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S’alimenter en temps de Covid-19 dans les quartiers sous-intégrés de Libreville : quelques pistes de solutions face à l’insuffisance des produits agricoles locaux
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Les différents confinements liés au Covid-19 au Gabon ont été une période propice pour évaluer le système d’approvisionnement des marchés de la capitale Libreville. La production locale étant relativement faible, la fermeture des frontières a exacerbé les difficultés d’alimentation, surtout pour la population économiquement faible habitant dans les quartiers sous-intégrés. Ce problème causé d’abord par la limitation des déplacements et par l’arrêt des activités informelles et « petits boulots » a ensuite été aggravé par la pénurie ou l’insuffisance des produits alimentaires et agricoles favorisant ainsi une hausse des prix. La fermeture des frontières qui a généré un faible approvisionnement des marchés montre la nécessité d’avoir une production locale soutenue. L’intérêt de cette analyse est de faire le point de la situation alimentaire des librevillois économiquement faibles durant le Covid-19, de dresser un état des lieux de l’agriculture urbaine et péri-urbaine à Libreville de manière à proposer quelques pistes de solutions face à l’approvisionnement insuffisant en produits locaux, dans le but de renforcer leur disponibilité et leur accessibilité via les circuits courts pour un système alimentaire durable. Cette étude s’est faite à partir des enquêtes semi-directes réalisées sur le terrain (2021), d’une étude de Edou Edou (IGAD, 2012) et d’une documentation orientée.
Abstract
The various Covid-19-related closures in Gabon were an opportune time to assess the supply system of the markets in the capital Libreville. As local production is relatively low, the closure of the borders has exacerbated food supply difficulties, especially for the economically weak population living in under-integrated neighbourhoods. This problem, which was initially caused by the restriction of travel and the cessation of informal activities and 'petty jobs', was then aggravated by the shortage or insufficiency of food and agricultural products, which led to a rise in prices. The closure of the borders, which has led to low market supply, shows the need for sustained local production. The purpose of this analysis is to assess the food situation of economically weak Librevillians during Covid-19, to draw up an inventory of urban and peri-urban agriculture in Libreville in order to propose some solutions to the insufficient supply of local products, with the aim of increasing their availability and accessibility via short circuits for a sustainable food system. This study was based on semi-direct surveys carried out in the field (2021), a study by Edou Edou (IGAD, 2012) and oriented documentation.
Table des matières
Introduction
1Pour de nombreux pays africains, tels que le Sénégal, le Maroc, le Burkina Faso, le Madagascar, l’agriculture urbaine et périurbaine constitue un moyen non négligeable d’approvisionnement alimentaire de leurs urbains. Elle « offre des opportunités intéressantes aux pays africains à l’heure où la question de l’alimentation des villes se pose avec acuité sur fond d’urbanisation galopante » (Moustier, 2020). Or, dans ces pays « l’agriculture urbaine a crû en même temps que la population » (Aubry, 2021). En conséquence, l’approvisionnement en produits agricoles issus de l’agriculture urbaine et périurbaine, à travers leur commercialisation en circuits courts de proximité, peut apparaître comme une solution pour résoudre le problème de dépendance alimentaire (ADEME, 2012), et des pénuries alimentaires urbaines, surtout en temps de crise comme celle générée par le Covid-19.
2À l’échelle mondiale, à cause de la crise sanitaire, plusieurs systèmes alimentaires, ont été confrontés à des difficultés, révélant leur fragilité et créant d’autres opportunités pour les améliorer. En France, la période de confinement a aussi été celle du développement des circuits courts et de proximité (CCP), en favorisant d’autres alternatives pour les consommateurs et les producteurs agricoles, même si les innovations impulsées par cette dynamique ont eu du mal à se poursuivre après la crise (Alonso Ugaglia et al., 2021 ; Darrot et al., 2020). De même le système alimentaire du Burkina Faso a lui aussi montré ses limites devant les difficultés causées par les variations de prix sur le marché international et devant les difficultés d’écoulement des produits maraîchers et d’élevage en l’occurrence. Mais il a tout de même continué à nourrir sa population, grâce aux nouvelles mesures d’adaptation (Dugué et al., 2020).
3C’est dans ce sens que le système alimentaire gabonais, est questionné pour voir comment il s’est comporté durant les confinements de 2020. C’est aussi un système dans lequel l’agriculture urbaine et périurbaine est importante pour apporter un plus à l’approvisionnement des marchés urbains. Par ailleurs, ce système ayant déjà des antécédents de fragilité révélant les carences de sa production nationale insuffisante, a continuellement favorisé d’importantes importations alimentaires. En effet, 96 % des denrées alimentaires ont été importées en 2020 (FAO, 2020), coûtant 450 milliards de FCFA par an à l’État (Manfoumbi, 2017). Cela s’explique par l’accroissement de la population urbaine générant d’énormes besoins alimentaires qui pourraient être comblés au moins en partie par une production locale. En conséquence, une étude antérieure montrait déjà que « du fait de la faiblesse de la production nationale, les importations alimentaires croissent rapidement (9 % par an) pour couvrir les besoins alimentaires, particulièrement ceux de la population urbaine » (Gabon-FAO, 2009, p. 40). Celle-ci représente, en effet, 89,37 % de la population du Gabon en 2018 (Banque mondiale). De plus, dans la capitale gabonaise, « les produits importés sont consommés quotidiennement par 95% des ménages pour ce qui est du pain, par 70% des ménages pour le riz et 51% pour la viande bovine » (Gabon-FAO, 2009, p. 41).
4Or la crise occasionnée par le Covid-19 a révélé deux situations. D’une part, on a observé une difficulté d’approvisionnement des marchés urbains librevillois par les produits étrangers et locaux lors de la fermeture des frontières, d’autre part, l’arrêt de plusieurs activités économiques réduisant le pouvoir d’achats des ménages les plus pauvres, ont contribué à limiter l’accès à l’alimentation des « Gabonais économiquement faibles », habitant dans les quartiers sous-intégrés de la capitale. Ces derniers se singularisent par une habitation anarchique qui ne respecte pas toujours les normes d’urbanisme et de modernisation, car ils sont nés des œuvres de squatterisation et d’urbanisation spontanée d’une population toujours en croissance, venue majoritairement des milieux ruraux, à laquelle s’ajoute de nombreux expatriés venus d’ailleurs pour améliorer leurs conditions de vie (Nguema, 2005). Ces deux situations déjà connues avant le Covid-19, se sont davantage empirées avec la crise sanitaire.
5En conséquence, assurer l’approvisionnement alimentaire continu des ménages du « Grand Libreville » composé de Libreville et des communes qui lui sont limitrophes : Ntoum, Akanda, Owendo, en produits locaux, a été un défi, que nous nous proposons d’analyser dans cet article. Quelles difficultés les populations habitant dans les quartiers défavorisés de ce « Grand Libreville » ont-elles rencontré pour s’alimenter durant les confinements ? Comment les produits cultivés à Libreville et dans sa périphérie alimentent-ils les marchés urbains ? Quelles solutions envisager ou proposer pour répondre à l’offre insuffisante des produits agricoles locaux ? Trouver des réponses à ces interrogations a guidé cette analyse entrant dans nos thématiques de recherche. Voir comment la population du « Grand Libreville » s’est approvisionnée en denrées alimentaires pendant les confinements et comment pallier l’insuffisance des produits locaux pour un ravitaillement alimentaire urbain durable constitueront les principaux points de cette étude.
I. Cadre de l’analyse et approche méthodologique
A. Situation de l’agriculture gabonaise et des circuits courts
6L’agriculture gabonaise a du mal à se développer, car elle se caractérise par une main-d’œuvre agricole insuffisante, un outillage rudimentaire, un système agricole traditionnel, des routes en mauvais état et un accès difficile aux crédits agricoles. Le recours à l’importation alimentaire est donc inévitable. Ce qui traduit une forte présence des produits étrangers sur les marchés urbains, ceux de la capitale en particulier.
7Face à cela, pendant les confinements, pour limiter la propagation du virus, consommer local devenait malheureusement, une nécessité qui aurait contribué à limiter les déplacements des populations, par le fait qu’elles s’approvisionneraient chez les producteurs les plus proches de leurs habitations. Sauf qu’elles n’ont pas consommé que les produits locaux, car ceux importés, arrivant malgré les contraintes et difficultés imposées par le Covid-19, ont également contribué à leur alimentation, à cause de la carence des produits agricoles locaux.
8C’est dans ce sens, que les circuits courts alimentaires peuvent apparaître comme un moyen « efficace » pour résoudre les problèmes d’approvisionnement alimentaire quand il y a crise. Ces derniers favorisent des productions territorialisées ou des circuits plus localisés (Delhommeau, 2009 ; Praly et al., 2014), pour répondre de façon durable aux besoins alimentaires des populations. C’est ce qui fait dire à Delhommeau (2009, p. 55-56) que « promouvoir les circuits courts, c’est rechercher un équilibre plus sain entre le commerce international et la production locale, chercher à limiter l’agrobusiness qui nuit au développement des pays du Sud, qui fait entrave aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et à l’exploitation durable des ressources ». Néanmoins, au Gabon, l’approvisionnement des produits agricoles à travers les circuits courts reste très limité, à cause des insuffisances constatées dans le secteur agricole citées plus haut. La période de confinement total en l’occurrence était une occasion pour booster la production locale via les circuits courts pour le bénéfice des consommateurs et des agriculteurs.
9Habituellement, deux principes de vente (vente directe et vente indirecte) caractérisant les circuits courts (Praly et al., 2014) pour montrer l’approvisionnement des différents acteurs auprès des agriculteurs locaux, sont analysés. D’abord, la vente directe. Elle est assurée par les agriculteurs aux abords de leurs exploitations (Indjieley et Ovono Edzan, 2020). Dans ce circuit, il n’y pas d’intermédiaire. Les clients (ménages, grossistes, détaillants, restaurateurs et grandes surfaces) achètent directement les légumes locaux et les légumes de type européen auprès du producteur. Ces habitudes ont été conservées même en période de confinement, malgré les difficultés financières et pénuries dues à la crise sanitaire.
10En ce qui concerne la vente indirecte, le consommateur n’a pas de rapport direct avec le producteur. En conséquence, la vente se fait en dehors de l’exploitation agricole et ne devrait faire intervenir qu’un seul intermédiaire. Mais ce n’est pas toujours le cas dans la province de l’Estuaire où souvent interviennent plusieurs intermédiaires. Cela s’explique aussi par les distances importantes entre les lieux de productions et les habitations des consommateurs. En général, le consommateur est considéré comme le dernier destinataire chez qui finissent les produits de l’agriculteur parce qu’il ne les revend pas. Il les achète à l’état brut ou transformé chez les détaillants, les grossistes ou semi-grossistes ou au supermarché, pour les cuisiner ensuite. Mais chez les restaurateurs par contre, il achète un produit fini.
B. Approche méthodologique
11Comme démarche méthodologique pour cette analyse, il a d’abord été utile de consulter des documents spécifiques et généraux pour mieux appréhender les concepts tels que circuit court, à travers l’article de Delhommeau (2009), de comprendre l’alimentation durable, à travers l’ouvrage de Longet (2006). De voir aussi l’état d’un système alimentaire africain impacté par le Covid-19, comme celui du Burkina Faso, à travers l’analyse de Dugué et al. (2020). De plus, des données qualitatives obtenues entre septembre et novembre 2021, auprès de 58 chefs de familles, résidant dans le « Grand Libreville », ont permis de voir comment se sont approvisionnés ces ménages pendant les confinements et quelles difficultés ont-ils rencontré au cours de leur approvisionnement sur les marchés urbains de la zone étudiée. Le tableau ci-après montre un récapitulatif de quelques données sur les personnes interrogées.
Données du terrain |
Nombre |
Chefs de famille |
58 |
Âge moyen des chefs de famille |
Environ 40 |
Personnes en charge en moyenne |
Environ 5 |
Mariés |
16 |
Célibataires |
35 |
En concubinage |
5 |
Veuf ou Veuve |
2 |
Tableau 1. Quelques données sur les personnes interrogées
12L’âge moyen du chef de famille interrogé est environ 40 ans, et il a sa charge environ 5 personnes. Il est aussi à noter qu’on observe plus de chefs de familles célibataires. Ceci peut expliquer les difficultés rencontrées par la plupart des ménages interrogés pour satisfaire aux besoins alimentaires de la famille, notamment, par le fait que ces derniers ne partagent aucune charge avec un conjoint. Dans ce sens, ¾ des chefs de famille disaient avoir été plus préoccupés pour leur alimentation que par la présence du virus. Toutefois, le fait que 24 célibataires ont un travail générant une rémunération fixe chaque mois, était un atout pour répondre à leurs besoins et ceux des personnes qu’ils ont à charge.
13Cette analyse a également été possible, grâce aux données quantitatives obtenues à partir de l’étude d’Edou Edou, dans le cadre de l’IGAD en 2012. En effet, cette étude se base sur le Système d’Information sur les Marchés (SIM) impulsé par le Projet d’Appui au Développement de l’Agriculture Périurbaine (PADAP), dont l’encadrement a été fait par l’Institut Gabonais d’Appui au Développement (IGAD) de 2004 à 2009. L’action a ensuite été perpétuée jusqu’en 2011 par le Projet de Développement et d’Investissement Agricole au Gabon (PRODIAG), qui a été conjointement financé par l’Agence Française pour le Développement (AFD) et l’État gabonais.
14Par conséquent, les relevés, les informations, les prix et les origines ont été enregistrés dans plusieurs villes dont Libreville en l’occurrence. L’objectif était de voir l’approvisionnement des marchés urbains librevillois en produits locaux, influencé par l’état du réseau de communication, et en produits importés, dépendant aussi bien du réseau de communication, des variations des prix sur le marché, que des saisons agricoles et de la fiabilité des circuits qu’empruntent ces produits. Ces différentes informations nous ont été très utiles, car entrant dans notre champs d’analyse. Faute de statistiques récentes, cette étude a permis de montrer l’irrégularité et l’insuffisance des produits agricoles locaux sur les marchés de Libreville. Ce qui a permis d’expliquer la situation rencontrée lors de la crise sanitaire. Nous présentons alors quelques-unes des données issues de l’étude d’Edou Edou dans la partie réservée aux résultats.
II. Résultats et discussion
A. Confinements et alimentation dans le « Grand Libreville »
15Le « Grand Libreville » est une appellation née lors des confinements, employée par le gouvernement pour délimiter le territoire urbain et périurbain de Libreville pour une meilleure gestion du Covid-19. Cette considération territoriale est simplement politique et n’a favorisé aucune organisation spatiale ou économique particulière.
16Dès mi-mars 2020, le gouvernement a décrété un premier état d’urgence, avec un confinement d’abord partiel, pour une durée de 15 jours. Puis deux semaines plus tard, un confinement total a été annoncé et celui-ci s’est suivi de plusieurs allègements ou durcissements suivant la propagation du virus dans le pays. Toutes les mesures prises pour empêcher la propagation du virus ont eu pour conséquence de durcir les conditions de vies des populations à faible revenu notamment pour l’alimentation. En effet, de façon générale, 95 % des ménages urbains considèrent que leur première préoccupation est de répondre aux besoins alimentaires de leur famille (Gabon-FAO, 2009). Alors, comment se nourrir ? Où se nourrir ? Quelle quantité d’aliments disponible pour tout le monde? À quels prix ? ont été les questions constamment posées par les chefs de ménages les plus défavorisés durant cette période.
B. La faim est plus crainte que le virus dans les milieux défavorisés
17À l’instar de la communauté internationale (notamment des pays occidentaux), le gouvernement gabonais a décidé de durcir les mesures visant à stopper la propagation du virus dans son territoire bien que le pays n’enregistrât que très peu de cas de personnes contaminées au virus, c’est-à-dire 76 cas au Covid-19, dont 3 décès positifs en avril 2020 (TV5Monde, 2020). Ce durcissement des mesures gouvernementales alors que les populations avaient peu connaissance des cas de malades a eu pour effet la suspicion à l’égard du gouvernement concernant les protocoles sanitaires.
18Par ailleurs, pour les ménages pauvres ne disposant pas d’une épargne, il y a eu plus d’inquiétudes pour se nourrir que de se faire contaminer par le virus du Covid-19. Car non seulement ils ne comprenaient pas ces protocoles sanitaires, mais aussi arrêter toutes les activités d’un coup n’a fait que les exposer à des difficultés. à ce moment, respecter les mesures barrières, limiter les déplacements, se confiner ou encore tenir compte des couvre-feux passait en second plan devant le besoin de se nourrir. Par conséquent, le Covid-19 bien qu’étant une maladie dangereuse, mais tout de même moins létale que le paludisme, les cancers ou les autres maladies infectieuses, était moins craint que la faim. Certains analystes ont craint des émeutes de la faim (Boespflug et al., 2021).
19De même, plusieurs personnes pourraient mourir de faim plutôt que du Covid-19. Dans ce sens une jeune dame habitant un quartier sous-intégré (Belle-vue 2) s’offusquait en déclarant dans un article de Obiang Nze dans Voaafrique (2020) : « ce n’est pas la pandémie du coronavirus qui va nous tuer, c’est la faim et la misère. Où sont les kits alimentaires qu’on nous a promis ? ». C’était le ressenti de plusieurs citadins pauvres.
20Pour un pays qui importe 96 % de ses denrées alimentaires des pays limitrophes et du reste du monde (FAO, 2020), offrir une sécurité alimentaire est un enjeu important. Même si la circulation des produits alimentaires a été possible, en respectant les normes sanitaires en vigueur, elle a tout de même été confrontée à plusieurs difficultés tant au niveau des frontières, que dans l’organisation classique des importations alimentaires. Comme le confirme les propos d’Abdou Tenkouano, directeur exécutif du Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricole (Coraf), « les agriculteurs ont eu des difficultés, de mars à juillet 2020, à avoir accès aux différents marchés nationaux et transfrontaliers, afin d’écouler leur production » (Union, 2020). De ce fait les lieux de production agricole de proximité devenaient une solution à ce problème.
C. S’alimenter dans les quartiers sous-intégrés de la capitale en temps de Covid-19
21Libreville est une ville faiblement urbanisée avec de nombreux quartiers sous-intégrés où vivent des populations précaires. Cette population, dont la majorité ne dispose pas d’un revenu fixe à la fin du mois, multiplie ce qu’elle appelle les « petits boulots » qui ne l’aident pas toujours à couvrir ses nombreux besoins, dont le fait de se nourrir quotidiennement. Au Gabon, le terme « petit boulot » est employé lorsqu’il s’agit d’une activité dévalorisante, mal rémunérée, qui n’est pas contractualisée de façon formelle, ou une activité informelle à faible revenu. Le terme « petit boulot » permet également d’exprimer la précarité de son activité. Dans ces quartiers sous-intégrés, il est courant que les foyers n’aient qu’un seul repas par jour, en l’occurrence celui du soir. Par conséquent, la mise en place des mesures visant à empêcher la propagation du virus a créé une précarité chez plusieurs ménages qui ont vu leurs difficultés à s’alimenter quotidiennement augmenter au fur et à mesure que la crise sanitaire s’accentuait. Ceci, parce que plusieurs « petits boulots » ont été interdits par le Gouvernement, surtout ceux jugés « non essentiels » (discours de l’ancien Premier ministre Julien Nkoghe Bekalé en mars 2020). Il faut rappeler que l’arrêt du « petit boulot » correspond automatiquement à l’arrêt de la rémunération de la personne qui l’exerce.
22La fermeture ou l’arrêt de nombreux services et activités informelles, la limitation des déplacements, le respect des mesures barrières, n’ont fait qu’aggraver le problème de la faim dans les quartiers sous-intégrés. Le Président gabonais étant conscient de cette situation a promis apporter une aide alimentaire au plus vite aux nécessiteux. Cette aide tant attendue bien que tardive a fini par arriver sous forme de bons d’achat et kits alimentaires. Malheureusement, cette aide gouvernementale, bien qu’irrégulière, a certes soulagé les populations, mais, elle n’a pas été suffisante pour apaiser les craintes et les difficultés alimentaires des ménages des quartiers défavorisés.
23Malgré leurs difficultés financières durant les confinements, les Librevillois se sont approvisionnés en produits alimentaires dans le périmètre circonscrit. Les personnes interrogées disent avoir gardé leurs mêmes habitudes, c’est-à-dire faire les courses dans les mêmes lieux d’approvisionnement. Ces quelques lieux sont représentés dans la figure ci-après.
Figure 1. Répartition des lieux d’approvisionnement selon le nombre de citations
24Un regroupement de structures d’approvisionnement a été fait pour simplifier la multiplicité des lieux de ravitaillement cités par les personnes interrogées. Ainsi, dans les supermarchés, on peut y trouver toutes les grandes surfaces de la capitale. De même, les Gels sont de nouvelles structures commerciales apparaissant avec des noms différents (San Gel, Sipa Gel), dont le concept est le même : vendre des produits surgelés.
25Lors des confinements, ces personnes se sont approvisionnées en gros ou en détail les produits alimentaires locaux et importés selon la disponibilité des produits et selon que leurs finances le leur permettaient. Le marché de Mont Bouët, les supermarchés ou les épiceries ont plus été cités parce qu’ils vendent une large variété de produits alimentaires et non alimentaires. Par ailleurs, on peut constater que 70 % de ménages consomment plus les produits surgelés (cf. Les Gel) que les produits frais, car peu de personnes s’est par exemple rendu au Centre d’appui à la pêcherie artisanale de Libreville (CAPAL) pour y acheter du poisson frais.
D. L’agriculture urbaine et périurbaine : une solution pour l’alimentation durable des Librevillois
26Sur le territoire de Libreville et sa périphérie, on observe une agriculture urbaine et périurbaine marquée par des cultures vivrières (banane, manioc, autres cultures), des cultures maraîchères (légumes locaux et légumes étrangers) et un peu d'élevage (porcin, volaille). Les produits issus de cette agriculture constituent la production agricole locale et contribuent à assurer la sécurité alimentaire des ménages. Dans ce sens, Indjieley et Ovono Edzang (2021) montrent dans leur analyse sur le maraîchage à Libreville et à sa périphérie, la contribution des jardins des arrière-cours des maisons des citadins, dans la consommation alimentaire quotidienne des urbains. La variété des produits de l’agriculture vivrière et du maraîchage, observée dans ces jardins d’environ 150 m², s’avère un « petit » plus dans l’alimentation journalière, car les femmes notamment « y prélèvent des produits utiles à la préparation rapide d’un repas amélioré, en attendant d’aller au « grand champs » situé en dehors du périmètre urbain ou encore au marché public » (Indjieley et Ovono Edzang, 2021, p. 301).
27Plusieurs documents nationaux considèrent comme un produit local, tout produit issu du territoire gabonais (cela s’apparente au « made in Gabon »), par opposition à un produit importé. Mais dans cette étude, quand nous parlons de produit local, nous faisons surtout référence aux produits provenant des localités immédiates de Libreville et sa périphérie, à cause du contexte pandémique. Nous nous sommes inscrits dans la vision des « locavores », ce mouvement né en Amérique de l’ouest en 2005. En général, ce terme désigne des consommateurs qui privilégient l’achat des produits alimentaires locaux, autrement dit des produits distribués et consommés dans un rayon géographiquement restreint, c’est-à-dire dans un rayon qui n’excède pas 150 km1. Il est vrai que dans le concept gabonais cette vision de consommer ne correspondrait pas aux habitudes de pauvres qui n’ont aucune exigence et préfèrent plutôt acheter les produits importés bons marchés.
28C’est finalement l’échelle provinciale (circonscription administrative) qui a permis d’analyser les produits locaux dans notre étude. Libreville est majoritairement joignable à sa périphérie par la route. Ainsi, ont été considérés les produits provenant de Akanda (32 km), Owendo (14 km), Ntoum (38 km), Kango (92,3 km), Cocobeach (120 km.) Ainsi, ces villes constituent la banlieue de Libreville, c’est ce qui a permis la délimitation de sa zone périphérique telle que présentée sur la carte ci-dessous.
Figure 2. Localisation de la périphérie de Libreville
29Il s’agit des produits maraîchers, vivriers, fruitiers, marins et d’élevage provenant de Libreville, de sa périphérie et du long des voies de communication de la province de l’Estuaire. Ce qui permet de voir, grâce à l’action des producteurs locaux, le ravitaillement de ces produits sur les marchés urbains.
E. Les carences de l’agriculture urbaine et périurbaine à Libreville
30D’après le SIM de Libreville, fait par Edou Edou en 2011, les légumes fruits, les légumes feuilles, les fruits ou produits vivriers (gombo variété Togo, aubergine blanche, maïs épi vert), produits en système pluvial ou les légumes feuilles (amarante, oseille de Guinée, morelle, laitue, oignon vert) produits en système intensif, ont retenu notre attention (Tableau 2).
Types de produits |
Lieux de production |
Légumes feuilles : -Oseille de Guinée -Amarante -Basilic -Laitue -Feuilles de manioc -Morelle -Oignon vert |
Owendo hors périmètre IGAD, quartiers extrême nord de Libreville, quartiers est de Libreville, Alibandeng hors périmètre IGAD, périmètres IGAD, route d’Ayem, route de Bikélé-Ntoum, route de Cocobeach, route Ntoum-Kango, route du Cap, route de Médouneu, autres zones de l’Estuaire |
Légumes fruits : -Aubergine blanche -Aubergine violette -Concombre -Gombo (variété Togo) -Maïs épi vert |
Owendo hors périmètre IGAD, quartiers extrême nord de Libreville, quartiers est de Libreville, Alibandeng hors périmètre IGAD, périmètres IGAD, route d’Ayem, route de Bikélé-Ntoum, route de Cocobeach, route Ntoum-Kango, route du Cap, route de Médouneu, autres zones de l’Estuaire |
Tableau 2. Lieux de provenance des produits agricoles vendus sur les marchés, en 2011. Source : Edoud Edou (IGAD, Libreville 2012)
31Dans ce tableau, nous n’avons voulu montrer que les produits (légumes feuilles et les légumes fruits) qui sont exclusivement cultivés dans la province de l’Estuaire, c’est-à-dire à Libreville et ses alentours (cf. carte), pour rester dans la vision du locavorisme. C’était pour voir si ces produits peuvent ravitailler d’eux-mêmes les marchés urbains du « Grand Libreville », sans avoir recours aux produits venus d’ailleurs. D’après Edou Edou, en 2011 en moyenne, c’est Alibandeng hors périmètre IGAD qui a le plus contribué à l’approvisionnement de laitue, d’amarante, d’oseille de Guinée et de la morelle sur les marchés (27 %), suivis des quartiers est de Libreville (25 %) et des périmètres IGAD (22,5 %). Mais nous verrons dans le détail à travers les graphiques successivement présentés, comment l’approvisionnement des marchés librevillois s’est fait en 2011. Dans la figure ci-après, sont présentés les différents lieux d’où proviennent les légumes fruits qui ont ravitaillé les marchés de Libreville en 2011.
Figure 3. Origine des légumes fruits vendus à Libreville en 2011. Source : Edou Edou (IGAD, Libreville 2012)
32Les légumes fruits concernés sont : aubergine locale, aubergine violette, concombre, maïs épis, piment, poivron, tomate allongée et tomate ronde. Il a été constaté que la tomate allongée tout comme la tomate ronde, ainsi que l’aubergine violette proviennent aussi bien de Libreville, sa périphérie, des autres provinces (Moyen Ogooué, Woleu Ntem) que du Cameroun (à hauteur de 20 %). La figure ci-après, montre le cas des légumes feuilles.
Figure 4. Origine des légumes feuilles vendus à Libreville en 2011. Source : Edou Edou (IGAD, Libreville 2012)
33Les légumes feuilles analysés sont les suivants : amarante, oseille de Guinée, baselle, basilic, laitue, oignon vert, chou pommé. Comme dit plus haut, la Figure 4 confirme que les légumes vendus, en 2011, proviennent en grande quantité d’Alibandeng (24 %), suivis des quartiers « est » (23 %), des périmètres IGAD (17 %), des autres zones de l’Estuaire (11 %) et du Cameroun (10 %). La Figure 5 révèle quant à elle, le cas des produits vivriers.
Figure 5. Origine des produits vivriers vendus à Libreville, en 2011. Source : Edou Edou (IGAD, Libreville 2012)
34Les produits vivriers (banane, igname, patate douce, manioc) proviennent majoritairement du Cameroun et de la province de l’Estuaire, avec respectivement 36 et 24 %. De même, les fruits (citron vert, ananas, prune "atanga" petit bleu, papaye, avocat vert clair) sont fournis en grande partie par le Cameroun (47 %) et l’Estuaire, 38 % (Figure 6).
Figure 6. Origine des fruits vendus à Libreville, en 2011. Source : Edou Edou (IGAD, Libreville 2012)
35L’analyse des lieux de provenance des produits agricoles vendus sur les marchés de Libreville, en 2011, a permis de comprendre la prédominance de certains lieux de production de Libreville et de la province de l’Estuaire dans l’approvisionnement des marchés de Libreville. Les flux concernent les fruits et légumes qui sont fragiles et dont le transport nécessite une logistique complexe pour qu’ils arrivent en bon état vers les lieux de consommation. En temps de Covid-19, nous ne pouvons pas affirmer que le schéma d’approvisionnement est resté le même, mais ce schéma permet de voir qu’il existe un réel besoin d’approvisionnement en produits agricoles locaux, même périssables. Car les produits venant de l’Estuaire ne suffisent pas à eux seuls à approvisionner les marchés urbains de Libreville et ceux de ses villes limitrophes.
36Le secteur agricole reste confronté aux mêmes difficultés mentionnées plus haut, ne favorisant pas son développement. Donc depuis 2011 où Edou Edou a fait son analyse, tout laisse croire qu’il n’y a pas eu une amélioration au niveau de l’approvisionnement des marchés de Libreville en produits agricoles locaux. On constate aussi la prédominance des produits venant du Cameroun. En conséquence, les producteurs locaux gagneraient en augmentant la production des produits périssables tels que les fruits et légumes, parce qu’étant proches des marchés urbains, ils auront la primauté sur les produits importés. Il est évident que pour augmenter la production locale, il faut faire plus que l’accompagnement proposé par l’IGAD car à ce jour le marché des fruits et légumes de Libreville est toujours fortement dépendant des importations des pays voisins qui ont pourtant sensiblement le même climat.
37C’est pour pallier le déficit constaté dans l’approvisionnement en produits locaux des marchés urbains, en l’occurrence celui de la capitale, que L’État gabonais crée l’IGAD en juin 1992, avec l’appui d’Elf Gabon (Total Energies, EP Gabon aujourd’hui) et d’Agrisud-International, pour remédier au sous-développement de l’agriculture urbaine et périurbaine, à travers :
38• « le développement d’un tissu agricole périurbain de type privé sous forme d’agriculture sédentaire, intensive et protectrice de l’environnement ;
39• l’approvisionnement des marchés urbains en produits frais locaux ;
40• la recherche-développement sur la valorisation des potentialités agricoles et para-agricoles » (IGAD).
41Ces trois objectifs fondamentaux de l’IGAD, lui ont permis de mener à Libreville, comme dans les autres communes, et même dans l’ensemble du pays, des activités de formation, de sensibilisation, d’incitation, de contrôle et d’accompagnement relatives au métier de la terre. Ainsi, plusieurs exploitations maraîchères comme vivrières sont nées sous l’impulsion de l’IGAD pour approvisionner régulièrement les marchés des villes en produits frais locaux et permettre aux agriculteurs d’être autonomes et de vivre correctement de leur activité. Grâce à ces objectifs, l’IGAD cherche à accroitre la production agricole locale voire nationale, ce qui contribuerait à réduire les importations alimentaires.
42Á Libreville, l’IGAD aide aussi bien les maraîchers que les producteurs des produits vivriers et les petits éleveurs. Dans son important Projet de développement et d’investigation agricole au Gabon (PRODIAG), pour la période 2011-2016, l’IGAD a vulgarisé l’agriculture à Libreville et dans sa périphérie. On retrouve donc des périmètres dirigés par l’IGAD dans la commune de Libreville : Alibandeng au nord, PK8, les sites de l’Aéroport de Libreville (ADL), dans la périphérie de Libreville (Nkoltang, Ayémé, Donguila) et dans la commune d’Owendo (site OPRAG).
43Ces exploitations maraîchères, vivrières et d’élevage sont tenus par les nationaux et étrangers, avec une prédominance masculine, due à la pénibilité des travaux champêtres tels que le labourage, le billonnage (Indjieley, Ovono Edzang, 2021). Cette forte présence masculine peut aller jusqu’à 83 % d’hommes contre 17 % de femmes dans les sites librevillois, même si pour le site d’Owendo les femmes de nationalité gabonaise sont plus nombreuses (36 %), mais elles ne dépassent pas toujours les hommes (Bayendi Loudit et al., 2017). Malgré cet apport de l’IGAD, l’agriculture urbaine et périurbaine à Libreville et dans sa périphérie a encore besoin d’un renouveau.
F. Les habitudes alimentaires des Gabonais : un obstacle au développement des produits locaux
44En juillet 2017, Yves Fernand Manfoumbi, Ministre de l’Agriculture, intitule son projet de relance du secteur agricole, Pour un Gabon sans faim et sans malnutrition, consommons local. Il montre dans son exposé que le Gabon est très tributaire de l’étranger pour son approvisionnement en viandes, céréales, fruits et légumes. Ce qui alourdit la facture des importations alimentaires. Ainsi, pour renverser cette tendance, il considère que la production locale des produits vivriers et agroalimentaires est très importante pour garantir la sécurité alimentaire et nutritionnelle du Gabon. Or cet objectif avait déjà été fixé auparavant par le programme national de sécurité alimentaire (PNSA), en 2008, pour favoriser le développement agricole et la sécurité alimentaire au Gabon.
45Demander de consommer local, c’est aussi finalement demander à la population d’adhérer à un mode de penser et de consommer qui n’est pas forcément connu des Gabonais. On comprend bien une sensibilisation collective vers le « locavorisme » pour sortir le pays de la dépendance alimentaire et des affres de la pauvreté à travers l’amélioration des revenus agricoles ou peut-être privilégier les produits nationaux, pour favoriser le ʺmade in Gabonʺ, à travers les circuits courts.
46En général au Gabon, la population ne se préoccupe pas de la provenance des produits et il n’y a pas une réelle préférence pour les produits agricoles locaux. Peu de personnes se considèrent comme « locavores », parce que c’est plutôt le prix, la quantité, voire l’accessibilité aux produits qui les motivent lors de leurs achats. Cela veut dire que ce sont les produits bon marché qui sont les plus sollicités sur les marchés à cause des difficultés financières de nombreux ménages. En effet, l’Enquête Gabonaise pour l’Évaluation et le Suivi de la Pauvreté (EGEP, 2017) montre que 33,4 % de la population gabonaise vit en dessous du seuil national de pauvreté. En conséquence, acheter les produits locaux qui coûtent souvent plus chers que ceux importés est un luxe que seuls les ménages « aisés » peuvent acquérir. La Figure 7 illustre les réponses recueillies auprès des personnes interrogées sur la consommation de produits locaux.
Figure 7. Proportion des personnes consommant des produits frais
47« Manger frais » est considéré par les « locavores » comme faisant partie des raisons évoquées pour justifier ce mode de consommation (Astruc et Cros, 2011 ; Parot et al., 2017). Ainsi, à la question « mangez-vous des produits frais ? Si oui, à quelle fréquence ? », 10 % des personnes interrogées affirment n’avoir jamais mangé des produits. Cela peut paraître curieux, mais on peut le comprendre par le fait qu’en réalité ces personnes ont déjà mangé des produits frais, mais sans s’en préoccuper, sans que cela soit une intention particulière. Cela veut dire qu’elles achètent sur les marchés ce qu’elles trouvent, sans trop d’exigences. Mais c’est la méconnaissance de la fraicheur des produits par ces personnes qui attire l’attention. Aussi, la précarité du budget alimentaire peut expliquer cette attitude.
48Le fait que 18 % de personnes mangent « toujours » frais peut traduire l’attitude responsable qu’elles ont devant les produits présentés et parce que leur budget le leur permet. Pour justifier cette attitude, elles déclarent : « on fait attention à ce qu’on mange » ou « les produits frais sont de meilleure qualité », ou encore « les produits frais ont plus de saveur que les autres ». Cependant, malgré ces affirmations, on ne peut les considérer comme des « locavores », parce que des questions dans ce sens ne leur ont pas été posées. De plus, il a été constaté que lorsqu’elles parlent de « manger frais », elles font surtout référence au poisson frais acheté dans les débarcadères, dans les marchés ou au CAPAL. Or, ce principe devrait s’appliquer à tous les autres produits agricoles, pour mieux voir la responsabilité des consommateurs sur leur alimentation.
49Par ailleurs, il est important qu’il y ait une régulation des prix sur les marchés entre produits locaux et produits importés, pour que les consommateurs aient une préférence pour les produits locaux. Aussi, pour une augmentation de la production locale, les consommateurs gabonais devraient être plus exigeants sur les produits qu’ils consomment. De même les producteurs devraient davantage tenir compte de la qualité et de la quantité pour s’imposer sur le marché national.
Conclusion
50La période de crise sanitaire a été choisie pour montrer l’insuffisance des produits agricoles provenant de Libreville et sa périphérie pour répondre aux besoins alimentaires du « Grand Libreville ». L’épisode Covid-19 devait être une occasion pour les pouvoirs publics gabonais de repenser leur politique agricole en général et en particulier les circuits d’approvisionnement alimentaire de la capitale. Il est important d’encourager la production locale. Mais il faudrait aussi créer un contexte économique favorable pour qu’elle puisse mieux faire face à la concurrence.
51Pendant la pandémie, les pénuries alimentaires ont été plus craintes que la maladie notamment pour les ménages modestes et défavorisés. De même, ces pénuries ainsi que la hausse des prix constatées durant ces confinements, ont montré la fragilité du système alimentaire gabonais.
52De ce fait, accéder à la souveraineté alimentaire nécessite que les produits agricoles venant de Libreville et des contrées proches soient commercialisés en circuits courts de proximité, limitant non seulement le nombre d’intermédiaires mais aussi la distance, pour le bien des producteurs, des consommateurs et de l’environnement. Les carences observées telles que la faible production agricole locale, l’absence d’organisation des agriculteurs locaux, la faible transformation des produits locaux, l’absence d’exigence des consommateurs, la faible accessibilité à la microfinance, le mauvais état des routes, devraient être améliorées pour un système alimentaire durable. De plus, cette nouvelle considération territoriale, le « Grand Libreville », ne devrait pas se limiter qu’à cette appellation, mais les autorités devraient mieux l’élaborer pour qu’elle entraîne un rayonnement économique, sociale, et même agricole à Libreville et dans sa périphérie.
53Par ailleurs, l’IGAD a contribué à l’augmentation de la production maraîchère des centres urbains. Elle a permis que les populations de Libreville, Oyem et Franceville soient approvisionnées à hauteur de 10 % en produits maraîchers locaux (Gabon-FAO, 2009). Cet apport alimentaire qui continue de croître grâce à l’appui de l’IGAD, des projets agricoles privés et publics pour développer l’agriculture gabonaise, des actifs qui s’intéressent davantage au travail de la terre afin de lutter contre le chômage, reste toujours insuffisant à cause de la croissance de la population urbaine.
54Enfin, encourager la production locale et la consommation locale ne veut pas dire que les habitants de Libreville ne doivent être que des « librevillivores », c’est-à-dire ne consommer que ce qui est produit dans les régions proches de Libreville. Car faire cela pourrait avoir des impacts négatifs sur l’économie nationale par le fait qu’elle ne tiendra plus compte de la division du travail. Mais pour un pays dont la population est pauvre comme le Gabon et où les agriculteurs ne peuvent être compétitifs sur le marché international à cause de leur faible production et de la qualité des produits, il vaut mieux viser d’abord les consommateurs locaux, pour mieux vivre de l’activité agricole pour les producteurs et pour mieux consommer pour les populations.
Note
551https://www.grandsmoulinsdeparis.com/le-locavorisme-qu-est-ce-que-c-est.html
Bibliographie
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Pour citer cet article
A propos de : Leticia Nathalie SELLO MADOUNGOU (épouse NZE)
Université Omar Bongo – Libreville
Laboratoire CERGEP, Département de Géographie
leticiasello@gmail.com