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Des paysages alimentaires vécus diversifiés. Une analyse par les pratiques d’approvisionnement alimentaire des ménages
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Cet article vise à reconstruire le paysage alimentaire des habitants, à mieux comprendre leurs pratiques d’approvisionnement alimentaire, la façon dont ils les combinent avec leurs autres activités, et à identifier les obstacles auxquels ils font face. Des entretiens avec 27 ménages de la métropole de Montpellier permettent d’identifier huit logiques d’action, se déclinant différemment dans l’espace : budgétaire, relationnelle, accessibilité physique, efficace, récréative, produit, engagée, évitement. Les collectivités françaises peuvent agir sur les paysages alimentaires à travers différents leviers comme la planification urbaine. Cependant, nos résultats montrent que si les pratiques d’approvisionnement des ménages peuvent changer au gré des évènements de vie, les logiques qui sous-tendent ces actions sont plus résilientes. Des changements de paysages alimentaires ne se traduira donc pas nécessairement dans les pratiques des ménages. Les pouvoirs publics devraient tenir compte de ces logiques avant d’envisager l’installation de nouveaux points de vente alimentaire.
Abstract
This article aims to reconstruct the foodscape of inhabitants, to better understand their food procurement practices, how they combine them with their other activities, and to identify the barriers they face. Interviews with 27 households in the Montpellier city region have revealed eight logics of action, which vary from one area to another: budgetary, relational, physical accessibility, efficiency, recreational, product, committed, avoidance. French municipalities can influence foodscapes through various levers, notably urban planning. However, experiments elsewhere in the world have not demonstrated significant effects. Our results indicate that while household procurement practices can change with life events, the underlying logics driving these actions are more resilient. Therefore, changes in foodscapes will not necessarily translate into changes in household practices. Public authorities should take these logics into account before considering the installation of new food outlets.
Table of content
INTRODUCTION
1L’essor des recherches sur les relations entre environnement et santé a conduit à recommander d’agir sur l’environnement alimentaire pour favoriser un meilleur accès à une alimentation saine (HLPE, 2017). Pourtant, les études peinent à montrer l’effet de l’environnement alimentaire, compris comme l’ensemble des commerces alimentaires et établissements de restauration dans un espace donné, sur les comportements alimentaires ou la santé. Une récDes ente synthèse de revues systématiques de littérature conclut à l’absence d’association entre environnements alimentaires et statut pondéral (Lam et al., 2021). L’association entre accessibilité physique aux commerces vendant des fruits et légumes et leur consommation demeure incertaine (Turner et al., 2021). La diversité des méthodes employées rend difficile la comparaison des résultats (Eskandari et al., 2022) mais ne semble pas suffire à expliquer l’incertitude des associations statistiques.
2D’autres facteurs doivent dès lors être pris en considération pour comprendre les pratiques d’achat, tels que la perception que les individus ont de leur environnement (Kegler et al., 2022 ; MacNell et al., 2017 ; Recchia et al., 2024). C. Hammelman (2018) et C. Miewald et al. (2019) ont ainsi montré le poids de l’expérience qu’ont les habitants de leur environnement, la manière dont ils construisent leurs pratiques dans un environnement donné. Ces chercheurs proposent des approches socio-culturelles, voire critiques, des paysages alimentaires (Vonthron et al., 2020). Ils emploient le terme de paysage alimentaire (foodscape) pour considérer, au-delà de l’environnement alimentaire physique, l’espace vécu et le paysage perçu par les habitants. Ces travaux soulignent l’importance de comprendre finement les pratiques d’approvisionnement alimentaire pour réduire les inégalités d’accès à l’alimentation et favoriser des pratiques alimentaires plus saines (Cannuscio et al., 2014 ; DiSantis et al., 2016).
3Nous nous inscrivons dans ces approches et proposons dans cet article de reconstruire le paysage alimentaire des habitants, de manière qualitative, pour éclairer les raisons qu’ils donnent à leurs pratiques, la façon dont ils combinent leur approvisionnement alimentaire avec d’autres activités et besoins, et identifier les obstacles auxquels ils font face.
4En France, les géographes du commerce de détail ont conduit des travaux sur les pratiques d’achat (pas spécifiquement alimentaires). Ils ont montré que le rapport aux commerces diffère selon la situation sociale et économique de chaque individu (Anquez, 2004 ; Deprez, 2019 ; Dubucs, 2013) et explique en partie le système de lieux marchands fréquentés par un individu (Lestrade, 2008). En s’intéressant aux mobilités associées aux achats (Delage, 2012 ; Desse, 1999 ; Hani, 2009), des travaux ont mis en évidence que le choix des commerces fréquentés, notamment alimentaires, est fortement conditionné par l’agencement des lieux d’activité des différents membres du ménage (Hani, 2009).
5Les travaux portant spécifiquement sur les approvisionnements alimentaires des ménages sont rares. J. Essers et M. Poulot (2019) ont montré la forte mobilité des habitants du périurbain de l’Ouest francilien pour s’approvisionner, ainsi que les solidarités (relationnelles, institutionnelles et commerciales) engagées dans la réalisation des achats alimentaires. M. Ferrant (2022) montre l’importance des trajectoires de vie et des valeurs dans les pratiques d’approvisionnement alimentaire. Elle souligne aussi les différences de perception et de facteurs de décision entre des populations issues de l’immigration et des populations « autochtones ». Enfin, S. Deprez (2019) montre comment l’émergence de nouvelles formes de distribution alimentaire comme les drives modifie les pratiques spatiales d’approvisionnement des ménages, en renforçant le poids des lieux de travail.
6Pour mieux comprendre les pratiques spatiales d’approvisionnement alimentaire et leurs logiques, nous avons enquêté 27 ménages localisés dans quatre secteurs de la métropole de Montpellier présentant un gradient d’urbanité : densité de population et mixité sociale, mixité fonctionnelle ou dissociation des usages. Notre étude vise à répondre aux questions suivantes : comment les personnes s’organisent-elles matériellement, dans le temps et dans l’espace, pour leur approvisionnement alimentaire ? Comment justifient-elles leurs pratiques ? Comment les paysages alimentaires influencent-ils les pratiques d’approvisionnement des habitants ?
7Après avoir présenté notre approche conceptuelle et méthodologique, nous distinguons huit logiques d’approvisionnement, puis deux monographies rendent compte de l’expérience vécue des individus. Nous montrons enfin à travers un troisième cas comment différentes logiques d’approvisionnement s’hybrident entre elles et s’articulent au gré des évènements de vie.
I. Le cadre d’analyse des pratiques
8Les théories des pratiques sociales mettent en évidence l’inscription des pratiques alimentaires dans des routines quotidiennes (Dyen, 2018 ; Nicolini, 2012 ; Shove et al., 2012). Nous nous sommes donc intéressés aux pratiques d’approvisionnement alimentaire mais aussi à un ensemble d’autres pratiques régulières qui pouvaient y être associées. Nous avons abordé en entretiens les activités quotidiennes des individus, leurs pratiques de mobilité, leurs habitudes de cuisine, de consommation et d’approvisionnement alimentaires, ainsi que les évolutions dans ces pratiques.
9En recueillant les discours des individus enquêtés, l’objectif est d’identifier les choix qu’ils opèrent pour s’approvisionner dans tel ou tel commerce et la façon dont ils argumentent ces choix. L’enquête vise ainsi à saisir les pratiques concrètes (se déplacer, acheter), mais aussi les façons de faire qui les expliquent (actes, règles), et les façons de voir (ou perceptions) qui leur donnent du sens (Darré et al., 2007 ; Nicolini, 2012). L’hypothèse est que ces pratiques d’approvisionnement sont diverses et dépendent d’une variété de facteurs qu’il n’est pas possible de cerner a priori. En écoutant comment les individus parlent eux-mêmes de leurs pratiques, comment ils les justifient et en expliquent le sens (système cohérent d’argumentation), notre enquête cherche à repérer les principes guidant leurs déplacements dans l’espace et les choix qu’ils effectuent pour s’approvisionner. C’est ce que nous nommerons des logiques d’approvisionnement. Bien sûr, ce point de vue des individus n’explique pas toute leur pratique spatiale. Celle-ci dépend de nombreuses contingences, comme par exemple les contraintes de circulation ou le coût des transports. Nous avons donc cherché à saisir la pratique spatiale dans sa matérialité, en dessinant les trajets concrets des individus avec eux et en repérant ainsi les éléments de situation avec lesquels ils doivent « faire avec » l’espace et les lieux. La description cartographique de l’espace matériel prend ici tout son sens, confrontée aux discours des individus. Ce faisant, nos travaux transposent aux consommateurs des principes et méthodes d’une géographie des pratiques et de l’habiter, s’inspirant de travaux développés tant dans des études rurales (Soulard, 1999) qu’urbaines (Di Méo, 2012).
10Pour décrire la matérialité spatiale des déplacements alimentaires, nous mobiliserons trois notions. Le chaînage de déplacements décrit « l’enchaînement d’activités extérieures réalisées sans repasser par le lieu de domicile » (Delage, 2012). L’univers d’approvisionnement désigne « l’ensemble des lieux marchands, que chaque consommateur utilise pour réaliser son approvisionnement » (Lestrade, 2002). Enfin la notion plus large de territoire d’approvisionnement désigne « l’espace physique dans lequel s’inscrivent les univers d’approvisionnement (Deprez, 2017).
II. L’enquête de terrain
11Nous avons réalisé en 2019 des entretiens semi-directifs avec 27 habitants de la métropole montpelliéraine aux profils socioéconomiques et démographiques divers, mais aussi exposés à des environnements alimentaires, sociaux et bâtis différents.
A. Déroulement des entretiens et données collectées
12Les entretiens ont été enregistrés et intégralement retranscrits. Ils ont duré entre 1h30 et 2h30.
13Pour recueillir les pratiques et le discours que l’individu porte sur ses pratiques (Nicolini, 2012), nous avons d’abord demandé à la personne de décrire ses pratiques, de manière factuelle, puis nous l’avons interrogée sur son expérience, ses motivations et perceptions.
14Les entretiens ont été réalisés à l’aide d’un support cartographique. Avec la personne enquêtée, nous inscrivions sur un panel de cartes de différentes échelles les lieux fréquentés, les trajets, les commentaires de la personne : opinion, ressenti, éléments facilitants ou constituant une barrière, etc. Utiliser des fonds de cartes était une aide pour l’enquêté et l’enquêteur. L’enquêté se remémorait ainsi des lieux, contraintes, anecdotes qu’il n’aurait probablement pas évoqués sans ce support. Pour l’enquêteur, ce passage par la carte permettait de rebondir sur des éléments du terrain ou de repérer des pratiques spatiales « surprenantes » : par exemple des commerces indiqués sur les cartes sans être évoqués par l’enquêté alors même qu’il passait devant, des détours réalisés, etc.
15Sachant que les individus ne sont pas égaux face à la lecture d’une carte (Lobben, 2004), nous avons commencé par localiser avec la personne enquêtée son domicile et les lieux qu’elle fréquentait régulièrement. Ainsi, toutes les personnes ont été capables d’indiquer leurs trajets, de se remémorer des situations à l’aide de ces fonds de carte annotés de repères qui faisaient sens pour elles.
B. Secteurs d’enquête
16Nous avons choisi des enquêtés résidant dans quatre secteurs de la métropole présentant des paysages alimentaires contrastés. Le Courreau est un ancien faubourg piétonnisé depuis une opération de renouvellement urbain et dans lequel l’offre alimentaire est abondante et diversifiée, avec tous les commerces de bouche spécialisés et des superettes et supermarchés bio. Malbosc est un quartier créé en 2000 dans le cadre d’une zone d’aménagement concerté et organisé autour d’une place où sont localisés quelques commerces (boulangerie, supermarché, restaurants) et un marché hebdomadaire. Saint Martin est un quartier mixte des années 1970, majoritairement classé quartier prioritaire de la politique de la ville, et organisé autour d’une place regroupant quelques commerces alimentaires (boucherie, boulangerie, épiceries, restaurant) et fastfoods. Les villages mitoyens périurbains de Sussargues et de Saint-Drézéry possèdent chacun un petit pôle commercial proche du vieux village comprenant une boulangerie, une épicerie et un restaurant. Le second inclus en plus une boucherie. Ils sont situés à plus de 10 minutes en voiture d’un supermarché ou hypermarché.
C. Structure de l’échantillon
17Nous avons réalisé des entretiens auprès de 27 ménages, soit 6 à 8 par secteurs d’étude (Figure 1), principalement au domicile (21 sur 27). Les ménages enquêtés présentent une diversité de profils : des actifs avec et sans enfants, des étudiants, des chômeurs, des retraités, des ménages aisés et d’autres dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté, des personnes sans diplôme jusqu’à des titulaires d’un doctorat. Ces ménages ont été recrutés parmi les participants à l’enquête quantitative Mont’Panier (Recchia et al. 2024). Les données sociodémographiques sont issues du questionnaire de cette enquête.
Figure 1. Localisation et profil des ménages enquêtés (tous les prénoms ont été modifiés pour respecter l'anonymat)
D. Considérations légales et éthiques
18En conformité avec le RGPD, cette enquête a été inscrite au registre informatique et liberté (IL) de l’INRA. De plus, nous avons sollicité le Comité d’Evaluation de l’Ethique de l’Inserm (CEEI Inserm), IRB 00003888, et reçu un avis favorable sur nos recherches le 24 avril 2019 (Avis n°19-577).
III. Huit logiques d’approvisionnement « idéal-typiques »
19Durant les entretiens, les personnes décrivent leurs pratiques spatiales d’approvisionnement alimentaire, et expliquent leurs choix, leurs contraintes et leurs libertés. Ces discours se distinguent selon les arguments mobilisés et les expressions employées de façon récurrente. Ce système d’arguments permet d’identifier huit logiques d’approvisionnement « idéale-typiques ».
Tableau 1. Discours des enquêtés sur leurs pratiques spatiales d'approvisionnement alimentaire et mobilisation des logiques par quartier
A. La logique budgétaire : à la recherche des meilleurs prix
20« J'ai 780 euros par mois tu vois, aux Assedic, donc ça limite énormément tout ». La question du budget disponible telle qu’exprimée par Catherine, le prix des aliments, les promotions et systèmes de fidélité offerts par les commerces forment un système d’arguments caractéristique de la logique budgétaire, qui renvoie à la contrainte que constitue le coût de l’alimentation, à son poids dans le budget du ménage. La connaissance précise du prix des produits dans différents commerces et la récurrence de l’emploi de termes comme « cher(e) » pour qualifier des aliments ou des commerces (jusqu’à 47 fois dans un entretien) témoignent de l’attention portée à ce critère et de son importance dans la décision de recours ou de non-recours à certains lieux d’approvisionnement. Cette logique a été observée principalement chez des ménages pauvres. Onze des 27 ménages enquêtés font référence aux prix des produits vendus par les commerces, aux promotions et systèmes de fidélités et huit d’entre eux se situent sous le seuil de pauvreté. En revanche, ces ménages ne se distinguent pas par leur quartier d’habitat, l’âge ou la composition familiale.
B. La logique relationnelle : le commerce comme lieu de sociabilité
21« J’aime bien ce genre de courses qui permet qu’on soit un peu identifié ». Ce sentiment que Jacqueline exprime à l’égard des halles est caractéristique de la logique relationnelle. Le commerce est considéré comme lieu de sociabilité. Cette sociabilité s’exprime soit à travers la relation que les enquêtés ont tissée avec certains commerçants, ce que traduit l’emploi de qualificatifs et surnoms affectueux pour désigner les commerçants (« gentil », « Mamie Proxy », etc.), soit dans le fait que le commerce lui-même est un lieu de rencontre de connaissances. Par ailleurs, se faire offrir quelque chose par un commerçant apparait comme un geste à forte portée symbolique pour certaines personnes. Plus qu’une question budgétaire, le don de produits, le fait de proposer un café aux clients participent de la construction d’une relation entre clients et commerçants. Ainsi, retourner s’approvisionner dans un commerce où l’on a bénéficié d’un don apparait comme un contre-don. Cette logique d’approvisionnement apparait dans le discours de 7 personnes enquêtées dont 5 habitent quartier du Courreau.
C. La logique d’accessibilité physique : praticité et dépendance
22L’accessibilité physique des commerces renvoie à différentes pratiques. Elle concerne tous les ménages pour les achats de dépannage ou du quotidien tels que le pain, faits en proximité spatiale, mais elle constitue une logique d’approvisionnement à part entière chez certains enquêtés qui justifient leurs choix de recours et de non-recours à certains lieux par leur accessibilité spatiale et temporelle. Certains évoquent en particulier des difficultés d’accès liées à leur état de santé ou les moyens de transport à leur disposition. Certains détours, ainsi que la récurrence de l’expression « je (ne) peux pas », faisant référence à un obstacle matériel, une distance, un dénivelé pour justifier la non-fréquentation de certains commerces, témoignent des contraintes d’accessibilité aux lieux d’approvisionnement alimentaire.
23Cette logique d’accessibilité ressort chez 9 des ménages enquêtés dans les 3 quartiers de Montpellier, mais pas dans les communes périurbaines. Tous les ménages périurbains enquêtés possédant une voiture, la question de l’accessibilité physique se pose peut-être moins pour eux, ou est formulée de manière différente.
D. La logique efficace : optimiser son temps
24« Gagner », « perdre », « optimiser », « organiser son temps » sont autant de verbes utilisés pour justifier des choix de déplacements, de lieux ou de modes d’achats alimentaires. Ils sont récurrents dans l’argumentaire de personnes mettant en avant l’importance de la contrainte temporelle dans leur vie quotidienne et leurs pratiques d’approvisionnement alimentaire. Ces caractéristiques de la logique efficace se retrouvent chez 14 des ménages enquêtés, soit plus de la moitié. Ces ménages vivent dans 3 des 4 secteurs enquêtés, à l’exception du Courreau, le quartier le plus central et le seul piéton de notre étude, à très forte densité commerciale. De plus, 9 de ces 14 ménages sont composés d’actifs qui mettent en avant la contrainte que représente leur travail sur l’emploi du temps. Ces contraintes sont d’autant plus exprimées chez les femmes enquêtées qui ont des enfants (5 personnes). Pour autant, cette logique est aussi mobilisée par 3 personnes retraitées et une sans emploi, qui expriment préférer consacrer plus de temps à d’autres activités.
E. La logique récréative : faire ses courses comme on pratique un loisir
25« Ça me plait le week-end d'aller à un marché […], ça devient une promenade d'aller chercher quelque part des bons produits » (Alain). Dans le discours de certaines personnes enquêtées, faire ses courses est un loisir. Les arguments employés ont trait aux paysages (d’un point de vue esthétique, sensoriel) ainsi qu’à l’ambiance des lieux fréquentés. L’emploi récurrent de termes tels que « balade » ou « promenade » est caractéristique de cette logique récréative, mobilisée par 7 des ménages enquêtés, en particulier des ménages périurbains. Cette logique est rare chez les personnes pauvres ou seules.
F. La logique produit : choisir son commerce, c’est choisir ses aliments
26Les produits disponibles constituent un argument de justification de recours à certains commerces, caractéristique de la logique produit. Les ménages développant un tel argumentaire mettent en avant la recherche soit de produits spécifiques (ethniques, sans gluten, sans sel), qu’ils ne trouvent pas ailleurs, soit de produits de « meilleure qualité », la qualité faisant référence à des choses différentes selon les personnes : goût, aspect, signe (certification bio, marque, etc.) ou encore à la manière dont est « tenu » le commerce. Le discours de ces personnes fait écho à leurs pratiques de cuisine et de consommation alimentaire, voire aux goûts différents des membres d’un même ménage. Cette logique est mobilisée par 13 des ménages enquêtés, donc presque la moitié. Pour 6 d’entre eux, il s’agit d’une logique partielle, guidant des pratiques liées à quelques produits spécifiques. Pour les 7 autres ménages, il s’agit d’une logique dominante dans leurs approvisionnements. Ces 7 ménages vivent dans 3 des 4 secteurs, à l’exclusion du Courreau.
G. La logique engagée : s’approvisionner en cohérence avec ses valeurs sociales, environnementales et économiques
27Le drive, « je m'y refuse, par conviction syndicale ». Cette phrase prononcée par Audrey est caractéristique d’un argumentaire développé par certaines personnes autour de valeurs qu’elles défendent pour justifier du recours ou non à certains lieux d’approvisionnement alimentaire. Pour parler des lieux fréquentés, elles disent adhérer à un « concept » (en parlant d’un supermarché de produits locaux), un « projet » (en parlant d’un supermarché coopératif). À l’inverse, les propos de Raymonde témoignent d’une volonté consciente de non-recours à certains commerces : elle explique à propos d’un hypermarché : « ça me choque cette abondance de produits, enfin de gaspillage, c'est vraiment complètement à l'encontre de mes valeurs et je me dis que si je peux m'en passer, je m'en passe ». Ces discours traduisent ainsi leur engagement social, environnemental ou économique. Sept ménages mobilisent cette logique, dont cinq à titre principal. Cette logique apparaît être plutôt le fait de personnes diplômées, sans difficultés économiques. Nous ne l’avons pas rencontrée chez les ménages périurbains.
H. La logique d’évitement : éviter les lieux insécurisants
28« J’y habite mais j’y vis pas […] il faudrait peut-être que je sois plus vue pour être tranquille, je sais pas hein, j'en sais rien, mais je me dis de toute façon, j'ai pas envie d'être vue, j'ai pas envie qu'on me connaisse, j'ai pas envie de traîner, donc à partir de là, je prends mes précautions » (Martine). Plusieurs personnes enquêtées font part de leur malaise dans certains commerces, les conduisant à les éviter ou du moins à minimiser le temps qu’elles y passent. Chez deux personnes, ce malaise définit une logique d’évitement à part entière. Cette logique se traduit par le non-recours à certains commerces et l’évitement de certaines rues, parfois à certaines heures seulement, justifiés par des arguments relatifs à leur sécurité et l’emploi de termes tels que « angoissant » et « agression ». Elles évoquent d’une part leur situation de femme dans un espace public genré, voire considéré comme machiste, et d’autre part un sentiment d’oppression créé par la foule. Ces deux personnes sont deux femmes seules habitant au Courreau, toutes deux sous le seuil de pauvreté et âgées d’environ 60 ans.
29Ainsi, les systèmes d’argumentation et les mots récurrents nous ont permis de distinguer huit logiques d’approvisionnement. Les logiques budgétaire, efficace et d’évitement traduisent dans la mise en œuvre des pratiques d’approvisionnement un rapport contraint respectivement par le budget, le temps et par autrui. A l’inverse, les logiques relationnelle et récréative traduisent la satisfaction que les personnes trouvent à réaliser certaines pratiques. La logique d’accessibilité physique traduit tantôt des contraintes, tantôt des opportunités spatiales, d’aménagement et de mobilité. Enfin, dans le cas des logiques produit et engagée, les discours sont plus descriptifs, caractérisant tant les produits vendus, les commerces et les commerçants. Certaines logiques sont plus fréquentes ou plus rares dans certains quartiers. En raison de la forte mixité sociale, d’une forte densité de commerces alimentaires et notamment « ethniques », le quartier du Courreau semble propice à la mise en œuvre de logiques relationnelles. En périurbain, l’offre commerciale étant réduite, les ménages peuvent avoir intégré l’idée qu’ils étaient dépendants de leur voiture. L’accessibilité physique est rarement évoquée. En revanche, la gestion du temps renvoyant à la logique efficace y est très prégnante, du fait de l’éloignement, de la dispersion des lieux d’activité et des commerces fréquentés. Cette logique efficace n’a jamais été évoquée par les habitants du Courreau. Enfin, on observe logiquement une récurrence de la logique budgétaire chez les ménages en situation de pauvreté monétaire ou encore de la logique efficace chez les femmes actives avec enfants. Ces résultats soulignent aussi que le fait de s’approvisionner dans tel ou tel lieu est multifactoriel, ce qui explique les limites des travaux scientifiques visant à identifier des causalités statistiques.
IV. Une diversité de paysages alimentaires vécus
30Deux monographies permettent dans cette section de mieux comprendre les liens entre les logiques d’approvisionnement, restituées ici par un récit, et les pratiques spatiales correspondantes, illustrées par une carte.
A. La logique d’accessibilité contrainte de Thierry
31Thierry, retraité de l’éducation nationale, vit seul dans un appartement du quartier du Courreau. Il habite le centre-ville de Montpellier depuis 1970.
32Les pratiques spatiales d’approvisionnement alimentaire de Thierry sont conditionnées par son état de santé. D’une part, il fréquente certains commerces en particulier (notamment spécialisés bio) afin de trouver des produits alimentaires spécifiques (produits biologiques et réduits en sel) selon une logique produit. D’autre part, son état de santé contraint son accessibilité à certains lieux : Thierry n’est pas en capacité de marcher plus de 150 m. Au-delà, il doit faire des pauses, ou utiliser son fauteuil roulant électrique. Il sort donc très peu de chez lui, si ce n’est pour ses rendez-vous médicaux hebdomadaires et quelques achats. Cette limite physique contraint ses pratiques d’approvisionnement alimentaire et l’amène à se faire livrer la majeure partie de ses courses :
33J'ai vraiment du mal à me déplacer […] ça va t'expliquer pourquoi la plupart de ce que je mange, je le commande par internet.
34Ainsi, depuis 5 ans, Thierry effectue une commande en ligne de 200-300 € par mois à un hypermarché. Pour autant, il fréquente aussi de nombreux commerces physiques : Carrefour city, Biocoop, La Vie Saine, boucheries, primeurs, etc. Il y achète des produits frais, en particulier ses fruits et légumes qu’il « n’aime pas commander par internet ». Il s’y rend à pied dans la mesure du possible :
35On me dit qu'il faut que je marche 30 min par jour […] Plus je marche, mieux c'est, et donc j'essaye d'y aller en marchant, mais si j'ai trop de trucs à rapporter, je laisse tomber.
36Thierry « essaie de maximiser » chacune de ses sorties pour marcher le moins possible et éviter les escaliers (il habite au 1er étage d’un immeuble sans ascenseur). Il combine régulièrement des courses, le dépôt de verre ou/et un rendez-vous médical. Lorsqu’il se rend ponctuellement dans une zone d’activité commerciale au Nord de Montpellier avec sa voiture, il en profite pour acheter quelques conserves de poisson dans un commerce bio qu’il apprécie :
37J’essaie de tout rassembler. C’est pas forcément par souci d’économie carbone, c’est surtout parce que je suis fatigué. J’ai pas envie de sortir 15 fois.
38La carte des pratiques spatiales d’approvisionnement alimentaire de Thierry illustre comment son état de santé contraint à la fois ses choix de lieux d’approvisionnement et ses trajets (Figure 2).
Figure 2. Le territoire d'approvisionnement en produits frais de Thierry, une proximité contrainte
39Cette logique d’accessibilité physique contrainte aux commerces alimentaires se traduit par un univers d’approvisionnement reposant sur la commande internet et les commerces alimentaires proposant des produits « sains » à proximité de son domicile. Son territoire d’approvisionnement est ainsi très restreint pour les achats de produits frais, il s’organise autour de 3 rues : celle où il habite et deux autres avec lesquelles la première communique. De plus, ce territoire s’est réduit avec la dégradation de son état de santé : 4 lieux ont été abandonnés à l’instar des halles Castellane :
40Il y a encore 2 ans ou 3, je pouvais arriver jusqu'en haut de la rue Saint Guilhem, j'étais un peu essoufflé, mais j'y arrivais. Maintenant je n'y arrive plus.
41Deux commerces qu’il fréquente encore se situent dans ce périmètre des 150 m à pied. Pour aller au-delà, ses déplacements sont tantôt facilités par des aménagements tels que des bancs ou des bornes de limite de la zone piétonne sur lesquelles il s’assoit, et qui lui « permettent de se reposer », tantôt contraints par la présence d’éléments (trottoirs, marches, escaliers) quand il est en fauteuil roulant. Thierry indique l’altitude précise du parc du Peyrou (52 m) et de son domicile (35 m), ce qui témoigne de la contrainte que constitue aussi le dénivelé. L’itinéraire dessiné, un trajet récurrent, illustre cette limite. Sortant de chez lui, Thierry dépose d’abord son verre dans un conteneur dans la rue située derrière chez lui. Puis, en raison d’un trottoir, il passe par la rue derrière le Carrefour city pour s’y rendre. Il ne prend pas le plus court chemin.
42L’univers d’approvisionnement de Thierry a évolué. En plus d’Internet, il est constitué de 4 lieux dans son quartier (deux supermarchés, un commerce spécialisé AB et des vendeurs de rue de coriandre), d’une boucherie à proximité du CHU où il se rend régulièrement, et ponctuellement d’un commerce bio d’une zone d’activité périphérique. Thierry a substitué plusieurs commerces par d’autres, plus accessibles : il va désormais à la Biocoop ouverte à l’été 2019, plus proche que La Vie Saine où il allait avant. Depuis qu’il ne va plus aux halles, à cause du dénivelé de la rue Saint Guilhem, il se rend dans un autre Carrefour city (Laissac) situé à plus de 150 m mais sans dénivelé. Ce dernier propose une diversité de fruits et légumes qu’il juge satisfaisante, plus importante que celle du Carrefour city plus proche de chez lui.
43Ainsi, cette carte met en exergue l’effet direct des contraintes d’accessibilité sur l’étendue et la configuration géographique du territoire d’approvisionnement de Thierry. Pour autant, l’offre commerciale alimentaire de son quartier, particulièrement riche et diversifiée, lui permet de ne pas modifier en profondeur son univers d’approvisionnement (il trouve des commerces de substitution).
44Enfin, si son état de santé conditionne l’accessibilité spatiale aux commerces alimentaires, elle conditionne aussi la temporalité de ses achats. En effet, ayant des rendez-vous médicaux très fatigants 2 fois par semaine, Thierry ne fait pas de courses ces jours-là, ni leurs lendemains.
45Au final, l’état de santé de Thierry apparaît comme le facteur majeur expliquant ses choix de commerces alimentaires selon leur accessibilité.
B. La logique efficace de Christine
46Christine vit avec son mari et son fils. Arrivée à Saint Drézéry avec ses parents en 1991, elle s’y est ensuite installée avec son mari et habite une maison de lotissement. Elle travaille à domicile, son mari au CHU et leur fils va à l’université. Elle mange donc toujours chez elle. Son mari déjeune une fois sur trois sur son lieu de travail et leur fils à l’université ou au domicile. Christine fait pratiquement toutes les courses et la cuisine.
47La carte met en évidence l’optimisation des achats réguliers du ménage, réalisés dans le cadre de 4 déplacements (Figure 3). Le premier est un chaînage de déplacements (Delage, 2012). Christine regroupe toutes ses courses alimentaires le jeudi, jour du marché :
48Je vais en fin de matinée au marché et je pars après. En général, je passe d'abord à la Biocoop et ensuite au Leclerc […] [la Biocoop] c'est quasiment sur mon chemin. Je regroupe toujours mes courses, je m'arrange toujours pour tout regrouper parce que comme ça je sors moins.
49Au marché du village (1), elle achète des fruits et légumes, un peu de fromage, du vin et du miel. Ensuite, à la Biocoop (2), elle complète en fruits et légumes en fonction de ses achats du marché et achète aussi quelques autres produits spécifiques (lait de brebis, steaks végétaux, etc.). Enfin, elle se rend dans un hypermarché (3), où elle réalise leurs « grosses courses » et notamment du fromage, du poisson et de l’eau gazeuse. Christine complète ses courses dans un autre supermarché (4) pour quelques produits particuliers. Elle s’y rend alors soit après les 3 lieux précédents, soit à l’occasion d’un autre déplacement.
Figure 3. Les approvisionnements alimentaires de Christine : des déplacements optimisés pour un temps consacré minimisé
50Christine effectue également des achats quand elle va chercher son fils au terminus de tramway. À Jacou, elle trouve le supermarché qu’elle fréquente pour des produits spécifiques (4) et ponctuellement une autre Biocoop (5) et un magasin de producteurs (6). Le troisième déplacement correspond à une boucle simple de type domicile – centre du village (7) – domicile que Christine effectue un jour sur deux pour acheter du pain à la boulangerie et, plusieurs fois par semaine pour acheter « quelques bricoles » à l’épicerie. Enfin, son mari réalise quelques achats, à la demande de Christine, en rentrant du travail. Il s’arrête chez un primeur en bord de route (8) ou dans un petit centre commercial (9) dans une boucherie, une boulangerie et un vendeur d’huîtres.
51Cette carte montre donc la diversité des commerces constituant l’univers d’approvisionnement alimentaire de Christine et de son mari, mais surtout l’optimisation des déplacements, hors boulangerie et dépannage faits au village. Elle traduit une logique d’efficacité spatiale et temporelle : Christine fait en sorte de terminer sa boucle du jeudi à l’hypermarché « entre midi et deux, [car] c'est là qu'il y a le moins de monde possible ». Même au sein de l’hypermarché, elle cherche à gagner du temps :
52Je fais le même trajet en voiture mais je fais le même trajet dans le magasin aussi, je fais dans le même sens, je vais d'abord chercher des sous, supermarché, boutique livres, voilà, j'ai mon petit circuit, et c'est vrai que je perds pas de temps.
53Enfin, Christine décrit une logique efficace jusque dans ses pratiques de cuisine : Christine choisit des légumes « qui ne demandent pas trop de préparation ». Toutefois, ce rapport au temps efficace disparait quand Christine parle de son potager et de ses poules qui pourvoient à une partie importante de leurs besoins en œufs et en légumes d’été. Ainsi, Christine explique ses pratiques spatiales d’approvisionnement alimentaire commerciales par une logique efficace, complétée par une logique produit. Sa routine très précise inclue un regroupement temporel des courses en chaînages de déplacements et des itinéraires identiques d’une semaine sur l’autre. Son territoire d’approvisionnement s’étend sur plusieurs communes périurbaines, bien au-delà de l’espace quotidien de Christine, très restreint car elle travaille à domicile.
54Ces deux monographies qui tendent vers des idéaux-types mettent en évidence à la fois la diversité et la complexité des logiques et pratiques d’approvisionnement des ménages. Les personnes mobilisent toutefois un système d’argumentation qui combine le plus souvent plusieurs logiques.
V. L’effet des trajectoires de vie sur les pratiques d’approvisionnement : des logiques résilientes
55Le cas de Sarindra illustre la combinaison de logiques d’approvisionnement. Il permet aussi de voir l’effet des changements professionnels, résidentiels et familiaux sur les pratiques d’approvisionnement et leur résilience. Franco-malgache, Sarindra a grandi en milieu rural en périphérie d’Antananarivo et est arrivée en France « sur un coup de tête » en 2014 avec ses 3 enfants. Une partie de sa famille, qui les avait précédés, les a accueillis, d’abord à Bordeaux quelques mois puis à Montpellier. Au gré des domiciles, des lieux d’activité professionnelle, de sa situation administrative et familiale, le paysage alimentaire de Sarindra a évolué. Après 3 appartements familiaux puis 3 hébergements d’accueil (hôtels sociaux et appartement associatif) en l’espace de 2 ans, elle a emménagé en 2016 dans un appartement quartier Saint Martin. Son mari les a rejoints 1 an et demi avant notre entretien. Les évènements de vie de Sarindra mettent en évidence des persistances et des changements dans ses pratiques spatiales d’approvisionnement, guidées par l’hybridation de trois logiques.
56La première logique est budgétaire. Sarindra insiste sur le fait que tel lieu est moins cher pour tel ou tel produit. Cela se traduit par la fréquentation des hard discounts (Leader Price, Lidl), de halles réputées comme les moins chères de la ville, ou encore de centres de distribution de l’aide alimentaire (Restos et Camion du cœur).
57Ensuite, une logique produit guide ses pratiques. Le seul commerce qu’elle fréquente régulièrement depuis son arrivée à Montpellier est le supermarché asiatique (Paris Store) où elle trouve des produits répondant à ses exigences culturelles : « sacs de riz de 20 kg », « brèdes » ou encore du chou pour « achards ».
58Enfin, Sarindra exprime également une logique efficace. Elle regroupe ses grosses courses toutes les deux semaines dans deux commerces voisins : Leader Price et Paris Store. Elle effectue ses autres courses sur ses trajets quotidiens en transport en commun, qui ont varié avec le temps. Ainsi, l’exemple de Sarindra montre que pour traduire une logique en pratiques, les paysages alimentaires offrent tantôt plusieurs options, tantôt une seule. En effet, les déménagements de Sarindra, ses changements d’emploi ont modifié à plusieurs reprises le paysage alimentaire auquel elle était exposée. L’acquisition d’une voiture a aussi modifié ses lieux d’achats (possibilité de prendre des produits lourds plus loin). En revanche, les trois logiques qui guident ses pratiques sont demeurées les mêmes. Aussi, certains lieux d’approvisionnement ont changé car ils étaient substituables (hard discount, halles) au vu des logiques de Sarindra (budgétaire, efficace), tandis que d’autres se sont maintenus car non substituables (Paris Store – logique produit).
59Si ce résultat pointe la difficulté de conclure simplement sur les relations entre paysages alimentaires et pratiques, il traduit aussi l’importance de l’inscription des pratiques d’approvisionnement dans des routines, c’est-à-dire un « ensemble d’actions agencé d’une manière propre à chaque individu, à chaque foyer, et qui est spécifique d’un contexte spatio-temporel » (Dyen, 2018). Rejoignant ainsi les travaux de K. DiSantis et al. (2016) et de C. Thompson et al. (2013), nos résultats confirment l’importance qu’il faut accorder à la compréhension de l’articulation de l’acte d’approvisionnement avec d’autres pratiques impliquant des déplacements (travail, école des enfants, etc.).
Figure 4. Évolutions des pratiques d'approvisionnement alimentaires de Sarindra entre 2016 et 2019. a. L’acquisition d’une voiture lève la dépendance aux commerces de proximité : les « grosses courses » de Sarindra préalablement réalisées en transport en commun sont faites en voiture. Elle abandonne l’Intermarché considéré comme cher où elle achetait jusque-là ses produits lourds. b. Des changements de domicile et d’activité conduisent à un rétrécissement des univers et territoire d’approvisionnement : les halles et les hard discount de dépannage sont abandonnés. c. La perte de l’accès à l’aide alimentaire : Sarindra et sa famille ont déménagé. Ils retrouvent un hard discount de dépannage mais ne peuvent plus bénéficier de paniers des Restos du cœur (perception du RSA par le mari). d. Le retour de l’aide alimentaire : un camion des Restos du cœur (sans conditions de revenus) proche de son nouveau lieu de formation permet à Sarindra de faire des économies en y déjeunant 4 à 5 fois par semaine. e. Une optimisation des déplacements par chaînage lié aux lieux d’activité : un 1er stage conduit Sarindra à fréquenter un hard discount en dépannage à proximité de son lieu de stage (en raison des horaires). Un second stage la conduit à réaliser ses « grosses courses » sur le retour (gain de temps en passant par l’autoroute).
Conclusion
60L’analyse des discours de 27 ménages sur leurs pratiques d’approvisionnement alimentaire nous a permis d’identifier huit logiques d’action. La revue de littérature de E. Pitt et al. (2017) insiste sur l’importance de la disponibilité en commerces alimentaires et de leur accessibilité physique et économique dans le choix des lieux d’approvisionnement par les ménages. En complément, notre recherche met en évidence l’importance de l’articulation des pratiques d’approvisionnement alimentaire avec d’autres pratiques spatiales, rejoignant ici les résultats de J. Essers et M. Poulot (2019) dans le périurbain francilien, ainsi que d’autres éléments moins fréquemment identifiés et qui peuvent constituer des logiques d’action à part entière. C’est en particulier le cas de la logique d’évitement jusqu’alors identifiée seulement dans quelques articles aux Etats-Unis (Cannuscio et al., 2014 ; Rose, 2011). Cette logique renvoie en France aux travaux montrant que l’espace public est marqué par de fortes inégalités, notamment de genre (Lieber, 2008), ce que G. Di Méo (2011) nomme des « murs invisibles ». De plus, nous montrons que si les pratiques des ménages peuvent changer au gré des évènements de vie, les logiques qui sous-tendent ces actions apparaissent en revanche plus résilientes, des résultats qui sont cohérents avec ceux récemment parus sur les pratiques d’achats alimentaires de populations immigrées (Brons et al., 2020 ; Ferrant, 2022). Enfin nous avons montré que certaines logiques sont plus marquées dans certains quartiers que dans d’autres.
61Nos résultats suggèrent ainsi que les relations entre paysages alimentaires et pratiques d’approvisionnement sont plus nuancées que ce qu’avançait le HLPE en 2017 en considérant que « les comportements [alimentaires] sont largement façonnés par l’environnement alimentaire existant ». Les habitants ne « subissent » pas leur environnement, ils disposent tous de marges de manœuvre pour « faire avec », en jouant notamment sur les sociabilités et sur les solidarités (de Certeau, 1990). Ils construisent ainsi leur propre paysage alimentaire. Toutefois, ces marges de manœuvre sont plus marquées chez les enquêtés évoquant des logiques relationnelle et récréative, renvoyant notamment à des questions d’ambiance dans les espaces marchands (Mérenne-Schoumaker, 2018), que pour ceux insistant sur les logiques budgétaire, efficace et d’évitement chez lesquels les contraintes orientent plus les choix.
62Nous avons aussi observé la récurrence de certaines logiques dans certains quartiers. Les logiques d’accessibilité physique et relationnelle sont fortement présentes chez les personnes enquêtées dans le quartier central du Courreau, quand les logiques efficace et récréative sont récurrentes chez les enquêtés des villages périurbains dépendants de la voiture. Cette distinction géographique se différencie des observations de M. Hani (2009), qui soulignait plutôt la prégnance de la structure familiale et de l’activité professionnelle sur les chaînages de déplacements, sans effet du lieu de résidence. Cependant, notre échantillon n’a pas été construit de manière à atteindre un seuil de saturation dans chacun de ces secteurs. Nous ne pouvons donc pas conclure quant à l’effet du paysage alimentaire du quartier sur les logiques des ménages. En effet, si le quartier peut, dans certains cas, faciliter l’adoption de certaines logiques d’approvisionnement, ces dernières peuvent aussi, pour certains ménages, entrer en compte dans leur choix résidentiel (Homocianu, 2009 ; Thomas et Pattaroni, 2012).
63Différentes villes dans le monde s’interrogent sur la manière de favoriser l’accès à des aliments sains, notamment des fruits et légumes. Les collectivités françaises peuvent agir sur les paysages alimentaires par des incitations financières, le zonage, la régulation de l’occupation de l’espace public, des politiques foncières et patrimoniales (Girardin et al. 2021). Ailleurs dans le monde, des villes ont expérimenté différents leviers liés à la planification urbaine (Cabannes et Marocchino, 2018), notamment pour réguler les fastfoods (Keeble et al., 2019), sans résultats très probants (Brown et al., 2021 ; Sturm et Hattori, 2015). Pour J. Sisnowski et al. (2017), cette absence de résultats significatifs est liée à l’inertie de l’environnement alimentaire. Il faudrait plus de temps pour pouvoir en constater les effets.
64Nos résultats montrent toutefois que les pratiques d’approvisionnement alimentaire des ménages ne changent pas forcément quand le paysage change (Ghosh-Dastidar et al., 2017) car elles s’inscrivent dans des routines (Castelo et al., 2021) et répondent à des logiques d’action individuelles. Les pouvoirs publics auraient ainsi intérêt à comprendre les logiques d’approvisionnement des ménages ciblés avant d’envisager l’installation de nouveaux points de vente alimentaire. C’est à partir de cette connaissance, dans un processus de co-construction avec les habitants, que les acteurs publics pourront mettre en place des projets susceptibles d’avoir un impact concret sur les inégalités d’accès et la consommation d’aliments sains et durables.
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