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Déformation plio-quaternaire de la plateforme européenne au front de la zone de collision alpine
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Les massifs paléozoïques d’Europe nord-occidentale ont quasi tous connu, à des degrés divers, une surrection au cours du Pliocène et/ou du Quaternaire. Quoiqu’on ait proposé d’expliquer ces soulèvements, soit par un plissement lithosphérique de la plateforme européenne au front de l’arc alpin, soit par la présence d’une série de panaches mantelliques au sein du manteau supérieur, aucun accord n’existe quant à une cause d’ensemble des mouvements, en particulier par manque d’information temporelle précise sur leur évolution. Nous abordons ici la question par l’analyse morphométrique des bassins de rivière sur la base d’un indice composite quantifiant le degré d’avancement de la réponse régionale par incision des systèmes de drainage à un signal tectonique de soulèvement. Appliquée à 7 478 bassins de toute taille, cette mesure effectuée à partir des données altimétriques SRTM 3’’ identifie une vaste zone de la plateforme où les valeurs d’indice évoluent de façon cohérente, témoignant d’un soulèvement d’ensemble dont l’axe se propage depuis la marge de la chaîne alpine, où il se manifeste dès 2,5 – 2 Ma, vers le NNO et le NO, où on l’observe récemment au NO du Bassin parisien et au NNO du Massif schisteux rhénan. Dans le contexte de l’évolution géodynamique de l’arc alpin au Néogène et au Quaternaire et de ses répercussions sur son avant-pays, nous interprétons ce soulèvement plio-quaternaire d’une partie de la plateforme à l’avant des Alpes centre-occidentales comme une manifestation tardive du transfert de contraintes de compression de la chaîne vers son avant-pays au niveau de la croûte supérieure, manifestation prolongeant et propageant de façon atténuée la tectonique de couverture qui, de 12 à 4 Ma, a plissé la chaîne du Jura et soulevé, plus au nord, le plateau du Jura. Cette interprétation a pour conséquence de reléguer à de seconds rôles l’influence d’une part d’instabilités diapiriques dont l’impact est limité localement (Eifel, Massif central), d’autre part du plissement lithosphérique, dont l’influence dans la région étudiée fut la plus sensible au Miocène et dont l’analyse morphométrique ne laisse plus soupçonner un rôle actuel qu’au sud du Bassin parisien.
Abstract
Most Paleozoic massifs of Northwestern Europe underwent varying amounts of Pliocene and/or Quaternary uplift. Although one commonly explains such uplifts as the result of either lithospheric folding of the European platform in front of the Alpine arc or the upwelling of plumes within the upper mantle, the comprehensive understanding of their occurrence is still debated, especially due to a lack of precise timing. Here, we address this issue through the morphometric analysis of drainage catchments, based on a composite index quantifying the progress of the regional response of the drainage system to an uplift signal through river incision. Applied to 7 478 catchments of all sizes, the metric values derived from SRTM 3’’ elevation data consistently reveal that an extended area of the platform was affected by an uplift whose axis migrated from the northern margin of the Alpine arc, where it is observed at 2,5 – 2 Ma, NNW- and northwestward where it is currently located in the NW of the Paris basin and NNW of the Rhenish shield. In the frame of the Neogene and Quaternary geodynamic evolution of the Alpine chain and its impact on its northern foreland, we interpret the Plio-Quaternary uplift of that part of the platform in front of the West Central Alps as a late effect of upper-crustal compressive stress transfer from the chain to its foreland. This extended but low-amplitude uplift continues and propagates in a waning way the thin-skinned tectonics that folded the Jura Mountain and raised the Jura plateau between 12 and 4 Ma. This major cause of Plio-Quaternary uplift in NW Europe consequently reduces the influence of mantle plumes to local control of uplift (e.g. in the Eifel and Central Massif) and suggests that lithospheric folding was predominant essentially during the Miocene, with hints of its continued activity only south of the Paris basin.
Inhoudstafel
1
Introduction
A. Le problème
2On peut en première approximation estimer la part des divers facteurs qui expliquent la différence d’altitude de l’Ardenne entre l’époque où la crête de la Vecquée, à sa marge septentrionale, était noyée sous la mer épicontinentale du Rupélien (soit une altitude rupélienne proche de 0 m) et maintenant (altitude de 560 m) de la façon suivante (Figure 1b) : (i) la baisse eustatique du niveau marin depuis la transition Éocène – Oligocène est estimée entre 50 (Miller et al., 2005 ; Kominz et al., 2008) et 150 m (Haq et Al-Quahtani, 2005) ; (ii) l’érosion continentale post-oligocène des sommets ardennais (~ 10 – 20 m) n’y a guère emporté plus que la mince couverture sableuse oligocène ; (iii) le basculement oligo-miocène de ~ 6 ‰ qui a affecté l’Ardenne et la Campine à la marge du bassin de la mer du Nord méridionale a causé une élévation relative de l’ordre de 300 m de l’Ardenne par rapport à son avant-pays au nord (Demoulin, 2003 ; Boulvain et Vandenberghe, 2018) ; le soulèvement plio-quaternaire, de caractère en-bloc plus marqué, a encore soulevé l’Ardenne de 150 – 170 m, dont 130 – 150 m depuis le niveau des terrasses mi-pliocènes à kieseloolithes de la Traînée mosane, soit ~ 3,6 Ma (Rixhon et Demoulin, 2018). Ce dernier épisode marque donc une accélération nette du soulèvement ardennais depuis cette époque. On a constaté, en particulier par l’étude de l’incision des rivières ardennaises, qu’un bref pic de taux de soulèvement s’est manifesté vers 0,6 – 0,7 Ma, au début du Pléistocène moyen (Van den Berg, 1996 ; Van Balen et al., 2000 ; Demoulin et Hallot, 2009 ; Rixhon et Demoulin, 2018). Malheureusement, les datations numériques calant la chronologie du soulèvement restent rares, sont localisées essentiellement au nord de l’Ardenne (Rixhon et al., 2011) et, à proximité, dans le bassin de la Moselle (Cordier et al., 2012, 2014 ; Harmand et al., 2015), et remontent à peine au-delà du Pléistocène moyen. La compréhension des causes et modalités du soulèvement plio-quaternaire de l’Ardenne requiert donc encore un indicateur capable d’en fournir une image sur l’ensemble du massif et de la période plio-quaternaire.
3Par ailleurs, cette compréhension passera aussi par la mise en perspective des mouvements verticaux de l’Ardenne dans le cadre plus large de la plateforme européenne, où des mouvements semblables sont observés depuis le Miocène et surtout le Pliocène dans divers massifs anciens (Massif schisteux rhénan, Massif central, Bohême, Bretagne : Fuchs et al., 1983 ; Bonnet et al., 2000 ; Brault et al., 2004 ; Meyer et Stets, 2007 ; Ziegler et Dèzes, 2007 ; Pedoja et al., 2018 ; Malcles et al., 2020 ; Olivetti et al., 2020) mais aussi dans des régions de bassin mésozoïque (Bassin parisien : Larue, 2003 ; Robin et al., 2003 ; Nehme et al., 2020) (Figure 1a). En particulier, le pic de surrection marqué par une incision soudaine des réseaux hydrographiques au début du Pléistocène moyen s’observe, outre en Ardenne, dans nombre d’autres régions de la plateforme européenne (Tyracek et al., 2004 ; Boenigk et Frechen, 2006 ; Antoine et al., 2007). On notera cependant que certains auteurs attribuent le caractère quasi ubiquiste, même au-delà de l’Europe occidentale, de cette accélération de l’incision à la péjoration climatique globale qui survient à la charnière entre Pléistocène ancien et moyen et qui, renforçant l’érosion fluviatile, aurait pour conséquence un rebond isostatique en réponse à la décharge accrue de la croûte (Westaway, 2002 ; Bridgland et Westaway, 2008 ; Westaway et al., 2009). Quoi qu’il en soit, ce n’est bien que l’analyse coordonnée de l’amplitude et du timing relatifs de ces nombreuses surrections régionales depuis 5 Ma qui permettra de trancher entre les divers mécanismes proposés pour en rendre compte.
Figure 1. (a) Localisation des principales unités géologiques et morphologiques de la plateforme européenne au nord et au NO des Alpes. MSR : Massif schisteux rhénan ; V : Vosges ; FN : Forêt Noire ; BRI : Baie du Rhin inférieur ; GRS : graben du Rhin supérieur ; G. de Bresse : graben de la Bresse. (b) Facteurs de changement d’altitude relative de la crête des Hautes Fagnes, Ardenne NE, entre l’Oligocène inférieur et la situation présente.
4À côté de mécanismes éventuellement applicables à des régions soulevées spécifiques, comme les Vosges et la Forêt Noire en surrection en réponse à l’amincissement crustal et lithosphérique lié au rift rhénan (Weissel et Karner, 1989 ; Kooi et Cloetingh, 1992), ou théoriquement possibles mais non testés, tels la déformation flexurale de l’avant-pays alpin (Leseur et al., 2005) ou le bombement, à l’arrière de la zone de convergence, de la lithosphère européenne subduite sous l’arc alpin (Gutscher, 1995), deux hypothèses principales sont toujours débattues quant à leur primauté ou leur combinaison pour l’explication des soulèvements plio-quaternaires observés. Apparaissant au début des années 1970 (Duncan et al., 1972) et matérialisée un peu plus tard par analyse télésismique (Raikes et Bonjer, 1983), une première hypothèse repose sur l’observation d’anomalies de vitesse sismique (ondes P et S) prenant racine à 400 km de profondeur dans le manteau supérieur. Interprétées en termes de température localement plus élevée du manteau, ces anomalies suggèrent l’existence de panaches mantelliques qui pourraient expliquer à la fois le volcanisme quaternaire et le soulèvement régional concomitant des régions où ils ont été imagés par tomographie sismique, en particulier l’Eifel (Ritter et al., 2001 ; Wüllner et al., 2006) et le Massif central (Granet et al., 1995). Rapidement, cette hypothèse a été élargie à d’autres régions soulevées où du volcanisme quaternaire était également connu, par exemple en Europe centrale, et a conduit à multiplier les panaches mantelliques sur une ligne s’étirant parallèlement à l’arc alpin au moins du Massif central à la Silésie (Granet et al., 1995), panaches dont la remontée serait provoquée par la descente au sein du manteau d’une partie détachée du slab (plaque plongeante) européen froid sous l’arc alpin (Foulger et Meyer, 2007 ; Schmincke, 2007). Même si une étude récente des séries temporelles d’un grand nombre de stations GPS permanentes d’Europe occidentale a mis en évidence l’existence d’une zone de soulèvement actuel de l’ordre de 1 mm/an centrée sur l’Eifel (Kreemer et al., 2020), une des difficultés majeures de ce mécanisme en tant que cause des soulèvements reste qu’il n’est pas applicable à l’ensemble des régions soulevées et que, pour le Massif schisteux rhénan et l’Ardenne par exemple, la forme planimétrique du soulèvement quaternaire est nettement différente de la distribution radiale centrée sur le panache attendue dans ce contexte (Demoulin et Hallot, 2009).
5L’hypothèse concurrente propose que l’ensemble des régions soulevées de la plateforme européenne, qui s’organisent en bandes arquées subparallèles à l’arc alpin et distantes l’une de l’autre de 250 – 300 km (Massif central – Vosges – Forêt Noire – massif de Bohême ; Bretagne – sud et ouest de la Normandie – Ardenne – Massif schisteux rhénan – Harz), résultent d’un plissement de la lithosphère européenne sous l’effet de contraintes compressives d’origines diverses transmises latéralement depuis l’orogène alpin (Ziegler et al., 2002). La possibilité du plissement – également dit flambage – d’une lithosphère continentale a été reconnue au cours des années 1980 (Stephenson et Lambeck, 1985) ; d’abord appliquée à la compréhension de l’évolution des bassins européens (Cloetingh et Burov, 1996), son lien avec les soulèvements néogènes et quaternaires de la même région intraplaque a été pressenti un peu plus tard (Cloetingh et al., 1999). Elle reste encore passablement méconnue dans certains cercles de recherche parce que les témoins géomorphologiques en sont souvent ténus ou mal caractérisés, érosion et sédimentation estompant les zones mises en relief ou en creux au fur et à mesure de leur développement (ce sont donc plutôt des estimations de taux de surrection ou de sédimentation datés qui constituent les principaux marqueurs en surface du flambage). Néanmoins, ce mécanisme est maintenant assez bien assis par sa reconnaissance au terme de plusieurs projets internationaux sur la lithosphère européenne qui ont intégré les études géophysiques en profondeur, les observations de surface et la modélisation numérique et analogique (Ziegler et al., 2002 ; Cloetingh et al., 2007 ; Roure et al., 2010 ; Cloetingh et al., 2011 ; Cloetingh et TOPO-EUROPE Working Group, 2020). Par ailleurs, les interactions de panaches mantelliques localisés avec un plissement lithosphérique et leurs effets en termes de topographie ont été récemment considérés (Cloetingh et al., 2013).
B. L’approche suivie
6La collecte des données de surface indispensables à la compréhension de cet ensemble de surrections récentes consiste à identifier leurs marqueurs (par exemple l’incision des rivières et l’accumulation des sédiments érodés dans des bassins à l’aval des reliefs), les cartographier et, absolument, les dater. Il est traditionnel de focaliser l’effort de datation sur les zones en subsidence où les sédiments accumulés constituent un matériau tangible pour l’obtention d’âges. Or, à l’opposé, les régions concernées par la surrection sont d’abord des aires d’érosion, où la datation d’un volume disparu est longtemps restée inaccessible. Depuis une vingtaine d’années, des techniques telles que la thermochronologie basse température (Reiners et Brandon, 2006) et l’utilisation des isotopes cosmogéniques pour l’estimation de taux d’érosion à l’échelle des bassins de rivière (Bierman et Nichols, 2004) ont pour partie commencé à combler cette lacune. Toutefois, parallèlement, les développements rapides de la géomorphométrie des paysages (essentiellement fluviatiles, mais également glaciaires par exemple), facilités par la mise à disposition de modèles numériques de terrain globaux et régionaux de résolutions spatiales diverses (de ~ 100 à < 1 m) adaptées à toutes les échelles d’analyse, et par la multiplication des algorithmes d’extraction de multiples données de base (Franklin, 2020), ont grandement amélioré la mesure de l’évolution des régions en érosion par la description quantitative du principal matériau qui y est disponible, à savoir les formes du terrain (Wobus et al., 2006 ; Perron et Royden, 2013 ; Nexer et al., 2015 ; Demoulin et al., 2015, 2017). L’analyse morphométrique a démontré que celles-ci, comme les sédiments, enregistrent efficacement l’histoire, notamment tectonique, d’une région. Elle a par conséquent accédé maintenant au rang d’outil privilégié pour l’étude de la réponse des systèmes de drainage aux signaux tectoniques. Parmi de nombreuses avancées, on retiendra que l’inversion de profils en long reposant sur l’usage d’indicateurs morphométriques a permis de reconstruire les interactions entre surrection et incision des rivières sur plusieurs 106, voire 107 années (Pritchard et al., 2009 ; Roberts et White, 2010 ; Czarnota et al., 2014 ; Stephenson et al., 2014 ; Rudge et al., 2015), que la mise en œuvre d’une nouvelle métrique de ces mêmes profils (graphe χ) permet d’évaluer le degré d’équilibre dynamique des réseaux de drainage, la concurrence entre bassins et la mobilité des crêtes d’interfluve (Willett et al., 2014, 2018 ; Goren et al., 2015 ; Yang et al., 2015), qu’une autre métrique synthétique des systèmes de drainage fournit une estimation numérique du temps écoulé depuis le début de la réponse érosive des rivières à un signal tectonique (Demoulin, 2011, 2012 ; Demoulin et al., 2013), ou encore qu’une métrique multiscalaire de courbure de la section transversale des vallées de montagne, qui différencie clairement vallées glaciaires et fluviatiles, permet d’estimer le rôle du taux de soulèvement sur la persistance des paysages glaciaires (Prasicek et al., 2014, 2015).
7L’objectif de ce papier sera donc d’exploiter la morphométrie des bassins et réseaux de drainage afin de dater les plus récentes crises de surrection dans les diverses régions concernées de l’avant-pays européen de la chaîne des Alpes et d’ainsi coupler une information temporelle quantitative à celle de la distribution spatiale des aires soulevées dans le but d’apporter de nouveaux éléments susceptibles de départager les hypothèses en concurrence pour expliquer les déformations plio-quaternaires de la plateforme européenne.
I. Une métrique spécifique pour évaluer l’âge de la réponse des bassins à une surrection
8La réponse d’un système de drainage à un soulèvement tectonique se manifeste essentiellement par l’incision des drains se propageant d’aval en amont. La mesure de cette réponse doit donc se concentrer sur la composante verticale des bassins et rivières. Deux outils classiques sont disponibles à cet usage : d’un côté, les courbes et intégrales hypsométriques (Strahler, 1952, 1957) donnent la mesure de l’érosion des bassins, de l’autre, les métriques extraites des profils en long (graphes S/A, χ : concavité et steepness des profils – Flint, 1974 ; Wobus et al., 2006 ; Perron et Royden, 2013) informent sur le degré d’équilibre de profils perturbés par la tectonique. Leur utilisation optimale est toutefois limitée par les échelles de temps différentes qu’ils explorent (103 – 105 ans pour les profils en long, 106 – 107 ans pour l’hypsométrie des bassins) et par la nature et la signification topographique distinctes des métriques qu’ils mettent en œuvre. Or, estimer l’âge d’un épisode de soulèvement revient à évaluer le degré de propagation de la réponse fluviatile dans l’ensemble du système à partir du niveau de base du tronc d’un bassin via l’ensemble de ses affluents d’ordres successifs jusqu’à enfin atteindre l’ensemble des pentes du bassin-versant. Il fallait donc concevoir une métrique capable d’intégrer les échelles de temps des étapes successives de la réponse morphologique et, par voie de conséquence, d’estimer le degré d’avancement de celle-ci. Demoulin (2011) a proposé une telle métrique, puis l’a testée en de nombreuses régions dont l’âge du dernier épisode de soulèvement était connu, mettant ainsi à jour son potentiel de datation numérique de la déformation tectonique (Demoulin, 2012).
Figure 2. Caractéristiques de la métrique R et de l’indice SR permettant l’estimation du degré d’avancement de la réponse par incision des rivières à un signal (le plus souvent tectonique) de soulèvement. (a) Formation de la métrique R d’un bassin (exemple du Selinous, Péloponnèse Nord) à partir des trois intégrales hypsométriques emboîtées du bassin (Hb), de son réseau de drainage (Hn), et du seul tronc de ce dernier (Hr). (b) Schémas conceptuels illustrant les facteurs d’évolution de R avec le temps et la propagation d’une vague d’érosion régressive dans le bassin, affectant d’abord l’intégrale hypsométrique du tronc du bassin puis, dans un second temps, essentiellement celle du réseau hydrographique total du bassin. (c) Corrélation de Rw et de l’aire drainée par le bassin dans la région Ardenne NE – Eifel septentrional. (d) Évolution temporelle de l’indice SR suite à un signal de surrection imposant un changement de niveau de base au temps t = 0 et la propagation de l’érosion régressive dans le bassin. Les cours d’eau les plus puissants (à droite sur le graphe) sont affectés en premier lieu, avec redressement d’une part de plus en plus large de la courbe aux temps t1, t2, t, et t3. Au temps t, les segments en tireté vert, pointillé rouge et trait continu bleu correspondent aux tailles de bassin où, du fait de la propagation de l’érosion régressive, l’indice SR (donc la pente de la courbe) a respectivement commencé à diminuer, est en accroissement, et est toujours inchangé (le signal n’étant pas encore parvenu dans les petits affluents). À partir de t4, l’ensemble des bassins répondent à la surrection, la courbe redevient continue et sa pente SR commence à diminuer. (e) Quantification empirique de la relation entre l’indice SR et le temps écoulé depuis le signal de surrection, estimée à partir de huit régions dans le monde dont l’âge du signal est connu de façon indépendante.
9Notée R, cette métrique composite peut décrire des bassins de toute taille dès qu’ils sont pourvus d’un réseau d’affluents bien constitué (Figure 2). Elle inclut trois niveaux hiérarchiques de la réponse du paysage fluvial au soulèvement en incorporant des mesures de même nature décrivant respectivement le cours d’eau principal, l’ensemble du réseau de drainage et l’aire totale du bassin. Pour ce faire, elle étend le concept d’intégrale hypsométrique défini par Strahler (1952) pour le bassin hydrographique à la description des distributions d’altitude des mailles du modèle numérique de terrain utilisé (voir plus loin) constituant le réseau de drainage et le cours d’eau principal, en gardant toutefois le relief total du bassin comme référence pour la normalisation des altitudes de ces deux ensembles. Cette métrique prend ainsi la forme d’un rapport entre les différences deux par deux des intégrales hypsométriques du bassin (Hb), du réseau de drainage (Hn) et du tronc de ce dernier (Hr) décrivant les niveaux morphologiques imbriqués représentant les composantes à long, intermédiaire et court termes de la réponse à la déformation
10où l* est une expression adimensionnelle de longueur (pour Hr et Hn) ou de surface (pour Hb) (Figure 2a). On notera qu’une courbe hypsométrique est simplement la fonction inverse d’une fonction de répartition des altitudes et que son intégrale peut être exprimée de façon très simple par
avec (2a)*, zmin et zmax les altitudes moyenne, minimale et maximale de l’ensemble considéré (Pike et Wilson, 1971), ce qui permet de réécrire la métrique R de la façon simplifiée
11(*)
12avec (3a, 3b et 3c)* les altitudes moyennes du bassin, du réseau de drainage et du cours d’eau principal, respectivement. Cependant, la propagation de l’érosion régressive dans un bassin et sa bonne représentation par R dépendent, via la diminution progressive des aires drainées entre cours principal, affluents puis sous-affluents, du degré de ramification du réseau hydrographique, qui est lui-même conditionné par la forme du bassin et, en particulier, son allongement E. L’allongement E et la métrique Rw corrigée pour la forme du bassin sont exprimés de la façon suivante
13avec A l’aire du bassin et Lb sa longueur maximale mesurée à partir de l’exutoire (Demoulin, 2012).
14(*)
15Par ailleurs, si on peut aisément comprendre que la valeur de Rw est fonction du temps écoulé depuis que la déformation tectonique a causé la migration d’une vague d’érosion régressive à partir du point de modification du niveau de base vers les sources du bassin (Figure 2b), Demoulin (2011) a montré qu’elle est aussi fortement corrélée à la taille du bassin. Afin d’éliminer cet effet de taille, on substitue à Rw le coefficient directeur de la régression linéaire de Rw sur ln A, noté SR, comme marqueur dérivé de l’âge de la déformation (Figure 2c). En effet, SR est caractéristique de chaque région de soulèvement homogène (Demoulin, 2011) et, comme Rw, est une fonction de l’âge de la déformation, augmentant d’abord très rapidement lorsque la réponse du système de drainage démarre pour, peu de temps après (~ 103 – 104 ans), entamer une décroissance en loi de puissance inverse avec le temps (Figure 2d). Sur base de mesures effectuées dans huit régions distribuées dans le monde et dont l’âge de la dernière crise de soulèvement était connu par ailleurs, la relation empirique proposée par Demoulin (2012) exploite cette seconde phase, la plus importante, de l’évolution de SR pour fournir une estimation de l’âge t recherché selon
16en admettant que la durée du premier temps de la réponse du réseau hydrographique (où SR augmente d’abord) peut être négligée (Figure 2e).
II. Production des données morphométriques
17La partie de la plateforme européenne qui fait l’objet de la présente analyse englobe une aire arquée parallèlement à l’arc alpin et dont la largeur perpendiculairement à celui-ci est de ~ 500 km depuis la marge externe du bassin flexural molassique suisse (dont les modalités de déformation verticale sont spécifiques) jusqu’à la frange méridionale de la plaine germano-polonaise, prolongée vers l’ouest par les régions en subsidence des Pays-Bas (Figure 3a). Latéralement, cette zone d’étude s’étire sur ~ 1 600 km, incluant à l’ouest le Massif armoricain, le seuil du Poitou et la plus grande partie du Massif central et, à l’est, la totalité du massif de Bohême. En ont toutefois été exclus les zones débordantes vers le nord du bassin molassique en Bavière, les éléments du rift cénozoïque ouest-européen (graben du Rhin supérieur, Baie du Rhin inférieur), le Jura appartenant à la marge de l’orogène alpin, ainsi que le cours des plus grands fleuves s’étendant sur des régions dont on peut douter que l’histoire de soulèvement ait été homogène au cours du temps (par exemple, la Loire et le Rhin) (Figure 3b).
18L’analyse morphométrique a été réalisée à partir des données du modèle numérique de terrain SRTM 3’’ (Shuttle Radar Topography Mission – NASA, 2021) ré-échantillonné à 90 m. Ce modèle a été préféré à la version SRTM 1’’ au motif du temps de calcul réduit. Si on s’en réfère à l’exactitude verticale absolue (< 16 m) fournie dans les spécifications de cette version du modèle (CGIAR-CSI, 2021) – quoique nombre d’études aient montré que cette exactitude est fréquemment bien meilleure (Gorokhovich et Voustianiouk, 2006 ; Weydahl et al. 2007) – on calcule que, pour un bassin de taille moyenne et de relief représentatif (longueur du cours d’eau principal : 24,4 km ; longueur cumulée du réseau de drainage : 220 km ; aire drainée : 182 km2 ; 3a, 3b, et 3c = 500, 400 et 280 m respectivement), l’erreur de l’ordre de 0,01 sur une valeur de R calculée à 1,20 est négligeable.
19Sans entrer dans le détail des programmes utilisés pour l’élaboration des données de morphométrie sous ArcMap (ESRI, 2015), signalons que les sources du réseau hydrographique ont été fixées aux points des bassins supérieurs où l’aire drainée atteignait 0,5 km2 et que la métrique Rw a été calculée pour tout bassin de taille supérieure à 15 km2. Par ailleurs, aucune valeur n’a été calculée pour les bassins > 25 000 km2, dont la taille excédait par trop celle des zones pour lesquelles l’indice SR a systématiquement été calculé à l’étape suivante. Des valeurs ont toutefois pu être attribuées à des parties amont de tels très grands bassins, par exemple aux cours supérieurs de la Loire et de la Seine. Au total, des valeurs de Rw ont été obtenues pour 7 911 bassins. Parmi ceux-ci, 433 ont montré une élongation excessive (E < 0,25) et/ou un Rw < 0 correspondant au fait que l’intégrale hypsométrique de leur réseau de drainage était inférieure à celle du cours principal. Cette situation se présente essentiellement pour des bassins petits à moyens (le plus souvent < 150 km2), du fait d’un réseau d’affluents concentré dans la partie aval du bassin et quasi inexistant le long de la partie amont du cours principal drainant un relief local, démontrant, s’il en était encore besoin, le contrôle important de la forme du bassin sur la métrique Rw et la nécessité générale d’apporter une correction d’élongation à celle-ci (Équations 4 et 5). Après élimination de ces bassins dont la forme planimétrique biaise l’estimation de R au-delà de toute possible correction, notre jeu de données est donc constitué de 7 478 valeurs utiles (Figure 3b).
Figure 3. (a) Géologie de la plateforme européenne et découpage de l’aire d’étude en cinq grandes zones d’extension radiale à partir de l’arc alpin et en bandes de 20 km de large définissant les régions de calcul de l’indice SR (voir texte). Trait noir gras : localisation des profils de la figure 4. (b) Distribution spatiale des exutoires des bassins de toutes tailles ayant fait l’objet d’une estimation de SR. On trouvera dans le texte les raisons de l’absence de données dans certains secteurs de la zone d’étude. Les tailles et couleurs des symboles visualisent les tailles de bassin.
20Le calcul de l’indice SR a ensuite requis deux préalables. Premièrement, il était nécessaire de connaître les données RW sur base desquelles l’estimation de SR serait faite pour un territoire donné, et donc d’assigner une localisation ponctuelle précise à ces données décrivant des bassins de tailles très diverses. Le choix de localisation s’est porté sur l’exutoire des bassins qui, bien plus que leur centroïde par exemple, possède une signification géomorphologique précise. C’est en effet par l’aval que la vague d’érosion régressive en réponse à une déformation tectonique atteint un bassin donné, et la localisation de l’information morphométrique à ce niveau garantit au mieux qu’une déformation récente de la région sera également identifiée. En second lieu, il fallait définir les régions de soulèvement supposé homogène au sein desquelles on évalue SR. Une définition par grands bassins de drainage était peu satisfaisante du fait de la diversité de leurs tailles et, surtout, du caractère aléatoire de leur orientation par rapport à un soulèvement que, par hypothèse et sur base des données fragmentaires existantes (Demoulin, 2011), nous admettons avoir migré radialement à partir de l’arc alpin vers la partie distale de son avant-pays. Nous avons donc préféré quadriller ce dernier de façon systématique en procédant d’abord à la distinction de cinq zones radiales juxtaposées correspondant d’ouest en est à des contextes structuraux différents alternant témoins des chaînes varisque et calédonienne et bassins mésozoïques (Figure 3a). Les mêmes déformations plio-quaternaires sont en effet susceptibles de s’être exprimées avec des amplitudes diverses dans ces deux types d’environnement. La zone la plus occidentale couvre essentiellement deux vastes massifs paléozoïques, à savoir le Massif central et le Massif armoricain ainsi qu’entre eux, le seuil du Poitou faisant transition entre les bassins d’Aquitaine et de Paris. La zone voisine, à l’est, englobe essentiellement le Bassin parisien, soit une région de subsidence méso-cénozoïque. Vient ensuite à nouveau une zone à dominante paléozoïque reprenant l’Ardenne, le Massif schisteux rhénan, ainsi que les Vosges, la Forêt Noire et l’Odenwald. La quatrième zone correspond quant à elle au Bassin souabe-franconien et, plus au nord, au bassin de Thuringe, tous deux d’âge mésozoïque et dont émerge au nord le petit massif paléozoïque du Harz, et la cinquième au vaste massif ancien de Bohême. Dans chacune de ces zones, les régions pour lesquelles l’indice SR a été estimé correspondent à une fenêtre de 60 km de large selon la direction radiale, déplacée par pas de 20 km et fournissant ainsi une courbe lissée de l’évolution de l’indice avec l’éloignement de l’arc alpin. Enfin, lorsque la corrélation entre Rw et ln A produisant une valeur de SR était non significative (tests t de Student et F de Snedecor), un second ajustement a été effectué après élimination des données aberrantes supérieures à 3 σ (souvent associées à des points à la marge de la région considérée), résolvant quasi toujours le problème. Dans la très grande majorité des régions pour lesquelles SR a été calculé, son estimation repose sur un échantillon de 100 à 300 bassins. Les valeurs obtenues varient de 0,14 à 0,80 et, pour 95 % d’entre elles, sont assorties d’erreurs-types comprises entre 0,02 et 0,06.
III. Résultats morphométriques : Profils radiaux de SR
21La Figure 4 présente les courbes de SR obtenues par zone d’ouest en est. Les courbes sont construites de telle façon que la marge alpine est positionnée à leur extrémité droite et la partie distale de la plateforme européenne se situe à leur gauche.
22À l’extrémité occidentale de l’aire d’étude, la zone Massif central – Massif armoricain montre des valeurs de SR variant très peu et de façon aléatoire, à l’exception de deux régions larges chacune de 80 km et prenant en écharpe SO–NE respectivement le centre du Massif central, incluant le volcanisme néogène et quaternaire du Cantal et de la Chaîne des Puys, et le seuil du Poitou ainsi que la marge NO (limousine) du Massif central, où les valeurs de SR deviennent brutalement plus élevées (Figure 4a). Elles y correspondent à une valeur moyenne de 0,53 significativement différente du SR moyen hors ces deux régions de 0,36. Si on s’en réfère à la relation de Demoulin (2012), la morphométrie des réseaux de drainage de cette zone indique un dernier soulèvement d’ensemble démarrant aux alentours de 0,54 Ma, auquel se superpose dans les deux régions nettement délimitées de SR plus élevé une crise de surrection plus récente prenant place vers 0,11 Ma. Ces dernières semblent alterner de façon périodique avec des zones non récemment soulevées, suggérant des ondulations crustales de longueur d’onde λ ≈ 200 km.
Figure 4. Profils radiaux de SR (localisation : voir figure 3a). L’extrémité proximale (front alpin) des profils se trouve à la droite des graphes. Les courbes et valeurs de t et vmigr U (vitesse de migration de l’axe de surrection) données en vert sont celles agréées par l’analyse. (a) Massif central – Massif armoricain. Les ellipses rouges identifient les zones bien délimitées de soulèvement récent. (b) Bassin parisien. Régression libre (courbe noire) * contrainte (courbe verte) : voir texte ; vmigr U corrigée : voir section IV.A. (c) Massif schisteux rhénan. (d) Bassin souabe-franconien. (e) Massif de Bohême.
23Si on excepte une donnée non fiable à son extrémité SE, la zone du Bassin parisien montre pour sa part une tendance très claire à l’accroissement de SR au fur et à mesure qu’on s’éloigne de l’arc alpin. La meilleure fonction qu’objectivement on puisse ajuster aux données est non linéaire, et est en l’occurrence une loi de puissance qui s’accorde parfaitement avec les attentes théoriques puisque (i) la relation empirique liant SR à t est de ce type et (ii) l’hypothèse d’une migration du soulèvement à vitesse constante dans le Bassin parisien est la plus raisonnable. Quoique le meilleur ajustement libre d’une loi de puissance prenne la forme SR = 1,88 * d-0,31 où d est la distance le long du transect, un ajustement où l’exposant est contraint à 0,25 pour être semblable à celui de la relation SR = f(t) est de qualité quasi égale (dans les deux cas, le coefficient de détermination R2 = 0,86) et permet d’écrire l’égalité suivante :
24qui fournit donc une vitesse de migration constante de la surrection vmigr U = d /t de ~ 450 km/Ma. La valeur calculée de SR à hauteur de la marge alpine (d = 450 km, Figure 4b) est de 0,308, indiquant, toujours suivant la relation de Demoulin (2012), que la surrection aurait démarré dans cette région il y a ~ 1 Ma. La valeur de 0,61 ajustée à l’autre extrémité du transect, soit dans le NO du Bassin parisien (d = 30 km), suggère pour sa part une arrivée de la vague de surrection dans cette région il y a ~ 0,06 Ma, une valeur indiscernable de l’actuel eu égard aux erreurs d’estimation, qui montre que la propagation du soulèvement se poursuit.
25Quoique la série des données de la zone centrée sur le Massif schisteux rhénan soit affectée d’un bruit de mesure plus important, probablement lié à l’hétérogénéité crustale au long du transect, c’est à nouveau une loi de puissance qui s’ajuste le mieux à l’ensemble des données montrant un accroissement de SR avec l’éloignement de l’arc alpin. En appliquant la même contrainte sur l’exposant, nous obtenons cette fois la relation SR = 1,08 * d-0,25 (R2 = 0,78), avec un coefficient sensiblement différent de celui qui a été estimé pour le Bassin parisien. Dans le cas présent, la vitesse de migration constante estimée est de ~ 150 km/Ma. Visuellement, il semble par ailleurs qu’une autre interprétation envisageable pourrait consister à exclure les quatre mesures les plus proches de la marge alpine (350 ≤ d ≤ 410 km, Figure 4c), ce qui permet alors d’ajuster étroitement (R2 = 0,90) une droite à l’ensemble des données restantes. Cependant, cette interprétation est physiquement intenable, car l’équivalent de l’égalité (7) qui en découle mène à admettre une vitesse hautement non linéaire de propagation de la surrection, dépendant de la distance à la puissance 5 et impliquant une accélération tout à fait irréaliste de la propagation en région distale. La valeur calculée de 0,239 pour SR en position proximale (sud des Vosges et de la Forêt Noire) y fait démarrer la vague de surrection vers 2,76 Ma. Celle de 0,605 obtenue 400 km plus au NNO, soit au nord du Massif schisteux rhénan, indique que la même vague y est arrivée vers 0,07 Ma.
26Le quatrième transect recoupe le Bassin souabe-franconien de la marge du bassin molassique au sud jusqu’à la lisière de la plaine germano-polonaise au nord (Figure 4d). De façon tout à fait contrastée avec les deux zones précédentes, les valeurs de SR y restent cantonnées dans une fourchette étroite de valeurs, centrée autour d’une valeur moyenne de 0,307. Elles renseignent un comportement homogène et un âge uniforme du dernier épisode de surrection du bassin entier vers 1 Ma, soit le moment où on calcule le démarrage de la vague de surrection dans l’autre bassin mésozoïque, celui de Paris.
27Enfin l’extension radiale de la zone la plus orientale englobant le massif de Bohême, limitée au nord par la plaine germano-polonaise, est trop faible pour que puisse s’y développer une tendance claire des valeurs de SR (Figure 4e). Tout au plus peut-on y percevoir une possible périodicité de celles-ci selon une longueur d’onde de ~ 200 km égale à celle qui paraît émerger aussi du transect Massif central – Massif armoricain. La séparation latérale des zones de surrection et de stabilité (ou subsidence) récentes est cependant beaucoup plus progressive ici.
IV. Discussion
A. Différence de vitesse de migration du soulèvement entre les transects adjacents du Bassin parisien et du Massif schisteux rhénan
28Les résultats présentés ci-dessus pour les zones contiguës du Bassin parisien et du Massif schisteux rhénan révèlent le même schéma de migration d’une vague de surrection parcourant cette partie de la plateforme européenne à partir de la marge alpine. Cependant, les vitesses de migration très différentes (450 et 150 km/Ma) demandent une explication. Celle-ci pourrait bien être liée à l’hétérogénéité plus grande et la structure plus complexe et fracturée de la croûte supérieure dans la région des massifs paléozoïques. En tout cas, la relation SR = f(t) de Demoulin (2012) a été établie sur la base de données recueillies uniquement dans des régions de plissement ancien et / ou à substrat cristallin. Il est donc possible que le coefficient de la relation, qui fait référence à la vitesse de réponse des systèmes hydrographiques, doive être revu pour des zones de subsidence et de sédimentation méso-cénozoïques telles que le Bassin parisien, ultérieurement affectées d’un processus de soulèvement intraplaque. On constate ainsi que les rapports entre Bassin parisien et Massif schisteux rhénan des valeurs maximales de SR d’une part, minimales d’autre part, sont identiques (soit 1,15 et 1,16) et que, sur cette base, le coefficient adapté de la relation SR = f(t) passe à 0,36 pour les bassins méso-cénozoïques. Cette correction liée à la réactivité de la réponse géomorphologique réduit substantiellement la vitesse de migration de la surrection dans le Bassin parisien, qui passe de 450 à ~ 240 km/Ma. La différence résiduelle de vitesse entre les deux régions peut quant à elle dépendre, de façon réaliste maintenant, de la modulation du signal tectonique en fonction des caractéristiques crustales. Celles-ci seraient moins favorables à la propagation de la vague de soulèvement dans les régions à croûte supérieure plus rigide telles que le Massif schisteux rhénan, la vitesse réduite de migration de la surrection y étant compensée par un taux de soulèvement plus élevé (avec un rapport entre Bassin parisien et Massif schisteux rhénan inverse de celui des vitesses de migration, assez bien corroboré par les données de soulèvement existantes). Enfin, cette même correction implique que la surrection aurait démarré de la marge alpine (massif du Jura) vers le Bassin parisien vers 1,9 Ma, valeur telle que son intervalle de confiance à 95 % s’accorde maintenant avec celui de la valeur de 2,76 Ma calculée dans le transect du Massif schisteux rhénan pour placer dans le cours du Gélasien (2,6 – 1,8 Ma) le début de la surrection au contact de la marge alpine et de la plateforme européenne. De même, l’âge du soulèvement uniforme du Bassin souabe-franconien doit être corrigé à 1,9 Ma. Quant à l’âge corrigé attribuable à la zone de SR maximum dans le NO du Bassin parisien, il est maintenant de 0,12 Ma et reste très proche du 0,07 Ma obtenu pour le Massif schisteux rhénan. Cela ne permet cependant pas de préjuger que la migration du soulèvement ne se poursuit plus actuellement, car la réponse géomorphologique au signal tectonique par incision des rivières et les modifications de SR qui en résultent requièrent des conditions morphoclimatiques qui se sont présentées en Europe occidentale et centrale pour la dernière fois lors de l’entrée dans la dernière glaciation entre 0,11 et 0,06 Ma (Vandenberghe, 2008).
B. Âges SR et données d’âge indépendantes
29L’intérêt de l’approche morphométrique du problème étudié est de fournir une vision synthétique des âges de soulèvement sur l’ensemble de l’avant-pays de la chaîne alpine. Avant toute discussion de ces résultats, il est toutefois indispensable de les confronter d’abord aux données éparses fournies par les études de terrain existantes, le plus souvent des études de terrasses fluviatiles, et de s’assurer de la cohérence des deux types d’information, en particulier dans les régions du Bassin parisien et du Massif schisteux rhénan, qui ont fourni un signal SR homogène de chronologie de surrection plio-quaternaire.
30Demoulin et Hallot (2009) ont présenté une série d’observations morphologiques qui corroborent la migration de soulèvements du SSE vers le NNO entre Odenwald, Forêt palatine, Massif schisteux rhénan et Ardenne. Ils notent par exemple dans les profils de terrasses mosanes reconstruits par Pissart et al. (1997) que, dans la région Liège – Maastricht, l’incision de la Meuse est plus importante et rapide sous le niveau de la terrasse principale (soit depuis ~ 625 ka, Rixhon et Demoulin, 2018) que pour les terrasses plus hautes, alors que la situation inverse s’observe dans la région de Charleville au sud de l’Ardenne : incision majeure et plus importante qu’au nord du massif (70 m, pour ~ 45 m à Liège) avant le stade terrasse principale mais insignifiante depuis l’abandon de celle-ci (~ 15 m, pour 60 m à Liège). Par ailleurs, l’apparente contradiction entre la localisation de l’incision maximum de la Moselle entre Cochem et Coblence depuis le Pléistocène moyen et le très fort développement de la sinuosité de la rivière en amont de cette zone de soulèvement/incision peut être résolue si on considère que l’accroissement de sinuosité constitua la réponse d’une Moselle non incisée, parcourant une très large plaine alluviale, qui eut à faire face à un soulèvement dont l’axe se localisait quelques dizaines de kilomètres plus au sud au Pléistocène inférieur (Demoulin et Hallot, 2009). Ce point de vue a été récemment conforté par les premières datations ESR (Electron Spin Resonance) des terrasses principales (marqueurs du départ de l’accélération d’incision des rivières) de la Moselle et de la Sarre allemandes entre 1,1 et 1,25 Ma (Cordier et al., 2012 ; Harmand et al., 2015), soit au moins un demi-million d’années avant que cette accélération se manifeste dans le nord du massif. D’autres éléments confirment encore l’âge de plus en plus jeune des crises de soulèvement du Massif schisteux rhénan du sud au nord. Les profils en long très déséquilibrés des rivières drainant le nord-est de l’Ardenne et le nord de l’Eifel (Demoulin, 1998), des données géodésiques de mouvements verticaux actuels de la croûte maximaux dans ces mêmes aires (Mälzer et al., 1983 ; Kreemer et al., 2020), le taux d’incision maximum dont témoignent les terrasses du Rhin vers 0,2 Ma sur le bloc de Cologne (Boenigk et Frechen, 2006), à la marge orientale de la Baie du Rhin inférieur, soulignent ainsi le caractère très récent de la surrection au nord du massif. À l’opposé, prenant place il y a ~ 1 Ma, les importantes soustractions qu’a subies le bassin de la Meuse lorraine par suite de captures au profit du bassin de la Seine confirment l’ancienneté du soulèvement au sud de l’Ardenne et dans le NE du Bassin parisien (Pissart et al., 1997). Plus à l’est, Peters et Van Balen (2007) ont identifié la même migration de la surrection du sud au nord au Pléistocène ancien à partir de l’étude des terrasses du Rhin à la jonction entre graben du Rhin supérieur et Massif schisteux rhénan. Enfin, les conclusions d’Ellwanger et al. (2008) à partir de l’étude du remplissage du bassin quaternaire de Heidelberg, en bordure nord-orientale du graben du Rhin supérieur, sont remarquablement similaires à ce que montrent les données SR, puisqu’ils en déduisent trois phases successives de soulèvement des reliefs péri-graben, soit du sud au nord, la surrection de la Forêt Noire méridionale vers 2,6 Ma, puis celle de l’Odenwald vers 1,7 Ma, et enfin une phase qui inclut également le Massif schisteux rhénan vers 0,5 Ma (les données ESR sur la terrasse principale de la Sarre et de la Moselle n’étant pas encore produites à l’époque).
31Dans le Bassin parisien, les informations d’âge suffisamment denses pour éventuellement mettre en évidence des variations des taux de surrection au cours du Quaternaire sont peu nombreuses et parfois contradictoires. Alors que, sur base de datations U/Th de spéléothèmes et paléomagnétiques de sédiments fluviatiles fins piégés en grotte, Nehme et al. (2020) concluent qu’en Seine inférieure les taux de surrection n’ont fait que décroître depuis 1 Ma, indiquant implicitement que le début du plus récent épisode de soulèvement y serait antérieur à cette date, Antoine et al. (2007) ont établi une chronologie très détaillée des terrasses et de l’incision de la Somme inférieure dont il ressort que les vitesses d’incision évoluent peu depuis 1 Ma, avec toutefois deux très légères et brèves augmentations des taux vers 0,6 et 0,3 Ma. Ces dernières variations sont cependant inférieures à l’erreur sur les estimations, mettant en lumière la difficulté d’identifier des pics de taux de surrection dans le Bassin parisien, où non seulement les amplitudes de soulèvement sont bien moindres que pour les massifs paléozoïques mais où les éventuels pics sont également plus ténus. De plus, là où les âges SR à valider sont plus anciens, les datations numériques ne remontent très souvent pas suffisamment loin dans le temps. C’est le cas de l’Yonne, où les datations ESR disponibles jusqu’à 0,46 Ma (Antoine et al., 2007) ne permettent pas de tester un événement à t(SR) ≥ 1 Ma.
32Des données plus probantes existent dans la seule partie sud-occidentale du Bassin parisien. Malgré les erreurs importantes dont ils sont affectés, des âges ESR de terrasses du Loir montrent une accélération de courte durée et de faible amplitude de la surrection vers 0,35 – 0,4 Ma (Despriée et al., 2021). Par comparaison, et en cohérence avec l’hypothèse de migration de la surrection, à ~ 120 – 140 km plus au SE, les terrasses de la Creuse moyenne dans la zone où elle passe du Massif central dans le Bassin parisien ont fourni des âges, également par résonance de spin électronique, pointant une accélération temporaire un peu plus précoce, vers 0,55 Ma (Garon et al., 2017). Quant au Cher, plus à l’est, la datation de ses terrasses étagées ne révèle aucune variabilité de sa vitesse d’incision depuis 1,4 Ma (Voinchet et al., 2010).
33En résumé, de nombreuses observations convergentes étayent le bien-fondé de l’hypothèse selon laquelle les massifs paléozoïques, de la Forêt Noire jusqu’au Massif schisteux rhénan, ont enregistré la propagation d’une vague de surrection à partir de la marge alpine au travers de la plateforme européenne. Par contre, la validation de cette hypothèse par les données géochronologiques du Bassin parisien n’est à ce jour pas possible eu égard à la plus grande difficulté d’y identifier des événements de moindre ampleur et à la dispersion de données encore insuffisantes. Les données existantes ne contredisent pas pour la cause l’interprétation de la courbe SR du bassin.
C. Compatibilité de la propagation S–N d’une vague de surrection avec les hypothèses explicatives classiques
34Nous évoquons maintenant rapidement les compatibilités et contradictions entre ce que nous appellerons en raccourci l’hypothèse SR et les deux principaux mécanismes proposés pour les soulèvements plio-quaternaires d’Europe occidentale, à savoir des panaches mantelliques (Ritter et al., 2001) ou le flambage de la lithosphère européenne sous l’effet des contraintes alpines (Dèzes et al., 2004 ; Cloetingh et Van Wees, 2005 ; Bourgeois et al., 2007 ; Cloetingh et al., 2007) (Figure 5). Pour éviter tout malentendu à propos du mécanisme sous-jacent, rappelons ici la nature exacte du phénomène dont les estimations SR permettent de suivre la migration du sud au nord au cours du Plio-Quaternaire. Il s’agit d’un signal de démarrage ou d’accélération de la surrection, qui rompt localement l’équilibre dynamique établi entre déformation verticale de la croûte et incision des rivières. Une fois le front de propagation de ce signal passé, la surrection à l’arrière peut évoluer de façon quelconque, ralentir, voire cesser, ou tout autant se poursuivre au nouveau taux, plus élevé, de soulèvement. Le nouvel équilibre dynamique qui s’établit alors progressivement détermine dans tous les cas l’évolution de R et SR dans le temps.
Figure 5. Modèles conceptuels des mécanismes de surrection lié à (a) un panache mantellique, (b) du plissement lithosphérique (modifié d’après Cloetingh et al., 2013). (a) Topographie dynamique créée par l’ascension d’une instabilité diapirique (thermique) au sein du manteau supérieur rencontrant une lithosphère rhéologiquement uniforme (à gauche, lithosphère rigide) ou multicouche (à droite, lithosphère stratifiée visco-élasto-plastique). (b) Plissement au front d’un orogène d’une lithosphère où croûte supérieure et manteau lithosphérique rigides sont découplés par une croûte inférieure faible et induisent des déformations dont les longueurs d’onde respectives dépendent de la rigidité et de l’épaisseur de chaque unité. Dans le cas d’une lithosphère assimilable à une entité uniformément rigide, la seule longueur d’onde du plissement d’ensemble, proportionnelle à l’épaisseur élastique effective estimée de la lithosphère, sera plus longue même que celle du manteau lithosphérique. À gauche de la coupe, profil vertical de résistance à la compression. À noter aussi qu’en surface, les déformations d’amplitude hectométrique produites par le plissement sont pour partie estompées par les processus d’érosion et de sédimentation.
35Cartographiant la forme planimétrique du soulèvement du Massif schisteux rhénan à l’ouest du Rhin et traçant un profil vertical suivant son axe OSO–ENE, Demoulin et Hallot (2009) ont déjà montré que la forme d’ensemble du soulèvement post – 0,73 Ma ne coïncide pas du tout avec celle de la surrection qui résulterait d’un panache mantellique centré sur l’Eifel méridional. Le profil topographique de leur Figure 4b montre seulement que le léger surcroît d’altitude dans cette dernière région, délimitée vers l’ouest par un talus N–S de pente imperceptible (~ 1°) mais absorbant une dénivelée de ~ 25 m dans le profil de la surface d’érosion danienne à hauteur du couloir (triasique) N–S de l’Eifel, pourrait suggérer la présence d’une composante mineure de surrection liée à de l’upwelling mantellique se superposant à un soulèvement d’échelle régionale plus large et ayant démarré depuis plusieurs millions d’années. Cette possibilité de la combinaison des impacts d’un panache mantellique et de plissement lithosphérique a été explorée par modélisation numérique et a montré les styles de déformations de surface qui résultent de diverses configurations thermomécaniques de leurs interactions, confirmant que les déformations plio-quaternaires de la plateforme européenne pourraient être le produit d’une telle combinaison (Burov et Cloetingh, 2009 ; Cloetingh et al., 2013). On notera toutefois que les indicateurs étayant une surrection plus prononcée centrée sur les champs volcaniques quaternaires de l’Eifel (Schmincke, 2007) sont essentiellement géodésiques et qu’ils ne réfèrent donc qu’à ces vingt dernières années, un instant à l’échelle géologique. En outre, on constate que l’aire de soulèvement maximum identifiée par Kreemer et al. (2020), dont la réalité géophysique semble hors de doute, quoiqu’englobant la zone des volcans de l’Eifel, la dépasse largement, en particulier vers le nord et le NO, et ne présente pas la forme à symétrie radiale qu’on attend de l’expression topographique de l’intervention seule d’une remontée mantellique profonde.
36En incluant le soulèvement plio-quaternaire du Massif schisteux rhénan dans une structure spatiale de déformation nettement plus vaste que le seul massif, les résultats morphométriques présentés ici soulignent encore plus le découplage entre une possible composante locale de surrection d’origine mantellique en Eifel et le soulèvement à long terme d’une partie importante de la plateforme européenne. De plus, la propagation à partir du front alpin d’un axe de soulèvement OSO–ENE est également incompatible avec l’hypothèse du panache mantellique.
37La dimension subcontinentale de la surrection déduite de notre analyse SR, son origine au front de l’arc alpin et sa direction de propagation s’intègrent par contre à première vue beaucoup mieux à l’hypothèse d’un mécanisme de déformation touchant l’ensemble de la plateforme européenne. Cependant, plusieurs de ses caractéristiques ne semblent pas conciliables avec du plissement lithosphérique. Premièrement, la notion même de migration d’un axe de soulèvement sur plusieurs centaines de kilomètres ne peut être incorporée dans le produit du flambage lithosphérique, dont les déformations verticales sont spatialement statiques (Cloetingh et Burov, 2011). En second lieu, alors que le plissement implique par nature la succession d’anticlinaux et de synclinaux, les résultats R/SR témoignent de l’absence de zones de subsidence qui, depuis ~ 2,5 Ma, alterneraient en bandes parallèles à l’arc alpin avec les massifs soulevés. Pourtant, de nombreuses observations relatives aux ondulations du Moho (transition croûte – manteau) à la base de la croûte ouest-européenne s’accordent à y identifier les signes d’un flambage lithosphérique sous les bassins de Paris, de la mer du Nord et d’Allemagne du Nord (Lefort et Agarwal, 1996 ; Van Wees et Cloetingh, 1996 ; Marotta et al., 2000 ; Robin et al., 2003). La longueur d’onde des déformations correspondantes est de l’ordre de 250 à 270 km (Bonnet et al., 2000 ; Bourgeois et al., 2007), suggérant une déflexion du seul manteau lithosphérique sans contribution de la croûte supérieure (Cloetingh et Burov, 1996). Il faut toutefois noter que ce plissement lithosphérique, même s’il semble toujours actif au Quaternaire en Bretagne par exemple (Bonnet et al., 2000), est une réponse à la compression alpine qui se développe depuis le Miocène moyen (Bourgeois et al., 2007). La propagation d’un front de soulèvement plio-quaternaire dont l’amplitude ne dépasse généralement pas 300 m peut en réalité parfaitement se superposer à un plissement lithosphérique de plus grande amplitude (de l’ordre de 1000 m ; Bourgeois et al., 2007) hérité en grande partie du Miocène et maintenu jusqu’à présent par la persistance des contraintes compressives dans la plateforme européenne.
38Étant donné l’incapacité de l’indice SR, indicateur de temps et non d’amplitude, à identifier directement l’allure des déformations, nous avons brièvement exploré cet aspect du problème à partir d’un estimateur d’incision fluviatile, plus caractéristique des quantités de soulèvement que la topographie, dans laquelle interfèrent des héritages anciens. La quantité d’incision étant fonction de la taille des cours d’eau, nous l’avons évaluée à l’échelle continentale pour des rivières de taille donnée, soit celles dont le bassin est compris entre 300 et 1 000 km2, et pour lesquelles les largeurs de vallée au début du Pliocène ont été empiriquement estimées entre 1 500 et 2 200 m. Nous avons estimé l’incision plio-quaternaire de ces seuls segments de vallée par la différence entre l’altitude actuelle de la rivière et celle d’une surface pliocène reconstituée par lissage du SRTM grâce à une fonction de maximum local dans un rayon de 1 250 m. La carte d’incision plio-quaternaire pour cette classe de bassins-versants a ensuite été obtenue par krigeage bayésien empirique sous ArcMap (ESRI, 2015) et dégradation de la résolution à 3 km afin de réduire le bruit d’estimation, permettant l’analyse des variations régionales d’incision fluviatile et, par hypothèse d’équilibre dynamique des rivières de cette taille, celles d’amplitude de soulèvement (Figure 6a). Alors que, malheureusement, les dimensions de la zone étudiée sont insuffisantes pour mettre en évidence des déformations de surface liées au plissement lithosphérique (λ ≈ 350 km pour une épaisseur élastique effective de ~ 60 km réaliste pour la lithosphère européenne ; Cloetingh et Burov, 1996) ou même du seul manteau lithosphérique (λ ≈ 250 km), l’analyse spectrale des données a montré que, dans les directions NO à NNO comprises dans l’angle qui, à partir du front alpin, englobe le Bassin parisien et le Massif schisteux rhénan, un pic se détache du spectre de puissance à des fréquences centrées sur 2.10-5 m-1, soit une longueur d’onde de 45 à 70 km (Figure 6b). Cette longueur d’onde est typique du flambage de la croûte supérieure (Nikishin et al., 1993), suggérant un découplage de celle-ci et du manteau lithosphérique par l’intermédiaire d’une croûte inférieure plus faible, à déformation visqueuse, et la possible superposition de leurs deux longueurs d’onde caractéristiques dans les déformations de surface de la plateforme européenne. Sur ce point, les études à venir devraient dorénavant s’attacher à déterminer si ce plissement crustal enregistré par l’incision plio-quaternaire est bien, comme le plissement lithosphérique quaternaire inféré par Bonnet et al. (2000) en Bretagne, un produit tardif du flambage lithosphérique que Bourgeois et al. (2007) reconnaissent de 17 Ma à maintenant.
Figure 6. (a) Carte des quantités de surrection plio-quaternaire estimées via l’incision des rivières durant la même période pour les zones du Bassin parisien et du Massif schisteux rhénan de la plateforme européenne, maille de 3 3 km (voir texte). (b) Analyse spectrale des amplitudes d’incision selon la direction N 15° O dans la zone (1) où prédominent les massifs anciens (Massif schisteux rhénan, Vosges, Forêt Noire, Odenwald, Forêt palatine) et la direction N 60° O dans la zone (2) du Bassin parisien. Le plissement crustal plus serré que suggère la longueur d’onde moindre dans les massifs paléozoïques (45 km) que dans le Bassin parisien (70 km) pourrait être lié à la rigidité plus élevée d’une croûte plus ancienne.
D. Dynamique de la zone de collision alpine et propagation d’une surrection de son avant-pays
39Admettant donc que la propagation plio-quaternaire d’un signal de surrection au travers de la plateforme européenne trouve son origine dans l’impact de l’orogène alpin sur son avant-pays mais n’est pas assimilable à du plissement lithosphérique, il reste à en déterminer le mécanisme spécifique potentiel. Une remarque préliminaire s’impose : l’apparente multiplicité des causes de soulèvement que cela implique dans la région est liée à la complexité de l’évolution géodynamique cénozoïque de celle-ci et à la variété des forces en jeu (compression tectonique, isostasie, potentiel gravitaire, traction du slab, délamination crustale, dynamique mantellique). Loin d’être suspecte, cette multiplicité est récemment de mieux en mieux reconnue et modélisée (Bourgeois et al., 2007 ; Cloetingh et al., 2013 ; Sternai et al., 2019).
40Résumons d’abord de façon très simplifiée les grands traits de la géodynamique alpine néogène. Faisant suite à une histoire orogénique qui avait commencé dès le Crétacé supérieur (Schmid et al., 2004 ; Kissling et al., 2006), un nouvel épisode de collision continent – continent dans le domaine alpin implique les plaques apulienne et européenne à partir de la transition Éocène – Oligocène (~ 35 Ma ; Kissling et Schlunegger, 2018), après que l’océan valaisan (ou Téthys alpine) eut été entièrement consommé par subduction sous la plaque apulienne. Prolongeant la subduction océanique, ce sont donc le manteau lithosphérique et la croûte inférieure de la plaque européenne qui sont dorénavant subduits et plongent sous la plaque apulienne tandis que la croûte supérieure plus légère (pour partie également d’abord enfouie, puis exhumée) de cette même plaque reste en surface et est prise dans l’hypercollision alpine, fournissant le matériel accrété qui forme les nappes penniques puis helvétiques contre le butoir apulien (Figure 7a). Vers 30 – 25 Ma, la collision qui s’étend latéralement entre plaques européenne et africaine réduit progressivement leur taux de convergence et en change l’orientation, engendrant ainsi un mouvement de rotation antihoraire de la plaque apulienne intercalée. À partir de ce moment (~ 25 – 20 Ma), l’interface entre plaques apulienne et européenne joue en coulissement et les taux de raccourcissement à hauteur de l’orogène tombent à 2 – 3 mm/an (Jolivet et Faccenna, 2000 ; Collombet et al., 2002 ; Handy et al., 2010 ; Rolland et al., 2012). La compression représente dès lors une composante mineure dans l’ensemble des forces qui engendre le fort soulèvement du massif depuis la fin de l’Oligocène (Fitzsimons et Veit, 2001 ; Baran et al., 2014).
41Reposant essentiellement sur l’analyse de données télésismiques de plus en plus nombreuses depuis les années 1990, l’imagerie géophysique 3D du manteau supérieur et de la géométrie des slabs sous l’orogène a puissamment contribué à confirmer et élargir les vues exposées ci-dessus (Lippitsch et al., 2003 ; Mitterbauer et al., 2011 ; Handy et al., 2021 ; Paffrath et al., 2021 ; Plomerova et al., 2021). Les anomalies locales de vitesse des ondes sismiques y sont interprétées en termes d’anomalies de température, les zones froides au sein du manteau signant la présence de slabs ou de morceaux de slab détachés d’une plaque plongeante. À l’ouest du méridien 10° E, les interprétations des nombreuses sections horizontales et verticales du manteau produites par diverses études s’accordent à interpréter le slab penté au SE visible de la surface jusque vers 250 – 300 km de profondeur comme lithosphère européenne subduite (Figure 7b). Plus en profondeur, on retrouve en diverses régions de cette moitié occidentale de la chaîne alpine les traces de parties détachées de cette même lithosphère. On constate par ailleurs que le pendage du slab, assez faible dans les Alpes occidentales françaises, se raidit de plus en plus vers l’est et devient subvertical à partir de 10° E. À l’est de ce méridien par contre, les images, et donc les interprétations, divergent plus. Quoique certaines tomographies suggèrent un slab fortement penté au sud que les auteurs interprètent comme de la lithosphère européenne (Mitterbauer et al., 2011 ; Handy et al., 2021) et que d’autres évoquent une nature composite du slab sous les Alpes orientales (Kästle et al., 2020 ; Paffrath et al., 2021), d’autres encore représentent un slab nettement penté au NE, interprété alors comme de la lithosphère apulienne subduite et impliquant une inversion de polarité de la subduction dans la moitié orientale de la chaîne (Lippitsch et al., 2003 ; Plomerova et al., 2021). Bien que récemment contestée, c’est à ce jour cette dernière interprétation qui a joui du plus de faveur de la part des géologues alpins depuis une vingtaine d’années (Schmid et al., 2004 ; Kissling et al., 2006 ; Handy et al., 2015).
Figure 7. (a) Coupe structurale schématique des Alpes centrales (modifié d’après Schlunegger & Kissling, 2015)
Go : massif du Gothard; Su, Ta, Ad, Si : nappes de Suretta, Tambo, Adula, Simano. (b) Sections tomographiques (tomographie télésismique, anomalies de vitesse des ondes P) verticales des Alpes centrales (b1 – Paffrath et al., 2021) et orientales (b2 – Paffrath et al., 2021; b3 – Plomerova et al., 2021). Les anomalies positives de vitesse (slab froid) apparaissent en bleu, les anomalies négatives (asthénosphère chaude) en rouge. (b1), (b2) C : slab d’origine européenne; A : slab d’origine apulienne sous les Apennins; E : slab d’origine débattue sous les Alpes orientales. (b3) Eu : plaque européenne; Ap : plaque apulienne; Erg : graben d’Eger; NAF : faille nord-alpine; PAL : ligne péri-adriatique (prolongement oriental de la ligne insubrique, les deux formant ensemble la ligne de suture en surface des plaques européenne et apulienne). (b2), (b3) On constate les divergences d’images, et donc d’interprétation relative à la pente et la nature du slab dans les Alpes orientales. Localisation des sections : voir modèle numérique de terrain des Alpes en médaillon.
42Cette cartographie des anomalies mantelliques sous l’orogène permet de comprendre le mécanisme responsable du retard du paroxysme de surrection de la chaîne relativement au moment de la collision. En effet, à partir du moment où la collision continent – continent s’enclencha vers 35 Ma, la convergence des plaques entraîna la subduction de lithosphère européenne désormais continentale. Toutefois, celle-ci, plus légère, tendant à s’y opposer, un contraste de traction vers le bas et de pendage se manifesta rapidement à la jonction entre les parties océanique et continentale du slab, y causant l’étranglement de celui-ci puis, vers 32 Ma, le détachement de la partie océanique du slab (Kissling et Schlunegger, 2018). Une fois, la lithosphère océanique dense détachée, la force de traction de la seule lithosphère continentale subduite fut très fortement réduite. En même temps, l’épaississement de la croûte par agrégation de la croûte supérieure européenne latéralement et sous l’orogène se traduisait par le développement d’une importante racine crustale plus légère que le manteau environnant et exerçant donc une poussée d’Archimède vers le haut. Plus que la convergence des plaques qui se réduisait déjà très fort à ce moment, c’est le déséquilibre entre cette force de poussée croissante et la traction diminuée du slab continental européen qui explique la surrection importante de la chaîne vers 30 Ma (Kissling et Schlunegger, 2018).
43Cette reconstruction des forces en présence est en outre à la base de la théorie d’orogenèse par rollback (Schlunegger et Kissling, 2015 ; Kissling et Schlunegger, 2018 ; Dal Zilio et al., 2020) expliquant l’évolution des Alpes centrales et la progression de l’orogène vers le nord au cours du Néogène. La Figure 8a présente la situation après que le slab océanique s’est détaché de la lithosphère continentale en voie de subduction. La force de compression latérale étant dorénavant peu élevée, ce sont essentiellement des forces verticales qui déterminent la déformation. Le slab continental libéré de la traction de son compagnon océanique est alors peu penté et exerce temporairement une faible traction propre vers le bas, c’est le moment évoqué ci-dessus du paroxysme de surrection. Mais, au fil du temps, le slab continental subduit est peu à peu échauffé et devient plus flexible, il ploie progressivement et, son pendage augmentant, la traction qu’il exerce sur la lithosphère plongeante réaugmente. Quoique toujours de moindre ampleur, des forces verticales de traction du slab s’opposent à nouveau à la force de remontée de la racine crustale légère, et les contraintes d’extension qui en résultent au sein de la lithosphère plongeante engendrent deux phénomènes conjoints (Figure 8b-c) : (i) une délamination qui, au moins au début du processus, se réalise à hauteur du contact manteau – croûte et (ii) le phénomène de rollback, ou recul de la zone de plongement de la plaque subduite et de la ligne où elle passe sous la plaque chevauchante, lequel se réactive après la pause imposée par la faible pente initiale du slab continental après détachement de sa contrepartie océanique. Par ailleurs, l’opposition de la poussée vers le haut de la racine crustale de l’orogène d’une part et de la force gravitaire exercée par la masse de la chaîne d’autre part provoque une compression de la croûte à la base du relief alpin, compression qui est transférée vers l’avant-pays alpin dans le plan de celle-ci (Singer et al., 2014 ; Mock et Herwegh, 2017). Au fur et à mesure où la pente du slab continental se raidit durant le Miocène, rollback et migration concomitante vers le nord de la délamination crustale (qui peut par ailleurs en même temps se manifester à des niveaux crustaux plus superficiels) entraînent ainsi une progression vers le nord du front de déformation et de soulèvement alpins (Herwegh et al., 2017), y incorporant le Jura plissé et la zone des molasses subalpines au nord des Alpes centrales entre 12 et 4 Ma (Mock et Herwegh, 2017 ; Mock et al., 2020).
Figure 8. Modèle orogénique de rollback du slab européen sous les Alpes centrales depuis l’Oligocène (d’après Schlunegger & Kissling, 2015). (a) 30 Ma : le slab océanique s’est détaché peu auparavant, le slab continental européen léger est peu penté et exerce une moindre traction vers le bas de la plaque, ne compensant plus la poussée vers le haut de la racine crustale; les Alpes se soulèvent activement. (b) 20 Ma : le slab européen commence à plonger plus fortement, rollback et délamination de la croûte se poursuivent, propageant la surrection topographique vers le nord (parallèlement, le relief créé est fortement érodé). (c) 10 Ma : le pendage du slab se raidit de plus en plus et de moins en moins vite; le rollback ralentit mais la délamination se poursuit, se propageant toujours vers le nord (Jura) et y touchant des niveaux crustaux de plus en plus superficiels. La surrection est d’ampleur réduite mais s’avance également vers le nord. Le soulèvement de la zone Bassin parisien – Massif schisteux rhénan de la plateforme européenne en est la manifestation la plus récente. LAL : limite asthénosphère – lithosphère; NLB : limite nord du bassin flexural (molassique); 1, 2 : quantités de rollback durant les périodes 35 – 30 Ma et 30 – 10 Ma; N1, N2 : progression vers le nord du front alpin durant les mêmes périodes; S1 : raccourcissement des Alpes méridionales (plaque apulienne).
44Les données géodésiques de déformation verticale du sol et la sismicité actuelle dans l’avant-pays au nord des Alpes confirment la poursuite jusqu’actuellement, à un rythme ralenti, des processus décrits ci-dessus (Sue et al., 2007 ; Singer et al., 2014 ; Mock et Herwegh, 2017) et, combinées à des données de sismique réflexion, suggèrent même à Mock et Herwegh (2017) qu’à hauteur du bassin molassique suisse et du Jura, la tectonique de couverture active jusqu’à la fin du Miocène tendrait à faire place depuis le Pliocène à une tectonique de socle. D’autre part, les mesures du champ de contraintes actuel dans la plateforme européenne au nord et au nord-ouest des Alpes y décrivent bien une compression orientée perpendiculairement à l’arc alpin (Delacou et al., 2004 ; Kastrup et al., 2004). La migration d’un axe de surrection, qui aurait démarré de la région au nord du Jura et du bassin molassique suisse vers 2,5 à 2 Ma pour se propager vers le NNO et le NO dans la partie de la plateforme située au nord des Alpes centre-occidentales, s’accorde parfaitement avec ce mécanisme géodynamique où rollback, délamination crustale et compression/soulèvement progressent vers le nord depuis le Miocène à des vitesses de propagation et taux de surrection compatibles avec les résultats des observations morphométriques SR et géomorphologiques, et en impliquant des niveaux de plus en plus superficiels de la croûte. En outre, la distribution des foyers et la nature des mécanismes des séismes sous le graben du Rhin supérieur et ses épaules vosgienne et de la Forêt Noire suggèrent que ces séismes pourraient bien signer l’embryon d’une rampe crustale pentée à 6° vers le SE, s’enracinant dans la discontinuité de Conrad au SE et affleurant la surface topographique au nord à hauteur de la transition entre Vosges du Nord et bassin de Sarre – Lorraine, manifestant, en association avec le soulèvement plio-quaternaire de la région, la compression active qui affecte actuellement la croûte supérieure de la plateforme (Edel et al., 2006).
45On notera d’autre part que, vers l’est, le raidissement du slab mène, au-delà du méridien 10° E, à un quasi-équilibre au sein de la lithosphère européenne des forces verticales de traction du slab et de poussée d’Archimède de la racine crustale. Dans cette situation, la délamination croûte – manteau peut évidemment se poursuivre mais le pendage du slab ne pouvant plus s’accroître, le rollback devient quasi inexistant et le transfert de contraintes vers la plateforme européenne est aussi très fortement réduit (Mock et Herwegh, 2017). La localisation de ce changement de dynamique du slab et de ses conséquences en termes de contraintes crustales est également en parfait accord avec le constat morphométrique que l’aire de propagation de la surrection à travers la plateforme se termine brusquement vers l’est à hauteur du même méridien, soit au passage du Massif schisteux rhénan vers le Bassin souabe-franconien. Ces deux observations sont tout à fait cohérentes avec la rupture de style de la chaîne dans la même région, opposant aux Alpes centrales et occidentales des Alpes orientales ayant, en raison de la cinématique des plaques, subi une moindre compression, avec pour conséquence un orogène plus large mais moins soulevé, où une érosion moindre a préservé les nappes austro-alpines appartenant à la plaque apulienne et chevauchées sur la plaque européenne (Fitzsimons et Veit, 2001). À la base de la croûte, cette rupture est encore confirmée par le changement net d’allure du Moho sous les Alpes au-delà de 13° E (Kind et al., 2021).
46Quant à la limite occidentale indiquée par les données SR pour la zone de migration SE–NO de surrection, elle est plus difficile à décrypter pour les raisons suivantes. Au niveau géodynamique, s’agissant d’explorer l’impact potentiel des mouvements alpins sur l’avant-pays de la chaîne, les différences de comportement entre Alpes occidentales et centrales sont beaucoup moins claires et tranchées. Par ailleurs, dans cette région, d’autres causes manifestes de mouvements verticaux se superposent à l’influence possible d’un plissement lithosphérique (Bourgeois et al., 2007), en particulier l’évolution du rift ouest-européen (Merle et Michon, 2001 ; Bourgeois et al., 2007) et le volcanisme néogène et quaternaire du Massif central (Lustrino et Wilson, 2007). Enfin, quoique dépourvu de tendance suggérant un déplacement dans le temps d’un axe de surrection (et ne permettant donc pas d’identifier le mécanisme de surrection décrit ci-dessus), le profil SR couvrant Massif central et Massif armoricain montre des anomalies significatives. La longueur d’onde de celles-ci (~ 200 km), l’existence d’instabilités diapiriques sous le Massif central et la coïncidence temporelle entre l’âge morphométrique des zones de surrection SR récente (0,11 Ma) et le dernier épisode de volcanisme de la Chaîne des Puys pourraient ainsi indiquer l’existence d’une composante de flambage lithosphérique toujours actif dans l’avant-pays des Alpes occidentales, confirmant l’interprétation de Bonnet et al. (2000) dans le Massif armoricain. Ce point reste cependant à confirmer par des recherches complémentaires.
Conclusion
47Afin de comprendre les causes des soulèvements plio-quaternaires décrits dans de nombreux massifs anciens d’Europe nord-occidentale et connus également dans certaines parties des bassins mésozoïques de la région, une approche géomorphométrique basée sur la mise en œuvre d’un nouvel indice morphométrique composite décrivant le degré de réponse des systèmes de drainage à un signal tectonique de surrection a été utilisée pour produire une carte synthétique de l’âge des crises de surrection ayant affecté l’ensemble de la plateforme européenne au front de l’arc alpin depuis les massifs armoricain et central à l’ouest jusqu’au massif de Bohême à l’est. Cette analyse a en particulier révélé l’existence d’une zone étendue de comportement cohérent de l’indice SR suggérant qu’un soulèvement dont l’axe s’étire parallèlement à l’arc alpin a progressé depuis la marge de ce dernier vers les parties distales de l’avant-pays de la chaîne depuis ~ 2,5 – 2 Ma et se manifeste récemment au nord-ouest du Bassin parisien et au nord du Massif schisteux rhénan. L’intégration de ce résultat dans le contexte de l’évolution géodynamique des Alpes a permis de proposer un mécanisme où le timing de l’ensemble de ces surrections dans la région Bassin parisien – Massif schisteux rhénan traduirait la transmission et la propagation lente de contraintes compressives dans la croûte européenne au droit des Alpes centre-occidentales, liées à la balance des forces verticales au sein de la lithosphère et à la persistance de rollback de la plaque européenne à hauteur de cette partie de la chaîne. Parallèlement, les résultats morphométriques indiquent que l’impact d’instabilités diapiriques dans le manteau en diverses régions de la plateforme européenne (Eifel, Massif central) ne joue qu’un rôle plus ou moins subordonné mais en tout cas local sur la surrection. Ils suggèrent aussi que le rôle du flambage lithosphérique, indéniable à une plus large échelle spatiale (incluant jusqu’au bassin de la mer du Nord et la partie méridionale de l’Angleterre) et temporelle (depuis la fin de l’Éocène), est dorénavant secondaire dans la région Bassin parisien – Massif schisteux rhénan mais pourrait bien rester plus prégnant au sud-ouest de cette aire, dans l’avant-pays des Alpes occidentales françaises.
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Over : Alain Demoulin
Unité de Géographie physique et Quaternaire
UR SPHERES, Université de Liège
ademoulin@uliege.be
Over : Hadrien Bourdon
SIGGIS (Cevi Group), Diegem
had_bourdon@hotmail.com