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Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER

Éditorial : La Géographie du commerce de détail : nouvelles approches

(56 (2011/1) - Géographie du commerce de détail)
Editorial
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1Les recherches en géographie du commerce de détail se sont multipliées depuis les années 1950 d’abord dans la géographie anglo-américaine puis dans la géographie francophone où les travaux ont été initiés par J.A. Sporck en Belgique, J. Beaujeu-Garnier et A. Delobez en France. Ce champ de recherche s’est ensuite diffusé partout tant dans le monde développé que dans la plupart des pays du Sud.

2Les études ont toujours connu deux orientations majeures : académique et appliquée, beaucoup de travaux ayant été suscités et financés soit par le secteur public (Ministères, Chambres de Commerce, Organismes régionaux, Municipalités…), soit par le secteur privé (grands groupes de la distribution, grands opérateurs immobiliers…). Toutefois, le fossé séparant ces deux orientations n’est pas aussi important qu’on serait tenté de le croire car la recherche « fondamentale » a souvent débouché sur des applications pertinentes et les travaux appliqués exigent généralement d’importantes investigations plus fondamentales au préalable. Ce fait est bien sensible dans le présent volume.

3Comme nous l’avons mis en évidence dès 1996, différentes thématiques ont retenu successivement l’attention des chercheurs tant au niveau des travaux académiques que des recherches appliquées. Il s’agit dans le premier cas de la hiérarchie des centres commerçants et aires d'attraction commerciale, de l’analyse des tissus commerçants (trames et structures) et de la localisation des commerces, du comportement spatial des consommateurs et enfin des stratégies des acteurs (commerçants et surtout grands groupes du commerce) ainsi que des impacts des politiques des pouvoirs publics. En ce qui concerne les travaux appliqués, la principale bipartition s’opère entre travaux réalisées pour le secteur privé (études d'implantation ou de faisabilité de projets, études de géomarketing très proches sauf peut-être en termes d’outils utilisés tout au moins dans un premier temps) et ceux effectués pour le secteur public (avec pour thématique dominante l’urbanisme commercial).

4Les sept recherches rassemblées dans ce volume peuvent sans conteste se classer dans ces grandes catégories : l’article de M. Delage et d’A. Fleury comme celui de J. Baray se rattachent au premier champ des recherches académiques, ceux de J. Vasquez Parras et J. Broomberg au deuxième champ de ce même secteur, ceux de M. Hani et G. Devillet respectivement aux troisième et quatrième champs alors que l’article de M. Jaspard et P. Christopanos est très explicitement une recherche appliquée réalisée à la demande du secteur public.

5Si les thématiques de recherche ne semblent donc pas avoir beaucoup changé dans le temps, il n’en est pas de même des méthodes d’investigation et de traitement des données dans lesquelles on note une montée en puissance des méthodes statistiques et mathématiques ainsi que des outils cartographiques. Les travaux présentés dans ce volume en témoignent bien et montrent parallèlement que ces nouvelles méthodes permettent d’approfondir les investigations à la fois en termes d’analyse des processus et d’outils d’intervention. Un autre trait majeur de ces nouvelles recherches est l’importance et la diversité des bases de données sur lesquelles elles reposent, bases de données existantes mais encore peu utilisées par les chercheurs jusqu’à ce jour ou bases de données originales créées par les chercheurs eux-mêmes ou les équipes dont ils font partie. En effet, dans le domaine du commerce de détail, rares sont les informations exhaustives et collectées à l’échelle spatiale adéquate dont on peut généralement disposer ; d’où la nécessité de combiner différentes sources d’informations et/ou de procéder à des relevés spécifiques ou à des enquêtes.

6Ainsi c’est en combinant des données issues de deux bases de données complémentaires (la Banque de données sur le commerce à Paris et la base de données « Point de Vente Panorama ») et en recourant à des méthodes relevant de l’analyse spatiale et quantitative (algorithmes de scan spatial et classification ascendante hiérarchique) que M. Delage et A. Fleury réinterrogent la structure spatiale du commerce dans le centre d’une grande agglomération - celle de Paris - ; ils cherchent à vérifier si l’affirmation de nouvelles centralités en banlieue, mises en place depuis 1970, a modifié la structure interne du centre principal et reste toujours dominée par une logique hiérarchique combinée à une logique de spécialisation, ce qui conforterait les grands modèles élaborés dès les années 1970.

7Au départ d’une base de données comprenant pour la France 404 237 adresses de 19 activités de commerce et de services, J. Baray cherche quant à lui à comprendre la logique des regroupements spatiaux de ces activités à l’échelle communale en calculant un indice de complémentarité spatiale des activités, puis en modélisant les liens de dépendance de ces activités sous forme d’un réseau. Son objectif est de montrer la hiérarchisation des activités depuis un premier niveau d’activités primaires jusqu’à un sixième niveau d’activités plus rares. Au-delà de la simple observation de la coexistence d'activités au sein de communes, la mise en évidence d'un réseau de proximité spatiale entre certains métiers devrait permettre d'orienter le décideur vers des opportunités d'implantation commerciale, donnant à ce travail académique un intérêt appliqué.

8Bénéficiant d’une base de données établie par le SEGEFA répertoriant 20 000 points de vente répartis sur l’ensemble de la Wallonie, points de vente géoréférencés et rassemblés par espaces commerçants, J. Vasquez Parras a tenté de classer les nodules commerçants au départ de huit indices permettant d’objectiver de manière quantitative les critères de classification classiques, certains traduisant parfaitement des concepts morphologiques connus (concentration), d'autres apportant une information relativement neuve (homogénéité des surfaces de vente). La compilation de ces indices montre que les nodules peuvent être caractérisés par trois grands aspects géométriques (la configuration, la taille et la forme) et que, sur base ces trois aspects géométriques, il est possible de répartir les nodules en dix classes bien différenciées et d’aboutir à une classification plus objective des espaces commerçants.

9Pour créer sa propre base de données relative à l’accessibilité des centres commerciaux de périphérie dans le quadrant nord-est de l’Ile-de-France, J. Broomberg a travaillé étroitement avec la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens) et beaucoup utilisé les SIG. Plusieurs indicateurs ont été construits (temps d’accès minimal au premier centre commercial, nombre de centres commerciaux accessibles par seuil de temps, indicateur d’accessibilité synthétique par les transports publics et mesures de la disparité socio­spatiale d’accès aux centres commerciaux) et le travail a été complété par trente visites de terrain permettant de dresser très finement une typologie des liens des centres commerciaux aux transports publics. Au total, son objectif est de rechercher le poids relatif du déterminisme spatial et de la volonté d’aménagement, notamment de la coordination de l’aménageur public et de l’aménageur privé, et de s’interroger de la sorte sur l’intégration des centres commerciaux dans un projet urbain comme clé vers un développement durable des équipements.

10Cherchant à mieux comprendre les choix des lieux d’achat des ménages de l’agglomération du Havre et plus particulièrement l’impact des chaînages de déplacement dans ces choix, M. Hani a lancé une enquête par questionnaire auprès des parents des élèves de 13 établissements scolaires situés dans 13 quartiers différents ; les données ainsi collectées ont été complétées par une dizaine d’entretiens semi-directifs. Au-delà du rôle assez classique joué par les itinéraires de déplacement lieu de domicile-lieu de travail, il s’est particulièrement intéressé au lien entre le lieu d’activités de loisir des enfants, la perception du lieu d’achat et le choix du mode de transport pour réaliser les achats.

11La recherche menée par G. Devillet sur les modes de déploiement de réseaux de points de vente dans le domaine du vêtement sur le territoire belge a également nécessité une vaste enquête et la constitution d’une base de données originales regroupant 1 677 points de vente relevant de 57 enseignes appartenant à 37 firmes différentes possédant au moins 10 points de vente sur le territoire. Ces données ont ensuite alimenté deux analyses factorielles utilisées pour construire à la fois une typologie des réseaux actuels et une classification des modes de déploiement utilisés par les réseaux étudiés et tenter par la confrontation de ces deux analyses d’approcher la question des stratégies des entreprises commerciales, stratégies en évolution continuelle, car cherchant à répondre aux mutations continues de leur environnement.

12Visant à doter les communes wallonnes d’un outil interactif et multidimensionnel leur permettant d’analyser les demandes d'implantations commerciales sur leur territoire, le travail commandé au SEGEFA et présenté par M. Jaspard et P. Christopanos a dû faire face à deux difficultés : construire une méthodologie rigoureusement scientifique d’analyse pas à pas d’un projet commercial et transformer cette démarche en un service GeoWeb doté notamment d’un module cartographique en ligne. En outre, il s’agissait de concevoir un outil d’aide à la décision permettant aux utilisateurs de conserver leur pouvoir de décision. Travail original sans aucun doute, cette recherche un peu particulière élargit sans conteste le champ des possibilités dans le domaine des applications de la géographie du commerce de détail.

13Le présent volume ne couvre sans doute pas toutes les nouvelles approches de ce champ d’investigation de la géographie mais il en montre quelques exemples qui traduisent bien son actuel dynamisme. Ces exemples ont été choisis parmi 14 propositions qui étaient parvenues au Comité scientifique de ce numéro, comité constitué de René-Paul Desse (Université de Brest), Arnaud Gasnier (Université du Maine), Nathalie Lemarchand (Université de Paris 8) et Jean Soumagne (Université d’Angers) que nous souhaiterions vivement remercier pour la rigueur de leurs commentaires relatifs aux textes reçus et leur suivi lors de la révision des textes retenus.

Bibliographie

Beaujeu-Garnier J. et Delobez A., 1977, La géographie du commerce, Masson, Paris, 283 p.

Mérenne-Schoumaker B., 1996. La localisation des services, Coll. Géographie d’aujourd’hui, Nathan, Paris, pp. 106-119 (texte réédité en 2008. Géographie des services et des commerces, Collection Didact Géographie, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, pp. 199-216).

Sporck J.A., 1963. Étude de la localisation du commerce de détail. Aspects méthodologiques, Bulletin de la Société belge d'Études géographiques, t. XXXIII, 1, pp. 53-106.

Pour citer cet article

Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER, «Éditorial : La Géographie du commerce de détail : nouvelles approches», Bulletin de la Société Géographique de Liège [En ligne], 56 (2011/1) - Géographie du commerce de détail, URL : https://popups.uliege.be/0770-7576/index.php?id=726.

A propos de : Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER

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