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Évaluation des impacts environnementaux des activités touristiques dans un écosystème forestier (Maroc)
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La forêt de Benslimane est un patrimoine forestier national de grande importance, elle est l’unique subéraie de plaine la plus méridionale à l’échelle mondiale. En plus de sa diversité floristique, faunistique, paysagère et culturelle, sa situation géographique à proximité de grands centres urbains, font que cette forêt est très fréquentée par les touristes marocains et étrangers. Cependant, les activités touristiques actuelles, dans un milieu si fragile, entraînent des impacts environnementaux réels ou potentiels sur les ressources naturelles de cette forêt. Quels sont ces impacts et comment maîtriser les impacts négatifs et bonifier les impacts positifs pour conserver l’écosystème naturel et améliorer le niveau de vie de la population locale selon un mode de développement durable ?
Afin de répondre à ces questions, on a adopté une méthodologie pluridisciplinaire, il s’agit des mesures sur le terrain, des enquêtes, des entretiens semi-structurés et une étude cartographique.
Abstract
The forest of Benslimane is a national forest heritage of great importance; it is the unique Cork Oak forest of the southernmost plain on a world scale. In addition to its floristic, faunistic, landscape and cultural diversity, its geographical situation close to the major urban centers, make this forest very much visited by Moroccan and foreign tourists. However, current tourism activities, in such a fragile environment, have real or potential environmental impacts on the natural resources of this forest. What are these impacts and how to control the negative impacts and enhance the positive impacts to conserve the natural ecosystem and improve the standard of living of the local population according to a sustainable development mode?
In order to answer these questions, a multidisciplinary methodology was adopted, consisting of field measurements, surveys, semi-structured interviews and a cartographic study.
Table des matières
Introduction
1Le tourisme est une des plus grandes industries du monde, compte tenu de sa place dans le PIB mondial et dans les recettes d’exportation, des effectifs qu’il emploie et du nombre d’acteurs en jeu. Avant la crise sanitaire, les arrivées de touristes internationaux ont progressé de 5 % en 2018 pour atteindre 1,4 milliard, et les recettes d’exportation du tourisme, se sont élevées à 1700 milliards de dollars (OMT, 2019). Aussi, le tourisme est de plus en plus reconnu comme une source majeure de croissance économique, en particulier dans les pays en développement (OMT, 2011). En Afrique, où le tourisme dépend étroitement de l’environnement naturel et culturel, 67 millions d’arrivées de touristes ont été enregistrés, les recettes touristiques atteignent 37 milliards de dollars (OMT, 2019) ; le secteur fait travailler quelque 6,3 millions de personnes, comme ces activités impliquent tous les secteurs de l’économie, leur impact réel est encore plus important (OCDE, 2009).
2Si le secteur touristique a un impact positif sur le développement économique des pays, il a aussi des effets néfastes sur l’environnement, la surconsommation des ressources naturelles, la production de quantités importantes de déchets, la pollution des eaux, la dégradation des écosystèmes naturelles, la disparition de la biodiversité, la pollution de l’air qui contribue au réchauffement climatique.
3C’est dans ce contexte que s’articule le thème de notre article qui s’intéresse à la forêt de Benslimane. Sa situation, entre la côte Atlantique et son expansion plus à l’intérieur du continent, lui confère une particularité d’abriter des populations variables d’espèces végétales et animales qui donnent une certaine originalité à ces formations boisées. Elle offre aussi une diversité écosystémique particulière par la présence d’un nombre important de zones humides qui constituent des habitats de haut intérêt biologique et écologique, la présence des clairières péri-forestières, de prairies morcelées par plusieurs oueds, des affleurements rocheux et des grottes; ce qui constitue un éventail très large en habitats naturels expliquant la diversité faunistique riche de cette forêt (mammifères, avifaunes, amphibiens et reptiles). En plus de ses potentialités naturelles, paysagères, humaines et culturelles, sa situation géographique à proximité des grandes villes (notamment Casablanca et Rabat), font que cette forêt est très visitée par les touristes, ce qui provoque inévitablement des pressions sur l’environnement.
I. MATéRIELS ET MéTHODES
A. Potentialités touristiques de la zone d’étude
4La forêt de Benslimane, objet de notre étude, dépend de la commune rurale de Aîn Tizgha, relevant de la province de Benslimane (Figure 1). Elle possède tous les atouts naturels et culturels pour devenir une destination privilégiée des touristes (Figure 2).
Figure 1. Localisation de la zone d’étude (Machouri, 2011, actualisée en 2014)
Figure 2. Les potentialités et infrastructures touristiques de la forêt de Benslimane (Machouri, 2011, actualisée en 2018)
1. Potentialités naturelles
5La subéraie de Benslimane offre une diversité paysagère particulière par la présence d’un nombre important des zones humides (mares temporaires). Ce sont des dépressions fermées qui se remplissent d’eau pendant la période des pluies et qui s’assèchent le plus souvent au début de l’été. En général, le cycle hydrologique de ces mares présente cinq grandes étapes: la recharge du sol en automne, la mise en eau au début de l’hiver, les hautes eaux en hiver, les basses eaux au début du printemps et l’assèchement vers la fin du printemps. Ces zones humides renferment un grand nombre d’espèces végétales (environ 317 espèces). Elles constituent des habitats de haut intérêt biologique et écologique essentiellement par le nombre d’espèces végétales rares ou menacées qu’elles hébergent : Myriophylle à feuilles alternes (Myriophyllum alterniflorum), l’Isoète voilé (Isoetes velata), l’Isoète grêle (Isoetes setacea), l’Ache inondée, appelée aussi céleri inondé (Apium inundatum)…
6La forêt tapisse un relief relativement plat dont les altitudes varient entre 100 m et 300 m. La présence d’affleurements rocheux élevés de quelques mètres, peut procurer aux visiteurs le plaisir de grimper et d’escalader ces rochers pour bénéficier d’une vue panoramique sur l’ensemble des milieux naturels de la forêt. Ces rochers constituent un biotope original pour le développement d’une végétation particulière, dite rupicole, telle la présence de l’Euphorbe du roi Juba (Euphorbia regis-jubae) sur les falaises de Aïn Dakhla. La présence aussi des grottes constitue un potentiel touristique important, surtout pour les amateurs de sensations et d’aventures ou pour les connaisseurs en spéléologie.
7Cette forêt qui s’étend sur une superficie de 12262 ha, est dominée par les peuplements de chêne liège (Quercus suber) qui représente 62 % de la superficie totale, les reboisements d’eucalyptus (Eucalyptus sp.) et de pin d’alep (Pinus halepensis) (15 %), les peuplements de thuya de berbérie (Tetraclinis articulata) qui représentent 10,5 % et les essences secondaires (matorral) qui représentent 9 % (Figure 2), suivi des clairières (3,5 %). La subéraie est caractérisée par une diversité floristique très importante, elle comprend environ 350 espèces végétales (sans compter les végétaux inférieurs, mousses, champignons et lichens), appartenant à 57 familles différentes (EAFB, 1997).
8La diversité de ces formations végétales, qui vont des clairières et dayas jusqu’aux formations forestières hautes, constitue un éventail très large d’habitats naturels. En effet, les principaux groupes faunistiques sont :
9- Les mammifères : la forêt de Benslimane a perdu les grands mammifères, représentants remarquables de cette faune, notamment le lion de l’atlas (Panthera leo), la panthère (Panthera pardus), et la gazelle de cuvier (Gazella cuvieri).
10Actuellement, parmi les autres espèces représentant les mammifères (Tableau 1), on distingue:
11- L’avifaune : parmi les espèces d’oiseaux les plus abondantes, par ordre de densité décroissante, on peut citer la mésange bleue (Cyanistes caeruleus), le serin cini (Serinus serinus), le pinson des arbres (Fringilla coeleb), le merle noir (Turdus merula), la mésange charbonnière (Parus major), le pigeon ramier (Columba palumbus), le chardonneret (Carduelis carduelis), la fauvette mélanocéphale (Sylvia melanocephala) et le francolin à double éperon (Francolinus bicalcaratus) qui est l’espèce symbole de la forêt de Benslimane, avec son statut d’oiseau nicheur sédentaire.
12- Les amphibiens et les reptiles : parmi les amphibiens et les reptiles, qui ont une affinité méditerranéenne, présents au niveau de la forêt, on peut citer la grenouille rieuse (Rona ridibunda), la couleuvre vipérine (Natrix maura) et la pelobate de varaldi (Pelobates varaldi). Ceux qui appartiennent à la souche boréo-européenne sont représentés par la tortue grecque (Testudo graeca), le lézard (Acanthodactylus erythrurus lineomaculatus), le seps mionecton (Chalcides mionecton) et le crapaud de Mauritanie (Bufo mauritanicus).
- Le hérisson d’Algérie (Erinaceus algirus) - La musaraigne musette (Crocidura russula) |
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Tableau 1. Les principaux mammifères présents dans la forêt de Benslimane (EAFB, 1997)
2. Potentialités humaines et culturelles
13La culture autochtone est souvent une autre attraction pour les touristes. Cependant, sa valorisation nécessite certains moyens qui permettent ainsi la promotion de différents produits touristiques qui se rapportent à ce patrimoine. En plus de ses potentialités naturelles et humaines, la région de Benslimane représente un patrimoine socioculturel très riche :
14- L’art culinaire : la vie traditionnelle simple et authentique, l’accueil et l’hospitalité de la population locale ont toujours été une offre importante qui séduit le touriste. L’art culinaire est caractérisé par la rusticité des mets longuement mijotés (couscous aux légumes et à la viande, tagine de viande aux légumes et à l’occasion aux pruneaux et toutes sortes de pains).
15- Fantasia : la tradition des divertissements équestres n’a pas totalement disparu, malgré un recul de la culture du cheval. Cette activité est pratiquée à différentes occasions dans l’année (moussems, festival, mariage, naissance…). Cette activité ancestrale typique est une occasion pour attirer des visiteurs afin de faciliter un meilleur échange entre les cultures et de permettre un bénéfice mutuel sur le plan économique. Elle mérite d’être conservée et encouragée.
16- Moussems : moussem Sidi M’hamed Benslimane est une manifestation socio-agricole à caractère religieux, elle fait partie du patrimoine culturel de la région. C’est une fête locale très prisées par les populations. Les activités culturelles pratiquées durant une semaine, prennent des formes diverses (fantasia, chants et danses folkloriques, ventes des produits artisanaux et de consommation).
17- Le souk de Benslimane : organisé chaque mercredi, il joue un rôle primordial dans l’animation hebdomadaire de la vie de la population rurale et aussi urbaine. Pour n’importe quel visiteur, le jour du souk est une occasion pour connaître les mœurs des villageois; le bruit du marchandage de toutes sortes de produits et la convivialité des familles rurales rassemblées, sous les tentes, buvant du thé ou mangeant du méchoui, du poisson ou autres mets.
18- La chasse traditionnelle : fait partie intégrante du système culturel local, la richesse cynégétique de la forêt pourrait expliquer cette particularité. Le jour de la chasse est une journée de festivités et de loisirs et c’est une occasion primordiale de rencontre des familles et des tribus. La saison de chasse s’étend de début octobre au fin mars selon les espèces, les types de gibier les plus chassés sont Perdrix gambra, faisans, lièvres, cailles, canards colvert et sangliers.
B. Objet et méthodes de recherche
19L’objectif de notre travail a donc été d’étudier les potentialités touristiques de la zone, d’évaluer les impacts environnementaux des activités touristiques et finalement de proposer des mesures et des actions afin d’atténuer ces pressions et de prévenir les menaces qui pèsent sur l’environnement naturel dont dépend étroitement ce secteur.
20La méthodologie adoptée est pluridisciplinaire, elle repose principalement sur :
211. L’étude bibliographique, la collecte et le dépouillement des données existantes ;
222. L’étude de la végétation : afin évaluer l’impact du tourisme sur la végétation, nous avons effectué des mesures de recouvrements de la végétation herbacée et arbustive en 2008 (année sèche) et en 2018 (année humide), au niveau de 4 sites touristiques les plus fréquentés : Site Aïn Dakhla, Aïn Sferjla, Dayet Timmet et Laâyoune (Figure 2). On a pu réaliser deux campagnes de mesures chaque année, la première en février ce qui correspond à la période où les sites sont rarement fréquentés par les touristes et la seconde en fin avril-début mai ce qui correspond à la période de haute fréquentation. La méthodologie choisie pour la mesure du recouvrement de la strate herbacée est la méthode des points quadrats, elle consiste à effectuer des lectures sur 100 points qui sont situés le long d’une ligne matérialisée par un ruban-mètre de 20m de longueur, tendu au-dessus du tapis herbacé. Une lecture est faite sur le bord gradué, tous les 20cm, là où une aiguille est maintenue verticale. Toutes les espèces qui entrent en contact avec cette aiguille sont recensées, conventionnellement une seule fois à chaque point observé. Pour le recouvrement de la strate arbustive, on a adopté la méthode d’interception linéaire. Elle consiste à mesurer sur une ligne directe de 20m de longueur, la largeur de la projection horizontale de l’appareil aérien des individus successivement rencontrés. Le rapport de la longueur occupée par les individus d’une même espèce de longueur échantillonnée exprime son recouvrement. Le sondage adopté repose sur l’échantillonnage stratifié en se basant sur la carte de type de peuplements de la forêt de Benslimane. Alors que l’exécution du relevé s’effectue chaque fois que l’on observe un changement de la végétation, de la pente, de l’exposition et de la nature de l’unité morpho-pédologique. On a pu effectuer 10 relevés/site/campagne/année, soit au total 160 relevés phytoécologiques.
233. Étude des déchets solides résultant de l’activité touristique : afin de déterminer la quantité et la composition des déchets jetés par les touristes, on s’est basé sur le ramassage, la pesée et le tri des échantillons au niveau des sites les plus fréquentés (Site Aïn Dakhla, Aïn Sferjla et Dayet Timmet). Les échantillons de déchets ont été recueillis dans les poubelles ou en bordures des sites touristiques (Figure 2). Le nombre d’échantillons ramassés, pesés et triés est de 10 par site, soit 30 échantillons au total.
244. Réalisation des enquêtes et entretiens semi-structurés : une étude quantitative par enquêtes a été réalisée avec un taux d’échantillonnage de 25 %, auprès des visiteurs des sites touristiques et de la population locale qui se met au service des touristes sur place (vendeurs des produits alimentaires, gardiens de voiture temporaires…). Une étude qualitative par entretiens semi-structurés a été élaborée avec les acteurs concernés (les ingénieurs, les techniciens et les gardes forestiers appartenant à l’administration des Eaux et Forêts, les responsables des collectivités locales, les associations locales et scientifiques ainsi que la population riveraine). 50 personnes ont été interrogées dans différents sites au niveau de la commune rurale de Aîn Tizgha.
255. L’étude cartographique : l’utilisation d’un système d’information géographique (SIG), nous a permet de spatialiser les sites touristiques, leurs potentialités naturelles et humaines ainsi que les infrastructures existantes.
II. ÉTAT ACTUEL DU TOURISME AU NIVEAU DE LA ZONE
A. Les équipements et les infrastructures touristiques existantes
26D’après nos investigations sur le terrain pendant la période 2008-2018, on a pu recenser 6 sites touristiques correspondant aux sites les plus fréquentés de la forêt de Benslimane (Aïn Dakhla, Aïn Sferjla, Dayet Timmet, Laâyoune, Sakhrat Nemra, Dayet Lbakhouch). Au niveau de ces sites des aires de repos ont été aménagées afin d’accueillir les visiteurs (des tables, bancs, comptoir pour vente des produits alimentaires, des poubelles, une source aménagée, un puits).
27Dans la zone, il existe plusieurs infrastructures touristiques (Figure 2), il s’agit des infrastructures d’hébergements touristiques (Résidence touristique, maison d’hôte, complexe touristique, hôtel 4 étoiles, camping aménagé), le golf de Benslimane, le club équestre, la société de chasse, l’association de chasse, le centre d’éducation à l’environnement et le centre d’accueil de la jeunesse.
Planche photographique 1. Les infrastructures touristiques au niveau de la zone d’étude. Auteure : Nadia Machouri, 2008 et 2018
B. Nombre des touristes et période de fréquentation
28Les résultats de l’enquête montrent que 94 % des visiteurs de la forêt de Benslimane sont des marocains qui proviennent essentiellement des villes proches (Figure 3), alors que 6 % des visiteurs viennent de l’étranger. Le taux de fréquentation est maximal durant les trois mois du printemps (mars, avril et mai) et surtout pendant les week-ends et les jours de vacances.
Figure 3. Période de fréquentation et provenance des touristes. Source : Résultats des enquêtes (Machouri, 2018)
29Les études réalisées en 2008 et 2018, comprenant des sorties successives et observations directes sur le terrain ainsi que des entretiens semi-structurés établis avec les visiteurs, la population riveraine ainsi que la population locale qui se met au service des touristes sur place (vendeurs des produits alimentaires, gardiens de voiture temporaires…), nous ont permis d’estimer le nombre moyen des touristes par jour au niveau des sites les plus fréquentés de la forêt (Figure 4). Le nombre moyen atteint 350 touristes/jour/site en 2008 (année sèche), alors que ce nombre a augmenté en 2018, considérée comme une année humide, pour atteindre 420 touristes/jour/site.
Figure 4. Nombre moyen des touristes/ jour / site touristique. Source : Travail de terrain (Machouri, 2008, 2018)
III. ÉVALUATION DES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX DES ACTIVITÉS TOURISTIQUES
A. Tourisme et environnement
30La relation étroite entre le tourisme et l’environnement, réside dans le fait qu’une grande partie des activités touristiques est localisées dans des zones sensibles et souvent fragiles aux perturbations humaines. Il est à noter aussi que les ressources naturelles constituent les éléments de base de l’attractivité d’une destination touristique, et que leur dégradation se répercute négativement sur la durabilité de l’activité.
31Toutes les activités liées au tourisme peuvent potentiellement avoir des impacts négatifs sur l’environnement. Les impacts biophysiques potentiels incluent des impacts au niveau du paysage, tels que la dégradation de l’air et de la qualité de l’eau, la production des déchets solides, l’augmentation de la consommation d’eau, des changements permanents du relief à cause de la construction d’infrastructures étendues. Les impacts négatifs sur la végétation peuvent inclure une introduction involontaire d’espèces exotiques envahissantes ou de pathogènes, le piétinement, la création de pistes non planifiées, et l’élimination intentionnelle d’espèces précieuses. Les impacts sur la vie sauvage peuvent être directs, comme la mortalité des animaux sauvages liée aux accidents avec des véhicules, la chasse et la pêche pour approvisionner les marchés touristiques et l’introduction de vecteurs pathogènes (Leung et al., 2019).
32Les impacts du tourisme sur l’environnement ont longtemps été sous-estimés en raison de difficultés d’évaluation. La dispersion de la consommation touristique dans les différentes branches de l’économie a parfois empêché de mesurer sa contribution à de nombreuses problématiques environnementales (PNUE/PAM/Plan Bleu, 2005).
33L’analyse des listes des indicateurs environnementaux établies par l’organisation mondiale du tourisme (OMT, PNUE 2002), ainsi que la liste des effets environnementaux et écologiques négatifs potentiels des activités touristiques (Leung et al., 2019), montre que les indices et les outils de mesures des impacts environnementaux du tourisme sont variés et très nombreux et touchent plusieurs aspects.
34Au niveau de la zone d’étude, l’activité touristique est basée essentiellement sur l’écosystème forestier (flore, faune, zones humides, affleurements rocheux…), pouvant engendrer un certain nombre d’impacts directs sur ces ressources naturelles. La gravité de ces impacts est variable et son évaluation est très difficile.
35Les entretiens semi-structurés réalisés en 2008 et 2018, avec les ingénieurs, les techniciens et les gardes forestiers appartenant à l’administration des Eaux et Forêts, les responsables des collectivités locales, les associations locales et scientifiques ainsi que la population riveraine, affirment que l’activité touristique actuelle au niveau de la forêt de Benslimane produit des impacts environnementaux négatifs. 80 % des personnes interrogées déclarent que ces impacts se résument le plus souvent dans la production des déchets solides et la dégradation de la végétation.
36D’après nos sorties successives et observations sur le terrain, nous avons pu remarquer un certain nombre de comportements de quelques visiteurs qui peuvent avoir des impacts environnementaux réels ou potentiels sur les ressources naturelles de la forêt :
37- piétinement et dégradation de la végétation herbacée, cueillette des fleurs, arrachage des plantes aromatiques et médicinales et cuisson des aliments en utilisant le bois de feu ramassé dans la forêt ;
38- altération des habitats et perturbation de la faune sauvage;
39- déversement des déchets solides;
40- pollution sonore: bruit des motocycles et musique puissante.
41Puisqu’il est impossible d’évaluer la totalité des impacts environnementaux au niveau de la forêt, nous avons choisi l’analyse de deux indicateurs : la production des déchets solides et l’impact sur la végétation.
B. Production des déchets solides par les touristes
1. Quantité et composition des déchets solides
42La présence d’un grand nombre des touristes au niveau de la forêt de Benslimane, surtout les trois mois du printemps, génère la production de quantités importantes de déchets solides (Planche photographique 2). La quantité de déchets produite est fortement liée au taux de la fréquentation touristique et les sites les plus fréquentés (Site Aïn Dakhla, Aïn Sferjla et Dayet Timmet) (Figure 2), sont les plus pollués.
Planche photographique 2. Déchets solides délaissés par les visiteurs en bordures des sites touristiques. Auteure : Nadia Machouri, 2008 et 2018
43Les résultats de l’enquête combinés aux observations et mesures sur le terrain, montrent qu’un touriste peut produire en moyenne 0,2Kg de déchets solides par jour (Machouri, 2011).
44Sachant que le nombre moyen des touristes visitant les sites touristiques est de 385 touristes/jour/site (Travail de terrain, Machouri, 2008, 2018) (Figure 4) ; la production moyenne journalière de déchets solides est de 77kg/site touristique (Figure 5).
Figure 5. Quantité de déchets solides produites/jour/site touristique. Source : Travail de terrain (Machouri, 2008, 2018)
45Les résultats de l’étude montrent que les déchets sont constitués essentiellement de bouteilles et contenants de plastique, emballages en papier et en plastique, cannettes de boisson, sacs de plastique, boites de conserve, verres et résidus de légumes ou fruits. Les plastiques, papiers et cartons constituent 66 % de la totalité des déchets produits par les touristes.
2. Impacts des déchets solides sur l’écosystème forestier
46Les résidus délaissés par les touristes restent dispersés dans la forêt, surtout au niveau des sites les plus fréquentés, du fait que la commune rurale d’AïnTizgha n’est pas dotée d’un système de collecte des déchets. Cette pollution prend la forme de points noirs ce qui dégrade l’environnement visuel. La concentration de la fréquentation touristique pendant trois mois du printemps, alimente ces points noirs qui persistent jusqu’à la saison touristique suivante. Parfois quelques visiteurs incinèrent les déchets à l’intérieur des poubelles construites en ciment ce qui provoque leur destruction et l’accumulation des cendres, des déchets métalliques non brûlés et d’autres semi brûlés ce qui forment des points noirs qui seront réalimentés par d’autres déchets l’année suivante. Ce phénomène dégrade la valeur paysagère et récréative de la forêt.
47En plus de la dégradation paysagère de l’écosystème forestier, l’accumulation des déchets solides, qui sont en grande partie non biodégradable (Figure 6), peuvent engendrer des impacts négatifs environnementaux :
48- détérioration de la qualité du sol : la concentration des déchets dans un endroit pendant des années peut modifier la physionomie du sol ;
49- altération de la qualité de l’eau superficielle et souterraine : l’accumulation de ces déchets risque d’affecter les eaux souterraines par infiltration des eaux de pluie et de polluer les eaux superficielles qui ruissellent ;
50- dégradation des zones humides : pollution des eaux, ce qui diminue la biodiversité.
Figure 6. Composition de déchets solides produits par les touristes . Source : Travail de terrain (Machouri, 2018)
C. L’impact des activités touristiques sur la végétation
51Les résultats de l’étude montrent que le tapis herbacé des sites touristiques de la forêt de Benslimane est dominé par les espèces annuelles. Elles représentent 87 % du recouvrement total de la strate herbacée, les espèces pérennes sont peu représentées (13 %). La dominance des annuelles reflète l’importance de la dégradation de la végétation herbacée (Machouri, 2005, 2012 et 2017), engendrée par une pression anthropique forte par le biais du parcours et du tourisme. Le recouvrement moyen des herbacées et des arbustes, a régressé au mois de mai au niveau de tous les sites touristiques, respectivement de 56 % et 12,4 % (Figure 7).
Figure 7. Recouvrement moyen de la végétation au niveau des sites touristiques. Source : Travail de terrain (Machouri, 2008, 2018)
52La régression du recouvrement de la végétation au niveau de la totalité des sites touristiques est le résultat de plusieurs facteurs naturels et anthropiques. Les facteurs naturels s’expliquent par le dessèchement d’une partie des herbacées, en particulier les annuelles, à la fin du cycle de la végétation et aussi le dessèchement des arbustes en fin du printemps à cause de l’augmentation de la température. Les facteurs anthropiques s’expliquent par l’activité de pâturage, du fait que la forêt de Benslimane constitue un support incontournable pour le bétail pendant toute l’année et plus particulièrement au printemps où la durée de séjour de l’effectif de cheptel, pâturant en forêt est maximale (Machouri, 2005, 2012 et 2017) ; mais aussi par l’impact du tourisme, surtout que les sites étudiés connaissent une haute fréquentation touristique pendant les mois de mars, avril et mai. Ces deux activités provoquent le piétinement du sol, qui engendre un écrasement du couvert végétal herbacé et un tassement des sols. Ce tassement empêche l’aération du sol et diminue la pénétration de l’eau dans le sol ce qui favorise le ruissellement et l’entrainement des particules fines.
53La méthodologie adoptée nous a permis de donner une idée du taux de recouvrement de la végétation avant et au cours de la période de fréquentation touristique. Mais différencier la dégradation de la végétation causée par le tourisme au niveau des sites touristiques, de celle générée par l’activité de pâturage est cependant difficile. Notre expérience de terrain nous permet de dire que la dégradation de la végétation causée par les riverains de la forêt de Benslimane (surpâturage, prélèvement de bois de feu, charbonnière, écimage, ébranchage, assèchement des dayas..) est largement supérieure de celle engendrée par le tourisme.
IV. MESURES D’ATTéNUATION DES IMPACTS NéGATIFS
54Les résultats des enquêtes menées auprès des touristes et la population locale, combinés aux résultats des entretiens semi-structurés, ainsi que les sorties successives et observations directes sur le terrain ; nous ont permis de proposer un certain nombre de mesures et d’actions qui permettent d’atténuer l’impact négatif des activités touristiques sur l’écosystème forestier, et essayer de créer des conditions d’une fréquentation maîtrisée, accompagnant et respectant la nature.
A. Amélioration et aménagement des infrastructures d’accueil
55Pour que les activités touristiques, au sein de la forêt, puissent se dérouler dans de bonnes conditions, nous jugeons utiles d’entretenir les équipements existants au niveau des aires de repos (tables, bancs et poubelles) et nous suggérons également d’aménager des endroits de cuisson pour éviter les risques d’incendie.
56Afin de favoriser des activités et jeux de plein air pour les enfants, l’aménagement des aires de jeux, au niveau des six sites touristiques de la forêt, seraient d’une grande importance. De ce fait nous suggérons l’installation de dispositifs de jeux en bois qui peuvent s’harmoniser avec le milieu naturel (poutre d’équilibre, toboggans, balançoires…). La mise en place de ces équipements, permet à la population locale d’obtenir un apport financier à travers l’entretien et le gardiennage de ces installations.
57Vu que la majorité des visiteurs de la forêt sont motorisés, nous proposons l’aménagement des petits parcs de stationnement avec des gardiens, à proximité des six sites touristiques de la forêt. La mise en place de ces parkings permet de limiter la circulation des voitures et des motocycles en forêt et de contrôler les stationnements. Ce qui permet de diminuer l’impact sur la végétation herbacée, limiter les sources de pollution et diminuer le bruit, de garantir la tranquillité et la sécurité des visiteurs et de créer des emplois pour les riverains de la forêt.
B. Mesure de propreté et de gestion des déchets solides
58Les installations sanitaires dans une forêt récréative doivent être perçu comme indispensable, à cet effet nous suggérons l’installation des toilettes au niveau des sites les plus fréquentés (Site Aïn Dakhla, Aïn Sferjla, Dayet Timmet et Laâyoune).
59Les déchets solides constituent le principal impact des activités touristiques au niveau de la forêt, de ce fait nous proposons :
60- installer des poubelles au niveau du site Sakhrat Nemara et entretenir les poubelles existantes au niveau des autres sites ;
61- inciter les collectivités locales à participer à la gestion des déchets solides et ceci par recrutement des ouvriers de préférence des autochtones, pour la collecte des déchets des poubelles, le ramassage des dépôts sauvages et le piquetage des déchets épars dans la forêt et les dayas, surtout après les journées de haute fréquentation ;
62- encourager les ONG locales à organiser des campagnes de sensibilisation auprès des visiteurs, pour qu’ils contribuent aussi à la propreté de la forêt ;
63- inciter les ONG locales à organiser des campagnes de collecte des déchets solides.
C. Mesure de sensibilisation, d’information et de surveillance
64Les touristes ont très peu conscience de la fragilité des milieux naturels. De ce fait, nous suggérons la mise en place des panneaux d’information et de sensibilisation au niveau des six sites touristiques de la forêt. Ces panneaux portant consignes, recommandations et conseils. Ils ont pour but d’attirer l’attention des visiteurs sur la nécessité de respecter la forêt, de veiller à sa propreté, de sauvegarder son aspect naturel et son calme et de les inciter à un comportement plus respectueux de la «nature» et plus responsable.
65Le besoin d’une surveillance spécifique, dédiée à l’accueil des touristes, surtout pendant les périodes de haute fréquentation, est très souhaitable. Il faut alors, mettre en place une surveillance ciblée, active, informative et préventive par des personnels de type moniteurs-nature, de préférence des jeunes autochtones, formés par l’administration des Eaux et Forêts et les associations qui s’intéressent à la préservation de la forêt. Cette surveillance constitue un excellent vecteur de communication et d’image créant respect, confiance, intérêt et envie de dialoguer. Et il ne faut pas exclure le recours à des missions des gardes forestiers qui est d’une grande importance.
CONCLUSION
66L’écotourisme est une option à promouvoir dans la zone, il permet aussi bien le développement économique et la promotion des activités génératrices de revenus au profit de la population locale que la conservation du milieu naturel. L’écotourisme est une activité qui pourrait certes nécessiter moins d’infrastructures et d’installations que le tourisme traditionnel, mais une planification et une gestion appropriées sont indispensables pour le développement durable de cette activité et pour prévenir les menaces qui pèsent sur la diversité biologique dont dépend étroitement ce secteur.
67L’analyse de l’état actuel du tourisme, ainsi que l’examen des potentialités touristiques au niveau de la zone, ont permis de donner une idée sur les forces, faiblesses et risques au développement écotouristique.
68Les forces : les principales forces résident dans la grande richesse naturelle dont dispose la zone (diversité floristique et faunistique, présence des zones humides, affleurements rocheux, grottes…), ainsi que d’un climat doux pendant toute l’année; puisqu’il s’agit d’un microclimat unique en son genre de sorte que certaines personnes n’hésitent pas à qualifier cette région d’Ifrane de la Chaouia. Et une richesse culturelle et humaine (festivité traditionnelle, chasse traditionnelle, fantasia, moussem…), en plus de la situation géographique de la zone tout près des grands centres urbains, sans oublier son passé touristique et l’importance de la demande touristique actuelle et potentielle.
69Les faiblesses : les principales faiblesses résident dans l’insuffisance des infrastructures de base (insuffisance des infrastructures d’hébergement et de restauration, insuffisance des infrastructures d’accueil, absence de mesure de propreté et de gestion des déchets solides, manque d’information sur les potentialités de la forêt, manque d’un réseau signalétique de direction, d’orientation et d’information…); manque d’infrastructures de service (dispensaire, pharmacie, boutique de vente des produits alimentaires locaux et artisanaux…) et absence d’infrastructures d’éducation à l’environnement.
70Les risques : les principaux risques pourraient être liés à la prolifération des phénomènes de dégradation des ressources naturelles qui sont dus soit aux activités touristiques actuelles ou potentielles liées au projets touristiques futurs qui vont être implantés au niveau de la zone (production des déchets solides, dégradation de la végétation naturelles, perturbation de la faune sauvage, altération des habitats…sans omettre les risques d’incendies).
71Pour exploiter amplement les atouts qu’offre la zone, tout en remédiant à ses faiblesses et aux risques, la mise en place d’un plan d’action pour le développement de l’écotourisme au niveau de la forêt de Benslimane s’impose comme une solution alternative susceptible de contribuer activement à la protection des ressources naturelles ainsi qu’au développement local et à l’amélioration des conditions de vie de la population locale.
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Pour citer cet article
A propos de : Nadia MACHOURI
Professeur de l’enseignement supérieur habilité
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Laboratoire d’études et de recherches Sociétés, Territoires, Histoire et Patrimoine (STHP)
Université Mohammed V, Rabat, Maroc
n.machouri@um5r.ac.ma