie de prétraitement des images Landsat
14De nombreuses approches ont été proposées pour calculer les Ts à partir de données IRT en utilisant diverses méthodes pour composer avec les effets de l’émissivité des surfaces terrestres et la transmittance de l’atmosphère. Il existe aujourd’hui trois méthodes bien établies offrant la possibilité de calculer les Ts à partir des données satellitales : l’équation de transfert radiatif, l’algorithme à fenêtre fractionnée (Split-Window ou SW) et la méthode à canal unique - Single-Canal (SC) ou Mono-Window (MW).
15Comme nous souhaitions disposer de la profondeur historique la plus grande possible, et d’au moins une bande spectrale dans l’IRT, seules les images Landsat étaient mobilisables. Or, ces images nous imposent l’utilisation d’une méthode de type MW pour le calcul des Ts, avec une marge d’erreur de 0.6°K (Sobrino et al., 2004). Avec cette méthode, les Ts sont extraites à partir de la brillance mesurée en limite d’atmosphère (TOA) dans la bande spectrale IRT en inversant l’équation du transfert radiatif (Sobrino et al., 2010) :
16(1)
17avec,
18Ts: température de surface terrestre
19Rati : radiance atmosphérique descendante
20Rati : radiance atmosphérique montante ↑↓λετ
21B-1: inverse de la fonction de Planck
22L: luminance spectrale
23i: émissivité effective de la surface du sol
24i: transmittance de l’atmosphère le long du trajet cible/capteur
25Comme l’indique la Figure 5, le calcul des Ts à partir de la luminance spectrale Lλ enregistrée en limite d’atmosphère (TOA) nécessite donc de connaître les caractéristiques atmosphériques au moment de la prise de vue pour quantifier la transmittance de l’atmosphère ainsi que les rayonnements atmosphériques descendant et ascendant . Il est également nécessaire de connaître l’émissivité spectrale effective de la surface du sol .
Figure 5. Organigramme d’extraction des températures de surface (Ts) à partir de données satellitales par la méthode Mono-Window (MW). Adapté de Tang et Li (2014)
26Les variables i, Rati , Rati , dépendantes de l’état de l’atmosphère, sont obtenues à partir de données issues de radiosondages, donc sur un maillage très lâche. Pour contourner ce problème, Qin et al. (2001) ont proposé des formulations empiriques de ces variables en utilisant T0, la température de l’air à proximité du sol et W, l’humidité de la colonne d’air totale. Dans ce cas, l’algorithme Single-Canal utilisé pour calculer la Ts à partir des données Landsat s’exprime comme suit (Sobrino et al., 2004 ; Cristóbal et al., 2009 ; Jimenez-Munoz et al., 2009) :
27(2)
28avec,
29ε : émissivité effective de la surface du sol,
30Lλ : luminance spectrale en limite d’atmosphère (TOA) pour la longueur d’onde λ en W/(m².sr.µm),
31γ et δ : paramètres dépendants de la fonction de Planck,
32ψ1, ψ2 et ψ3 : fonctions atmosphériques.
33γ et δ sont estimés à l’aide des équations (3) et (4) :
34(3)
35(4)
36avec,
37Tb : la température de brillance en K,
38C1 : constante de rayonnement de Planck (C1 = 1,19104.108 W.µm4.m−2·sr−1),
39C2 : constante de rayonnement de Planck (C2 = 1,43877.104 µm.K),
40λ : longueur d’onde effective (λ = 11,45 µm pour Landsat 5 TM bande 6 ; λ = 11,34 µm pour Landsat 7 ETM + bande 6 et λ = 10,89 µm pour Landsat 8 TIRS bande 10).
41Toutes ces variables sont déterminées dans le cadre d’une chaîne de traitement des images Landsat récapitulée sur la Figure 6.
Figure 6. Chaîne de traitement décrivant la méthodologie suivie pour le calcul des températures de surface (Ts) à partir des données infrarouges Landsat
42La luminance spectrale en limite d’atmosphère Lλ est calculée à partir des valeurs en compte numérique DN et les paramètres d’étalonnage du capteur (Chander et al., 2007 ; Markham et al., 2014 ; Czapla-Myers et al., 2015).
43(5)
44avec,
45ML et AL : paramètres d’étalonnage du capteur.
46La température de brillance Tb, température apparente de la surface mesurée au niveau du capteur, est calculée comme suit (Chander et al., 2007) :
47(6)
48avec,
49K1 et K2 : constantes spécifiques d’étalonnage du capteur.
50L’émissivité de la surface terrestre ou Land Surface Emissivity (LSE), qui décrit la capacité d’une surface à émettre un rayonnement thermique, est une propriété intrinsèque des surfaces. Le facteur d’émissivité (ε) représente le rapport entre l’énergie radiative ou flux émis par l’objet et l’énergie émise par le corps noir à la même température. Depuis l’espace, les surfaces terrestres, du fait de la résolution spatiale des images, sont hétérogènes. Dans ce cas, on considère l’émissivité globale d’un pixel, la LSE, qui dépend de la végétation, de l’humidité du sol, de la rugosité et de l’angle de prise de vue (Salisbury et D’Aria, 1992).
51De nombreuses méthodes existent pour retrouver la LSE à partir des images d’observation de la terre, c’est la méthode basée sur les NDVI qui est retenue ici (Van De Griend et Owe, 1993) et plus précisément celle recourant au seuillage du NDVI ou NDVI-threshold method (NDVITHM). Largement utilisée et considérée comme la plus appropriée pour estimer les Ts à partir de données Landsat (Sobrino et Raissouni, 2000 ; Sobrino et al., 2004 ; Sobrino et al., 2008 ; Walawender et al., 2014 ; Renard et al., 2019), elle se calcule par l’équation suivante :
52(7)
53avec,
54𝜀𝑠 et 𝜀𝑣 : émissivité du sol et de la végétation,
55PV : proportion de la végétation,
56C : effet de cavité.
57L’effet de cavité C rend compte de la rugosité de la surface (C=0 pour les surfaces planes) et il peut être calculé par l’équation (8) pour les surfaces mixtes (Sobrino et Raissouni, 2000) :
58(8)
59F’ est un facteur géométrique dont la valeur est comprise entre 0 et 1 dépendant de la distribution géométrique de la surface. Sobrino et Raissouni (2000) ont donné une valeur moyenne de 0,55 pour les surfaces hétérogènes. Les autres symboles ont la même signification que dans les équations précédentes. La proportion de végétation PV appelée aussi couverture végétale fractionnelle (CVF) est obtenue à partir de l’indice de végétation par différence normalisée (NDVI) avec :
60(9)
61et (10)
62Les variables Ψ1, Ψ2, Ψ3, schématisant l’interaction du rayonnement électromagnétique avec l’atmosphère, sont déterminées en utilisant le calculateur de paramètres de la correction atmosphérique élaboré par la NASA (Barsi et al., 2003, 2005) et disponible en ligne (ACPC - https://atmcorr.gsfc.nasa.gov/). L’ACPC requiert de renseigner quelques informations comme la localisation de la zone d’étude, la date et l’heure de la prise de vue. Les résultats en sortie de cet algorithme sont améliorés par la prescription de variables météorologiques mesurées telles que la pression atmosphérique, la température de l’air et l’humidité relative (Figure 6). Pour cela, comme indiqué précédemment, ce sont les données de la station météorologique de la DNMC qui ont été utilisées (Tableau 2).
63Au final, à l’issue de tous ces traitements, nous disposons de cinq spatiocartes de Ts (quatre spatiocartes de jour et une spatiocarte de nuit) à la résolution de 100 mètres (ré-échantillonnées à 30 mètres) pour la région du Grand Casablanca sur la période 1984-2019.
III. Principaux résultats
A. Organisation spatio-temporelle des températures de surface en journée
64Nous analysons dans un premier temps les spatiocartes obtenues lors de la période la plus chaude de l’année (juin à août) et dans des conditions météorologiques équivalentes (périodes anticycloniques, avec des températures de l’air comprises entre 22,5C° et 23,2C° et un vent faible, cf. Tableau 2). Les valeurs de Ts obtenues à partir des bandes thermiques des images Landsat de 1984, 1995, 2011 et 2019 ont été réparties en sept classes (Figure 7). Notons que l’impact des dates d’acquisition des images sur l’organisation spatiale des Ts est limité ce qui les rend comparables dans le temps (voir section III.B).
Figure 7. Températures de surface (Ts) du Grand Casablanca pour quatre journées d’été réparties entre 1984 et 2019. a) 25/08/1984 ; b) 21/06/1995 ; c) 4/08/2011 ; d) 7/06/2019
65Quelle que soit l’année considérée, les spatiocartes montrent une forte hétérogénéité thermique (amplitude spatiale > 10 °C) et l’existence, en fin de matinée, d’un écart de température négatif de plusieurs degrés entre les quartiers densément bâtis de Casablanca et Mohammedia (Médina et ancienne ville) et l’environnement rural. À titre d’exemple, le centre-ville de Casablanca bénéficie en moyenne d’une température de surface inférieure de 2,5°C à celle estimée en périphérie de la ville. Cet écart de température « ville-campagne » négatif coïncide avec l’apparition d’îlots de fraîcheur urbain au niveau du sol (IFUs) formant un quasi-continuum au niveau des deux aires urbaines (Figure 7).
66De 1984 à 1995, les Ts intermédiaires, comprises entre 30°C et 32°C se limitent aux quartiers industriels de Roches Noires et d’Ain Sabaa, situés sur la commune d’Ain Sabaa et à la commune de Sidi Bernoussi situées le long du littoral à l’est de Casablanca (voir Figure 3 pour la localisation); tandis que les Ts maximales dépassant 34°C sont enregistrées sur les terres agricoles nues en périphérie sud et est du Grand Casablanca, ainsi qu’entre les villes de Casablanca et de Mohammedia (Figure 7).
67Sur les thermographies de 2011 et de 2019 (Figure 7), on note que les valeurs de Ts les plus élevées se sont remarquablement étendues dans les centres-villes de Casablanca et de Mohammedia et vers les espaces péri-urbains, où de nouveaux pôles urbains périphériques ont été construits (voir les communes de Médiouna et de Nouaceur situées au sud et la commune de Tit Mellil située au centre-est de la métropole, Figure 3). Au point que, dans la thermographie de 2019, la plupart des IFUs ont disparu. Il ne demeure que quelques noyaux de fraîcheur épars principalement localisés au niveau de la forêt de Bouskoura-Merchich au centre-ouest de la zone d’étude (Figure 1), ainsi que dans les quartiers résidentiels d’Aïn Diab (commune d’Anfa, cf. Figure 3) et de Californie (commune d’Aïn Chock, cf. Figure 3) constitués de maisons avec piscines entourées de jardins.
68Le Tableau 3 contient les moyennes spatiales des Ts à l’échelle du Grand Casablanca. L’analyse des données met en évidence une augmentation sensible des valeurs maximales entre 1984 et 2019 (+4°C environ) ce qui corrobore l’analyse diachronique des spatiocartes. Les valeurs minimales, moyennes et médianes quant à elles, varient peu.
Date |
Ts maximale |
Ts minimale |
Ts moyenne |
Ts médiane |
Ecart-type |
25/08/1984 |
37,2 |
18,1 |
33,1 |
33,6 |
1,9 |
21/06/1995 |
38,2 |
18,9 |
33,2 |
33,9 |
2,0 |
04/08/2011 |
41,6 |
19,8 |
33,4 |
33,8 |
2,1 |
07/06/2019 |
41,1 |
17,7 |
33,9 |
34,1 |
2,1 |
Tableau 3. Moyennes spatiales et écart-type (en °C) des Ts du Grand Casablanca (thermographies Landsat d’août 1984, de juin 1995, d’août 2011 et de juin 2019)
B. Relation entre températures de surface et occupation du sol dans la conurbation littorale
69Pour approfondir notre analyse de la relation entre les Ts de journée et l’occupation du sol dans le Grand Casablanca, nous nous sommes intéressés au comportement thermique de différentes classes d’occupation du sol situées dans un périmètre regroupant les 18 communes à dominante urbaine (Figure 8). Les écarts de température sont déterminés par rapport à la moyenne spatiale des Ts de cette conurbation littorale. Les statistiques de température ont été obtenues en superposant les quatre thermographies disponibles à une carte vectorielle des classes d’occupation du sol réalisée à partir du fond Google Earth grâce à l’outil « statistiques zonales » du logiciel QGIS. Pour chaque classe d’occupation du sol, les valeurs de Ts sont représentées sous la forme d’une boîte à moustaches (voir Figure 9).
70On constate tout d’abord, que pour une même classe d’occupation du sol, les boîtes à moustaches sont très comparables d’une date à l’autre, ce qui démontre que la comparaison entre les quatre thermographies produites est pertinente. Les écarts entre la Ts moyenne des classes « points d’eau », « zone végétalisée » et « habitat pavillonnaire espacé » et celle de la conurbation, sont respectivement de -2,7°C, -4,4°C et -3,4°C. Ceux des classes « habitat collectif concentré » et « habitat pavillonnaire concentré » sont de -1,9°C et -2°C. À l’inverse, les écarts des classes « sols nus/sableux » et « sols imperméables/rocheux » sont positifs et de l’ordre de +2,4°C et +0,9°C. Enfin, la Ts moyenne des classes « bidonvilles », « zone d’activité économique » et « zone industrielle » est identique à celle de la conurbation. Au total, comme on pouvait s’y attendre, les quartiers végétalisés à densité d’habitat modérée sont les surfaces les plus fraîches (importance des surfaces évaporantes), tandis que les sols nus et asséchés, directement exposés au rayonnement solaire incident, sont les surfaces les plus chaudes (hausse du flux de chaleur sensible).
Figure 8. Vues détaillées des différentes classes d’occupation du sol de la conurbation littorale du Grand Casablanca (fond de carte : Google Earth)
Figure 9. Boîtes à moustache des températures de surface (Ts) par classe d’occupation du sol (conurbation littorale du Grand Casablanca ; thermographies d’août 1984, de juin 1995, d’août 2011 et de juin 2019)
C. L’impact des projets de réaménagement sur les îlots de chaleur au niveau du sol est-il sensible ?
71Mesurer les effets de l’urbanisation sur le climat local et singulièrement sur les îlots de chaleur au niveau du sol, implique aussi d’examiner les Ts de sites ante et post aménagement voire pendant la phase d’aménagement (Renard et al., 2019). Certains espaces du Grand Casablanca offrent justement cette opportunité puisqu’ils ont fait l'objet de projets de réaménagement au cours de la période d’étude. La Figure 10 présente quatre exemples de sites réaménagés ainsi que les champs de Ts correspondants.
72Projet 1 (commune de Bouskoura) : Les spatiocartes de 1984 et 1995 indiquent que les Ts sont prononcées dans les zones agricoles se trouvant au nord de la forêt de Bouskoura-Merchich, où elles dépassent 34°C (Figure 10). Toutefois, à partir des années 2000, des éco-quartiers se sont développés au sein de ces espaces agricoles afin d’attirer la population au sud de Casablanca et ainsi d’alléger la pression démographique sur le centre-ville. Suite au réaménagement intervenu entre 2011 et 2019, on constate que les Ts ont baissé sous l’effet de la végétalisation (toits végétalisés, jardins, terrains de golf, etc.) et de la présence de zones humides (lacs, piscines, etc.). Cela confirme l’effet rafraîchissant sur les surfaces obtenu grâce à l'intégration d’espaces verts et de points d’eau.
73Projet 2 (commune de Hay Hassani) : La partie nord du site de l’ancien aéroport de Casablanca a été réaménagée en parc dans le but de créer un « poumon vert » dans le milieu urbain casablancais. La comparaison des Ts avant et après réaménagement met en évidence un écart d’environ -5°C (Figure 10).
74Projet 3 (commune de Hay Hassani) : Jusqu’aux années 1990, le quartier Beauséjour était constitué de maisons individuelles entourées de grands jardins. Cependant, le nouveau plan d’aménagement de Casablanca (2004) a opéré la reconversion des maisons en immeubles afin d’améliorer l'offre de logements et limiter la crise du logement. D’après les thermographies de la Figure 10, cette reconversion a induit une augmentation des Ts qui passent de 32°C à 36°C (+4°C).
75Projet 4 (commune d’Ain Sabaa) : Les thermographies de la Figure 10 représentent les Ts au sein d’un quartier de logements sociaux construits pendant les années 2000. Avant cette période, cette zone n’était pas bâtie et était constituée d’étendues d’eau et de zones agricoles. On remarque que la disparition des étendues d’eau qui ressortent en bleu sur les images de 1984 et 1995 s’est traduite par une augmentation des Ts, un excédent thermique au niveau des surfaces imperméables (routes, parkings…) et des Ts intermédiaires au niveau des ensembles de logements. L'intégration d’un espace vert au cœur de certains ensembles entraîne un rafraîchissement de surface.
Figure 10. Évolution des températures de surface pour quatre sites du Grand Casablanca ayant subi des réaménagements lourds sur la période 1984-2019
D. Analyse des températures de surface nocturnes
76L’analyse des Ts nocturnes vient compléter celle effectuée sur les Ts de journée dans la mesure où elle permet d’analyser la variabilité spatiale des îlots de chaleur et des îlots de fraîcheur au niveau du sol lorsque le soleil est couché. Pour cela, nous nous appuyons sur une image Landsat prise par type de temps radiatif au cours de la saison chaude, le 17/6/2015 aux alentours de 22h30 UTC (Tableau 1), soit un peu de moins de 2 heures après le coucher du soleil.
77Les Ts extraites à partir de cette image (Figure 11) varient de 13,1°C à 26°C en début de nuit, ce qui constitue une amplitude thermique d’environ 13°C à l’échelle du Grand Casablanca. Les deux transects de température illustrés par la Figure 12 (transect NS et transect NE/SO) montrent clairement la formation, en début de nuit, d’îlots de chaleur urbains au niveau du sol (ICUs) formant un quasi-continuum dans les zones densément bâties et industrielles des villes de Casablanca et de Mohammedia ainsi que sur l’aéoroport Mohammed V. Les valeurs de Ts des espaces urbains et industriels dépassent 21,5°C, tandis que dans les espaces ruraux, les valeurs varient entre 13°C et 17°C (voir aussi Figure 11). Plus loin, vers le sud et le sud-ouest de l’espace étudié, un archipel d’îlots de fraîcheur apparaît (Figure 12). Ces îlots de fraîcheur correspondent aux étendues d’eau et aux espaces fortement végétalisés : forêt de Bouskoura-Merchich, parc Sindibad de Casablanca, parc de Mohammedia, terrains de golf d’Anfa et de Mohammedia. Cependant, des clusters de chaleur intense apparaissent également dans les pôles périphériques fortement urbanisés (communes de Mediouna et de Nouaceur situées au sud ; commune de Tit Mellil située au centre-est).
78La thermographie du 17/06/2015 (Figure 11) fait également ressortir de très nets contrastes thermiques entre l’habitat pavillonnaire d’une part et l’habitat collectif d’autre part : les Ts « modérées » apparaissent dans les quartiers résidentiels d’habitat diffus, comme le quartier d’Aïn Diab à l’ouest, le quartier Californie au sud-ouest de Casablanca, ou encore ceux de la zone côtière de Mohammedia au nord-est. En revanche, dans les quartiers d’habitat social à l’ouest (exemple du quartier d’Oulfa) et au sud de Casablanca, des noyaux de chaleur intense apparaissent : cela s’explique vraisemblablement par leur tissu très dense et l’absence de végétation. À la périphérie de la métropole, sur la thermographie comme sur les transects, des IFUs sont clairement identifiables. Ils correspondent à des espaces plus ou moins ruraux, constitués de terres agricoles et boisées (exemple des terres agricoles de Dar El Hadj Omar, cf. Figure 11).
79Au total, cette analyse des Ts nocturnes à l’échelle du Grand Casablanca, qui demande encore à être consolidée, a pour intérêt de mettre en évidence l’inversion qui s’opère dans la localisation des îlots de chaleur : ceux-ci se localisent préférentiellement dans l’environnement rural du Grand Casablanca en journée et dans la conurbation littorale la nuit.
Figure 11. Spatiocarte des températures de surfaces (Ts) nocturnes du Grand Casablanca (spatiocarte du 17/06/2015 à 22h22 UTC), vues détaillées des sites commentés dans le texte et transects NS et NE/SO
Figure 12. a) Profil thermique du transect NS ; b) Profil thermique du transect NE/SO. Les profils ont été établis à partir de la thermographie nocturne Landsat du 17/06/2015
Discussion et conclusion
80Cette étude a permis de retracer la variabilité des îlots de chaleur au niveau du sol dans le Grand Casablanca par situation anticyclonique radiative (temps clair et calme) de saison chaude, sur une période de 35 ans s’étendant de 1984 à 2019 grâce à une série d’images infra-rouges thermiques Landsat multi-dates. Au cours de cette période, ce territoire a connu une urbanisation rapide et considérable du fait de son développement socio-économique et de sa croissance démographique, ainsi qu’une hausse des températures annuelles d’environ 0.7°C sous l’effet du réchauffement planétaire (Ouattab et al., 2019).
81L’analyse des thermographies de surface Landsat débouche sur un résultat en accord avec les études antérieures menées sur le Grand Casablanca (voir par exemple Bahi et al., 2016) : durant les situations radiatives d’été, en fin de matinée heure locale, les surfaces de la grande banlieue rurale de Casablanca et de Mohammedia et celles de l’arrière-pays sont généralement plus chaudes (ensemble d’îlots de chaleur au niveau du sol) que celles de la conurbation littorale (ensemble d’îlots de fraîcheur urbains au niveau du sol ou IFUs). Cette observation, qui semble contre-intuitive, s’explique par la faible couverture végétale sur les terres agricoles de la Chaouia à cette période de l’année. Les données de la campagne 2018 relatives à la DPA (Délégation Provinciale de l’Agriculture) de Casablanca située dans la région du Grand Casablanca (Conseil Général du Développement Agricole, 2009), indiquent que 50 % de la surface agricole utile (≈ 1150 km²) sont cultivés en bour (zone de cultures sèches), 5 % en cultures irriguées (maraîchage et arboriculture) et 45 % en surfaces forestières, parcours et surfaces incultes (Direction Régionale de l’Agriculture Région Casablanca-Settat, 2018). De plus, les cultures céréalières et fourragères en bour (blé tendre, maïs et orge fourrager) sont généralement moissonnées au printemps et au début de l’été (avril pour l’orge fourrager, juin pour le blé tendre et juillet pour le maïs). Au moment de l’enregistrement des images IRT Landsat, le rayonnement solaire incident est donc peu intercepté et les sols se comportent comme des surfaces sèches (faible évaporation), claires (réflectivité solaire élevée) et faiblement conductrices (la porosité du sol étant remplie d’air) : la majeure partie de l'énergie solaire incidente se transforme alors en chaleur sensible à peu près de la même manière que dans les espaces urbanisés (voir également l’étude de Bounoua et al., 2019 sur la ville d’Oran en Algérie). Dans les hypercentres de Casablanca et Mohammedia, en revanche, les immeubles de grande hauteur et les canyons urbains créent des zones ombrées importantes et contribuent à maintenir une fraîcheur matinale jusqu’à midi (voir également Carrega (1992) pour le cas de Nice).
82En outre, la situation côtière de l’agglomération casablancaise lui fait bénéficier de l’effet rafraîchissant de la brise de mer, le front de brise pouvant atteindre le continent quelques heures après le lever du soleil (voir Bahi et al., 2016 ; Dahech et al., 2012). La topographie locale (côte basse de la plaine de la Chaouia) favorise la pénétration de la brise de mer à l’intérieur des terres selon une direction quasi-perpendiculaire au trait de côte (voir les études de Johnson et O’Brien, 1973 ; Redano et al., 1991). L’étude de Dahech et Charfi (2017) sur la ville de Bizerte en Tunisie a montré que l’air chaud de la ville était déplacé d’environ 10 km à l'intérieur des terres du fait de la brise de mer, ce qui est proche de ce que l’on peut estimer à partir des spatiocartes produites dans ce travail.
83La comparaison entre l’évolution spatio-temporelle des Ts et celle de la dynamique d’urbanisation de la métropole casablancaise met aussi en lumière une tendance indéniable à l’extension des surfaces chaudes en corrélation avec la densification et l’étalement urbain. Les espaces présentant un excédent de température ont tendance à s’étendre à l’ensemble de la zone urbanisée, ne laissant que quelques cellules de fraîcheur qui soulignent l’influence des parcs et jardins, des points d’eau et des zones résidentielles les moins denses où habite la population la plus aisée ; l’artificialisation de certains espaces verts et l’augmentation de la rugosité du tissu urbain du fait de sa densification ayant probablement pour effet de ralentir et de rendre plus irréguliers la circulation de l’air et l’écoulement de la brise littorale jusqu'à la périphérie de la zone étudiée (voir les travaux de Dahech et al. (2011) sur la ville de Sfax en Tunisie par exemple). Par ailleurs, la densification et l’étalement des villes de Casablanca et de Mohammedia ont probablement pour effet d’augmenter les rejets de chaleur d’origine anthropique. Plusieurs études suggèrent en effet, que dans les espaces urbains denses et/ou industriels, la chaleur anthropique libérée par le trafic automobile et la consommation d'énergie contribuent à réchauffer les surfaces (Liao et al., 2017).
84Enfin, la thermographie prise de nuit met en évidence un renversement du contraste de température « ville/campagne » : les IFUs localisés dans la conurbation littorale en milieu de journée, se transforment en îlots de chaleur urbains au niveau du sol ou ICUs en début de nuit. Cela s’explique par la restitution et le piégeage pendant la nuit de la chaleur stockée par les matériaux constituant le tissu urbain, et probablement, par le renversement de la brise littorale : la nuit, la brise de mer (vent frais) devenant brise de terre (vent chaud) du fait de la plus grande inertie thermique de l’océan, la conurbation littorale ne bénéfice plus de son effet rafraîchissant.
85Au terme de ce travail, quelques perspectives de recherche se dessinent : il serait intéressant d’étudier la variabilité des îlots de chaleur casablancais à partir de plusieurs images nocturnes afin de mieux comprendre par exemple, leurs variations saisonnières et leurs interactions avec les îlots de fraîcheur qui se produisent en journée par type de temps radiatif. Il serait également intéressant d’exploiter des données anémométriques et des réanalyses météorologiques pour cerner plus précisément le rôle de la brise terre-mer (épaisseur du flux, fréquence d’occurrence, distance de pénétration, etc.) sur les Ts et la température de l’air. Enfin, dans le but d’améliorer la qualité de vie des habitants, notamment dans les quartiers d’habitat social et les bidonvilles carencés en eau et en végétation, nous envisageons de réaliser une enquête de perception du risque de forte chaleur sur le territoire du Grand Casablanca. Cela devrait permettre de collecter des données qualitatives sur le ressenti thermique et les stratégies d’adaptation aux fortes chaleurs des habitants et des acteurs du territoire.
Remerciements
86Les auteurs remercient l’USGS (NASA) pour les données utiles et gratuites ainsi que le site Tutiempo et la Direction Nationale de la Météorologie de Casablanca (DNM) pour les données fournies. Ce travail n’aurait pas été possible sans ces données.
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Om dit artikel te citeren:
», Bulletin de la Société Géographique de Liège [En ligne], 77 (2021/2)- Varia, 5-22 URL : https://popups.uliege.be/0770-7576/index.php?id=6449.
Over : Nassima HASSANI
Doctorante, Université de Lorraine
LOTERR, F-57000 Metz, France
nassima.hassani@univ-lorraine.fr
Over : Sébastien LEBAUT
Maître de conférences, Université de Lorraine
LOTERR, F-57000 Metz, France
sebastien.lebaut@univ-lorraine.fr
Over : Gilles DROGUE
Professeur, Université de Lorraine
LOTERR, F-57000 Metz, France
gilles.drogue@univ-lorraine.fr
Over : Said SGHIR
Professeur, laboratoire de Recherche en Management du Territoire, Communication et Modélisation (MTCM), Université Sultan Moulay Slimane, Maroc
sghirs@yahoo.fr