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Quand l’émergence de nouveaux services de restauration génère de nouvelles inégalités sociales à Daloa (Côte d’Ivoire)
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Version PDF originaleRésumé
En Afrique de l’Ouest, l’urbanisation des modes de vie alliée à la globalisation économique, transforment les régimes alimentaires des citadins et génèrent parfois via la suralimentation des problèmes de santé des populations. La Côte d’Ivoire n’échappe pas à ce processus. Dans la ville de Daloa, apparaissent de nouveaux services de restauration dit modernes. Ce papier cherche à déterminer les caractéristiques socio-économiques des personnes qui se rendent dans ces restaurants et montre que tous les citadins n’ont pas le même accès à ces restaurants. Il révèle également les raisons qui motivent les citadins à fréquenter ces nouveaux restaurants.
Abstract
In West Africa, the urbanization of lifestyles combined with economic globalization is transforming the diet of city dwellers and generating health problems through overeating. Côte d'Ivoire is no exception to this process. In the city of Daloa, new so-called modern catering services are appearing. This paper seeks to determine the socio-economic characteristics of the people who go to these restaurants and shows that not all city dwellers have the same access to these restaurants. It also reveals the reasons that motivate city dwellers to frequent these new restaurants.
Inhoudstafel
INTRODUCTION
1Entre 2000 et 2010, la population urbaine d’Afrique de l’Ouest est passée de 85 millions à 133 millions de personnes. En 10 ans, l’augmentation aura été de 60 %, avec une croissance annuelle moyenne de 4,6 % (Moriconi-Ebrard et al., 2016). C’est une croissance sans précédent sur cette aire géographique dont les conséquences sont nombreuses en termes économiques, sociaux, spatiaux et culturels. En effet, cette augmentation de la population urbaine a provoqué une élévation de la demande alimentaire. Dans le même temps, par les effets qu’elle a eu sur les modes de vie, elle a entrainé une transformation de la structure de consommation des personnes. Alors que dans cette région du monde, les populations ont une alimentation dite traditionnelle, essentiellement composée d’aliments à forte teneur en fibres comme le maïs, le manioc, le millet de l’orge, la banane plantain ou d’autres légumineuses, non préparés (AUDA-NEPAD, 2015), leurs régimes alimentaires et les habitudes de consommation sont en cours de modification. Ce phénomène est particulièrement marqué chez les urbains.
2Ainsi, depuis au moins une décennie, l’urbanisation des modes de vie alliée à la globalisation économique, entendue comme le fait que la production, la consommation et les échanges soient intégrés à une échelle planétaire de manière quasi-instantanée (Bourdeau-Lepage et Huriot, 2005), transforment l’alimentation des citadins d’Afrique de l’Ouest (OCDE, 2021). Elles conduisent à introduire de nouvelles manières de s’alimenter, induites par le changement des modes et des rythmes de vie mais aussi par la commercialisation, dans ces pays, de biens alimentaires transformés voire hyper-transformés (OCDE, 2021) produits par des firmes multinationales. Se diffusent dans les pays d’Afrique de l’Ouest des produits alimentaires qui sont présents dans la plupart des pays du monde dont certains ont des effets négatifs sur la santé des personnes lorsqu’ils sont consommés régulièrement. L’Afrique de l’Ouest se trouve touchée par le phénomène de suralimentation. Selon une étude conduite par Cornelia van Wesenbeeck (2018), 52 millions d’Africains de l’Ouest sont en surpoids ou obèses, la plupart d’entre eux sont des urbains de plus de 15 ans. Dans le même temps, 22 millions d’urbains d’Afrique de l’Ouest souffrent d’insuffisance pondérale sur un total de 58,4 millions de personnes touchées. On estime également que dans les espaces urbains, 35 % des adultes (personnes de plus de 15 ans) sont en surpoids ou obèses (van Wesenbeeck, 2018) contre 17 % dans les espaces ruraux. Cette partie du monde subit ainsi le « triple fardeau de la malnutrition : sous-alimentation et suralimentation mais aussi carences nutritionnelles » (Bai et al., 2023, p. 6).
3Il existe des différences notables au sein des populations urbaines en matière alimentaire. Tous les citadins n’ont pas le même accès aux denrées alimentaires. Leur condition socio-économique détermine fortement leur régime alimentaire et leur état de santé physique. En Afrique de l’Ouest, les citadins présentant l’indice de bien-être économique le plus élevé sont ceux qui sont les plus nombreux à être en situation d’obésité ou de surpoids. Ils sont 42 % à être en surpoids ou obèses contre 15 % pour les plus pauvres citadins (van Wesenbeeck, 2018). De ce fait, de nouvelles inégalités voient le jour au sein des espaces urbains et des inquiétudes inédites émergent chez les chercheurs ou les organisations internationales. Il apparait par conséquent légitime de se demander si l’urbanisation des modes de vie et le changement de régime alimentaire qui parfois s’en suit, ont des effets sur l’état de santé physique des personnes.
4Mais avant de s’intéresser à cette question de santé publique, un phénomène nous semble particulièrement intéressant à analyser. Il s’agit de l’apparition de nouveaux services de restauration dans les espaces urbains de ces pays du monde. Nous souhaitons dans cet article explorer les potentiels effets de l’émergence de ces services de restauration d’un nouveau type que sont les restaurants modernes et la vente à emporter. Il s’agira de voir s’ils participent au changement de régime alimentaire des citadins. Nous chercherons à déterminer les caractéristiques socio-économiques des personnes qui se rendent dans ces restaurants. Cela nous conduira à révéler si tous les citadins ont le même accès à ces restaurants. Nous tenterons également de saisir les raisons qui conduisent ces personnes à fréquenter ces nouveaux restaurants. Par conséquent, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Quels sont les arguments avancés par les clients de ces services qualifiés de modernes ? Sont-ils liés au changement de modes de vie (rythmes de vie, activités de services…), à la volonté d’appartenir au monde globalisé ou sont-ils le fruit de raisons plus personnelles : préférences individuelles, croyances, effet de catégorie sociale, etc. ?
5Nous avons choisi de mener ce travail sur la Côte d’Ivoire pour deux raisons principales. D’abord, nous considérons que ce pays est particulièrement pertinent pour mener cette analyse en raison des transformations qui l’ont traversé au cours des dernières années. En effet, en Côte d’Ivoire, les villes créées à partir de comptoirs commerciaux et de postes militaires pour l’administration de la colonie entre 1893 et 1955, ont connu depuis l’indépendance de 1960, un accroissement rapide. En un demi-siècle, leur nombre a été multiplié par cinquante passant de 10 en 1955 à 512 en 2018 (MEMPD, 2006 et INS, 2014 et 2021). La population urbaine, a ainsi été multipliée par trente-quatre sur cette même période. Alors qu’en 1954, il n’y avait que 331 000 citadins, en 2014, ils étaient 11 408 413 individus selon le Ministère d’État, Ministère du Plan et du Développement : MEMPD (2006) et l’Institut National de la Statistique : INS (2014). La Côte d’Ivoire connaît donc une urbanisation accélérée. Son taux d’urbanisation est passé de 32 % en 1975 à 50,3 % en 2014 pour être de 52,5 % en 2021 (INS, 2021). Cette urbanisation se caractérise par la macrocéphalie de la ville d’Abidjan qui concentre, à elle seule, 36,3 % de la population urbaine totale en 2021 (N’Guessan, 2023). Notons que les villes sont réparties inégalement sur l’ensemble du territoire national. Ce sont les zones du sud qui concentrent le plus grand nombre de grandes villes comme Abidjan, San Pedro, Daloa et Yamoussoukro. Au nord, il y a quelques grandes villes distantes les unes des autres comme Korhogo, Odienné ou Bondoukou. Dans la zone forestière, 83,7 % de la population est urbaine alors que dans la zone de savane le taux d’urbains dans la population totale n’est que de 31,5 %. La seconde raison qui nous a décidé à prendre le cas de la Côte d’Ivoire est liée au fait que ce pays n’échappe pas au phénomène de malnutrition. Dans ce pays, 34 % des urbains sont en surpoids ou obèses contre 17 % des ruraux (van Wesenbeeck, 2018), ce qui en fait un pays dans la moyenne de l’ensemble des pays d’Afrique de l’Ouest. Fort de ce choix ivoirien, nous avons décidé de nous intéresser à la ville de Daloa, quatrième ville de Côte d’Ivoire pour plusieurs raisons. D’abord sa population a augmenté de 50,3 % entre 2014 et 2021 (INS, 2021). Ensuite, cette ville, située à 383 km d’Abidjan, est un carrefour commercial au sein de la Côte d’Ivoire, caractéristique intéressante pour saisir la diffusion de nouvelles habitudes alimentaires. Enfin, à Daloa ont émergé de nouveaux services de restauration comme les restaurants dits modernes et la vente à emporter (Kouamé et al., 2020) que nous souhaitons justement étudier.
6Notre article s’organise comme suit. D’abord, nous présenterons notre terrain et notre méthodologie qui allie des observations de terrain et une enquête auprès des consommateurs des restaurants. Cela nous permettra de présenter quelques spécificités daloasiennes et de justifier nos choix méthodologiques (Section I). Ensuite nous révélerons la variabilité sociale de fréquentation des services de restauration et soulignerons les motifs donnés par les clients de ces services de leur fréquentation le midi (Section II). Enfin, nous conclurons sur les effets possibles du développement de la restauration moderne sur la société ivoirienne.
I. Présentation du terrain et de la méthodologie
7Avec une population estimée à 421 879 d’habitants en 2021, la ville de Daloa est actuellement la quatrième ville ivoirienne la plus peuplée, après Abidjan, Bouaké et Korhogo (INS, 2021). Elle est le Chef-lieu de la région du Haut-Sassandra. Cette ville est née du rapprochement de quatre villages : Lobia, Labia, Gbeuliville et Tayibouo (Figure 1), situés en bordure des pistes Nord-Sud et Est-Ouest du pays. La ville a été officiellement créé en 1940 par le gouverneur Peraldi. Elle était composée d’un centre et de cinq quartiers dont un quartier administratif, un quartier de logements de fonction au sud, un quartier commercial de part et d’autre de la voie Nord-Sud, d’un quartier, zone d’activités industrielles sur la route de Man et d’un quartier dit « africain » devenu le quartier Marais en 1959 (OCDE-CSAO, 2002, p.13). La ville a cru progressivement autour de ces quatre villages (RéseauIvoire, 2005).
Figure 1. Localisation des restaurants traditionnels et modernes dans les quartiers enquêtés à Daloa. Source : Auteurs - Enquête d’octobre 2023
8En 2014, Daloa comptait 42 quartiers (INS, 2014), répartis dans les différentes couronnes centrale, intermédiaire et périphérique (Figure 1). Plusieurs types de quartiers peuvent être identifiés : administratif et commercial, résidentiel, huppé et dortoir. Commerce et Lobia sont des quartiers de la catégorie des quartiers administratifs et commerciaux, Tazibouo, Lobia périphérique des quartiers résidentiels, Millionnaire, Evêché, Cité verte, Tazibouo et Piscine des quartiers huppés et enfin Abattoir, Marais, Soleil 2, Orly, Kennedy, Dioulabougou, Mossibougou, savonnerie, Aviation, Belle-ville, Cissoko, Gbogbélé, Labia des quartiers dortoirs (Figure 1). La ville constitue un grand carrefour reliant l’Ouest et le Nord ainsi que l’Ouest et le Sud du pays à travers les voies nationales A5 et A6. Daloa connaît un trafic routier conséquent. Les voyageurs, les travailleurs, et la population scolaire et universitaire constituent un véritable marché de consommation pour le secteur de l’alimentation (Kouamé et al., 2020).
A. Présentation de Daloa et de l’échantillon
1. Enquêter dans les différents types de quartiers à Daloa et de restaurants
9Nous avons donc enquêté dans chacun des quatre types de quartiers existant à Daloa de manière à avoir dans la mesure du possible, une représentativité spatiale de la ville. Nous avons choisi parmi ces quatre types de quartiers, ceux dont les caractéristiques font consensus et sont pleinement reconnues. Ainsi, pour représenter le type quartier « administratif et commerciaux », nous avons sélectionné le quartier Commerces car il regroupe les deux tiers des activités économiques et 95 % des services administratifs selon la direction régionale des impôts (INS, 2020) et le quartier de Lobia, qui fait partie des quartiers historiques de la ville, comme « quartier résidentiel ». Nous avons également tout naturellement pris comme quartier représentant les quartiers « huppés », le quartier Evêché, quartier assez récent, habité par la population la plus aisée de Daloa à l’habitat de haut standing depuis sa création. Notre choix s’est dirigé vers le quartier Soleil comme quartier « dortoir » car il présente les caractéristiques d’un quartier populaire, avec des habitats de type spontané.
10Une fois nos quatre quartiers choisis, nous avons inventorié les restaurants existants en spécifiant leur type : traditionnel ou moderne.
11Les restaurants modernes à Daloa, sont des établissements qui proposent une cuisine variée, européenne et africaine. On y trouve des spécialités européennes avec au menu, de la pizza, du poulet pané type KFC, du riz cantonais, du steak, frites et sauce crème-champignon, du shawarma et africaines avec au menu, du foutou, de la banane frite, du riz à la sauce graine. Ces restaurants sont équipés de salles à manger climatisées ou ventilées et bien meublées, de bars, de toilettes, de télévisions et de la connexion wifi (Figure 2). Leurs cuisines disposent d’équipements modernes comme des fours électriques, des braiseurs pour brochette, des friteuses, des sappe pour les sandwichs et des rôtisseurs. Les conditions d’hygiène de la préparation des mets sont bien respectées par les cuisiniers. Les serveurs de profession sont courtois et offrent des services chaleureux à l’accueil. En outre, les restaurants modernes à Daloa sont généralement ouverts très tôt la journée à partir de 6 heures et ferment très tard la nuit vers 23 heures.
Figure 2. Illustration d’un restaurant traditionnel et d’un restaurant moderne dans les quartiers enquêtés à Daloa. Source : Auteurs 2023
12Les restaurants traditionnels se distinguent des restaurants modernes par leur matériau de construction : feuilles de tôles, planches de bois. Ils sont installés sur des espaces étroits, généralement situés à proximité des gares routières, des écoles, des chantiers en construction et des garages mécaniques. Ils proposent des cuisines traditionnelles africaines. Les ingrédients de base sont le riz, le manioc, les légumes, le poisson, la viande de brousse et les épices. Au menu, on y trouve des spécialités ivoiriennes notamment le placali, le foutou, un plat à base de bananes plantains ou de manioc pilés, accompagné de sauce arachide, de gombo, de graine et de viande de brousse. Dans ces restaurants, la source d’énergie utilisée pour la cuisson des plats est le charbon de bois (Figure 2). Les ustensiles de cuisine sont traditionnels composés du duo mortier-pilon pour piler du foutou, de marmites, plus robuste que les casseroles qui sert à cuire le riz, les tubercules et les viandes. Cependant, les conditions d’hygiène dans la cuisson des mets sont généralement négligées dans ces restaurants traditionnels. Ils ouvrent en journée en ferment généralement autour de 17 heures. En parcourant nos quatre quartiers sélectionnés, nous avons géolocalisé 79 restaurants dont 68 traditionnels et 11 modernes (Tableau 1).
Quartiers |
Nombre de restaurants traditionnels |
Nombre de restaurants modernes |
Total |
Soleil |
20 |
0 |
20 |
Evêché |
7 |
0 |
7 |
Commerce |
24 |
11 |
35 |
Lobia |
17 |
0 |
17 |
Total |
68 |
11 |
79 |
Tableau 1. Répartition par type des restaurants dénombrés par quartier à Daloa. Source : Enquête effectuée en octobre 2023
13Nous avons constaté que seul le quartier de Commerce dispose de restaurants modernes (Tableau 1 et Figure 1). Nous nous sommes ensuite rendus dans les restaurants des quatre quartiers sélectionnés. Nous avons enquêté les clients de ces restaurants au cours du mois d’octobre 2023, une période qui était très difficile pour les restaurateurs et les commerçants en raison d’actions menées par les autorités de la ville depuis l’été 2023.
2. Une contrainte forte : une confiance à instaurer
14En effet, au cours du printemps et de l’été 2023, les autorités de la ville de Daloa ont mené des opérations de déguerpissement notamment dans les quartiers de Commerce et de Lobia. De nombreux commerces et habitations ont été détruits car ils étaient installés illégalement. Cette opération n’a pas été du goût des commerçants qui estimaient que le moment n’était pas bien choisi en raison de la rentrée scolaire. Certains commerçants se sont dit surpris par l’opération et ont affirmé avoir perdu de gros investissements. Pour la Mairie, il s’agissait de protéger les usagers et de sécuriser avant toutes les populations (Kouamé et al., 2023). A l’automne 2023, il était donc très difficile de discuter avec les commerçants dans ces quartiers. Aussi avons-nous contourné cette difficulté, en utilisant la méthode d’échantillonnage en boule de neige (Johnstonand et Keith, 2010). Cette méthode d’échantillonnage en chaîne s’appuie sur les recommandations des premières personnes enquêtées, ici les restaurateurs, pour trouver de nouvelles personnes, ici d’autres restaurateurs voulant bien participer. Après avoir établi une certaine confiance entre nous et les restaurateurs pour qu’ils nous laissent interroger leurs clients, nous leur demandions s’ils pouvaient nous recommander à d’autres restaurateurs. Nous avons ainsi mené nos enquêtes dans 30 des 79 restaurants de la ville que nous avions inventoriés. Nous nous sommes donc rendus dans 20 restaurants traditionnels et 10 restaurants modernes répartis dans les quatre quartiers sélectionnés (Tableau 2).
Quartiers |
Traditionnels |
Modernes |
Total |
Commerce |
5 |
10 |
15 |
Evêché |
5 |
0 |
5 |
Lobia |
5 |
0 |
5 |
Soleil |
5 |
0 |
5 |
Total |
20 |
10 |
30 |
Tableau 2. Répartition des restaurants enquêtés par quartier à Daloa. Source : Enquête effectuée en octobre 2023
3. Un échantillon représentatif de la population de Daloa en sexe et âge
15Concernant l’échantillon des personnes enquêtées déjeunant dans les restaurants modernes ou traditionnels, nous avons tenu à avoir un échantillon représentatif de la population majeure de Daloa en sexe et en âge. Nous avons donc utilisé la méthode des quota qui permet de constituer un échantillon non aléatoire, échantillon dit de commodité. Suivant les recommandations d’une base minimale standard de trente personnes pour une feuille de quota à deux critères comme cela a été fait sur des enquêtes menées en France (Bourdeau-Lepage et al., 2018), ont été interrogées quarante-cinq personnes, ainsi nous avons multiplié par une fois et demie notre feuille de quota. Vingt-deux femmes et vingt-trois hommes répartis entre les cinq classes d’âge (Tableau 3) dans les quatre quartiers ont été interrogés.
Age/Sexe |
Hommes |
Femmes |
Total |
18-29 ans |
10 |
10 |
20 |
30-44 ans |
8 |
8 |
16 |
45-59 ans |
4 |
3 |
7 |
60-74 ans |
1 |
1 |
2 |
75 ans et + |
0 |
0 |
0 |
Total |
23 |
22 |
45 |
Tableau 3. Répartition des 45 clients enquêtés par classe d’âge et sexe : feuille de quota représentative de la population de Daloa en âge et sexe. Source : Enquête effectuée en octobre 2023
16Nous sommes parvenus à interroger des personnes dans nos quatre quartiers retenus. Parmi les quarante-cinq personnes, interrogées, six l’ont été dans les restaurants du quartier d’Evêché, huit dans celui de Soleil, neuf dans celui Lobia et vingt-deux personnes à Commerce où sont localisés les deux types de restaurants modernes et traditionnels contrairement aux autres quartiers (Tableau 4).
Quartiers |
Nombre de clients enquêtés dans les |
Total |
|
restaurants traditionnels |
restaurants modernes |
||
Soleil |
8 |
0 |
8 |
Evêché |
6 |
0 |
6 |
Commerce |
9 |
13 |
22 |
Lobia |
9 |
0 |
9 |
Total |
32 |
13 |
45 |
Tableau 4. Répartition par quartier des 45 clients enquêtés dans les restaurants de Daloa. Source : Enquête effectuée en octobre 2023
B. Une méthodologie d’enquête par questionnaire
17Nous avons utilisé la méthode du questionnaire administré devant les enquêtés. Notre questionnaire était composé de vingt-une questions ouvertes ou fermées et comprenait quatre parties. Une partie s’intéressait au profil des personnes (profession, localisation, revenu, …), une autre était relative aux habitudes de restauration le midi, une troisième traitait des critères de choix de restaurant et une quatrième du choix relatif à la vente à emporter. Il fallait compter en moyenne 20 minutes par questionnaire. Les personnes ont été interrogées à l’heure du déjeuner dans les restaurants au cours du mois d’octobre 2023. Nous avons mené ces entretiens tous les jours de la semaine.
II. Une fréquentation des restaurants très différenciée
18Les réponses apportées par les habitants de Daloa interrogés mettent en évidence des différences marquées en matière de fréquentation de restaurants qui varient en fonction du sexe, du niveau de revenu, d’éducation ou de l’emploi occupé.
A. Des différences notables entre les hommes et les femmes concernant le type de restaurant fréquenté
19Ainsi, la fréquentation des restaurants est très différenciée entre les hommes et les femmes. La clientèle des restaurants modernes est majoritairement masculine. Elle est composée à 77 % par des hommes. Seules trois femmes sur les vingt-deux de notre échantillon représentatif de la population de Daloa fréquentent un restaurant moderne contre dix hommes sur les vingt-trois enquêtés. L’inverse est observé pour les restaurants traditionnels. Leur clientèle est à 59 % féminine.
20Le test de Khi² effectué entre les variables sexe et fréquentation des restaurants donne une p-value de 0,027 inférieur à 0,05. Ce qui confirme que la fréquentation du type de restaurant est dépendante du sexe des enquêtés à Daloa. Les femmes fréquentent les restaurants traditionnels à 86,4 % et les hommes à 56,5 %. Mais quelles sont les raisons de cette différence de fréquentation ? Est-ce que cela est lié au fait qu’à Daloa, les femmes disposent d’un revenu mensuel moins important que celui les hommes et travaillent majoritairement dans le secteur informel ?
B. Des clients aisés dans les restaurants modernes
21Si nous analysons le niveau de revenu mensuel des personnes interrogées, nous constatons que la clientèle des restaurants modernes peut être qualifiée d’aisée voire de très aisée. En effet, 100 % des personnes disposant de plus 500 000 Fcfa par mois fréquentent ces restaurants et 70 % de celles disposant entre 200 000 et 500 000 Fcfa (Tableau 5). À Daloa, en 2023, le revenu moyen est de 60 000 Fcfa.
22La clientèle des restaurants traditionnels est beaucoup plus diversifiée socialement. Elle comprend des personnes ayant un revenu mensuel de moins de 60 000 Fcfa, soit en dessous du revenu moyen à Daloa, comme des personnes ayant un revenu pouvant atteindre 500 000 Fcfa. Cependant, 100 % des personnes disposant de moins de 100 000 Fcfa par mois de revenu fréquente ce type de restaurants. La fréquentation des restaurants modernes à Daloa n’est pas à la portée des personnes ayant des revenus inférieurs à 100 000 Fcfa. Pour ces personnes aller dans un restaurant moderne pour se nourrir est un luxe.
Niveau de revenu des enquêtés en Fcfa |
Nombre de personnes dans un restaurant |
Total de personnes |
|
Moderne |
Traditionnel |
||
[0-60 000[ |
0 |
11 |
11 |
[60 000-100 000[ |
0 |
7 |
7 |
[100 000-200 000[ |
2 |
12 |
14 |
[200 000-500 000[ |
5 |
2 |
7 |
> 500 000 |
6 |
0 |
6 |
Total |
13 |
32 |
45 |
Tableau 5. Revenu mensuel des clients enquêtés dans les restaurants de Daloa. Source : Enquête effectuée en octobre 2023
C. Une clientèle diplômée et entrepreneuriale dans les restaurants modernes
23À Daloa, la fréquentation du type de restaurant dépend en grande partie du niveau d’étude des personnes. Le test de Khi² entre la variable niveau d’étude et la variable fréquentation des restaurants donne, une p-value de 0,04 qui est inférieur à 0,05. La clientèle des restaurants modernes présente le niveau d’étude le plus élevé. En effet, 46 % des personnes interrogées qui fréquentent ces restaurants, ont un niveau d’étude du supérieur et 54 % un niveau d’étude du secondaire.
24La clientèle des restaurants traditionnels est beaucoup plus diversifiée. On y retrouve toutes les catégories de personnes. Ainsi, 33 % des personnes ne sont pas allées à l’école, 22 % ont un niveau d’étude du primaire (soit 100 % des personnes très peu diplômées de l’échantillon), 34 % des personnes un niveau d’étude du secondaire et 9 % un niveau d’étude du supérieur. Notons que les personnes ayant au mieux le niveau d’étude primaire, ne se rendent pas dans les restaurants modernes.
25L’analyse de la profession des personnes interrogées dans les restaurants confirment le caractère diversifié de la clientèle des restaurants traditionnels. Etudiants, commerçants, enseignants mais aussi ouvriers, employés et personnes sans profession déjeunent dans les restaurants traditionnels. Les restaurants modernes sont fréquentés par les entrepreneurs comme les chefs d’entreprises, les promoteurs immobiliers mais aussi par quelques enseignants.
D. Des clients dont le type de restaurants fréquentés dépend du quartier de résidence
26Sans grand surprise, le quartier d’habitation des clients détermine le type de restaurants qu’ils fréquentent. Le test de Khi² entre la variable type de restaurant et la variable quartier d’habitation est là pour en attester avec un p-value de 0,035. Ainsi, 30 % des consommateurs enquêtés dans les restaurants modernes habitent à Evêché le quartier le plus aisé et de haut standing de Daloa et 23 % à Commerce quartier de moyen standing caractérisé par un habitat de type évolutif (Figure 3). Les clients des restaurants traditionnels habitent une grande variété de quartiers, d’Abattoir (quartier dortoir) Soleil (quartier dortoir), Orly (quartier dortoir) qui sont des quartiers populaires avec un habitat de type précaire (Gouamene, 2021, p.123) à Lobia (quartier historique) en passant par Evêché (quartier huppé).
Figure 3. Quartier de résidence des personnes enquêtées dans les restaurants de Daloa. Source : Auteurs - Enquête d’octobre 2023
27Il ressort de notre enquête que la fréquentation des restaurants à Daloa est très différenciée. Elle laisse apparaître des différences notables entre les hommes et les femmes, dans la mesure où les restaurants traditionnels enregistrent un taux de fréquentation de 86,4 % pour les femmes et de 56,5 % pour les hommes. La clientèle des restaurants modernes est majoritairement masculine à 77 %. Ces personnes sont non seulement des diplômées allant du secondaire au supérieur mais aussi et surtout en majorités des entrepreneurs. Par ailleurs, les clients des restaurants traditionnels ont des niveaux d’études et des professions diversifiés. Ils sont étudiants, commerçants, enseignants mais aussi ouvriers, employés ou sans profession. Toutefois, quels sont les critères qui régissent le choix des restaurants des Daloasiens ?
III. Les raisons de la fréquentation des restaurants
A. Un restaurant choisi en fonction du prix des mets
28Compte tenu de ce que nous avons pu observer précédemment sur la clientèle des deux types de restaurants, nous pouvons légitimement faire l’hypothèse que les personnes choisissent leur restaurant en fonction des tarifs qu’ils appliquent. C’est pourquoi nous avons calculé la corrélation bivariée de Spearman entre les variables prix moyen d’un repas et revenu des personnes interrogées dans les restaurants. Elle est de 0,01 et significative au niveau 0,01. Par conséquent, le prix du repas détermine bien la typologie de revenu des clients dans les restaurants modernes et traditionnels. Les restaurants modernes, dont les mets sont plus chers sont fréquentés logiquement par les personnes aux revenus les plus élevés. À l’opposé, les restaurants traditionnels, qui proposent des mets à des prix accessibles, sont fréquentés par les populations moins aisées.
29Les résultats de l’enquête montrent que les prix moyens d’un repas dans un restaurant traditionnel se situent entre 300 Fcfa et 1 500 Fcfa. Ainsi, 31 % des clients des restaurants traditionnels, dépensent en moyenne 500 Fcfa pour un repas à midi, 25 % des clients dépensent 1 000 Fcfa et 12 % 800 Fcfa. Ces consommateurs ont des revenus inférieurs à 100 000 Fcfa.
30Dans les restaurants modernes, les prix moyens se situent entre 1 500 Fcfa et 5 000 Fcfa. 38 % des personnes enquêtées, qui déjeunent dans les restaurants modernes, dépensent en moyenne 3 000 Fcfa, contre 15 % qui dépensent 5 000 Fcfa. Ceux qui s’y rendent pour le déjeuner ont des revenus supérieurs à 100 000Fcfa.
31On le comprend le pouvoir d’achat des Daloasiens jouent un rôle important dans le choix du type de restauration. Pour autant quelles sont les raisons qui conduisent les personnes à aller déjeuner au restaurant ? C’est à cette question que nous allons répondre dans la partie qui suit.
B. Avant tout, une fréquentation dans les restaurants modernes, fruit de raisons professionnelles
32Les motifs évoqués par les consommateurs des restaurants le midi sont assez classiques, cependant quelques éléments remarquables sont identifiés.
33Les raisons qui motivent la fréquentation des restaurants modernes sont fortement induites par la profession de la clientèle. En effet, respectivement près d’un tiers et 16 % des personnes enquêtées dans ces restaurants évoquent comme principal motif de leur fréquentation des contraintes professionnelles et des contraintes de temps. Elles veulent « éviter des allers-retours » (entre chez elles et leur lieu de travail) et ainsi « ne pas perdre du temps ».
34À côté de ces deux motifs évoqués, apparait pour près d’un tiers des personnes comme motif premier de leur fréquentation des restaurants modernes, la volonté d’« avoir une alimentation saine », de varier leur alimentation » ou « de bien manger ».
35Mais les personnes se rendent aussi au restaurant moderne pour se faire plaisir, pour l’ambiance et le cadre. C’est le cas pour un quart des personnes.
36Les motivations de fréquentation des restaurants traditionnels sont à peu près similaires. En effet, 31 % des personnes enquêtées dans ces restaurants évoquent comme principale raison de leur fréquentation l’éloignement domicile-travail, 22 % d’entre elles précisent s’y rendre pour économiser en transport, 9 % pour ne pas perdre de temps et 6 % pour manger un plat local (Figure 4).
Figure 4. Premières raisons de la fréquentation des restaurants au déjeuner, évoquées par les enquêtés. Source : Auteurs - Enquête d’octobre 2023
37Nous avons confronté ce que nous disait les enquêtés sur leur volonté de gagner du temps en allant déjeuner le midi au restaurant à leur temps de trajet pour se rendre au restaurant.
38Les résultats révèlent que 37,5 % des personnes qui fréquentent les restaurants à Daloa, mettent entre 5 et 10 minutes pour s’y rendre, 31,3 % entre 11 et 15 minutes et 28,1 % moins de 5 minutes contre seulement 3,1 % entre 16 et 20 minutes (Figure 5). Ceci conforte que la fréquentation des espaces de restauration à Daloa permet aux consommateurs travailleurs de « gagner du temps » en reprenant vite le travail après leur déjeuner.
39Il n’existe pas de différences notables entre les clients des restaurants modernes et traditionnels. Leur temps de déplacement pour aller déjeuner est pour la grande majorité (pour 70 % des clients des restaurants traditionnels et 66,7 % des clients des restaurants modernes) inférieur à 10 minutes.
Figure 5. Temps de trajet des enquêtés pour se rendre au restaurant. Source : Auteurs - Enquête d’octobre 2023
Conclusion
40À travers notre enquête, nous avons mis en évidence des différences sociales et sexuelles marquées concernant la fréquentation des restaurants à Daloa. Nous avons révélé que ce sont des personnes aisées et des hommes qui fréquentent les restaurants modernes (peut-être dans un entre soin) alors que la clientèle des restaurants traditionnels est bien plus diversifiée. Aussi pouvons-nous nous demander si l’apparition de nouveaux services de restauration à Daloa n’est pas en train de générer des inégalités socio-spatiales d’un nouveau type. Assiste-t-on à l’émergence d’une nouvelle géographie de la restauration à Daloa ?
41Nous pouvons également nous demander si la fréquentation des restaurants modernes participe au changement de régime alimentaire des catégories sociales les plus aisées et explique en partie l’état de leur condition physique. Il serait pour cela intéressant d’interroger les clients des restaurants modernes sur les aliments qu’ils consomment chez eux et de croiser cela avec des indicateurs de condition de santé pour voir en quoi la transformation de leur régime et habitudes alimentaires a un impact ou non sur leur état de santé global et leur poids.
42Un des arguments avancés de la fréquentation des restaurants par nos enquêtés est lié au rythme de vie. C’est avant tout pour gagner du temps qu’ils fréquentent les restaurants. Cependant, notons que pour certains clients des restaurants modernes c’est pour se faire plaisir qu’ils déjeunent dans ces restaurants. Cela rejoint notre préoccupation précédente, celle d’une alimentation saine et équilibrée. Ainsi, le fait de déjeuner dans un restaurant moderne régulièrement ne génère-t-il pas la suralimentation de ces citadins aisées dont nous avons, en introduction, souligné la plus fréquente situation de surpoids ou d’obésité.
43À cette interrogation s’ajoute une autre question, celle du maintien à terme de la culture culinaire ivoirienne. En effet si la restauration moderne prenait le pas sur la restauration traditionnelle pour des raisons d’hygiène, de dite « modernisation » ou de « développement » ou encore par une « homogénéité » culturelle qui serait induite par la globalisation, touchant la Côte d’Ivoire, alors les habitudes et les régimes alimentaires de nombreuses catégories de personnes pourraient être modifiés. Cela aurait vraisemblablement des effets importants sur la production agricole, l’activité économique et sur les modes de vie des Ivoiriens. Nous pouvons ajouter à cela des effets sur l’environnement ou sur la biodiversité dans le pays. Aussi serait-il intéressant de se pencher sur les représentations qui circulent au sein de la société ivoirienne des restaurants modernes.
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Over : Lise BOURDEAU-LEPAGE
Professeur
Université Jean Moulin Lyon 3 - UMR EVS
France
lblepage@gmail.com
Over : Sahoti OUATTARA
Docteur Maître assistant
Université Jean Lorougnon Guédé
Côte d’Ivoire
ouattara_sahoti@hotmail.fr
Over : Fousséni TRAORE
Doctorant
Université Jean Lorougnon Guédé
Côte d’Ivoire
traorefousseni735@gmail.com